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Les consonnes du chamito-sémitique et le proto-phonème *H du berbère

The consonants of Hamito-semitic and the berber proto-phoneme *H
الحروف الصوامت في اللغات الحامية السامية والفونيم الأم H في اللغة البربرية
Arnaud Fournet
p. 23-50

Résumés

L’article commence par reconstituer de proche en proche l’inventaire phonologique du proto-sémitique, en partant du système de l’arabe classique et en l’enrichissant et le réorganisant d’après différentes sources d’informations, internes à l’arabe classique, internes aux langues sémitiques et contenues dans les emprunts sémitiques faits par les langues tierces. L’article montre que le proto-sémitique « traditionnel » est défectueux. Il manque à l’appel plusieurs phonèmes dont l’existence est certaine, mais passée inaperçue à ce jour. L’article met également en évidence que les phonèmes et sont diachroniquement issus d’une scission phonologique de *ts et *dz. La deuxième partie de l’article s’attache à établir l’existence de la labiale glottalisée / en berbère. Cette glottalisée héritée du chamito-sémitique est en fait la pseudo-laryngale *H du proto-berbère.

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Texte intégral

Le système consonantique proto-arabe

1L’alphabet arabe classique et l’orthoépie moderne distinguent les phonèmes suivants :

— labiales : m, f, b, w

— occlusives coronales : n, t, d, ṭ, ḍ

— fricatives coronales : ṯ, ḏ, ẓ

— sifflantes : s, z, ṣ

— liquides : l, r

— palatales : y, š, ğ

— dorsales : k, q

— gutturales : ġ, ḫ, ˁ, ḥ

— glottales : ˀ, h

  • 1 Voir Haelewyck (2006), p. 84, §84 : « Ces dialectes modernes sont intéressants dans la mesure où il (...)

2La question se pose de « rétro-évoluer » ce système vers un état antérieur et de remonter jusqu’au proto-sémitique. Il est bien connu que la fricative labiale /f/ procède d’une ancienne occlusive */p/, généralement conservée en tant que telle dans les autres langues sémitiques, spécialement en dehors de la péninsule Arabique, où se produit le changement aréal *p > f. De même la palatale ou palato-alvéolaire ğ, simple [ž] ou affriquée [dž] suivant les dialectes, était une ancienne occlusive vélaire */g/, une réalisation qui a d’ailleurs été réintroduite dans certains dialectes, en particulier en Égypte. Ou bien faut-il postuler qu’elle avait conservé l’articulation originelle du proto-sémitique dans certains dialectes menant à l’arabe égyptien ? De façon générale, il paraît acquis que les « dialectes » arabes, comme il est convenu de les appeler, ne dérivent pas de l’arabe classique, mais bien plutôt des dialectes anciens 1. La combinatoire radicale en arabe classique confirme que ğ vaut pour une dorsale et il arrive d’ailleurs qu’elle alterne avec d’autres dorsales occlusives, comme par exemple dans la paire ḥadağa/ḥadaqa ‘fixer des yeux, scruter’, où les deux verbes sont des incréments de l’étymon {ḥ, d} ; ou bien entre hamlağ ‘marcher à son aise’, hamallaˁ ‘marcher d’un pas ferme, rapide’ et hamlaq ‘marcher d’un pas rapide’ ; ou encore entre hayyaǧa (F. II) ‘graisser abondamment son plat de bouillie’ et hayyaġa (F. II) ‘graisser abondamment un mets en y versant de la graisse fondue’. De manière générale les dorsales, glottales et liquides semblent avoir été relativement stables pendant la période historique de l’arabe, soit depuis un millénaire et demi de traçabilité écrite.

3Ce sont les coronales et les sifflantes qui ont connu le plus de changements visibles, et c’est le point qu’il convient d’éclaircir. Il est maintenant acquis que l’arabe classique, et cela vaut aussi, a fortiori, pour l’arabe pré-littéraire et, au-delà, pour le proto-sémitique, avait une série particulière de latéral(isé)es. La palatale ou chuintante /š/, qui correspond normalement à sīn en hébreu, est une ancienne fricative latéral(isé)e, qui avait comme partenaire emphatique ḍād /ḍ/. Ce fait n’est pas seulement étayé par l’existence en sud-arabique de prononciations du type latéral(isé) pour ces deux phonèmes : par exemple, en sud-yéménite de Datīna, ‘blanc’ se dit ˀabyaḷ avec emphatique au lieu de ˀabyaḍ. Il existe aussi quantité d’emprunts, de l’Espagne à la Malaisie et au Sahel, attestant que les locuteurs non-sémitiques ont perçu une composante latérale dans ces phonèmes. Le mot le plus ancien témoignant de ce phénomène est le grec βάλσαµος avec quatre consonnes blsm pour trois dans l’original (probablement phénicien ?) bśm ‘parfum, huile parfumée’. De même, en espagnol alcalde ‘maire’ avec un groupe de deux consonnes (ld) pour une seule () dans le mot arabe d’origine, al-qāḍī, ou bien arrabal(de) ‘faubourg’ pour al-rabḍa. À l’intérieur même du vocabulaire de l’arabe classique, on trouve des variantes, comme hulum (pl.) ‘chamois, chèvres des montagnes’ et hašama ‘chamois’, qui indiquent que š avait quelque chose en commun avec l. De même, des couples comme hašam/haḍam ‘briser, casser’ indiquent que l’occlusive emphatique ḍād a quelque chose en commun avec l’ex-fricative latérale š. Une série de latéral(isé)es s’impose donc de façon impérieuse pour des raisons multiples. En général, les sémitisants postulent l’existence de deux latéral(isé)es : une emphatique et une simple. C’est le point de vue retenu par Lipiński (2001, p. 139) :

The originally emphatic consonant [ḍ] corresponds to a single non-emphatic one. It was therefore of no phonemic significance whether the emphatic was produced with voice or without voice. [La consonne originellement emphatique [ḍ] correspond à une non-emphatique unique. Il était donc sans pertinence phonémique que l’emphase fût produite avec ou sans voisement.]

4On peut noter que cette série de latéral(isé)es constitue une innovation par rapport aux points de vue traditionalistes. Haelewyck (2006, p. 47) parle prudemment d’une seule « sourde /ś/, probablement latéralisée ». L’algèbre des fusions de phonèmes fossilisée dans le vocabulaire de l’arabe classique montre qu’il existe des paires minimales :

— fusion sourde de š et >  : šaḥr ~ ṣurad ‘cicatrice’

— fusion sonore de š et  >  : šaḥr ~ ḍarīr ‘rive, rivage’

— fusion sourde de et l > š : ṯilb ~ mušibb ‘très vieil homme’

— fusion sonore de et l > š : ḏalā ~ šāˀ ‘être triste, affligé’

5Dans un récent article (Fournet 2011), j’ai étudié de façon approfondie ces fusions qui sont très riches d’enseignements sur le système phonologique du proto-arabe. Sur une base purement interne à l’arabe classique, il est ainsi possible de restituer des faits que la comparaison pan-sémitique ne permet pas d’élucider de façon définitive. Le point de vue classique est par exemple celui de Martinet (1975, p. 253) : « Il est vrai que, par la comparaison [en italiques dans le texte], on ne peut guère restituer autre chose que *sl [š] comme partenaire à glotte ouverte de la glottalisée *l [ḍ] ». Ces exemples de fusion montrent qu’à une époque pré-littéraire et pré-alphabétique, mais peu ancienne, la mouvance dialectale où s’enracine l’arabe classique devait posséder, à l’état sub-phonémique, quatre latéralisées : simple et sonore źl, simple et sourde śl, emphatique et sonore l, emphatique et sourde l. Il semble qu’elles étaient toutes fricatives même si l’un des produits modernes, à savoir , ne l’est pas. Le démantèlement à date quasiment historique de la série latéral(isé)e a conduit à deux réarrangements : les simples źl et śl ont fusionné pour donner la chuintante š, qui fut appariée avec le produit palatalisé de *g > ğ, les emphatiques l et l ont fusionné pour donner l’occlusive sonore , qui fut appariée avec la sourde héritée . Il est sans doute abusif de caractériser le ḍād actuel comme étant une prononciation « corrompue » des usages géo-/dia-lectaux de la Mecque. Mon hypothèse est plutôt que le buissonnement sub-phonémique des latéral(isé)es a laissé place à un état simplifié et réarrangé avec seulement deux termes nouveaux qui ont une intégration forte dans le système des consonnes héritées, alors même que la série palatal(isé)e a elle-même disparu.

6De ce point de vue, il faut réexaminer le célèbre système triangulaire relevé par Cantineau (1952) et discuté par Martinet (1975). On peut ajouter que l’hypothèse que l serait la sonore remplissant opportunément la case vide d’une série de latéral(isé)es à deux termes explicitement tels (š et ) est confirmée dans son irrecevabilité, tant descriptive que diachronique. De toute façon, la combinatoire radicale montre que la latérale l coexiste avec les latéral(isé)es, et donc qu’elle appartient à une autre série que celles-ci : « C’est ainsi que dans cette langue [l’arabe classique], š et semblent s’exclure absolument [dans les racines] ; l, au contraire, apparaît très fréquemment aux côtés de š et  » (Martinet 1975, p. 261).

7On peut noter que sur le plan comparatif, au sein du chamito-sémitique, Takács (2011, p. 32) indique qu’il existe des indices en faveur de deux latéral(isé)es en plus de la latéralisée emphatique. Au lieu d’une opposition de voisement, hypothèse décrite dans Fournet (2011), Takács considère que les deux latéral(isé)es non-emphatiques s’opposaient en chamito-sémitique par le trait : fricative ~ affriquée. Il écrit : « The Sem. lateral sibilant derives apparently from two old lateral varieties (sibilant vs. affricate) » [La fricative latérale proto-sémitique dérive apparemment de deux anciennes latérales (fricative vs. affriquée)]. Les données comparatives sur cette question sont encore balbutiantes, mais l’algèbre que nous avons déterminée en arabe classique dans Fournet (2011) a des pendants ailleurs, en particulier en couchitique et en tchadique, comme on peut s’y attendre si les distinctions phonologiques en question sont anciennes.

8À ce stade de l’analyse, en mettant de côté les phonèmes les plus clairs, labiaux, gutturaux ou liquides, un premier niveau de reconstruction du système proto-arabe est, dans ces conditions, le suivant :

— occlusives coronales : *t, *d, *

— fricatives coronales : *, *ḏ, *

— sifflantes : *s, *z, *

— latéral(isé)es : *ś, *ź, *

La question des affriquées en proto-sémitique

  • 2 En particulier I. M. Diakonov (1915-1999) et ses élèves et continuateurs, ainsi que la branche isra (...)

