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Dossier – Droits humains et mouvements sociaux au Brésil : acteurs et (dés)institutionnalisation

« Nous nous voulons vivantes, libres et sans peur » : une analyse du processus d’adoption de la loi Maria da Penha au Congrès national brésilien

« Nos queremos vivas, livres e sem medo »: uma análise do processo de tramitação da Lei Maria da Penha no Congresso Nacional brasileiro
« We Want Ourselves Alive, Free and Fearless »: An analysis of the Adoption Process of the Maria da Penha Law at the Brazilian National Congress
Beatriz Rodrigues Sanchez
Traduction de Marlène Monteiro

Résumés

Comment fonctionne le lien entre la présence de femmes au parlement et l’approbation de projets de loi en faveur de l’égalité de genre ? Pour répondre à cette question, je me suis intéressée au processus d’adoption de la Loi Maria da Penha au Congrès national du Brésil. Sur le plan méthodologique, j’ai réalisé une étude de cas en m’appuyant sur l’analyse de documents et d’entretiens. Celle-ci a permis d’identifier des mécanismes qui contribuent à articuler la représentation descriptive et la représentation substantive des femmes. Parmi ces mécanismes figurent : la capacité à traduire les demandes des mouvements en normes juridiques, le soutien du pouvoir exécutif, la formation de coalitions majoritaires au sein du pouvoir législatif, l’implication des mouvements féministes dans la défense de la proposition et l’occupation par des fémocrates de fonctions de leadership au sein du parlement.

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Notes de la rédaction

Article reçu pour publication en mai 2023 ; approuvé en août 2023.

Texte intégral

  • 2 Extrait du poème intitulé « ¿Por qué grita esa mujer ? » de Susana Thénon (2019), poétesse argenti (...)

« Pourquoi cette femme crie-t-elle ?
Pourquoi crie-t-elle ?
Pourquoi cette femme crie-t-elle ?
Allez savoir2 »
Susana Thénon

1L’adoption de la loi Maria da Penha a marqué un tournant dans la lutte contre la violence faite aux femmes au Brésil. Historiquement, les mouvements féministes du pays revendiquaient principalement le droit de vivre sans violence. À partir des années 1970, plusieurs féminicides ont choqué l’opinion publique brésilienne et entraîné une intensification de la mobilisation autour de cette question. Depuis, de nombreuses victoires institutionnelles dans la lutte contre les violences de genre ont été obtenues, grâce à l’interaction entre les mouvements féministes et l’État brésilien.

2Malgré de précédentes avancées, comme la création de cellules spéciales d’accueil des femmes (Delegacias especiais de atendimento à mulher, DEAM) dans les années 1980, on peut considérer la loi Maria da Penha comme l’une des mesures majeures que l’État brésilien a adoptées pour éradiquer la violence envers les femmes, car elle comporte un certain nombre d’innovations. On peut citer, par exemple, la perspective transversale entre les différents secteurs des politiques publiques ; l’approche intersectionnelle, en termes d’interaction entre race, genre, classe, orientation sexuelle, identité de genre et situation de handicap, dans la détermination des conditions de vulnérabilité des femmes ; et la prise en compte des différentes dimensions de la violence, non seulement physique, mais aussi psychologique, morale et patrimoniale (Barsted 2011). En outre, c’était la première fois que la catégorie « violence de genre » était inscrite dans un texte de loi au Brésil.

  • 3 Le mot fémocrate est utilisé ici pour désigner des parlementaires féministes qui œuvrent proactive (...)

3Cette loi rend hommage à Maria da Penha Maia Fernandes, une pharmacienne vivant dans le Ceará, agressée maintes fois par son mari au fil des ans. En 1983, elle a été victime de deux tentatives d’assassinat, la deuxième l’ayant laissée paraplégique. Malgré la gravité de l’affaire, son agresseur n’a pas été condamné. Grâce aux mouvements féministes, Maria da Penha a alors fait appel aux organisations internationales de défense des droits humains pour que l’État brésilien soit sommé de prendre ses responsabilités dans cette affaire, dans la mesure où l’enquête judiciaire au Brésil était au point mort depuis 19 ans. L’interaction des militantes féministes et des fémocrates3 avec les organisations internationales a été fondamentale pour que la thématique de la lutte contre la violence envers les femmes acquière une légitimité. Les traités internationaux ratifiés par le Brésil sur la question ont servi d’instrument de pression pour les mouvements.

4La littérature féministe, en particulier celle consacrée au thème de la violence, a déjà abordé en profondeur divers aspects de la loi Maria da Penha, tels que les difficultés de sa mise en œuvre (Pasinato 2015) et l’historique du débat sur la violence envers les femmes au sein des mouvements féministes (Teles 2017). En ce qui concerne plus particulièrement l’interaction entre ces derniers et le pouvoir législatif, au cours du processus d’examen de cette loi, Carone (2018) a analysé le rôle du consortium des organisations non gouvernementales (ONG) féministes, qui étaient à l’initiative de la rédaction de l’avant-projet de loi, mais contrairement à cet article, elle adopte la perspective analytique de la littérature sur les mouvements sociaux. Maciel (2011) a étudié la collaboration des mouvements féministes avec les organismes internationaux, pour faire approuver la loi Maria da Penha, mais elle s’est intéressée à l’impact de ce processus sur les mouvements, et non à l’interaction socio-étatique entre les militantes et les fémocrates, ni aux effets de cette interaction.

5Nous pouvons ainsi dire que l’analyse du processus législatif dans ses différentes étapes (compte tenu de sa nature fragmentaire), et de l’alliance entre les mouvements féministes et les fémocrates, à partir de la perspective du féminisme d’État, constitue une nouvelle contribution à la littérature sur le sujet. Les théories féministes de la représentation politique nous permettent de regarder au-delà des règles institutionnelles et du calcul politique des parlementaires (considérés comme des acteurs rationnels), une approche communément adoptée par le courant néo-institutionnaliste de la science politique. Ces théories proposent un saut analytique qui permet de relier l’activisme des mouvements à l’action des parlementaires, sans négliger les contraintes générées par les institutions.

6L’intérêt de ce travail pour la littérature sur le sujet réside également dans le fait que les études sur les mouvements féministes et l’État se sont concentrées sur l’analyse du pouvoir exécutif, reléguant au second plan les conquêtes féministes obtenues grâce au pouvoir législatif. En écho aux théories féministes de la représentation politique, cet article vise à analyser, à travers une étude de cas du processus d’adoption de la loi Maria da Penha, comment la représentation descriptive (présence de femmes au parlement) peut se transformer en représentation substantive (défense ou approbation de programmes en lien avec les intérêts des femmes) (Pitkin 1967 ; Phillips 1995). En d’autres termes, quels sont les mécanismes qui font que ce lien est possible ?

  • 4 Au total, j’ai effectué 21 entretiens dans le cadre de ma thèse qui est à l’origine de cet article (...)

7Pour répondre à cette question, j’ai effectué des entretiens approfondis avec des militantes féministes et fémocrates qui ont accompagné le processus d’adoption de la loi Maria da Penha4. Je me suis également servie de sources documentaires disponibles sur le site Internet de la Chambre des députés et du Sénat, comme les archives sur le processus d’adoption du projet de loi, la transcription des discours des parlementaires pendant les sessions, les rapports rédigés par les parlementaires pendant l’examen du projet, les rapports sur les audiences publiques et les fiches d’examen du projet. J’ai, de plus, analysé les articles de presse publiés pendant cette période, et les entretiens accordés aux médias par les militantes et les fémocrates.

