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La ville du polar américain : images et expérience

Benoît Tadié

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Mots-clés :

polar, ville, pulp, noir
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Texte intégral

Les « mean streets » et l’« underworld » : aux sources d’un imaginaire

  • 1 « The Simple Art of Murder » (1944), in Raymond Chandler, Later Novels & Other Writings. New York, (...)

Dans ces rues méchantes (mean streets) un homme doit s’enfoncer, qui n’est pas lui-même méchant, qui est sans peur et sans tache. (Raymond Chandler1)

  • 2 Au chapitre XIX d’Oliver Twist (1838), Fagin s’enfonce dans « un labyrinthe de rues méchantes et sa (...)
  • 3 Ross Macdonald, Self Portrait: Ceaselessly into the Past. Santa Barbara, Capra Press, 1981, pp. 115 (...)

1Le polar prolonge le roman de chevalerie et le roman d’aventures, ajustant leur horizon à celui du lecteur contemporain : il ramène l’aventure au crime et le monde à la ville. Mais les mean streets de Chandler (puis Scorsese) ont leurs antécédents littéraires : l’expression évoque, en arrière-plan de Los Angeles dans les années 1940, la ville de Londres chez Dickens et Arthur Morrison.2 Londres, la « ville monstre », est en effet, avec Paris, la première capitale de la modernité criminelle, dont l’histoire ultérieure du polar véhicule la mémoire spectrale. C’est à Londres et Paris que Thomas De Quincey et Edgar Allan Poe avaient respectivement situé les récits fondateurs de la littérature criminelle moderne, l’un inventant l’assassin comme artiste, l’autre le détective comme génie. Tous deux furent traduits par Baudelaire, autre parrain du polar : comme l’écrivait Ross Macdonald à propos de Conan Doyle, « le développement du roman policier dérive en grande partie de Baudelaire, de son dandysme, de sa vision de la ville comme enfer »3.

  • 4 Termes qu’on peut traduire par « arrangeur », « intermédiaire » et « homme clandestin ». Cette dern (...)
  • 5 Dashiell Hammett, « $106,000 Blood Money » (1927), The Big Knockover. Harmondsworth, Penguin, 1969, (...)
  • 6 Raymond Chandler, The Big Sleep (1939). Stories & Early Novels. New York, Library of America, 1995, (...)

2La littérature criminelle d’outre-Atlantique reprend l’image fin-de-siècle de la métropole infernale et la combine à la pensée pastorale américaine – qui voit le développement industriel et urbain du pays comme un dévoiement satanique de l’utopie agrarienne rêvée par les pères fondateurs – ainsi qu’au récit de la frontière hérité de Fenimore Cooper ou Mark Twain. Associées à la symbolique puritaine du péché et de la chute du jardin d’Eden, ces traditions convergent dans la vision de l’underworld (mot riche de connotations, désignant le milieu criminel des villes aussi bien que les enfers) qui se développe dans le récit criminel aux Etats-Unis. Tel un chamane au royaume des ombres, le détective plonge dans l’enfer urbain et se frotte aux réprouvés qui l’habitent, essayant de leur arracher leur vérité, de retrouver l’origine du mal qui frappe la société des vivants et de préserver, comme Sam Spade à la fin du Faucon maltais, son code éthique ou professionnel. Private eye, mais aussi fixer, go-between, underground man4 : ces mots souvent associés au détective soulignent sa position liminaire entre deux mondes dont il révèle et renégocie les rapports complexes, desserrant parfois l’étau de l’underworld sur la civilisation, non sans que cet effort ne le laisse, au terme du récit, épuisé (« Je me sentais crevé, lessivé »5) ou marqué par sa plongée dans le monde du crime (« Moi, je faisais partie de la pourriture, maintenant »6). Le parcours du héros, dans le polar américain, superpose une aventure morale, sorte de Pilgrim’s Progress inversé, à la plongée dans les mean streets.

