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1L'ouvrage de Ronald Chilcote se présente comme une étude des efforts des intellectuels brésiliens pour penser les problèmes de leur société au XX^e siècle, en particulier son héritage colonial, son identité nationale et son développement économique. Ce programme est en grande partie rempli à condition de préciser certaines limites du livre. En premier lieu, l'auteur adopte une définition du concept d'intellectuel, inspirée de Gramsci mais assez peu précise. Il se concentre en effet sur les "intellectuels organiques", qui selon ses mots « sont directement connectés aux classes sociales dans la société et se consacrent à organiser leurs intérêts, cherchent du pouvoir et augmentent leur capacité de contrôle » (p. 1). Cette définition restrictive le conduit, dans la pratique, à ne prendre en compte que des universitaires de gauche. On ignore si ces gens ont effectivement organisé des intérêts et cherché le pouvoir, mais il est certain que Ronald Chilcote leur confère une nette préférence politique. En conséquence, il ne s’intéresse guère aux conservateurs (ou aux fascisants) : une facette centrale de l’histoire idéologique et intellectuelle du Brésil disparaît de ce fait. Si on ajoute que l’ouvrage fait débuter sa périodisation en 1930, nous devons admettre que Ronald Chilcote ne nous présente pas une histoire du monde intellectuel brésilien. Son ouvrage n’est pas non plus une sociologie de cette population. On ne sait pratiquement rien sur les origines sociales de la plupart des individus cités, hormis ceux de l’Instituto Superior de Estudos Brasileiros (ISEB), sur leurs sources de revenus, leurs carrières. Leur inscription dans des disciplines universitaire est également ignorée (ce qui est une conséquence de la définition de l’intellectuel tel qu’il l’envisage). Une sociologie ou une histoire des acteurs de la vie intellectuelle brésilienne aurait de toute façon dû commencer par une étude approfondie du bacharelismo et de ses conséquences. Quoi qu’en dise l’auteur, son livre n’étudie pas non plus (ou à peine) les effets des travaux menés par ces personnes. Ce projet aurait nécessité un tout autre questionnaire : qui est en position de diffuser des idées ? Sur qui ? Comment ? Avec quelles conséquences observables ?

2En quoi consiste donc cet ouvrage ? D'abord en une périodisation des grands thèmes de cette pensée nationale (1930-1945 ; 1945-1964 ; 1964-1980) qui est contestable car réductrice comme toute entreprise de ce genre. En second lieu, en une étude approfondie de l’ISEB de Rio de Janeiro, certes fouillée mais présentant l’inconvénient de cacher presque tout le reste de la vie intellectuelle carioca. Ensuite, le livre propose une revue du développement des idées marxistes à l’Université de São Paulo (USP) dont l’importance est peut-être exagérée, puis la description d’un certain nombre de débats essentiellement menés par des intellectuels paulistes et, secondairement, cariocas ou mineiros sur la révolution bourgeoise, le développement, l’État, les mouvements sociaux et syndicaux et, finalement, la révolution. Si l’on envisage l’ouvrage de Chilcote comme une sorte de grand résumé des travaux et des débats au sein de l’intelligentsia (universitaire de gauche) sur ces sujets, on saisit mieux sa portée et son utilité. Intellectuals and the Search for National Identity est ainsi une véritable mine d’informations. Si les carrières des auteurs sont souvent mal restituées (car cela dépasse les possibilités du livre), la quantité de travaux synthétisée impose le respect. Ronald Chilcote a réalisé un effort considérable pour rendre accessibles, dans une langue claire, une masse d’articles et d’ouvrages connus en général des seuls spécialistes. Les pages qu’il consacre aux revues (origines, direction, contributeurs) sont également excellentes et particulièrement utiles (aussi bien aux étudiants qu’aux historiens confirmés). Ajoutons à cela que Chilcote s’est appuyé sur des entretiens réalisés auprès de certains protagonistes (notamment issus de l’ISEB), ce qui lui permet d’apporter des précisions nouvelles qu’apprécieront les spécialistes.

3L’inconvénient évident d’un tel contenu est bien évidemment que l’ouvrage n’échappe pas totalement à la tentation du catalogue. La nécessité de synthétiser oblige également l’auteur à faire certaines affirmations que pourront contester les spécialistes de chaque domaine (par exemple au sujet des influences respectives de Florestan Fernandes et de Caio Prado Jr). Enfin, pour rendre l’exposé plus compréhensible, Chilcote intercale des morceaux d’histoire des partis ou de la vie politique brésilienne qui sont certes utiles au novice, mais qui réduisent la cohérence générale.

4Finalement Intellectuals and the Search for National Identity in Twentieth Century Brazil apparaît comme un ouvrage clair, utile, fruit d’un travail sérieux et de qualité qui s’imposera comme une référence à partir du moment où le lecteur accepte de ne pas accorder trop d’importance au tableau analytique de la vie intellectuelle proposé. Plus précisément, ce livre qui est politiquement orienté, ne peut prétendre être ni une sociologie des intellectuels ni une histoire de la vie intellectuelle brésilienne, ni une véritable mise en perspective des débats. Chilcote retient les idées qui l’intéressent et adopte une vision assez rigide de ce qu’est un intellectuel (dont le travail s’explique d’une façon un peu mécanique par l’époque et les priorités politiques). Les limites de son corpus ne sont pas présentées ni justifiées et les changements de focales (les gens, les revues, les idées, l’engagement) interdisent d’y voir une étude fondée sur une véritable construction de l’objet. Ce livre est en revanche un point de départ stimulant pour tout projet d’exploration de la vie intellectuelle brésilienne, qui mérite d’être lu et conservé.