8Cet article se divise en quatre parties. Dans un premier temps, j’analyserai les principales conquêtes des mouvements féministes dans la lutte contre la violence envers les femmes, avant l’élaboration de la loi Maria da Penha, afin de contextualiser le problème et de rappeler la trajectoire des féministes pionnières. Je m’intéresserai ensuite à l’action féministe à l’échelle internationale, qui a donné une légitimité aux revendications et fait pression sur l’État brésilien pour qu’il adopte des mesures de lutte contre la violence envers les femmes. Puis, j’analyserai le processus d’adoption de la loi Maria da Penha par le Congrès national. Enfin, je soulignerai les principales conclusions et contributions théoriques que l’on peut tirer de cette étude de cas, notamment en ce qui concerne l’identification des mécanismes qui permettent de relier les représentations descriptive et substantive des femmes.

La lutte contre la violence envers les femmes : une exigence historique des mouvements féministes

  • 5 À l’époque, au Brésil, on ne parlait pas encore de féminicide. L’expression le plus couramment uti (...)

9D’après Leila Barsted (2011), même si la question de la violence envers les femmes figurait déjà dans le programme des mouvements féministes, c’est à partir des années 1970 qu’elle a pris de l’ampleur. À cette époque, plusieurs « assassinats de femmes », aujourd’hui qualifiés de « féminicides5 », s’étaient produits en divers lieux du pays, ce qui avait ému l’opinion publique.

10Un des cas ayant eu un très grand retentissement est celui d’Ângela Diniz et de Raul Fernando do Amaral Street, dit Doca Street, en 1976. Après une dispute, ce dernier a sorti un revolver et tué sa maîtresse de trois balles au visage et une dans la nuque, avant de prendre la fuite. L’affaire n’a été jugée qu’en 1979, trois ans après le crime. Les mouvements féministes se sont révoltés, non seulement à cause du délai d’instruction de l’affaire, mais également en raison des arguments de la défense de l’agresseur, le jour du procès : comme il est fréquent dans les cas de violences contre les femmes, c’est sur la victime qu’a été rejetée la responsabilité Evandro Lins e Silva, connu pour avoir défendu des prisonniers politiques sous le régime militaire, a déclaré :

  • 6 L’extrait de la plaidoirie d’Evandro Lins e Silva est tiré du site Internet de la section de São P (...)

L’exemple de la « femme fatale » permet d’expliquer pourquoi l’homme désespère, pourquoi il est parfois amené à commettre des actes dans lesquels il n’est plus lui-même et agit contre sa propre nature. Messieurs les jurés, la « femme fatale » envoûte, séduit, domine, c’est ce qu’il s’est produit pour Raul Fernando do Amaral Street6.

  • 7 Les informations sur le jour du procès sont tirées du podcast « Praia dos ossos », de Rádio Novelo (...)

11Cet extrait montre qu’à l’époque, la question de la lutte contre la violence domestique était loin de faire consensus, même dans le camp progressiste. D’après la plaidoirie de l’avocat, Ângela Diniz était une « femme fatale », coupable d’avoir séduit l’accusé qui n’avait pas pu maîtriser ses instincts naturels et avait commis un acte contre sa volonté « rationnelle ». Lors du premier procès, Ângela Diniz n’a pas seulement été qualifiée de séductrice, mais aussi de « Vénus lascive » et de « prostituée de luxe7 ».

  • 8 Il est important de souligner que les caractéristiques de la féminité ont été historiquement const (...)
  • 9 Nous faisons ici la distinction entre catégorie et concept, dans la mesure où les catégories peuve (...)

12Outre la description des victimes comme des femmes qui ne se conformeraient pas aux valeurs morales en matière de comportement sexuel, la naturalisation de la violence chez les hommes est une autre caractéristique courante dans les cas de violences faites aux femmes. C’est pour cette raison que le recours au concept de genre par les théoriciennes et les militantes féministes a été fondamental à l’époque. En effet, il permet de démontrer que les schémas de socialisation des hommes et des femmes, qui voudraient que les premiers soient naturellement violents et que les secondes (lorsqu’elles sont blanches) soient délicates et sensibles8, ne sont pas naturellement ou biologiquement intrinsèques, mais résultent de constructions sociales des rôles genrés. Le combat politique pouvait donc modifier ces schémas. La catégorie « violences de genre » a ainsi commencé à remplacer celle de « violences contre les femmes » chez les militantes9.

  • 10 Pour en savoir plus sur d’autres cas d’assassinats de femmes à cette époque, voir Blay (2008).

13Face à des cas comme celui d’Ângela Diniz10, les mouvements féministes se sont organisés pour amener sur le devant de la scène ce qui était auparavant considéré comme relevant de la sphère privée. La lutte contre la violence envers les femmes a ainsi brisé la séparation entre sphères publique et privée. Partant de l’idée, primordiale pour les féminismes des années 1960, que le personnel est politique, les féministes ont commencé à critiquer la maxime jusqu’alors répandue, selon laquelle « on ne met pas son nez dans les disputes entre mari et femme ». Elles ont répliqué par le slogan « le silence est complice de la violence » (Teles 2017).

14Le cas d’Ângela Diniz met à nu une logique que l’on pourrait qualifier de double morale sexuelle, permissive pour les hommes et répressive pour les femmes, et qui circule encore aujourd’hui (Lage & Nader 2013). Les femmes « honnêtes » et « de bonne famille » seraient le modèle à suivre, par opposition aux « libertines », qui devraient être contrôlées par leur mari. Cette idée est restée dans la législation brésilienne jusqu’en 2003. Jusque-là, le code pénal stipulait que les crimes commis contre d’« honnêtes femmes » constituaient une circonstance aggravante.

15Après l’assassinat d’Ângela Diniz et d’autres cas célèbres de féminicides, les mouvements féministes ont commencé à faire pression sur l’État brésilien pour qu’il crée des cellules spéciales contre les violences faites aux femmes. Cette mobilisation a donné lieu à la création de la première cellule spéciale d’accueil des femmes (DEAM) dans l’État de São Paulo en 1985. Par la suite, d’autres États brésiliens ont commencé à se doter de ce type de service. Au cours de la même année, a été créé le Conseil national des droits des femmes, qui a lancé la campagne nationale « Dénonçons la violence faite aux femmes » (Bandeira 2019).

16Le contexte politique de la mobilisation féministe contre la violence domestique a été marqué par le processus de redémocratisation. Au cours des années 1960 et 1970, la dictature, qui se caractérisait par un mélange de machisme et de militarisme institutionnels, a particulièrement violé les droits des femmes et persécuté les militantes. Le corps, la sexualité féminine et la maternité sont des éléments de l’expérience des femmes dont le pouvoir s’est servi pour exercer sur elles des formes de torture encore plus cruelles, comme le viol. La création d’une presse alternative (Freitas 2018) et de réseaux de formation féministes (qui opéraient souvent dans la clandestinité) constituait une stratégie de résistance qui a permis à la mobilisation politique féministe de continuer à exister, même pendant les années dites de plomb.