La jungle urbaine, nouvelle frontière

  • 7 V. Errin A. Smith, Hard-Boiled: Working-Class Readers and Pulp Magazines. Philadelphia, Temple Univ (...)
  • 8 Ross Macdonald à propos de Raymond Chandler, Self Portrait, op. cit., p. 27.
  • 9 Jim Thompson, The Nothing Man. New York, Dell, 1954, p. 114.

3Comme le crime, la littérature criminelle suit le développement accéléré des villes américaines. Epousant les courbes de l’histoire migratoire du pays, elle apparaît sur les côtes est et ouest, à New York, Philadelphie ou San Francisco, prend son essor à Chicago au temps de la Prohibition, se déplace vers la Californie du sud à partir des années 1930, attirée par la puissante industrie hollywoodienne. Dans le même temps, sous l’impact de l’immigration massive venue d’Europe, la proportion des citadins dans la population américaine, qui était passée de 20% à 40% entre 1880 et 1900, devient majoritaire en 1920. L’expansion des villes, stimulée par un capitalisme sans frein, s’accompagne de maux endémiques : insalubrité, pauvreté, alcoolisme, prostitution, délinquance, tensions ethniques, corruption, criminalité. Cette combinaison paradoxale de vitalité et de désorganisation est symbolisée par l’image dominante de la ville comme jungle, implicite dès les lointaines origines du genre (le surgissement de l’orang-outang à la fin de « Murders in the Rue Morgue », solution poétiquement aussi juste que scientifiquement improbable à la première énigme criminelle moderne), reprise par les journalistes muckrakers et les romanciers naturalistes américains au tournant du siècle – qu’on pense à la New York de Stephen Crane (Maggie), à la San Francisco de Frank Norris (Mc Teague), à la Chicago de Dreiser (Sister Carrie) et d’Upton Sinclair (The Jungle) – puis par l’écologie urbaine de l’école de Chicago. Elle sera amplifiée et vulgarisée par la typologie darwinienne du roman et du film de gangsters américain, peuplé de femmes prédatrices et de tueurs simiesques – tel Tony Camonte interprété par Paul Muni dans Scarface (1932). Mais cette image se conjuge, dans le pulp magazine qui, aux USA, convoie l’essentiel de la fiction populaire entre les années 1890 et 1940, à l’esprit de la frontière : mobilité, énergie, pragmatisme, égalitarisme. Le récit pulp, avant-garde d’une culture urbaine de masse agressive qui bouscule aussi bien les traditions rurales locales que celles venues d’Europe, est comme le cinéma une force d’acculturation et d’américanisation7 qui offre aux lecteurs des classes populaires américaines, souvent d’immigration récente, des héros aguerris aux mœurs de la rue et des modèles de langage et de comportement démotiques et démocratiques. Les auteurs de Black Mask – le magazine pulp new-yorkais qui fut le principal creuset du polar hardboiled – ou des premiers romans de gangsters incarnent eux-mêmes l’esprit nomade, démocratique et individualiste de la frontière : ni Dashiell Hammett, ni Raoul Whitfield, ni Paul Cain, ni Raymond Chandler ne sont nés dans les villes qu’ils ont contribué à immortaliser. Semblables en cela aux musiciens de jazz, ce sont des êtres géographiquement et socialement mobiles, dont le vécu a forgé la personnalité et qui ont fait les mille métiers (y compris, comme Hammett, celui de détective) d’un monde en pleine mutation. Comme eux, leurs héros sont chez eux dans, et étrangers à, la ville : d’un côté, ce sont des chasseurs d’hommes dans la jungle du crime ; de l’autre, des observateurs participants, capables de déduire toute une organisation sociale d’une inflexion de voix ou d’un détail vestimentaire et, parfois, de l’exprimer avec la justesse poétique d’un « ange qui s’encanaille » (slumming angel)8. La San Francisco de Hammett ; la Chicago de Burnett ; la Los Angeles de Raoul Whitfield, Paul Cain, Raymond Chandler, Horace McCoy ou Jim Thompson ; le Harlem de Chester Himes, autant d’univers observés avec une acuité où se superposent la connaissance empirique de l’underground man et le regard critique de l’outsider : « Los Angeles. Tentaculaire, bruyante, laide, sale – et complètement merveilleuse. Je serais toujours chez moi, là et nulle part ailleurs. Je n’y serais jamais chez moi. »9

« La ville est à vous» : le moment pulp

  • 10 V. George Orwell, « Raffles and Miss Blandish » (1944), Essays. London, Penguin Classics, 2000, p. (...)

