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Dossier : Hétérotopies urbaines

De l’emplacement de la culture : hétérotopie et formation esthétique dans la réserve pataxó de la Jaqueira

Do Lugar da Cultura: Heterotopia e Formação Estética na Reserva Pataxó da Jaqueira
Grounding Culture: Heterotopia and Aesthetic Formation in the Pataxó Jaqueira Reserve
André Bakker
Traduction de Jean Hébrard
p. 69-88

Résumés

Cet article s’intéresse à la manière dont les indiens pataxós (Porto Seguro, Bahia) élaborent un projet de « sauvegarde culturelle » à travers la mise en place d’un espace d’ « écotourisme » : la Réserve de la Jaqueira. Utilisant la notion de « médiation », j’essaie d’analyser la synergie entre deux dynamiques : la construction d’un patrimoine culturel pataxo et la réification de celui-ci. Grâce à cette plateforme permettant d’élaborer et de mettre en scène la culture à des fins touristiques, la réserve de la Jaqueira se configure comme un espace hétérotopique qui permet de donner forme, de manière concrète et quotidienne, au canon culturel pataxó.

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Notes de la rédaction

Article reçu pour publication en mai 2012 ; approuvé en novembre 2012.

Traduction de l’anglais.

Texte intégral

S’il n’y avait pas eu cet emplacement [la réserve de la Jaqueira], notre culture serait pratiquement morte aujourd’hui.
Jandaya Pataxó

1Je me rappelle avec clarté le moment où j’entrai pour la première fois dans la réserve de la Jaqueira. Longtemps, je n’avais eu d’autre expérience des Indiens pataxó que celle vécue dans le district urbain de Coroa Vermelha où l’État avait investi des sommes substantielles pour en faire un lieu de mémoire, celui de la commémoration de la première messe catholique au Brésil, en 1500. En arrivant, je ne pus m’empêcher d’éprouver une excitation presque irrépressible, l’impression durable d’entrer dans un « lieu indigène véritable ». Étrange sentiment pour quelqu’un qui était pourtant persuadé du caractère infondé de pareilles classifications. Je savais que Coroa Vermelha, avec ses rues symétriques et pavées et ses maisons de parpaings construites par l’État au moment où les Pataxó furent exclus du lieu historique de la « première messe », n’était pas pour autant un lieu « moins indien ». Certes, l’endroit incitait en permanence à la consommation ; on vendait, dans des tentes toutes semblables, des berimbaus de capoeira, des T-shirts affirmant « Je suis allé à Porto Seguro », aux côtés d’ornements en plumes, de pipes, de colliers et de poteries, mais cela n’effaçait pas pour autant « l’indianité » des habitants. Il en était de même de leurs shorts de surf sous leurs jupes de paille ou du sentiment d’exagération quelque peu surréaliste que faisait naître la croix en acier de quinze mètres de hauteur érigée en l’an 2000 pour célébrer les cinq cent ans de « l’évangélisation du Brésil ». Celle-ci s’imposait dans le paysage, sur un fond de palmiers mollement agités par le vent, sans faire oublier les pancartes dressées par les Pataxó : « Faites-vous photographier en Indien pour 2 reais ». Bien que convaincu que l’authenticité, loin d’être une qualité intrinsèque, est conférée par des processus d’authentification spécifiques, en entrant dans la Jaqueira je ne pouvais m’empêcher d’avoir l’impression de pénétrer de facto en terre indigène. Lorsque les kijemes (maisons traditionnelles) se détachèrent sur le paysage boisé, lorsque je vis les premiers Pataxó échanger des propos dans leur langue incompréhensible, avec leurs larges pièces de bois fixées dans la lèvre et le nez, leurs vibrantes peintures corporelles et leurs ornements de plumes ou de peau de jaguar, lorsque je vis les enfants courir derrière les canards, les singes et les poulets éparpillés, les souvenirs de mes lectures ethnographiques faisant des Pataxó un peuple « acculturé » (Galvão 1979 : 225-226, Ribeiro 1970 : 56-57) m’apparurent comme des non-sens. De même, me semblèrent alors bien peu pertinentes les perspectives théoriques privilégiant l’analyse de « l’invention de la tradition » (Hobsbawn & Rangers 1983) ou insistant sur le « simulacre » des authenticités mises en scène (MacCannell 1999). Cette atmosphère de quotidienneté, l’environnement esthétique, l’allure de ces formes sémiotiques avaient un pouvoir de persuasion qui s’opposait à mes efforts résolus de les réduire au statut d’« inventions culturelles ». La qualification même « d’invention » – et les sous-entendus de productions arbitraires qui l’accompagnent – ne faisait plus sens face à ce que je voyais et ressentais. J’imagine que je n’étais pas (et ne suis pas) le seul à avoir été « trompé » par le pouvoir persuasif de pareilles « formations esthétiques » (Meyer 2009).

2« Persuader les gens de la vérité des fictions » (Meyer 2009 : 5) consiste à transformer des formations sociales abstraites, imaginaires ou « utopiques » en agissements et en formes matérielles qui s’incarnent en particulier dans l’espace. Ces « emplacements » sont faits pour dresser des frontières, faire naître des affects, réformer des corps, des subjectivités ou des communautés.

  • 1 Pour une critique des limites du paradigme constructiviste, voir aussi Taussig (1993 : xv).

3Les incarnations de productions imaginaires – de l’architecture au vêtement, du sacré au profane, du langage aux sensibilités corporelles – et leurs effets de réalité (Van de Port 2009) semblent être des clés pour comprendre l’ethnicité et ces configurations changeantes à l’aube du xxie siècle. Les approches constructivistes éclairent judicieusement les champs de pouvoir relationnel et les économies politiques sous-jacentes aux processus contemporains de formation ethnique (comme le rôle des politiques multiculturelles et des industries touristiques globales). Pourtant, elles échouent à rendre compte de ce que Mattijs Van de Port (2011) a désigné de manière éloquente comme « l’enchantement culturel », ce travail magique qui nous convainc que nous vivons dans – et appartenons à – des univers d’existence réels et vrais et non à des utopies forgées artificiellement1, ou encore à des hétérotopies au sens où Foucault (1994) définit ce terme, c’est-à-dire comme des utopies réalisées dans l’espace réel. Une anthropologie qui tienne compte de ces « esthétiques de la persuasion » (Meyer 2010), par lesquelles les mondes culturels revêtent l’aura de ce qui apparaît comme tout naturel et faisant partie du décor, devra certes analyser les substrats politiques, juridiques, idéologiques et économiques qui participent à ces constructions, mais aussi et surtout analyser leur potentiel persuasif et leur capacité à donner naissance à de nouvelles « ontologies de la conscience ethnique » (Commarof & Commarof 2009 : 20). Car c’est principalement par ce biais que (re)naissent des sentiments d’affection et d’identification ethniques, et qu’apparaissent des formes culturelles et des subjectivités radicalement nouvelles.

  • 2 Cette recherche s’inscrit dans le cadre plus large du programme de recherche nwo (Heritage Dynamics (...)