9Le point suivant concerne l’opposition entre fricatives simples et affriquées en proto-sémitique et dans les différentes langues de ce groupe. On peut observer, par une fréquentation de la littérature savante, une sorte de « résistance » forte et répandue à l’égard des affriquées. Le point de vue traditionnel, voire traditionaliste, est par exemple reflété dans Haelewyck (2006, p. 57, §164). De fait, en ce domaine typologiquement ordinaire mais apparemment presque transgressif pour la sémitologie, on ne rencontre guère que les comparatistes du chamito-sémitique, souvent russes 2, et les africanistes, souvent anglophones, du tchadique, de l’omotique et du couchitique pour admettre sans difficulté ni a priori que la phonologie proto-sémitique eût pu comporter des proto-phonèmes affriqués. On peut aussi mentionner la position intermédiaire du russe Leonid Kogan, qui est principalement un sémitisant, mais qui n’hésite pas à considérer que le consensus sémitologique est maintenant en train de basculer en faveur de l’existence d’affriquées : « The traditional [Proto-Semitic] reconstruction has no affricates, but according to a growing consensus this realization is to be ascribed to at least some of the traditional sibilants » [La reconstruction traditionnelle du proto-sémitique n’a pas d’affriquées, mais d’après un consensus grandissant, cette réalisation phonétique doit être attribuée à certaines au moins des sifflantes du système traditionnel] (Kogan 2011, p. 61).

10À dire vrai, l’existence d’affriquées en proto-sémitique et dans les langues sémitiques anciennes est évidente et se manifeste par un ensemble récurrent de phénomènes de toutes natures, que nous allons examiner ci-dessous. La théorie habituelle voudrait que la sifflante sourde unique de l’arabe /s/ fût la (con)fusion de deux phonèmes, l’un prétendument sifflant, le samekh de l’hébreu, et l’autre prétendument chuintant, le šīn de l’hébreu, tels qu’ils se prononcent aujourd’hui en néo-hébreu israélien. Nous appellerons cette théorie la « tradition du binôme s/š ». Nous rejetons cette théorie et nous pensons que ce binôme est en réalité ts/s, et que ces valeurs étaient celles qui existaient aux 2e et 1er millénaires. Ainsi :

— Il est révélateur que le grec ancien a recouru, pour noter la sifflantes /s/, à pas moins de trois lettres différentes, mais jamais à samekh, dont la tradition prétend pourtant qu’il se prononçait */s/. Ce fait totalement contre-intuitif mérite d’être souligné et il n’est pas isolé. Dans des circonstances de transmission similaires à celle du phénicien au grec, l’alphabet éthiopien a éliminé samekh bien qu’il comporte toujours une lettre valant */s/. De même, la lettre s de l’alphabet arabe continue le šīn araméen, alors que le samekh araméen a été éliminé. Force est de constater que samekh ne notait nulle part, à date ancienne, une sifflante simple */s/ et que la lettre « šīn », [s] d’après nous, a été préférée à plusieurs reprises pour noter le phonème /s/.

— Les raisons de cette situation sont simples : le šīn (néo-)hébreu est en réalité */s/, tandis que le samekh est une ancienne affriquée */ts/. Cette observation élémentaire éclaire quantité de faits déformés par la tradition du binôme s/š. La réalité est que l’arabe a fusionné *ts/s > s en perdant le trait affriquée. Sur le plan historiographique, il faut noter que certains auteurs anciens, comme Schrader (1872), avaient opté pour un binôme graphique ś/s pour l’équivalent de samekh/šīn en cunéiforme. Malheureusement, la tradition ultérieure a retenu le binôme s/š dont il faut bien dire qu’il est particulièrement mauvais et embrouille la phonétique implicite du cunéiforme de façon désastreuse.

— L’affriquée tsamekh a pour continuateur graphique et partiellement phonétique le ksi du grec, une affriquée hétéro-organique d’un type un peu inhabituel. En égyptien hiéroglyphique du deuxième millénaire, l’affriquée tsamekh est transcrite par l’affriquée palatale et non par s, en cohérence avec ce qui s’observe dans la transmission de l’alphabet en grec, en éthiopien et en arabe : par exemple, hébreu tsoper ‘scribe’ > tpr et non pas *spr. La tradition du binôme s/š semble pourtant imperméable à ces données connues depuis les années 1930.

11Un vaste corpus d’indications montre que le graphème cunéiforme š doit être une simple sifflante :

— Les alternances graphiques en akkadien, telles que qaqqadu ‘tête’ +šu ‘sa’ écrit qaqqasu ‘sa tête’, fournissent une équation <T+š = s>, qui n’a de sens que si on postule [T+s = ts] au niveau phonétique.

— Le cas du hittite fait pencher en faveur de l’interprétation de <š> comme étant le reflet de l’unique sifflante proto-indo-européenne *s tandis que « z stands for a voiceless dental affricate /ts/, and we follow most Hittitologists in adopting this value » [z est une affriquée sourde dentale /ts/, et nous suivons la plupart des hittitologues en adoptant cette valeur], comme le notent Hoffner et Melchert (2008, p. 37). Ce point est d’ailleurs noté par Martinet (1975, p. 253-254). Pour le hourrite, Bush (1964, p. 296) infère que « since Hittite [s] is written with š-signs, it is logical to assume that Hurrian [s] would likewise be so written » [Puisque le phonème [s] du hittite est écrit avec les signes-š, il est logique de penser qu’en hourrite, [s] était écrit de la même façon].

— Les emprunts de l’égyptien à l’akkadien montrent que <š> est rendu par <s> et non par <š> en hiéroglyphes : par exemple, vieil-akkadien hubšašū ‘(sorte de) bouteille ou coupe’ ~ égyptien d’époque grecque hbs ‘(sorte de) pichet pour la myrrhe’. La même chose vaut pour le hourrite : Teššub s’écrit en égyptien -su-pi. La graphie cunéiforme <š> cache une sifflante simple s.

— L’existence d’une opposition entre sifflantes simples et affriquées en cunéiforme est confirmée par les mots arméniens d’origine substratique : */s/ salor ‘prune’ < akkadien šallūru ; astem (hapax biblique du vie siècle) ‘descendre de (quelqu’un)’ < hourrite ašte ‘femme’ ; sor ‘épée’ < hourrite šawri, ourartéen šurgi ‘lance, arme’. L’arménien possède un système de sifflantes, chuintantes et affriquées quasiment exhaustif et il est donc révélateur que tous les š cunéiformes deviennent s. Les affriquées sont notées par en ourartéen : */ts/ cov ‘mer’ < ourartéen ṣue. La raison en est que le cunéiforme ourartéen est néo-assyrien alors que le cunéiforme hourrite et hittite est plus ancien, d’origine (paléo-) babylonienne, et recourt à z pour les affriquées.

12Il ne faut donc pas hésiter à postuler l’existence d’une opposition phonologique entre sifflantes simples et affriquées en proto-arabe et, au-delà, en proto-sémitique. Le cas des sourdes est le plus facile à établir : *s explique arabe s ~ (néo-)hébreu šīn ; et *ts explique arabe s ~ (néo-)hébreu tsamekh. Sans surprise, ce fait, que l’on peut déterminer sur des bases purement internes aux langues sémitiques, est confirmé de façon nette par les données comparatives réunies par Takács (2011, p. 21-22), qui aborde quant à lui cette question en quelque sorte par le haut, en s’intéressant à l’ensemble du chamito-sémitique. Il y a donc une complète cohérence entre les faits internes et les données comparatives, auxquels s’ajoutent les processus d’emprunt et de transmission de l’alphabet.

13En ce qui concerne les emphatiques, les différentes langues sémitiques ont tantôt un simple , et tantôt une affriquée ṭṣ. L’articulation affriquée du type tsadé n’est pas très ancienne puisqu’en réalité, c’est qui était autrefois une affriquée emphatique, comme le montrent les paires suivantes attestées en arabe classique et relevées dans Fournet (2011, p. 17) :

ṭušāˀ ~ ẓāˀẓāˀ ‘bégayer, parler de façon incompréhensible’

— ṭašāˀ ~ ẓaˀam ‘avoir un rapport sexuel’

ṭušāˀ ~ ẓubẓib ‘coup de froid, fièvre, maladie’

14L’emphatique équivalait sensiblement à *[ṭś] à un certain moment de l’évolution du proto-arabe. En ce qui concerne l’antiquité d’une articulation affriquée de tsadé, il faut noter le cas relevé par Cantineau de lettres grecques ΤΣ écrites au dessus d’un tsadé dans le Codex Vaticanus, un document dont l’authenticité peut difficilement être mise en doute. Cette articulation affriquée existe donc au moins depuis le 1er millénaire avant Jésus-Christ. L’existence d’une opposition similaire pour les sonores est plus difficile à établir. Les données comparatives internes au sémitique ne livrent aucun indice visible. Des indications indirectes sont fournies par certains emprunts faits par le hourrite à l’akkadien :

— akkadien zanna(tu) (f.) ‘pluie’ > hourrite išena *[izena], où la prothèse i est nécessaire pour conserver la sonorité de *z, car le hourrite n’admet pas de sonore initiale.

— akkadien hazannu ‘maire’ > hourrite haziyani *[hadziyani].

— suméro-akkadien zíz ‘blé amidonnier’ > hourrite izuzi [idzudzi], avec prothèse i.

15Certains z du cunéiforme akkadien sont donc des fricatives simples [z], et d’autres sont des affriquées [dz]. Ces dernières étaient sans doute majoritaires puisque c’est cette valeur graphique qui a été transmise aux langues anatoliennes. Haelewyck (2006, p. 57, §163) note qu’en akkadien, « la différence entre s, z et est souvent mal indiquée dans l’écriture ». Il est probable que l’obscurité plus ou moins inhérente au système cunéiforme est aggravée par une conception fautive du système phonétique et des variations dialectales au sein des dialectes mésopotamiens que subsument les mots : akkadien, assyrien et babylonien.

16Il apparaît donc que toute la littérature, de Brockelmann (1910) à Lipiński (2001), en passant par Cantineau (1952) et Martinet (1975), donne du proto-sémitique une image inadaptée. Il manque plusieurs phonèmes au proto-sémitique « traditionnel ». Le système du proto-sémitique qu’il faut reconstruire est le suivant :

— occlusives coronales : *t, *d, *

— fricatives coronales : *, *ḏ,

— affriquées : *ts, *dz, *

— sifflantes : *s, *z, *

— latéral(isé)es : *ś, *ź, *

17À quoi il faut ajouter :

— labiales : p, b, w

— liquides : l, r

— palatales : y

— nasales : m, n

— dorsales : k, g, q

— gutturales : ġ, h, ˁ,

— glottales : ˀ, h

18On peut noter que la série labiale ne comprend pas d’emphatique reconstituable d’un point de vue comparatif au sein du sémitique. Cette particularité est tenue pour fréquente et donc peu étonnante par Martinet (1975, p. 251). Parmi les systèmes comportant des emphatiques ou des glottalisées, une bonne partie ne comporte pas de phonème . La suite de l’article va montrer que ce phonème existait, si ce n’est en proto-sémitique même, du moins dans son ancêtre chamito-sémitique.

Une double série d’affriquées en chamito-sémitique ?

19Takács (2011, p. 20-31) s’intéresse de près à l’existence potentielle d’une opposition entre trois séries de proto-phonèmes au niveau du proto-chamito-sémitique : des sifflantes simples, des affriquées et une série supplémentaire de chuintantes. Ces trois séries s’ajoutent à la série des latéral(isé)es. La série des chuintantes est représentée en arabe classique par les fricatives et .

  • 3 Takács (2011, p. 200) tire argument des faits propres au couchitique méridional, à l’angas-sura et (...)