4Dans Underworld de Josef von Sternberg (1927), une enseigne éclaire les aventures des gangsters : « La ville est à vous » (The city is yours). Cinq ans plus tard, une autre lui répond dans Scarface de Hawks : « Le monde est à vous » (The world is yours). A l’âge de la prohibition, le polar, dans ses différentes déclinaisons (magazines, romans, théâtre, radio, cinéma), exprime la force d’attraction de la ville, immense réservoir de possibles, champ de bataille des ambitions les plus effrénées. Et de même que pour le gangster la ville devient un monde à conquérir, de même, portée par la puissance des médias américains, la ville des gangsters rayonne à travers le monde. En France, le n°1 de la revue Détective (1er novembre 1928) s’ouvre sur le gros titre : « Chicago, capitale du crime ». Plus tard, en Grande Bretagne, George Orwell s’effraie qu’un James Hadley Chase « mène une vie imaginaire complète (complete fantasy life) dans l’underworld de Chicago », au diapason des centaines de milliers de lecteurs britanniques de No Orchids for Miss Blandish (1939), contaminés comme lui par l’influence américaine10. A travers de telles représentations, qui en mondialisent bon gré mal gré la légende, le gangstérisme de Chicago devient la métonymie de la modernité. Le luxe, la violence et la vitesse qui caractérisent sa mythologie (penthouses sur le toit des gratte-ciels, limousines blindées, boîtes de nuit et speakeasies, jazz, smokings et robes lamées, wild parties, poursuites et mitraillettes) actualisent jusqu’à la surchauffe la consommation ostentatoire à la Veblen et le potentiel hédoniste du capitalisme. Gatsby lui-même, séduisant symbole du jazz age, s’avère en fin de compte un visage glamour posé sur la puissance occulte du gangsterisme.

5Mais comme le film de gangsters (et le roman de Fitzgerald), le récit de l’école Black Mask montre que cette superstructure parfois brillante ne demande qu’à s’effondrer, à la première trahison. L’enseigne de Scarface éclaire, à la fin du film, le cadavre de Tony Camote tombé du faîte du monde (criminel) dans le caniveau. De même, la ville du récit pulp est habitée par le danger et l'imprévu ; tout le monde peut être, à tout instant, filé, agressé, prendre une balle, sauter sur une bombe :

  • 11 Paul Cain, « Ananas » (« Pineapple »), Black Mask, mars 1936. Rééd. Complete Slayers, Lakewood, Cen (...)

A une heure dix-neuf le téléphone sonna.
Maschio posa ciseaux et peigne pour se préparer à répondre.
Angelo dit : « Si c’est pour moi, boss – dites-lui qu’elle attende une minute »
Maschio fit oui de la tête et étendit la main vers le combiné, et le téléphone et le mur vinrent à sa rencontre, tout le côté de la boutique se tordit et s’enroula et fut un drap étouffant de flamme blanche, et de douleur. Il sentit son corps se déchirer en morceaux comme si on le déchirait doucement et il pensa « Mon Dieu – faites que ça s’arrête ! » – et ensuite il ne sentit plus rien, ne pensa plus rien.11

  • 12 I dropped to one knee and fired twice.” John D. Macdonald, « Norbert Davis, an Appreciation », in (...)
  • 13 Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l’esprit (1903), trad. Jean-Louis Vieillard-Baron. Pa (...)
  • 14 Ibid. p. 49.

