1L’objectif de ce texte est de discuter et de décrire le modèle de développement économique durant les mandats présidentiels de Lula et de déterminer si le retour de l’idéal développementiste s’est concrétisé à travers les actions du gouvernement.
- 1 Luiz Inácio Lula da Silva a été président de la République fédérale du Brésil du 1er janvier 2003 a (...)
2La période Lula1, plus précisément à partir de 2006-2007, s’est distinguée par une série de résultats positifs dans le domaine économique par opposition aux deux décennies antérieures de stagnation. Essor du secteur des exportations, taux de croissance élevés du PIB, accumulation record de réserves de change, augmentation des investissements publics, expansion spectaculaire du marché du crédit et hausse réelle du salaire minimum : tous les indicateurs macroéconomiques ont montré des résultats meilleurs que ceux des gouvernements précédents.
3D’après le large consensus qui règne dans la littérature spécialisée, le type de développement associé à ce que l’on a coutume d’appeler le modèle de substitution des importations est entré en crise et a pris fin dans les années 1980. Cependant, les voix sont dissonantes quant à la nature du nouveau modèle qui s’est construit au fil des années 1990, 2000 et 2010.
- 2 « La vulnérabilité externe structurelle découle des changements relatifs au modèle de commerce, à l (...)
4Les uns, Filgueiras et Gonçalves (2007) par exemple, l’associent à ce qu’ils appellent le modèle libéral périphérique (MLP) qui s’est structuré à partir de changements profonds dans au moins cinq dimensions de l’organisation socio-économique et politique du pays : 1°) relation entre capital et travail ; 2°) relation entre les fractions distinctes du capital ; 3°) intégration internationale (économique et financière) du pays ; 4°) structure et fonctionnement de l’État ; 5°) formes de représentation politique. Le nouveau modèle qui a en a résulté, s’appuyant sur des régimes distincts de politiques macroéconomiques tout au long de cette période, se caractériserait par une forte vulnérabilité externe structurelle2, une intégration passive dans l’économie internationale, une instabilité macroéconomique et une difficulté à maintenir des taux de croissance plus élevés.
5D’autres, comme Barbosa et Souza (2010), reconnaissent un modèle constitué dès 2006-2007 marqué surtout par les aspects suivants : 1°) reprise de la participation de l’État dans la conduite du processus économique ; 2°) croissance économique avec distribution du revenu, « tirée » par le marché interne ; 3°) centralité de la politique sociale et expansion de l’offre de crédit ; 4°) politique de croissance réelle du salaire minimum ; 5°) réorientation de la politique du commerce extérieur ayant permis l’augmentation et la diversification (destination et nature des produits) des exportations brésiliennes.
6Quant à Oreiro (2011), il identifie trois régimes successifs de politiques macroéconomiques depuis l’application du « Plan real » [Plano Real] en 1994 : 1°) le régime d’ancrage du change (1995-1998) ; 2°) le régime du trépied macroéconomique : objectifs d’inflation, excédents fiscaux primaires et change flottant (1999-2005) ; enfin, 3° le régime développementiste incohérent (2008-2011), résultat de l’assouplissement du trépied à partir de 2006-2007. D’après l’auteur, cette incohérence, liée au régime précédent, résulterait de l’impossibilité d’atteindre simultanément les objectifs distincts établis par les politiques macroéconomiques du gouvernement. La conséquence de l’abandon de l’un de ces objectifs (la stabilisation du taux de change réel) aurait été la tendance à la détérioration progressive du solde des transactions courantes de la balance des paiements et à l’aggravation du processus de désindustrialisation de l’économie brésilienne.
7L’objectif de cet article est de démontrer que l’assouplissement opérationnel des politiques macroéconomiques, à partir de 2006-2007, et les améliorations des indicateurs qui y ont fait suite découlent de la nouvelle conjoncture internationale qui a fortement profité aux pays de la périphérie, en favorisant la réduction de leurs vulnérabilités externes conjoncturelles respectives (Filgueiras et al. 2010). Du coup, loin de constituer un retour au développementisme, l’inflexion initiée lors de la transition entre le premier et le deuxième mandat de Lula n’a pas suffi à rompre avec le MLP, d’où la persistance de ces problèmes de viabilité à long terme. Ceci explique qu’un même modèle de développement peut inclure divers régimes de politique macroéconomique, ce qui montre sa capacité d’adaptation à différentes conjonctures pour assurer sa propre existence.
8Tout ce débat au sujet du nouveau modèle de développement et des transformations dues à la performance récente de l’économie brésilienne s’inscrit dans le contexte de l’affaiblissement du néolibéralisme à l’échelle mondiale. Après la phase de grande expansion des années 1980, le phénomène néolibéral a atteint son apogée dans les années 1990, avec la chute du mur de Berlin. C’était la « fin de l’histoire » de Fukuyama. Cependant, les années 2000 ont montré que cette vague néolibérale ne durerait pas éternellement, tout au moins sous la forme que l’on avait connue pendant les deux décennies antérieures.
9Le néolibéralisme est une histoire inachevée et l’on ne peut affirmer catégoriquement qu’en tant qu’idéologie, il appartient simplement au passé ; au contraire, l’orthodoxie néolibérale et ses valeurs demeurent hégémoniques. Mais à mesure que l’on se rend compte du caractère utopique d’une telle proposition (Harvey 2007 : 28) et du fait que le développement économique n’est pas le fruit d’une création spontanée, les critiques gagnent du terrain, les luttes sociales se multiplient et de nouvelles conventions commencent à se mettre en place.
10Sur le plan économique, en dépit de son inégalable succès en termes de stabilisation monétaire, le néolibéralisme a engendré un niveau élevé d’instabilité macroéconomique ayant affecté la croissance du PIB, détérioré les comptes publics, fragilisé les balances de paiements des pays périphériques et fortement inhibé l’investissement privé. Sur le plan social, les travailleurs se sont retrouvés dans une situation encore plus vulnérable, étant donné la déstructuration du marché de l’emploi et sa déréglementation qui ont « conduit à une montée du chômage et à l’aggravation de la précarité du travail et des formes de contractualisation (coopératives, tertiarisation, etc.) » (Filgueiras 2006 : 200).
11Cette situation a amplifié la « disparité entre la rhétorique (au profit de tous) et la réalité (au profit d’une petite classe dirigeante) » (Harvey 2007 : 27) et ainsi ouvert la voie, en Amérique latine, à l’action de nouveaux sujets historiques impliqués dans divers mouvements sociaux.
12Plus que les crises des pays situés dans les régions périphériques – au Mexique, en Asie, en Russie, au Brésil (par deux fois) et en Argentine –, la crise économique de 2008 a contribué à délégitimer le projet néo-libéral. Son intensité et son étendue ont obligé les pays riches à adopter une posture qui « a démontré que, contrairement à ce que beaucoup croyaient, Keynes était bien vivant et se rappelait à notre souvenir » (Pereira 2011).
13On comprend alors que la perte de puissance du néolibéralisme, progressive jusqu’en 2008 et abrupte à l’issue de la crise mondiale, ait ouvert un espace pour la lutte politique et la négociation de nouvelles formes de développement (Erber, 2011). Ceci démontre, encore une fois, que le domaine des idées est directement lié à la dynamique de la réalité concrète.
14Cet article comporte trois parties. Dans la première, nous discutons du modèle de développement et du bloc au pouvoir du gouvernement Lula, tout en soulignant les relations entre l’État et les grands groupes économiques nationaux. La seconde partie traite de l’évolution de la structure productive et de la nature de l’intégration du pays sur la scène internationale. Enfin, dans la dernière partie, nous abordons la dynamique macroéconomique et les principales politiques économiques des années Lula.
15L’ascension du grand capital national (groupes économiques) a, dans une large mesure, conditionné les stratégies adoptées par le gouvernement Lula, ce qu’illustrent à la fois la structure productive et la composition du tableau des exportations du pays. L’action de l’État visait à renforcer la situation du Brésil en tant qu’exportateur de produits à basse valeur ajoutée, dans la répartition internationale du travail.
