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Comptes rendus

Souza, Laura de Mello e. O Jardim das Hespérides. Minas e as visões do mundo natural no século XVIII

Sébastien Rozeaux
Référence(s) :

Souza, Laura de Mello e. 2022. O Jardim das Hespérides. Minas e as visões do mundo natural no século XVIII. São Paulo: Companhia das letras, 172 p.

Texte intégral

1Le Jardin des Hespérides est le dernier opus de l’historienne Laura de Mello e Souza, dont l’œuvre vient d’être couronnée du prestigieux Prix international de l’Histoire 2024, décerné par le Comité international des sciences historiques. L’ouvrage est le fruit d’une réflexion de longue haleine, dont les premiers jalons ont été posés au débat des années 1990, au contact des sources manuscrites et imprimées portant sur le Minas Gerais au xviiie siècle, avant que le texte ne soit remis sur le chantier depuis Paris, lorsque l’historienne était titulaire de la chaire d’histoire du Brésil colonial à la Sorbonne. C’est le temps qu’il a fallu pour murir et préciser les contours d’une réflexion qui affronte le complexe et délicat sujet des représentations de la nature à Minas Gerais, région dont l’apparition sur les cartes du Brésil colonial au xviiie siècle fait suite à la découverte de mines aux richesses prodigieuses à la fin du siècle précédent.

2La référence au jardin des Hespérides est tirée de l’História antiga de Minas Gerais, écrite par l’historien mineiro Diogo de Vasconcelos (1843-1927), dans des pages où il décrit la nouvelle région des mines, et plus précisément le sertão de Caeté. L’historienne a choisi de mobiliser à son tour cette référence mythologique dans le titre de son ouvrage, tant le mythe grec, qui relate la façon dont le jardin des Hespérides, situé en « Extrême Occident », est arraché par Héraclès à la « barbarie » pour intégrer la « civilisation », traduit aussi le processus de colonisation (et d’occidentalisation) d’un territoire occupé depuis des millénaires par des peuples autochtones. C’est à la lumière de ce mythe, sur lequel l’historienne fait retour en conclusion du livre, que sont explorées tour à tour les quatre « visions » de Minas Gerais au xviiie siècle, qualifiées respectivement de mythique, tragique, pratique et sensible.

3Le premier chapitre convoque logiquement l’importance du mythe dans les représentations contemporaines des explorations et conquêtes du Nouveau monde au xvie siècle comme au siècle suivant, lorsque les Bandeirantes qui accompagnent Fernão Dias Pais dans ses pérégrinations partent à la recherche des mines d’émeraude, dont on dit qu’elles se trouvent dans le « massif légendaire de Sabarabuçu ». L’historienne montre que de tels mythes, souvent empreints d’une vision édénique de la nature et de ses ressources, continuent d’accompagner les colons qui pénètrent plus profondément dans les sertões du Brésil, lorsqu’ils repoussent les frontières de la vaste capitainerie des Mines générales, au xviiie siècle. Certains espèrent encore trouver au cœur du continent sud-américain le Paradis terrestre que Christophe Colomb pensait déjà avoir trouvé au début du xvie siècle, plus au nord. Ainsi, au xviiie siècle, le sertão de Minas Gerais est l’objet de représentations récurrentes dans lesquelles mythes et religion s’entremêlent, alors que circulent là prêcheurs et ermites, guérisseurs et aventuriers dont les récits relatent les merveilles rencontrées, qu’elles soient réelles ou fictives. La découverte de plantes et d’espèces animales jusque-là inconnues contribuent à nourrir cet imaginaire, comme en témoignent les premières descriptions empreintes de merveilleux du tamanduá.

4Le sertão, à mesure qu’il est exploré et colonisé, suscite autant l’espoir que l’angoisse chez ceux qui osent s’y aventurer. Le Paradis peut tout aussi bien muter et devenir Enfer, tant le tragique affleure aussi dans les récits de ceux qui espèrent faire fortune dans ces terres reculées et périlleuses. Franchir les massifs montagneux qui ferment les portes du sertão de Minas Gerais, c’est alors risquer de croiser en chemin des êtres inconnus, maléfiques ou fantastiques. À mesure que les colons s’installent et les nouveaux venus affluent pour exploiter les richesses minières, le spectre de la famine ou de la disette nourrit des craintes nouvelles, lorsque les ressources de la forêt s’amenuisent. On accuse alors le climat tourmenté de ces régions montagneuses d’entretenir une atmosphère propice à la sédition, alors que les épisodes récurrents de crue ravagent les habitats précaires des orpailleurs et les berges des rivières, au point de rendre dangereuse sinon impossible la traversée des eaux déchaînées. Ces craintes sont exacerbées dans les marges des territoires colonisés, là où le sertão s’étend à perte de vue, où la faune sauvage sinon monstrueuse, les peuples jugées barbares et les esclaves marrons coalisent leurs forces pour résister à la puissance coloniale. S’y aventurer est certes dangereux, mais aussi la garantie d’un prestige sans pareil pour ceux qui repoussent encore les frontières des terres connues et colonisées, au risque de leur vie.