6Le polar hardboiled illustre – et intensifie sur le mode criminel – le caractère accéléré et précaire de l'existence urbaine. L’ascension et la chute du gangster, les péripéties brutales du récit (dynamitages, fusillades, trahisons, kidnappings, hold-ups, etc.), le style tranchant, staccato des auteurs mettent en valeur le mouvement, la violence, la surprise, la discontinuité. La conduite – ou plus exactement le système nerveux – du détective, prédateur plus physique que cérébral, est synchrone avec cet univers. John D. Macdonald aimait à citer la première phrase d’une nouvelle de Raoul Whitfield, quelques monosyllabes qui constituaient, disait-il, la plus rapide entrée en matière qu’il eût jamais lue : « Je tombai sur un genou et tirai deux fois »12. Cette violence réflexe, qui domine l'économie narrative du magazine pulp et éclate sur ses couvertures, cache une vérité poétique sur l’existence urbaine. Elle exprime, de manière concentrée, les nouveaux rythmes de la modernité, leur impact sur le corps et l’esprit du citadin, ce que Georg Simmel appelle « l’intensification de la vie nerveuse, qui résulte du changement rapide et ininterrompu des impressions externes et internes » dans la grande ville.13 Et l’on retrouve aussi chez le héros hardboiled, impassible et cynique, le caractère blasé, « conséquence de ces stimulations nerveuses qui changent sans cesse », qui caractérise le citadin contemporain selon Simmel14. Ce qui prime dans la fiction pulp des années 1920, ce n’est pas la ville comme décor, mais comme expression neurophysiologique de la modernité.

Rue de non-retour: le moment noir

  • 15 David Goodis, Street of the Lost (1952). New York, Gold Medal, 1957, p. 8.

C’était une rue de baraques en bois et de taudis en décomposition. De fenêtres cassées et de portes brisées. Avec trois salles de billard, quatre tavernes et d’innombrables tables où de l’alcool de contrebande était vendu et où toutes sortes de jeux de hasard avaient cours. […] Il était profondément convaincu que la Rue ne le toucherait jamais. Mais il savait tout aussi profondément qu’il ne pourrait jamais la quitter. C’était comme s’il marchait sur une corde raide sans fin au-dessus d’un grand serpent qui rampait à sa suite, le pistait, attendant qu’il tombe. Maintes fois il avait essayé de s’éloigner de la corde, de s’éloigner de la Rue, mais quelque chose le retenait toujours.15

7De Hammett à David Goodis, la politique urbaine du polar se transforme. En simplifiant quelque peu, on peut opposer le moment pulp de la prohibition au moment noir de la crise et de l’après-guerre, qui débouche, dans les années 1950, sur des visions anonymes et paranoïaques de la ville. Ce n’est pas tant la représentation matérielle de celle-ci et de ses maux endémiques (vice, rackets, etc.) qui change, que la position du protagoniste par rapport à elle : le drive compulsif du détective ou du gangster des années 1920, homme de la frontière lâché dans la jungle du crime, s’épuise avec la crise, se transforme en chute, provoquant accidie, repli sur soi, amertume, nihilisme, claustrophobie et angoisse ; avec le blues de l’après-guerre, l’intériorité du héros, absente des premiers récits hardboiled, remonte à la surface, laissant libre cours à l’expression d’une fragilité, d’une rancœur, voire de pulsions meurtrières, mais surtout d’une intense solitude morale dont la grande ville est à la fois le cadre et l’image. A la ville-événement du pulp (peu de descriptions chez Hammett) se substitue la ville statique du noir (beaucoup de descriptions chez Chandler) où le protagoniste est comme englué et contemple le reflet de sa propre aliénation. Chez Chandler, le moment fort du récit n’est plus, comme au temps de Hammett, le règlement de comptes chaotique mais la découverte, étirée dans la durée, méditative, de cadavres abandonnés dans des pièces vides, bureaux, chambres d’hôtel, salles de bains. Et au hold-up rapide et sanglant du récit de gangsters de la Prohibition, exécuté sans états d’âme par un voyou italo-américain pressé d’arriver (Rico Bandella dans Little Caesar de W. R. Burnett, 1929), succède cette aventure existentielle nocturne, méticuleusement programmée et invariablement malheureuse, qu’est le casse dans le polar de l’après-guerre, quand la fatalité s’abat contre les derniers hommes libres, lointains rejetons des outlaws ruraux qui rêvent un dernier coup pour se ranger des voitures, quitter une ville dont la crasse morale leur colle à la peau (Dix Hanley dans Asphalt Jungle, du même W. R. Burnett, 1949).

