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L’évolution des conditionnelles en arabe égyptien contemporain

Manuel Sartori
p. 233-257

Résumés

Cet article tend à montrer comment, à partir d’œuvres littéraires du début du siècle passé au début du nouveau, œuvres rédigées tout ou partie en arabe égyptien, les systèmes hypothétiques propres à cette variété d’arabe ont évolué selon un double processus : synonymisation des opérateurs de la conditionnelle (’in, ’iza et law) et, parallèlement, recul très marqué de ’iza et désuétude de ’in au profit de l’emploi quasi-exclusif de law pour l’expression de la conditionnelle. Ce dernier joue alors le même rôle que notre si français ou que le if anglais : l’indication du cadre conditionnel de l’énoncé sans présupposer de son identité potentielle ou irréelle (présente ou passée). La distinction entre ces différents ordres de la conditionnelle relève désormais nécessairement de syntaxes verbales contrastives bien loin des modèles classiques.

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Texte intégral

1Au détour de quelques lectures en arabe égyptien, il nous a semblé que le système hypothétique ne correspondait pas à ce à quoi nous sommes habitués dans une autre variété de cette langue, l’arabe classique. Qu’en est-il exactement ? Pour répondre à cette question, et pour le cas échéant ne pas nous contenter d’un aperçu en synchronie, nous avons cru bon de porter le regard sur une large période en recourant à la littérature d’expression dialectale égyptienne sur à peu près un siècle. Nous avons par ailleurs doublé ce premier travail d’observation par l’étude des manuels et grammaires descriptives de l’arabe égyptien sur cette même période. À ce propos, un mot s’impose pour préciser qu’à l’instar de ces travaux descriptifs, et pour les mêmes raisons, à savoir par facilité tout autant que par convention et par contrainte (le corpus réuni et l’origine de sa production surtout), nous considérerons ici l’arabe du Caire, capitale administrative, politique et culturelle, comme représentatif du dialecte égyptien dans son ensemble, sans se leurrer sur les différences linguistiques existant entre les différentes régions de ce pays.

  • 1  Contrairement à l’usage, nous serons tout naturellement ici amené à ne pas respecter les règles de (...)
  • 2  Très vraisemblablement datable de 1927 ; le préfacier de l’édition que nous avons utilisée, Kamāl (...)
  • 3  Il se compose de 34 pages de texte (p. 4-38) représentant les 58 scènes du film. Ce texte a été an (...)
  • 4  Nous remercions ici Frédéric Imbert qui nous a fourni un premier ensemble, composé initialement de (...)

2Chronologiquement, nous nous sommes donc appuyé sur les œuvres suivantes : Es-Sayyed we-mrāto fi Bārīs (Es-Sayyed1 de Bayram al-Tūnisī, roman qui date des années 1920 2 ; les dialogues du film de Ṣalāḥ ’Abū Sayf, Bidāya we-Nihāya (BwN), tourné en 1960, transposition cinématographique du roman éponyme de Naǧīb Maḥfūẓ dont les dialogues ont été adaptés par Aḥmad Šukrī et Muḥammad Kāmil ‘Abd al-Salām 3 ; et sur un ensemble formé des dix premiers chapitres de Šaraf de Sun‘ Allāh Ibrāhīm, de ’An takūn ‛Abbās al-‛Abd (‛Abbās) de Aḥmad al-‘A’īdī et de Bāzel de Ḥusayn ‘Abd al-‘Alīm 4. Il est à noter, concernant ces romans, que Es-Sayyed et Bāzel, contrairement à Šaraf et à ‛Abbās, sont des œuvres entièrement rédigées en égyptien, cet usage ne concernant dès lors pas uniquement les dialogues, mais tout l’appareil narratif, ce qui donne donc à voir plus de systèmes conditionnels et permet donc d’asseoir nos observations sur des bases statistiques plus solides. Nonobstant la différence intrinsèque qui peut exister entre des dialogues d’une part, proches d’une langue parlée ordinaire, et une production “littéraire” dialectale d’autre part, le corpus utilisé n’en n’est pas moins homogène. Dans le cas de Šaraf et de ‛Abbās, les parties écrites en dialecte étant limitées aux dialogues, ceux-ci sont donc comparables aux dialogues du film, n’étant ni moins ni plus suspects de contamination “classique”. D’autre part, concernant désormais les deux œuvres entièrement rédigées en dialecte égyptien, Es-Sayyed et Bāzel, l’essentiel, si ce n’est la totalité des systèmes hypothétiques recensés, l’est lui aussi dans les parties dialoguées. Dans l’ensemble des cas donc, l’état linguistique proposé à l’étude est celle, tout au moins présentée et reconstruite par leurs différents auteurs comme telle, de la langue parlée ordinaire.

  • 5  En effet, comme nous le verrons plus tard, si certains ouvrages récents traitent bien de l’arabe é (...)

3Enfin, et pour conclure sur la présentation de notre corpus, l’intérêt du dernier ensemble, formé par Šaraf, ‛Abbās et Bāzel, nous semble primordial. Les phénomènes linguistiques sont changeants, et le caractère récent de ces œuvres fournit justement une image à peu près fidèle de la situation actuelle en arabe égyptien 5. Šaraf a un peu plus de dix ans, publié la première fois en 1996, ‛Abbās date de 2003 et Bāzel, lui, de 2005. Cet ensemble permet donc de ce faire une représentation encore adéquate de la situation et surtout, par le biais de la comparaison, de voir en diachronie une évolution avec les dialogues du film qui date lui de 1960.

4Un rappel s’impose sur les notions essentielles abordées ici dans le cadre des conditionnelles. Un système hypothétique se caractérise par le fait que l’actualité du procès noté par le verbe de l’apodose (q) est conditionnée par l’actualité du procès noté par le verbe de la protase (p). Ainsi si p se réalise, q se réalisera et si p ne se réalise pas, q ne se réalisera pas. Exemple : « s’il pleut, les toits seront mouillés ». Ce rapport d’implication logique entre p et q peut être perçu comme nécessaire, énonçant alors une règle générale, et alors le si prend la valeur de quand, à chaque fois que, lorsque. Ce peut être aussi bien dans le passé (« Quand il pleuvait, les toits étaient mouillés »), que dans le présent (« Quand il pleut, les toits sont mouillés »). Le premier sera nommé dans les termes de notre tradition grammaticale Éventuel passé, et le second Éventuel présent. Ce rapport d’implication peut  être aussi perçu comme possible, mais incertain. C’est ce que nous nommons le Potentiel, correspondant à des énoncés du type « S’il pleut (maintenant, demain, dans dix ans, mais cela reste une hypothèse), les toits sont/seront mouillés ». Et enfin, ce rapport peut être perçu comme plus ou moins impossible dans l’avenir ou bien comme relevant du passé et donc de fait impossible. Il s’agit dans le premier cas de ce que nous catégorisons comme Irréel du présent où l’on nie l’actualité du procès du verbe de la protase au moment de son énonciation, c’est-à-dire dans le présent, du type « S’il pleuvait (mais il ne pleut pas), les toits seraient mouillés », et dans le second cas de ce que nous catégorisons comme Irréel du passé où l’on nie cette fois-ci l’actualité du procès du verbe de la protase dans le passé, du type « S’il avait plu (mais il n’a pas plu), les toits auraient été mouillés ». Nous le voyons, en français tout au moins (mais c’est aussi le cas par exemple en anglais), les systèmes hypothétiques se différencient au moyen d’une concordance des temps entre protase et apodose, ce que nous formalisons par ce tableau :

Protase

Apodose

Si/quand

Imparfait

Imparfait

Éventuel passé

Si/quand

Présent

Présent

Éventuel présent

Si

Présent

Futur

Potentiel

Si

Imparfait

Conditionnel présent

Irréel du présent

Si

Plus-que-parfait

Conditionnel passé

Irréel du passé

  • 6  Il s’agit seulement ici de concordance des temps, mais la syntaxe pourrait porter à croire à un Ir (...)

5Néanmoins, tout n’est pas si simple que cela. Dans une langue comme le français « S’il faisait beau, je sortirais » comme énoncé oral peut s’interpréter aussi bien comme Potentiel (« Sil fait beau, je sortirai ») que comme Irréel du présent (« S’il faisait beau, je sortirais »). Il s’agit donc de cas d’ambiguïté que seul le contexte permet de lever. La différence intrinsèque entre les ordres Potentiel et Irréel réside donc dans l’existence nécessaire d’un mais implicite dans le cas de l’Irréel (« mais il ne fait pas beau », Irréel du présent, « mais il ne faisait pas beau », Irréel du passé). C’est alors notamment ce mais qui permet de différencier entre les deux « S’il faisait beau, je sortirais », celui du discours, avec existence d’un mais, et qui relève bien de l’Irréel du présent, et celui de la narration, n’ayant une forme syntaxique d’Irréel du présent que pour cette raison du récit, et n’impliquant alors aucun mais, ce qui le fait en conséquence appartenir à l’ordre du Potentiel. Considérons ainsi la séquence suivante qui se passe de nuit ou dans une salle fermée sans que l’on connaisse la météo : A. : « S’il fait beau, je sortirai » (Potentiel) ; B. : « Qu’a dit A ? » ; C. « Il a dit que s’il faisait beau il sortirait » (Potentiel, car absence d’un mais qui pourrait permettre de le relier à l’Irréel 6). De la même manière, certaines ambiguïtés peuvent être observées en arabe, et c’est alors le contexte qui permet d’en assurer le sens, comme dans le cas de certains des énoncés relevés dans notre corpus.

  • 7  Ce que par ailleurs, pour un autre état linguistique, la grammaire arabe classique présente comme (...)
  • 8  ’Idā étant lui en arabe classique un circonstant temporel (ẓarf zamān). Par ce choix restreint à t (...)

6Nous avons donc réfléchi à partir d’un corpus constitué de trois époques, Es-Sayyed, BwN et Šaraf-‘Abbās-Bāzel,dont il nous reste désormais à présenter les résultats de l’analyse. Pour chacune des œuvres citées, nous avons relevé les occurrences des opérateurs de la conditionnelle. Par opérateurs, nous entendons à la fois ’in et law 7, mais aussi ’iza 8. Le terme d’opérateur servira donc de manière générique, sans induire de confusion terminologique entre l’une et l’autre catégorie. Au total, nous avons recensé 200 phrases (respectivement 70 dans Es-Sayyed, 65 dans BwN, 9 dans le corpus littéraire fourni par Frédéric Imbert, 22 dans Šaraf, 15 dans ‛Abbās et 19 dans Bāzel).