16En ce sens, bien comprendre la dynamique des relations entre la classe bourgeoise brésilienne et l’État permettra de faire le lien nécessaire entre les transformations survenues dans les rapports de force au sein de cette bourgeoisie pendant les années Lula et le nouveau modèle de développement. Les concepts de « bloc au pouvoir » (Poulantzas 1968: 263) et de « bourgeoisie intérieure » (Poulantzas 1974 : 77-84), et celui gramscien d’hégémonie (Carnoy 1988 : 95), constitueront ici des instruments d’analyse utiles.
17Le « bloc au pouvoir » est un concept qui désigne la classe capitaliste en tant qu’unité constituée par diverses fractions – avec des intérêts parfois convergents, parfois conflictuels – dans sa relation à l’État et à la société (Boito Jr. 2007 : 58). L’intérêt de cet outil est de montrer que la classe capitaliste n’est pas un « tout » homogène. Sa dynamique interne explique en grande partie les transformations par lesquelles sont passés l’État et l’économie brésilienne.
18La « bourgeoisie intérieure » est une fraction de la bourgeoisie qui occupe une place intermédiaire entre la « bourgeoisie compradore » et la « bourgeoisie nationale » dans sa relation à l’État et au capital international. C’est une catégorie d’autant plus pertinente qu’elle correspond justement à cette fraction du capital qui a connu l’ascension politique pendant les années Lula et a porté la demande fondamentale d’un projet de changement de la politique économique (Boito Jr. 2007 : 60 ; Rojas 2010).
19Quant à l’hégémonie, dans l’acception gramscienne, on peut l’entendre comme :
Un ordre dominant dans lequel règne un certain type de vie et de pensée, dans lequel une conception de la réalité est répandue dans toute la société, dans toutes ses manifestations institutionnelles et privées, étendant son influence à tous les goûts, à la moralité, aux coutumes, aux principes politiques et religieux et à tous les rapports sociaux, en particulier quant à leurs résonances morales et intellectuelles (R. Williams apud Miliband 1973 : 162).
20Voilà vingt ans que le capital financier exerce au Brésil une hégémonie au sein du bloc au pouvoir (Boito Jr. 2007). Cependant, avant même les années 1990, lorsque le néolibéralisme était à son apogée, la conduite de la politique économique connaissait la stabilité. La Fédération des industries de l’État de São Paulo (Federação das Indústrias do Estado de São Paulo - FIESP) et la Confédération nationale des industries (Confederação Nacional das Indústrias - CNI) ont été les principaux porte-parole de l’insatisfaction de l’entreprenariat industriel au sujet de deux des politiques du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (FHC) : l’ouverture commerciale et les taux d’intérêts élevés (Boito Jr. 2007).
21Unissant sa voix à celle de l’entreprenariat industriel, la « nouvelle aristocratie du travail » qui dirigeait la Centrale unique des travailleurs (Central Única dos Trabalhadores - CUT), se définissait dans la résistance à la politique des taux d’intérêts élevés et défendait l’incitation à l’investissement. On voyait déjà l’embryon de l’idéal du retour au développementisme :
Il y a eu un moment fort de cette alliance en juin 1996, lorsque la direction de la FIESP a déclaré publiquement, notamment par un texte signé de son président et publié dans la presse à grand tirage, son soutien à une grève nationale organisée par la CUT et Force syndicale (Força Sindical) pour protester contre le chômage. Entre mai et juin de la même année, la FIESP organisait à Brasília, avec la collaboration de la CNI, une manifestation d’industriels venus de tout le pays pour protester contre le « rythme accéléré » de l’ouverture aux marchés, contre le « rythme lent » des privatisations et contre la politique d’intérêts élevés. Le gouvernement de FHC a pris acte de la pression et, sans modifier sa politique générale, a fait un pas en arrière : il s’est appuyé sur les normes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – protection, droits compensatoire et interdiction du dumping – pour dresser des barrières contre l’importation de textiles en provenance de Chine, Corée du Sud et Taiwan et contre l’importation de jouets. Pendant la campagne électorale de 2002, le PT (Parti des travailleurs) et son candidat, Luiz Inácio Lula da Silva, se sont efforcés de s’attirer le soutien de la FIESP en proclamant qu’ils formeraient un gouvernement de la production contre la spéculation. Ils semblaient rééditer les illusions traditionnelles de la gauche brésilienne à propos du rôle politique supposé de la « bourgeoisie nationale ». (Boito Jr. 2007 : 65).
- 3 Ouverture commerciale et financière abrupte dans un contexte de fragilité compétitive ; taux de cha (...)
22Après la crise du change de 1999 – conséquence de la forte instabilité systémique3 engendrée par le premier régime de politiques du modèle libéral périphérique – lorsque s’est mis en place un nouveau régime de politiques macroéconomiques, la bourgeoisie intérieure a connu une ascension politique, sans que l’hégémonie financière en soit ébranlée. À partir de là, les secteurs exportateurs ont commencé à occuper une position stratégique dans la mesure où ils fournissaient un flux de devises plus stable que le capital à court terme attiré par des taux d’intérêt élevés, comme cela avait été le cas dans les années 1990 (Boito Jr. 2007). Cela s’est traduit par l’ascension politique du grand capital exportateur au sein du bloc au pouvoir, ascension rendue possible par le capital financier qui apportait une plus grande stabilité au modèle. La nouvelle conjoncture internationale, extrêmement favorable à partir de 2002, a consolidé cette situation.
- 4 L’IIRSA (Iniciativa para a Integração da Infraestrutura Regional Sul-Americana) « correspond à une (...)
23Ce nouvel arrangement au sein du bloc au pouvoir a eu une influence significative sur la trajectoire de l’économie brésilienne et les tentatives pour mettre en place de nouvelles conventions de développement (Erber 2011 : 37). C’est ainsi que l’on a commencé à stimuler la construction d’une infrastructure et d’un appareil institutionnel favorisant l’écoulement des exportations. Cela allait du financement de projets dans le cadre de l’Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale sud-américaine4 (IIRSA) impulsée par la Banque nationale de développement économique et social (Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social - BNDES), au changement de la législation de cette banque pour autoriser le financement de processus d’internationalisation d’entreprises brésiliennes, en passant par des ajustements légaux qui permettaient une plus grande opérationnalisation de ses activités financières (Valdez 2011).
24À cela se sont ajoutés les opportunités engendrées par le nouveau cycle d’expansion de l’économie mondiale, en particulier celles offertes par la Chine dont la demande n’a cessé de progresser. La crise de 2008 a créé de nouvelles occasions d’expansion pour les grandes corporations brésiliennes, lorsqu’il est devenu possible d’acquérir à des conditions favorables plusieurs entreprises d’autres pays en difficulté en raison de la conjoncture critique (Souza 2010, Valdez 2011).
25Pendant les années Lula, des groupes économiques et des entreprises comme JBS, Fibria, Gerdau, Camargo Corrêa, Odebrecht et Vale (Souza 2010) sont quelques-uns des exemples de sociétés qui se sont renforcées grâce à l’aide de l’État, par le biais de la BNDES. Invoquant la nécessité de consolider les entreprises « championnes » dans le but d’améliorer l’intégration internationale du pays, l’État a financé des acquisitions, projets d’internationalisation, joint ventures et expansions (Garcia 2011), et canalisé un volume croissant de ressources publiques pour les grands groupes économiques nationaux. Le graphique 1 montre le favoritisme de la BNDES envers le grand capital.
Graphique 1 – Dépenses annuelles du système BNDES selon la valeur* de l’entreprise en milliards de reais (R$)
* Classification en fonction de la recette opérationnelle brute annuelle. Micro-entreprise : inférieure ou égale à 2,4 millions de R$ ; petite entreprise : supérieure à 2,4 millions et inférieure ou égale à 16 millions de R$ ; entreprise moyenne : supérieure à 16 millions et inférieure ou égale à 90 millions de R$ ; moyenne à grande entrepise : supérieure à 90 millions et inférieure ou égale à 300 millions de R$ ; grande entreprise : supérieurs à 300 millions de R$.
(http://www.bndes.gov.br/SiteBNDES/bndes/bndes_pt/Institucional/Apoio_Financeiro/porte.html).