4Cet article repose sur mes recherches doctorales consacrées à la construction de l’héritage culturel et à la conversion au pentecôtisme des Indiens pataxó vivant tout à fait au sud de l’État de Bahia, au Brésil2. Je souhaite analyser ici la manière dont les Indiens pataxó de Coroa Vermelha (Porto Seguro, Bahia) ont cherché à « sauvegarder leur culture » grâce à la mise en place d’un lieu d’éco-tourisme, la réserve de la Jaqueira. Pour ce faire, je chercherai à articuler les notions de « formation esthétique » (Meyer 2009) et d’« hétérotopie » (Foucault 1994).

5Délimitée par l’État en 1998 comme zone de protection environnementale de la forêt atlantique, la réserve de la Jaqueira a été investie par les Pataxó pour y « vivre leur culture » au quotidien en construisant leurs maisons traditionnelles (kijemes), en cherchant à sauvegarder leur langue en voie d’extinction, leurs danses et leurs chants traditionnels, leurs rituels, leurs techniques d’ornementation du corps, leur artisanat et leur médecine traditionnelle. Les Pataxós ont perçu que le tourisme, qui leur offrait d’importants moyens de subsistance, leur permettait aussi de « sauvegarder » leur culture et de resserrer leurs liens avec la « nature ». Les Pataxó se sont constitués en association (Association pataxó d’écotourisme – aspectur), sur le modèle des associations corporatives d’Ethnicity Inc. analysées par J. & J. Commarof (2009). À la veille des fêtes du cinq-centième anniversaire de la « découverte » du Brésil qui se sont tenues à Porto Seguro en 2000, leur détermination a permis de transformer la réserve de la Jaqueira en une importante destination touristique nationale et internationale. Ce lieu est ainsi devenu un pôle crucial du projet touristique de la ville et une plateforme-clé pour l’expression culturelle des Pataxó.

6En recourant en particulier à la notion analytique de « médiation » (Meyer 2011, Mazzarella 2004), cet article s’interroge sur le rôle joué par les configurations spatiales et leurs relations dynamiques dans l’émergence d’un canon de la « culture pataxó », c’est-à-dire d’un ensemble de traits diacritiques produits pour donner à l’ethnicité pataxó une forme attendue. Grace au concept de « formation esthétique », je cherche à souligner la centralité des dimensions matérielles et sensorielles à travers lesquelles les constructions « imaginaires » ou « utopiques » peuvent parfois se sédimenter dans des lieux, des pratiques, des artefacts et des corps « concrets ».

Sauvegarder la culture ou Une culture pour le futur

7Nayara, Jandaya et Nitxinawã sont nées et ont été élevées dans la forêt entourant Barra Velha au hasard des pérégrinations de leurs parents, Catarino et Dona Nega. « Mes parents ne se sont jamais arrêtés nulle part. C’est pour cela que nous disons, comme nos ancêtres, et jusqu’à aujourd’hui, que nous sommes nomades » m’a dit Nitxinawã. Aujourd’hui âgée de quarante-et-un ans, elle est l’aînée des trois sœurs. Elle se souvient des jours passés dans la forêt quand la pêche et la chasse étaient abondantes, mais aussi des moments où il fallait se contenter d’un maigre angú (petites tomates écrasées dans de la farine de manioc et de l’eau) improvisé. Elle n’a pas oublié l’absence de vêtements ou de couvertures pendant les nuits fraiches d’hiver. « Comme la vie était différente de celle d’aujourd’hui, comme elle était difficile ! ». Une vie qui a « commencé à changer un peu » quand, arrivant au village de Boca da Mata au début des années 1980, elle vit pour la première fois du sucre, commença à porter des vêtements et à aller à l’école avec sa sœur Jandaya. Ce choix apparent de sédentarité a toutefois été perturbé une nouvelle fois avec l’assassinat tragique et inexplicable de son père en 1985, poussant la famille à une nouvelle migration. Finalement, tous s’installèrent à Coroa Vermelha, un bourg alors en expansion.

  • 3 En avril 1500, les navigateurs portugais débarquèrent pour la première fois sur le rivage brésilien (...)

8Situé entre les deux communes de Santa Cruz Cabrália et de Porto Seguro sur la côte de la Découverte3, Coroa Vermelha a commencé à être habitée par les Pataxó au plus fort de la dictature militaire, au début des années 1970. L’État brésilien commençait alors à s’investir dans la commémoration de la « naissance de la nation » et l’événement de la « découverte » du Brésil (1500) en constituait l’élément fondateur. Sous la présidence du général Médici, en 1973, la ville provinciale de Porto Seguro gagna le titre de « monument national » et, une année plus tard, grâce à l’ouverture de la route fédérale br-367, elle fut reliée au réseau naissant des autoroutes nationales. De plus, en 1974, l’inauguration d’une croix monumentale symbolisant la « première messe » ordonnée par Pedro Álvares Cabral sur le territoire de Coroa Vermelha, jusque-là tombée dans l’oubli, marqua l’emplacement où cet acte inaugural de « bénédiction de la nation » avait eu lieu. Comme le montre Grünewald (2001 : 124), les premiers flux d’émigrants vers Coroa Vermelha sont directement liés à ces politiques de commémoration. Joel Braz, un Pataxó de Barra Velha, raconte comment il est arrivé là, en 1973, avec tous ceux qui avaient été « invités par le président Médici » à être les acteurs indigènes de la reconstitution de cet évènement. Les Pataxó se plièrent à ces mises en scène pendant les décennies suivantes, particulièrement durant les années 1990 alors que l’on préparait les cérémonies du cinq-centième anniversaire et que l’on créait les infrastructures touristiques de la région (Grünewald 2001). Nitxinawã se rappelle du Coroa Vermelha de février 1986 : « Cela ressemblait à un village. » Il y avait douze kijemes construits en adobe où ne résidaient que des Indiens. Le contraste avec les bars et les restaurants de plage, les supermarchés et les hôtels que l’on y voit aujourd’hui est saisissant. Outre la pratique – devenue occasionnelle – de la chasse et de la pêche ainsi que la culture du manioc et l’élevage des poulets et des canards dans les petites fermes, le tourisme représentait déjà une importante source de revenus. Régulièrement, des bus d’excursion klaxonnaient en venant visiter la vieille croix monumentale en bois. « Les touristes ! Les touristes ! Regardez ! ». Lorsqu’ils entendaient ou voyaient les bus arriver, les Pataxó s’appelaient les uns les autres et se précipitaient pour aller proposer leur artisanat. Lors de l’une de ces premières incursions de visiteurs à Coroa Vermelha, Nixtinawã fit la connaissance de Marta, une habitante de Porto Seguro. Charmée par la petite fille de treize ans, la touriste chercha à savoir si la mère de l’enfant accepterait qu’elle l’« adopta » un certain temps. Elle souhaitait amener Nixtinawã avec elle à Porto Seguro afin qu’elle puisse aller à l’école. Non sans hésitation, la mère, Dona Nega, finit par accepter. À cette époque, il n’y avait pas encore d’école à Coroa Vermelha et la jeune adolescente désirait plus que tout connaître le monde qui s’étendait au-delà du village. Cela emporta la décision.

