Limulja, Hanna. O desejo dos outros. Uma etnografia dos sonhos yanomami
Limulja, Hanna. 2022. O desejo dos outros. Uma etnografia dos sonhos yanomami. São Paulo: Ubu Editora, 192 p.
Texte intégral
1O desejo dos outros est un ouvrage original par sa thématique et la façon de l’aborder, servi par une écriture pointue et sensible. Assez court, agréable à lire malgré sa densité, il est aussi illustré de photographies en noir et blanc de l’auteure.
2Hanna Limulja est une anthropologue engagée qui travaille avec les populations yanomamis du Nord-Ouest du Brésil depuis 2008. Ce livre consacré au rêve yanomami se base donc sur sa longue fréquentation des Yanomami et, en particulier, sur un travail de terrain au sein de la communauté Pya ú, dans la région Toototopi. Il s’inspire aussi largement de l’expérience et du témoignage magistral du chaman et leader yanomami David Kopenawa (le premier chapitre, notamment, est construit autour de matériaux issus de La chute du ciel, publié en France en 2010 [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/793]).
3Enquêter sur le rêve yanomami implique de renseigner le lecteur sur la notion de personne chez les Yanomami, sur leur conception du corps. Plus largement, c’est toute la cosmologie et l’ontologie yanomami, complexes et raffinées, qui sont ici habilement présentées. Pour autant, il ne s’agit pas d’une somme monographique sur la société yanomami. D’ailleurs, l’auteure s’appuie également sur de solides travaux ethnographiques déjà existants, notamment ceux de Bruce Albert et de Jacques Lizot.
4C’est moins le contenu des rêves qui intéresse l’anthropologue que ce que les Yanomami font avec leurs rêves (p. 83). Et donc la manière dont ils gèrent leurs nombreuses altérités. Car le rêve yanomami sert d’abord à cela : à gérer des relations d’altérité. En effet, la personne qui rêve est l’objet des désirs et des intentions d’un autre. Cet autre peut être une personne familière absente temporairement et qui ressent l’absence du rêveur, une personne amoureuse de celui/celle qui rêve, un chamane qui a repéré un enfant doué de visions chamaniques, un ennemi (dans ce cas le rêveur pourra rêver d’être la proie d’un animal redouté, comme un grand serpent ou un jaguar), un ancêtre, une entité. Ainsi, dans les rêves concernant des personnes décédées, ce sont les morts qui appellent les vivants à eux, qui les invitent à rejoindre la maison des morts. Autrement dit, la personne qui rêve est souvent la « proie » de celui/celle qui apparait dans son rêve. « À l’inverse de ce que suppose la psychanalyse freudienne, pour qui le rêve est le résultat du désir inconscient de celui qui rêve, dans le cas des Yanomami le rêve se constitue d’abord comme le désir manifeste venant d’un autre, ce dernier pouvant être un mort, un esprit ou un animal. Mais ce sont les vivants qui décident comment réagir face à ces assauts » (p. 114, nous traduisons).
5Il existe donc une relation entre le rêve, la chasse et le chamanisme. Comme les chamans, les bons chasseurs savent rêver « loin » pour avoir accès aux autres, pour établir des relations avec eux, et surtout pour identifier leurs intentions. « Il faut du courage pour pouvoir s’ouvrir au monde de l’altérité que sont la forêt et le rêve. Le chasseur solitaire qui marche à travers la forêt est, en un certain sens, analogue au chaman qui, séparé de son corps, voyage en forme d’image à travers le cosmos » (p. 102, nous traduisons).
6Pour les Yanomami, toute connaissance est rêvée (p. 47, 53). Considéré comme une source de savoir, le rêve est donc valorisé. Il est un outil d’apprentissage (c’est même la forme d’apprentissage par excellence des chamans), un moyen d’étudier, de voyager dans l’espace et dans le temps. Il ne s’agit pas ici de symbolisme ou de représentation, le rêve a bien « lieu » : utupë, l’image virtuelle des personnes (un double intérieur, une forme spectrale, une image vitale) évoluant alors dans une autre dimension.
7L’auteure montre que le rêve vient au monde par le langage, par la narration, en étant conté, partagé, commenté, socialisé ; sinon, il reste dans le domaine d’une réalité virtuelle (p. 72). Tous rêvent mais certains, encore inexpérimentés, ont honte/peur de raconter leurs rêves. Ainsi, savoir parler en public et conter son rêve s’apprend. Raconter son rêve permet de s’en souvenir et de le faire exister ; cela permet aussi de le comprendre, et éventuellement de défaire un mauvais présage ou un sortilège. Cette narration peut s’exercer dans le contexte d’un discours quotidien (hereamu) ou d’un dialogue cérémoniel (wayamu).
8Les Yanomami considèrent qu’on ne peut rêver durant le jour. À l’inverse, la nuit est le royaume de tout ce qui peut s’affranchir du corps physique ; les « images » appartiennent à la nuit et circulent durant cette période.
9L’auteure propose en outre des interprétations nouvelles sur la question des variations mythologiques. En effet, les mythes yanomami évoquent des actions réalisées en rêve ; ils sont expérimentés, vécus par les chamans dans l’espace-temps du rêve. Ces mythes ont donc été rêvés par ceux qui les racontent. Or, en étant ainsi (re)racontés, ils se transforment et sont comme « actualisés » au présent.
10Dans La chute du ciel, David Kopenawa expliquait déjà que si le rapport occidental à la terre est si destructeur, c’est que les Blancs ne savent plus rêver, c’est-à-dire se projeter dans d’autres formes de vie afin de correspondre avec elles. Dans ce livre et à travers l’exemple yanomami, Limulja tend elle aussi à démontrer qu’il existe un rapport intime entre ce qu’une société fait de ses rêves et la manière dont elle traite les milieux de vie qu’elle partage avec tous ces « autres », humains et non humains.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jérôme Souty, « Limulja, Hanna. O desejo dos outros. Uma etnografia dos sonhos yanomami », Brésil(s) [En ligne], 25 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/16750 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qxv
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