  • 9  Excluant donc de notre étude les systèmes concessifs, dont q se réalise indépendamment de p, mais (...)
  • 10  Il ne s’agit pas exactement ici des “quasi” conditionnelles au sens de Dévényi (Kinda), op. cit., (...)
  • 11  Par type essentiel nous entendons les types syntaxiques auxquels peuvent se laisser réduire les di (...)

7De cet ensemble, nous avons choisi de ne garder que les systèmes véritablement hypothétiques (dont la protase p implique logiquement l’apodose q9, et parmi eux uniquement les systèmes hypothétiques doublement verbaux et positifs. “Doublement verbaux” signifie d’une part que la protase comme l’apodose sont constituées de phrases verbales ou bien de phrases nominales dont le propos est une phrase verbale, et exclut d’autre part les systèmes dits incomplets (cas de la troncation, cas de l’optation et cas des emplois figés, type law samaḥt ou ’in šā’a-llāh), de même que les systèmes à apodose de type nominal ou de type syntagmes prépositionnels (type lā-budda, ‛alay-hi, etc.). “Positifs”, exclut quant à lui l’impératif, la défense, et l’interrogation 10. Enfin, nous choisissons de ne traiter que de la séquence si p q. Nous aboutissons alors à 81 systèmes hypothétiques que nous serons amené à présenter de manière formalisée dans la suite de cette étude en types essentiels 11.

8Ces 81 systèmes se répartissent ainsi : 33 pour Es-Sayyed, 22 pour BwN, 9 pour Šaraf, 5 pour la recension effectuée par Frédéric Imbert, 2 pour ‛Abbās et 10 pour Bāzel.

9Sur ces 81 systèmes, nous trouvons 2 Éventuels, 39 Potentiels, 24 Irréels du présent et 16 Irréels du passé. Nous trouvons 23’iza, 14 ’in, 43 law, 1 law-lā.

10Dans le cadre Éventuel, seul ’iza est représenté, soit 2 ’iza-s. Dans le cadre Potentiel, nous avons 8 ’iza-s, 17 law-s, et 14 ’in-s. Dans le cadre Irréel du présent, 12 ’iza-s, et 12 law-s. Dans le cadre Irréel du passé enfin, 1 ’iza,14 law-s, et 1 law-lā.

11De ce premier décompte, il est immédiatement perceptible que c’est l’ordre Potentiel qui est le plus largement représenté (39/81 soit 48,14%). Mais, et c’est l’un des détails les plus intéressants, ce n’est pas ’iza qui est majoritaire (23/81 soit 28,39%), mais law (43/81 soit 53,08%), et pour cause…

12On note en effet deux caractéristiques en arabe égyptien qui tranchent par rapport à ce qui est généralement donné en classique : à la fois l’emploi de law dans le cadre Potentiel, mais aussi, plus étonnant parce que moins connu, l’emploi de ’iza dans l’ordre Irréel, ainsi qu’en diachronie, la disparition de celui-ci, entre la première époque de notre corpus et la dernière, de l’ordre Potentiel au profit exclusif de law. Au vu des occurrences répertoriées dans ces corpus, et nonobstant la marginalité de ’iza dans l’ordre Irréel, il semble que certaines régularités se fassent jour, ce qui permet d’organiser le système comme nous allons voir en comparant avec nos trois corpus, trois stades d’une évolution qui nous semble révélatrice.

Les systèmes hypothétiques dans Es-sayyed we-mrāto fi bārīs, 1927

13Le propos du livre étant très didactique, un mari expliquant à sa femme les différences de cultures existant entre la France et l’Égypte, il se prête volontiers à des jeux de mise en situation qui font appel à des conditionnelles : « imagine si tu étais … que verrais-tu ? », « si nous étions au Caire, nous ferions… ». De ce fait, ce livre en est riche, comme nous l’avons rappelé plus haut, avec 33 systèmes hypothétiques pertinents pour notre étude.

  • 12  Dans la suite du texte, nous allons détailler nos recensions et mettrons en regard des opérateurs (...)

14’In : 5 12

’In ne connaît d’autre emploi ici que celui de particule propre à l’expression du Potentiel. C’est du reste le cas dans l’ensemble des trois corpus. Contrairement aux deux autres opérateurs donc, il ne s’est pas transposé à d’autres ordres conditionnels que le sien propre. Sa raréfaction, notée en arabe classique, est aussi tout à fait perceptible dans ce premier état de l’arabe égyptien puisqu’on n’en compte que 5 occurrences, soit 15,15% seulement des conditionnelles. On observe un système régulier avec en protase un accompli et en apodose un inaccompli tel que le présente le tableau suivant :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

5

accompli

inaccompli

Potentiel

(1)’in kānet mōbīliyāt telāqī-ha markūna ‘ala ba‘ḍa-ha (Es-Sayyed, p. 59)
« Si ce sont des meubles, tu les trouveras empilés les uns sur les autres »

  • 13  Il est aussi possible de comprendre « Et si tu veux un quelconque cireur de chaussures, ce n’est q (...)

(2) we-’in kunti ‘āyiza buhyagi mā telāqīhši ’illā qā‘id ganb el-maḥaṭṭa masalan (Es-Sayyed, p. 31)
« Et si tu veux un cireur de chaussures, ce n’est qu’à côté de la gare que tu le trouveras assis par exemple 13 »

15’Iza : 18

’Iḏā, nous le savons, a remplacé ’in dans l’emploi Potentiel de ce dernier en arabe littéraire. La même observation est à faire en arabe égyptien. L’emploi de ’iza représente ainsi 54,54% des systèmes hypothétiques recensés dans ce roman. Deux grands modèles syntaxiques se dégagentavec cet opérateur : ’iza accompli … inaccompli et ’iza accompli … accompli. La neutralité de ’iza accompli … inaccompli est d’autre part à observer entre Éventuel (marginal dans notre corpus), et surtout Potentiel et Irréel du présent, seul le contexte venant lever l’ambiguïté. Observons de même que les protases ne sont pas constrastives entre les différents ordres, accompli étant partout présent, et que la seule distinction possible, quoique légère, s’opère au niveau des apodoses, la distinction se faisant donc entre inaccompli (neutre entre Éventuel, Potentiel et Irréel du présent) et accompli (Irréel du passé). Une telle neutralité a pour corollaire une certaine ambiguïté, qui elle a pour conséquence le risque de confusion. Il s’agit peut-être d’une des raisons du phénomène de disparition de ’iza comme nous le verrons plus tard. Voici le tableau tel que la lecture du roman nous permet de le reconstruire :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

1

accompli

inaccompli

Éventuel

7

accompli

inaccompli

Potentiel

11

accompli (90,9%)/kāninaccompli (9,1%)

inaccompli

Irréel du présent

1

accompli

accompli

Irréel du passé

16Éventuel :

(3) el-muṣība ’inna kull marra maṣriyya ’iza masakete s-sikkīn lāzem tegraḥ īd-ha (Es-Sayyed, p. 25-26)
« Le problème, c’est que toute Égyptienne, quand elle s’empare d’un couteau, elle se blesse forcément la main »

17Potentiel :

(4) we-’iza sā‘idet-ku al-ḥaẓẓ, ar-riyāl yeksib 100 ginēh (Es-Sayyed, p. 110)
« Et si la chance vous sourit, le riyal gagnera 100 livres »

18Irréel du présent :

(5) ṣabi l-trezi ’iza kasab lōteriya ya‘mol « ṣālūn mizayyin » (Es-Sayyed, p. 43)
« L’apprenti tailleur, s’il gagnait à la loterie, il ouvrirait un “salon de coiffure” »

(6) ’iza kān kull wāḥed baqa ye‛mil nafso ḥares ‛alā l-ādāb, el-nās tākul ba‛ḍ-ha we-tebqa fawḍa we-hargala (Es-Sayyed, p. 92)
« Et si chacun alors se faisait le gardien des bonnes mœurs, les gens se mangeraient entre eux et le chaos et le désordre règneraient »

19Irréel du passé :

  • 14  Il semble en effet, à la lecture, que le wa- soit une coquille d’impression. La phrase conditionne (...)

(7) ’inna-ma amīrik huwwa ’elli yaršidik li-n-nara l-waša we-l-kwayīsa we-’iza ’atta‘amat baīratik (we-)lā ‘araftīš el-aqq min el-’awāt we-n-naarāt (Es-Sayyed, p. 90)
« Il n’y a que ta conscience qui t’aide à distinguer dans le regard le bon du mauvais, et si tu avais été complètement aveugle (et 14) tu n’aurais pas distingué la vérité à partir des intonations et des regards »

20Law : 10

  • 15  Notons que c’est le seul emploi qu’en donne Spiro Bey, en 1912, classant ’in et ’iza ensemble et l (...)
  • 16  Ce que l’on note par ailleurs en arabe postclassique chez Ġazālī dans Ayyuhā l-walad, mais non en (...)

Law est l’opérateur de l’Irréel 15, et apparaît, quoique discrètement, dans le Potentiel. Avec 10 occurrences, il représente 30,30% des conditionnelles du roman. Contrairement à ’iza, il distingue lui bien entre les trois ordres Potentiel - Irréel du présent - Irréel du passé au moyen de l’alternance des formes verbales protase-apodose, offrant un modèle plus contrasté et plus régulier. En effet, la protase est contrastive entre le Potentiel en inaccompli et l’Irréel en accompli ou kāna inaccompli. Par contre, les protases ne sont pas contrastives entre Irréel du présent et Irréel du passé, celles-ci étant identiques en accompli. Dans ce cas, ce sont les apodoses uniquement qui font la différence entre un Irréel du présent en … inaccompli et Irréel du passé en … kāna + accompli/inaccompli 16, tel que nous pouvons le voir dans le tableau suivant :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

2

inaccompli(100%)

inaccompli(100%)

Potentiel

5

accompli (80%)/kān inaccompli (20%)

inaccompli (100%)

Irréel du présent

3

accompli

kān accompli (60,67%)/accompli (33,33%)

Irréel du passé

21Potentiel :

(8) ’eḥna law nākul ḍafādi‘ natamatta‘ bi-l-laḥm ’elli ’eḥna maḥrūmīn minno (Es-Sayyed, p. 108)« Et nous, si nous mangeons des grenouilles, nous nous délecterons de la viande dont nous sommes privés »

22Irréel du présent :

(9) ’ana masalan law bustik fi šāri‘ min šawāri‘ Maṣr tbuṣṣ tlāqi ḫamsīn ’alf wāḥed itlammū ‘aleyya (Es-Sayyed, p. 92)
«  Moi par exemple, si je t’embrassais dans une des rues du Caire, tu trouverais soudainement cinquante mille quidams qui rentreraient en contact avec moi »

  • 17  Nous donnons cet exemple pour attirer l’attention sur le fait que le la- présent ici en entrée d’a (...)