9Les premiers expériences de Nitxinawã à l’école communale de Porto Seguro furent caractéristiques des préjugés dont les Indiens sont l’objet au Brésil : « Mes camarades se moquaient toujours de moi. Ils ne s’asseyaient jamais à côté de moi et ajoutaient “Méfie-toi de cette Indienne, elle peut te mordre le bras ou te manger tout entier.” J’étais toujours isolée des autres dans la classe. Même l’instituteur se moquait de moi : “Où est l’Indienne ? Où est l’Indienne ?” Comme si j’étais une sorte d’animal. J’étais si gênée que je disais à tout le monde que je n’étais pas indienne, mais japonaise. » Ces discriminations pesèrent si fort sur ses épaules qu’elle décida de quitter l’école et de chercher du travail. Elle fut notamment serveuse de restaurant, vendeuse dans une boutique de vêtement. Progressivement, elle se familiarisa avec la ville, se maria à un non-Indien et eut deux enfants. Avec le temps, elle ouvrit sa propre affaire : un petit snack-bar dans le centre commercial de Porto Seguro.

10Pendant que Nitxinawã construisait sa vie loin de Coroa Vermelha, ses frères et sœurs grandissaient dans un environnement où la « culture » devenait une préoccupation toujours plus importante. Nayara, sa plus jeune sœur, était la plus intéressée par cette dynamique. Arrivée à Coroa Vermelha à sept ans, elle se souvient que le « Jour des Indiens » était la seule occasion pour les Pataxó de se présenter publiquement dans leur tenues traditionnelles (qu’elle qualifie de très simples et modestes : « nos petits vêtements ») pour danser, chanter et célébrer leur indianité :

  • 4 Nayara se réfère à des jeux d’enfants (brincadeiras) traditionnels proposés dans les kermesses cath (...)

Depuis l’enfance, nous y avions toujours participé [au Jour des Indiens], toujours… Mais nous avions remarqué qu’il y avait beaucoup de choses qui étaient surtout tournées vers la culture des non-Indiens, des choses comme le gincana, le pau-de-sebo, le quebra-pote4, et d’autres jeux auxquels nous jouions et qui ne venaient pas de notre tradition. Ça venait de la culture des non-Indiens. […] Mais quand nous sommes devenus plus âgés, nous avons senti le besoin de creuser plus avant dans cette partie de la culture, celle de nos ancêtres. Nous voulions en savoir plus sur tout ce qu’ils faisaient, comment c’était à leur époque… En particulier notre langue qui était endormie depuis tant d’années ; nous connaissions très peu de mots.

  • 5 Depuis au moins les années 1980, les Pataxó sont les protagonistes du cycle annuel des célébrations (...)

11Nayara raconte que son souci de mieux connaître le patrimoine culturel pataxó avait déjà été alimenté par une première expérience. Elle avait vécue pendant deux ans loin de Coroa Vermelha, dans le village où habitait son oncle, Fazenda Guarani (district de Carmésia, Minas Gerais). Elle avait alors onze ans et ce fut un véritable tournant dans son existence. Elle fut fascinée par l’initiative de Kanatxyo, l’un des premiers Indiens de sa génération à avoir reçu une vraie scolarité : celui-ci couchait sur le papier les mots de la langue pataxó en voie d’extinction et les enseignait aux enfants du village. Entendant ses cousins chanter « dans [leur] langue », « demander des choses » en pataxó avec déjà cette « intonation naturelle » typique d’une langue maternelle, Nayara était décidée à apprendre ces savoirs qui la fascinaient et à les ramener dans son village où la « culture » était une chose dont on se rappelait et que l’on mettait en scène seulement quand approchaient les commémorations du mois d’avril5.

12L’enthousiasme de Nayara pour l’univers culturel qu’elle avait découvert à Fazenda Guarani avait contaminé ses frères mais il ne trouva pas beaucoup d’écho auprès de ceux qui étaient à la tête de l’organisation du Jour des Indiens. Le « vétéran » Arawi qui, avec son oncle et ses neveux, avait toujours dirigé « l’organisation culturelle » de Coroa Vermelha, ne vit pas beaucoup d’intérêt dans les suggestions insistantes de cette adolescente : « Je disais toujours : regarde, il y a ces chansons qui, je crois, sont très jolies ; ce serait intéressant de les chanter dans notre langue. Certaines fois, je commençais même à les leur chanter mais je n’étais pas suffisamment… importante. »

  • 6 Organisation fédérale brésilienne chargé de la tutelle des Indiens.

13Cette « importance » fut toutefois reconnue par l’un des instituteurs de Nayara. Irene, une employée de la funai6 qui aida l’écolière à enseigner à ses camarades ces chansons qu’elle avait apprises « dans la langue ». Quelques années plus tard, en 1995, le frère de Nayara, Karajá, fut nommé cacique (chef) de Coroa Vermelha. Avec lui, « renforcer et sauvegarder la culture » devinrent un horizon prioritaire de la communauté, comme jamais ils ne l’avaient été auparavant. On installa une « école indigène » et la jeune Nayara, alors âgée de seize ans, devint le premier « professeur de culture ».

  • 7 L’anai (Association nationale d’action indigéniste) est une ONG installée à Salvador (Bahia).

14Celui qui allait devenir le mari de Nayara, Jerry Matalawê, est un autre acteur-clé de cette nouvelle orientation visant à la « sauvegarde » de la culture pataxó. Adolescent, ce dernier avait tenu à prendre ses distances avec ces préoccupations « culturelles ». Il était plus intéressé par la vie urbaine de Porto Seguro que par les initiatives du Jour des Indiens. En 1997, on lui proposa de rejoindre le Magistério Indígena, un cours proposé par le ministère de l’Éducation en partenariat avec l’anai7 et le secrétariat à l’Éducation de l’État de Bahia. Nayara fut aussi sélectionnée. Ces programmes visaient à former des instituteurs indigènes dans tout le pays pour qu’ils définissent et prennent eux-mêmes en charge leurs propres programmes éducatifs. Inscrits dans le plan d’Éducation nationale publié en 1999, ces programmes devaient être bilingues et adaptés aux spécificités culturelles de chaque groupe indigène. Ils devaient mettre en avant certains aspects de leur héritage : la langue, la mémoire historique, les cérémonies et les manifestations artistiques, etc. Choisi pour suivre un programme de licence en sciences sociales à l’Université de l’État du Mato Grosso, Matalawê, dès cet instant, releva le défi confié aux professeurs de culture pataxó à la fin des années 1990 :

On n’attend pas de l’enseignant [indigène] qu’il soit devant un tableau noir avec son bâton de craie, diffusant les savoirs des non-Indiens… Ce qui signifie qu’il nous faut d’abord comprendre notre propre structure culturelle. Je me demandais : “Qu’est-ce que je suis en train de faire ici ? Qu’est-ce que je vais enseigner ?” Et un jour, je me souviens, il y avait à Barra Velha un groupe qui donnait un spectacle culturel excellent ; à ce moment-là je me suis dit “Mince alors, je ne connais rien à tout ça” […]. Je me suis senti mal : je savais danser la lambada, je dansais le forró, mais je ne savais plus rien du heruê ou du awê (un rituel pataxó)... Je ne savais pas chanter dans la langue [pataxó]. Je connaissais bien quelques chansons anciennes, mais elles étaient toutes en portugais, et je ne savais pas chanter dans la langue. Je me suis senti abasourdi de ne plus avoir ces compétences, le rythme de la danse. Alors je me suis dit : “Qu’est-ce que je fais encore dans ce cours ? Je n’ai pas les moyens d’enseigner tout cela…”

