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Comptes rendus

Lara, Silvia Hunold & Phabio Roberto Marchis Fachin, dir. Guerra contra Palmares: o manuscrito de 1678

Jean Hébrard
Référence(s) :

Lara, Silvia Hunold & Phabio Roberto Marchis Fachin, dir. 2021. Guerra contra Palmares: o manuscrito de 1678. São Paulo: Chão Editora, 232 p.

Texte intégral

1Avec Guerra contra Palmares: o manuscrito de 1678, les éditions Chão, qui n’en sont pas à leur coup d’essai, viennent de nous offrir un nouveau bijou archivistique et historiographique. Sa réalisation a été confiée à Silvia Hunold Lara et Phabio Roberto Marchis Fachin, une historienne et un philologue. Il s’agit de nous permettre de lire « le » document sur lequel, depuis trois siècles et demi, repose notre (mé)connaissance de la longue et complexe révolte des captifs fugitifs du Pernambuco qui s’organisèrent en mocambos dans la serra de Palmares au XVIIe siècle. Toute la richesse de cette édition repose sur la mise à nu du feuilletage archivistique et éditorial multiséculaire qui se cachait derrière ce que l’Institut historique et géographique brésilien (IHGB) avait imprimé en 1859 comme la source unique de cette histoire.

2Certes, l’affaire de Palmares avait été rapidement évoquée par les plus anciens chroniqueurs de la colonie portugaise des Amériques, Sebastião da Rocha Pita (1730) ou Domingos do Loreto Couto (1757), dont les informations avaient été reprises par les premiers historiens du Brésil au tout début du XIXe siècle : l’Anglais Robert Southey (1810-1819), le Portugais Manuel Aires de Casal (1817) ou le Français Ferdinand Denis (1822). Ce n’est qu’avec la création en 1838 de l’IHGB et l’ambition de ses sociétaires de rassembler les archives du nouvel Empire pour écrire son histoire que Palmares prit une place importante et controversée au cœur de celle-ci, dont il importait d’éclaircir les circonstances. Les deux plus importants collecteurs et éditeurs de l’Institut furent certainement Antônio de Menezes Vasconcellos de Drummond et Francisco Adolfo de Varnhagen. Le second mentionne dans son Histoire générale du Brésil (1854-57) l’existence d’une « relation » éclairant l’histoire de Palmares et qui allait être incessamment publiée. Ce fut effectivement le cas en 1859 (Revista do Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro, 22, 1859, p. 303-329). On ne sait qui se chargea de la transcription ni qui donna le titre : « Relation des guerres faites aux Palmares du Pernambuco au temps du gouverneur D. Pedro de Almeida de 1675 à 1678 (manuscrit offert par l’Excellentissime Sieur Conseiller Drummond) ». Aucune note ne donnait les références du manuscrit, encore moins les circonstances de sa production. Comme l’écrivent Lara et Fachin, l’autorité de la revue et celle de Drummond suffisaient à assurer les lecteurs de l’authenticité du document (p. 79). On allait plus ou moins s’en contenter durant près de 150 ans. Je ne vais pas revenir ici sur la fascinante analyse historiographique des usages et mésusages de ce qui devint rapidement un « monument national ». Il servit à justifier les successives reformulations de la signification de l’épisode de la guerre des Palmares depuis celles qui en faisaient une simple continuation de la reconquête du Pernambuco contre l’ennemi extérieur (les Hollandais) puis intérieur (les esclaves échappés à leurs maîtres) jusqu’à celles, contemporaines, qui ont mis l’événement au cœur de l’histoire des révoltes esclaves et de la « conscience noire » au Brésil. Je laisse les lecteurs en découvrir tous les tours et détours dans la postface ajoutée à la publication du manuscrit (p. 51-112) ou plutôt des manuscrits car, nous allons le voir, deux états du même document avaient été conservés. Restons-en donc ici à la genèse de cette archive exceptionnelle.