26On associe l’intégration latino-américaine et le développement économique au rôle actif de l’État dans le processus d’internationalisation du grand capital national, ce qui s’est traduit dans la pratique par l’émergence de monopoles modernes. Parmi les différents arguments en faveur d’un tel processus, on peut citer : 1) l’incitation aux investissements brésiliens extérieurs stimule l’investissement intérieur puisque les exportations sont indirectement favorisées, dans la mesure où les matériaux utilisés à l’extérieur sont produits au Brésil ; 2) il faut garantir l’avantage compétitif pour faire face à la concurrence agressive dans le commerce international, comme celle des Chinois ; et 3) le caractère anti-cyclique des banques publiques leur permet de soutenir le taux d’investissement et, par là, l’emploi et le revenu, pendant les périodes de crise (Souza 2010, Garcia 2011, Tautz et al. 2010).
27L’activisme de l’État est l’une des raisons qui ont conduit certains à attribuer au gouvernement Lula un caractère développementiste. C’est le cas de Melo et Lazzarini (2011) :
Le fait est que, même en faisant allégeance à l’orthodoxie néolibérale, Lula a toujours maintenu un certain dispositif développementiste en réserve dans son gouvernement. D’abord confiné à la BNDES, puis étendu à l’IPEA (Institut de recherche en économie appliquée) et au ministère des Finances, ce secteur attendait son heure pour entrer en scène.
28De la même manière, pour Barbosa et Souza (2010 : 14-15) :
L’augmentation de l’investissement public du gouvernement fédéral a débuté en janvier 2006, avec l’adoption du programme « bouche-trous », une initiative du gouvernement fédéral pour améliorer la qualité des routes. Suite à la baisse de l’investissement public entre 2003 et 2005, l’état du réseau routier fédéral était devenu précaire au début de l’année 2006, ce qui avait des effets négatifs significatifs sur la productivité de l’économie et la sécurité de la population. Ainsi, en conformité avec sa nouvelle orientation plus développementiste, la réponse du gouvernement Lula fut d’établir un programme d’urgence qui, bien que petit en valeur (440 millions de R$), marqua une étape importante dans le changement de priorités budgétaires du gouvernement fédéral.
29Et enfin, pour Boschi (2010 : 2) :
À cette occasion, toutefois, certains pays émergents d’Amérique latine, et en particulier le Brésil, ont eu un rôle pionnier en adoptant des politiques d’ordre interventionniste et développementiste en réponse aux réformes infructueuses du marché guidées par les principes du Consensus de Washington.
- 5 La BNDES, en particulier, a fait l’objet d’un réajustement entre les stratégies de la banque et les (...)
30Les actions étatiques qui favorisent la bourgeoisie intérieure ne sont pas le fruit d’une planification développementiste, tout au moins telle qu’elle est connue historiquement dans le pays. L’État a assumé le double rôle 1) de répondre à la demande d’internationalisation des grands groupes économiques brésiliens5 qui avaient besoin d’un environnement extérieur favorable à leur expansion (Garcia 2011), et 2) de procurer une stabilité politique au gouvernement.
- 6 « Le national-développementisme (Nacional-desenvolvimentismo - ND) peut être compris, de manière si (...)
31Non seulement l’action de la BNDES sert les intérêts du grand capital financier et du secteur exportateur, mais elle prend également ses distances avec le national-développementisme6 dans la mesure où elle tend à renforcer la structure productive spécialisée dans les biens à basse valeur ajoutée.
32Le tableau 1, ci-dessous, montre que les secteurs productifs les plus favorisés par l’État sont ceux qui sont intensifs en nature et à forte économie d’échelle (selon les critères de l’OCDE). D’après Tautz (Tautz et al. 2010) :
Ces informations portent néanmoins sur à peine plus de la moitié des dépenses, puisqu’elles excluent les secteurs du commerce et des services incluant des activités hautement influencées par les secteurs de l’industrie qui lui fournissent la plupart des services de logistique et d’infrastructure comme le transport, l’énergie et la construction. C’est pourquoi on peut affirmer qu’au moins 60 % des dépenses de la BNDES sont destinés à un modèle d’industrie intensive en ressources naturelles.
- 7 Classement utilisé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Tableau 1 – Dépenses par type d’intensité7
Secteur
|
Type d’intensité
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Total
|
Industrie de transformation ; Agriculture d’élevage ; Industrie d’extraction
|
Intensité en nature
|
23
|
27
|
20
|
25
|
23
|
27
|
35
|
27
|
Intensité en travail
|
4
|
5
|
5
|
5
|
5
|
3
|
1
|
2
|
Á forte économie d’échelle
|
15
|
10
|
16
|
17
|
14
|
12
|
10
|
13
|
Intensif en connaissances
|
19
|
18
|
20
|
15
|
8
|
7
|
5
|
11
|
Non défini
|
1
|
0
|
1
|
1
|
1
|
0
|
0
|
1
|
Sous-total
|
-
|
62
|
57
|
58
|
60
|
48
|
49
|
52
|
53
|
Commerce et services
|
-
|
38
|
43
|
42
|
40
|
52
|
51
|
48
|
47
|
Source : Tautz et al. (2010 : 261)
- 8 BNDESPAR, ou BNDES Participações S. A. : société par actions de gestion des participations détenues (...)
33Le tableau 2 montre les principales participations de la BNDESPAR8 pour 2009. Certaines se chiffrent en milliards dans des entreprises de secteurs qui, comme on le verra plus loin, renforcent la vulnérabilité externe structurelle du pays dans la répartition internationale du travail.
34Les problèmes environnementaux sont loin d’être rares dans les firmes qui, en Amazonie, dans le cerrado (savane brésilienne), dans le pantanal (savane steppique), reçoivent des fonds publics pour se développer ou en rapport avec le réchauffement de la planète. Les problèmes sociaux sont également courants, que ce soit au Brésil ou dans les pays de destination des investissements brésiliens, qui, dans les pires des cas, recourent à une forme de travail forcé comparable à l’esclavage. Vu l’absence de la moindre contrepartie – tant environnementale que sociale – dans les termes des contrats, on comprend aisément que si l’État a agi en fonction du développement économique, les questions environnementales et sociales ne semblaient pas figurer au centre de ses préoccupations (Garcia 2011) :
Tableau 2 – Participations de la BNDESPAR
(Données au 30 juin 2009. En millions de R$ et %)
Entreprise
|
Participation
|
Valeur comptable (millions de R$)
|
Secteur d’activité
|
Participation supérieure à 10 %
|
Bertin
|
26,9
|
2.425
|
Agroalimentaire
|
Brasiliana
|
53,8
|
1.557
|
Énergie électrique
|
Copel
|
23,9
|
1.703
|
Énergie électrique
|
Rio Polímeros
|
25
|
239
|
Pétrochimie
|
Telema Participação
|
31,4
|
1.578
|
Télécommunications
|
VCP
|
34
|
2.074
|
Papier et cellulose
|
ALL
|
10,6
|
639
|
Transport et logistique
|
Bom Gosto
|
34.6
|
246
|
Agroalimentaire
|
Brenco
|
20,9
|
140
|
Éthanol
|
CEG
|
34,5
|
141
|
Gaz naturel
|
Coteminas
|
10,3
|
115
|
Textile
|
Eletrobrás
|
11,9
|
2.265
|
Énergie électrique
|
JBS
|
13
|
1.472
|
Agroalimentaire
|
Klabin
|
20,2
|
562
|
Papier et cellulose
|
Light
|
33,6
|
565
|
Énergie électrique
|
LLX
|
12
|
150
|
Transport et logistique
|
Marfrig
|
14,6
|
817
|
Agroalimentaire
|
Ouro Fino
|
20
|
105
|
Produits vétérinaires
|
Paranapanema
|
17,5
|
125
|
Exploitation minière et métallurgie
|
Rede Energia
|
25,3
|
263
|
Énergie électrique
|
Autres
|
Valepar
|
9,7
|
2.625
|
Exploitation minière
|
Embraer
|
5
|
109
|
Aéronautique
|
Braskem
|
5
|
227
|
Pétrochimie
|
Petrobras
|
7,6
|
1.022
|
Gaz et pétrole
|
Source : Hiratuka & Sarti (2011 : 39)
35Dans la mesure où les changements structurels représentent un indicateur fondamental du degré de viabilité des processus de croissance économique, les données présentées ici corroborent la thèse selon laquelle le gouvernement Lula a renforcé une tendance qui avait commencé à poindre dans les années 1980 : la perte relative de dynamisme de l’industrie, en particulier dans les secteurs plus intensifs en technologie. La dynamique de la structure productive s’est trouvée profondément interconnectée au caractère régressif de l’intégration mondiale dans la répartition internationale du travail.