5Coloniser impose de recenser et d’inventorier les richesses de la capitainerie, et d’en fixer les frontières précises. Il revient aux administrateurs de mener cette tâche à bien, et leurs rapports envoyés en métropole permettent de retracer l’avancée du processus de territorialisation et d’établir la liste des richesses exploitables, à mesure qu’une économie coloniale s’y déploie et s’y structure. C’est plutôt à la fin du xviiie siècle, sous l’influence des Lumières, que de telles descriptions à la fois scientifiques et pratiques sont rédigées. Empreints d’utilitarisme, ces écrits listent les ressources dont le Portugal peut tirer profit et précisent les techniques les plus vertueuses pour les exploiter de manière durable. Des cartes indiquent les chemins par lesquels les richesses doivent gagner l’océan puis Lisbonne. Le Vieux Chemin, qui relie d’abord le district de Diamantina à Paraty, est dès le début du xviiie siècle concurrencé par une route plus directe vers Rio de Janeiro, le Nouveau Chemin, dont l’entretien et la surveillance sont une priorité des autorités coloniales. La territorialisation s’accompagne d’une intense déforestation afin de faire place nette aux activités nouvelles, minières et agricoles, et fournir l’énergie nécessaire pour alimenter l’industrie extractiviste et satisfaire les besoins d’une population croissante, libre et servile, à mesure que de nouvelles villes sont fondées. Beaucoup s’alarment cependant de la disparition accélérée de la faune, de la destruction de l’environnement autour des zones minières, de l’ampleur de la déforestation et du caractère archaïque des techniques agraires, à l’heure où la ressource en or semble s’épuiser. Des administrateurs et des scientifiques s’inquiètent devant le spectacle tragique de ces paysages désolés et détruits, rendant impérative à leurs yeux une gestion moins prédatrice et plus pérenne des ressources.

6Le dernier chapitre explore la région de Minas Gerais sous l’angle des sensibilités, dont l’importance est déjà palpable dans les précédents chapitres. L’essor d’une vie culturelle dans les villes principales de la capitainerie dans la seconde moitié du xviiie siècle, à l’instar de Vila Rica et Mariana permet d’appréhender dans les sources littéraires les représentations ambiguës de la nature, où la « fatalité » le dispute à l’ « orgueil », comme il en va dans les œuvres poétiques de Tomás Gonzaga ou Inácio José de Alvarenga Peixoto. À la fin du siècle, certains de ces auteurs reprennent à leur compte une vision édénique de la nature afin d’exalter les richesses extraordinaires de Minas Gerais – une représentation caractéristique des Inconfidentes qui conjurent en 1789 contre le pouvoir colonial, accusé de maintenir les habitants de la capitainerie dans la misère.

7Dans cet ouvrage à la fois concis et percutant, Laura de Mello e Souza ajoute une nouvelle pierre à ses nombreux travaux sur le Minas Gerais au xviiie siècle. Sensible à l’urgence environnementale et aux catastrophes écologiques qui frappent encore et toujours le Brésil et l’État mineiro en particulier, comme à l’essor de l’histoire environnementale, l’historienne offre avec ce livre une contribution précieuse pour réfléchir aux imaginaires et représentations de la nature qui ont accompagné la colonisation du territoire brésilien, dans une démarche qui fait écho, entre autres travaux, à l’ouvrage dans lequel l’historien José Augusto Pádua propose une histoire intellectuelle des questions environnementales, telles qu’elles sont (re)formulées à l’heure où le Brésil accède à l’indépendance (Um Sopro de destruição, 2002).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Rozeaux, « Souza, Laura de Mello e. O Jardim das Hespérides. Minas e as visões do mundo natural no século XVIII »Brésil(s) [En ligne], 25 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/16795 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qxx

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Auteur

Sébastien Rozeaux

Université Toulouse Jean Jaurès – FRAMESPA

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