20Comme noté ci-dessus, Takács (2011, p. 21-22) identifie un bon nombre d’excellents cognats qui confirment que tsamekh est une ex-affriquée du type *ts. Ensuite (p. 23-26), il propose un ensemble de lexèmes qui confirment l’opposition entre une sonore simple *z et une affriquée *dz au stade proto-chamito-sémitique. Cette distinction phonologique est le mieux préservée dans certaines langues couchitiques et tchadiques que Takács considère comme la pierre de touche sur ces questions 3. À l’inverse, il tente de montrer (p. 26-27) que l’emphatique * était une affriquée du type *ṭṣ. Cette hypothèse étant erronée de façon assurée, les comparandes chamito-sémitiques proposés sont sans surprise peu nombreux et très douteux sur le plan sémantique. Sur ce point, l’approche de Takács n’est pas recevable.

21Il poursuit ensuite l’analyse (p. 27-31) avec les deux phonèmes fricatifs et , qu’il dérive d’anciennes affriquées palatales, respectivement sourde (« old voiceless palatal affricate ») et sonore (« (old) voiced palatal affricate »). Il considère que cette série intègre également une emphatique d’où dériverait le phonème de l’arabe classique (p. 31). Suivant cette approche, résumée dans le tableau de la page 21, on aboutit à un « beau » système avec deux séries complètes de trois phonèmes :

— affriquées sifflantes : *ts, *dz, *ṭṣ

— affriquées palatales : *, *dž, *ṭṣ̌

22Le problème est que ce système est en partie fautif, puisque *ṭṣ (arabe ) n’est pas une affriquée et que rien ne prouve donc que l’affriquée *ṭṣ̌ (d’où arabe *) soit spécialement palatale plutôt que sifflante. Le « beau » système proposé par Takács est en fait lacunaire :

— fricatives coronales : *, *ḏ, < ex-chuintantes

— affriquées : *ts, *dz, * < ex-affriquées

— sifflantes : *s, *z, * < ex-sifflantes

  • 4 Ils sont listés dans Kogan (2011, p. 56) sans les comparandes chamito-sémitiques, que nous avons aj (...)

23Qui plus est, l’examen attentif des chuintantes d’où dérivent les phonèmes * et * du sémitique est très intrigant. Plusieurs lexèmes 4 sont des noms et leur vocalisme est *u :

  • 5 A noter également ṯaˁlabu dont le vocalisme doit être refait.

— *ṯuˁalu ‘canidé’ : arabe ṯuˁālu ‘renard’ 5, tchadique (mokilko) sùllíbè ‘loup’

— *ṯuˀūlu ‘verrue’ : arabe ṯuˀūlu

— *ṯuˁabu ‘lézard’ : arabe ṯuˁabu

— *ˀuḏʿnu ‘oreille’ : arabe ˀuḏnu, akkadien uznu ; tchadique (jegu) ˀúdúŋê, (birgit) ˀúdúŋì

  • 6 Il existe également une variante dubbu(m).

— *ḏubbu ‘mouche’ : arabe ḏubābu, akkadien zubbu 6 ; tchadique (tangale) sɔmbɔ

24Le vocalisme *u est certainement ancien, d’époque chamito-sémitique, et ces noms primaires ne dérivent pas de verbes. L’existence d’un conditionnement phonétique se laisse entrevoir dans les données réunies par Takács (2011). Parmi les comparandes chamito-sémitiques à l’appui de *ts et *dz, on ne trouve que des verbes dont le vocalisme est *a. Aucun nom commun, et a fortiori aucun nom à vocalisme *u. A l’inverse, Takács (2011, p. 25) liste un lexème *zuˁmu ‘mèche, touffe (de poils, de cheveux)’ à l’appui de *z. On peut également noter que Takács (2011, p. 28) liste quatre lexèmes qui commencent par *tar et aucun du type *sar.

25Mon hypothèse pour expliquer ces lacunes et cette distribution déséquilibrée est qu’un conditionnement phonétique par *u et *r a provoqué une scission phonologique de la série affriquée *ts, *dz en deux séries : *ts et *dz, maintenus en l’état, d’une part, et, d’autre part, des phonèmes innovants *, *. On peut noter que certaines langues indo-européennes, en particulier l’indo-iranien et le balto-slave, ont connu un conditionnement phonétique similaire appelé loi ruki. La sifflante *s précédée des quatre phonèmes r, u, k, i, est devenu chuintante *š. Il existe donc une sorte de loi ruki du chamito-sémitique qui concerne au moins *u et *r, et aussi *i. Un bon exemple pour *i est listé par Takács (2011, p. 91-92) : arabe sabˁatu ‘sept’, mais tchadique (mofu) čibe, (hurzo) číḅà < *čibˁa. Dans ces conditions, les affriquées dites palatales ne sont que des allophones des affriquées et n’ont pas leur place dans le système phonologique du chamito-sémitique.

26On peut également noter que dans le vocabulaire de l’arabe classique, on trouve parfois des alternances « invisibles » :

— arabe ṯuflu ‘marc, sédiment, lie’, ṯiflu, ṯifālu, ṯufālu ‘pierre du dessous d’un moulin à bras’

— arabe safala ‘être bas, placé en bas, dans le bas’, safila ‘occuper le plus bas point, être en bas’

27Le verbe ṯafala ‘s’amasser au fond du vase (se dit de la lie, du marc, etc., d’un liquide qui dépose)’ est à mon avis un verbe dérivé de ṯuflu ‘marc, sédiment, lie’ < ‘ce qui est en bas, au fond’ et non l’inverse. Ce corpus repose sur une racine unique *ts_p_l ‘être en bas, au fond’, qui a connu une scission phonétique en deux racines apparentes : *sap_l et *ṯup_l, *tip_l suivant la voyelle. Cette racine *ts_p_l ‘être en bas, au fond’ est elle-même un incrément de la racine chamito-sémitique *pal ‘tomber’ : tchadique (mupun) pal, pál, (sura) pal, (chip) pal ‘tomber’ ; sémitique *npl : akkadien napālu, ougaritique npl, hébreu npl, araméen nfl ‘tomber’, avec un incrément n. À noter aussi le terme arabe apparemment isolé falaku ‘reste de lait au fond d’un vase’, et aussi ḥufāla ‘marc d’huile’. Incidemment, on peut noter que ces racines forment un patron incrémental :

Exemples de patrons incrémentaux

p_l ‘tomber (au fond)’

b_t ‘couper’

p_l ‘foule’

*n

n_p_l

*ts

ts_p_l / tš_p_l

ts_b_t

*ḥ

ḥ_p_l

ḥ_p_l (ḥafla)

*k

p_l_k

b_t_k / b_k_t

p_k_l (ˀafākilu)

*r

b_t_r / b_r_t

*l

b_t_l / b_l_t

28Un autre exemple de conditionnement est le suivant :

— arabe ṯummatu ‘bouchon’, maṯmūmu ‘bouché, calfeutré’, ṯumāmu ‘espèce de graminée semblable au froment, et qu’on emploie à boucher les trous, à calfeutrer les parois’

— arabe ṯamṯama ‘couvrir, boucher l’orifice d’un vase’, ṯamma ‘arranger, réparer, boucher des trous’

— arabe samma ‘boucher (un flacon, etc.), avec acc. ; arranger, raccommoder’

29Les dérivés nominaux *tsum- de la racine verbale *tsam- ‘boucher’ commencent maintenant par ṯum- en synchronie de l’arabe classique. En voici d’autres exemples :

— arabe ṯilalu ‘laine’

— arabe salīla ‘poignée de laine ou de coton qu’on met en une fois sur la quenouille pour filer’

— arabe ṯilalu ‘terre tirée du puits’, ṯalla ‘vider le puits, en ôtant la terre, avec acc. du puits

— arabe salla ‘tirer, extraire doucement’

— arabe ṯinnu ‘foin, herbes sèches ramassées en tas’, cf. akkadien šišnu ‘herbe’

— arabe sanīnu ‘dépouillé d’herbes qui ont été dévorées (sol)’

— arabe ṯiqafu ‘outil en bois pour redresser les lances’

— arabe saqīfu ‘éclisses pour remettre les os fracturés’, singulatif saqīfa ‘éclisse’

30On peut donc trouver un bon nombre de formes nominales, primaires ou dérivées de verbes, qui attestent de l’existence d’un conditionnement allomorphique en présence de *u et *i. Naturellement, s peut être suivi de i lorsqu’il dérive de *s et non de *ts : *sinnu ‘dent’ en sémitique, berbère *a-sayn : (Siwa) a-sayn, (Ghadames) a-sīn, (Nefusa) sīn, (Ghat) i-sin, (Tayrt) e-šen, (Tahaggart) esīn, (Tawellemmet) e-šen, tchadique *sin, *sayn, couchitique *siḥin (avec incrément). De même, un mot arabe tel que zubbu ‘pénis’ ne peut reposer que sur *zu, et non *dzu qui donnerait le changement attendu ḏu.

31Le conditionnement par *i et *u de l’allophonie est également manifeste dans les exemples listés par Takács (2011, p. 183-185) sur le groupe tchadique Nord-Bauchi. Concernant l’affriquée *, deux des cinq exemples ont la voyelle i, les trois autres u. Concernant l’affriquée *, trois des sept exemples ont la voyelle i, deux autres ont u, et les deux exemples avec a ne sont guère satisfaisants sur le plan sémantique. À mon avis, Takács applique le mot ‘conservateur’ de façon erronée aux groupes sémitique, sud-couchitique et nord-bauchi sur cette question des affriquées sifflantes et chuintantes. Ces langues n’ont pas conservé de distinctions qui auraient existé en proto-chamito-sémitique. Elles ont au contraire innové, de façon sans doute indépendante, car le berbère ne semble pas présenter ce conditionnement allophonique et on s’accorde pourtant sur sa très forte proximité avec le sémitique, spécialement en matière d’affixes pronominaux. De même, il est certainement inadapté d’affirmer que « Ancient Egyptian represents a by far more innovative stage (with its numerous consonant mergers) » (Takács 2011, p. 200). Comme il arrive souvent, le système le plus compliqué et riche est considéré abusivement comme étant le plus ancien, les systèmes plus simples étant considérés comme une sorte de décadence à partir d’un point d’origine maximalement complexe. Ce préjugé, aussi fréquent que presque toujours faux, ne prend pas en compte les processus qui peuvent accroitre le niveau de complexité, comme ici une scission de phonèmes par conditionnement allophonique par les voyelles voisines.

32De façon générale, on ne peut pas appliquer de façon plus ou moins statique la notion de correspondances phonétiques car elles ne sont pas en tant que telles des proto-phonèmes mais le reflet de proto-phonèmes. Dans un groupe de langues apparentées il y a toujours moins de proto-phonèmes que de correspondances phonétiques, car l’évolution divergente de chaque langue tend à augmenter la complexité apparente. En d’autres termes, le diasystème phonologique que les langues forment, ou tendent à former, en synchronie est surcomplexe par rapport au proto-système réel dont elles dérivent diachroniquement. Cet excès de complexité doit être éliminé par la mise au jour de processus et de changements phonétiques. C’est un principe méthodologique fondamental que Takács (2011) semble oublier ou méconnaître. Dans le domaine indo-européen, on s’est vite rendu compte au xixe siècle que le système à quatre termes du vieil-indien ne pouvait pas être projeté au niveau de l’indo-européen lui-même. Trois séries sont héritées, à savoir t, d, dh, mais th est une innovation, qui dérive en partie du contact t+H. Pour les mêmes raisons on ne peut pas projeter les produits * et *, issus de la scission phonologique de *ts et *dz, sur l’horizon proto-chamito-sémitique, comme Takács voudrait le faire.