15Comme dans de nombreux récits de « conversions » religieuses, Matalawê identifie ici le moment et le lieu où il fut confronté de plein fouet à la perte de son héritage indigène : l’impératif de « (re)devenir Indien » s’impose alors à lui. Lorsqu’il dit qu’il ne connaît « plus » ces savoir-faire indigènes, il suggère néanmoins qu’ils ont « toujours été là », inscrits ou cachés quelque part dans son corps inculte. À l’image des chansons traditionnelles qu’il connaît « en portugais », et qui furent traduites d’une langue pataxó dont il ne sait presque rien, comme d’ailleurs la majorité de ses amis venant se former pour devenir professeurs. Il exprime aussi l’idée de la nécessité de redonner forme à cette « culture » dont il pleure la perte.

16À Coroa Vermelha, la « culture » était déjà une préoccupation inscrite dans les préparatifs annuels pour les célébrations du Jour des Indiens, du Jour de la Découverte du Brésil et du Jour de la Première Messe. Cependant, en entrant dans le programme de l’école indigène, elle acquérait une nouvelle dimension, elle devenait une pratique ordinaire. Hissée au rang de « discipline », elle exigeait un effort collectif de la part des Pataxó qui devaient donner forme à ses contenus. Il devenait décisif d’établir un consensus sur ce qu’étaient la langue, l’histoire, les mythes, les rituels, les chansons, les danses, les coutumes et les autres formes traditionnelles de la culture pataxó. Ces différents aspects étaient loin d’être clairs pour Nayara, Matalawê et les autres professeurs qu’il fallait encore former. Le projet pataxó de « sauvegarde culturelle » se trouva ainsi confronté à l’urgence d’établir une « médiation ». Il devenait nécessaire d’exprimer les caractéristiques, en voie d’effacement, des traditions transmises oralement sous une forme matérielle canonique. En d’autres termes, pour « sauvegarder » le passé dans le présent, il était impératif d’inscrire cette « culture » dans des « médias » spécifiques, de trier et semer les graines de la culture future. Pour que ce chantier prenne corps, les Pataxó devaient disposer d’un lieu de vie (neighborhood) au sens d’Appadurai (1996). Ce fut la réserve de la Jaqueira.

Ériger un lieu culturel

Pour faire exister cet effet de réalité et pour qu’il soit vécu comme réel, les productions imaginaires doivent devenir tangibles hors de la sphère de l’esprit, il faut créer un environnement social qui les matérialise grâce à la structuration de l’espace, à l’architecture, aux mises en scènes rituelles, et qui induise des sensations corporelles. Bref, pour être vécues comme réelles, les communautés imaginaires (imagined communities) ont besoin de se matérialiser dans l’environnement vivant et concret. Elles doivent être ressenties jusque dans les os. (Meyer 2009 : 5)

Le savoir local est en substance celui qui produit de manière fiable des sujets locaux en même temps que des environnements locaux dans lesquels ces sujets peuvent être reconnus et organisés. [...] Nous devrions dire, paraphrasant Marx, que le savoir local n’est pas seulement local en soi mais, de manière encore plus importante, pour soi. (Appadurai 1996 : 181)

17L’urbanisation de Coroa Vermelha au début des années 1990 avait conduit de nombreux Pataxó à regretter ce qu’ils considéraient comme la perte d’une « vie de village ». Avec le développement d’une industrie touristique dynamique et de la spéculation foncière, les hôtels et les luxueuses résidences fermées (condomínios) avaient réduit l’espace de vie des Pataxó à un périmètre de plus en plus étroit. La population indigène, croissant à une allure rapide et empêchée de résider sur les territoires qu’elle occupait jusque-là, était poussée à s’entasser dans des maisons collées les unes aux autres. En l’absence de tout réseau sanitaire, les déchets polluaient de plus en plus les étangs de la région qui avaient jusque-là été une ressource indispensable en eau potable et en poissons. Sampaio (2010 : 121) a souligné que cette soudaine hypertrophie urbaine de Coroa Vermelha a « donné naissance à ce qui a certainement été la première grosse favela indigène du pays ». Cette « favélisation » des indigènes fut aussi signalée par la presse locale de cette époque (Grünewald 2001 : 138).

18C’est dans ce contexte que les conflits concernant le devenir de ce territoire devinrent virulents. Cible des agences immobilières et de l’industrie touristique, investie par un nombre de plus en plus grand de familles pataxó ainsi que par des non-Indiens, se constituant progressivement en site de mémoire, Coroa Vermelha devint l’objet de nombreux intérêts divergents. Une forte proportion de la population pataxó aspirait à sa délimitation par l’État comme territoire indigène, mais une autre partie était séduite par les promesses plus immédiates des industriels du tourisme et des agences intéressés par leurs terrains (Sampaio 2010 : 111-112). Par ailleurs, depuis les années 1980, l’iphan, organisme gouvernemental en charge du patrimoine, était à l’avant-garde du projet de sauvegarde du site de la Première Messe et souhaitait mettre en avant la qualité « monumentale » qu’un tel espace se devait d’avoir. Enfin, en 1996, le projet fédéral du made (Musée de plein air de la Découverte) réduisit sérieusement l’ambition des Pataxó d’obtenir une démarcation de leur territoire.

  • 8 L’Instituto Brasileiro do Meio Ambiente e dos Recursos Naturais Renováveis (Institut brésilien de l (...)

19Toutefois, en 1997, les Pataxó prirent un avantage stratégique dans le bras de fer qu’ils avaient engagé. L’entreprise Góes-Cohabita venait de saccager la forêt atlantique sur environ 7 km de profondeur depuis la côte. Ce fut l’occasion de dénoncer publiquement ces agissements. Mobilisant plusieurs villages, les Pataxó demandèrent l’intervention de l’ibama8 et obtinrent un arrêt de la déforestation. Ils occupèrent le territoire et, un peu plus tard, exigèrent de Brasília son classement comme réserve indigène. Face à l’évidence du délit contre l’environnement et à la difficulté politique qui serait née de l’expropriation de toutes les familles pataxó de cette aire deux ans avant les célébrations du cinq-centième anniversaire, Coroa Vermelha fut finalement classée comme territoire indigène en 1998. On le divisa en trois zones principales : une aire « monumentale » (le centre urbain de Coroa Vermelha), une aire de protection environnementale (la réserve de la Jaqueira) et une aire de production agricole.