17La redémocratisation a eu pour effet de rapprocher les mouvements féministes, mais aussi les mouvements sociaux en général, de l’État, ce qui a permis d’infléchir la formulation et la mise en œuvre de politiques publiques (Gurza Lavalle et al. 2019). Grâce à une plus grande perméabilité des canaux de l’État après la période autoritaire, l’institutionnalisation et la contestation des fonctions étatiques, y compris des mandats électifs, ont commencé à s’inscrire dans les objectifs des militantes. Dès lors, les mouvements féministes ont obtenu une série de mesures, notamment en matière de lutte contre la violence envers les femmes.

  • 11 Il est important de noter que la criminalisation de la violence contre les femmes ne faisait pas c (...)

18La mobilisation qui a eu lieu pendant la période de l’Assemblée nationale constituante (1987-1988) a marqué une autre étape fondamentale de l’institutionnalisation de la lutte contre cette violence. Les femmes parlementaires se sont organisées autour d’un mouvement qui est resté connu sous le nom de « lobby du rouge à lèvres ». Pour préparer les débats de l’Assemblée constituante, les mouvements féministes ont parcouru le pays afin de discuter avec les femmes et s’enquérir de leurs principales revendications. À l’issue de ce travail, les mouvements ont rédigé la « Lettre des femmes brésiliennes aux membres de la Constituante » (Pitanguy 2019). Entre autres revendications, elles y demandaient la « criminalisation de tout acte d’agression physique, psychologique ou sexuelle contre les femmes, au sein du foyer ou à l’extérieur11 ».

19L’une des victoires du groupe de femmes parlementaires et des mouvements féministes durant cette période a été l’inscription, dans le texte même de la Constitution, de la lutte contre la violence domestique. L’article 226, alinéa 8, de la Constitution fédérale de 1988 dispose que : « l’État garantit l’assistance à la famille en la personne de chacun de ses membres, en créant des mécanismes pour empêcher la violence dans la cadre de leurs relations ». Comme nous le verrons plus loin, cet extrait de la Constitution a servi de fondement aux arguments sur la constitutionnalité de la loi Maria da Penha lors de l’examen du projet de loi.

20Après l’Assemblée nationale constituante de 1988, des maisons refuge (casas abrigo) ont été créées pour protéger les femmes qui couraient un danger de mort imminent. Puis, en 1995, des tribunaux criminels spéciaux (juizados especiais criminais, JECRIM) ont été instaurés. Ces derniers ont fait l’objet d’un conflit majeur entre les mouvements féministes et les acteurs juridiques, durant le processus d’examen de la loi Maria da Penha. Ces tribunaux étaient présentés comme une alternative au jugement dans les tribunaux criminels, non seulement pour les cas de violence domestique, mais aussi pour toutes les affaires présentant un « moindre potentiel offensif ». Les JECRIM étaient des instances conçues pour démocratiser l’accès à la justice. L’idée était que les affaires jugées par ces tribunaux pouvaient être résolues par la médiation, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’emprisonnement comme forme de sanction. Cette vision reposait sur le constat que le système pénitentiaire brésilien ne fonctionnait pas correctement et que la réinsertion des détenus n’était pas satisfaisante. En ce sens, les JECRIM pouvaient représenter un progrès en comparaison avec une vision punitive de la loi (Pasinato 2015).

21Cependant, du point de vue des mouvements féministes, les JECRIM constituaient un pas en arrière. Dans la pratique, au fil du temps, près de 80 % des affaires entendues dans ces juridictions étaient des cas de violence domestique. Dans la mesure où l’objectif des JECRIM était de proposer des peines n’impliquant pas d’emprisonnement, les agresseurs, lorsqu’ils étaient jugés, étaient condamnés à des peines qui consistaient le plus souvent à payer des paniers alimentaires ou d’autres types de mesures alternatives. De plus, les victimes continuaient à vivre sous le même toit que leurs agresseurs. Les tribunaux organisaient des audiences entre victimes et agresseurs afin d’inciter à la conciliation entre les parties et de rétablir « l’harmonie familiale », sans tenir compte des relations de pouvoir qui se jouaient dans les cas de violence domestique. Un autre argument de la critique par les mouvements féministes, était le fait qu’avec la création des JECRIM, les cas de violence contre les femmes entraient dans la catégorie des crimes dits de « moindre potentiel offensif » (Pasinato 2015).

22Plus récemment, en 2005, un centre d’appel pour les femmes – Ligue 180 [Appelez le 180] – a été mis en place. Son rôle ne se limite pas à servir de canal pour dénoncer un cas de violence domestique, il sert aussi à informer les femmes victimes de violence, sur leurs droits et sur les autres services à leur disposition pour répondre à leurs demandes. Lorsque le centre reçoit une plainte, il transmet les informations existantes et oriente la victime vers les services du réseau d’aide le plus proche de son domicile. La création de ce canal a marqué une étape importante dans la garantie de l’accès universel aux politiques publiques de lutte contre les violences envers les femmes, puisque c’est un service gratuit et accessible aux femmes dans tout le pays.

L’action féministe internationale sur la question de la violence domestique envers les femmes

  • 12 C’est le premier traité international créé spécifiquement pour lutter contre les violences envers (...)

23Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Cedaw, selon son acronyme en anglais) de l’Organisation des Nations unies (ONU), adopté par l’Assemblée générale en 1979, et la Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre les femmes12 – également connue sous le nom de Convention de Belém do Pará – de l’Organisation des États américains (OEA), ratifiée par le Brésil en 1994, sont les deux principaux cadres juridiques internationaux créés pour lutter contre la violence envers les femmes. Ils ont joué un rôle fondamental dans la reconnaissance de la violence envers les femmes comme problème dépassant les frontières des États nationaux et devant donc être combattu au niveau international. Les mouvements féministes se sont appuyés sur ces conventions pour faire pression sur les gouvernements nationaux afin qu’ils adoptent des politiques publiques de lutte contre la violence domestique (Maciel 2011). Il en a été de même au Brésil.

24La Convention de Belém do Pará, dont le Brésil est signataire, définit la violence contre les femmes comme « tout acte ou conduite fondé sur le genre qui cause la mort, un préjudice ou une souffrance physique, sexuelle ou psychologique à une femme, que ce soit dans la sphère publique ou dans la sphère privée ». Elle reconnaît ainsi les différentes formes d’exercice de la violence (outre la violence physique), ce qui était important pour l’élaboration de la loi Maria da Penha. La Convention de Belém do Pará, tout comme la convention de l’ONU, ont été instaurées pour responsabiliser les États signataires afin qu’ils mettent en œuvre des mécanismes de lutte contre la violence envers les femmes, qui permettent non seulement de donner de la visibilité à cette dernière, mais aussi de mesurer la gravité du phénomène.

25En 1996, le cas du féminicide de Márcia Leopoldi, assassinée à l’âge de 24 ans par son petit ami, José Antônio Brandão do Lago, a été porté devant la Commission interaméricaine des Droits humains (CIDH) de l’OEA par des organisations féministes et de défense des droits humains. La Commission a toutefois jugé l’affaire irrecevable car elle s’était déroulée en 1984, avant l’adoption des conventions internationales de lutte contre la violence envers les femmes. Malgré le verdict, les relations entre les mouvements féministes brésiliens et les organisations internationales pour dénoncer les cas de violence contre les femmes ont alors commencé à se renforcer (Leopoldi, Teles & Gonzago 2007).