36Appuyées sur une croissance dont la viabilité était douteuse, les exportations sont devenues la « poule aux œufs d’or » des années Lula. Grâce au cycle ascendant de l’économie mondiale, les comptes extérieurs du Brésil ont pu connaître une phase de moindre vulnérabilité externe conjoncturelle. À partir de 2006, lorsque le PIB a commencé à être tiré par le marché interne, la nouvelle dynamique s’est trouvée directement liée à la diminution des contraintes externes, ce qui a permis un assouplissement des politiques économiques et sociales (réduction des objectifs d’excédent fiscal primaire, baisse du taux d’intérêts de base, accroissement de l’investissement public, augmentation des transferts de revenus, hausse du salaire minimum). Un élément qu’il convient de souligner est que le mérite de la croissance des exportations ne revient pas aux politiques du gouvernement Lula, mais résulte de l’explosion de la demande mondiale en produits pour lesquels la compétitivité brésilienne était déjà élevée.
37La consolidation d’une « nouvelle géométrie politique et économique du système mondial » (Fiori 2011 : 14) centrée sur la relation entre les États-Unis et la Chine s’exprime directement à travers l’augmentation des flux commerciaux et financiers entre pays de toutes les régions du monde. D’une part, les politiques expansionnistes américaines fiscales et monétaires s’accompagnent d’une hausse des dépenses publiques et d’une baisse des impôts ainsi que du taux d’intérêt. D’autre part, l’ensemble des politiques économiques de la Chine repose sur le contrôle du flux des capitaux ; un programme d’investissements dans l’infrastructure ; l’incitation à la conglomération et à l’internationalisation ; le financement public de l’investissement ; des innovations technologiques et une politique fiscale active (Pinto 2010).
38Dans cette dynamique, le Brésil se classe parmi les fournisseurs en agroalimentaire et matières premières. La structure du commerce montre justement que les produits les plus exportés, dans la classification par facteur global, sont les produits de base, suivis par les produits semi-manufacturés. Le graphique 2 montre les indices de croissance cumulée par facteur global.
39Le classement par intensité de technologie montre de façon encore plus évidente le caractère régressif des exportations brésiliennes (graphique 3). Au terme du second mandat de Lula, en 2010, tous les secteurs avaient perdu en participation dans le tableau des exportations, tandis que les produits non industriels avaient pris une importance significative.
40Si l’on compare la dernière année du second mandat de Lula (2010) avec celle de FHC (2002), on constate une perte de 5,5 % de la participation des produits industriels de haute technologie ; de 3,4 % pour les produits de moyenne-haute technologie ; de 3 % pour ceux de moyenne-basse technologie et de 5,3 % pour les produits de basse technologie. Ces pertes résultent de l’augmentation progressive de 17 % de la part des exportations de produits non industriels.
Graphique 2 – Brésil – Indices de croissance cumulée des exportations par facteur global (% – US$ FOB) – (base 1994 = 100)
Données du SECEX (secrétariat au Commerce extérieur) - MDIC (ministère du Développement, de l’Industrie et du Commerce extérieur) - DEPLA (département du Développement et de la Planification du Commerce extérieur)
Source : Brésil (2011a : 14).
Graphique 3 – Évolution du tableau des exportations brésiliennes
Participation des produits par intensité de technologie – (en %)
Graphique élaboré par les auteurs à partir des données de l’OECD, Directorate for Science, Technology and Industry, STAN Indicators, 2003.
Source : SECEX/MDIC.
41La « reprimarisation » du tableau des exportations présente l’inconvénient d’aggraver la vulnérabilité externe structurelle ; en effet, sa dynamique dépend fortement du prix des « commodités » et une telle variable ne peut être contrôlée de l’intérieur. Les variations de la demande internationale ont rapidement détérioré la balance des paiements, à la différence d’un tableau des exportations où prédomineraient des produits à haute valeur ajoutée.
42L’autre facteur d’aggravation est la « maladie hollandaise » que Palma (2005 : 15) définit ainsi :
Ce phénomène est associé à une vague soudaine d’exportations de produits primaires ou de services (en particulier dans des pays qui n’avaient pas développé ces secteurs auparavant) ou encore, comme dans le Cône sud de l’Amérique latine, à un brusque changement de politique économique.
- 9 Somme des produits de haute technologie, moyenne-haute technologie, moyenne-basse technologie et ba (...)
- 10 Somme des produits de haute technologie, moyenne-haute technologie, moyenne-basse technologie et ba (...)
43L’évolution du solde de la balance commerciale montre que les secteurs qui alimentent ses excédents sont essentiellement l’industrie de basse technologie et les produits non industrialisés. D’après le tableau 3, l’amélioration du solde positif des produits industriels pendant le premier mandat de Lula (109 milliards de dollars US)9 par rapport au second mandat de FHC (déficit de 1,2 milliards de dollars US)10 est indéniable. Cependant, une lecture plus fine, qui fasse la distinction entre les différents secteurs, permettra de comprendre le poids de l’excédent de la basse technologie et à quel point la situation, déjà déficitaire, des industries de haute et moyenne-haute technologie a empiré : additionnées entre elles, ces dernières accusent un déficit de 62,7 milliards de dollars US durant le second mandat de FHC pour atteindre, entre 2007 et 2010, un déficit cumulé de 186,7 milliards de dollars US.
44La dynamique du commerce extérieur étant étroitement liée à la structure productive du pays, il n’est pas surprenant que la spécialisation régressive dans le tableau des exportations aille de pair avec un processus de désindustrialisation.
Tableau 3 – Évolution de la balance commerciale par intensité de technologie* – Par mandat (en milliards de dollars US ; valeur cumulée pour les périodes)
Secteurs
|
2e mandat FHC
|
1er mandat Lula
|
2e mandat Lula
|
Haute technologie
|
-26,4
|
-33,1
|
-81,9
|
Moyenne-haute technologie
|
-36,3
|
-6,2
|
-104,8
|
Moyenne-basse technologie
|
9,0
|
41,9
|
23,0
|
Basse technologie
|
52,5
|
106,2
|
148,2
|
Produits non industriels
|
14,9
|
40,3
|
125,8
|
Total
|
13,7
|
149,2
|
110,3
|
(*)Données de l’OECD, Directorate for Science, Technology and Industry, STAN Indicators, 2003.
Source : SECEX/MDIC.
45Avant de procéder à l’analyse du cas brésilien, il serait bon d’expliciter ce phénomène sur le plan théorique et conceptuel. Rowthorn et Ramaswamy (apud Oreiro & Feijó 2010) définissent le processus de désindustrialisation comme « la diminution persistante de la participation de l’emploi industriel par rapport à l’emploi total d’un pays ou d’une région ». Selon la redéfinition de Tregenna (apud Oreiro & Feijó 2010), la perte de participation de l’emploi industriel dans l’emploi total fait également partie de ce phénomène.
46Dans cette discussion polémique, nous n’insisterons jamais assez sur le fait que la désindustrialisation n’est pas incompatible avec une croissance absolue de l’industrie. Ce qui est déterminant est la perte relative de sa valeur ajoutée et de son emploi par rapport, respectivement, au PIB et à l’emploi total. Cela dit, il est encore nécessaire de faire la distinction entre deux types de désindustrialisation. L’une, considérée comme positive, est associée à la dynamique endogène du système économique, lorsque le revenu par personne atteint un stade précis de son évolution de sorte que les services deviennent le secteur prédominant de la structure productive. Elle est positive parce qu’elle « s’accompagne d’une hausse de la participation de produits à contenu technologique supérieur et à plus grande valeur ajoutée dans le tableau des exportations » (Oreiro & Feijó 2010 : 222).