(10) we-n-nabi law kunt min el-būlīs we-’ašūf itnēn wāqfēn fi rukn alma we-lāzqēn fi ba‛ la-agarr-hom ‛al-karākūn (Es-Sayyed, p. 93)
« Par le prophète, si j’étais de la police et que j’en voyais deux debout dans un coin sombre collés l’un à l’autre, je les amènerais au poste 17 »

23Irréel du passé :

(11) al-ḥikāya inno rāgil miskīn ‘agūz ‘ayyān ma huwwaš ‘āgbik ’imma law kān šab ṣoġayyar kunti -nbasaṭti min raf‘ al-burnēṭa (Es-Sayyed, p. 83)
« Le fait est que c’est un pauvre vieil homme fatigué qui ne t’a pas plu, alors que si cela avait été un homme jeune, tu te serais réjouie qu’il te salue du chef »

Conclusion sur l’époque de es-Sayyed

  • 18  Ce dernier écrit en effet : « iza, iza kân (as though one word) = “if” ; in = “if” ; lô, law (we-l (...)

24’Iza est le plus employé des opérateurs, représentant à lui seul plus de la somme des occurrences de law et de ’in. Il est par contre moins régulier dans la syntaxe de sa protase et encore plus de son apodose que ne l’est law qui, par ailleurs, distingue mieux, par la concordance des formes verbales employées, entre les différents ordres conditionnels, cette distinction se faisant soit par les protases (Potentiel - Irréel du présent) soit par les apodoses (Irréel du présent - Irréel du passé). Enfin, tant law que ’iza apparaissent tous deux, à ce stade de l’arabe égyptien, dans les différents ordres de la conditionnelle, ce que ne mentionnait pas Spiro Bey en 1912, ni même De Lacy O’Leary en 1925 18

Les systèmes hypothétiques dans Bidāya we-nihāya, 1960

25’In : 6

’In, s’il conserve un emploi Potentiel sans en remplir d’autre, ce qui était le cas à l’époque antérieure, ne conserve néanmoins pratiquement celui-ci qu’en cooccurrence avec šā’a -llāh (83% des cas, hors ’in šā’a-llāh figés que nous avons évacués de notre décompte). Ce faisant, et même s’il se maintient encore, représentant 26,08% des systèmes hypothétiques des dialogues du film, son emploi peut être perçu, dans cet état de l’arabe égyptien, comme encadré, voire résiduel. Sa syntaxe reste inchangée. À noter l’apparition d’une marque de futur, trait qui, nous le verrons, semble s’être depuis généralisé à des fins contrastives entre différents ordres conditionnels pour les autres opérateurs. Nous trouvons, concernant cette particule en 1960, le système suivant :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

4

accompli (šā’a-llāh)

inaccompli (66,66%)

1

accompli

futur inaccompli (16,67%)

Potentiel

1

kān inaccompli

inaccompli (16,67%)

 (12) ’in šā’a-llāh tuq‘ud la-ṣ-ṣobḥ (BwN, Scène 32, p. 23)
« Si Dieu le veut, elle tiendra [peut-être] jusqu’au matin »

(13) ’in šā’a -llāh bokra ḥa-waṣṣī ‘alēk we-’ašaddid fi t-tawṣiyya (BwN, Scène 43, p. 29)
« Si Dieu le veut, je te recommanderai chaudement demain »

(14) el-wāḥed ya ’aḫi ’in ma kanš yefawwit ma yestaḥmilš dunyato (BwN, Scène 57, p. 37)
« tu sais mon vieux, si on ne laisse pas [un peu] couler, on ne supporte pas la vie »

26’Iza : 3

’Iza représente 13,04% des emplois hypothétiques des dialogues, ce qui, comparé à l’époque antérieure, représente une régression notable.

  • 19  On note en effet l’apparition en apodose de futur inaccompli, usage qui aurait eu tendance à se gé (...)
  • 20  À noter que nous trouvons un Éventuel, mais de séquence q, si p dont la syntaxe est elle aussi con (...)

27Au contraire de la situation antérieure, kān apparaît ici pour distinguer entre Potentiel et Irréel. On distingue en effet entre le Potentiel en futur inaccompli 19 et l’Irréel du présent en kān inaccompli. Comme à l’état antérieur, le trait saillant est celui de l’utilisation de ’iza dans l’ordre Irréel. Nonobstant le petit nombre d’occurrences de celui-ci dans cet emploi, la syntaxe des autres systèmes (notamment celui de law), et surtout la forme syntaxique de l’apodose qui semble jouer un rôle de plus en plus contrastif en lieu et place de l’opérateur de la conditionnelle, nous permettent de dresser le système suivant 20 :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

2

accompli

futur inaccompli

Potentiel

1

accompli

kān inaccompli

Irréel du présent

28Potentiel :

(15) ’iza kān ‛ala l-ḥesāb miš ḥa teḫlaṣi minni abadan… (BwN, Scène 12, p. 11)
« Si c’est sur la note, tu ne te débarrasseras jamais de moi… »

29Irréel du présent :

(16) wa-llā mīn ‘ārif ’iza kān la-hā ’uḫt kān ra’yak yekūn ’ēh… (BwN, Scène 8, p. 8)
« Et qui sait, si elle avait une sœur, quel serait alors ton avis… »

30Law : 12

Law continue quant à lui d’exprimer l’Irréel, passé comme présent, mais aussi le Potentiel où il apparaît en force, 41,66% de ses emplois en relevant. Cet opérateur représente 54,54% des emplois conditionnels des dialogues, ce qui, au contraire des deux autres opérateurs, représente une très forte augmentation et le hisse au premier rang des opérateurs. Contrairement à ’iza, il offre toujours plus de contraste dans sa syntaxe entre les trois ordres Potentiel-Irréel du présent-Irréel du passé au moyen de l’alternance des formes verbales protase-apodose, offrant un modèle encore plus régulier qu’à l’époque antérieure. Tout d’abord, les apodoses sont celles qui font la différence entre Potentiel en futur inaccompli, Irréel du présent en kāna inaccompli et Irréel du passé en kāna accompli. D’autre part, contrairement à l’état antérieur, les protases ne semblent pas ici contrastives, étant toutes en accompli (accompli, kān accompli et kān inacompli). Nous avons ainsi le système suivant :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

5

accompli

futur inaccompli

Potentiel

1

kān inaccompli

kān inaccompli

Irréel du présent

6

accompli (16,67%)/kān accompli (83,33%)

kān accompli

Irréel du passé

31Potentiel :

(17) lākin ’elli ’ana mit’akkid minno ’inne-na law rafaḍet ḥa-neḫsar el-flūs… ( BwN, Scène 24, p. 17)
« Mais ce dont je suis sûr c’est que nous, si elle refuse, nous perdrons l’argent … »

  • 21  Même remarque que pour l’exemple 10 concernant le lām al-qasam. À noter de plus que c’est peut-êtr (...)

 (18) we-l-Llāhi law-ma bi‛ittiš ‛anni la-agīblik el-‛askari (BwN, Scène 29, p. 21)« Je te jure, si tu ne t’écartes pas de moi je t’appelle le policier 21 »

32Irréel du présent :

(19) law kunti teštaġili ḫayyāṭa dānti kunti teksabi dahab ! (BwN, Scène 5, p. 6)
« Si tu travaillais comme couturière, toi, tu gagnerais de l’or ! »

33Irréel du passé :

(20) law kān Allāh yerḥamo qaraṣ ‘alayya we-ḫallā-ni akammil ta‘līm mā kānš da baqa ḥāli (BwN, Scène 11, p. 10)
« S’il, Dieu lui fasse miséricorde, m’avait poussé et laissé continuer des études, mon état ne serait pas devenu ce qu’il est ! »

34Law-lā : 1

law-lā n’apparaît qu’une seule fois dans les dialogues du film en respectant les critères énoncés plus haut, et il n’apparaît que dans l’ordre de l’Irréel du passé :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

law-lā accompli

kān accompli

Irréel du passé

(21) we-law-la ḥaḍretak ẓahart min ġēr munāsba kunna -ttafaqna (BwN, Scène 16, p. 13)
« Et si Môsieur ne s’était pas pointé sans raison, nous nous serions mis d’accord »

  • 22  Lehn (Walter), Abboud (Peter), Beginning Cairo Arabic, Austin, 1965, p. 243-244.

35Quelques remarques pour conclure sur cette période. Notons tout d’abord que Lehn et Abboud 22 faisaient, en 1965, sensiblement les mêmes observations, le Potentiel ayant pour forme si accompli/kān inaccompli … futur inaccompli, et l’Irréel passé étant lui en si (kāna) accompli … kān accompli/ inaccompli. Les apodoses seules jouent donc bien un rôle contrastif, même si, dans les exemples qu’ils donnent, des indicateurs temporels sont présents (bokra pour le futur, qui désigne alors le cadre Potentiel, et ’imbāreḥ pour le passé et donc l’Irréel passé).

  • 23  « La conjonction française “si” se rend par eza (ou moins souvent par en ou law) », Jomier (Jacque (...)
  • 24 Boutros (Wadie), Ahlan wa Sahlan. Manuel d’arabe égyptien du Caire, Dar el-Nashr Hatier, 1993, 232 (...)

36Selon Jomier en revanche, c’est ’iza qui est l’opérateur principal de la conditionnelle égyptienne 23. Or, en comparant la situation qu’il décrit avec les trois corpus dont nous nous sommes servi d’une part, et avec le manuel d’arabe égyptien du Caire de Wadie Boutros 24 publié en 1993 d’autre part, il ressort que ce qu’il donne, tant en 1973 que dans son édition corrigée de 1989, comme étant les systèmes hypothétiques répond à la situation de l’époque du film, 1960, et non à celle de 1993, ni a fortiori à celle de 1996-2003-2005. Il est vrai qu’en 1980, on trouve encore des cas où ’iza exprime le Potentiel comme dans ġadāki fi t-tallāga…’iza ḥabbētī tesaḫḫanīh (Masraḥiyyāt, p. 49) : « Ton déjeuner est dans le frigo. Si tu veux, tu le réchauffes », mais cette situation, nous allons le voir, va fortement changer.

  • 25  Cuvalay (Martine), « On the role of “tense” in conditional sentences », Actes des premières journé (...)

37Par contre la situation propre à l’époque du film, concernant les concordances formelles des verbes dans les systèmes en law, est exactement celle que Wise, que cite Martine Cuvalay 25, donnait encore en exemple en 1975 et que nous nous permettons de reproduire ici :

law yinzil talg bukra ḥa’‘ud filbēt
s’il neige demain je resterai à la maison

law nizil talg bukra ḥa’‘ud filbēt
s’il devait neiger demain je resterais à la maison

law nizil talg bukra kunt a’‘ud filbēt
s’il neigeait demain je resterais à la maison

38Comme nous allons le voir avec le prochain corpus, la situation sera différente, signifiant donc encore une fois une évolution, entre 1975 et 1996.