Les gutturales et les glottales en berbère

33Dans un article récent (Fournet 2012), j’ai présenté la famille berbère et fait le point de la documentation disponible à cette date. En comparaison avec l’arabe, qui possède une grande richesse de phonèmes laryngaux, pharyngaux et uvulaires, la plupart des dialectes berbères ne possèdent pas ces phonèmes dans le vocabulaire de base, authentiquement berbère. Ils apparaissent dans les emprunts. En touareg du Niger, où l’influence lexicale de l’arabe est faible, on ne trouve pas de laryngale ni de pharyngale dans l’inventaire phonologique. On peut d’ailleurs souligner que les alphabets tifinagh anciens et l’alphabet punico-libyque, utilisé il y a quelque deux mille ans pour noter ce qui était certainement un dialecte berbère, ne possèdent pas de lettre équivalant à <Ã> /ˀ/, <Í> /ḥ/ ou <Ù> /ˁ/. L’opinion commune consiste à penser que les phonèmes pharyngaux et laryngaux ont disparu et se sont amuis dans le groupe berbère. En réalité les gutturales, spécialement les pharyngales, sonores et sourdes du chamito-sémitique n’ont pas disparu en berbère, mais elles se sont palatalisées. Du fait de ce changement phonétique, qui n’est qu’en apparence une disparition, les reflets des pharyngales sourde et sonore sont /s/, /z/, /š/ ou /ž/ suivant les dialectes berbères considérés. Cette découverte offre plusieurs intérêts :

— elle identifie des cognats non évidents, passés jusque là inaperçus, confirmant par là-même la parenté génétique du berbère au sein du chamito-sémitique ;

— elle explique certaines emphatiques touarègues, qui n’existent pas dans le reste du berbère et qui gardent la trace phonologique de l’articulation anciennement gutturale des sifflantes et chuintantes contemporaines ;

— elle explique certaines irrégularités morphologiques dans les dérivés verbo-nominaux et dans la conjugaison de certains verbes, comme ‘manger’ et ‘boire’ ;

— elle permet également de mieux identifier le vocabulaire berbère hérité du chamito-sémitique, en particulier les mots suivants : amer, âne, attraper, boire, casser, chat, chien, ciel, entendre, étoile, fatigué, froid, frotter, grand, griffe, jour, lune, manger, mâcher, nouer, œil, ongle, poil, rouge, sein, sexe, tisser, tomber, vent (voir les données comparatives dans Fournet 2012).

34La caractéristique des sifflantes ou chuintantes produites par la palatalisation des gutturales est une structure de correspondances différente des sifflantes héritées au sein du domaine berbère. De façon générale, les sifflantes héritées *s et *z sont stables en berbère. Les seuls cas d’altération concernent soit des palatalisations au contact de *i, soit des emphatisations en touareg méridional au contact de *u. A contrario, les anciennes pharyngales montrent :

— une opposition *z/ž en berbère nord et *ẓ en touareg dans le cas de chamito-sémitique *ˁ ;

— une alternance entre *s en berbère nord et *ṣ en touareg dans le cas de chamito-sémitique *ḥ.

35La présence ancienne d’une pharyngale peut aussi être repérée grâce à des emphatiques provoquées par le contact entre consonne sourde et pharyngale en proto-berbère. Il existe plusieurs exemples de ces emphatiques phonotactiques :

— *t_ˁ ‘manger’, avec une alternance -čč- ~ -ṭṭ-

— *t_ḥ ‘se fatiguer’, avec une alternance -d_z- ~ --

— *ḥ_s_w ‘boire’, avec une alternance -s(s)- ~ --

36L’origine diachronique des fricatives est décrite dans le tableau suivant :

Tableau comparatif des phonèmes gutturaux et sifflants (Fournet 2012)

Proto-phonème

Hypothèse traditionnelle

Fournet 2012

kabyle

Tawellemmet

Ø

Ø

Ø

Ø

*h

Ø

*z

z

z

*z

*z

*z

z

z

Ø

ž

E

*ḥ / ḫ

Ø

s

E

*s

*s

*s

s

s

Les gutturales et les glottales en chamito-sémitique

37L’arabe classique possède un inventaire quasi-complet de gutturales et de glottales :

— gutturales : ġ, , ˁ,

— glottales : ˀ, h

38Dans un article précédent (Fournet 2012), j’avais retenu l’hypothèse selon laquelle des phonèmes * and *ġ ne peuvent être reconstruits en chamito-sémitique. C’est le point de vue décrit par Allan Bomhard (2008, p. 150) : « Another significant characteristic is the presence of a glottal stop, a voiceless laryngeal fricative, and voiced and voiceless pharyngeal fricatives » [Une autre caractéristique marquante est la présence d’un arrêt glottal, d’une fricative laryngale sourde et de deux fricatives pharyngales sourde et voisée] et (2008, p. 169) : « At the present time, only *ˀ, *h, *ḥ, *ˁ can be firmly established for Proto-Afrasian » [Pour l’instant seuls *ˀ, *h, *, *ˁ peuvent être établis avec certitude en chamito-sémitique]. En réalité, on peut affiner ce diagnostic comparatif. L’examen du tchadique montre que plusieurs langues attestent de l’existence des phonèmes suivants :

— /g/ arabe ğarğar, ğirğir ‘fève’ ~ glavda ˀagùra ‘haricot’

— /ġ/ arabe ġulām ‘jeune homme’ ~ glavda ġula ‘(jeune) marié’

— /ḫ/ arabe (F. II) ḫāddada ‘fendre, déchirer’ ~ glavda ġud ‘couper’

— /ˁ/ arabe ˁabba ‘humer, boire, aspirer l’eau’ ~ glavda xәb ‘boire’

— /h/ arabe hān (hwn) ‘se reposer, se calmer, s’endormir’ ~ glavda xan ‘dormir’

39Il semble impossible de trouver un exemple en glavda (tchadique central) pour illustrer une correspondance avec *. Par ailleurs, on peut noter qu’en glavda, l’articulation des gutturales est vélaire et donc moins profonde qu’en sémitique, ce qui représente peut-être leur articulation la plus ancienne. La même situation quant à l’absence de * se retrouve en kera (tchadique est) :

— /ġ/ arabe ġulām ‘jeune homme’ ~ kera hūlùm ‘personne, homme’

— / ḫ / arabe (F. II) ḫāddada ‘fendre, déchirer’ ~ kera hèḍé ‘couper’

— /ˁ/ arabe ˁaraka ‘frotter, gratter’ ~ kera hòrké ‘frotter’

— /h/ arabe wahafa ‘se couvrir de feuilles et de verdure’ ~ kera hùufí ‘fleur’

40Toutes les gutturales deviennent uniformément h en kera, mais on ne trouve pas d’exemple pour . En tchadique ouest, on trouve aussi les exemples suivants :

— /ġ/ arabe ġabara ‘poussière’ ~ bokkos ḅúrà, hausa hàbrā, hàrbaáá ‘poussière’

— /ḫ/ arabe ḫamuṣ ‘être vide (ventre), avoir faim’ ~ bokkos hwem ‘avoir faim’

41 arabe ˀaḫaḏa ‘prendre, saisir’ ~ bokkos haˀ ‘prendre’

— /ˁ/ arabe ˁabba ‘humer, boire, aspirer l’eau’ ~ bokkos , mangar ḅô ‘boire’

42 arabe ˁuqāb ‘vautour’ ~ bokkos vokši ‘vautour’

— /h/ hébreu hry ‘être enceinte’ ~ bokkos hár ‘grossesse’, mu hár ‘être enceinte’

43Les phonèmes sonores *ġ et *ˁ semblent s’amuïr en bokkos, contrairement aux sourdes. D’après ce constat général en tchadique, dans ses trois branches occidentale, centrale et orientale, il apparaît en réalité que le phonème le plus délicat à reconstruire en chamito-sémitique est *, qui semble n’être qu’un allophone de * : arabe (F. II) ḫādda ‘fendre, déchirer’ = ḥadda ‘aiguiser, rendre plus tranchant’, nafaḥa ‘souffler (vent froid)’ ~ nafaḫa ‘souffler (avec la bouche)’. Compte tenu de la grande fréquence de comme incrément, il faut peut-être faire l’hypothèse que est l’allophone de spécialisé en fonction d’incrément, ce qui signifierait alors que la plupart des en arabe classique sont des incréments alors que la plupart des sont radicaux, une hypothèse de travail qu’il faut peut-être intégrer dans la Théorie Matrices et Étymons (TME, Bohas 1997, 2000). Incidemment, on peut noter que Takács liste des exemples d’incrément en égyptien hiéroglyphique : par exemple ˁḥl ‘combattre, faire la guerre’ ~ couchitique *ˁol ‘guerre’, omotique *ol ‘se battre’. Takács (2011, p. 45) n’a cependant aucune théorie des incréments en chamito-sémitique pour rendre compte de ces phénomènes. Il en est réduit à rendre compte de cette comparaison par d’obscures dissimilations et reduplications.

44Les autres phonèmes, ġ, ˁ, ˀ, h, semblent bien attestés et sont confirmés par le tchadique. Par ailleurs, il faut noter que le glavda indique une articulation des gutturales de type vélaire, et donc peu profonde, ce qui permet également de mieux comprendre comment elles ont pu se palataliser en berbère.

Le proto-phonème *H du berbère

45La berbérologie, à la suite des travaux initiés par Prasse (1969), postule un proto-phonème *H. La question se pose de déterminer ce que ce proto-phonème pourrait bien être puisqu’il ne semble exister aucune gutturale chamito-sémitique disponible comme élément de comparaison. C’est ce que nous allons étudier dans la suite de l’article. En 1969, Karl Prasse avait distingué trois « laryngales » différentes, un peu à la manière des indo-européanistes : *h1, *h2 et *h3. Le proto-phonème *h2 = *H se reconnaît au profil suivant :

— en tahaggart, on trouve la fricative /h/ ;

— en berbère libyen, à Ghadames et Augila, on rencontre la spirante labiale /β/ ;

— ailleurs, il ne semble pas exister de trace explicite, même si on peut trouver des traces indirectes ou des alternances typiques, qui seront examinées plus loin.