26De même, en 1998, le cas de Maria da Penha a été soumis par des mouvements féministes à la CIDH de l’OEA (Maciel 2011). Les mouvements dénonçaient la négligence de l’État brésilien dans le jugement de l’agresseur de cette dernière, des années après la tentative d’assassinat. En 2001, la CIDH a condamné le Brésil pour avoir failli au respect des deux traités internationaux cités plus haut, dont il était signataire. D’après le jugement de la Commission, « le Brésil n’a pas garanti un procès équitable contre l’agresseur dans un délai raisonnable ». Elle recommandait également de poursuivre et d’intensifier le processus de réforme législative, afin d’éviter la tolérance de l’État et le traitement discriminatoire de la violence domestique envers les femmes au Brésil. Cette condamnation a eu de grandes répercussions dans les médias brésiliens et a servi de justification pour renforcer la mobilisation féministe sur cette question.

  • 13 L’article 2 de la loi stipule que « toute femme, indépendamment de sa classe, de sa race, de son e (...)

27En 2001, l’action d’organisations féministes de femmes noires, lors de la Conférence internationale contre le racisme tenue à Durban, en Afrique du Sud, a permis de faire reconnaître les spécificités des violences faites aux femmes noires, selon une approche intersectionnelle (Maciel 2011). Comme le soulignent les militantes et théoriciennes féministes noires, l’articulation entre genre et race fait que les formes et l’intensité des violences vécues par les femmes noires sont différentes de celles vécues par les femmes blanches (Carneiro 2003 ; Davis 2016). C’est pourquoi il serait nécessaire d’adopter une perspective intersectionnelle, pour les questions aussi bien méthodologiques que politiques, pour lutter contre la violence envers les femmes, ce qui a également été pris en compte dans la loi Maria da Penha13.

28L’analyse des traités internationaux sur la violence envers les femmes dont le Brésil est signataire a été l’un des éléments de l’articulation entre politique et recherche, menée par les mouvements féministes et, plus particulièrement, par le consortium des ONG féministes chargé de rédiger l’avant-projet qui a abouti à la loi Maria da Penha. Certaines des militantes qui faisaient partie du consortium, principalement composé de juristes féministes, ont participé aux rencontres à l’initiative des organisations internationales et, à cette occasion, ont défendu la nécessité pour le Brésil de s’associer aux efforts internationaux pour éradiquer la violence contre les femmes.

29Le mouvement féministe international a contribué à faire en sorte que les différentes formes de violence contre les femmes ne soient plus interprétées comme des actes justifiables en vertu de la « légitime défense de l’honneur », mais comme de graves violations des droits humains. Ce changement de paradigme était important pour légitimer la revendication des mouvements féministes, afin que soit créée au Brésil une législation nationale spécifique de lutte contre la violence de genre.

Le processus d’examen et d’approbation de la loi Maria da Penha au Congrès

30Compte tenu du contexte national et international des avancées réglementaires dans le combat contre les violences faites aux femmes, et de la légitimité croissante qui en résultait, les mouvements féministes ont estimé que le moment était venu de proposer un projet de loi ample et documenté sur le sujet, pour coordonner les actions de l’État brésilien à tous les niveaux fédératifs. Avant l’approbation de la loi Maria da Penha, les politiques de lutte contre la violence envers les femmes, bien qu’existantes, étaient éparses et fragmentées. À partir de 2002, les organisations féministes se sont donc lancées dans la rédaction de l’avant-projet qui allait aboutir à l’approbation de la loi Maria da Penha en 2006.

31L’avant-projet de loi a été élaboré par le consortium des ONG féministes qui se composait des organisations suivantes : Citoyenneté, étude, recherche, information et action (Cidadania, estudo, pesquisa, informação e ação – Cepia) ; Centre féministe d’études et de conseil (Centro feminista de estudos e assessoria – Cfemea) ; Actions pour le genre, la citoyenneté et le développement (Ações em genero cidadania e desenvolvimento – Agende) ; Défense citoyenne des droits humains (Advocacia cidadã pelos direitos humanos – Advocaci) ; Comité d’Amérique latine et des Caraïbes pour la défense des droits des femmes (Comité de América Latina y el Caribe para la Defensa de los Derechos de las Mujeres – Cladem) ; et, enfin, Themis – Genre, justice et droits humains. Le consortium comptait aussi avec la contribution de plusieurs juristes et chercheuses féministes qui étaient membres de ces organisations. Il a été créé afin d’influer politiquement sur le processus législatif, dans une perspective critique et féministe du droit. La création du consortium illustre la professionnalisation progressive des militantes féministes. Ce processus est allé de pair avec un contexte plus général d’institutionnalisation des mouvements sociaux au Brésil. Cette professionnalisation a permis à la mobilisation autour du projet de loi Maria da Penha d’avoir une plus grande capacité d’influence sur l’État, en particulier au Congrès national, en dépit de la sous-représentation politique des femmes, que ce soit à la Chambre des députés ou au Sénat. L’expertise technique des membres du consortium leur a permis de traduire les demandes des mouvements féministes dans un langage juridique, ce qui a facilité l’élaboration de la loi grâce à la rédaction d’un avant-projet.

32D’après Leila Barsted (2011), les principaux objectifs de la loi Maria da Penha étaient les suivants : apporter une définition juridique de la violence envers les femmes (dans toutes ses dimensions) ; instaurer des mesures de prévention de la violence ; élargir les compétences des postes de police ; garantir aux femmes victimes de violence le droit d’être assistées par le défenseur public, comme en bénéficient les accusés ; et mettre en place des mesures d’éloignement des agresseurs afin de protéger leurs victimes.

33En 2003, les militantes ont présenté leur avant-projet au groupe des femmes du Congrès national et au Secrétariat des politiques pour les femmes (SPM). Le processus de préparation de l’avant-projet s’est caractérisé par une interaction entre le consortium d’ONG, les fémocrates du parlement et le SPM. Il convient de souligner que la création du SPM en 2003, sous le premier gouvernement Lula, était le fruit de revendications émanant des mouvements féministes. L’une des principales interlocutrices de ces derniers, au sein de l’exécutif, était la ministre du SPM à l’époque, Nilcéa Freire. C’est à l’initiative du SPM que le projet a été présenté par le pouvoir exécutif au Congrès national.

34En 2004, un groupe de travail interministériel a été formé au sein du gouvernement pour analyser l’avant-projet. Il était composé de représentants des entités suivantes : le Secrétariat spécial des politiques pour les femmes, qui pilotait le groupe de travail ; la Maison civile de la Présidence de la République ; le bureau du procureur général de l’Union ; le ministère de la Santé ; le Secrétariat spécial des Droits humains de la Présidence de la République ; le Secrétariat spécial des politiques de promotion de l’égalité raciale de la Présidence de la République ; le ministère de la Justice et le Secrétariat national de la sécurité publique.

35La composition du groupe de travail montre le soutien du gouvernement à l’avant-projet, ce qui nous aide à comprendre le rapprochement préalablement effectué par les mouvements féministes et l’approbation de la proposition au Congrès qui en a résulté. À l’époque, les partis qui composaient la base du gouvernement étaient majoritaires au sein du Congrès, ce qui a créé une conjoncture favorable à l’adoption du projet. Les militantes ainsi que les fémocrates avaient bien conscience de ces rapports de force lors de la présentation du projet de loi. En outre, le contexte international de développement du débat sur les violences faites aux femmes a contribué à faire pression sur les parlementaires, pour qu’ils adoptent le projet de loi, et ce, grâce aux organisations internationales qui avaient préconisé des modifications des législations nationales pour améliorer la lutte contre ce type de violence.