47L’autre type est celui de la désindustrialisation dite négative ou précoce, lorsque l’industrie subit les externalités négatives de l’appréciation du change en conséquence de l’exportation de produits primaires ou de services (le tourisme et les services financiers par exemple), ou encore, suite à des politiques économiques de libéralisation. En d’autres termes, lorsque le secteur manufacturier souffre de « la maladie hollandaise » (dans l’acception de Palma citée plus haut).
48Pour revenir au cas spécifique du Brésil, on peut constater d’après le graphique 4 que la désindustrialisation a commencé dans les années 1980, qu’elle s’est accentuée dans les années 1990 et qu’elle a perduré dans les années 2000. Du coup, à la différence du national-développementisme brésilien des décennies 1950 à 1970, au moment où l’industrie de transformation a vu sa participation dans le PIB augmenter, la période Lula n’a pas montré de signes d’une possible inversion de la trajectoire déclinante des manufactures qui s’était amorcée pendant les vingt années précédentes. Selon nous, la désindustrialisation des années Lula s’explique par « la maladie hollandaise ». La perte de participation de l’industrie dans l’économie est donc un phénomène étroitement lié aux politiques économiques orthodoxes et à l’ouverture commerciale et financière abrupte, mise en place au début des années 1990. Il s’agirait alors d’une « désindustrialisation précoce », « dans la mesure où celle-ci avait débuté avec un niveau de revenu par habitant inférieur à celui observé dans les pays développés, au moment où ceux-là avaient commencé à subir leur propre processus de désindustrialisation. » (Oreiro & Feijó 2010 : 223).
49Gonçalves (2011), qui défend la même thèse, démontre que « la frontière de production du Brésil favorise l’exploitation minière et l’agriculture d’élevage au détriment de l’industrie de transformation », comme le montre le graphique 5.
Graphique 4 – Valeur ajoutée de l’industrie de transformation à des prix de base
(% du PIB) – Brésil – 1970-2011
Source : IPEADATA, 2012
Graphique 5 – Valeur ajoutée réelle – PIB Agriculture d’élevage,
exploitation minière et industrie de transformation : 2002-10 (indice 2002=100)
Source : Gonçalves (2011 :16)
50L’objectif est ici de démontrer que l’amélioration des données macroéconomiques était fondamentalement conditionnée par une conjoncture économique internationale favorable qui a diminué la restriction externe et permis un assouplissement quantitatif des politiques macroéconomiques (Filgueiras et al. 2010 : 52). En d’autres termes, les baisses du taux d’intérêt de base, l’expansion du crédit et des investissements de l’État, entre autres mesures, n’auraient pas été possibles sans l’explosion de la demande en « commodités » et produits de base. De plus, il ne faut pas confondre cet assouplissement avec des « initiatives développementistes », comme le font, entre autres, Morais et Saad Filho (2011 : 525).
51On observe encore que la même dynamique qui génère des résultats positifs ne résout pas la vulnérabilité structurelle. Au contraire, la balance des services et revenus, par exemple, a vu son déficit se creuser, de la même manière que le change flottant dans un contexte de libre circulation des capitaux tend à augmenter l’exposition du pays aux fluctuations cycliques de l’économie mondiale.
52Le graphique 6 permet de voir que le solde de la balance commerciale cesse d’être déficitaire, comme c’était le cas entre 1995 et 2000, pour atteindre un solde positif pendant toutes les années 2000. La grande réduction du déficit survenue entre 1998 et 2000, est directement liée à la dévalorisation du taux de change. Notons que la courbe ascendante du solde commercial commence avant l’arrivée au pouvoir de Lula ; et si l’on considère uniquement les années excédentaires (à partir de 2001), on constate que la hausse des exportations avait débuté dans la deuxième moitié du second mandat de FHC. Cela a donné lieu à six ans de solde positif croissant (de 2001 à 2006) du fait que les exportations augmentaient plus que les importations.
Graphique 6 – Balance commerciale (FOB) en milliards de dollars US – Brésil – de 1995 à 2011
Données sur les exportations et importations brésiliennes : SECEX/MDIC et RFB/MF ; sur le taux réel variable du PIB : IBGE ; sur le commerce
Source : DEPLA/SECEX/MDIC
53Toutefois, bien que la forte croissance des exportations se soit prolongée jusqu’en 2008, année record avec presque 198 milliards de dollars, les importations ont commencé à croître plus vite que les exportations, ce qui s’explique par l’expansion du marché interne. La conséquence est une chute des excédents commerciaux pendant tout le second mandat de Lula, à l’exception d’une petite inflexion en 2009, suivie d’une nouvelle chute en 2010.
54Rappelons que la performance du commerce extérieur brésilien s’aligne sur les changements survenus dans les relations commerciales que les pays latino-américains ont développées avec la Chine. L’Amérique latine a commencé à répondre à la demande chinoise en « agroalimentaire, matières premières agricoles, minerais et combustibles » (Barbosa 2011 : 277), de même qu’elle est devenue un marché importateur de produits industrialisés chinois : en 2008, 98 % des biens importés de Chine étaient des produits manufacturés (parmi lesquels 68 % de produits de haute et moyenne technologie et 20 % de basse technologie). Ce changement est particulièrement significatif, à tel point que la Chine occupait en 2008 les premières places du classement de la destination des exportations et de l’origine des importations en Amérique latine, comme le montre le tableau 4 :
Tableau 4 – Position de la Chine dans le classement de destination des exportations et d’origine des importations – 2000 et 2008
|
Exportations
|
Importations
|
2000
|
2008
|
2000
|
2008
|
Argentine
|
6
|
2
|
4
|
3
|
Brésil
|
12
|
1
|
11
|
2
|
Chili
|
5
|
1
|
4
|
2
|
Colombie
|
35
|
4
|
15
|
2
|
Costa Rica
|
26
|
2
|
16
|
3
|
Cuba
|
5
|
2
|
5
|
2
|
Équateur
|
20
|
17
|
12
|
4
|
Mexique
|
25
|
5
|
6
|
3
|
Pérou
|
4
|
2
|
13
|
2
|
Uruguay
|
4
|
5
|
7
|
4
|
Venezuela
|
37
|
3
|
18
|
3
|
Source : Barbosa, (2011 :280-281)
55La performance de la balance des services et revenus a, elle aussi, sensiblement empiré pendant la période Lula (cf. graphique 7). Ce bilan, qui est déjà structurellement négatif au Brésil comme dans d’autres pays « en développement », accusait un déficit annuel moyen de 24,25 milliards de dollars entre 1995 et 2002 mais, pendant les années Lula, cette moyenne s’est élevée à 42,9 milliards de dollars par an.
Graphique 7 – Balance des services et revenus
(en milliards de dollars US – Brésil – de 1995 à 2010)
Source : Banco Central do Brasil, 2011
56En réalité, la croissance du déficit de cette balance est le signe d’une tendance historique, mais il y a eu une forte augmentation pendant les gouvernements Lula, ce qui aurait exigé un solde commercial chaque fois plus élevé pour compenser ces déficits.
57Parmi les principales raisons du creusement du déficit, on peut citer : 1) la crise qui a débuté en 2007 et a conduit les « entreprises étrangères en activité au Brésil à multiplier l’envoi de capitaux vers leurs sièges, étant donné que cet événement avait fortement affecté une bonne partie d’entre elles » (Filgueiras et al. 2010) ; 2) le développement des voyages à l’étranger, signe d’une intensification de l’économie interne au Brésil, et 3) la hausse du déficit de la location d’équipements.
58Les diminutions successives du solde de la balance commerciale (à partir de 2007, sauf en 2009) et les augmentations successives du déficit des services et revenus durant toute la période Lula (encore une fois, sauf en 2009) se sont inévitablement soustraits de la balance des transactions courantes et de sa brève période (cinq ans, de 2003 à 2007) excédentaire (les transferts unilatéraux se sont poursuivis avec un impact peu significatif). Cette situation contraste avec les rares excédents survenus au cours de son histoire ; ils n’ont jamais atteint une telle ampleur et se sont presque toujours produits sur des années isolées (cf. graphique 8).