46Un exemple, bien documenté et en quelque sorte canonique, de cette correspondance phonétique relative à *h2 = *H est le nom du ‘rêve’ :

— tahaggart tăhārğit ‘rêve’, harğәt ‘voir en songe’, tawellemmet targət, tayrt targat

— ghadames taβaržot, augila taβargat, tamahaq taharžit

— kabyle targit, tachelhit tiwərga/tiwwargit, tamazight tawargit, senhaji tiwarga, tarifit tirža, iznassen taržit, beni snus taržayt, figig tiržett, mozabite tiržet, wargli tiržet

47Un autre exemple bien attesté en berbère est le nom de la ‘nuit’ : tahaggart ehoḍ ‘nuit’, ăhaḍun ‘15e nuit du mois lunaire’, Ghadames éβaḍ, Augila aβoṭ, tamahaq iheḍ, siwi iṭ, etc. ‘nuit’. Différentes identifications phonétiques ont été proposées pour *H. Bien sûr, cette correspondance n’a presque rien à voir avec *b et *w qui sont attestés de façon régulière comme étant /b/ et /w/. Pour cette raison, l’hypothèse selon laquelle *H serait le même phonème que *b, proposée par Rössler (1964) ou Takács (2000, 2004, 2011), est à écarter. Takács fournit d’ailleurs lui-même les éléments pour réfuter son hypothèse : chamito-sémitique *b > proto-berbère *β > tahaggart h. Takács (2000, p. 341) liste le corpus suivant : « 6.5 SBrB. Hgr. [tahaggart] tăhabbat ‘trou béant’ [...] Sem. Ar[abe] hbb ‘percer (avec un sabre)’ ; Eg. whb ‘durchboren’ [percer] d’où whb ‘Loch’ [trou] ». Si *H est la même chose que *b, comment ce corpus de cognats est-il possible ? Cet item est repris dans Takács (2011, p. 93) qui ne semble pas se rendre compte qu’il est absurde de soutenir à deux pages d’intervalle que le même phonème puisse être à la fois *h et *b. Basset (1952, p. 7) avait proposé que *H soit le même phonème que *w, ce qui est tout aussi impossible. Kossmann (1999, p. 132) a ajouté la possibilité d’un son complexe de type */hw/, qui rappelle certaines interprétations de la laryngale indo-européenne *H3 : « *β n’est pas la seule reconstruction labiale possible ; on peut penser aussi à *h° [à savoir hw] ou quelque chose de semblable ». Takács (2000, p. 346) a fait une suggestion similaire : « Ghadames b can just as well be a secondary development from an earlier Brb. *h, perhaps via a labialized *hw » [Ghadames b peut aussi être simplement un développement secondaire d’un plus ancien *h proto-berbère, peut-être par l’intermédiaire d’un *hw labialisé]. Takács n’explique pas comment ce développement, qui est fréquent en contact avec /u/, pourrait se produire avec toutes les voyelles. Le japonais /hu/ > [fu], mais [ha, ho, he] stables, est une illustration de ce type de conditionnement phonétique qui se produit avec la voyelle /u/.

48La graphie *H suggère implicitement une sorte de fricative gutturale. Dans le cadre théorique où les gutturales chamito-sémitiques sont censées disparaître en berbère, une telle hypothèse paraît raisonnable dans la mesure où cette articulation vient combler une sorte de lacune apparente dans l’inventaire des consonnes proto-berbères, mais on sait maintenant que cette hypothèse d’un amuïssement général des gutturales est erronée. Il convient d’examiner les différentes particularités de *H. Notre but est de montrer que *H est, dans un grand nombre de cas, une ancienne emphatique labiale *, ou *ḅ, puisque les emphatiques sont souvent voisées en berbère.

49Par exemple, concernant le nom du ‘rêve’, le squelette du mot en berbère était quadrilitère : bˀrg. Comme le note Kossmann (1999, p. 93), le mot, en Petite Kabylie, se dit taburigt avec une sorte de préfixe bu-, qui est un indice sur la nature de *H. Dans le mot ‘rêve’, *H est une emphatique par contact : * > . La racine est le verbe ˀrk/ˀrg ‘voir’, bien attesté par ailleurs : couchitique somali ark-, areg-, oromo (galla) arga, boni ark-, dasenech (geleba) argiyɛ ‘voir’. Le ‘rêve’ est décrit comme une sorte de vision : cf. arabe ruˀya pour une formation parallèle avec une autre racine chamito-sémitique. La forme ˀrk/ˀrg ‘voir’ est un incrément r de la racine ˀk/ˀg ‘voir’ : couchitique dasenech (geleba) ɔk- ‘savoir’, konso -(y)ak-, gidole (Dirasha) -ak(i) ‘voir’, tchadique ngizim ìika, bade íkà ‘voir’. La racine ˀk ‘voir’ existe aussi avec préfixe b, d’où avec emphatique par contact *bˀk > *bḳ : couchitique somali beeq- ‘observer’, oromo (galla) beeka ‘savoir’, et *bkˀ > *bḳ  en arabe baqā ‘regarder, observer’. La racine ˀk peut aussi être suffixée par l : tchadique jegu ˀakal- ‘voir’ et être préfixée par  : couchitique bussa haake ‘voir’, arabe ḥaqq ‘savoir avec certitude, vérifier’. Enfin il faut signaler que la racine ˀk/ˀg ‘voir’ est réversible : tchadique hausa ga ‘voir’ avec ton haut (< *gaˀ). Cette racine inverse / peut à son tour être incrémentée : (1) *gˀr saho guur ‘chercher’, tchadique daba gìr, musgoy gǝr, masa gạr, gā:rā ‘chercher’, gude gǝra ‘garder, regarder’ ; (2) avec emphatique par contact *kˀl > *ḳl : tchadique ndam kǝ̄là ‘voir’, couchitique somali qollaali ‘voir’ et avec incrément m arabe maqal ‘regarder’ (< *mkˀl) ; (3) *kˀwl : couchitique bilin ḳwal-, khamir ḳwal-, khamta ḳaal-, qwara cʷaal-, dembea ḳwaal-, qemant cal- ‘voir, regarder’, tchadique lele gōól, kabalai gowɔ́l, kera gòlé ; (4) *kwˀ : tchadique maha kai, mangas kwā̀, kwe, boghom kwáˀ, kir kwē ‘voir’. À noter, en outre, arabe waqaf ‘savoir, connaître, s’occuper de’, waqā (wqy) ‘garder, protéger, veiller sur’, fiqra ‘point de repère sur la route’, mufqar ‘préposé, chargé de veiller à’, fiqh ‘savoir, doctrine, jurisprudence’. Le panorama incrémental de la racine ˀk/ˀg ‘voir’ est le suivant :

— racine nue : ˀak et kaˀ, emphatique par contact dans arabe waqā : impératif (m.)

— suffixe l : ˀakal et emphatique par contact *kˀal > ḳal, variante *kˀwal

— suffixe p : emphatique par contact *kˀap > arabe waqaf

— préfixe p : emphatique par contact *pikˀ_h > arabe fiqh

— préfixe m : variante préfixée *makˀal > arabe maqal

— préfixe b : baˀak et emphatique par contact *bakˀa > arabe baqā, variante infixée *bˀark/g

— infixe r : ˀark/g et *bˀark/g (avec sonores secondaires)

— suffixe r : *gaˀar, emphatique par contact *pikˀra > arabe fiqra

— infixe w : *kwaˀ

— suffixe w : *kˀwal

— préfixe mobile w : arabe waqaf, waqā

— préfixe  : ḥaˀak, et emphatique par contact *ḥakˀa > arabe ḥaqqa

— suffixe h : emphatique par contact *pikˀ_h > arabe fiqh

50On a ici le matériel incrémental de base du chamito-sémitique. Les verbes waqaf ‘savoir, connaître, s’occuper de’, waqā (wqy) ‘garder, protéger, veiller sur’, maqal ‘regarder’, baqā ‘regarder, observer’, ḥaqqa ‘savoir avec certitude, vérifier’ et le nom fiqh ‘savoir’ ont en commun la « racine » q, qui est en réalité une fausse monolitère résultant de la fusion *kaˀ > * > q ‘voir, savoir’. À ce titre, il est intéressant d’examiner l’impératif du verbe waqā : (m.) et (f.). Le ī du féminin est pan-sémitique mais il n’est pas dédié en tant que marque de l’impératif (Lipiński 2001, p. 374-375). En revanche la forme (m.) ne peut être qu’un fossile, reposant sur la fusion d’un très ancien *kvˀí où la finale était accentuée. L’impératif est, en sémitique, un mode très altéré et défectif, généralement remplacé ou relayé par d’autres modes ou morphèmes. On trouve sans doute dans ce verbe la forme la plus ancienne de l’impératif proto-sémitique : *CvC-í. Il convient certainement de compléter le tableau de formes compilé par Lipiński (2001, p. 374-375).

51Le nom du ‘rêve’ en berbère dérive donc d’un squelette quadrilitère : bˀrg avec deux évolutions : maintien de b dans taburigt et emphatique par contact ḅrg dans *taḅargit, *tiḅargit. Quant au mot berbère *iḅaḍ ‘nuit’, il se laisse comparer à des mots tchadiques : bolewa bɔḍi, karekare bẹ̀̄ḍì, kifri-giwo buddi, búḍí, jimi ber-hudo, zaar gù-vùḍi, kir fût, daffo-butura fúlúl, Bokkos fwoˀ, monguna màfòˀ, mundat má-fôd, tambas fot, kulere má-fòḍ, ngizim dǝ-vit, dǝ̀-víd, bade dǝ-viḍ ‘nuit’. Le tchadique ne permet pas de confirmer la présence d’une emphatique . Le dialecte ron du bokkos qui possède un contraste entre f, b et serait même en faveur de *p en chamito-sémitique. L’emphatique dans la racine berbère ḅḍ semble donc acquise et non héritée. Il est probable que cette racine est attestée sous forme inversée *ṭp, *ṭb en arabe ṭifāf, ṭifl ‘ténèbres’ et ṭabs ‘noir’.

Le phonème /h/ en tahaggart

  • 7 On ne peut pas accepter le diagnostic de Chaker (1986, p. 304) : « En ce qui concerne le lexique de (...)

52La pierre de touche pour l’étude du proto-phonème *H est le dialecte tahaggart, où l’on trouve le phonème /h/ dans un certain nombre de mots qu’il convient donc d’étudier en priorité. La première étape est d’établir un corpus de mots réellement hérités, c’est-à-dire présents dans d’autres branches que le touareg et, si possible, avec des cognats chamito-sémitiques valides. Il peut être utile de distinguer les trois branches du berbère : touareg, nord et oriental, comme le fait Blažek (2004) très clairement : E (Eastern), N (Northern) et S (Southern). À ce titre, on peut noter que les dialectes non-touaregs, tachelhit et ghadames, contiennent des mots-voyageurs touaregs dont certains sont des emprunts sud-sahariens. Le témoignage de ces deux variétés doit donc être examiné avec un minimum de réserve. D’un point de vue méthodologique, les études menées par Kossmann (1999) et Takács (2000, 2004, 2011) posent des problèmes en quelque sorte symétriques : le premier se focalise sur les données berbères sans les contrôler avec le reste du chamito-sémitique ; à l’inverse, le second traite tous les mots comme s’ils étaient des cognats certains. Pourtant, plusieurs mots tahaggarts comportant /h/ n’existent que dans ce dialecte et même pas dans les autres dialectes touaregs. Ils s’avèrent souvent être des emprunts tchadiques. D’ailleurs, il faut garder à l’esprit que le touareg n’est pas une sorte de sanctuaire à l’abri de l’emprunt 7. Il faut également noter que certains items allégués comme contenant un phonème proto-berbère ou proto-touareg *h par divers auteurs ne peuvent être confirmés, ainsi qu’on le verra dans la suite.

  • 8 Dans Blažek (2004), le proto-phonème noté <H> est *h1 [ˀ] dans les exemples du chapitre.

53La « laryngale » *h1 ne laisse de trace explicite dans aucun dialecte berbère et sa valeur probable est un arrêt glottal /ˀ/ 8 ; *h2 est le proto-phonème *H dont nous allons discuter plus en détail ci-dessous ; et *h3 n’est pas hérité et existe dans les emprunts. Comme on le verra plus loin l’origine phonétique de *h3 est d’ailleurs diverse.