36Au cours de l’activité du groupe de travail, l’organisation de plusieurs débats, séminaires et ateliers, auxquels participaient des mouvements féministes, a permis de recevoir les demandes des femmes brésiliennes sur le thème de la violence domestique. L’élaboration de la proposition a ainsi inclus une large participation des mouvements féministes.

37Après ce travail d’articulation, qui a réuni différentes actrices pour élaborer l’avant-projet, celui-ci, répertorié sous le numéro 4559/2004, qui allait donner naissance à la loi Maria da Penha, a finalement été présenté au Congrès national pour y être examiné. Le Conseil d’administration de la Chambre des députés a ensuite transmis le projet aux commissions suivantes : la Commission de la Sécurité sociale et de la Famille ; la Commission des Finances et de la Fiscalité (CFT) ; et la Commission de la Constitution et de la Justice (CCJ). Au début de l’année 2005, la députée Jandira Feghali (Parti communiste du Brésil – PCdoB), l’une des protagonistes du processus d’examen du projet, a été désignée rapporteuse par la Commission de la Sécurité sociale et de la Famille. Elle raconte comment elle a fait le lien entre son mandat et les revendications du consortium des ONG féministes :

  • 14 La Commission de législation participative a été créée en 2001 pour promouvoir la participation de (...)
  • 15 Jandira Feghali a fait cette déclaration lors du débat « Dialogues sur la loi Maria da Penha : le (...)

Je me souviens de Leila [Barsted], arrivant avec d’autres camarades au Congrès national, pour essayer d’obtenir que le texte de base soit construit à partir de l’initiative de la société civile, à partir de la Commission de participation législative14. Elle m’a contactée pour que nous en parlions. Elle s’appuyait sur le droit international, la Convention de Belém do Pará et sur la nécessité pour le Brésil d’apporter une réponse à la question de la violence domestique. À ce moment-là, je me suis immédiatement sentie concernée par la nécessité de répondre au niveau parlementaire15.

38La députée a été chargée de convoquer la première audience publique pour discuter du projet. Y ont été conviées : Nilcéa Freire, alors ministre du SPM, Leila Barsted, militante de l’ONG féministe Cepia, Silvia Pimentel, militante de l’ONG féministe Cladem et la procureur fédérale Ela Wiecko de Castilho. La composition de cette première audience nous permet de constater la participation des organisations féministes dès la première phase du processus d’examen du projet. Pour Jandira Feghali, des aspects spécifiques de la loi Maria da Penha ont été soulevés lors des audiences publiques, par exemple l’alourdissement de la peine en cas de violence contre des femmes en situation de handicap.

39Jandira Feghali a évoqué un autre point important, à savoir, le rôle des conseillers au cours du processus d’examen du projet de loi, dans la construction du dialogue avec les mouvements féministes. Elle cite Beatriz Figueiredo, l’une de ses conseillères qui, selon la députée, « s’est brillamment acquittée de sa mission ». Ceci montre que les études sur les interactions entre les mouvements sociaux et le pouvoir législatif ne doivent pas seulement prendre en compte le travail des parlementaires, mais aussi celui de ceux qui, comme les conseillers, assurent en coulisse un travail d’articulation politique et de recherche, qui ne sont pas toujours sous les projecteurs et qui finissent par ne pas être reconnus à leur juste valeur. Bien souvent, les conseillers disposent de plus d’informations sur le processus d’examen des propositions législatives que les parlementaires eux-mêmes.

40Le 20 avril 2005, afin de débattre du projet de loi avec les autres secteurs de la société, Jandira Feghali a présenté une demande d’organisation d’un séminaire en partenariat avec les Commissions de la Constitution et de la Justice et de la Citoyenneté (CCJC) ; des Droits humains et des Minorités ; de la Sécurité publique et de la Lutte contre le crime organisé ; et des Finances et de la Fiscalité. Ce séminaire a été l’un des nombreux événements organisés autour de la discussion du projet, et de la recherche d’appuis au sein du Congrès national. Pour elle, l’expérience de rapporteuse de la loi Maria da Penha à la Chambre des députés a été une grande leçon sur le fonctionnement d’un mandat populaire :

J’ai effectué une tournée nationale pour connaître le Brésil profond. Je suis allée dans les régions, dans les États, pour écouter les femmes, comprendre les différences régionales et les raisons qui les amenaient à porter plainte ou non. Il fallait comprendre comment ces femmes pensaient. [...] À chaque consultation, à chaque audience publique, nous avons construit ce texte à partir des témoignages des femmes. Je revenais avec les revendications, et on s’asseyait ensemble. Le gouvernement nous accompagnait à travers le SPM. Cette loi a été écrite à beaucoup de mains.

41En août 2005, la députée a présenté son rapport en faveur de l’approbation du projet de loi. Elle y faisait valoir que l’objectif de la proposition était de mettre en application les dispositions de l’alinéa 8 de l’article 226 de la Constitution fédérale, qui, comme nous l’avons vu plus haut, est le fruit des revendications des parlementaires constituants et prévoit l’obligation pour l’État d’instaurer des mécanismes de lutte contre la violence domestique. Le consortium des ONG féministes était décrit dans le rapport comme étant à l’origine de l’élaboration de l’avant-projet, un signe de la reconnaissance de son travail. Les traités internationaux créés pour lutter contre la violence envers les femmes, et dont le Brésil est signataire, étaient également mentionnés dans le rapport de la députée.

42La discussion sur le rôle des JECRIM, établis par la loi 9099/95, qui étaient l’objet de l’une des principales controverses autour de la loi Maria da Penha, était mentionnée dans le document. Comme je l’ai évoqué plus haut, ces instances ont été créées pour démocratiser l’accès à la justice et proposer des peines alternatives. Mais d’après les militantes, dans les cas de violence domestique, elles ont fini par reproduire une vision patriarcale du droit. Les JECRIM, dont le principal objectif a toujours été de promouvoir la conciliation entre les parties, devraient se limiter à juger les seuls délits considérés comme ayant un « moindre potentiel offensif ». Dans la mesure où les cas de violence domestique entraient dans cette catégorie, les femmes se trouvaient contraintes de parler face à face avec leur agresseur pendant les audiences, et l’existence de relations de pouvoir dans les cas de violence envers les femmes n’était donc pas prise en considération. Comme l’expliquent les militantes féministes dans le texte accompagnant les minutes du projet :

La procédure actuelle inverse la charge de la preuve, les victimes ne sont pas écoutées, cette procédure recrée des stéréotypes, ne prévient pas contre de nouvelles formes de violence et ne contribue pas à la transformation des relations hiérarchiques de genre. Dans les tribunaux criminels spéciaux, le juge, lorsqu’il prend connaissance du fait criminel, convoque une audience de conciliation pour parvenir à un accord et clore l’affaire. Ces audiences sont généralement menées par des conciliateurs, des étudiants en droit [...]. Cela peut conduire à considérer les épisodes de violence domestique comme des événements ponctuels, alors qu’en réalité ils sont répétés, chroniques et s’accompagnent de menaces continues. Il est important de souligner que la victime n’est pas écoutée et n’a pas son mot à dire dans la transaction pénale.

