Souza, Pedro H. G. Ferreira de. Uma história de desigualdade. A concentração de renda entre os ricos no Brasil 1926-2013
Souza, Pedro H. G. Ferreira de2018. Uma história de desigualdade. A concentração de renda entre os ricos no Brasil 1926-2013. São Paulo: ANPOCS/Hucitec, 421 p.
Texte intégral
1L’ouvrage de Pedro Ferreira de Souza est tiré d’une thèse de doctorat récompensée en 2018 par le prix de l’ANPOCS. Il est consacré à l’étude de l’inégalité de distribution des revenus saisie « par le haut », c'est-à-dire sous l’angle de la concentration de la richesse par le centile le plus favorisé de la population brésilienne, un type de sujet désormais classique, notamment depuis les travaux de Thomas Piketty et de ses collaborateurs. Le lecteur perçoit cependant dès les premières pages que l’ouvrage de P. F de Souza sera amené à occuper une place de choix dans la bibliographie internationale. Le style est limpide, le texte dépourvu de notes est d’une lecture étonnamment aisée même pour le novice, la bibliographie est extensive et pourtant méticuleusement choisie, les compétences de l’auteur sont surprenantes qui allient culture historique, économique et politique, en plus d’une parfaite rigueur statistique, enfin le plan est ambitieux. Dans une première partie, l’auteur propose une très longue présentation du traitement du sujet de l’inégalité de distribution des revenus dans la littérature économique et sociologique internationale depuis le xixe siècle. Dans la deuxième partie, l’inégalité brésilienne au sommet est décrite avec un grand luxe de détail grâce à des dizaines de graphiques. Enfin des tentatives d’explications sont apportées et discutées.
2Pedro de Souza ne justifie pas en introduction le choix de l’inégalité de distribution, tant son importance sociologique est évidente, mais il prend soin d’étayer la pertinence du critère des hauts revenus. Concentrer l’attention sur le centile supérieur permet en effet d’étudier « les riches » sans avoir à délimiter les contours précis de groupes sociaux ni raisonner à partir de niveaux de consommation. Pour ce faire, et conformément à un usage établi, l’auteur a choisi d’utiliser les données de l’impôt sur le revenu (IRPF) qui sont plus sûres (ou plutôt moins déformées par la sous déclaration) que celles des enquêtes de recensement. Une très belle série de graphiques (p. 246 et 247) montre d’ailleurs les différences de richesses enregistrées pour les plus riches selon les sources des chiffres. L’intérêt de l’étude du premier centile est augmenté par le choix d’une large plage temporelle (presque un siècle) qui permet de comprendre les évolutions de l’inégalité en regard de l’histoire économique et politique, et ouvre la possibilité de comparaisons internationales. La difficulté est de transformer les données fiscales disponibles en séries homogènes. Les éléments techniques complets de la constitution des graphiques sont exposés longuement au chapitre 4, donc ni en introduction ni en annexe, ce qui est un choix judicieux. Même si la lecture de cette partie demande au lecteur une grande attention, elle apporte des éléments d’appréciation indispensables pour évaluer la pertinence des analyses proposées dans la deuxième partie. Il est en effet évident que les données fiscales sont imparfaites : incomplètes géographiquement et historiquement, elles sont organisées à partir de catégories qui ont varié dans le temps. Le travail de fabrication de données exploitables a constitué un véritable tour de force, dont les spécialistes pourront apprécier les limites ou la valeur grâce à un exposé complet et sans jargon.
