1Dans les représentations des droits humains, les pays d’Europe occidentale et les États-Unis apparaissent souvent comme leurs inspirateurs et promoteurs. Leurs objets, ceux à qui les droits humains s’adressent, ce sont généralement les « autres », à l’extérieur des frontières nationales (ou, de manière menaçante, à l’intérieur). Ils symbolisent ceux qui les définissent. Les droits humains sont donc généralement présentés comme un programme de politique étrangère (Hopgood 2013). Les problèmes internes reçoivent d’autres noms. Un gouffre sépare ainsi les manières de regarder vers l’intérieur et vers l’extérieur des pays en question.
2En dehors de ce canon l’histoire des droits humains peut cependant prendre d’autres formes. Ce dossier explore l’une d’entre elles, en s’intéressant à certains aspects des trajectoires de ce domaine au Brésil, où le sujet a rapidement dépassé sa configuration initiale. D’une part, en s’alignant sur le style de la diplomatie des États-Unis et de l’Europe occidentale, le Brésil s’est à plusieurs reprises saisi du langage et du paradigme des droits humains afin d’intervenir en dehors de ses frontières. D’autre part, il n’a pas hésité à donner le même nom à ses politiques publiques nationales. Il a été l’un des premiers pays au monde à se doter d’un ministère des droits humains.
3Dans le monde occidental en général, l’histoire des droits humains en tant que langage commun est relativement récente, puisqu’elle remonte aux années 1970 (Moyn 2010). Au Brésil, la situation n’est guère différente. Bien que la notion qui l’a précédée – les « droits de l’homme » – ait déjà circulé dans les espaces et auprès des publics de l’Église catholique depuis les années 1950 et 1960, ceux-ci étaient associés à la lutte contre la pauvreté et aux droits sociaux (Silva 2017). Les droits humains sont devenus une question plus large et plus urgente avec la dénonciation de la dictature militaire dans le pays, en particulier lorsqu’elle a durci ses méthodes de répression. C’était à la fin des années 1960 et au début des années 1970, une époque où les cercles progressistes de l’Église se sont alliés aux parents et aux personnes persécutées par le régime pour dénoncer les diverses formes de violence de la dictature comme des violations des droits humains. La priorité était alors de sauver des vies et de soustraire les corps à la torture. Il n’était pas question de punir les tortionnaires. On n’en parlait qu’à voix basse et loin des projecteurs. La peur était le sentiment dominant dans l’opinion publique.
4Alors que le pays s’acheminait lentement vers la démocratie, les mouvements sociaux liés à la dénonciation de la dictature ont cherché des canaux pour se rapprocher de l’État. Bien qu’hésitants, les mouvements sociaux y ont vu une chance de rendre leur lutte plus efficace. Surtout à partir des années 1980, ils ont établi des points d’ancrage dans les gouvernements locaux, au Congrès et partout où ils pouvaient trouver une voie d’accès. Dans différents États du pays, les groupes « La torture, plus jamais » ont commencé à élargir les usages de l’étiquette « droits humains » pour inclure, outre la question des morts et des disparus, les maux de la nouvelle démocratie : la violence quotidienne de l’État – en particulier de sa police – à l’encontre des populations noires et pauvres (Pedretti 2023).
5Le lien entre les droits humains et l’État s’est noué dans cette recherche par les mouvements sociaux de canaux de dialogue officiels, mais il a également été renforcé à la même époque par des initiatives gouvernementales – rares, locales et intermittentes, mais aux effets symboliques et pratiques significatifs. En 1982, lorsque les militaires, en retrait et soumis à une forte pression, ont organisé des élections pour les gouvernements des États, ils ont été surpris par l’élection d’un trio d’anciens opposants dans trois des États les plus importants : Minas Gerais, Rio de Janeiro et São Paulo. Pour faire avancer leurs programmes progressistes, Tancredo Neves, Leonel Brizola et Franco Montoro ont dû faire face à deux contre-forces internes : le dernier gouvernement militaire de João Batista Figueiredo et aussi, et peut-être surtout, le conservatisme de la société brésilienne. Cela a constitué un plafond pour l’évolution des droits humains au cours des décennies suivantes.