III. Les systèmes hypothétiques dans šaraf 1996, ‘abbās 2003, bāzel 2005

39Ce troisième ensemble, parce que le plus récent, doit nous permettre de saisir la situation actuelle en arabe égyptien concernant les systèmes hypothétiques. À lui seul, il représente un corpus de 21 systèmes hypothétiques.

40’In : 2

’In ne connaît toujours d’autre emploi que celui de l’expression du Potentiel. Son emploi tombe à 9,52%, mais il apparaît de manière plus autonome qu’à l’époque précédente où il était quasiment toujours en collocation avec šā’a-llāh. Enfin, aucun changement n’est à noter entre la situation contemporaine et celles des deux autres époques, le système syntaxique restant le même. Concernant ’in, nous avons le système suivant :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

2

accompli (100%)

futur inaccompli (66,67%)

1

accompli (100%)

inaccompli (33,33%)

Potentiel

(22) ’in ma-qala‘tš ḥa-yeftekrūk ‘ayyān (Šaraf, p. 92)
« Si tu ne te déshabilles pas, ils penseront que tu es malade »

(23) we-’in ma -taragga‘š we-t‘addal ‘ala ṭūl ‘a l-muḥāmī yaḥbeso (Bāzel, p. 64)

« Et s’il ne revient pas [sur sa position] et ne se corrige pas très vite, c’est l’avocat qui l’incarcère »

41’Iza : 1

Le grand changement se trouve dans la situation de ’iza qui, en plus d’être désormais résiduel, ne représentant plus que 4,76% des emplois conditionnels, a complètement disparu de la scène potentielle, n’exprimant dès lors que l’Irréel, et encore, vu le nombre d’occurrences le concernant, que marginalement. Il apparaît par ailleurs pour signifier, ce qui est remarquable, l’Irréel du passé. Nous obtenons alors, pour l’époque actuelle, et concernant ’iza, désormais d’emploi plus que résiduel, le système suivant :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

1

accompli

accompli

Irréel du passé

42Irréel du passé :

(24) qalīl ’iza waḥda ṣaddet-ni aw qidiret teqāwim-ni .. mā-na baqēt zayy er-rigāla ’elli besma‘ ‘an-hom (Bazel, p. 35)
« Rien de grave, si une [d’entre les femmes] m’avait résisté ou avait été capable de me tenir tête… je ne serais pas devenu comme les hommes dont j’entends parler »

43Law : 18

  • 26  Il semble qu’à une époque intermédiaire entre l’époque du film où l’Irréel du présent peut s’expri (...)
  • 27  Étant entendu que nous nous situons dans le cadre de systèmes doublement verbaux. Dans le cas cert (...)

Law s’impose lui, comme l’Opérateur de la conditionnelle, se taillant la part du lion avec 85,71% des occurrences, et surtout 100% de l’ordre Potentiel. Sa syntaxe est très régulière et très contrastive. L’apodose se décline dans les différents ordres conditionnels, entre Potentiel en futur inaccompli, trait maintenu de l’époque précédente et qui, visiblement tend à se stabiliser, Irréel du présent en inaccompli 26 et Irréel du passé en kān accompli. Ce faisant, les apodoses étant parfaitement contrastives, nul besoin ne semble subsister d’avoir recours aux protases à cette fin 27. La protase retrouve alors un aspect d’accompli en collocation avec l’opérateur de la conditionnelle :

Protase

Apodose

Ordre de conditionnelle

9

accompli

futur inaccompli

Potentiel

5

accompli

inaccompli

Irréel du présent

4

accompli (50%)/kān accompli (50%)

kān accompli

Irréel du passé

44Potentiel :

(25) law ruḥt al-waqt ’abūk ḥa-yeḍrabak. ta‘āla ma‘āya ’aḥsan (Šaraf, p. 82)
« Si tu pars maintenant ton père va te frapper. Vaut mieux venir avec moi »

(26) ’ana ma-šuftiš fi ḥayāti ḥadd gowwah kammiyyat ḥaqd ḫām qaddak, danta ya ibni law bala‘t rīqak ḥa-yegīlak tasammum (‘Abbās, p. 55)
« Moi, je n’ai jamais vu de ma vie quelqu’un qui ait une quantité de haine brute comme toi. Petit, si tu avales ta salive, elle va t’empoisonner »

(27) lawu z-zamān samaḥ lēna ha‘arrifak ezzāy Fā’iza teta‘āmal zayy as-sinyūra (Bāzel, p. 63)
« Si on a le temps, je te montrerai comment Fā’iza se comporte comme une grande dame »

45Irréel du présent :

(28) we-law ḥabbēt ’ašterī ḥāga ḥelwa malāqīš ġayr malban … (Šaraf, p. 162)
« Et si je voulais acheter une douceur, je ne trouverais rien excepté du loukoum »

(29) we-law ’it qaddimt bi-šakwa rasmi tekūn šarīk fi garīmat r-rašwa (Bāzel, p. 28)
« Et si tu déposais une plainte officielle, tu serais complice de corruption »

46Irréel du passé :

(30) law ma-kānš i‘taraf kān nifid (Šaraf, p. 53)
« S’il n’avait pas avoué, il aurait pu s’en sortir »

(31) le-’anno law baṣṣ fi ‘enēki bas makānš sābik (‘Abbās, p. 81)
« Parce que s’il avait seulement regardé dans tes yeux il ne t’aurait pas quittée »

(32) te‘rafi law kunti wāfaqti min ġēr kitāba … kunt bahdiltik (Bāzel, p. 11-12)
« Tu sais, si tu avais accepté sans contrat … je t’aurais fait une scène »

  • 28 Boutros (Wadie), op. cit., p. 196-197.

47On notera pour conclure sur cette période que les observations faites ici recoupent la description du système hypothétique égyptien et des concordances des formes verbales entre protase et apodose faite par Wadie Boutros en 1993 28. Il donne en effet pour les ordres Potentiel respectivement law accompli … futur inaccompli ; ’in accompli … impératif et ’iza  accompli … inaccompli, où nous retrouvons bien, tant pour law que pour ’iza, nos observations. Pour l’Irréel du passé de même puisque qu’il donne law (kān) accompli … kān {accompli/futur inaccompli}, ce que corroborent nos observations même si nous n’avons pas relevé de … kān  futur inaccompli pour l’Irréel du passé. Pour ce qui est de l’Irréel du présent, il donne, lui, le modèle suivant : law (kān) accompli … kāna zamāno be-inaccompli, là où nous n’avons pas recensé de zamāno, quasiment jamais de be- (un seul exemple dans ‘Abbās sur les 21 systèmes concernant cette époque, et encore, il s’agit d’une concessive en win) et où le système découlant de notre recension est un peu plus simple, puisqu’il se présente sous la forme law accompli … inaccompli.

  • 29  Cette disparition n’est pas propre, semble-t-il, à l’égyptien, puisqu’il semble que l’on puisse fa (...)

48D’autre part, même s’il note que c’est law qui est majoritairement employé (exclusif pour l’ordre Irréel), Boutros semble encore laisser à son époque, concernant le Potentiel, une place, certes résiduelle, à ’iza tout d’abord et à ’in ensuite, là où nous observons au contraire, quelques années après, le maintien confidentiel de ’in et la disparition pure et simple de ’iza 29.

49On attirera enfin l’attention sur deux travaux “récents” menés sur l’arabe cairote et dont les observations et ou analyses se doivent d’être ici abordées, “récents” par leurs dates de publication, mais dont les sources utilisées concernant notamment les systèmes hypothétiques sont elles “datées”, ce qui induit donc un certain “retard” descriptif sur lequel il convient d’attirer l’attention.

  • 30  Eisele (John C.), Arabic Verbs in Time : Tense and Aspect in Cairene Arabic, Wiesbaden, Harrassowi (...)
  • 31  Ibid., p. 72. « Les distinctions faites par l’arabe du Caire entre Potentiel et Irréel ne sont pas (...)
  • 32  Ce ne sont que des manuels et non des sources premières, romanesques ou autres. Il s’agit respecti (...)

50Il s’agit en premier lieu de l’étude faite par John C. Eisele, Arabic Verbs in Time : Tense and Aspect in Cairene Arabic, parue en 1999 30. Traitant des temps et aspects, l’auteur a été amené à considérer et à décrire les emplois verbaux dans les systèmes hypothétiques cairotes. Selon l’auteur, « CA distinguishes between high and low hypotheticality based not only on devices such as backshifting but also based on the type of particle that is used: ’iza = low, law = high 31 ». Or, si son ouvrage date bien de 1999, les sources qu’il utilise concernant cette question des systèmes hypothétiques en arabe cairote contemporain datent elles de 1975, 1979 et 1980 32, soit vingt ans plus tôt. Et nous l’avons vu, le système évolue extrêmement vite. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce que nous propose l’auteur comme description des systèmes hypothétiques en arabe égyptien contemporain ne coïncide pas avec nos observations dont les matériaux datent eux des années 1996, 2003, 2005.

  • 33 Eisele (John C.), op. cit., p. 72 : « It appears that law can be used as a low hypothetical conditi (...)
  • 34 Badawi (El-Said), Hinds (Martin), op. cit., p. 803.
  • 35  Eisele (John C.), op. cit., p. 72 : « […] the way the system normally works is that ‘’iza + past’ (...)

51Ainsi, concernant son analyse de l’utilisation des temps dans les systèmes hypothétiques, et plus précisément lorsqu’il écrit que « law ne peut être utilisé comme Potentiel que si utilisé sans le temps du passé, i.e. vraisemblablement sur un pied d’égalité avec ‘’iza + passé’ 33 », il décrit une situation qui est au moins celle du film de 1960, où, effectivement, pour l’expression du Potentiel, on trouve, aux côtés de ’iza accompli … (futur) inaccompli, law inaccompli … futur inaccompli, situation qui a dû perdurer dans le temps, et visiblement jusqu’en 1980, et qui était encore donnée dans le dictionnaire de Badawi et Hinds 34 en 1986, mais qui n’est plus observable d’après notre corpus le plus récent. De la même manière, nos observations nous conduisent à réfuter, pour ce qui est de l’époque actuelle, son impression qui reste vraie pour une époque antérieure et qu’il exprime ainsi : « La façon dont le système fonctionne normalement est que ‘’iza + passé’ est préféré pour les conditionnelles peu hypothétiques [Potentiel], tandis que ‘law + passé’ est préféré pour les conditionnelles fortement hypothétiques [Irréel] 35 », puisque la situation actuelle semble plutôt être celle de l’extension de law à l’ensemble du système hypothétique et, conséquemment, l’éviction de ’iza.