20Avoir ainsi réussi à protéger l’environnement de la réserve fut, pour Nayara et ses frères et sœurs, une étape décisive dans la concrétisation de leur projet de sauvegarde culturelle. Ce territoire était l’emplacement qui leur manquait encore pour donner corps à leur projet. Comme Appadurai le suggère :

21Sans sujets locaux constitués de manière fiable, la construction d’un espace local d’habitation, de production et de sécurité morale n’aurait aucun intérêt qui puisse lui être attaché. Et, de la même manière, sans un espace négociable connu, nommé et déjà disponible, les techniques rituelles de création de sujets locaux resteraient abstraites, donc stériles. (Appadurai 1996 : 181)

22Si le projet de dessiner et de rendre présent un passé culturel primordial était déjà en germe dans la spatialité utopique des « emplacements sans lieu réel » (Foucault 1994 : 755), il allait maintenant trouver un sol fertile pour s’incarner.

23Le caractère « naturel » et « vierge » de cet espace était propice, mais cela ne suffisait pas. L’emplacement de la réserve de la Jaqueira devait encore être « colonisé » par les Pataxó pour devenir un « lieu de vie culturel » (Appadurai 1996 : 183). Contrairement à ce qui s’était passé à Coroa Vermelha, ceux-ci conservaient pleine autorité sur le projet. Pour Nayara, l’un des événements-clés ayant marqué le processus d’élaboration de cet espace fut sa participation à un forum inter-ethnique de jeunes, promue par l’ong Tribo Jovens en juin 1998, à Rios Claros, dans l’État de São Paulo. Ayant rencontré des Indiens Kariri-Xocó, elle souhaita échanger des expériences avec eux : « Alors, ils m’ont dit que dans leur village, ils faisaient l’Ouricuri [un rituel] dans l’endroit le plus retiré possible [...]. Alors j’ai dit : “Nous avons nous aussi un emplacement de ce type...” [...]. Mais on n’y fait rien pour l’instant. » Vantant la beauté naturelle de la réserve de la Jaqueira, elle emprunta leur idée d’en faire aussi un lieu sacré pour « sauvegarder » et « vivre la culture » au quotidien. À la fin de la rencontre, Nayara invita le shaman Kariri-Xocó Tide et ses camarades à venir visiter et connaître la terre dont elle rêvait de faire le « futur culturel » des Pataxó :

Alors, ils vinrent et passèrent trois jours ici avec nous. À la fin d’un après-midi, alors qu’il allait faire nuit, nous les avons invités à nous suivre et nous nous sommes rendus là. Quand ils arrivèrent sur place, ils furent ravis... Il [Tide] dit que c’était un lieu réellement fort, qu’il y avait une bonne énergie et que c’était le bon endroit pour faire nos rituels, pour faire revivre toute la culture pataxó. [...] Avant cela, j’avais envoyé quelqu’un appeler Nitxinawã, qui était alors à Porto Seguro. J’appelais aussi Jandaya. Nous étions donc toutes les trois [sœurs], il y avait aussi Nengo, Karajá et d’autres encore. Une fois arrivés, à la nuit, nous fîmes un feu. [...] Et il [Tide] dit : “Il faut y aller, travaillez et vous le ferez.” C’est là que nous avons commencé... notre combat. Je leur ai dit : “Écoutez les gars, nous le ferons, parce que nous en avons besoin”. Aujourd’hui nous éprouvons cette exigence de retour à nos traditions, à nos racines... Parce que, si nous ne faisons pas ça, si nous n’avons pas cette préoccupation de chercher, ou si nous la gardons seulement dans nos têtes, un temps viendra où tout cela aura disparu... Nous voyons que les gens perdent tout intérêt pour cette culture, personne ne veut participer, personne n’a ce souci de se renseigner auprès des anciens, de rassembler des informations... Personne. [...] Alors, nous devons nous battre pour cela, sinon tout disparaîtra. Et comment allons-nous être reconnus ? Comment notre histoire sera-t-elle racontée si personne ne la connaît ? Plus tard, comment nos enfants et nos petits-enfants sauront quelque chose sur nos origines, notre histoire, qui saura cela ? Personne...

24Nayara rappelle ainsi ces événements fondateurs sans toutefois décrire le rituel que le shaman Kariri-Xocó conduisit à cette occasion. Pour Nitxinawã cette expérience rituelle fut pourtant cruciale et éveilla chez elle un sentiment de nostalgie culturelle :

Nous les avons vus danser, chanter. Nous nous sommes rendu compte de la force [oralement souligné] que le shaman possédait. Alors nous avons participé au rituel... Nous nous rappelions aussi nos anciens, ceux que nous avions vus si souvent chanter, danser, et nous nous sommes souvenus que nous pouvions aussi redonner de la force à notre culture... À ce moment-là, nous avons dit : “Nous voulons commencer notre quête”, parce que nous nous souvenions de la beauté des rituels de Barra Velha, des rituels des anciens. Puis nous avons dit : “Nous allons renforcer notre culture”.

25Les sensations nées de la participation à ce rituel ont finalement amené Nitxinawã à revenir à Coroa Vermelha, laissant derrière elle la vie qu’elle était en train de construire à Porto Seguro. Comment ne pas entendre là, en écho, la suggestion d’Appadurai rappelant que la plupart des relevés et des enregistrements anthropologiques de rituels peuvent être lus comme « production de ce que nous pouvons appeler des sujets locaux » (1996 : 179) ? De manière assez étrange, toutefois, ce ne fut pas grâce au « rituel pataxó » en lui-même que cet affect induisant une territorialisation est né, mais plutôt du fait de la reconnaissance de son absence face à la « force » des rituels d’autres groupes ethniques.

  • 9 Sans approfondir plus avant ce sujet du fait des limites imposées à cet article, il suffit d’ajoute (...)

26Depuis cette soirée, la « recherche » du patrimoine pataxó en voie d’extinction et la nécessité de « concrétiser » cet héritage devinrent des objectifs indissociables de la vision de ce que la réserve de la Jaqueira devait devenir : un lieu où la « culture » soit enracinée, incarnée, quotidiennement éprouvée. Même si les moyens d’y parvenir étaient loin d’être clairs, Nayara et ses frères et sœurs commencèrent à se rendre à la Jaqueira chaque jour – une marche de sept kilomètres – pour ne revenir chez eux, à Coroa Vermelha, qu’à la nuit tombante. Cette nouvelle habitude fut bientôt rythmée par un moment rituel : chaque vendredi soir, sous les auspices de Saracura – un guide politique et spirituel important qui avait quitté le village de Caramurú-Paraguassú pour Coroa Vermelha dans les années 1970 –, le petit groupe redonnait vie au rituel Awê. Après s’être baignés dans la rivière à la lisière de la forêt, les participants se rassemblaient pour chanter et danser des prières qui rendaient hommage aux esprits de la forêt et de leurs ancêtres. En prononçant solennellement les paroles de ces chansons sacrées qui invoquent des présences spirituelles (bien différentes de celles célébrées lors des fêtes du Jour des Indiens ou d’autres commémorations), de nombreux Pataxó comme Jandaya et son neveu Tawá découvrirent leurs dons de médiums, leurs capacités à avoir des visions, à entendre des voix et des appels dans la forêt, à être visités en rêve. À travers ces premiers rituels du vendredi, les Pataxó développaient un nouveau pouvoir et éprouvaient les liens qui les unissaient entre eux et avec la forêt. Ils créaient ainsi une « structure du sentir » (structure of feeling) (Appadurai 1996 : 181) leur permettant de concrétiser l’idéal de la réserve de la Jaqueira. Toutefois, ils ressentaient aussi de plus en plus nettement l’absence de ce pouvoir dans la mesure où, du fait de pratiques de croyance plus éparpillées et souvent plus individuelles, le sentiment collectif initial qui avait permis de retisser les liens du groupes s’épuisait9.