6En ouverture de ce dossier, Teresa Caldeira évoque précisément les effets contraires de la campagne menée par le gouvernement Montoro, dans l’État de São Paulo, en faveur des droits humains de la population incarcérée. Dans l’imaginaire populaire, l’expression a été traduite par « privilège de criminel » (privilégio de bandido), une notion restée latente au fil des ans, alternant entre des périodes de forte et de faible acceptation, acquérant de nouvelles versions et nuances. Au lieu de susciter de l’empathie pour une partie des exclus de la société, Montoro a encouragé un certain ressentiment social à l’égard des « bandidos ».
7Avec Brizola à Rio de Janeiro, mais sans aucun effort de coordination, les deux gouverneurs ont inscrit les droits humains sur la carte de la moralité publique brésilienne – dans une version actualisée et sécularisée des « droits de l’homme » de l’Église dans les années 1950 et au début des années 1960. Ils ont établi l’un des principaux axes de contestation politique dans le pays. À Rio de Janeiro, par exemple, le successeur de Brizola, Moreira Franco, a été élu avec le slogan « mettre fin à la violence en six mois », un clair désaveu aux droits humains en tant qu’approche efficace pour gérer le problème de la sécurité publique de l’État. À la fin de l’administration de Franco, les électeurs de l’État ont jugé bon d’élire à nouveau Brizola et, avec lui, la définition des droits humains comme droits des pauvres.
8Dans la politique fédérale, l’approche des droits humains a d’abord suivi la voie internationale. En d’autres termes, elle est passée par la politique étrangère. Le premier gouvernement civil après la dictature, celui de José Sarney (1985-1990), a connecté la diplomatie brésilienne aux nouveaux enjeux mondiaux. Les droits humains figuraient aux côtés de l’environnement, du trafic de drogue et du terrorisme. Sarney a créé un environnement propice à l’adhésion du pays à la Convention américaine des droits humains sous le gouvernement suivant de Fernando Collor de Mello. En vigueur depuis 1969, la Convention avait été ostensiblement écartée par les militaires brésiliens. Le bref gouvernement de Collor de Mello, interrompu par une procédure de destitution liée à des scandales de corruption, a laissé la place à Itamar Franco (1992-1995) et, à ses côtés, à Fernando Henrique Cardoso au ministère des affaires étrangères (et, plus tard, au ministère des finances). Franco et Cardoso ont suivi la même voie que leurs prédécesseurs, resserrant les liens avec les droits humains. Malgré les profils politiques différents des premiers présidents civils après la dictature, la politique étrangère en matière de droits humains n’a pas subi les chocs de la politique locale à São Paulo et Rio de Janeiro. Elle a fait l’objet d’une action cumulative discrète. Il est en effet plus facile de parler de droits humains aux « autres » qu’à soi-même.
9Il est revenu à Fernando Henrique, quand il est passé du ministère de la Justice à la présidence en 1995, de mener les premiers efforts sérieux pour traduire le principe des droits humains en des politiques publiques nationales. Il a ordonné directement à José Gregori, haut fonctionnaire du ministère de la Justice : « Allez dans le domaine des droits humains et occupez cet espace, faites-le exister » (Gregori 2015-16, 125). Gregori a accepté la mission et a collaboré activement avec les familles défendant la cause des morts et des disparus pour créer la Commission spéciale sur les morts et les disparitions politiques, au cours de la première année de son mandat.
10L’entrée du gouvernement fédéral dans le processus d’articulation interne des droits humains a reproduit le parcours des mouvements sociaux : il a d’abord abordé les crimes de la dictature, puis a appliqué l’étiquette à d’autres choses. En mai 1996, le premier programme national des droits humains a consolidé le répertoire des nouveaux thèmes susceptibles d’être qualifiés de droits humains. Ils tournent autour de la protection des enfants et des adolescents, des femmes, de la population noire, des sociétés indigènes, des réfugiés et des migrants brésiliens, des personnes âgées et des personnes handicapées. Le PNDH1 distingue des mesures à court, moyen et long terme qui relèvent des différents pouvoirs et échelons de la République. Afin de contrôler – et de sanctionner – sa mise en œuvre, Cardoso a créé une autre pièce fondamentale de l’appareil des droits humains : le Secrétariat national des droits humains (SNDH) que Gregori lui-même a dirigé et qui est rattaché au ministère de la justice.