  • 36  Nous soulignons.
  • 37 Eisele  (John C.), op. cit. p. 74 : « law can also be used in certain contexts with simple past ten (...)

52Eisele note toutefois que « law peut aussi être utilisé dans certains contextes 36 avec des verbes à l’accompli [non renforcé par kān] dans la protase et exprimer soit un Potentiel soit un Irréel, auquel cas c’est le temps de l’apodose qui détermine s’il est lu en tant qu’Irréel ou que Potentiel : si l’apodose est au passé (généralement marquée par kān + verbe), alors l’ensemble de la conditionnelle est lue comme Irréel ; si l’apodose est [à un temps] non-passé, alors la conditionnelle est lue comme Potentiel 37 », ce qui rejoint parfaitement nos observations faites, cette fois, à partir de notre dernier corpus, et donc, ce qui semblait n’être qu’une possibilité offerte par le système, « dans certains contextes » dans les années 1970-1980, semble bien s’être généralisé à l’époque postérieure.

  • 38 Woidich (Manfred), Das Kairenisch-Arabische. Eine Grammatik, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2006, (...)
  • 39  L’ordre donné par l’auteur visant à souligner la désuétude de ’in mais aussi visiblement la plus g (...)
  • 40  Woidich (Manfred), op. cit., p. 372 : « Darauf folgt im Vordersatz das Perfekt oder kān mit einer (...)

53Le second travail, considérable, est celui de Manfred Woidich, Das Kairenisch-Arabische. Eine Grammatik, qui date lui de 2006 38. Woidich note, comme nous l’avons fait et comme l’ensemble de ceux qui se sont penchés sur la question l’ont fait, la désuétude de ’in, relayé par ’iza. Néanmoins, sa description du système hypothétique reste quelque peu classique, si l’on peut se permettre, dans la mesure où, pour le Potentiel (Reale Bedingung), la protase (Vordersatz) est introduite par ’iza, law et ’in 39, suivis soit de accompli, soit de kān et d’une autre forme verbale 40 :

Ohne kān

iza

law

ruḥti bukrā ḥaddīk ilfilūs

in

„wenn du morgen gehst, gebe ich dir das Gelt“ (« Si tu pars demain, je te donnerai l’argent »)

mit kān

iza

law

kunti trūḥ bukrā ḥaddīk ilfilūs

in

„wenn du morgen gehst, gebe ich dir das Gelt“ (« Si tu pars demain, je te donnerai l’argent »)

  • 41 Ibid., p. 373 : « Im Nachsatz folgen je nach Sachlage der Imperativ, y-Imperfekt oder ḥa-Imperfekt. (...)

54Concernant l’apodose (Nachsatz), celle-ci est formée soit de l’impératif, soit de l’inaccompli sans be-, soit de ce dernier précédé d’une marque de futur 41. Woidich caractérise donc bien, pour law, la situation observable dans notre dernier corpus, à ceci près que l’inaccompli n’apparaît justement pas seul sans une marque de futur dans le Potentiel, cette syntaxe étant au contraire propre à l’Irréel présent. Enfin, concernant ’iza, sa description correspond plus à l’époque du film, car ce dernier opérateur a depuis quasiment disparu.

  • 42 Ibid., p. 373-374 : « Syntaktisch sind diese Sätze in erster Linie dadurch gekennzeichnet, daß der (...)

55Pour l’Irréel (Irreale Bedingung), le système proposé ne répond (déjà) plus aux observations faites à partir de notre ensemble le plus récent. En effet, si l’auteur note bien la synonymie existant entre les différents opérateurs, comme il le faisait du reste pour l’ordre Potentiel, cette synonymie est étendue, dans l’ordre Irréel, à ’in, ce que nous n’avons pas été en mesure d’observer. D’autre part, Woidich précise que « syntaxiquement, ces phrases sont tout d’abord marquées [par le fait] que l’apodose est introduite par kān. Si un accompli le suit, cela confère alors un sens contraire au passé. Dans tous les autres cas, il s’agit d’une conditionnelle hypothétique dont la probabilité de réalisation est estimée comme étant faible 42 ». Ce qui donne selon Woidich le tableau suivant :

a. hypotetisch

law

iza

kunt ašūfu kunt aḍrabu

in

„wenn ich ihn sähe,würde ich ihn schlagen“

(« Si je le voyais, je le frapperais »)

b. kontrafaktisch

law

iza

kunti šuftu, kunti ḍarabtu

in

„wenn ich ihn gesehen hätte,hätte ich ihn geschlagen“

(« Si je l’avais vu, je l’aurais frappé »)

56Or ceci ne correspond pas à la situation de ’iza dans notre dernier corpus, et ne correspond que partiellement à ce que nous donnent les textes concernant law dont la situation, pour l’Irréel du passé, est certes proche de celle décrite par Woidich ici, mais dont la situation concernant l’Irréel du présent est, elle, différente, dans la mesure où l’apodose est en inaccompli et non en kān inaccompli, modèle qui correspond, lui, encore une fois à la situation de l’époque du film.

IV. Une hypothèse diachronique : la simplification du système hypothétique en arabe égyptien moderne.

57En arabe standard, les modèles, quels que soient les opérateurs envisagés, sont généralement donnés en accompli … accompli. Notre relevé, et ce sur trois stades de l’évolution des systèmes hypothétiques en arabe égyptien, montre une réalité tout autre : le recours à une concordance des formes verbales d’un autre type. Cette concordance, selon nous, découle d’un trait majeur qui caractérise l’arabe égyptien par rapport à l’arabe classique, et ce au moins sur les deux premières époques que nous avons balayées : la synonymisation des opérateurs ’iza et law. Si cette synonymisation, nous le rappellerons, n’est qu’une étape du développement, suivie qu’elle est par l’hégémonie de law sur ’iza, elle n’en n’a pas moins eu des conséquences nous semble-t-il remarquables, au premier rang desquelles l’ordonnancement des formes verbales à des fins contrastives entre les différents ordres conditionnels, ceux-ci n’étant plus marqués par les opérateurs, devenus eux synonymes…

58Les phénomènes perçus ici, s’ils sont certes ceux de l’arabe égyptien, ne sont néanmoins pas ceux de l’arabe égyptien dans l’absolu, d’un état éthéré, stable et invariant. Si, en synchronie, les différences existant entre l’arabe égyptien et l’arabe dit classique sont patentes (emploi de law dans l’ordre Potentiel et de ’iza dans l’ordre Irréelpour ne citer que ces deux particularités), il apparaît aussi que nous pouvons, en diachronie cette fois-ci et à l’intérieur de cette même variété égyptienne, percevoir des transformations semble-t-il plus profondes que de simples modifications de surface. Ainsi, la comparaison entre diverses époques d’une même variété d’arabe permet de mettre au jour ce que nous appellerions une simplification du système hypothétique.

59Concernant en effet l’ensemble du système hypothétique égyptien à opérateurs spécifiques, i.e. ’iza, ’in et law, nous avons observé des modifications en diachronie. Ainsi, dans l’ordre Potentiel, à une relative régularité syntaxique des systèmes en law et en ’in, s’oppose une relative anarchie avec ’iza, plus marqué que d’autres par des risques d’ambiguïté. D’autre part, law, comme il découle des analyses faites plus haut étape par étape, fournit des systèmes plus réguliers et plus distinctifs entre les différents ordres conditionnels que ne le fait ’iza.

  • 43  ’in šā’a-llāh a en effet plutôt le sens de souhait (« j’espère »), voire de nos jours le sens de f (...)

60La question qui doit ici être posée dans le cadre de la conditionnelle potentielle est la suivante : pourquoi trois opérateurs sont-ils en cooccurrence pour l’expression du Potentiel, alors que la situation en arabe dit classique est celle d’une distinction assez nette entre ses opérateurs ? Si la situation de ’in s’apparente à celle du ’in classique, c’est-à-dire celle d’une survivance, cantonné qu’il est soit à de simples emplois figés dans ’in šā’a-llāh, sans valeur réelle de conditionnelle, mais plutôt de sens proverbial 43, soit à des emplois certes conditionnels potentiels, mais majoritairement en collocation avec ce même šā’a -llāh, reste à élucider la question de l’emploi conjoint de ’iza et de law en égyptien pour le Potentiel d’une part, mais aussi celle de leur cooccurrence dans le cadre Irréel, le paroxysme étant atteint avec l’époque du film où les deux opérateurs sont à peu près à égalité de représentation et expriment tous deux les trois ordres conditionnels. Il pourrait sembler que nous nous trouvions devant une anarchie d’emploi, or, en linguistique, l’anarchie, fût-elle apparente, n’est certainement pas de mise, et quand bien même, elle est plutôt temporaire, représentant un état moyen entre deux états, la langue se chargeant toujours de donner une régularité aux emplois, d’en différencier les recours…

  • 44  Et ce malgré Lehn et Abboud qui, dans leur manuel de parler cairote qui date de l’époque du film d (...)

61Il semble possible de poser un certain nombre d’hypothèses pour essayer de comprendre ces phénomènes tout d’abord de cooccurrence avec prééminence de ’iza (Es-Sayyed), puis de disparition de celui-ci (tout d’abord dans BwN 44, puis dans le corpus contemporain formé par Šaraf-‘Abbās-Bāzel).

62Les deux systèmes en law et ’iza sont syntaxiquement relativement proches, tels que le montrent les tableaux ci-dessus. De plus, en se basant sur les descriptions que Spiro Bey et de Lacy O’Leary font, vraisemblablement sur le modèle classique, à savoir que law serait réservé à l’expression de l’Irréel, tandis que ’iza le serait lui tout d’abord à l’expression de l’Éventuel, puis, remplaçant ’in dans son emploi, à celle du Potentiel, un fait nouveau surgit. Le fait, récent, qu’ils soient cooccurrents dans l’expression à la fois de l’Irréel et du Potentiel, pousse en effet à reconnaître que cette cooccurrence indique non seulement qu’en arabe égyptien, law et ’iza ont perdu leurs valeurs propres, posées par Spiro Bey et de Lacy O’Leary donc, attachées à certains types de conditionnelles, et sont donc synonymes, mais bien plus, que law comme ’iza n’indiquent désormais alors rien de plus que la conditionnelle dans l’absolu. Les nuances conditionnelles ne relèvent donc plus de l’emploi d’un opérateur en particulier, mais sont uniquement marquées par recours à des apodoses et/ou protases contrastives, et plus particulièrement même par l’identité syntaxique de l’apodose en relation avec le marqueur conditionnel employé, la protase étant le plus généralement en accompli. Cette synonymie explique en retour la possibilité, semble-t-il un temps explorée, quoique marginalement, de l’utilisation de ’iza, par mimétisme avec law, dans l’ordre Irréel.