Tableau comparatif des phonèmes gutturaux et sifflants (Fournet 2012)

Proto-phonème

Prasse (1969)

tahaggart

tawellemmet tayrt

ghadames

*h1

Ø

Ø

Ø

*ṗ

*h2

h

b

*h

(??)

h

z

h

*z

*z

h

z

z

(??)

ž

E

z/ẓ

*ḥ / h

(??)

E

s

*s

*s

*s

s

s

54En règle générale, tahaggart h peut être hérité quand il correspond au sémitique h. La comparaison directe de l’arabe classique avec le tahaggart fournit l’ensemble des cognats potentiels suivants :

— hb : tahaggart huhәr ‘être gros, épais’ ~ arabe habir ‘très charnu, chargé de chairs (chameau)’, hibriğ ‘grand et corpulent (homme)’, tawellemmet, tayrt izwar ‘grand’, tadġat šuhar ‘gros’

— hd : tahaggart ămāhdal ‘poltron’ ~ arabe ˀahadd, hīdān, ‘peureux, poltron’, non attesté en tawellemmet, tayrt

— hd : tahaggart tinәhardәfīn ‘paroles dites par un malade qui délire’ ~ arabe hudāˀ ‘délire’, hadā (hdw) ‘battre la campagne, dire des absurdités’, non attesté en tawellemmet et en tayrt

— hḍ (?) : tahaggart әhәḍ ‘jurer, prêter serment’ ~ arabe haḍaba ‘se mettre à parler, prendre la parole’, haḍal ‘répandre un torrent de paroles’, tawellemmet, tayrt әhәḍ ‘jurer’

— hk : tahaggart mәhәkkәt ‘se disputer l’un à l’autre (un objet)’ ~ arabe (F. II) hakkama ‘se mettre en colère contre quelqu’un’

— hk : tahaggart hәkiki ‘rire aux éclats, se moquer en riant’ ~ arabe hakaba, (F. V) hakama ‘se moquer de quelqu’un’

— hk : tahaggart hәlәllәkәt ‘frapper de toutes ses forces avec un objet tenu à la main (arme, baton, etc.)’ ~ arabe hakka ‘frapper avec un sabre ou une lance’, hakala (F. VI) ‘se battre’, hakama (F. V) ‘percer quelqu’un de plusieurs coups de lance’

— hk (?) : tahaggart ăsâhaġ ‘chant (humain)’ ~ arabe (F. II) hakama ‘chantonner’, (F. V) hakama ‘chanter’

— hk (?) : tahaggart huqqәt ‘frapper de la pointe’ ~ arabe hakka ‘frapper quelqu’un avec un sabre ou porter successivement plusieurs coups de lance à quelqu’un (avec acc. de la p. et bi de la chose)’

— hl : tahaggart ahəl ‘jour’ ~ arabe hall ‘clair (se dit des étoffes)’, tawellemmet azәl, ezăl, tayrt azәl, әžil ‘jour’

— hl : tahaggart tahāla ‘petite source’ ~ arabe (F. V) halla ‘sortir, sourdre, jaillir (eau d’une source)’

— hl : tahaggart hāll ‘pleurer bruyamment en sanglotant’ ~ arabe (F. V) halla ‘verser des larmes’, huğūl ‘qui coulent (larmes)’, hamala ‘être baigné de larmes (oeil)’

— hl : tahaggart tăhalat ‘dent canine, croc’ ~ arabe (F. V) halla ‘faire voir ses dents en souriant’

— hl : tahaggart ahəl ‘courir’ ~ arabe (F. II) halla ‘courir, prendre la fuite’, hawlaˁ ‘rapide à la course, véloce’, halaqa ‘être rapide à la course’, tawellemmet, tayrt azәl ‘courir’

— hl : tahaggart ehalis ‘pierre-témoin (d’une tombe)’ ~ arabe hilāl ‘rangée de pierres’,

— hl : tahaggart tehele ‘brebis (avec ou sans laine)’, ăhūlaġ ‘bouc (castré ou non castré)’ ~ arabe hilaˁ ‘chevreau’, hilˁa ‘petite chèvre’

— hl : tahaggart hulhәl ‘radoter, avoir l’esprit affaibli par l’âge’, hәluhәlu ‘avoir peu de raison’ ~ arabe halis ‘être privé d’intelligence’, halağa ‘raconter des choses incroyables’

— hl : tahaggart hәliyәt ‘engloutir, engouffrer’ ~ arabe hulabiˁ ‘gourmand, glouton, vorace’, huluˁ ‘avide’, halqama ‘avaler’, halaka ‘être extrêmement avide de quelque chose’

— hl : tahaggart hәluhәlu ‘être lâche, peu tendu, peu serré’ ~ arabe hammāl ‘lâche, peu tendu, flasque’

— hl : tahaggart hulәl ‘être sauvage, retourné à l’état sauvage’ ~ (?) arabe huhmal ‘laissé en liberté de paître; abandonné, laissé, négligé’

— hlk : tahaggart әhlәk ‘ruiner, détruire’ ~ arabe hulk ‘perte, ruine, mort’

hm : tahaggart hәmәmmәrәt ‘marcher sur les genoux’ ~ arabe hamma ‘ramper, se traîner’

hm : tahaggart ehәm ‘sorte d’antilope’, (?) ăhәnkoḍ ‘gazelle’ ~ (?) arabe hamaˁ ‘petite gazelle’

— hm : tahaggart ehәn ‘tente (en peau)’ ~ (?) arabe himl ‘tente en poil vieille et déjà usée’. Cf. tchadique Bokkos àhom ‘pièce’, couchitique Iraqw (Mbulu) heema ‘tente’. Cf. tahaggar ăhәnsawa ‘atelier d’un artisan’

hn : tahaggart tәhānint ‘grâce, bienfait gratuit’ ~ arabe hinˀ ‘don, cadeau, présent’

— hn : tahaggart hәnәffәt ‘pousser des petits gémissements plaintifs’ ~ arabe hanna ‘rendre un gémissement, un cri aigu de douleur ou de tendresse’

— hp : tahaggart әhәf ‘dévier (involontairement), trébucher’ ~ arabe munhafik ‘qui marche d’un pas chancelant’

— hp : tahaggart hәfәfәt ‘siffler (vent, vipère, projectile)’ ~ arabe haffa ‘souffler avec bruit, siffler (vent)’

— hpl : tahaggart ehafīlәn ‘longs poils (des animaux)’, tehafilt ‘petits poils (des personnes)’ ~ arabe hallūf ‘hérissé de crins, de soie’, hulfūf ‘velu, couvert de poils’, hulb ‘crin, gros crin de la queue du cheval, soie de porc, cheveux gros et durs’

— hq : tahaggart әhәğ ‘suivre rapidement, en cherchant à atteindre, poursuivre’ ~ arabe haqhaqa ‘marcher d’un pas accéléré et violent’

— hq : tahaggart әhәğ ‘s’accoupler avec une femelle (se dit des quadrupèdes, chevaux et chameaux exceptés, se dit par mépris des hommes)’ ~ arabe haqqa ‘cohabiter avec une femme avec violence’, haqiˁ ‘se jeter au sol pour se laisser couvrir par le mâle’

— hq : tahaggart ăhağ ‘crête de poils (bosse du chameau)’ ~ arabe haqˁa ‘rosace de crins (poitrail du cheval)’

— hq : tahaggart ehağәh ‘renard’, ăğulәh ‘loup’ ~ arabe haqallas ‘loup, renard’

— hq : tahaggart hәğrәt ‘être long’ ~ arabe hīq, hayqam ‘long et mince, grand et mince’, haqawwar ‘grand, long et stupide’, haqal ‘long, grand et qui n’est bon à rien’, hayqamāfi ‘grand, long’

— hq : tahaggart tәsâhaq ‘petite flaque d’eau (de pluie ou de crue)’, tәsaq ‘réservoir d’eau temporaire considérable’, ănâhoġ ‘réservoir d’eau naturel (pouvant durer un à six mois ou plus)’ ~ arabe hiqamma ‘mer’, hayqam ‘mer vaste et très profonde’

— hr : tahaggart ihәrînәn ‘poison’ ~ arabe yahyarr ‘poison’, Ghadames βareran, tawellemmet et tayrt eṛaynan ‘poison’ avec emphatique /ṛ/, wargli irirən (pl.) ‘venin’

  • 9 Takács (2011, p. 90) ne voit pas ces comparandes : « Sem. : no attestation (???) » [sic].

— hr : tahaggart ahar ‘lion’ ~ arabe hurr, harit, hartam, mihrāˁ, harhār, hurāhir ‘lion’, harma ‘lionne’, hirmās, hirmīs hurāmis ‘lion féroce’, hars ‘chat’ 9

— hr : tahaggart әhmәr ‘supporter, endurer (sans faiblir, avec fermeté et patience)’ ~ (?) arabe mihrās ‘fort, robuste’

— hr : tahaggart әhәr ‘être dépouillé de ses poils (cheveux, laine)’ ~ arabe harmala ‘épiler, arracher le poil’

— hr : tahaggart әhrәğ ‘mener à l’eau (pour boire ou remplir des récipients)’ ~ arabe harhara ‘mener ou appeler les moutons à l’eau’

— hr : tahaggart hәruhәġ ‘fuir tumultueusement’ ~ arabe haraba ‘fuir, s’enfuir’

— hr : tahaggart hәrәkkәt ‘respecter, avoir peur de’ ~ arabe hirṭa ‘peureux’

— hr : tahaggart harәw ‘travailler (à quelque chose)’ ~ arabe (F. IV) haraba ‘se livrer tout entier à quelque chose (avec fi de la chose)’

— ht (?) : tahaggart ăhît ‘bruit (assemblage de sons confus)’ ~ arabe hataf ‘voix’, hatmara ‘être bavard, loquace’, hatmala ‘parler tout bas, à l’oreille’

— hy : tahaggart әhi ‘pousser devant soi très rapidement (bétail)’ ~ arabe hayt, hayd ‘mouvement’, (F. V) hyr ‘se dépêcher, accélérer le pas’, hahyāf ‘rapide à la course, à la marche’

— hw/y (?) : tahaggart әhwi ‘oindre’ ~ (?) arabe (F. II) hāğa (hyğ) ‘graisser abondamment son plat de bouillie’, (F. II) hāġa (hyġ) ‘graisser abondamment un mets en y versant de la graisse fondue’

— hyk : tahaggart hik ‘vite’ ~ arabe hayyaka ‘se dépêcher, aller vite’

— hyt : tahaggart hәytәl ‘tenir à distance (empêcher de venir tout près)’ ~ arabe hāda (hyd) ‘empêcher d’approcher quelqu’un’

— hw : tahaggart hәwiwi ‘être aéré (lieu)’, (?) ăhōḍ ‘vent brûlant’ ~ arabe hawā ‘souffler (vent)’, hāwiya ‘air, atmosphère’, hāf, hawf ‘vent (chaud ou froid)’, ˀahwağ ‘très violent (vent)’

55Plusieurs items n’existant qu’en tahaggart ou dans les dialectes touaregs sont empruntés aux langues tchadiques voisines et n’ont donc pas leur place dans le dossier du proto-phonème *H. Ainsi sont spécifiquement touaregs les mots suivants, qui souvent n’ont pas la correspondance interne au touareg reflétant normalement *H : 

— tahaggart әğru ‘discerner’, tawellemmet ăgru, tayrt ăgru, әgru ‘discerner, apercevoir’. Cf. le verbe *gaˀar ‘voir’ étudié ci-dessus. Le mot ne peut pas être hérité. La reconstruction : touareg *agreH ‘voir, percevoir’ n’est pas acceptable.