11La réélection de Cardoso en 1998 a assuré la sédimentation de cette nouvelle institutionnalité. Au cours de la dernière année de son second mandat, celui-ci s’est basé sur le premier PNDH pour instituer le PNDH2. Lorsque son ennemi politique de l’époque, Luís Inácio Lula da Silva du Parti des travailleurs (PT), le remplace enfin à la présidence après trois défaites consécutives, Cardoso ne voit pas s’effondrer les efforts déployés pendant près de huit ans. Bien au contraire. Lula a élevé le Secrétariat (SNDH) au rang de ministère, en lui donnant un budget plus conséquent et davantage de pouvoirs. Il a placé à sa tête Nilmário Miranda, un homme politique historique du PT qui avait une longue histoire d’activisme institutionnel en faveur des droits humains au Congrès. Pour Nilmário, les droits humains ont constitué le principal axe de continuité entre les gouvernements Cardoso et Lula, alors qu’on se souvient plutôt de leurs divergences (Miranda 2015). Dans une démocratie gravement affectée par les discontinuités dans ses politiques publiques, où chaque nouveau gouvernement tient à imprimer sa propre marque à son administration, les membres du PT comme Nilmário étaient fiers de définir l’attention portée aux droits humains comme une « politique d’État », et non comme une politique gouvernementale. Une politique stable et donc à l’abri des vanités et des oscillations habituelles de la politique partisane.
12Sous Cardoso et Lula, et malgré eux, les droits humains ont connu le tournant anti-impunité qu’ils avaient déjà connu ailleurs (Engle, Miller & Davis 2016). Dans une large mesure, défendre les droits humains en est venue à signifier défendre la punition des auteurs de violations des droits humains. Le principe de la prophylaxie du châtiment, emprunté au droit pénal, s’est répandu dans les espaces militants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’État. C’est devenu une évidence parmi les militants.
13Lorsque Lula lance son gouvernement dans la création du troisième PNDH, dans la continuité de la démarche initiée par Cardoso, la « lutte contre l’impunité » est déjà bien établie, revendiquée sans la modestie qui entourait les premières années de la démocratie. Elle visait les criminels de la dictature, mais pas seulement. Les droits humains s’étaient déjà étendus à la race, au genre, à la sexualité, à l’enfance et à la vieillesse, entre autres. Aujourd’hui, ils occupent une place centrale dans le débat public. Comme d’autres grands programmes politiques, Lula a fondé les droits humains sur le modèle participatif des conférences nationales, des événements au cours desquels la société civile et l’État élaborent des programmes de politiques publiques. Dans ce dossier, le texte de Beatriz Sanchez, intitulé « Nous nous voulons vivantes, libres et sans peur », traite précisément de cette convergence entre la participation et l’expansion des droits humains des femmes, en se concentrant sur les stratégies féministes pour la loi Maria da Penha.
14Cette trajectoire de plusieurs décennies d’institutionnalisation des droits humains dans l’État brésilien a connu au moins quatre tendances générales. Premièrement, comme l’a observé Nilmário (Miranda 2015), il n’y a pas eu de rupture entre le PSDB et le PT, de sorte que la dynamique d’approfondissement, de diffusion et de multiplication des programmes des droits humains a traversé différents gouvernements et mandats.
15Ensuite, un autre aspect peu éclairé par la bibliographie sur les droits humains au Brésil, et qui est abordé dans ce dossier, est celui des relations continues (et toujours tendues) entre les autorités et les partis gouvernementaux, tant avec les mouvements de familles de morts et de disparus, qu’avec les groupes de professionnels (militaires et civils) persécutés par la dictature – généralement sanctionnés par des licenciements, des retraites anticipées et/ou des révocations. Deux articles de ce dossier traitent précisément de cet aspect de l’interrelation entre l’État et la société, organisée autour de la Commission d’amnistie du ministère de la justice créée par Cardoso et élargie par Lula et Dilma. Dans « "Pour des raisons exclusivement politiques" : l’amnistie des petroleiros et les droits humains au Brésil », Carolina Rezende jette un regard historique sur cette Commission et sur la trajectoire des demandes qui lui ont été adressées par la catégorie professionnelle des travailleurs du pétrole. Par ailleurs, l’article de Matheus Vitorino et Barbara Goulart analyse les récentes attaques subies par la Commission d’amnistie, en se concentrant sur l’aspect culturel et symbolique de la re-victimisation imposée par la rhétorique du gouvernement Bolsonaro aux victimes de la dictature.