43Les acteurs juridiques qui défendaient les JECRIM et leurs représentants au Congrès national étaient parmi les principaux opposants à la loi Maria da Penha, pendant les débats et séminaires organisés au cours du processus d’examen du projet de loi. En effet, celui-ci incluait la proposition de soustraire les cas de violence domestique à ces tribunaux, ce qui, selon ces opposants, finirait par vider de sa substance la fonction de ces institutions, supposément créées pour démocratiser l’accès à la justice. De fait, en proposant des mesures plus sévères que le paiement de paniers alimentaires et d’amendes, le projet de loi Maria da Penha, suscitait des polémiques autour du débat sur le caractère punitif de la justice criminelle. Cependant, ce projet ne se contentait pas de prévoir des sanctions pour les agresseurs de femmes, il proposait aussi des actions à caractère multidisciplinaire pour protéger l’intégrité physique des victimes (favorisant la prise en charge psychologique et sociale), ainsi que des mesures préventives et éducatives (Pasinato 2015). Tatau Godinho, une militante féministe qui a travaillé au SPM, partage le sentiment que le caractère punitif de la loi n’allait pas résoudre le problème de la violence envers les femmes :

Pour toucher à la violence, il faut d’abord s’intéresser à la liberté et à l’autonomie des femmes. Capacité économique, soins. C’est très difficile de sortir du cercle de la violence. (Tatau Godinho, 2019)

44Après la publication du rapport de Jandira Feghali, qui a été approuvé à l’unanimité au sein de la Commission de la Sécurité sociale et de la Famille, le projet de loi a été remis à la Commission des Finances et de la Fiscalité, dans laquelle la députée Yeda Crusius (Parti de la social-démocratie brésilienne – PSDB) a été nommée rapporteuse. Là encore, une femme était choisie pour rapporter sur le projet de loi, ce qui montre une fois de plus l’importance de la présence des femmes au parlement, en particulier des parlementaires engagées dans les causes féministes, pour promouvoir les projets de loi sur l’égalité de genre.

45Le fait que Jandira Feghali, députée du PCdoB (qui faisait partie de la base du gouvernement) et Yeda Crusius, députée du PSDB (parti dans l’opposition), aient proactivement soutenu et défendu le même projet de loi, est révélateur du niveau de convergence que suscitait le programme. Le groupe parlementaire des femmes dans son ensemble a soutenu l’approbation du projet de loi, ce qui prouve l’habileté politique des fémocrates à construire une coalition multipartite, avec le soutien des parlementaires masculins, pour l’approbation du projet.

46Par la suite, une autre parlementaire, la députée Iriny Lopes, cette fois, a été désignée pour rapporter auprès de la Commission de la Constitution, de la Justice et de la Citoyenneté. Elle a proposé douze amendements au projet de loi, tous d’ordre rédactionnel, afin de corriger certains « défauts de rédaction », mais elle n’a pas modifié la substance du texte pour préserver « l’esprit de la loi », ce qui était une revendication des mouvements féministes.

47Au cours de l’examen, le député Antonio Carlos Biscaia s’est opposé à l’approbation du projet tel qu’il était rédigé, arguant qu’il était inconstitutionnel parce qu’il portait supposément atteinte à l’autonomie des États et des municipalités. Il soutenait aussi que les tribunaux criminels ne pouvaient pas cumuler les compétences civile et pénale, ce qui était, là encore, inconstitutionnel. Cependant, à l’issue des débats et des événements organisés, principalement à l’initiative de Jandira Feghalli, et avec la participation des mouvements militants aux audiences publiques, l’assemblée a majoritairement convenu que la loi Maria da Penha était constitutionnelle.

48En mars 2006, le projet de loi a alors été voté en session plénière de la Chambre des députés. La séance plénière était de rigueur en vertu de l’article 155 du règlement intérieur de la Chambre des députés (RICD), qui stipule que « pourra être inscrite automatiquement à l’ordre du jour pour discussion et vote immédiat […] toute proposition qui porte sur un sujet d’intérêt national pertinent et ne pouvant être différé ». La loi Maria da Penha a été considérée par la majorité absolue des députés comme une question d’intérêt national.

49En séance plénière, deux amendements au projet ont été déposés au sujet de questions fiscales et financières. En l’absence de la députée Yeda Crusius, qui avait été rapporteuse auprès de la CFT, la députée Luiza Erundina (Parti socialiste brésilien – PSB) s’est substituée à elle et a présenté les amendements. Elle a défendu l’adéquation financière et budgétaire du projet, qui a été approuvé par la Chambre le jour même. Au sein de la Commission de la Sécurité sociale et de la Famille, la rapporteuse, Iriny Lopes, a aussi défendu la constitutionnalité, la légalité et la justesse technique du projet de loi, et a ainsi plaidé en faveur de son approbation. D’après l’enregistrement sonore, disponible sur le site de la Chambre des députés, lors de la séance de vote du projet, présidée par le député Inocêncio de Oliveira (Parti du front libéral – PFL), les leaders des groupes de chaque parti politique ont pris position et le texte a été approuvé à l’unanimité.

50Le 30 mars 2006, le projet de loi a été soumis au Sénat. Dans la mesure où il avait déjà été longuement débattu à la Chambre des députés, les sénateurs ont opté pour un examen rapide du projet et n’ont pas proposé de modification importante au texte. La célérité du processus au Sénat, d’après les sénatrices, était également liée à la pression des mouvements féministes pour que le projet de loi ne souffre pas de modification substantielle.

51Au Sénat, le projet de loi a d’abord été envoyé à la Commission de la Constitution, de la Justice et de la Citoyenneté, qui, comme la CCJ de la Chambre des députés, analyse tous les projets de loi en cours d’examen. La rapporteuse désignée dans cette commission était la sénatrice Lúcia Vânia (PSB). Elle a constitué un groupe d’appui pour discuter du projet de loi, composé de ses conseillers, des organisations féministes qui formaient le consortium des ONG, de représentants du SPM, du cabinet de la députée Jandira Feghalli et de la sénatrice Serys Slhessarenko (Parti des travailleurs – PT).

52Dans son rapport, Lúcia Vânia a voté pour l’approbation du texte avec quelques modifications rédactionnelles, qui n’ont pas altéré la nature du projet. La raison en était que, selon le règlement, si le texte subissait une modification substantielle, il devrait être renvoyé à la Chambre des députés et soumis au vote, ce qui retarderait le processus d’approbation. Le 12 juillet 2006, le projet de loi a été approuvé à l’unanimité par l’assemblée plénière du Sénat, sans amendements.

  • 16 Boletim do Centro Feminista de Estudos e Assessoria (Cfemea), n° 151, 2006.

53Pendant l’examen du projet, tant à la Chambre des députés qu’au Sénat, les mouvements féministes et la société civile en général ont fait pression pour que le texte soit approuvé. Les militantes ont inondé les boîtes e-mail des parlementaires et de leurs conseillers, appelant à l’approbation du projet de loi. En outre, des veillées étaient organisées dans tous les États du pays, un processus qui a débuté à Recife avec le Forum des femmes du Pernambuco, en faveur de vote de la loi. Le mot d’ordre de ces veillées était « Pour en finir avec la violence faite aux femmes et pour le vote du PL [projet de loi] 4559/2004 »16. La ministre du SPM de l’époque, Nilcéa Freire, et la députée Luiza Erundina, qui représentait la commission externe de la Chambre des députés, étaient présentes à la veillée organisée dans la capitale du Pernambuco. L’Action des femmes brésiliennes (AMB) a recueilli plus de trois cents signatures d’organisations féministes de tout le pays pour l’adoption de la loi, afin de faire pression sur les parlementaires.