— tahaggart tăhakimt ‘demi-matelassure d’un bât de chameau’. Prasse (2003) cite tawellemmet and tayrt taḥəmkit avec , alors que *H donne Ø. Peut-être ce mot a-t-il un lien avec tahaggart ĕhakit ‘tente faite de peaux’, même si cela n’éclaire pas son origine ultime.

— (Kossmann) aHeleḍliḍ ‘nouvelle pousse’ : Cf. tayrt halhal ‘être vert, herbeux’, tahaggart ăhūlhūl ‘jeunes pousses folles (d’un arbre)’. Cf. tchadique *pal : bokkos fala, mundat falâ ‘herbe’.

— tahaggart harәġ ‘être voisin’, tawellemmet hărăg, tayrt irag ‘être voisin de’. Cf. tchadique *Haro : bokkos ru, mondat aroy ‘arriver’, karekare ruru, tangale ro, roro ‘proche’.

— (Kossmann) aHešek ‘plante, arbre’ : cf. tawellemmet tahăša, tayrt taza (f.) ‘fruit sec de l’acacia afăgag’. La présence d’une chuintante /š/ dénonce ce mot comme emprunt. La correspondance est d’ailleurs incohérente et le mot ne semble pas attesté en tahaggart. Cf. tchadique *Hus ‘figuier’ : sokoro ússē, et tchadique *Hits, *Hit ‘arbre’ : bokkos yit, mundat yits, et sémitique *ˁiṣu ‘arbre’ : hébreu ˁēṣ, et peut-être arabe ˁuḍḍ ‘gros chicot d’un arbre’ (< *ˁuṣl avec fusion).

— tahaggart ăhaya ‘petit-fils’, tawellemmet ahăya ‘petit-fils’, tayrt ayyaw ‘petit-fils’, avec une structure de correspondances phonétiques incohérente. Cf. tchadique *aHaya : cagu ḥiyn, geji ˀyeŋ, karfa awaya ‘fils, enfant’.

— (Kossmann) emHel ‘pousser, faire avancer’ : cf. tahaggart әmhәl ‘pousser, par ext. se mettre en marche’, tawellemmet, tayrt әmhәl ‘avancer, aller plus vite’. Cf. tchadique *ḥam : fali gili ǝxàm-ti, gudu ùm-sá, bachama ómò ‘mener, conduire’, mesme hòm, bokkos hùm kjél ‘retourner’.

— (Kossmann) MeHellaw ‘la Voie Lactée’ : cf. tahaggart Măhәllaw, tawellemmet Madəl, tayrt Malle, tadġaq MәHәllaw ‘la Voie lactée’, un emprunt très clair au tchadique : bokkos mater ti mgbang ‘voie lactée’ d’après mater ‘chemin’. Il est surprenant que ce mot soit un emprunt alors qu’il joue un si grand rôle comme point d’orientation dans le désert. On aurait pu imaginer que les Touaregs auraient un terme proprement berbère pour la Voie lactée.

— (Kossmann) amHes ‘donner (en compensation d’un cadeau précédent)’ : tahaggart, tawellemmet əmhәs ‘donner en retour’, non attesté en tayrt. Cf. tchadique : bokkos hùm ti kjél ‘rendre, restituer’.

— (Kossmann) anHi (touareg) ‘proverbe’ : cf. tawellemmet anhi, tayrt eni, ayni ‘proverbe’, avec correspondances aberrantes, non attesté en tahaggart.

— (Kossmann) taraHut ‘midi’ : cf. tahaggart târut, tayrt terut, tadġaq, taneslemt tarāhut ‘midi’. Cf. tchadique *ta-reHen : bokkos ta ren, daffo-butura reén, monguna tá rén ‘midi’, un dérivé du mot *reHen ‘jour, lumière du jour’, égyptien Riˁa ‘le dieu Râ’.

56Ces mots spécifiquement touaregs ont souvent leur origine dans la branche ron du tchadique ouest : bokkos, mondat. Cette « coïncidence » ne peut pas être un hasard. Elle atteste des contacts entre touaregs et locuteurs rons. D’autres mots ont des structures inhabituelles :

— (Kossmann) eHegif ‘dune de sable avec un peu de végétation’ : cf. tahaggart eğif ‘dos sablonneux avec végétation’, tawellemmet, tayrt egef ‘dune de sable fixe, (par ext. en tayrt) haut plateau (de montagne)’. La reconstruction avec H semble une fiction. Un lien (en tant que cognat ?) avec arabe quff ‘terrain ou pays plus élevé que les alentours, généralement inégal et couvert de pierres, et contenant çà et là des morceaux de terrain propre à la culture’, qafāra ‘terrain rocailleux’ est envisageable. Cf. tchadique *ḳap : bokkos kapor ‘gravier, sable grossier’, kampar ‘rocher’, kapet ‘pierre’. Prasse (2003, p. 206) mentionne un rapprochement dû à Cohen avec arabe classique nağaf ‘dune [sic]’, mais le mot signifie ‘tertre, monticule, digue’.

— (Kossmann) Harwa ‘encore’, tayrt aṛwa, avec emphatique par contact.

— (Kossmann) aHeyas ‘selle de chameau’ : cf. tawellemmet ahyas, tayrt ahәyyas ‘sorte de selle de chameau (tărik de mauvaise qualité)’. Ce type de selle serait d’origine kunta, d’après Prasse (2003, p. 348).

  • 10 Cf. la remarque de Takács (2000, p. 346) déjà citée : « Ghadames b can just as well be a secondary (...)

57Certains exemples attestés en touareg et en berbère libyen suggèrent que le berbère libyen a remplacé touareg *h par *β dans des mots voyageurs 10 :

— (Kossmann) agerH ‘bouclier’. Cf. chamito-sémitique *ḳarˁ : tchadique mokilko kòr-kó, sokoro kó-kēre, et égyptien ancien qrˁ ‘bouclier’. Ce mot a peut-être un rapport avec le mot ‘tortue’ : bokkos kuruŋgwa.

— (Kossmann) aHales ‘homme’. Cf. tchadique *γula ‘jeune homme’ : glavda ɣúla ‘marié’, Mafa-Matakam gwala ‘jeune homme’, et sémitique arabe ġulām ‘jeune homme’.

— (Kossmann) egHen ‘troupe de pillards’ : cf. tahaggart ahәġ ‘faire une razzia, piller’, ghadames aβeˁ ‘to take’. Cf. tchadique *haˀ ‘prendre, saisir’ : bokkos haˀ ‘prendre’, margi hù, kera hè ‘prendre’. Cf. berbère nord * ‘prendre’, qui semble être un autre mot. Takács (2004, p. 193) réunit néanmoins tous ces mots sous la même entrée mais ne cite pas le tchadique *haˀ.

— (Kossmann) irHan ‘être malade’. Cf. peut-être tchadique *laH : sura láa ‘faire mal’, angas le ‘maladie’, dera-kanakuru léhì ‘être fatigué’, malgré la différence r ~ l.

— (Kossmann) asHan ou azHan, ghadames azβan, augila ižβin ‘fibre de palmier, rembourrage’.

58Plusieurs mots tahaggarts sont listés par Kossmann (1999) comme étant touaregs, mais on ne peut pas toujours trouver dans Prasse (2003) des équivalents en tayrt ou en tawellemmet. Ces items invérifiables doivent être maintenus en dehors de la discussion :

agurH (touareg ?) ‘animal castré’

tahaggart ăhәdal ‘once’, aHedal (touareg?) ‘guépard’ ~ arabe hiṭl ‘loup’, hayṭl ‘renard’

— tahaggart ehәdәl (touareg ?) ‘veau de lait tout jeune’

— tahaggart ăhәllēlu (touareg ?) ‘papillon’. Cf. chamito-sémitique *bil(bil), *pilpil ‘papillon’

— tahaggart ehere ‘menu bétail (50 à 150 chèvres, moutons); biens matériels’, eHere (touareg ?) ‘bovin, bétail’. Le mot a une ressemblance étrange avec le roman abere < latin habere ‘avoir’, d’où le mot basque abere de même sens est également dérivé.

— tahaggart ăhattin ‘grande bouteille en cuir’, tăhattint ‘petite bouteille (<25 litres)’, aHattin (touareg ?) ‘grande gourde en cuir’

— tahaggart ahtәs ‘acacia albida’, aHetes (touareg?) ‘sorte d’acacia, arbre gao’

aleH (touareg ?) ‘se ressembler’

59Des exemples supplémentaires de touareg *H avec correspondants en berbère nord :

— tahaggart tehәdde ‘taille, stature (d’une personne)’, berbère nord *tiddi

— (Kossmann) *teẓaHet ‘neuf’ (fem.), Cf. wargli təṣṣ

60Un certain nombre de mots sont certainement empruntés à l’arabe :

— touareg tadhent ‘graisse, gras’, edhen ‘graisser, huiler’, pas en tahaggart, ghadames әdβәn ‘graisse’ < sémitique *duhn ‘gras’. Ce mot est tenu pour un cognat par Takács (2000, p. 340 ; et 2011, p. 94). Bien que le tahaggart maintienne en l’état *h hérité du chamito-sémitique, le fait que cette racine trilitère soit en tout point identique à celle de l’arabe doit inciter à la prudence.

— touareg ehey/iwi ‘naître’ < sémitique *hayya ‘vivre’. Éventuellement, ce mot peut aussi être hérité.

— tahaggart tuhe (f.) ‘bosse de chameau, de zébu’ < *tuḅa de l’arabe ḥadaba ‘bosse [en général]’, tawellemmet tuhe, tayrt tәwwa ‘bosse de chameau’.

— touareg taheyna ‘gencive’ < arabe ṭāḥina ‘molaire’ d’un verbe ṭaḥan ‘moudre, broyer’. Cf. tamahaq tanya (avec métathèse). Un emprunt évident, même si on trouve aussi le mot en tchadique : warji ṭǝɣnai, kariya tin, pa’a ndíní, cagu dííne, mburku ṭiíńò, jimbin diina ‘dent’. En tahaggart la pharyngale devient s. Ce mot touareg ne peut donc pas être un cognat du tchadique et du sémitique.

61Exemples de *H avec contreparties en berbère libyen (tamahaq, ghadames, augila) :

elkeH (touareg ?) ‘mépriser’, le « cognat » proposé en ghadames signifie ‘rester silencieux’

enHeg ‘être naïf’

inHal ‘être facile’

tiHay ‘obscurité’, tahaggart tihay

62Ces items n’ont pas d’étymologie très claire, ni en tchadique ni en chamito-sémitique, et, par conséquent, on ne sait pas à quoi correspond *H.

Points de repère pour déterminer la nature de *H

1- Phonotaxie de *b avec des gutturales dans les mots empruntés ou hérités

63Un premier indice de la nature phonétique du proto-phonème berbère *H est que le contact de *b avec des “laryngales” génère *H en proto-berbère et /h/ en tahaggart :

— (Kossmann) *aγeH (H < p-h) ‘lait’, augila aγəβ ‘lait’, berbère nord *aγu/aγi ‘petit-lait’ < *aqaḅ. La relation avec ghadames yaff ‘lait’ n’est pas claire. Le mot zenaga est iˀž ‘lait’, également sans lien apparent. Plus proche est arabe qafīha ‘crème sur laquelle on a trait du lait’.