16Une troisième tendance, déjà soulignée dans la littérature disponible (Engelmann & Madeira 2015 ; Carlos 2012), est la connexion entre l’État et la société civile. En d’autres termes, à l’instar d’autres secteurs de politique publique dans le Brésil post-dictature, l’institutionnalisation des droits humains a été liée à l’interaction avec les mouvements sociaux. Dès avant la loi d’amnistie (1979) et tout au long des années 1980, la mobilisation des avocats et des groupes de familles est passée par les gouvernements municipaux et étatiques pour atteindre l’administration fédérale dans les années 1990 par le biais d’alliances avec des partis et des hommes politiques. Situé dans cette trajectoire, l’article « Les stratégies de revendication des droits mobilisées par des ONG brésiliennes et l’imaginaire politique des droits humains au Brésil », de Lorena Almeida, Mariana Possas, Nubia Ramos et Maíne Souza, ajoute un acteur singulier à cette histoire, en abordant de manière critique le rôle des ONG brésiliennes dans cette optique et ses limites contemporaines.
17Enfin, une tendance majeure semble avoir été négligée par une grande partie de la littérature brésilienne, à savoir la présence discrète mais remarquablement constante des militaires dans les coulisses de l’institutionnalisation des droits humains dans le pays. Intitulé « Entre "oubli" et "célébration des exploits" », l’article de Lucas Pedretti dans ce dossier comble en partie cette lacune en mettant en lumière les mémoires militaires qui ont historiquement tenté de justifier leur rôle passé et contemporain. Selon l’analyse de Pedretti, après la Constitution de 1988, la corporation militaire est restée résistante et vigilante face à chaque mesure prise par les défenseurs des droits humains, en particulier après que nombre d’entre eux ont fini par travailler pour l’État. Ce n’est qu’avec l’émergence du PNDH3, à la fin du second mandat de Lula, que la voix militaire a fait irruption dans la vie publique brésilienne, qualifiant la proposition d’une future Commission nationale de la vérité de « commission de mensonges » ou de « demi-vérité ». Les militaires n’ont pas été les seuls à rejeter le PNDH3. Alors que des personnalités de droite ont attaqué l’élargissement de la participation citoyenne qu’il prévoyait (Gurza Lavalle & Szwako 2014), des parties rétrogrades de l’Église catholique et d’autres secteurs sociaux se sont également opposés aux projets relatifs aux droits sexuels et reproductifs (Adorno 2010). Dans les pages de la presse grand public, Jair Bolsonaro, alors député fédéral, a eu l’occasion de faire l’éloge de la dictature et de rejeter les avancées démocratiques.
18Avec l’élection en 2011 de Dilma Rousseff, issue comme Lula du PT, et la mise en place de la Commission nationale de la vérité (CNV) (en 2011), les tensions entre l’armée et les proches des personnes tuées et disparues pendant la dictature sont revenues à un niveau élevé. Bien que les militants de la société civile aient été frustrés par les résultats officiels de la CNV, celle-ci a fini par produire un effet imprévu d’une importance capitale dans l’institutionnalisation des droits humains : le phénomène des comissionismos. En d’autres termes, la prolifération des « commissions de vérité » dans toutes les régions du pays, un phénomène sui generis à travers le monde qui a atteint le nombre de 37 commissions étatiques et municipales dédiées à enquêter et faire connaître les crimes de la dictature (Hollanda & Israel 2019). En outre, un nombre impressionnant d’institutions publiques et même d’entreprises privées ont mis en place leurs propres « commissions » en faveur d’une remise en question du passé politique violent et des responsabilités en jeu dans ce passé (Gallo, Del Río & Maia 2023).