Graphique 8 – Transactions courantes – en milliards de dollars US – Brésil – de 2000 à 2010
Source : Banco Central do Brasil
59La fragilité structurelle externe commence à apparaître dès 2006, après cinq ans d’amélioration des transactions courantes, entre 2001 et 2005. À partir de là, sa courbe change de trajectoire et son solde devient fortement déficitaire pour avoisiner 47,7 milliards de dollars en 2010.
60Pour ce qui est de la balance financière et du capital, si l’on compare les deux mandats de Lula, on enregistre pendant le second une forte progression du niveau des flux de liquidités, tant dans les investissements de portefeuille que dans les investissements directs. Les soldes d’investissements de portefeuille avaient atteint une moyenne annuelle de 3,6 milliards de dollars pendant le premier mandat, moyenne qui s’est chiffrée à 40,7 milliards pendant le deuxième. Quant aux flux de liquidités de l’investissement direct, ils sont partis d’une moyenne annuelle de 5,4 milliards de dollars dans la première période, pour atteindre une valeur presque six fois supérieure dans la seconde : 31,3 milliards de dollars.
61La progression des flux de liquidités de l’investissement direct correspond à une inversion de la tendance à la chute, constatée entre 2001 et 2003, et due à « l’éclatement de la bulle des start-up aux États-Unis ». Avec l’inversion de la tendance internationale, les investissements directs sont entrés dans une phase ascendante, avec des variations positives significatives presque tous les ans jusqu’en 2010.
- 11 Investissement direct étranger. (Ndt)
62La Chine joue à ce moment un rôle de premier plan étant donné le processus « fortement dirigé par l’État » (Acioly et al. 2011 : 328) de multinationalisation de ses entreprises. Bien que les données officielles de la Banque centrale du Brésil (Banco Central do Brasil) enregistrent une infime participation de l’IDE11 chinois au Brésil (0,27 % du total en 2009 et 0,75 % en 2010), Acioly et al. (2011) mettent en garde contre les sous-estimations et distorsions de ces données dans la mesure où un volume significatif de ressources est envoyé par des entreprises chinoises depuis des bases situées dans d’autres pays. Partant des estimations de la Société brésilienne d’études sur les entreprises multinationales et la mondialisation (Sociedade Brasileira de Estudos de Empresas Transnacionais e da Globalização - SOBEET), Acioly et al. (2011) pensent que l’IDE de la Chine correspondrait à 30 % de la valeur totale.
- 12 Instituto de Estudos para o Desenvolvimento Industrial (Institut d’études pour le développement ind (...)
63L’IEDI12 met l’accent sur « la nouvelle explosion de l’endettement externe du Brésil » (IEDI 2011) constaté depuis 2009. Après une brève rétraction due à la crise de 2008, la grande liquidité internationale résultant des politiques économiques expansionnistes des gouvernements centraux a favorisé une forte entrée de capitaux étrangers dans les pays « en développement ».
- 13 La BNDES est la seule source de financement à long terme dans le pays, mais elle est fondamentaleme (...)
64Parmi eux, le Brésil est celui qui a connu l’absorption la plus intense de flux financiers, en particulier dans le secteur privé. En dépit du rôle décisif de la situation internationale, des facteurs internes structurels et conjoncturels ont fait que le pays a plus fortement attiré ces capitaux abondants. Certains de ces facteurs sont : 1) les perspectives favorables de bénéfices avec des actions dans des entreprises de « commodités » et des activités axées sur le marché interne ; 2) le plus grand différentiel d’intérêts au monde et 3) la reprise, en 2009, des investissements, ce qui a augmenté la demande de financements à long terme à l’étranger en raison de l’insuffisance de ces derniers au Brésil13 (IEDI 2011 : 4).
65L’endettement extérieur s’accompagne d’une expansion des investissements de portefeuille et de revenu fixe. L’IEDI (2011 : 4) a identifié cinq phases entre mars 2009 et avril 2011, dans l’explosion des capitaux étrangers entrant au Brésil, comme on peut le constater dans le graphique 9 ci-dessous.
66Quatre de ces phases se situent dans le second mandat de Lula : la première, au premier semestre 2009, est essentiellement marquée par l’endettement extérieur, principalement avec l’augmentation des crédits commerciaux demandés et la « captation de prêts bancaires à court terme à l’étranger » (IEDI 2011). Dans la seconde, de juillet 2009 à février 2010, on note une croissance dans le passif externe avec un retour de l’investissement de portefeuille, que ce soit sous forme d’actions ou de revenu fixe. L’ouverture du capital de Santander représentait la plus grande partie du flux dans cette phase. Mais il y a également eu une augmentation importante des « applications à la BOVESPA (bourse de São Paulo) et d’actions d’entreprises brésiliennes à l’étranger », parce que cette période a profité aux actions d’entreprises productrices de « commodités », et à celles d’entreprises des secteurs de l’agriculture d’élevage et de l‘exploitation minière. Dans la troisième phase, de mars à septembre 2010, la progression du nombre de prêts bancaires a fait que l’endettement externe a de nouveau dépassé l’investissement de portefeuille en raison de la hausse de la demande en ressources extérieures à long terme. Dans la quatrième phase, d’octobre à décembre 2010, la croissance du passif externe a dépassé une fois de plus l’endettement externe, lorsque les investissements en actions ont été stimulés par la capitalisation de la société Petrobrás.
Graphique 9 – Flux financiers – principales modalités, moyenne mobile trimestrielle
(millions de dollars US)
N.B. : * titres de revenu fixe à l’étranger + autres investissements étrangers
Source : Banco Central do Brasil
67D’ailleurs, on constate depuis 2005 une diminution de la vulnérabilité externe dans le secteur public, parce que la « dette intérieure en titres, indexée sur le change et sur sa dette dans les modalités de prêts » a baissé, et parce que les réserves de change se sont accumulées, de telle sorte que le pays s’est transformé en créancier de liquidités. On sait cependant que les flux qui ont permis la performance améliorée de ces indicateurs sont cycliques, et qu’il est impossible de connaître précisément la cause et le moment de leur inversion. En conséquence, l’IEDI (2011) tente d’alerter sur le fait que la progression de l’endettement du secteur privé risque de devenir, à l’avenir, une source d’instabilité, en plus de contribuer à la valorisation du taux de change si peu souhaitée (par l’industrie exportatrice). Ainsi, le Brésil a non seulement échoué à maîtriser la vulnérabilité structurelle externe, mais celle-ci s’est même accentuée, étant donnée l’aggravation du profil d’endettement externe du pays.
68C’est aussi ce que Filgueiras et al. (2010 : 56) ont constaté :
Cependant, la vulnérabilité externe structurelle persiste : en décembre 2009, le stock d’investissements étrangers directs, les applications en portefeuille dans le pays, additionnés à la dette externe brésilienne (passif externe du pays), dépassaient de plus de 605 milliards de dollars les réserves internationales, investissements et prêts à l’extérieur (actif externe du pays). Cette position débitrice révèle une incapacité potentielle de paiement qui pourrait se compliquer en cas de circonstances internationales défavorables.
69Certaines mesures de régulation ont été adoptées par le gouvernement de Lula, en accord avec l’IEDI (2011 : 8). En termes de gestion des flux de capitaux, on a vu en octobre 2010 que :
L’IOF (impôt sur les opérations financières) sur les investissements étrangers en revenu fixe [s’est élevé] à 4 % (en octobre 2009, il était passé de 0 % à 2 %), puis à 6 %. Cette même part commence à avoir une incidence sur les marges de garantie payées en monnaie dans les futurs marchés par des non-résidents (part antérieure de 0,38 %).
