Costa, Antonio Maurício. Bumbás da Amazônia, negritude, intelectuais e folclore (Pará, 1888-1943)
Costa, Antonio Maurício. 2022. Bumbás da Amazônia, negritude, intelectuais e folclore (Pará, 1888-1943). Jundiaí: Paco Editorial, 269 p.
Texte intégral
1Antonio Maurício Costa est anthropologue, spécialiste de la culture et de la musique populaire de Belém. Son Bumbás da Amazônia est pour autant une étude historique qui présente les résultats de deux ensembles de recherches : le premier portant sur la présentation des groupes de bumbá par la presse amazonienne entre la fin du xixe siècle et les années 1940 ; le second consacré à l’étude et la valorisation du folklore nordestin et amazonien par les hommes de lettres brésiliens des années 1920 aux années 1940. La recherche se fonde donc sur deux sources documentaires différentes : le dépouillement de journaux et de magazines d’une part, et, d’autre part, l’examen des travaux d’écrivains, musiciens et folkloristes, avec une attention particulière portée à Mario de Andrade. À cela s’ajoute le dépouillement partiel des archives de la mission de recherche folklorique, organisée par le célèbre romancier en 1938. Le but du livre est donc de comparer deux points de vue, tantôt opposés, tantôt complémentaires, sur les défilés de bumbá : celui des journalistes représentatifs de la bourgeoisie de Belém et celui des amateurs lettrés de folklore, en prenant en compte les temporalités propres à chaque domaine.
2Le premier chapitre est ainsi consacré à l’étude des articles publiés par la presse de Belém au sujet des défilés de bumbá, entre les années 1880 et la fin des années 1910. À ce moment-là, la bourgeoisie cherche à moderniser la ville, à l’image de l’Europe, à favoriser l’hygiénisme et la production culturelle érudite. Antonio Costa montre que les défilés de bumbá, bien qu’ils mettent en scène des représentations traditionnelles et symboliques de mort et de renaissance d’animaux, sont alors regardés par la bourgeoisie comme une source de désordre. Issus des quartiers pauvres de la ville, habités alors essentiellement par des noirs et des métis, ces défilés sont assimilés par les journalistes aux batuques du temps de l’esclavage, c’est-à-dire à des rassemblements bruyants heurtant les bonnes mœurs. Ils s’attirent aussi la méfiance de la police qui cherche à les interdire ou tout au moins à les contrôler en raison des affrontements qui opposent les participants quand deux groupes viennent à se croiser. La presse fait mention de bagarres parfois très violentes entre lutteurs pour s’emparer des bœufs symboliques des défilés concurrents. Antonio Costa montre pourtant de façon convaincante que la condamnation des défilés s’appuie sur des considérations politiques sous-jacentes : après l’Abolition, les classes dominées de couleur veulent s’approprier l’espace public et affirmer leur identité et leur présence collective. Les élites locales regardent avec suspicion toutes les formes d’affirmation populaire qui ne se conforment pas au modèle du travailleur urbain soumis à l’ordre bourgeois.