19Cependant, parallèlement à l’essor des programmes de défense des droits humains dans le pays, le mécontentement à l’égard de l’orientation des gouvernements dits « progressistes » s’est également accru. La légalisation du mariage homosexuel, les mesures prises pour mettre en œuvre l’avortement légal dans le pays et les politiques de quotas ont suscité un rejet de la part d’une partie importante de l’opinion publique brésilienne, qui a vu dans les manifestations massives de 2013 contre l’augmentation des prix des transports une occasion unique d’exprimer leur propre mécontentement (Alonso 2023). En d’autres termes, le progressisme incarné par ces initiatives a eu pour contrepartie dans la société brésilienne un conservatisme qui remonte à l’époque et aux slogans des gouvernements militaires. Bolsonaro n’est pas le seul à avoir émergé sur la scène de l’après-2013. Avec la montée de la droite et de l’extrême droite dans le pays, les droits humains ont de nouveau été considérés comme un « privilège de criminel », conformément à la culture politique mise en évidence par Caldeira dans le São Paulo des années 1980. Des expressions autoritaires telles que « un bon criminel est un criminel mort » (bandido bom é bandido morto) ou « les droits humains pour les humains droits » (direitos humanos para humanos direitos) se sont naturalisées dans le langage courant au Brésil. C’est précisément de ce type de slogans dont traite « La droite et les droits », un texte de Jorge Chaloub et Raquel Lima dans ce dossier. Dans cet article, les auteurs éclairent les nuances dans les conceptions réactionnaires des droits humains, dans lesquelles leur efficacité prétendue limitée inspire l’opposition du public bolsonariste.
20Imprégné de ce bouillon conservateur, qui a gagné du terrain et de l’élan avec la destitution de Dilma Rousseff, le gouvernement de Michel Temer (2016-2019) a donné plus de force aux dynamiques de désinstitutionnalisation des droits humains dans l’État brésilien. Sous ce gouvernement, la Commission d’amnistie est devenue la cible d’attaques et de coupes drastiques avec un double effet : non seulement sa composition physique a été réduite par le renvoi d’un nombre important de ses conseillers, mais certains ont été remplacés par des personnages historiquement liés à la défense de la dictature, et les excuses aux victimes de la violence du régime autoritaire ont été supprimées. Cela a marqué le premier tournant régressif dans l’institutionnalisation des droits humains au Brésil, puisque s’effaçait de la scène la reconnaissance symbolique de l’État brésilien comme responsable de la violence infligée aux opposants à la dictature.
21Les actions de Temer ont été une sorte de préambule à ce qui allait se passer sous le gouvernement Bolsonaro (2019-2022), lorsque les attaques contre les politiques des droits humains se sont multipliées d’une manière qui complique notre compréhension de la dynamique de la désinstitutionnalisation de ce thème. D’une part, on observe une logique de maintien/appropriation des institutions préexistantes : les institutions consacrées à la question par d’autres gouvernements ont été maintenues et appropriées pour servir des objectifs contraires aux objectifs des droits humains. Ce fut le cas de la Commission d’amnistie, déjà affectée par Temer, qui a subi un processus de resémantisation ou de retraumatisation, comme préfèrent le nommer Bárbara Goulart et Matheus Machado dans leur article dans ce dossier. D’autre part, une dynamique de désinstitutionnalisation s’est produite au cours de laquelle des institutions préexistantes ont subi des attaques au point d’être démantelées, comme ce fut le cas de la Commission des morts et disparitions politiques, qui a été abolie dans les derniers instants du mandat de Bolsonaro.
22Cependant, cette dernière série d’offensives contre les droits humains ne traduit pas une supposée fragilité de cette longue trajectoire d’institutionnalisation. Au contraire, elle nous renseigne sur le caractère central que ces valeurs et politiques ont acquis dans la vie publique brésilienne. Si elles n’étaient que « fragiles » ou même « résiduelles », elles ne seraient pas la cible principale de l’artillerie réactionnaire brésilienne contemporaine, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur de l’État.
23Loin de se concentrer sur le passé ou de se focaliser uniquement sur le présent, ce dossier traverse et entrelace différentes temporalités politiques au Brésil et dans le monde. Mais avant de conclure, nous tenons à exprimer nos sincères remerciements à tous les relecteurs impliqués et, en particulier, à Mônica Raisa Schpun pour son attention et sa générosité. Nous espérons que les trajectoires et les exemples de mouvements discutés dans les différents articles susciteront de nouveaux regards sur le couple institutionnalisation-désinstitutionnalisation ainsi que sur le débat toujours nécessaire sur les droits humains dans le pays. Bonne lecture.