63Pourquoi alors deux systèmes (quasi identiques syntaxiquement par ailleurs) si ces deux systèmes expriment in fine les mêmes réalités sémantiques ?Cette cooccurrence ne devait donc être que temporaire, un temporaire qui pouvait certes durer dans le temps, mais où l’un devait se substituer plus ou moins totalement au second, ce dernier ayant alors un emploi résiduel. À cet égard, la recension des occurrences semble bien indiquer que le choix de la langue s’est porté sur law. En premier lieu, celui-ci est de loin plus employé pour exprimer le Potentiel que ne l’est ’iza pour rendre l’Irréel. Mais encore, en courte diachronie, il semblerait bien que law se soit effectivement imposé, ou soit en train de le faire, comme l’opérateur de la conditionnelle par excellence de l’égyptien moderne. Ceci est particulièrement visible dans le cadre Potentiel, notamment lorsque l’on compare entre Es-Sayyed et le corpus du film de 1960. Si dans le premier nous trouvons bien une prééminence de ’iza (6/13 soit 46,15%) sur law (2/13 soit 15,38%), dans le second les proportions sont quasiment inversées (’iza 2/13 soit 15,38% et law 5/13 soit 38,46%), l’emploi de law étant deux fois et demi supérieur à ce qu’il était 36 ans auparavant quand dans le même temps l’emploi de ’iza est lui trois fois moindre. De la même manière, ’iza n’apparaît plus pour exprimer l’ordre Potentiel dans Šaraf-‘Abbās-Bāzel là où law représente respectivement 80% des emplois potentiels pour Šaraf, 100% pour ‘Abbās et 80% pour Bāzel, soit, sur l’ensemble de ce corpus 9/11 (81,81%).

  • 45  Toujours selon la présentation de Spiro Bey et de de Lacy O’Leary.

64L’apparition du law égyptien dans le cadre Potentiel, de même que son extension à l’ensemble de la conditionnelle et par suite sa substitution à ’iza dans les sphères potentielles et irréelles de celle-ci, pourrait être expliquée par le fait que a) des trois opérateurs historiques de la conditionnelle égyptienne 45 law exprimait déjà deux formes de conditionnelles (Irréel, présent et passé), et qu’il serait par conséquent plus facilement extensible à d’autres formes de conditionnelles, b) parce que contrairement à ’iza qui n’exprime que très marginalement l’ordre le plus éloigné de ses attributions premières, à savoir l’Irréel du passé, law, lui, remplit de manière massive comme nous venons de le souligner le Potentiel, sans cesser d’exprimer les Irréels, et c) parce qu’il offrirait une plus grande régularité syntaxique d’emploi, opérant des différenciations claires entre les ordres conditionnels sur la base de distinctions syntaxiques, et ce sans appauvrir les possibilités d’expression des conditionnelles dans les deux ordres Potentiel et Irréel.

  • 46  Concernant cette fois encore un autre état de l’arabe, celui de la Péninsule, le système brossé pa (...)

65Posons alors l’hypothèse suivante en diachronie. Sémantiquement, law ne traduisait que l’Irréel, et ’iza que l’Éventuel, puis l’Éventuel et le Potentiel après avoir évacué ’in. Pratiquement, nous sommes donc passés d’un système hypothétique à trois marqueurs (’iza, ’in et law) à deux marqueurs (’iza et law). Law apparaissant en force dans le cadre Potentiel, il embrasse dès lors l’ensemble de la conditionnelle, Éventuel excepté. Ce faisant, il acquiert les mêmes valeurs sémantiques que ’iza ou ’in, ce qui n’est pas réciproque, ces derniers n’acquérant pour l’un que très marginalement le sens premier de law. Syntaxiquement maintenant, law offre une économie d’emploi, un système bien différencié et régulier qui tranche avec ’iza, ce qui empêche du reste ce dernier de s’étendre à l’expression de l’Irréel dans les mêmes proportions que law ne le fait dans le Potentiel. Ce dernier finit donc naturellement par s’imposer, relayant et éliminant de fait ’iza. Le système devient donc économique syntaxiquement et sémantiquement 46.

  • 47  Et c’est du reste aussi peut-être cette influence des langues européennes qui est à voir dans ce p (...)
  • 48  Cf. entre autres Grévisse (Maurice), Le bon usage, Paris, DeBoeck et Duculot, Éd. André Goosse, 13(...)

66En d’autres termes, nous assisterions, en arabe égyptien, à une simplification du système conditionnel, avec disparition de la multiplicité des opérateurs de la conditionnelle et développement consécutif du rôle contrastif des protases et apodoses, i.e. aux formes verbales employées. Nous aboutirions donc à un système proche du système hypothétique français 47, par exemple, où nous n’avons comme opérateur que si et où les temps du verbe permettent de situer la conditionnelle dans les différents ordres 48. Plus particulièrement nous assistons en arabe égyptien au développement du rôle contrastif des apodoses pour distinguer entre Potentiel, Irréel du présent et Irréel du passé, puisque nous sommes passés d’un rôle contrastif propres aux protases (1927) à celui des apodoses (1996-2003-2005).

Conclusion

67À l’issue de cette étude, il semble donc que nous assistions à une simplification des systèmes hypothétiques en égyptien moderne, simplification au profit de law et aux dépens de ’iza, law recouvrant désormais l’ensemble des valeurs conditionnelles (Potentiel, Irréels), i.e. n’en n’ayant plus aucune, mais indiquant simplement le cadre conditionnel de l’énoncé, les différences se faisant dès lors de manière syntaxique par recours à des apodoses contrastives. Ceci rapproche le système égyptien des systèmes français ou anglais où, là aussi, ce sont les formes verbales qui permettent de marquer l’ordre de la conditionnelle, notre si ne servant lui qu’à indiquer le cadre conditionnel. En une génération ou un peu moins, des changements s’opèrent, des tendances s’affirment ou se renversent, ce que nous montrent les textes du corpus ici utilisés.

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Bibliographie

Sources primaires

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Notes

1  Contrairement à l’usage, nous serons tout naturellement ici amené à ne pas respecter les règles de transcription de l’arabe classique, afin de coller le plus possible à la réalité de la prononciation en égyptien, ce qui explique ici la transcription en Es-Sayyed et non en Al-Sayyed. Nous choisissons par ailleurs de transcrire les dialogues du film (corpus oral donc) de la même manière que les éléments de littérature dialectale de notre corpus.

2  Très vraisemblablement datable de 1927 ; le préfacier de l’édition que nous avons utilisée, Kamāl Sa‘d, écrit en effet que la première édition a été épuisée en quelques jours, et que malgré cela, la seconde édition ne verra le jour que deux années plus tard, c’est-à-dire, dit-il, à la fin des années vingt (Bayram al-Tūnisī (Maḥmūd), Es-Sayyed we-mrāto fi Bārīs, Beyrouth, al-Maktaba al-‘Aṣriyya, 1927(?), 112 p., p. 6).

3  Il se compose de 34 pages de texte (p. 4-38) représentant les 58 scènes du film. Ce texte a été annoté et transcrit par Frédéric Lagrange, avec l’aide de Lamyā’ al-Ṣādiq en 1998 et révisé en 2006 à l’occasion de la question de linguistique proposée au concours de l’agrégation. Il s’agissait du texte de référence servant à traiter de la conditionnelle en égyptien, et c’est donc à partir de celui-ci que s’origine le questionnement auquel nous nous efforcerons de répondre ici.

4  Nous remercions ici Frédéric Imbert qui nous a fourni un premier ensemble, composé initialement de 14 phrases, tirées de diverses œuvres littéraires égyptiennes contemporaines (Bahgat (’Aḥmad), Kilmeten we-bass, 1974 ; Wahba (Sa‘d al-Dīn), Masraḥiyyāt ; ’Idrīs (Yūsuf), Gomhoriyyat Farahat, 1976 ; Bayt min laḥm ; Ḥādiṯat Šaraf), et nous a fourni la plupart des œuvres littéraires dont nous nous sommes servi pour étoffer notre recension et asseoir nos conclusions sur un plus large corpus.

5  En effet, comme nous le verrons plus tard, si certains ouvrages récents traitent bien de l’arabe égyptien, leurs sources, tout au moins concernant les systèmes hypothétiques, sont elles relativement anciennes, datant pour les plus récentes des années 1980, ce qui peut ne pas sembler si vieux que cela, mais qui pourtant semble bien avoir une certaine importance et certaines incidences sur l’adéquation descriptive. Cf. infra, p. 248-249, particulièrement notes 32 et 38.

6  Il s’agit seulement ici de concordance des temps, mais la syntaxe pourrait porter à croire à un Irréel du présent. Sur la différence entre discours et récit, voir entre autres Abi Aad (Albert), Le système verbal de l’arabe comparé au français, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, 186 p., notamment p. 49-72.

7  Ce que par ailleurs, pour un autre état linguistique, la grammaire arabe classique présente comme étant les deux particules de la conditionnelle (ḥarfā al-šarṭ). Deux, car les grammairiens arabes postclassiques (c’est-à-dire après l’irruption de la logique grecque à partir du IIIe siècle de l’hégire), à commencer par al-Zamaḫšarī n’en reconnaissent que deux. Sur ce point, voir al-Zamaḫšarī, al-Mufaṣṣal, éd. Émile Badī‘ Ya‘qūb, Dār al-kutub al-‘ilmiyya, Beyrouth, 1999, 718 p., p. 416-420. Sur le devenir de law en tant que particule de la conditionnelle, voir notamment Dévényi (Kinda), « The Treatment of Conditional Sentences by the Mediaeval Arabic Grammarians (Stability and Change in the History of Arabic Grammar) », The Arabist, 1, 1988, p. 11-42, et Versteegh (Kees), « Two conceptions of irreality in Arabic Grammar. Ibn Hišām and Ibn al-Ḥāǧib on the particule law », De la grammaire de l’arabe aux grammaires des arabes (P. Larcher coord.), Bulletin d’études orientales, IFEAD, XLIII, 1991, p. 77-92.

8  ’Idā étant lui en arabe classique un circonstant temporel (ẓarf zamān). Par ce choix restreint à trois opérateurs, nous limitons donc notre étude aux conditionnelles dites spécifiques en excluant de celle-ci celles dites génériques (man, , ’ayna, etc.), de même que celles sans opérateur, type ’udrus tanǧaḥ en classique (« Étudie, tu réussiras ! »).