  • 16 N. R. De Mexico, Madman on a Drum (1944), The Novels of N. R. De Mexico. Shreveport, Ramble House, (...)

8Le polar de l’après-guerre est une chambre noire où les relations sociales se dénouent dans la solitude, où les mille rumeurs de la ville se neutralisent dans l’atonie : « Il y avait un silence écrasant dans la rue, le silence d’une nuit chaude. Un silence de New York. Un silence fait d’un million de sons monotones : les klaxons des voitures, le grondement lointain d’un trolley, le sifflet d’un ferry sur le fleuve, la conversation des hommes dans des bars, le crissement des pneus sur la chaussée, le hurlement lugubre d’un train. Un bruit continu et rauque. Mais lointain et dépourvu de sens – et toujours le silence. »16 La vie urbaine, dont le caractère aliéné et transitoire s’incarne dans tous ces bars, diners, salles de billard, gares routières, enseignes au néon, ruelles mal famées et quais solitaires qui peuplent les paperbacks de l’époque de détails visuels et sonores inoubliables, permet l’expression d’une subjectivité intense – ce que l’univers du film noir exprime puissamment avec sa voix off qui s’élève comme un récitatif sur fond de paysage urbain en clair-obscur, de Double Indemnity de Billy Wilder (1944) à Blast of Silence d’Allen Barron (1961).

  • 17 Littéralement : « Rue des perdus » (traduit en français sous le titre Rue Barbare ou Epaves suivant (...)

9C’est sans doute chez David Goodis que le caractère sombre de l’expérience urbaine devient le plus obsessionnel, quand la rue se fait principe maléfique, emprisonnant des personnages condamnés, rêvant une fuite qu’ils savent au fond d’eux-mêmes impossible : Street of No Return, Street of the Lost, Down There, The Moon in the Gutter17. Le héros n’est plus, alors, le prédateur mais la proie. Et combien d’auteurs expriment l’aliénation de l’humain piégé par la ville : l’amnésique traqué par un policier dans Black Curtain (1941) de Cornell Woolrich (William Irish) ; le taulard revenu rechercher son amour d’autrefois dans un quartier de Los Angeles qui s’est, pendant qu’il était en prison, transformé en ghetto noir (Farewell, My Lovely de Raymond Chandler, 1944) ; l’apprenti sociologue de The Wench Is Dead (1955) de Fredric Brown qui, pour ses recherches, se mêle aux épaves de Los Angeles, part dans une dérive alcoolique et se retrouve dans la mire d’un tueur ; les alcooliques suicidaires errant à travers San Francisco dans Pick Up (1955) de Charles Willeford ; les jeunes Noirs en fuite de Richard Wright (Native Son, 1940) à Chicago, deRichard Marsten (Ed McBain, Runaway Black, 1954) à New York, ou de Chester Himes à Los Angeles (If He Hollers Let Him Go, 1945) ou encore à New York (Run Man Run, 1960) ; et tous les poursuivants-poursuivis des auteurs des années 1950 : Richard Himmel, Helen Nielsen, Bruce Elliott, Charles Williams, John McPartland, Gil Brewer, Peter Rabe, Day Keene, Harry Whittington, etc.

  • 18 Geoffrey O’Brien, Hardboiled America, édition augmentée. New York, Da Capo Press, 1997, p. 126.
  • 19 Comme le dit le personnage d’E. Howard Hunt, citant Joyce, dans The Violent Ones. New York, Gold Me (...)
  • 20 Jim Thompson, The Nothing Man, op. cit., p. 129.

