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Comptes rendus

Pallares-Burke, Maria Lúcia Garcia. 2012. O triunfo do fracasso. Rudiger Bilden, o amigo esquecido de Gilberto Freyre

São Paulo: Editora Unesp, 423 p.
Christophe Brochier
p. 217-222
Référence(s) :

Pallares-Burke, Maria Lúcia Garcia. 2012. O triunfo do fracasso. Rudiger Bilden, o amigo esquecido de Gilberto Freyre. São Paulo: Editora Unesp, 423 p.

Texte intégral

1Maria Lúcia Pallares Burke a consacré un long livre, fruit d’une enquête très minutieuse à Rudiger Bilden, un chercheur allemand installé aux États-Unis pendant la Première Guerre mondiale et pionnier de l’histoire du Brésil. Le seul titre de gloire évident de Rudiger Bilden est d’avoir été l’ami de Gilberto Freyre en plus d’avoir écrit en 1928 un article connu sur les relations raciales brésiliennes. Peu de gens le connaissent donc et l’intérêt du livre n’est pas de nous renseigner sur un personnage célèbre ou décisif pour les sciences sociales. L’auteur justifie son projet par l’idée, désormais largement acceptée, que l’histoire des sciences ne peut se faire qu’en n’étudiant que les grands noms ; les chercheurs obscurs nous donnent des informations précieuses sur la façon dont les recherches se font et sur les mécanismes en œuvre dans les carrières.

2En effet, le lecteur découvre, au fur et à mesure qu’il avance dans l’ouvrage, que Pallares Burke nous propose, entre autres choses, une reconstitution des débuts de la recherche brésilianiste aux États-Unis. Si l’on suit Bilden dans sa jeunesse, on découvre comment s’est constitué le champ de la recherche sur le Brésil, dans le sillage de l’historien William Shephard à Columbia à la fin de la Première Guerre. L’histoire du Brésil n’avait alors pas reçu de traitement complet et le grand ouvrage sur le sujet restait à écrire. Le savant Bilden, étudiant doué et particulièrement ambitieux relève le défi. Né à Eschweiler, en Rhénanie en 1883, il immigre aux États-Unis en 1914. À Columbia il se fait le disciple de Shepherd qui lance l’étude historique universitaire de l’Amérique latine. Il se lie également d’amitié avec le jeune Gilberto Freyre et le futur historien du Deep South Francis Butler Simkins. Sans doute en partie influencé par son camarade brésilien, il forme le projet d’écrire une histoire complète du Brésil commençant avant Colomb et insistant sur les effets de l’esclavage dans la formation d’une civilisation originale. Pour cela, les problèmes à résoudre sont légion : il n’a que peu de moyens, pas de passeport, peu de temps, et il faut séjourner longuement au Brésil. Grâce à Oliveira Lima avec qui il se lie par l’intermédiaire de Freyre, des portes s’ouvrent et Bilden part au Brésil en 1926.

3Le récit du séjour de l’Allemand au Brésil est certainement l’un des passages les plus réussis du livre. On y voit l’intellectuel allemand reçu par les meilleurs esprits du temps, à Recife auprès de Gilberto Freyre, puis à Rio, São Paulo et dans le Minas Gerais. Comme d’autres voyageurs érudits avant lui, Bilden s’étonne du « retard » brésilien en matière d’organisation économique, des différences entre les régions et se fait l’avocat inconditionnel des avantages de l’immigration européenne. En même temps, il se prend d’une passion réelle pour ce pays qu’il ne connaissait jusque là que par les livres.

4De retour aux États-Unis en 1927, Bilden passe par l’une des phases les plus difficiles de son existence. Faute d’un emploi fixe, il s’épuise à chercher des charges de cours et ne parvient pas à faire avancer son manuscrit. En 1929, il publie son fameux article dans la revue The Nation qui résume ses intuitions en matière de relations raciales au Brésil. Ce sera sa principale réalisation : le grand livre de l’histoire du Brésil au prisme de l’esclavage ne verra jamais le jour. Étrangement, Pallares-Burke n’approfondit pas vraiment les causes de cet échec : on a du mal à comprendre ce qui a pu empêcher Bilden d’écrire les 300 pages nécessaires à la soutenance d’une thèse de doctorat. La publication de Casa Grande e Senzala par Freyre a certes dû freiner son enthousiasme, mais ce ne peut être une raison suffisante. Dans les années 1930, il est pris dans la crise économique qui réduit les crédits des universités et il devient un spécialiste des relations raciales sans poste et sans carrière. Il obtient cependant un contrat de trois ans au City College de New York puis à la Fisk dans le Tenessee où il a l’occasion de travailler avec Donald Pierson, Robert Park, Ruth Landes et Charles Johnson. Pallares-Burke suppose que c’est en raison du temps que Bilden consacre à ses étudiants, que ses écrits n’avancent pas, mais on a du mal à être convaincu. Il faudrait sans doute envisager des explications psychologiques permettant de rendre compte à la fois de l’orgueil intellectuel de l’érudit allemand et de son refus de produire un document devant affronter la critique de ses pairs.