27Ressusciter le monde culturel de leurs ancêtres était devenu un sentiment si impérieux pour Nayara, Jandaya et Nitxinawã qu’elles lancèrent une campagne de sensibilisation auprès de leur large réseau familial à Coroa Vermelha. Maison après maison, elles frappèrent à la porte des divers membres de leur famille et leur exposèrent leur projet, encore imprécis, de faire de la Jaqueira le lieu de sauvegarde de leur culture. Malheureusement, les réactions furent toutes du type : « Désolé, je pense que c’est une excellente idée, mais je n’ai absolument pas le temps, mon travail d’artisanat m’attend et je dois nourrir mes enfants. » Pourtant, ces mêmes enfants dont les bouches réclamaient leur pitance furent encouragés par leurs parents à rejoindre les promoteurs du projet. Avec les anciens de Coroa Vermelha qui se réjouissaient de la croissante valorisation de l’héritage pataxó – et donc de la valorisation de leur propre mémoire et de leur expérience passée – les plus jeunes allaient devenir un élément-clé de cette dynamique.

  • 10 L’Aragwaksã est le rituel célébré chaque 1er août par les Pataxó de la réserve de la Jaqueira qui, (...)

28Le 1er août 1998, un rassemblement et une marche dans la forêt de la Jaqueira furent organisés en présence des anciens et des jeunes du village. Cet événement allait être ensuite considéré comme le jour de la naissance de la réserve de la Jaqueira10. Selon les mots même de Nitxinawã :

Nous nous sommes souvenus de ce jour : c’était celui où chacun avait fait cette marche, et était revenu pour s’asseoir ici en rond. Nous nous sommes alors vraiment rendu compte que nous n’abandonnerions pas notre projet de renforcer notre culture, que c’était notre besoin... Depuis ce moment, je me souviens toujours de l’un des anciens disant : “C’est chez nous”… C’est ainsi que nous avons construit cette continuité.

  • 11 À Coroa Vermelha, la fibre de piaçava est tirée du piaçaveiro. Grâce au support de l’ONG IBio (Inst (...)

29Toutefois, il restait encore aux membres de ce groupe à faire de la réserve de la Jaqueira leur véritable « foyer », à construire un habitat qui, dans la perspective de leur projet, devait entièrement obéir à la tradition. Or, une difficulté se présentait : la réserve étant une zone de protection environnementale, il n’était pas possible d’abattre des arbres pour bâtir les kijemes, et les réserves de piaçava11 disponibles pour couvrir les maisons ne permettait pas de faire plus qu’une demi-toiture, loin des sept ou huit qu’ils avaient l’intention de construire. La solution la plus immédiate consistait à se rendre à pied jusqu’à la zone de production agricole – près de quinze kilomètres – et à ramener de lourds troncs de bois à la Jaqueira. C’est ce qui fut fait. Tout au long de ces jours de dur labeur, les hommes éprouvèrent le poids des charges, la moiteur des corps en sueur. Ils ouvrirent difficilement une voie le long des étroits sentiers sous le soleil brûlant ou la pluie qui rendait le sol glissant, se moquant de n’avoir pour toute pitance qu’un œuf ou deux, un peu de farine de manioc et de l’eau, le tout à partager entre neuf ou dix personnes, oubliant aussi le travail rémunéré qu’ils avaient dû abandonner. Cet épisode nous renvoie à l’insistance avec laquelle Appadurai rappelle que le local (locality), étant « intrinsèquement un fragile accomplissement », exige des sujets locaux élaborant son substrat matériel un investissement intentionnel acharné et vigoureux (1996 : 180-181).

30Cette mobilisation fut un élément-clé dans l’émergence de la première ossature de la réserve de la Jaqueira. Toutefois, tous les Pataxó se souviennent aussi du rôle joué par la religieuse catholique Verônica lors de cette première phase au cours de laquelle ils ne disposaient d’aucun support financier (ni de la funai, ni d’autres institutions). La sœur australienne qui travaillait comme missionnaire parmi les communautés indigènes de Teixeira de Freitas (Bahia) apprit par la bouche de Nayara les ambitions des Pataxó. Elle connaissait leurs talents de chanteurs, qu’elle avait pu apprécier lors de sa participation aux commémorations de la Première Messe, lors des répétitions ou des représentations. Un après-midi, elle se présenta à la Jaqueira. Enchantée des initiatives des Pataxó, Verônica leur donna 1 800 reais, une somme qui, comme nombre d’entre eux s’en souviennent, leur avait alors semblé une fortune.

31Ils purent ainsi acheter assez de piaçava pour couvrir huit kijemes. Plus tard, ayant conclu un partenariat avec Veracel, l’une des plus importantes compagnies de cellulose dont les plantations d’eucalyptus jouxtaient le territoire pataxó, ils purent acquérir suffisamment de bois pour réaliser leur rêve architectural : construire un grand kijeme central faisant office de cuisine commune, avec sept petits kijemes distribués autour. Ayant ainsi mené à bien la construction d’un espace de vie, les Pataxó passèrent de plus en plus de temps à la Jaqueira, quelquefois une ou plusieurs semaines d’affilée. Avec un sentiment d’allégresse, ils commencèrent à inviter les anciens – considérés comme des dépositaires de la mémoire de ce précieux univers de vie qu’ils essayaient de retrouver avec tant de force – à venir passer la nuit sur place, afin de les entendre parler de leur enfance, évoquer les souvenirs de leurs parents et grands-parents, prononcer les mots et expressions pataxó qui survivaient dans leur portugais.

32Ces rassemblements nocturnes permirent à Nayara, Matalawê et aux jeunes garçons et filles qui progressivement les avaient rejoints dans leur quête, de rencontrer les plus vieux des Pataxó. Avec eux, ils démêlaient les fils d’un monde culturel en voie de disparition. La kaiboca (la cachaça, alcool de canne) les rendait volubiles et les mots « dans la langue » se bousculaient dans leur bouche. Tandis que les anciens racontaient les événements importants de leur existence et les histoires qu’ils avaient entendues de leurs ancêtres, « l’intelligentsia » naissante du peuple pataxó – ces nouveaux « intellectuels organiques » – sortaient les magnétophones tout neufs, les carnets de note et les stylos pour ne rien perdre de tout cela : les manières de parler, de se vêtir, les mythes, les rituels, les savoirs médicaux et la musique.

