Szwako, José & José Luiz Ratton, dir. Dicionário de negacionismos no Brasil.
Szwako, José & José Luiz Ratton, dir. 2022. Dicionário de negacionismos no Brasil. Recife : Cepe, 366 p.
Texte intégral
1Valoriser la science et la diffusion scientifique, et prendre position vis-à-vis du négationnisme : telle est la principale ambition du Dicionário dos negacionismos no Brasil organisé par José Szwako et José Luiz Ratton. L’ouvrage s’affiche de façon très claire comme anti-négationniste, en proposant de réunir et d’expliquer de façon systématique les termes faisant l’objet de controverses quotidiennes dans le débat public brésilien et international. Partant du principe qu'il n’existe pas de définition unique sur ce qu’est le négationnisme, les auteurs cherchent à interpréter ses significations comme relevant de stratégies à visée politique, en mobilisant pour ce faire une méthodologie originale.
2Le dictionnaire réunit 112 notices écrites par des spécialistes de diverses disciplines afin de démontrer la diversité du sujet. L’ouvrage est construit à partir de l’idée que le négationnisme est paradoxal : d'un côté, on emploie ce terme pour désigner et circonscrire les adversaires des recherches scientifiques et, de l’autre, il souligne l’existence de groupes organisés pour attaquer la science de façon concertée, sans qu’ils ne se reconnaissent pour autant comme négationnistes.
3Le thème des négationnismes a acquis une actualité nouvelle dans le débat brésilien à la suite de la pandémie de COVID-19. La gestion de la pandémie et la rapide diffusion d’informations qui l’accompagne ont construit un espace propice à la circulation de nouvelles sans cesse reprises et commentées. Cela se traduit par une multiplication des personnes relayant des fausses informations, à l’origine de l’essor du négationnisme. Si la pandémie a mis celui-ci au centre du débat public, le phénomène n’est pour autant pas nouveau. Il trouve ses origines dans la négation de la Shoah, par des individus et des groupes s’attelant à démontrer qu’elle n’a pas eu lieu, à rebours du récit des victimes et du travail des historiens. Le négationnisme a pris ensuite des formes diverses, par la négation d’autres génocides et la révision de l’histoire. Ainsi, il s’est manifesté par des discours réfutant l’usage de la violence d’État durant la dictature militaire et par la négation de certains faits historiques sensibles, comme l’esclavage et les génocides des communautés indigènes et noires dans le Brésil contemporain.
4L’ouvrage explore quatre dimensions mobilisées par le négationnisme. La première concerne la relecture de l’histoire et les distorsions de la réalité afin de nier des faits et des récits. Cela est présent, à titre d’exemple, dans les notices sur la grippe espagnole et sur la révolte contre le vaccin (1904). La deuxième se réfère aux idéologues et aux pionniers du négationnisme, des personnes qui se présentent comme spécialistes d’un sujet donné et confèrent une autorité aux débats développés par les négationnistes. C’est le cas de la notice consacrée à Olavo de Carvalho. Le troisième volet touche à la relation entre les informations, les technologies et les usages qui en sont faits comme instruments de dissémination des connaissances engendrées par le révisionnisme historique et scientifique, ainsi qu’aux initiatives de vérification des informations et de la diffusion scientifique, comme dans les notices sur le « fact checking » et la « communication publique de la science ». Le quatrième aspect traite enfin des institutions et des autorités qui produisent de la science et qui défendent son rôle et son existence à l’échelle nationale et internationale. Les auteurs font état des attaques dont ces institutions font l’objet, comme dans les notices sur la Fiocruz ou l’Académie brésilienne des sciences.
5Les intitulés de notices relatifs à des moments historiques particuliers démontrent la relation ambigüe entre le négationnisme contemporain et l’émergence d’un agenda international lié aux formes de révision du passé. Il s’agit ici d’aborder les luttes pour des réparations matérielles ou symboliques et la mise en œuvre de politiques de reconnaissance des crimes historiques commis par les États ou les institutions. Dans ce contexte, la réaction se manifeste sous la forme de réinterprétations de l’histoire brésilienne, comme il en va pour la période de la dictature militaire ou comme on peut lire dans la notice consacrée au « génocide ».