54Une autre initiative qui mérite d’être soulignée, à la Chambre des députés comme au Sénat, est la négociation politique qui a été menée par le groupe des femmes au Congrès national, afin de s’assurer que seules des femmes puissent être nommées rapporteuses du projet de loi et ce, à toutes les étapes du processus législatif. Au-delà de son caractère symbolique, cette décision était importante pour garantir la représentation politique substantive des femmes, partant de l’inclusion des perspectives sociales des rédactrices du projet, que ce soit du point de vue des militantes ou des parlementaires. Cela prouve qu’il ne suffit pas de veiller à ce que davantage de femmes occupent des espaces de pouvoir, il faut aussi qu’elles soient en position de leadership au sein du processus législatif, comme dans le cas des rapporteurs.

55Le 7 août 2006, enfin, le projet de loi a été soumis à la Présidence de la République, approuvé par le président de l’époque, Luís Inácio Lula da Silva, et transformé en norme juridique.

Conclusions sur le processus d’examen et d’approbation de la loi Maria da Penha

56L’articulation des mouvements féministes autour de la lutte contre la violence envers les femmes n’a pas commencé avec la loi Maria da Penha. C’est une longue histoire d’activisme institutionnel et de mobilisation politique qui a été déterminante pour la création de politiques publiques de lutte contre la violence envers les femmes au Brésil. On peut considérer l’approbation de la loi Maria da Penha, en 2006, comme l’un des moments-phares de ce long processus.

57On notera quelques éléments saillants dans l’étude de cas du processus d’adoption de cette loi, en ce qui concerne la relation entre les représentations descriptive et substantive. Le premier est qu’il s’agit d’un projet de loi dont le texte initial a été entièrement rédigé par des mouvements féministes, à travers le consortium des ONG féministes, majoritairement composé de juristes et de chercheuses. Dans ce cas, l’action du consortium des ONG a montré l’importance de la professionnalisation des militantes pour institutionnaliser les revendications des mouvements. Celles-ci ont mobilisé non seulement leurs connaissances politiques, mais aussi leurs connaissances juridiques au profit des mouvements féministes. Cette expertise technique a permis de traduire les revendications des mouvements en un projet de loi. Le fait que les féministes des ONG soient des juristes et qu’elles aient donc les connaissances et les compétences techniques pour transformer les revendications des mouvements en un avant-projet de loi, a été décisif pour le succès de la mobilisation. On peut donc en conclure que l’un des mécanismes qui facilite la relation entre la représentation descriptive et la représentation substantive, est la capacité de traduction des revendications des mouvements féministes en un langage technique pouvant susciter l’adhésion du parlement.

58Deuxièmement, le soutien du gouvernement et, en particulier, du SPM, en la personne de la ministre, Nilcéa Freire, a été fondamental pour garantir que le projet soit soumis au débat législatif. Par conséquent, la relation entre les représentations descriptive et substantive est plus cohérente lorsqu’il y a soutien de l’exécutif.

59Troisièmement, dans le cas qui nous occupe, les mouvements féministes ne se sont pas contentés de participer à l’élaboration du projet. Les militantes ont aussi assisté aux audiences publiques et aux séminaires organisés par le Congrès national au cours du processus, elles ont travaillé de concert avec les parlementaires, monté des campagnes de communication sur le projet de loi, organisé des manifestations de rue, lancé des pétitions pour le défendre, et ont suggéré des modifications du texte qui ont été accueillies favorablement par les fémocrates. En d’autres termes, les mouvements féministes se sont très largement impliqués dans l’adoption de la loi Maria da Penha. Il est donc possible d’en déduire que le lien entre représentations descriptive et substantive est facilité lorsque l’implication des mouvements féministes dans la défense d’une proposition se fait à chaque étape du processus législatif.

60Quatrièmement, l’action des mouvements féministes et des fémocrates au parlement a permis de former une coalition majoritaire au sein du Congrès national, qui incluait des partis de tendances idéologiques diverses, ce qui illustre le degré de consensus autour de la question de la lutte contre la violence domestique. Ainsi, la formation de coalitions majoritaires au sein du Congrès national sur une proposition précise, permet de renforcer le lien entre représentations descriptive et substantive.

61Le cinquième point porte sur l’action des fémocrates. Les femmes parlementaires, députées et sénatrices, ont été les protagonistes du processus d’examen du projet, dans la mesure où elles ont rapporté sur le projet dans les différentes commissions législatives auxquelles il a été soumis. Les fémocrates ont pris la tête d’un processus visant à convaincre les autres parlementaires de la nécessité et de l’importance d’approuver le projet de loi. Leur travail a fait la différence dans l’issue du processus législatif, même dans un contexte de sous-représentation politique des femmes. Comme l’explique Young (2000), il ne s’agit pas de défendre une quelconque forme d’essentialisme ou de naturaliser du rôle des femmes en politique. Au contraire, la perspective sociale qu’elles partagent, qui est liée à la dimension du vécu et à la construction sociale des rôles de genre, a été, dans ce cas, cruciale pour générer un consensus au sein du groupe des femmes, mais aussi du Congrès national dans son ensemble, sur la nécessité d’approuver le projet. C’est parce qu’elles ont pu faire l’expérience, dans leur propre chair, de différentes formes d’expression de la violence, que les femmes parlementaires ont considéré comme important de présenter et de défendre un projet qui cristalliserait cette demande historique des mouvements féministes dans la loi. Ainsi, lorsque les fémocrates occupent des positions de pouvoir au sein du Congrès national, lors de l’examen de projets de loi liés aux droits des femmes, le lien entre représentations descriptive et substantive se trouve renforcé.

62Pour revenir au concept de fémocrate, employé tout au long de cet article, il est important en ce qu’il permet de différencier entre les actions des parlementaires qui, bien qu’étant des femmes, ne défendent pas de programmes féministes, et celles des actions des députées et sénatrices qui défendent les droits des femmes. Grâce à cette catégorie analytique, on peut faire une distinction empirique entre représentation descriptive et représentation substantive. Si toutes les femmes parlementaires représentent les femmes sur le plan descriptif, seules les fémocrates les représentent sur le plan substantif.

  • 17 Le mot d’ordre Ni Una Menos [Pas une de moins] a fait son apparition en Argentine en 2015, en sign (...)

63L’étude de cas de la loi Maria da Penha a également montré que les projets de loi visant à promouvoir l’égalité de genre, sont le résultat de la lutte politique des mouvements féministes qui se sont historiquement mobilisés pour que les femmes puissent vivre « libres et sans peur », pour reprendre le slogan de la campagne féministe argentine contre les féminicides, Ni Una Menos17. Si l’on écarte les actions des mouvements au sein des institutions représentatives, on ne raconte l’histoire qu’à moitié. Comme l’affirme Jaqueline Pitanguy (2019, 92), « les droits s’écrivent et s’effacent par le combat politique ».