9  Excluant donc de notre étude les systèmes concessifs, dont q se réalise indépendamment de p, mais aussi les “fausses conditionnelles”, au sens de Lewin (Bernhard), « Non-conditional ‘if’-clauses in Arabic », ZDMG, 120, 1970, p. 64-270. Il s’agit en fait de phrases dans lesquelles si p n’est pas une supposition, mais purement une forme linguistique d’assertion. Le segment p est en fait avéré et q en est indépendante. Il n’y a donc pas de rapport d’implication logique entre p et q. Cela correspond à ce que Pierre Larcher décrit, dans son article sur le « segmentateur * », sous la catégorie d’oppositif, repérable par l’expression « en revanche » apparaissant dans la traduction française comme dans « s’ils ont traîtreusement tué Awsan, j’ai [en revanche] laissé ’Abū Sufyān » (fa-’in yaqtulū bi-l-ġadri Awsan fa-’inna-nī taraktu ’Abā Sufyāna multazima r-raḥlī), ou ici, dans notre corpus égyptien : « Par Dieu, si on y a droit, [en revanche] on en a même oublié la forme ! » (wa-l-Llāhi ’in gēt li-l-ḥaqq ’iḥna nisīna šakla-ha ḥatta). Voir aussi sur cette question de la rupture par le fa-, Larcher (Pierre), « Subordination vs coordination “sémantiques” : l’exemple des systèmes hypothétiques de l’arabe classique », Annales islamologiques, Le Caire, 2000, 34, p. 193-207 etAyoub (Georgine), « Corrélation et rupture modales. Formes verbales et particules énonciatives dans les hypothétiques en arabe littéraire », Mélanges David Cohen, Maisonneuve et Larose, Paris, 2003, p. 29-45, not. p. 41-45.

* Larcher (P.), « Le « segmentateur » fa-(’inna) en arabe classique et moderne », Kervan – Rivista Internazionale di Studi Afroasiatici, 3, juin 2006, p. 55.

10  Il ne s’agit pas exactement ici des “quasi” conditionnelles au sens de Dévényi (Kinda), op. cit., p. 38, qui, reprenant Sībawayhi, les définit comme étant celles dont la protase est un impératif (’amr), une défense (nahy), une question (’istifhām), un souhait (tamannī) ou une proposition (‘arḍ), mais de phrases se présentant dans leur globalité sous forme de questions. Celles-ci ont en commun un certain nombre de traits syntaxiques qui, selon nous, permettent et imposent de les distinguer d’autres formes de conditionnelles, et qui mériteraient une étude à elles seules.

11  Par type essentiel nous entendons les types syntaxiques auxquels peuvent se laisser réduire les différentes phrases de notre corpus afin de pouvoir en abstraire des statistiques et repérer les régularités. Ces types seront présentés par exemple comme suit : law accompli … kān accompli, où l’ensemble [opérateur de la conditionnelle-verbe] représente la protase, séparée de l’apodose par les pointillés.À cet égard, une précision s’impose. Nous ne tenons tout d’abord pas compte de la présence d’une négation, celle-ci n’ayant pas d’effet sur les relations liant protase à apodose et donc n’ayant pas d’effet sur la catégorisation de la phrase dans tel ordre de la conditionnelle plutôt que dans tel autre. Les marqueurs de futur, en égyptien généralement ḥa-, graphiquement directement préfixé ou non au verbe (on peut en effet aussi bien trouver ḥa-yeḍrubak et ḥa yeḍrubak), seront eux par contre pris en compte, le futur n’étant contrairement à la négation pas neutre du point de vue de la catégorisation, et seront notés futur inaccompli.Un verbe à l’accompli sera noté accompli, et un verbe à l’inaccompli inaccompli. Concernant maintenant le verbe kān, s’il apparaît comme auxiliaire, il sera effectivement noté kān {accompli/inaccompli}-yakūn {accompli/inaccompli}, mais dans le cas contraire, il sera noté comme un verbe, i.e. accompli ou inaccompli. Un exemple de ces divers aspects : ’iza kān ‘alā l-ḥisāb miš ḥa-teḫlaṣi min-ni ’abadan (« si c’est sur l’ardoise, tu ne te débarrasseras jamais de moi ») équivaut à ’iza accompli … futur inaccompli.

12  Dans la suite du texte, nous allons détailler nos recensions et mettrons en regard des opérateurs étudiés le nombre d’occurrences totales. Dans les tableaux, ce nombre sera distribué en fonction des ordres de conditionnelle (i.e. Éventuel, Potentiel, Irréel du présent ou Irréel du passé) et des systèmes syntaxiques, et, lorsque cela se justifie, un pourcentage sera donné afin qu’il soit possible de se faire une idée précise des systèmes les plus saillants.

13  Il est aussi possible de comprendre « Et si tu veux un quelconque cireur de chaussures, ce n’est qu’à côté de la gare que tu le trouveras assis par exemple », n’étant plus dans ce cas particule de négation, celle-ci étant élidée et la négation ne s’exprimant alors qu’à travers le -ši suffixé au verbe.

14  Il semble en effet, à la lecture, que le wa- soit une coquille d’impression. La phrase conditionnelle étant complète et nécessitant une apodose, le sens impose ici clairement de lire lā ‘araftīš al-ḥaqq

15  Notons que c’est le seul emploi qu’en donne Spiro Bey, en 1912, classant ’in et ’iza ensemble et law à part, les exemples qu’il donne amenant à lire la répartition ainsi : ’in sabat ‘alēk ’innak ḥarāmī ’a‘mil fīk ’ēh ? (« Et s’il s’avère que tu es un voleur, que ferai-je de toi ? »), Potentiel, opposé à law ga lak bi-nafso we-ṭalab minnak, tiqdar tirfoḍ ? (« S’il venait en personne et te demandait quelque chose, pourrais-tu refuser ? », Irréel du présent. Cf. Spiro Bey (Socrates), A New Practical Grammar of the Modern Arabic of Egypt, Londres, Luzac & Co, Luzac’s Oriental Grammars Series VII, 1912, 255 p., p. 204-207 et, pour les exemples, p. 206-207.

16  Ce que l’on note par ailleurs en arabe postclassique chez Ġazālī dans Ayyuhā l-walad, mais non en arabe préclassique (Coran), la différence entre Irréel du présent et Irréel du passé se faisant par recours à des apodoses contrastives. Sur ce point, cf. Larcher (Pierre), « Les systèmes hypothétiques en law de l’arabe classique », Bulletin d’études orientales, LV, 2003, p. 265-285, p. 277-278.

17  Nous donnons cet exemple pour attirer l’attention sur le fait que le la- présent ici en entrée d’apodose n’est pas le lām ǧawāb al-šarṭ, mais celui du ǧawāb al-qasam, puisque l’énoncé conditionnel se situe dans le cadre d’un serment (we-n-nabi).

18  Ce dernier écrit en effet : « iza, iza kân (as though one word) = “if” ; in = “if” ; lô, law (we-law) = “if” (implying that the condition did not occur, e.g. “if he had come I would have gone out”) […] In conditional sentences the “if” clause is introduced by iza, iza kân, or in, or by lô, law, or in if the supposition is improbable or is known not to have happened », de Lacy O’leary (D. D.), Colloquial Arabic, with notes on the vernacular speech of Egypt, Syria and Mesopotamian and an appendix on local characteristics of Algerian dialect, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1951 [19251], 192 p., p. 165-166 : « Dans les phrases conditionnelles la protase est introduite par iza, izakân ou in ou bien par lô, law ou in si la supposition est improbable ou connue comme n’ayant pas eu lieu. » Selon lui donc, non seulement law n’a d’autre emploi que celui de l’Irréel, et ’iza que celui du Potentiel mais encore, chose que nous n’avons pas recensée, ’in serait lui utilisé à la fois dans le Potentiel et dans l’Irréel.

19  On note en effet l’apparition en apodose de futur inaccompli, usage qui aurait eu tendance à se généraliser avec ’iza, avant que celui-ci ne disparaisse du Potentiel, comme en témoigne l’exemple donné par Badawi et Hinds en 1986 : « ؟iza iḥna ma-ƒtarenaa-ƒ γer-na ḥa-yiƒtiri if we don’t buy, others will », Badawi (El-Said), Hinds (Martin), A Dictionary of Egyptian Arabic, Beyrouth, Librairie du Liban, 1986, 981 p., p. 16.

20  À noter que nous trouvons un Éventuel, mais de séquence q, si p dont la syntaxe est elle aussi contrastive comparée aux deux autres ordres de la conditionnelle présents. Cet exemple est le suivant : bas il-’inglīzi mā biyetfahimš ’illā ’iza kān ma‘āh šāy (BwN, Scène 7, p. 7) (« Mais l’anglais ne se comprend que quand il est accompagné de thé ») de syntaxe inaccomli … ’iza accompli. De la même manière nous trouvons une syntaxe contrastive pour désigner un Irréel du passé. Il s’agit certes d’une interrogation, normalement exclue de notre étude, mais la syntaxe semble bien propre à éclairer le phénomène de concordance des formes verbales. Il s’agit de ya‘ni ’iza kunna fiḍilna fi š-šaqqa ’elli foq kunna šaḥatna ? (BwN, Scène 1, p. 4) (« Parce que si nous étions restés dans l’appartement du dessus nous serions devenus des mendiants ? ») dont la syntaxe est ’iza kān accompli … kān accompli. Il semblerait donc bien là encore que les apodoses soient contrastives entre les différents ordres de la conditionnelle.

21  Même remarque que pour l’exemple 10 concernant le lām al-qasam. À noter de plus que c’est peut-être le cadre du serment et donc ce la- qui empêchent l’apparition qui semble par ailleurs régulière du futur dans l’apodose. À noter aussi dans notre corpus la quasi-absence du la- de l’apodose (lām ǧawāb al-šarṭ). Il n’est pas à confondre avec le la- du serment (lām ǧawāb al-qasam) dont il est question dans l’exemple 18.Le seul exemple de la- de l’apodose apparaît avec law-lā, mais dans un système non doublement verbal. Nous le donnons ici :

we-law-lā ḥirmāni min mušāhadat-kū la-kunt fi ġāyat as-sa‘āda (BwN, Scène 40, p. 27)

« S’il n’y avait eu cet empêchement de vous voir, j’aurais été au comble de la joie »

22  Lehn (Walter), Abboud (Peter), Beginning Cairo Arabic, Austin, 1965, p. 243-244.

23  « La conjonction française “si” se rend par eza (ou moins souvent par en ou law) », Jomier (Jacques), Khouzam (Joseph), Manuel d’arabe égyptien, Paris, Klincksieck, 1973, 2e éd. revue et corrigée, 1989, 212 p., p. 161.