3Le choix d’une longue première partie consacrée au traitement du thème dans la littérature internationale semble moins facilement justifiable, mais s’explique par le « format thèse » qui a guidé la rédaction initiale. Le lecteur peut être dérouté par un si long détour pour un livre consacré au Brésil. Il n’en demeure pas moins que le profit qu’il peut en tirer est considérable. L’exposé est organisé autour de trois périodes (1880-1945, 1945-1975, 1975-2013) ce qui correspond à la fois à des moments de l’histoire économique internationale et à certaines visions dominantes (ou débats) concernant l’inégalité (les premiers produisant en partie les deuxièmes). Ainsi la première période aurait vu l’apparition de l’inquiétude des intellectuels et des décideurs vis-à-vis de l’inégalité (alors très forte) au moment où la question sociale façonnait en partie les sciences sociales et modifiait les rapports de force politiques. Un modèle descriptif binaire (les riches et les pauvres) s’impose alors en partie. La deuxième période correspond à une phase d’optimisme sur fond de croissance économique. L’inégalité est alors regardée comme bénigne et en voie de résorption. La courbe en U inversé de Simon Kuznets est acceptée comme un modèle valable de la relation entre croissance et inégalité : celle-ci augmente au début de la période d’industrialisation car peu de gens bénéficient de la modernisation, puis elle se stabilise avant de décroître. Les pays industrialisés auraient atteint la fin de la courbe, alors que ceux du Tiers Monde en serait au début. L’époque de contestation globale de la fin des années 1960 entamera à peine l’optimisme ambiant, mais les théories néolibérales développées dans les années 1970 vont préparer la phase suivante. Dans les années 1980, le monétarisme s’impose avec le reaganisme et le thatchérisme qui affichent une indifférence marquée pour l’inégalité. Ce sont désormais les défenseurs de l’idée que l’inégalité criante est un problème qui auront à assumer la charge de la preuve. Dans le même temps, le recul du marxisme porte avec lui un désintérêt pour la notion de classe sociale. Dans les années 1990, cependant, la remontée évidente des inégalités, en particulier dans les pays anglo-saxons, rétablit en partie l’intérêt pour le modèle descriptif binaire. Mais les analystes doivent lutter contre la prégnance des théories libérales qui, comme au Brésil, mettent en avant des facteurs structurels comme les différences de capital humain. C’est également à cette époque que se développe l’étude de l’inégalité à partir de la concentration de richesse au sommet de la pyramide sociale.
4Cette première partie brosse donc un tableau très convaincant et très instructif des débats sur l’inégalité en les replaçant en partie dans leur contexte intellectuel et politique. L’ampleur des phénomènes concernés limite cependant l’homogénéité de l’examen. L’auteur passe ainsi de la sociologie à l’économie, de l’économie à la fiscalité et à la politique. L’extension impressionnante de sa culture rend cependant l’exercice passionnant : les textes cités sont lus, médités en profondeur et surtout remis pertinemment en perspective. On remarque au passage que, en tant que sociologue, Pedro de Souza a tendance à adresser ses critiques aux sociologues en fonction des problèmes théoriques de leurs propositions et aux économistes sur la base de leurs penchants politiques. On peut également s’étonner du tropisme anglo-saxon de la littérature mobilisée, mais il s’explique facilement par le poids relatif des travaux américains et anglais sur le sujet (l’historiographie est donc ici guidée par les sources). Pedro de Souza n’est cependant pas un spécialiste de l’histoire des idées, une discipline qui suit des règles subtiles, et de toute façon sont but est autre. Il ne prétend pas faire une véritable historiographie intellectuelle des débats sur l’inégalité (défi de taille même pour un historien expert), mais donner au lecteur les clefs pour comprendre comment le problème a été posé dans des contextes intellectuels propres à chaque époque. Il y parvient avec maestria.
5La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’étude de la concentration des revenus au Brésil sur la même période. Le chapitre 4, on l’a vu, décrit les problèmes de la constitution des séries chiffrées. Elles concernent les individus (pas les foyers) de plus de 20 ans grâce à 69 années couvertes correctement par les données officielles, le reste étant reconstitué par des méthodes statistiques. La part relative du revenu national est estimée à partir du PIB. Le chapitre fait cependant plus que décrire les procédures, il propose une véritable histoire résumée du fonctionnement du système fiscal brésilien, dont on apprécie facilement l’utilité. Sur ces bases on trouve les graphiques qui font le cœur de l’exposé (p. 228 et suivantes). Le premier, essentiel, donne la fraction du revenu total reçu entre 1926 et 2013 par le 1 % le plus favorisé, mais aussi le 0,1 % et le 0,01 %. Il permet de constater les très hauts niveaux de concentration de la richesse (en gros entre 20 et 30 % pour le premier centile, 10 et 15 % pour le premier millime), mais aussi l’importance des oscillations. Donc un combiné de stabilité et de fortes fluctuations, qu’il est impossible de résumer ici. Citons simplement la comparaison avec d’autres fractions (5 %, 10 %, 15 % des plus riches), l’évolution des seuils (en reais constants) nécessaires pour faire partie des groupes les plus riches, la comparaison avec les indices de Gini, les évolutions enregistrées en Amérique latine et dans les pays industrialisés.