64L’adoption de la loi Maria da Penha a marqué un tournant dans la lutte des mouvements féministes pour le droit de vivre à l’abri de toute forme de violence. À ce jour, cette loi est internationalement reconnue comme un exemple normatif à suivre. Le processus d’examen du projet a été parsemé d’embûches et de controverses, comme les questions sur la constitutionnalité de la loi et le rôle des tribunaux criminels spéciaux. Pourtant, aucune de ces polémiques n’a empêché le projet d’être voté par les parlementaires, et approuvé par le président de la République, ce qui montre le degré de légitimité que la question revêtait à l’époque dans la société, tant au niveau national qu’international.

65Dans la continuité du programme de recherche proposé dans cet article, il serait intéressant, à l’avenir, d’analyser le processus d’examen des projets de loi sur les droits des femmes qui ont été rejetés, afin d’identifier, outre les mécanismes de facilitation présentés ici, quels ont été les obstacles à l’articulation entre représentation descriptive et représentation substantive.

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Notes

2 Extrait du poème intitulé « ¿Por qué grita esa mujer ? » de Susana Thénon (2019), poétesse argentine.

3 Le mot fémocrate est utilisé ici pour désigner des parlementaires féministes qui œuvrent proactivement en faveur de la formulation et/ou de l’approbation de projets de loi sur l’égalité de genre. Ce terme ne s’applique pas à la totalité des femmes qui siègent à l’assemblée, car toutes ne défendent pas un programme féministe. Le concept est issu de la littérature sur le féminisme d’État, et désigne les féministes qui en sont venues à occuper des postes dans la bureaucratie de l’État. Je propose de l’étendre aux représentantes féministes dans les parlements (députées et sénatrices).

4 Au total, j’ai effectué 21 entretiens dans le cadre de ma thèse qui est à l’origine de cet article. Dans ce dernier, j’ai utilisé l’entretien avec Tatau Godinho, une militante féministe qui travaillait pour le Secrétariat des politiques pour les femmes au moment où la loi Maria da Penha a été votée. L’objectif initial était d’interroger, outre des militantes féministes, des parlementaires ayant joué un rôle direct dans l’approbation de la loi par le Congrès national. Cependant, le contexte de la pandémie de coronavirus au Brésil a entravé la réalisation de cette partie du travail de terrain. C’est pour cette raison que j’ai également utilisé des entretiens de parlementaires, provenant d’autres sources, comme la participation de la députée fédérale Jandira Feghali à un événement organisé par la Faculté de droit de l’Université de São Paulo-Ribeirão (USP-Ribeirão) sur la loi Maria da Penha.

5 À l’époque, au Brésil, on ne parlait pas encore de féminicide. L’expression le plus couramment utilisée était « assassinat de femmes » (Blay 2008). Le concept de « féminicide » est devenu une catégorie juridique grâce à la Loi sur le féminicide, votée en 2015, qui l’inclut dans la liste des crimes de haine, et le considère comme une circonstance qualifiante d’homicide.

6 L’extrait de la plaidoirie d’Evandro Lins e Silva est tiré du site Internet de la section de São Paulo de l’Ordre des avocats du Brésil (OAB-SP). Disponible sur : https://www.oabsp.org.br/sobre-oabsp/grandes-causas/o-caso-doca-street (consulté le 3 octobre 2023).

7 Les informations sur le jour du procès sont tirées du podcast « Praia dos ossos », de Rádio Novelo. Disponible sur : https://radionovelo.com.br/originais/praiadosossos/ (consulté le 3 octobre 2023).

8 Il est important de souligner que les caractéristiques de la féminité ont été historiquement construites de manière distincte pour les femmes blanches et les femmes noires. Alors que les premières, quand elles étaient issues de la classe moyenne et de l’élite, étaient considérées comme des maîtresses de maison, « belles, réservées et s’occupant du foyer », les secondes ont toujours été perçues comme des femmes fortes, travailleuses et insensibles à la douleur. Sur ce point, le discours emblématique de Sojourner Trouth, « Ne suis-je pas une femme ? », est une référence centrale. Disponible (en portugais) sur : https://www.geledes.org.br/e-nao-sou-uma-mulher-sojourner-truth/ (consulté le 3 octobre 2023).

9 Nous faisons ici la distinction entre catégorie et concept, dans la mesure où les catégories peuvent être considérées comme des formulations natives construites par les mouvements sociaux eux-mêmes. Voir à ce sujet Szwako & Gurza Lavalle (2019).

10 Pour en savoir plus sur d’autres cas d’assassinats de femmes à cette époque, voir Blay (2008).

11 Il est important de noter que la criminalisation de la violence contre les femmes ne faisait pas consensus au sein des mouvements féministes. D’une part, certaines femmes, surtout celles issues des classes populaires, défendaient la réconciliation comme moyen de résoudre les cas de violence. D’autre part, les féministes abolitionnistes mettaient en avant les limites du système pénal dans la résolution des problèmes sociaux, notamment en raison de ses préjugés racistes.

12 C’est le premier traité international créé spécifiquement pour lutter contre les violences envers les femmes (Bandeira & Almeida 2015).

13 L’article 2 de la loi stipule que « toute femme, indépendamment de sa classe, de sa race, de son ethnie, de son orientation sexuelle, de son revenu, de sa culture, de son niveau d’éducation, de son âge et de sa religion, jouit des droits fondamentaux inhérents à la personne humaine, et jouit de la garantie d’opportunités et de conditions pour vivre sans violence, préserver sa santé physique et mentale, et pour se perfectionner sur les plans moral, intellectuel et social ». L’article 8, qui porte sur les mesures intégrées de prévention, précise que l’une des lignes directrices de la loi est « de promouvoir des études et recherches, des statistiques et autres informations pertinentes, dans une perspective de genre et de race ou d’ethnie ».

14 La Commission de législation participative a été créée en 2001 pour promouvoir la participation des organisations de la société civile (ONG, syndicats, associations, corps de métier, etc.) au processus d’élaboration des lois.

15 Jandira Feghali a fait cette déclaration lors du débat « Dialogues sur la loi Maria da Penha : le projet juridico-féministe au Brésil », organisé le 10 septembre 2020 par la Faculté de droit de l’USP-Ribeirão, et diffusé sur Youtube. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=bJalU1Dbxwk (consulté le 3 octobre 2023).

16 Boletim do Centro Feminista de Estudos e Assessoria (Cfemea), n° 151, 2006.

17 Le mot d’ordre Ni Una Menos [Pas une de moins] a fait son apparition en Argentine en 2015, en signe de protestation contre la violence sexiste et le féminicide, après qu’une jeune fille, Chiara Páez, âgée de 14 ans et enceinte, a été assassinée par son petit ami de 16 ans dans la ville de Rufino, à Santa Fé. L’expression est tirée d’un vers de la poétesse mexicaine Susana Chávez, elle-même victime d’un féminicide à Ciudad Juárez en 2011 (Gago 2020).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Beatriz Rodrigues Sanchez, « « Nous nous voulons vivantes, libres et sans peur » : une analyse du processus d’adoption de la loi Maria da Penha au Congrès national brésilien »Brésil(s) [En ligne], 25 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/17632 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qxq

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Auteur

Beatriz Rodrigues Sanchez

Beatriz Rodrigues Sanchez est enseignante au département de sciences politiques de l’Université de São Paulo (USP) et post-doctorante du programme international de post-doctorat (IPP) du Centre brésilien d’analyse et planification (CEBRAP).
ORCID : https://orcid.org/0000-0003-1933-0029.

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