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Comptes rendus

Machado, Bernardo Fonseca. Discourses on American Musical Theatre between São Paulo and New York: Theatrical Flows at the Beginning of the Twenty-First Century.

Virgínia Bessa
Référence(s) :

Machado, Bernardo Fonseca. 2022. Discourses on American Musical Theatre between São Paulo and New York: Theatrical Flows at the Beginning of the Twenty-First Century. Lanham: Lexington Books, 137 p.

Texte intégral

1Entre la dernière décennie du xixe siècle et les années 1920, la ville de São Paulo est devenue une escale importante sur la route des tournées des compagnies étrangères de théâtre musical. Des troupes italiennes, portugaises, espagnoles et, dans une moindre mesure, françaises, mexicaines, argentines, autrichiennes, anglaises, etc., montaient dans cette ville des opérettes, des revues, des divertissements, des zarzuelas et autres genres théâtraux dans lesquels le chant avait un rôle central. Très peu de ces compagnies venaient de l'Orient et, curieusement, aucune des États-Unis. Entre 1960 et 1980, des spectacles chantés en provenance de Broadway commencèrent à être montés dans la capitale pauliste, mais avec un succès modeste et des troupes locales. Ce n'est qu'à partir du xxie siècle que ce genre anglo-américain, connu sous le nom de « musical », a acquis une réelle importance sur les plans économique et culturel au cœur de la scène théâtrale de São Paulo, inaugurant de nouveaux échanges entre cette ville et New York.

2L'ouvrage en question se penche justement sur ces échanges, à travers les imaginaires qui les imprègnent et, plus que tout, les expériences et les discours partagés par leurs agents : étudiants de théâtre, acteurs, directeurs, producteurs et journalistes des deux métropoles. Son auteur, Bernardo Fonseca Machado, anthropologue et acteur résidant à São Paulo, n'a pas la prétention de retracer l’histoire des relations théâtrales entre le Brésil et les États-Unis, tâche excessivement vaste et complexe. Son objectif est, avant tout, de comprendre comment se manifestent et se reproduisent les similitudes et les différences dans les circulations théâtrales entre São Paulo et New York au cours des deux dernières décennies du xxe siècle et les premières du xxie siècle. Si, d’une part, les musicals de Broadway sont perçus comme universels dans la mesure où ils mobilisent des émotions avant tout « humaines », de l’autre, leurs productions au Brésil et aux États-Unis sont marquées par des singularités techniques et esthétiques associées aux stéréotypes nationaux de chacun des pays et aux corps même des artistes, dont les voix et les apparences les empêchent de représenter (ou les obligent à s’en tenir à) certains rôles. Pour examiner ces ressemblances et ces différences, Machado a mené une recherche ethnographique dans les deux écoles de théâtre musical (la pauliste et la new-yorkaise) et a fait des entretiens avec des dizaines de personnes impliquées dans la production de ce type de spectacles.

3Tiré d'une thèse de doctorat en anthropologie soutenue en 2018 à l'Université de São Paulo, le livre a été adapté pour le lecteur états-unien. Cela explique la concision du texte et l'économie des notes, réunies à la fin de chacun des cinq chapitres. Dans le premier, l’auteur examine la relation entre le programme de réforme urbaine de Times Square, durant les années 1980-1990, et le début de l'exportation des musicals de Broadway à travers le monde. Située au cœur de la zone théâtrale de New-York, Times Square a vu s’installer, à la fin des années 1970, une multitude de sex-shops, boutiques de massage, cinémas pornos, travailleurs du sexe et usagers de drogues, qui ont fait perdre leur public aux divers théâtres, quand ils ne les ont pas obligés à fermer leurs portes. Dans le but de mettre un coup d'arrêt à cette dynamique, trois projets de requalification à grande échelle se sont succédé dans cette zone. Malgré la résistance de ceux qui dénonçaient le caractère excluant des réformes liées à des intérêts économiques, des pratiques hygiénistes et une rhétorique moralisante, le lieu a été complètement reconfiguré. Du point de vue esthétique, il a été associé à un espace de diversité et de multiculturalité, capable d'accueillir des touristes du monde entier, ce qui s’est traduit par une perception du théâtre produit là-bas comme « universel ». Sur le plan économique, le vieux modèle d’investissement théâtral, reposant entre les mains de petits entrepreneurs indépendants, a été remplacé par un modèle promu par de grands producteurs et des consortiums.

4C’est dans ce contexte qu’est arrivé à Broadway le producteur britannique Cameron Mackintosh, venu du West End (le district théâtral de Londres). Responsable pour la production de méga-musicals qui mêlent la musique pop-rock à des récits sentimentaux et des scénarios exubérants comme dans Cats, Les Misérables, The Phantom of the Opera et Miss Saïgon, Mackintosh a inauguré un modèle lucratif d’exportation théâtrale. Ces productions ont été présentées d’abord à Londres puis à New York pour, ensuite, être jouées dans diverses villes du monde. Au lieu de vendre les droits des livrets et des partitions pour que des producteurs d’autres pays réalisent leurs propres montages, il en est venu à franchiser les productions originelles. C'est ainsi que des spectacles à l’identité visuelle et musicale semblables ont été vus dans des villes aussi différentes que New-York, Vienne, Pékin ou São Paulo.