5Avec le début de la guerre, la situation de Bilden empire car sa nationalité allemande bloque toutes les opportunités d’emploi. Il survit grâce à de petits contrats, des emprunts d’argents, des conférences. Il participe ensuite aux activités d’intellectuels travaillant pour l’émancipation des Noirs aux États-Unis (il est notamment lié au NAACP) et enchaîne les projets avortés : recherches au Brésil, fondation d’un centre de recherche sur l’Amérique latine. Dans les années 1950, il renonce à toute carrière académique et se fait employé de bureau, ce qui lui permet « au moins de ne pas souffrir de la faim ». Bilden meurt dans l’oubli complet en 1980. On ignore comment il passa les 30 dernières années de sa vie.

6On sait en revanche, et Pallares Burke le montre bien, comment Freyre s’efforça de minimiser ce qu’il devait à Bilden, voire même les qualités de ce dernier et les espoirs qui avaient été placés en lui, notamment par Oliveira Lima. Dans la construction de sa légende Freyre avait besoin de se présenter comme le seul vrai pionnier, or il est bien évident qu’il a utilisé une partie des idées de son ami allemand.

7Le livre que nous propose l’historienne brésilienne est donc un document utile, bien écrit, très bien documenté. On saluera les efforts de recherche déployés pour trouver dans les archives personnelles et publiques américaines toutes les informations concernant Rudiger Bilden. On appréciera également la traduction en fin de volume d’un texte peu connu de Bilden (mais malheureusement pas l’article de The Nation). Il n’en demeure pas moins que le livre reste d’une certaine manière une composition hybride qui cherche un peu son public. Il n’y a guère en effet qu’un lecteur érudit qui puisse s’intéresser à ce sujet. Pourtant Pallares-Burke consacre de longs passages à décrire des faits d’histoire générale ou d’histoire sociale américaine largement connus. De même, travers quasi inévitable du genre biographique, l’auteur semble s’attacher à Bilden pour lui-même en tant que personne, perdant ainsi parfois de vue ce qui peut rendre intéressant sociologiquement ou historiquement, son cas. S’attacher à la personne nous fait perdre de vue certains aspects de la constitution du champ du brésilianisme aux États-Unis à l’époque. Concernant l’amitié avec Freyre, sous-titre du livre, le lecteur reste également un peu sur sa faim concernant les années à Columbia et la dynamique du groupe formé avec Simkins. Pallares-Burke insiste plutôt sur l’ingratitude de Freyre dans les années 1970. C’est qu’à l’évidence, comme souvent dans les travaux portant sur des « perdants », l’auteur souhaite réhabiliter Bilden et montrer l’importance de ses idées. Mais le livre aurait gagné à s’éloigner un peu de la personne de Bilden et à mieux mettre en perspective ses idées : leur constitution matérielle (ce que Bilden a emprunté aux livres ou à ses observations brésiliennes), leurs limites, leurs évolutions et surtout leur postérité (car l’article de The Nation est un texte classique). Ces remarques n’enlèvent cependant que peu à l’intérêt d’un livre qui nous offre une plongée dans l’univers de la recherche sur le Brésil des années 1920-1940 et constitue une pièce indispensable dans la compréhension de l’œuvre de Freyre.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christophe Brochier, « Pallares-Burke, Maria Lúcia Garcia. 2012. O triunfo do fracasso. Rudiger Bilden, o amigo esquecido de Gilberto Freyre »Brésil(s), 4 | 2013, 217-222.

Référence électronique

Christophe Brochier, « Pallares-Burke, Maria Lúcia Garcia. 2012. O triunfo do fracasso. Rudiger Bilden, o amigo esquecido de Gilberto Freyre »Brésil(s) [En ligne], 4 | 2013, mis en ligne le 15 avril 2014, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/364 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bresils.364

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Auteur

Christophe Brochier

Université Paris 8
Laboratoire CREDA (IHEAL-Paris 3)

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