10Comme l’écrit Geoffrey O’Brien du roman hardboiled : « cette machine qui vrombit sans arrêt tend en réalité vers un état zéro de silence, solitude et immobilité. Si l’on retire les tentatrices et les tueurs, il ne nous reste qu’une pièce morne où un homme seul fume beaucoup de cigarettes et vide beaucoup de bouteilles de scotch. »18 Le roman noir des années 1950, c’est avant tout une voix exprimant l’« incurable solitude de l’âme » 19, résonnant dans le décor d’une grande ville anonyme. Telle la voix de « l’homme-néant » de Jim Thompson, journaliste alcoolique, impuissant et nihiliste qui marche mentalement dans un désert sans fin, négatif et quintessence du monde urbain moderne : « Et j’avais des visions d’une terre craquelée en train de dépérir, un désert vaste et vide où un homme mort marchait à travers l’éternité ».20  

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Notes

1 « The Simple Art of Murder » (1944), in Raymond Chandler, Later Novels & Other Writings. New York, Library of America, 1995, p. 991-992. Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de l’auteur de cet article.

2 Au chapitre XIX d’Oliver Twist (1838), Fagin s’enfonce dans « un labyrinthe de rues méchantes et sales (mean and dirty streets) » du côté de Bethnal Green ; l’auteur victorien de fiction réaliste et policière Arthur Morrison reprend l’expression pour le titre de son recueil sur l’East End de Londres, Tales of the Mean Streets (1894).

3 Ross Macdonald, Self Portrait: Ceaselessly into the Past. Santa Barbara, Capra Press, 1981, pp. 115-116.

4 Termes qu’on peut traduire par « arrangeur », « intermédiaire » et « homme clandestin ». Cette dernière expression est le titre d’un des romans de Ross Macdonald (1971), qui opposait ainsi le détective américain démocratique, homme de la foule, au détective supérieur et aristocratique de Conan Doyle ou Dorothy L. Sayers. V. Ross Macdonald, Self Portrait, op. cit., p. 18.

5 Dashiell Hammett, « $106,000 Blood Money » (1927), The Big Knockover. Harmondsworth, Penguin, 1969, p. 414.

6 Raymond Chandler, The Big Sleep (1939). Stories & Early Novels. New York, Library of America, 1995, p. 764

7 V. Errin A. Smith, Hard-Boiled: Working-Class Readers and Pulp Magazines. Philadelphia, Temple University Press, 2000, p. 76.

8 Ross Macdonald à propos de Raymond Chandler, Self Portrait, op. cit., p. 27.

9 Jim Thompson, The Nothing Man. New York, Dell, 1954, p. 114.

10 V. George Orwell, « Raffles and Miss Blandish » (1944), Essays. London, Penguin Classics, 2000, p. 264.

11 Paul Cain, « Ananas » (« Pineapple »), Black Mask, mars 1936. Rééd. Complete Slayers, Lakewood, Centipede Press, 2011, pp. 302-303.

12 I dropped to one knee and fired twice.” John D. Macdonald, « Norbert Davis, an Appreciation », in Norbert Davis, The Adventures of Max Latin. New York, Mysterious Press, 1988, p. 1.

13 Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l’esprit (1903), trad. Jean-Louis Vieillard-Baron. Paris, Payot, 2013, p. 41.

14 Ibid. p. 49.

15 David Goodis, Street of the Lost (1952). New York, Gold Medal, 1957, p. 8.

16 N. R. De Mexico, Madman on a Drum (1944), The Novels of N. R. De Mexico. Shreveport, Ramble House, 2006, p. 141.

17 Littéralement : « Rue des perdus » (traduit en français sous le titre Rue Barbare ou Epaves suivant les éditeurs), « Rue de non-retour » (Sans espoir de retour), « En bas » (Tirez sur le pianiste), « La lune dans le caniveau ».

18 Geoffrey O’Brien, Hardboiled America, édition augmentée. New York, Da Capo Press, 1997, p. 126.

19 Comme le dit le personnage d’E. Howard Hunt, citant Joyce, dans The Violent Ones. New York, Gold Medal, 1950, p. 125.

20 Jim Thompson, The Nothing Man, op. cit., p. 129.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benoît Tadié, « La ville du polar américain : images et expérience »Belphégor [En ligne], 14 | 2016, mis en ligne le 10 octobre 2016, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/belphegor/750 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/belphegor.750

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Auteur

Benoît Tadié

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