5Le chapitre suivant retrace l’histoire de l'arrivée de ces méga-musicals dans la capitale pauliste en 2001, avec le montage de Les Misérables par l’entreprise mexicaine Corporación Interamericana de Entretenimiento (CIE), chargée de produire en franchise dans toute l’Amérique latine des spectacles de Broadway. Avant cela, deux faits avaient déjà signalé la présence de musicals à São Paulo : d'abord le lancement en 1963 de My Fair Lady, un original de Broadway, produit pour la première fois au Brésil, qui fut prolongé par quelques autres dans les années suivantes (tous en production locale) ; puis, l’offre à partir des années 1980 de cours de théâtre musical par l’école de langues Cultura Inglesa, pour familiariser une nouvelle génération de Brésiliens à ce genre. À propos de ces premières expériences, Machado met en évidence les insuffisances techniques des équipes brésiliennes, considérées comme incapables de danser et chanter comme des « gringos » (nom donné aux États-Uniens dans toute l’Amérique latine). Cette difficulté ne sera dépassée que dans les années 2000, quand l’importation de productions nord-américaines a encouragé la création d’écoles de théâtre musical à São Paulo, ce qui est l’objet du chapitre suivant. L’auteur signale encore la concomitance entre le projet d’expansion internationale de Broadway et les politiques culturelles de l’État brésilien, en particulier la loi Rouanet. Celle-ci prévoyait que les investissements faits par des sociétés privées dans le secteur culturel pourraient être déduits de leur impôt sur le revenu. En 1999, une réforme a permis que cette déduction soit de 100% dans le cas des projets de théâtre. Cela a fait du montage de mega-musicals comme Les Misérables une affaire à la rentabilité garantie au début du xxie siècle, par la franchise d’impôts.

6Dans le chapitre 3, l’auteur analyse quelques expériences d’enseignement et d’apprentissage observées sur le terrain. Machado montre comment les techniques interprétatives enseignées à São Paulo sont inspirées de celles qui sont en vigueur à New York, fondées sur la méthode de Sanford Meisner. Même s’ils utilisent des techniques différentes, les professeurs des deux écoles de théâtre musical ethnographiées encouragent les acteurs en formation à tirer parti de leurs expériences et sentiments personnels pour transmettre la « vérité » des personnages, en mobilisant pour ce faire un certain discours sur l’universalité des émotions. Celles-ci seraient une référence commune, un point de convergence qui rendrait possible la communication théâtrale, indépendamment de l’origine du public et des acteurs. Mais si l’appel à des émotions partagées fait écho à la prétention à l’universalité des spectacles de Broadway, les corps des acteurs, marqués par des origines nationales ou phénotypiques et par des accents divers, expriment des particularités locales et jouent un rôle dans la production de différences. Celles-ci sont explorées dans le chapitre 4, dans lequel sont abordées les constructions et les discussions autour des corps dans les musicals de type Broadway. Dans ce chapitre, Machado étudie les cours dans lesquels les étudiants des deux écoles simulent des auditions pour choisir les acteurs et où on leur apprend à reconnaître les « types » qu’ils peuvent interpréter. Ainsi, chaque acteur, à partir de ses caractéristiques phénotypiques, est identifié à un « profil » qui, à son tour, contextualise les différences entre les corps.

7Le cinquième et dernier chapitre fait entendre des acteurs et actrices brésiliens qui ont migré aux États-Unis dans le but de se spécialiser en tant qu’acteurs. Machado y explore la façon dont ils mobilisent une rhétorique de la différence pour décrire leurs expériences. Si l’universalité des émotions est vue comme la clé pour entrer sur le marché du travail états-unien, les particularités physiques et culturelles des Brésiliens sont perçues à la fois comme un avantage et un inconvénient par ces acteurs. Leur émotivité « innée », par exemple, leur serait utile sur scène, en leur permettant de jouer avec plus d’abandon et de vérité, mais elle leur porterait préjudice en coulisses parce qu’elle entre en conflit avec la discipline impersonnelle et technique des États-uniens. De même, la racialisation ressentie par ces artistes, hétéro-identifiés comme latinos, leur interdit, certes, d’interpréter des types caucasiens, mais elle leur ouvre un accès privilégié à des rôles réservés aux non-blancs.

8Le livre, qui offre une contribution aux études anthropologiques qui portent sur les relations entre pratiques théâtrales et expériences sociales, a en outre le mérite d’aborder un objet fréquemment méprisé par les sciences sociales brésiliennes. Le fait d’avoir été publié aux États-Unis avant même d’avoir été édité au Brésil révèle, d'ailleurs, un certain préjugé par rapport aux musicals de la part du milieu académique brésilien, qui nourrit un plus grand intérêt pour le théâtre « d’auteur » que pour le théâtre « commercial ». Il faut espérer que le regard porté par Machado, en révélant les processus de distinction qui marquent son propre champ de recherche, contribue à ouvrir le champ des études sur le théâtre musical au Brésil et à mettre en évidence sa centralité dans la compréhension de ces processus sociaux, économiques et politiques qui inscrivent l’histoire et la culture brésiliennes dans un cadre global, transnational.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Virgínia Bessa, « Machado, Bernardo Fonseca. Discourses on American Musical Theatre between São Paulo and New York: Theatrical Flows at the Beginning of the Twenty-First Century. »Brésil(s) [En ligne], 25 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/16810 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qxy

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