6L’exposé est en fait guidé par deux lignes directrices. La première consiste à définir et caractériser les phases les plus évidentes de l’évolution de la concentration. On voit ainsi que l’inégalité (mesurée au niveau du 1 %) a augmenté jusqu’en 1940 puis baissé jusqu’en 1964, augmenté à nouveau jusqu’en 1973, oscillé vers le haut jusqu’en 1988, puis vers le bas jusqu’aux années 2000. La deuxième s’organise à partir de la discussion de trois questions classiques : 1) le schéma de Kuznets s’applique-t-il au Brésil ? ; 2) Voit-on un lien univoque entre régime politique et inégalité ? ; 3) La concentration brésilienne peut-elle être avant tout un héritage de l’époque coloniale ?
7À ces trois questions P. de Souza répond non, ce qui lui permet d’avancer vers des tentatives d’explication. En sociologue rompu aux méthodes quantitatives, il est toutefois très prudent dès qu’il s’agit de proposer des schémas explicatifs causaux. On ne peut que l’en féliciter. Il apparaît évidemment très délicat d’avancer des explications simples à des faits qui sont forcément le produit d’une foule de facteurs et de leurs interrelations. P. de Souza évite avant tout de verser dans le réductionnisme politique pratiqué par de nombreux historiens (qu’il prend soin de ne pas citer d’ailleurs). Pourtant il ne peut ignorer la façon dont le Brésil est généralement compris par les sciences sociales : un pays dans lequel les riches s’organisent pour tourner le fonctionnement de la vie économique à leur avantage. Dans la dernière partie, il choisit donc explicitement de sélectionner un certain nombre d’éléments allant dans le sens d’une explication politique. Mais il a la prudence de présenter les choses sans facilités idéologiques (« nem tudo é política », « tout ne relève pas de la politique », p. 379) : l’inertie de la structure de la distribution (que l’on constate partout) serait renforcée au Brésil par certaines décisions des dirigeants et quelques aspects du fonctionnement des institutions. Ces précautions rendent l’exposé plus convaincant et le lecteur accepte facilement l’idée que les répressions syndicales, l’évolution du taux marginal de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, la contention des salaires, les subventions aux grandes entreprises et les niches fiscales ont contribué à produire les variations et la stabilité mises en évidence. La période la plus récente n’échappe pas à ce schéma puisque l’auteur fait le constat d’un effet très réduit des politiques d’inclusion sur la concentration des richesses au sommet. La vision que P. de Souza propose pour le futur est donc assez pessimiste : au mieux les choses évoluent très lentement et seuls les chocs exogènes sont à même de produire des tendances nettes vers une meilleure redistribution. Bien évidemment, le choix du critère des 1 % contribue à forger ce point d’arrivée (qui aurait été différent si on avait regardé l’évolution séparée des 10 déciles). Mais l’auteur en est parfaitement conscient et indique avec honnêteté, en conclusion, les limites de son travail. Un lecteur sourcilleux aurait pu ajouter que le problème de l’ampleur de la fraude fiscale a peut-être été un peu rapidement évacué puisqu’il n’y a pas dans le livre d’analyse de ce phénomène. Il en va de même des théories non politiques (en particulier celle du capital humain) qui n’ont pas vraiment été affrontées. Enfin, bien sûr, la question du patrimoine reste pendante.
8Sachons cependant apprécier le projet de P. de Souza tel qu’il est ; une thèse de doctorat suit un certain format avec certaines limites. L’ouvrage qui a été tiré de celle-ci est de premier ordre et représente une véritable somme dont la lecture est absolument incontournable non seulement pour les spécialistes mais pour tout lecteur intéressé par l’économie et la société brésilienne. On ne peut qu’attendre avec impatience les prochains travaux de l’auteur.
Pour citer cet article
Référence électronique
Christophe Brochier, « Souza, Pedro H. G. Ferreira de. Uma história de desigualdade. A concentração de renda entre os ricos no Brasil 1926-2013 », Brésil(s) [En ligne], 21 | 2022, mis en ligne le 31 mai 2022, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bresils/11984 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bresils.11984
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