— (Kossmann) *bubbeH (H < ˁ-b) ‘porter sur le dos’. Cf. chawi ˁebba et zenaga ežbemi avec palatalisation de *ˁ.

— aHeγu (H < b-γ) ‘jeune taureau d’un an’. Cf. nefusa bγu ‘veau’, tahaggart ăhuġ ‘poulain’, hәġ ‘âne (mot enfantin)’, ăhâhul ‘jeune chameau non castré’, ăhayoy ‘chamelon empaillé’, tawellemmet әhug, tayrt әwig ‘poulain’.

— (Kossmann) *abilHeṭṭ (H < ˁ-b) ‘paupière’, une racine rédupliquée *ˁabil-ˁb-eṭṭ, cf. kabyle ibəl, senhaja, chenoua, menacer, mozabite, wargli abəl ‘cil’. Cf. hébreu ˁapˁappayim ‘paupières, cils’ avec le même type de réduplication de cette racine.

— tahaggart tăhokka = tăbokka ‘poussière’.

64- tahaggart tәhunt (H < ˀ-b) ‘grosse pierre’, ghadames oβənt, kabyle tawent. Cf. sémitique *ˀabn ‘pierre’.

— tahaggart ăhâra (H < b-ḥ) ‘sel de mauvaise qualité, non comestible pour les humains’, zenaga terert ‘sel’. Cf. chamito-sémitique *baḥr ‘mer’.

— (Kossmann) *aHw ‘fumée’, ghadames tanaβott ‘trou d’évacuation dans le toit’, parlers de l’Atlas tinnibba ‘cheminée’.

— teHeyne (H < b-ḥ) ‘datte’, ghadames aβena, berbère nord *tiyni (coll.) ‘dattes’. Cf. wargli tabḥalit ‘sorte de datte’ qui donne la structure originale du mot.

65- (Kossmann) *anHel (H < ˀ-b) ‘autruche’ < *anḅel . Cf. peut-être chamito-sémitique *ˀabin ‘oiseau’.

 (Kossmann) *enHir (H < b-ˀ) ‘antilope mohor’ < *enḅir. Cf. chamito-sémitique *baˀray ‘antilope’, attesté en tchadique et en couchitique. Cf. également tachelhit anir ‘mohor’ et zenaga enaˀr (avec arrêt glottal ˀ).

— (Kossmann) *enHey (H < b-ˀ) ‘voir’. Cf. chamito-sémitique *biˀan ‘voir, comprendre’,

— (Kossmann) *esaHet (H < b-ˁ) ‘sept’ (au féminin) < emprunt sémitique *sabˁ ‘sept’.

2- La phonotaxie de *b avec des consonnes emphatiques

66Un exemple très intéressant est le mot ‘oignon’ *aHẓalim : augila bẓalim, tachelhit aẓelim, wargli ẓalim et mozabite ẓalim. Le mot est distinctement phénicien : *bəṣalim (au pluriel). Un autre exemple vu plus haut est le nom de la ‘nuit’ : *eHaḍ ~ tchadique *baḍi avec *b.

3- Evolution parallèle de *b et *H

67Dans certains mots le phonème *b suit la même évolution que *H, spécialement en fin de mot :

— tahaggart әh (H < b) ‘être dans (un lieu)’. Cf. sémitique *bi ‘dans’, *bîn ‘parmi’. Cette préposition fonctionne comme un verbe qui se conjuge en tahaggart.

— *taHurt ‘porte’, ghadames taββurt, augila teβurt, tahaggart tăhort, kabyle tabburt, Cf. sémitique bab.

— eddeH (H < b) ‘piler, écraser’, ghadames addëβ, Cf. tawellemmet et tayrt dabdab ‘frapper pour égaliser’ ; et arabe dabal ‘frapper avec un baton’.

ulH (H < b) ‘coeur’, Cf. sémitique *libbu, égyptien jb ‘coeur’.

— temadHe (T < b) ‘termite’, Cf. timimum timdi ‘termite’, siwi tamdi ‘fourmi’ ; chamito-sémitique *dab ‘termite’ attesté en sémitique et en tchadique.

enHer (H < b) ‘cil, sourcil’, ghadames anβar. Cf. peut-être arabe nabâtât ‘barbe, poil(s) sur le visage’.

areH (H < b) ‘écrire’, Cf. hausa rubuta, kabyle aru, ghadames ôrəβ.

— azeH (H < b) ‘peler’, ghadames ôzəβ, kabyle, tachelhit azu ‘peler’ et azzaw ‘dépiautage’. Cf. arabe zabaq ‘enlever les poils ou les plumes d’un animal’.

4- Allomorphies partagées entre *H et les labiales

68Un autre indice que *H doit être une sorte de labiale est le fait subtil que le préfixe #m- a un allomorphe #n- quand les racines contiennent déjà une labiale en berbère. Cette allomorphie explique la forme tanәslәmt < muslim. Ainsi, en kabyle, on rencontre rnu ‘ajouter’ mais nn-erni ‘grandir’. Cette allomorphie est cohérente avec les mots tahaggart erneH et ghadames arnəβ ‘ajouter’. La voyelle finale -u du kabyle est le reflet d’un ancien phonème labial.

5- Aoriste archaïque aCu, CCu en kabyle et en tachelhit

69Deux dialectes berbères, à savoir le kabyle et le tachelhit, possèdent encore des formes particulières d’aoriste du type aCu et CCu, à finale -u, alors que les autres verbes ont normalement la finale -i. Dans les autres dialectes ces quelques verbes ont été transférés dans le paradigme à finale -i :

— aḍeH (H < ḥ-b) ‘plier’, tahaggart aḍ, tachelhit aḍu (conjugaison du type aCu). Cf. chamito-sémitique *dab ‘plier’, attesté en sémitique *ḥidab et tchadique *diḥab. Le tchadique semble le mieux en cohérence avec le berbère.

ekleH (origine inconnue) ‘décorer’, ghadames akləβ, tachelhit klu.

erkeH (origine inconnue) ‘pourrir’, Cf. kabyle ərku.

erneH (origine inconnue) ‘ajouter’, ghadames arnəβ, kabyle rnu, zenati Berber rni.

70Quelques verbes à aoriste u n’existent qu’en berbère nord et ne sont pas attestés en touareg. Il est difficile de dire dans quelle mesure ils peuvent être acceptés comme exemples de *H :

*egneH ‘coudre’, tachelhit, tamazight gnu. Cf. chamito-sémitique *ḳ_n_w ‘lier, coudre, tisser’.

— *eqqeH ‘copuler’. Cf. (?) arabe qabaṣ ‘féconder la femelle’, qibirra ‘gland’.

— *ežžeH ‘sentir bon’, izdeg, tachelhit žžu, seghrouchen žey.

6- Alternances irrégulières à la forme intensive

71Un autre indice est l’alternance de certains verbes entre l’intensif et l’aoriste. En tachelhit, trois verbes ont ce type d’alternance :

— ‘étaler’ : fsr ~ assr, c’est-à-dire *əpsər ~ *Hassər

— ‘bourgeonner’ : fsu ~ assu, c’est-à-dire *əpsəw ~ *Hassəw

— ‘donner’ : fk ~ akk, c’est-à-dire *əpkə ~ *Hakkə

72Cette alternance peut s’expliquer en supposant que le schème vocalique en proto-berbère était : eHC1eC2 ~ HeC1C1eC2. Lorsqu’il était suivi par une consonne sourde, le phonème *H s’est assourdi par assimilation, d’où : *ḅ > *p > moderne /f/. Un phénomène similaire se rencontre en kabyle avec des phonèmes voisés. La forme d’intensif se construit autrement qu’en tachelhit, mais l’alternance se retrouve :

— ‘être debout’: bded ~ ttadded, c’est-à-dire *əbdəd ~ *tHaddəd

— ‘déclarer’ : bder ~ ttader, c’est-à-dire *əbdər ~ *tHaddər

— ‘mettre une ceinture’ : bges ~ ttages, c’est-à-dire *əbgəs ~ *tHagəs

— ‘être humide’ : bzeg ~ ttazeg, c’est-à-dire *əbzəg ~ *tHazəg

73Le Tachelhit a aussi des exemples de cette alternance :

— ‘partager’ : bḍu ~ aṭṭa

— ‘percer’ : bgu ~ agga

— ‘mentionner’ : bdr ~ addra

— ‘être gonflé’ : bzg ~ azzg

— ‘mettre une ceinture’ : bks ~ aggs

— ‘commencer’ : bdu ~ adda

Conclusion

74En d’autres termes, lorsque le phonème *H est suivi d’une consonne voisée, *H s’assimile en b ; et lorsque le phonème *p est suivi d’une consonne emphatique, *p s’assimile pour donner *H. Cela décrit les traits phonétiques de *H : à la fois labial et emphatique. Cela n’est possible que si le phonème proto-berbère *H a une articulation labiale et emphatique telle que /ḅ/ ou /ṗ/.

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Notes

1 Voir Haelewyck (2006), p. 84, §84 : « Ces dialectes modernes sont intéressants dans la mesure où ils conservent des traits anciens non représentés dans la langue classique. »

2 En particulier I. M. Diakonov (1915-1999) et ses élèves et continuateurs, ainsi que la branche israélienne du comparatisme nostratique, composée d’émigrés d’origine soviéto-russe, qui perpétue une approche largement similaire dans les méthodes et les résultats.

3 Takács (2011, p. 200) tire argument des faits propres au couchitique méridional, à l’angas-sura et au bauchi septentrional.

4 Ils sont listés dans Kogan (2011, p. 56) sans les comparandes chamito-sémitiques, que nous avons ajoutés.

5 A noter également ṯaˁlabu dont le vocalisme doit être refait.

6 Il existe également une variante dubbu(m).

7 On ne peut pas accepter le diagnostic de Chaker (1986, p. 304) : « En ce qui concerne le lexique de l’Ahaggar, on est frappé (...) par la faiblesse des influences qu’il a subi de la part des langues environnantes (arabe et langues négro-africaines) ». Plus acceptable est Basset (1952, p. 42).

8 Dans Blažek (2004), le proto-phonème noté <H> est *h1 [ˀ] dans les exemples du chapitre.

9 Takács (2011, p. 90) ne voit pas ces comparandes : « Sem. : no attestation (???) » [sic].

10 Cf. la remarque de Takács (2000, p. 346) déjà citée : « Ghadames b can just as well be a secondary development from an earlier Brb. *h, perhaps via a labialized *hw. »

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Pour citer cet article

Référence papier

Arnaud Fournet, « Les consonnes du chamito-sémitique et le proto-phonème *H du berbère »Bulletin d’études orientales, LXII | 2014, 23-50.

Référence électronique

Arnaud Fournet, « Les consonnes du chamito-sémitique et le proto-phonème *H du berbère »Bulletin d’études orientales [En ligne], LXII | 2014, mis en ligne le 04 juin 2014, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/beo/1257 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/beo.1257

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Auteur

Arnaud Fournet

La Garenne-Colombes (France)

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