3Sans guère de transition, le deuxième chapitre change de sujet et s’intéresse au regard des hommes de lettres sur le folklore amazonien. A la fin du xixe siècle, ces derniers n’y avaient accordé que peu d’attention, mais les choses changent à partir des années 1920. A São Paulo, le modernisme se développe et cherche la formule d’une culture nationale, libérée de l’imitation servile de la France en s’appuyant sur les traditions régionales. Mario de Andrade visite la région en 1927 et assiste, enthousiaste, à des danses. Il entretient ensuite une correspondance avec des folkloristes, des hommes de lettres et des musiciens du Nordeste et d’Amazonie qui alimentent sa réflexion et ses archives jusqu’au milieu des années 1930. Il s’agit par exemple de Sergio Olindense, Waldemar Henrique, José Domingues Brandão, Gastão Vieira, Bruno de Menezes, soucieux de valoriser la culture du Nord du pays, tout en s’attachant à suivre les évolutions du mouvement moderniste. À partir des années 1930, Mario de Andrade cherche à se détacher du folklorisme de « cabinet », c'est-à-dire un divertissement pour la bourgeoisie, et veut renforcer le caractère scientifique, ethnologique, de ses recherches, en accord avec les enseignements de Dina Lévi-Strauss ou d’Arthur Ramos. L’étude du folklore devait s’intégrer aux sciences sociales grâce à des organismes rassemblant des spécialistes. La mission d’enquête sur le folklore qu’il organise en 1938 souffre pourtant d’un manque évident de professionnalisme ethnologique, en privilégiant le recueil matériel au détriment de l’enquête de terrain. Les données rassemblées permettent pourtant à Mario de publier par la suite des textes importants sur les « danses dramatiques » à l’orientation anthropologique affirmée. Dialoguant avec Arthur Ramos, il postule des origines religieuses aux cérémonies festives centrées sur la mort et la résurrection d’animaux. Le bœuf apparaîtrait ainsi comme une sorte de totem rural brésilien. Le chercheur s’insurge donc contre la persécution des groupes de danse par les autorités en même temps qu’il s’inquiète de la perte d’authenticité qui menace le folklore traditionnel, avec l’accélération de l’urbanisation.
4Sans guère d’autre fil conducteur que l’époque choisie, le dernier chapitre revient sur les relations entre la presse et les groupes de bumbá à partir des années 1920. L’auteur montre que la prise d’importance de la perspective folkloriste, suivie de la valorisation du métissage culturel et racial par les élites intellectuelles dans les années 1930, a permis une acceptation croissante des danses d’animaux dans le Nord du pays. Les journalistes ont cessé de vilipender systématiquement les défilés populaires pour jouer progressivement le rôle d’annonciateurs des programmes, de critiques esthétiques et de médiateurs avec les autorités. Celles-ci sont restées soucieuses d’éviter les désordres mais ont accordé plus facilement des autorisations, et ont incité les organisateurs de défilés à se produire dans des salles privées, des théâtres ou des arènes de festas juninas. Les groupes ont donc eu une tendance à se professionnaliser, à se soumettre à l’ordre économique bourgeois et à s’adapter au goût du public, perdant une partie de leur caractère contestataire et de leur dimension « authentique » traditionnelle, si prisée des folkloristes.
5Au final, l’ouvrage d’Antonio Costa, malgré son caractère quelque peu décousu et l’abondance des répétitions, s’avère d’une lecture aisée, agréable et instructive, même pour le profane. Le point fort de la recherche concerne l’utilisation de la documentation originale constituée par les articles de journaux et les publications de folkloristes, la plupart mal connus même du lecteur brésilianiste. Quelques choix de rédaction et d’organisation des idées peuvent cependant surprendre. Il est ainsi étonnant que le contenu des festivités étudiées ne soit décrit que dans le dernier chapitre, sur la base des publications tardives de certains folkloristes, et qu’en revanche les œuvres des hommes de lettres intéressés par les bumbás reçoivent une attention per se, au point que l’on se demande parfois si le fil central du texte n’est pas perdu. Certains développements sociologiques supplémentaires auraient également été bienvenus, par exemple une comparaison systématique avec les recherches sur la samba et le folklore urbain de Rio de Janeiro, et surtout une description plus fouillée des mondes sociaux étudiées : celui de Belém (police, autorités politiques, journaux) et évidemment celui des organisateurs et des participants aux défilés eux-mêmes, qui demeure encore mystérieux pour le lecteur au terme de la lecture. Ce dernier point apparaît d’autant plus indispensable qu’une partie des propositions de l’auteur concernant le bumbá comme forme de lutte contre l’exclusion semble se fonder plus réellement sur les a priori habituels des historiens brésiliens en ce domaine que sur une véritable exploitation des données empiriques.
Pour citer cet article
Référence électronique
Christophe Brochier, « Costa, Antonio Maurício. Bumbás da Amazônia, negritude, intelectuais e folclore (Pará, 1888-1943) », Brésil(s) [En ligne], 25 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/16700 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qxt
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