Et en termes de régulation prudentielle, en octobre 2010, le gouvernement brésilien a interdit
que les institutions financières et autres institutions habilitées par la BCB (Banque centrale du Brésil), louent, échangent ou prêtent des titres, valeurs immobilières et or à tout investisseur n’étant pas résident et dont l’objectif serait de réaliser des opérations sur les marchés dérivés. (IEDI 2011 : 8)
70De plus, en décembre 2010, le gouvernement a revu à la hausse la « part additionnelle des réserves obligatoires sur les dépôts à vue et à terme » et a augmenté le « capital minimal pour les opérations de crédit aux personnes physiques pour un terme supérieur à vingt-quatre mois » (IEDI 2011 : 8). Cependant, toutes ces mesures se sont avérées insuffisantes dans un contexte de grande liquidité internationale et à cause de la nature instable des flux de capitaux. L’IEDI estime que « seule une stratégie globale et dynamique de gestion de ces flux » serait efficace.
71C’est en 1999 que le gouvernement a mis en place le régime d’objectifs d’inflation, qui prévoit que la Banque centrale du Brésil doit exclusivement veiller à la stabilité des prix. Pendant l’année civile, l’inflation doit être contenue dans une fourchette prédéfinie. Pour cela, la Banque centrale du Brésil doit s’appuyer sur la manipulation des taux d’intérêts en cas de risques d’un « excès de demande et/ou d’une détérioration des anticipations d’inflation » (Serrano & Summa 2011).
72Malgré l’orthodoxie de ce régime, une telle politique monétaire, qui remontait à la période de FHC, a été maintenue pendant les deux mandats de Lula. Ce qui démontre que quelles que soient les politiques de développement, elles sont subordonnées à la politique monétaire, et entérine l’idée que l’hégémonie financière persiste (Gonçalves 2011 : 13). Dans le contexte de cette hégémonie, le remplacement d’Antônio Palocci par Guido Mantega, connu pour ses positions développementistes, a signifié l’» abandon de la systématicité d’objectifs d’inflation déclinants », comme l’affirme Oreiro (2011 : 2). Pour autant, un changement purement quantitatif dans la politique monétaire ne confère pas un caractère développementiste au gouvernement.
73La subordination des autres politiques à la politique monétaire est devenue moins évidente pour des raisons conjoncturelles. La forte croissance des exportations a permis un « contrôle plus efficace de l’inflation » en même temps que l’» obtention de taux de croissance plus élevés » (Filgueiras et al. 2010 : 56). La diminution des restrictions externes a entraîné une baisse de l’instabilité macroéconomique, ce qui a permis de réduire le taux d’intérêts et de limiter l’expansion du crédit.
Graphique 10 – Taux d’inflation et objectif d’inflation
Source : Banco Central do Brasil
74Pendant les années Lula, le taux d’inflation est resté dans la fourchette des objectifs, excepté en 2003 (cf. graphique 10). En 2006, 2007 et 2009, il se situait en dessous de la ligne médiane des objectifs (Pinto 2010 : 264). Serrano et Summa (2011 : 2) montrent que, même en s’approchant de la limite supérieure, y compris en 2008 année de la crise, Lula est parvenu à contenir le taux d’inflation dans les limites des objectifs.
75Contrairement à ce que pensent les autorités monétaires, Serrano et Summa (2011 : 3) soutiennent qu’au Brésil, le taux d’inflation « ne semble pas avoir de rapport régulier et défini avec les pressions de la demande globale et la tendance de l’inflation semble être liée à des facteurs de coûts ». Si l’on observe la courbe de l’inflation (graphique 11), on peut voir qu’elle accompagne le taux de change, ce qui montre que les taux d’intérêt contrôle l’inflation, non pas par son impact sur la demande, du moins à court terme, mais plutôt par la valorisation du change qui affecte les prix des biens commercialisables (Pinto 2010 : 264).
Graphique 11 – Taux d’inflation et de change – 1999-2009 (%)
N.B. : (*) Taux de change (R$/US$) – moyenne annuelle commerciale des taux journaliers pour la vente
Source : PINTO (2010 : 265)
76Le PIB a augmenté au Brésil à un taux moyen annuel de 3,5 % pendant le premier mandat de Lula, pour passer à 4,6 % au cours de son second mandat (graphique 12). On peut dire qu’entre 2003 et 2006, le résultat illustre la « radicalisation de la politique économique orthodoxe », avec une augmentation des taux d’intérêt en 2003 et des hausses annuelles de l’excédent primaire (Filgueiras et al. 2010 : 57).
77Quoi qu’il en soit, le résultat qui, même pendant la pire phase de Lula, est meilleur que pour la période de FHC – pour laquelle la moyenne était de 2,3 % par an –, est lié à l’explosion des exportations qui a eu des effets directs et indirects sur la croissance de l’économie.
78De façon indirecte, selon Pinto (2010), les exportations ont provoqué une hausse des investissements, à partir de 2004, des « groupes économiques de l’industrie de « commodités » intensive en capital, qui destinent leur production à l’exportation », tant en termes absolus que relatifs. Pour l’auteur, cela s’est produit, d’une part, avec la dévalorisation réelle survenue entre 1999 et 2003 et, d’autre part, à cause des « effets du nouvel axe sino-américain sur les exportations brésiliennes » qui ont permis des « bénéfices nets élevés à partir de 2000 » et libéré plus de ressources financières de ce secteur.
Graphique 12 – PIB – Taux de croissance – 2003 à 2010 – Brésil
Source : IBGE [Institut brésilien de géographie et statistiques], 2011
79À partir de 2005-2006, c’est l’expansion de la consommation interne qui a eu une incidence sur la croissance du PIB. D’une certaine manière, le nouveau profil de croissance demeure lié à la conjoncture internationale. Sans les excédents de la balance commerciale, il n’aurait pas été possible (au sein du régime actuel de politique économique) d’assouplir les politiques monétaires – à travers la baisse du taux d’intérêt de base et la réduction de l’objectif d’inflation – ni la politique fiscale, qui a donné lieu à l’augmentation significative du revenu de base de la pyramide sociale, en raison des hausses importantes du salaire minimum et de l’expansion des prestations sociales. Cette expansion a, quant à elle, développé le marché du crédit et stimulé du coup la consommation des travailleurs. Les institutions bancaires privées étaient les grandes instigatrices de l’expansion du marché du crédit dans les années antérieures à la crise mondiale. Après la crise, le crédit a continué à se développer fortement mais, cette fois, sur l’initiative des banques publiques (Pinto 2010 : 275). Par conséquent, même l’expansion de l’économie réglée sur la croissance du marché interne ne peut être déconnectée de l’explosion des exportations, puisque l’assouplissement des politiques économiques n’a été possible que grâce à la diminution de la vulnérabilité externe conjoncturelle.
80Pour Pinto (2010 : 259) l’évolution du taux de croissance de l’économie pendant les années Lula n’a pourtant pas été suffisante pour stimuler le taux d’investissement qui a stagné à 16,6 % par rapport au PIB entre 2003 et 2009, en dessous des 16,9 % par an de l’ère FHC. Ce taux est également resté « plus bas que dans les années 1970 et bien inférieur à celui des pays asiatiques » (Salama 2010 : 176).
81Entre 2002 et 2007, l’évolution positive vérifiée dans l’investissement se situe dans l’industrie de « commodités » intensive en capital et dans celle intensive en ressources naturelles. Les industries traditionnelles et intensives en technologie sont restées au même stade (Pinto 2010 : 261).
82La meilleure performance du PIB illustre directement le marché du travail. Le graphique 13 montre que l’augmentation de l’emploi formel a été bien supérieure pendant la période Lula que pendant la précédente.
Graphique 13 – Évolution de l’emploi formel – entre 1995 et 2010 – Brésil
Source : Brésil, 2011a
83D’après Filgueiras et al. (2010 : 59), l’amélioration de la balance commerciale a directement et indirectement créé des emplois dans le secteur des exportations ; par ailleurs, en réduisant la vulnérabilité externe conjoncturelle, il a permis une intensification du marché interne.
84C’est à la construction civile qu’est revenu le plus grand dynamisme dans la création d’emplois formels, dont le taux de participation était de 3,5 % de l’emploi total au début des années Lula, et de 5,7 % à la fin. Il représente ainsi la première cause de croissance de ce type d’emploi dans l’industrie en passant de 23,2 % à 25 %, si l’on en croit les données du ministère du travail et de l’emploi (MTE).