6Le négationnisme est souvent imprécis, créant volontairement de la confusion, ce qu’on peut comprendre grâce aux notices qui portent sur les refus à la reconnaissance des minorités, les politiques anti-genre, les idées climato-sceptiques ou encore le « platisme ». Ces notices démontrent comment les informations disséminées sans vérification, venant d’origines différentes, sont capables de créer des écoles fondées sur la pensée d’idéologues, renforçant ainsi des processus d’identification collectifs et la politisation des communautés, dont les tensions mutuelles ne font qu’augmenter.
7Le caractère diffus du négationnisme est abordé dans les notices portant sur la circulation de l’information. Les groupes anti-genre, organisés autour des révisionnismes historiques et de la négation de la science, qui ont bénéficié d’une large audience durant la pandémie, sont eux aussi structurés à travers des réseaux qui produisent des informations dont la diffusion est extrêmement rapide. En ce sens, la technologie acquiert une centralité dans diverses notices du dictionnaire, à l’instar de celles consacrées à la « presse négationniste », aux « fake news », aux « sleeping giants », où il est question d’événements dans lesquels les médias et la liberté d’expression sont devenus les cibles du débat public.
8Le débat sur les institutions scientifiques renforce le propos principal de l’ouvrage, c’est-à-dire la défense de la science. Outre les diverses notices dédiées à des institutions de recherche et de régulation des politiques publiques, comme l’IBGE (Institut brésilien de géographie et de statistique) et l’ANVISA (Agence nationale de veille sanitaire), le dictionnaire met aussi en exergue les actions d’organisations comme la Société brésilienne pour le progrès de la science (SBPC) et le Réseau brésilien des femmes scientifiques. Ces notices démontrent l’importance qu’il y a à se positionner face aux attaques subies par ces institutions durant la pandémie. Elles démontrent surtout combien la défense de la science est quelque chose de constant dans l’histoire du Brésil. En effet, certaines de ces organisations ont été créées dans les années 1940 et ont témoigné des négationnismes contre la science dans différents contextes.
9L’ouvrage révèle enfin l’urgence qu’il y a à débattre des négationnismes et à définir et circonscrire scientifiquement le phénomène. Ce faisant, le Dicionário dos negacionismos no Brasil est un jalon important pour la construction d’un agenda brésilien de recherche sur le thème. L’identification des similitudes, l’effort de contextualisation et d’accessibilité à l'information démontrent à quel point la cartographie et l’analyse des effets et des événements liés au négationnisme sont un défi majeur. Observer un phénomène diffus et omniprésent dans le contexte brésilien et mondial est une tâche que ce livre mène à bien, dans un dialogue, pas toujours harmonieux, entre science, politique et société.
10De ce fait, l’ouvrage comble une importante lacune ouverte par les négationnismes : la recherche de l’information. La diversité des exemples, l’effort de contextualisation et de référencement font de ce dictionnaire une lecture incontournable pour lever les doutes et les interrogations sur le négationnisme. Cela est crucial à une époque où la science et l’histoire sont sous le feu d’attaques directes, rendant impérative la lutte contre les idées et les pensées qui menacent les minorités et les politiques de développement et d’inclusion. En définitive, le travail collectif et la structuration de celui-ci sous la forme d’un dictionnaire ont deux vertus principales : prendre position en faveur de la défense de la science, en proposant des définitions et des voies pour étudier les négationnismes au Brésil, et proposer des informations précises et fondées, claires et accessibles aux lecteurs. Ainsi, ce dictionnaire met à disposition du plus grand nombre un instrument indispensable pour nourrir les débats sur le négationnisme.
Pour citer cet article
Référence électronique
Ana Carolina de Oliveira Gonçalves, « Szwako, José & José Luiz Ratton, dir. Dicionário de negacionismos no Brasil. », Brésil(s) [En ligne], 25 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/16768 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qxw
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