33Lorsque les professeurs de culture de Coroa Vermelha et de Barra Velha vinrent à faire de ce projet un processus de recherche, le travail de collecte initié par la génération du Magistério Indígena de 1997 devint progressivement plus systématique : ils comparaient leurs trouvailles, organisaient des rencontres et des débats, ils élaboraient ainsi le canon de la « culture pataxó » qu’ils pourraient fixer dans les livres scolaires à venir. « Alors, explique Nayara, nous avons adopté la règle de ne parler que la langue indienne lorsque nous étions ici. Il était interdit de parler en portugais ! Et chaque jour, en permanence, nous portions les vêtements traditionnels... » Ainsi, l’emplacement de la Jaqueira n’était plus seulement le lieu où l’on pouvait glaner des connaissances culturelles. Pour tous ceux qui parlaient avec un répertoire croissant de mots, qui chantaient sur des airs traditionnels et dansaient avec des gestes ancestraux, ou qui fabriquaient et portaient des ornements corporels comme les cocares de plumes ou les tupisay (jupes de paille), c’était un lieu qui rendait maintenant possible l’incorporation de ces savoirs.

34Les pionniers de la Jaqueira devaient encore résoudre la question de leur subsistance car les contraintes écologiques pesant sur la réserve leur interdisaient de défricher des terrains cultivables ou de chasser des animaux. Nitxinawã, qui avait longtemps vécue à Porto Seguro, eut alors une idée : considérer cette « incorporation » dans sa dimension « performative ». Dès 1998, elle se plaça ainsi à l’avant-garde de ceux qui souhaitaient faire de la Jaqueira une destination touristique, en cherchant à profiter du flux croissant de visiteurs venant à Porto Seguro pour pratiquer un tourisme écologique et culturel. Dans le snack-bar qu’elle avait ouvert dans le centre commercial de la ville, elle se fit « beaucoup d’amis » parmi les guides, les chauffeurs d’autocars, les directeurs et les propriétaires des agences de tourisme. Il fallait encore à ce projet touristique un carnet d’adresse et un programme : que pouvait-on présenter de la « pataxónité » ? Que pouvait-on dire aux visiteurs sur l’histoire et la culture pataxó ? Ou, dans un langage plus commercial, quel « produit » pouvait-on offrir ?

Nouvelles (re)présentations de soi

Nouvelles (re)présentations de soi

Le professeur de culture Siratã avec sa parure se préparant à une cérémonie de mariage dans la réserve de la Jaqueira.

Photo : André Bakker

35Les réponses étaient loin d’être simples et demandèrent du temps pour mûrir. Pour Nitxinawã, à cette époque, apparaissait clairement la nécessité « d’enregistrer » la réserve de la Jaqueira. S’enquérant du moyen de le faire auprès d’un employé de la funai, on évoqua finalement devant elle le mot « association ». « Une association ? Qu’est-ce que c’est ce bazar ? » N’ayant aucune idée de ce qu’était un « président », un « vice-président », un « secrétaire » et tout ce qui s’ensuit, Nitxunawã pensa à s’associer à un partenaire déterminant pour cette aventure : Aruã, le frère de Matalawê, aujourd’hui cacique de Coroa Vermelha. Il avait suivi un programme d’administration dans un lycée technique à Porto Seguro et, à l’époque, n’avait pas de travail. Il fut chaleureusement invité à venir à la Jaqueira. L’Association pataxó d’écotourisme fut ainsi créée en 1999 avec Aruã comme vice-président responsable de l’administration et Nitxinawã comme présidente en charge de la publicité. À Porto Seguro, à la fin des années 1990, la réserve de la Jaqueira entrait ainsi dans le réseau en pleine expansion des circuits touristiques nationaux et internationaux. Elle rejoignait en quelque sorte le monde entrepreneurial d’Ethnicity Inc. évoqué par J. et J. Comaroff, et accédait aux riches potentialités que celui-ci pouvait offrir « en ouvrant de nouvelles formes de réalisations de soi, de sentiments, de droits, d’enrichissement » (Comaroff & Comaroff 2009 : 139). Grâce à aspectur, les Pataxó parvinrent ainsi rapidement à obtenir des subventions publiques jusque-là inespérées, notamment, en 2000, une contribution de 130 000 reais offerte par le programme proecotur du ministère de l’Environnement. Dès 2002, la Jaqueira reçut un flot régulier et substantiel de touristes dans une infrastructure parfaitement organisée. Elle avait dorénavant sa place dans le programme touristique de Porto Seguro.

Formes et performances de la «culture pataxó»

Formes et performances de la «culture pataxó»

Artisanat, démonstration de l’usage de pièges, esthétique corporelle.

Photo : André Bakker

De la contemplation à la participation

De la contemplation à la participation

Des touristes sont invités à danser avec les Pataxó lors du rituel Awê

Photo : André Bakker

Conclusion

  • 12 Viveiros de Castro fait référence ici à ce que Lévi-Strauss avait désigné comme un trait essentiel (...)
  • 13 Le concept d’« ethnoscape » : néologisme qu’on pourrait traduire par « paysage de l’identité d’un g (...)

36« L’autre n’est pas un miroir mais un destin » écrit Viveiros de Castro (2002 : 220) à propos des relations entretenues par les Tupinamba du xvie siècle avec l’altérité radicale incarnée par les jésuites12. Pour les « entrepreneurs culturels » de la réserve de la Jaqueira, l’altérité incarnée par ces autres qui viennent les observer – les touristes – semble bien être à la fois un destin et un miroir. Car, c’est précisément par le biais de ces représentations quotidiennes et performatives de leur culture devant ces publics de touristes, dans l’espace de la réserve de la Jaqueira, que les Pataxó sont parvenus à faire l’expérience du caractère concret de leurs propres canons de vérités culturelles, et à inscrire leur capacité de persuasion dans un registre pratique, dans l’ordinaire de la vie quotidienne. Les formes culturelles récemment créées de l’ethnoscape (Appadurai 1996) pataxó13 combinent expertise et marchandisation culturelles. L’appréciation – sur un registre affectif – des formes traditionnelles de la culture est indissociable de la valorisation de celles-ci par le regard de l’autre (Comaroff & Comaroff 2009 : 18, 28).

37En abordant le concept d’hétérotopie sous l’angle de la médiation, j’ai essayé dans cet article de rendre compte de l’émergence d’une « formation esthétique » spécifique de l’ethnicité pataxó. A cet égard, la réserve de la Jaqueira constitue un véritable « miroir » pour les Pataxó, ce miroir dont parle justement Foucault comme image paradigmatique de l’hétérotopie (Foucault 1994 : 756). Se configurant et se présentant comme un « lieu culturel », comme un espace de vie quotidienne brodant sur un répertoire imaginaire et faisant référence à des origines culturelles dont le souvenir s’est émoussé, l’hétérotopie de « sauvegarde culturelle » de la réserve de la Jaqueira reflète et matérialise cette image virtuelle du passé dans le présent, en l’investissant avec persuasion et détermination de formes culturelles concrètes. Ainsi, on comprend mieux la remarque de Jandaya : « S’il n’y avait pas eu cet emplacement, notre culture serait pratiquement morte aujourd’hui. » Si Coroa Vermelha a pu être considérée comme une « favela indigène », ceux qui avaient rêvé de la réserve de la Jaqueira ont au contraire cherché à y créer « un autre espace, un autre espace réel, aussi parfait, aussi méticuleux, aussi bien arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon. » (Foucault 1994 : 761). Transformés en entrepreneurs culturels, les Pataxó ont trouvé ainsi une plateforme indispensable à l’élaboration et à l’expérimentation de leur propre « substance » ethnique :

Les producteurs de culture sont aussi ses consommateurs, se regardant et s’écoutant mettre en scène leur identité – et, dans ce processus, objectivant leur propre subjectivité afin de (re)connaître son existence, de se l’approprier, de la domestiquer, d’agir sur elle avec elle. (Comaroff & Comaroff 2009 : 26)

38En dressant les structures de leurs kijemes, en fabriquant leurs cocares, en façonnant les contours de leur silhouette ethnique, en fabriquant eux-mêmes le miroir par lequel un passé culturel imaginé vient à être reflété dans le projet d’un futur culturel tangible, les Pataxó expérimentent leur culture récemment (ré)élaborée et ajustée selon certains canons, comme s’il s’agissait d’une réalité consistante, persistante, quotidienne – et non d’une utopie chimérique.