3Les deux manuscrits, comme nous l’expliquent les auteurs, se trouvaient, depuis le XVIIe siècle vraisemblablement, l’un dans la bibliothèque publique d’Évora, l’autre dans les archives nationales de la Torre do Tombo, à Lisbonne. Leur comparaison a permis de découvrir que le premier était une version préparatoire (travaillée par l’auteur avec des ratures et des rajouts) et le second une mise au net certainement destinée à circuler jusqu’à son ou ses lecteurs. Dès lors, il devient possible non plus de spéculer sur la véracité factuelle du récit – ce que les historiens de Palmares ont été nombreux à faire – mais de s’interroger sur son auteur et, surtout, sur les circonstances et les raisons de sa production, manière sûre d’apprécier ce que le texte était destiné à dire des événements qu’il relatait.

4Seuls des historiens et des philologues aguerris à la fréquentation minutieuse des archives portugaises d’Ancien Régime étaient à même de retrouver l’auteur de la « relation ». Ils l’ont identifié à partir des caractéristiques paléographiques des documents envisagés comme pouvant être parents des deux manuscrits (leur papier, leur encre, les spécificités du ductus du scribe, les abréviations utilisées, etc.). Il est vite apparu que le meilleur candidat était un prêtre, le père Antônio da Silva. Il avait fait ses humanités au collège des Jésuites de Salvador, était devenu chanoine à Coimbra puis, en 1658, vicaire de la paroisse du Corpo Santo à Recife. À Salvador comme à Coimbra il avait fréquenté les meilleurs milieux lettrés. On sait qu’il avait écrit une vie manuscrite du huitième évêque du Brésil dédicacée au frère de celui-ci, un conseiller de D. Pedro II, alors qu’il était encore régent et un magistrat du Saint-Office. Ses sermons brésiliens avaient été imprimés à Lisbonne chez João da Costa, un des spécialistes des ouvrages sur le Brésil de cette époque. Il avait des liens étroits avec les autorités politiques tant du royaume que de sa colonie américaine, notamment au Pernambuco où il avait été mêlé à plusieurs des querelles publiques qui survenaient régulièrement entre les différentes autorités locales sur la bonne administration de la province et dont la cour avait fait l’un de ses dispositifs de contrôle de ces lointaines contrées.

5Le gouverneur qui était alors aux affaires était D. Pedro de Almeida. Il était arrivé en 1674 dans ce qui était la seconde plus importante région productrice de sucre de la colonie. Il y avait été nommé par le prince-régent au grand dam du Conseil d’outre-mer qui habituellement avait la haute main sur ces affectations. Après quatre ans passés à Recife, il s’apprêtait à rentrer au Portugal, au terme d’un mandat dont le bilan était mitigé. Il s’était notamment opposé au plus important senhor de engenho [planteur] de la province, João Fernandes Vieira, que le Conseil soutenait sans réserve. Il savait que son retour ne serait pas facile et que sa residência [le compte rendu de son gouvernorat] risquait d’être contestée. Or, s’il avait quelque chose à faire valoir, c’était la décision qu’il avait prise de confier la réduction définitive de Palmares au capitaine Fernão Carilho, un « sertaniste » avisé qui s’était déjà distingué dans ses campagnes contre les mocambos de Sergipe et de Bahia. Non seulement il fit plus de douze cents prisonniers, nombre d’entre eux appartenant à la famille dirigeante des mocambos, mais, de plus, il parvint à faire signer un traité de paix aux deux parties (22 juin 1676), dont l’un des articles prévoyait le déplacement des implantations en des lieux plus faciles à contrôler. Or, c’est précisément toute cette histoire que raconte le père Antônio da Silva dans les deux manuscrits ayant survécu.