24 Boutros (Wadie), Ahlan wa Sahlan. Manuel d’arabe égyptien du Caire, Dar el-Nashr Hatier, 1993, 232 p., p. 196-197.

25  Cuvalay (Martine), « On the role of “tense” in conditional sentences », Actes des premières journées internationales de dialectologie arabe de Paris (27-30 janvier 1993), Caubet (Dominique) et Vanhove (Martine) éd., Paris, Publications de l’INALCO, 1994, 545 p., p. 235-249.

26  Il semble qu’à une époque intermédiaire entre l’époque du film où l’Irréel du présent peut s’exprimer sous forme de law accompli … kān inaccompli et l’époque de notre troisième corpus où il s’exprime sous forme de law accompli … inaccompli, il y ait eu, corroborée par Badawi et Hinds, la forme suivante law accompli … kān futur inaccompli, cette même forme étant catégorisée par Wadie Boutros, à peine sept ans après, comme celle de l’Irréel du passé (cf. Boutros (Wadie), op. cit., p. 196). Par contre, pour les deux autres ordres, Potentiel et Irréel du passé, la situation décrite par les deux auteurs en 1986 est déjà celle que nous retrouvons dans notre corpus 1996-2003-2005 : « huwwa law kaan hina qatal-ak if he had been here, he would have killed you [Irréel du passé]. law kaan ؟axuu-ya hina kaan ḥa-yiddii-lak if my brother were here, he would give (it) to you [Irréel de présent]. law tiigi bukra ḥ-addii-lak il-filuus if you come tomorrow, I’ll give you the money [Potentiel] », in Badawi (El-Said), Hinds (Martin), op. cit., p. 803.

27  Étant entendu que nous nous situons dans le cadre de systèmes doublement verbaux. Dans le cas certes plus théorique des conditionnelles tronquées, une étude serait à faire pour voir le comportement contrastif des apodoses.

28 Boutros (Wadie), op. cit., p. 196-197.

29  Cette disparition n’est pas propre, semble-t-il, à l’égyptien, puisqu’il semble que l’on puisse faire les mêmes observations en comparant l’étude de Clive Holes (Colloquial arabic of the Gulf and Saudi Arabia, London & New York, Routledge, coll. “The Colloquial Series”, 1re éd., 1984, 319 p., p. 221-223) à celle, dix ans après, de Bruce Ingham (Najdi Arabic. Central Arabian, Amsterdam/Philadelphia, Benjamins, coll. “London Oriental and African Language Library”, 1994, 215 p., p. 131-141).

30  Eisele (John C.), Arabic Verbs in Time : Tense and Aspect in Cairene Arabic, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1999, 264 p.

31  Ibid., p. 72. « Les distinctions faites par l’arabe du Caire entre Potentiel et Irréel ne sont pas seulement basées sur le recours au temps du passé, mais aussi sur le type de particule utilisée : ’iza = Potentiel, law = Irréel. » L’auteur note de plus qu’une autre particule est aussi utilisée, ’in, qui selon lui apparaît généralement dans les mêmes contextes que ’iza et serait traitée par la plupart des écrivains comme une alternative à ce dernier, même s’il note que son emploi est visiblement restreint aux proverbes et expressions proverbiales. Sur la critique de l’identité ’iza-’in, cf. suite de notre développement.

32  Ce ne sont que des manuels et non des sources premières, romanesques ou autres. Il s’agit respectivement de Abdel-Massih (E.), An Introduction to Egyptian Arabic, Ann Arbor, Center for Near Eastern and North African Studies, Univ. of Michigan, 1975 ; Abdel-Massih (E.), Abdel-Malek (Zaki), Badawi (El-Said), A Reference Grammar of Egyptian Arabic, Ann Arbor, Center for Near Eastern and North African Studies, Univ. of Michigan, 1979 et Al-Tonsi (‘Abbās), Egyptian Colloquial Arabic : A Structure Review, Le Caire, American University in Cairo, 1980.

33 Eisele (John C.), op. cit., p. 72 : « It appears that law can be used as a low hypothetical conditional only if it is used without the past tense, i.e. presumably on a par with ‘’iza + past’. »

34 Badawi (El-Said), Hinds (Martin), op. cit., p. 803.

35  Eisele (John C.), op. cit., p. 72 : « […] the way the system normally works is that ‘’iza + past’ is preferred for low hypothetical conditionals, while ‘law + past’ is preferred for high hypothetical conditionals. »

36  Nous soulignons.

37 Eisele  (John C.), op. cit. p. 74 : « law can also be used in certain contexts with simple past tense verbs in the protasis and express either low or high hypotheticality, in which case it is the tense of the apodosis which determines wether it is read as high or low hypotheticality: if the apodosis is past (usually marked by kān + verb), then the whole conditional is read as high hypothetical; if the apodosis is non-past, then the conditional is read as low hypothetical. »

38 Woidich (Manfred), Das Kairenisch-Arabische. Eine Grammatik, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2006, 444 p. Néanmoins, concernant les sources données en bibliographie par l’auteur, il est tout d’abord regrettable qu’elles ne soient pas précisément citées dans son chapitre consacré aux conditionnelles. Les exemples qu’il cite ne sont pas référencés, ce qui rend difficile le travail de vérification. Concernant la bibliographie générale, que les sources soient rangées sous les étiquettes Sprachgeschichte (Histoire de la langue), Grammatik : Beschreibungen, Grammatik : Einzelstudien (Grammaire : Études de cas) – dont aucune ne concerne les systèmes hypothétiques –, Lehrbücher (Manuels d’apprentissage), elles sont toutes datées des années 1970-1990. Concernant maintenant la catégorie Texte in arabischer Schrift (Textes écrits en arabe), nous y trouvons, outre des ouvrages plus anciens, trois ouvrages récents : Al-‘Assāl (Fatḥīya), Ḥuḍn il‘umr. As-sīra a-ḏātīya, Le Caire, Al-Hay’a al-miṣrīya al-‘āmma li-l-kitāb, 2002 ; ‘Abd Al-Mun‘Im (Ṣafā’), Min ḥalāwit irrūḥ. Riwāya bi-l-‘āmmiyya, Le Caire, Sanābil li-l-našr wa-l-tawzī‘, 2005 ; mais aussi Bāzel, 2005, dont nous nous sommes nous même servi pour notre étude. Visiblement ce dernier a dû servir à l’auteur, mais pour rendre compte d’autres données que celles des systèmes hypothétiques au vu des différences que nous relevons, les phrases qu’il cite dans cette section n’étant par ailleurs visiblement pas tirées de Bāzel

39  L’ordre donné par l’auteur visant à souligner la désuétude de ’in mais aussi visiblement la plus grande utilisation de ’iza là où justement, et au contraire, pour l’état récent de la langue, nous notons la disparition de ’iza.

40  Woidich (Manfred), op. cit., p. 372 : « Darauf folgt im Vordersatz das Perfekt oder kān mit einer anderen Verbal-form, einer NP oder einer Präpositionalphrase » (« Suit alors dans la protase l’accompli ou kān avec une autre forme verbale, un syntagme nominal ou un syntagme prépositionnel »).

41 Ibid., p. 373 : « Im Nachsatz folgen je nach Sachlage der Imperativ, y-Imperfekt oder ḥa-Imperfekt. »

42 Ibid., p. 373-374 : « Syntaktisch sind diese Sätze in erster Linie dadurch gekennzeichnet, daß der Nachsatz durch kān eingeleitet wird. Folgt diesem ein Perfekt, so ergibt dies kontradiktorischen Sinn für die Vergangenheit. In allen anderen Fällen handelt es sich um hypothetische Bedingungen, deren Wahrscheinlichkeit auf Erfüllung als gering eingeschätzt wird. »

43  ’in šā’a-llāh a en effet plutôt le sens de souhait (« j’espère »), voire de nos jours le sens de futur, voire même est à comprendre, dans certains contextes, dans le sens désormais enregistré de « compte là-dessus ! ».

44  Et ce malgré Lehn et Abboud qui, dans leur manuel de parler cairote qui date de l’époque du film de Ṣalāḥ ’Abū Sayf, après avoir donné une série de modèles d’expression de la conditionnelle en ’iza, précisaient : « in any of these constructions, /law/ or /in/ may be substitute for /iza/. The latter, however, is more commonly used than either of the other conditional subordinators », Lehn (Walter), Abboud (Peter), op. cit., p. 244.

45  Toujours selon la présentation de Spiro Bey et de de Lacy O’Leary.

46  Concernant cette fois encore un autre état de l’arabe, celui de la Péninsule, le système brossé par Holes est éminemment simple par rapport à la situation égyptienne. Même si une multiplicité d’opérateurs semble subsister, et ce, plus étonnant, dans les trois ordres conditionnels, ce qui prouve là aussi un état de synonymie entre des opérateurs classiquement différenciés, la syntaxe est, elle, idéalement simple. L’auteur, chez qui si = ’iza/’in kān/law/ila, donnait pour la situation en 1984 le système suivant : Potentiel = si inaccompli … (be)inaccompli/impératif ; Irréel du présent = si accompli … accompli ; et Irréel du passé = si accompli … kān accompli. Cf. Holes (Clive), op. cit., p. 222-223. Concernant le Potentiel, on retrouve d’ailleurs ici la situation qui était celle de law en arabe égyptien en 1927 et en 1960, mais qui n’est depuis plus la même, sa protase étant classiquement repassée en accompli et son apodose s’étant elle dotée d’un futur. Néanmoins, mais sans entrer dans les détails, Ingham semble lui affiner la présentation en attribuant des valeurs aux opérateurs, ila étant réservé à l’Éventuel, le Potentiel s’exprimant au moyen de ila/’in/law accompli … inaccompli, l’Irréel étant, lui, du seul ressort de law, law accompli … accompli pour l’Irréel du présent et law accompli … kān accompli pour l’Irréel du passé (cf. Ingham (Bruce), op. cit., p. 134-140).

47  Et c’est du reste aussi peut-être cette influence des langues européennes qui est à voir dans ce phénomène de synonymisation des opérateurs de la conditionnelle en arabe égyptien.

48  Cf. entre autres Grévisse (Maurice), Le bon usage, Paris, DeBoeck et Duculot, Éd. André Goosse, 13e édition, 2001, 1762 p.

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Pour citer cet article

Référence papier

Manuel Sartori, « L’évolution des conditionnelles en arabe égyptien contemporain »Bulletin d’études orientales, Tome LVIII | 2009, 233-257.

Référence électronique

Manuel Sartori, « L’évolution des conditionnelles en arabe égyptien contemporain »Bulletin d’études orientales [En ligne], Tome LVIII | Septembre 2009, mis en ligne le 01 septembre 2010, consulté le 26 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/beo/74 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/beo.74

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