« Découvre d’où vient la force d’un peuple »

« Découvre d’où vient la force d’un peuple »

Prospectus pour la publicité de la Réserve de la Jaqueira, c. 2010

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Bibliographie

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Notes

1 Pour une critique des limites du paradigme constructiviste, voir aussi Taussig (1993 : xv).

2 Cette recherche s’inscrit dans le cadre plus large du programme de recherche nwo (Heritage Dynamics: Politics of Authentication and Aesthetics of Persuasion in Brazil, Ghana, South Africa and the Netherlands). Je voudrais exprimer ici ma gratitude à Patricia Birman, Birgit Meyer, Mattijs van de Port, Jojada Verrips, Irene Stengs et à tous les chercheurs de ce programme pour leurs commentaires éclairants sur les versions antérieures de ce texte. Mes remerciements vont aussi à Jean Hébrard pour la traduction de ce texte et à Jérôme Souty pour sa révision attentive.

3 En avril 1500, les navigateurs portugais débarquèrent pour la première fois sur le rivage brésilien, dans la région appelée aujourd’hui « Côte de la Découverte ». Celle-ci comprend les communes de Belmonte, Santa Cruz Cabrália et Porto Seguro. En 1999, un an avant la célébration du cinq-centième anniversaire du Brésil, les réserves de forêt atlantique de la côte de la Découverte furent inscrites sur la liste du Patrimoine mondial de l’unesco.

4 Nayara se réfère à des jeux d’enfants (brincadeiras) traditionnels proposés dans les kermesses catholiques des régions rurales du Brésil.

5 Depuis au moins les années 1980, les Pataxó sont les protagonistes du cycle annuel des célébrations rituelles à Porto Seguro : le Jour des Indiens le 19 avril, le Jour de la Découverte du Brésil le 22 avril, le Jour de la Première Messe le 26 avril. Si le Jour des Indiens est traditionnellement célébré par tous les Pataxó, pour ceux de Porto Seguro, les mises en scène annuelles de la Découverte et de la Première Messe sont une occasion exceptionnelle de manifester publiquement leur indianité (Grünewald 2001).

6 Organisation fédérale brésilienne chargé de la tutelle des Indiens.

7 L’anai (Association nationale d’action indigéniste) est une ONG installée à Salvador (Bahia).

8 L’Instituto Brasileiro do Meio Ambiente e dos Recursos Naturais Renováveis (Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables) a été créé le 22 février 1989.

9 Sans approfondir plus avant ce sujet du fait des limites imposées à cet article, il suffit d’ajouter ici que le déclin de ce rituel à la réserve de la Jaqueira a souvent été lié à la conversion ultérieure de Nitxinawã au pentecôtisme à Coroa Vermelha. Pour une analyse plus fouillée de cette articulation entre les dynamiques de l’héritage culturel et la conversion au pentecôtisme, voir Bakker (2013).

10 L’Aragwaksã est le rituel célébré chaque 1er août par les Pataxó de la réserve de la Jaqueira qui, à cette occasion, invitent les parents des autres villages, célèbrent des mariages traditionnels, font une chasse au cochon (lâché dans la forêt pour l’occasion) et se livrent à d’autres activités.

11 À Coroa Vermelha, la fibre de piaçava est tirée du piaçaveiro. Grâce au support de l’ONG IBio (Instituto Bio Atlântica), une entreprise locale d’extraction durable a été installée en 2003.

12 Viveiros de Castro fait référence ici à ce que Lévi-Strauss avait désigné comme un trait essentiel de la pensée amérindienne : « l’ouverture à l’Autre » (Lévi-Strauss 1991 : 16). En analysant « l’inconstance » des Tupinambas du xvie siècle dans leur relation avec les missionnaires jésuites, l’auteur montre la stérilité, aux yeux des Tupinambas, des notions de « croyance », de « foi » ou de « religion ». Les présupposés ontologiques exclusivistes, la nature dogmatique et doctrinaire de la « Bonne Nouvelle » chrétienne étaient complètement étrangers à une société dont la sociabilité se constituait dans la relation à l’autre. Le « croire sans foi » des Tupinambas, basé sur une incomplétude ontologique essentielle, s’inscrivait dans une relation immanente avec une altérité dans laquelle « l’autre n’était pas seulement pensable – il était indispensable » (Viveiros de Castro 2002 : 195). Plutôt qu’un miroir négatif du même, l’autre était donc un devenir.

13 Le concept d’« ethnoscape » : néologisme qu’on pourrait traduire par « paysage de l’identité d’un groupe », rend compte du caractère dynamique, dispersé et de plus en plus déterritorialisé des formations sociales contemporaines ; caractère que renforce la présence de nouveaux médias et l’accroissement des possibilités de mobilité humaine (Appadurai 1996 : 33-34, 198-199). En articulant les activités des professeurs de différents villages pataxó, la réserve de la Jaqueira a appuyé les initiatives de recherche visant à mettre en synergie des unités sociales jusqu’à présent relativement déconnectées dans un horizon ethnique commun : tracer un canon culturel pataxó.

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Table des illustrations

Titre Nouvelles (re)présentations de soi
Légende Le professeur de culture Siratã avec sa parure se préparant à une cérémonie de mariage dans la réserve de la Jaqueira.
Crédits Photo : André Bakker
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Titre Formes et performances de la «culture pataxó»
Légende Artisanat, démonstration de l’usage de pièges, esthétique corporelle.
Crédits Photo : André Bakker
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Titre De la contemplation à la participation
Légende Des touristes sont invités à danser avec les Pataxó lors du rituel Awê
Crédits Photo : André Bakker
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Titre « Découvre d’où vient la force d’un peuple »
Légende Prospectus pour la publicité de la Réserve de la Jaqueira, c. 2010
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Pour citer cet article

Référence papier

André Bakker, « De l’emplacement de la culture : hétérotopie et formation esthétique dans la réserve pataxó de la Jaqueira »Brésil(s), 3 | 2013, 69-88.

Référence électronique

André Bakker, « De l’emplacement de la culture : hétérotopie et formation esthétique dans la réserve pataxó de la Jaqueira »Brésil(s) [En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 06 mai 2013, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/430 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bresils.430

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Auteur

André Bakker

André Bakker est doctorant en anthropologie sociale à la Vrije Universiteit d’Amsterdam (Institut interdisciplinaire VISOR).

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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