6Aucun document ne relit directement D. Pedro de Almeido et Antônio da Silva. Nous ne savons pas si le premier passa commande au second d’un récit de ses exploits ou si le second l’écrivit de son propre chef. Nous ne savons même pas ce que fut la circulation des manuscrits entre le Pernambuco et Lisbonne. Pour tâcher, en dépit de l’absence de sources, de comprendre pourquoi le vicaire écrivit ce texte, Lara et Fachin s’en remettent à l’analyse minutieuse du « genre textuel » du document. Il s’agit, nous expliquent-ils, d’une « relation » [relação], c’est-à-dire d’un texte encomiastique « destiné à narrer des événements dans le but d’informer, de solenniser les succès d’une autorité et de faire son éloge » (p. 68). La manière de raconter, nous disent-ils, est au moins aussi importante que les faits évoqués. Le narrateur, qui parle en première personne, « se cache parmi les acteurs des événements qui se sont déroulés, sans se nommer, se présentant comme un défenseur des conduites de D. Pedro de Almeida, séduit par ses prouesses, sa perspicacité militaire et ses incomparables capacités à mobiliser les personnes les plus adéquates au service de l’action en cours » (p. 69). Dès lors, il n’y a pas de doute, pour Lara et Fachin, que la relation fut commandée au prêtre par le gouverneur sur le retour pour conforter sa position face au Conseil d’outre-mer qu’il allait devoir affronter.

7L’un des principaux procédés rhétoriques de l’éloge est l’amplification qui s’applique à l’individu concerné, à ses actions mais aussi à l’adversité qu’il doit surmonter, que celle-ci soit naturelle ou humaine. Dès lors, le narrateur ne néglige ni de magnifier les prédécesseurs malheureux de D. Pedro dans leur longue et infructueuse bataille contre les Palmares, ni les contrées sauvages dans lesquelles ils durent s’aventurer, ni bien sûr les fugitifs qui y avaient trouvé refuge. Cela passe notamment par la mise en scène de la vie économique, sociale et politique de ces derniers, conçue comme une sorte de miroir du royaume portugais qu’ils ont défié. Les mocambos deviennent une « république », c’est-à-dire au sens qu’à ce mot au XVIIe siècle, un État avec un gouvernement et des magistrats. L’auteur montre comment « ses chefs politiques et militaires étaient vaillants, admirables et respectés ; ses guerriers résolus et habiles ; les habitants de Palmares constants, menaçants et difficiles à vaincre » (p. 69). Ces qualités hyperbolisées fonctionnent d’autant mieux dans la relation qu’elles s’appliquent à des individus ou à des lieux précisément dénommés et décrits, faisant du texte le plus précieux des documents et, en même temps, le plus difficile à interpréter. Les auteurs donnent quelques exemples de ce que peut être la lecture critique d’un récit dont l’exagération contrôlée – ni trop ni surtout trop peu – est le principe d’engendrement, notamment lorsque, comparant les deux versions du texte, ils montrent comment son rédacteur précise les détails, choisit les événements, module les compliments, etc.

8Il reste toutefois que l’essentiel de cet ouvrage réside dans le magnifique travail d’édition des deux manuscrits. Les auteurs ont choisi – et il faut les en remercier – de moderniser l’orthographe et de développer les abréviations tout en offrant quelques photographies des originaux. Ils ont aussi décidé d’ajouter en annexe quelques autres documents archivistiques tout aussi importants (notamment sur le gouvernorat de D. Pedro de Almeida) dont certains avaient déjà circulé mais dont d’autres ont été repérés à l’occasion de leur recherche.

9Bien sûr, cet ouvrage est fortement connecté avec la somme magistrale que Silvia Hunold Lara vient de donner sur les Palmares (Palmares & Cucaú. O aprendizado da dominação, São Paulo, Edusp, 2021) et dont Guida Marques a rendu compte [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/​bresils/​14195]. Tout lecteur de celui-ci ne pourra que revenir à Guerra contra Palmares. Mais l’inverse n’est pas vrai. Cette magnifique édition critique se suffit à elle-même. Elle est une avancée majeure dans l’approche de l’archive d’Ancien Régime.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean Hébrard, « Lara, Silvia Hunold & Phabio Roberto Marchis Fachin, dir. Guerra contra Palmares: o manuscrito de 1678 »Brésil(s) [En ligne], 25 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/16835 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qxz

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Auteur

Jean Hébrard

EHESS/Johns Hopkins University

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