85D’après le tableau 5, le taux de chômage dans les régions métropolitaines est passé de 12,6 % en 2003 à 10,2 % à la fin du premier mandat de Lula en 2006, et à 8,1 % en 2009 ; il était même descendu jusqu’à 7,9 % en 2008 avant la crise.
86Il y a eu une petite amélioration également, liée à la même dynamique, dans la distribution fonctionnelle du revenu : la participation de la rémunération des salaires est passée de 39,5 % à 41,3 %, tandis que la rémunération du capital a diminué, passant de 35,3 % à 34,4 % entre 2003 et 2007 (Filgueiras et al. 2010 : 59). Cela s’explique par la hausse du salaire minimum réel et par les transferts de revenu. Les impôts nets de subventions ont également gagné en participation et sont passés de 14,6 % à 15,2 % ; quant au revenu mixte brut, dont la participation était déjà peu significative, il a perdu 1,6 %.
Tableau 5 – Revenu, emploi et salaire minimum – 1995 à 2009
Année
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Masse salariale Industrie de Rio (moyenne 2006 = 100) - Firjan*
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Masse de revenus régions métropolitaines (millions de R$)
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Salaire minimum réel (R$)
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Taux de chômage régions métropolitaines (%)
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Taux de chômage région métropolitaine de São Paulo (%)
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Moyenne (1995-08)
|
138,7
|
–
|
266,6
|
–
|
15,6
|
1999
|
106,3
|
–
|
277,2
|
–
|
13,2
|
2000
|
103,5
|
–
|
288,8
|
–
|
14,9
|
2001
|
100,1
|
–
|
319,5
|
–
|
16
|
2002
|
95,9
|
24,30
|
323,0
|
11,7
|
18,3
|
Moyenne (1999-02)
|
101,4
|
24,30
|
302,1
|
11,7
|
15,6
|
2003
|
91,7
|
22,10
|
331,7
|
12,6
|
20
|
2004
|
91,3
|
22,50
|
338,5
|
11,6
|
18,8
|
2005
|
95,8
|
23,40
|
370,3
|
9,6
|
17,1
|
2006
|
100,0
|
24,90
|
422,7
|
10,2
|
16,2
|
Moyenne (2003-06)
|
94,7
|
23,20
|
365,8
|
11
|
18
|
2007
|
104,3
|
26,15
|
437,7
|
9,5
|
15
|
2008
|
112,2
|
27,82
|
447,6
|
7,9
|
12,8
|
2009
|
112,6
|
29,20
|
480,7
|
8,1
|
13
|
Moyenne (2007-09)
|
109,7
|
27,70
|
455,3
|
8,5
|
13,6
|
* Firjan : Fédération des industries de Rio de Janeiro (Federação das Indústrias do Rio de Janeiro)
Source : Pinto (2010 : 263)
87En somme, le gouvernement de Lula a maintenu le trépied de la politique macroéconomique adoptée depuis 1999 : taux de change flexible, objectifs d’excédent primaire et objectifs rigides d’inflation. Nous ne croyons cependant pas à une simple continuité entre les gouvernements de FHC et Lula. Certes, ce dernier a assoupli (quantitativement) cet ensemble de politiques, mais cela n’a été possible que grâce à une moindre vulnérabilité externe conjoncturelle. La hausse des exportations a directement et indirectement favorisé les changements du modèle d’intervention de l’État.
88Malgré l’amélioration de tous les indicateurs conjoncturels pendant la présidence de Lula, on n’identifie pas de changement structurel en faveur de l’industrie à plus grande valeur ajoutée, ni d’intégration internationale plus solide avec des excédents provenant des industries de haute technologie. Au contraire, la BNDES agit en faveur de la production de produits primaires et en faveur de l’industrie intensive en ressources naturelles et en énergie.
89Son programme de soutien à l’internationalisation des « championnes brésiliennes » ne fait pas partie d’une planification étatique de développement économique, mais répond plutôt à la demande de la bourgeoisie intérieure de financer son expansion, étant donné les possibilités de bénéfices ayant émergé à l’extérieur et le besoin de stabilité politique du gouvernement.
90Ce qui ressort, c’est un processus de désindustrialisation qu’il pourrait s’avérer extrêmement complexe et coûteux d’inverser, à moyen ou long terme. En outre, les hausses du salaire minimum, le développement du crédit, les baisses des taux d’intérêts et les transferts de revenus ne reflètent pas de changement du modèle économique. En effet, le trépied macroéconomique de l’excédent primaire, du change flottant et des objectifs d’inflation est maintenu et ce malgré son assouplissement, ce qui dénote la persistance de l’hégémonie financière, avec la complicité du secteur exportateur de « commodités » (industries agroalimentaires et exploitations minières).
91Cependant, la vulnérabilité structurelle demeure, comme l’attestent la récente augmentation du passif externe et le déficit croissant des transactions courantes. Cette situation doit nous maintenir en alerte quant à l’absence de viabilité des politiques expansionnistes du modèle actuel.
92La crise économique mondiale a eu un impact significatif sur la dynamique et la performance de l’économie brésilienne pendant ces deux dernières années (2011-2012). Le gouvernement de Dilma Rousseff, contrairement à celui de Lula durant la majeure partie de sa présidence, ne bénéficie pas d’une situation internationale favorable. La crise qui touche les pays centraux, en particulier l’Union européenne, ne donne pas de signes d’amélioration. De plus, le ralentissement de la croissance chinoise, avec la rétrogradation partielle de son modèle pour le marché interne, pourrait réduire l’impact positif dont avaient jusque-là bénéficié les exportations brésiliennes.
93D’ailleurs, la nouvelle conjoncture économique internationale ne laisse pas présager de conditions propices à un nouveau cycle de croissance accéléré pour les exportations brésiliennes ; en même temps, la compétition avec la Chine montre des signes de tension, non seulement sur le marché interne, mais aussi sur les autres marchés de destination des exportations brésiliennes, y compris en Amérique du Sud.
94Pendant les deux premières années du gouvernement de Dilma, l’excédent de la balance commerciale a baissé, le déficit des transactions courantes s’est creusé et le taux de croissance du PIB a fait une chute vertigineuse : avec une moyenne de 1,8 %, il est même en dessous des taux moyens de croissance de la « décennie perdue » [Ndt : les années 1980] et des deux gouvernements FHC.
95Sur le plan intérieur, la croissance « tirée » par les politiques sociales, les hausses réelles de salaire et le développement de l’emploi et du crédit semblent avoir atteint leurs limites – au vu des conditions et circonstances structurelles prédominantes du modèle actuel de développement. La pression pour un changement de ce régime de croissance où le marché interne est « tiré » par les salaires (wage-led), au profit d’un régime où la croissance serait « tirée » par l’investissement (investment-led) devrait aller toujours croissant.
96Il ne sera cependant pas facile d’effectuer cette transition. Au niveau politique, avec le même bloc au pouvoir hérité du second gouvernement Lula et avec une performance macroéconomique claudicante, le gouvernement Dilma n’a pas la même aptitude que le précédent pour arbitrer les intérêts bien distincts des diverses fractions du capital et de la classe des travailleurs. Par ailleurs, la capacité d’investissement de l’État – cruciale pour orienter et stimuler les investissements privés et constituer un nouveau régime de croissance – est fortement limitée au niveau politique pour ce qui est de l’excédent fiscal primaire, situation encore aggravée par la baisse de la croissance du PIB de ces deux dernières années.
97Enfin, étant donné le bloc au pouvoir et le modèle de développement capitaliste actuel, on entrevoit difficilement à l’horizon politique la possibilité d’une rupture venant de la gauche. Par conséquent, le discours et les critiques de l’orthodoxie néolibérale (rigidité du trépied macroéconomique et nouvelles réformes « pro-marché ») devraient réussir leur retour en force sur l’arène politique. La conséquence en sera, une fois de plus, une polarisation aux élections de 2014 entre les divers courants « développementistes » et l’orthodoxie néolibérale.