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I. Le Moyen Âge fait-il vendre?

Le bestiaire médiévaliste comme produit dérivé

Maud Pérez-Simon

Résumé

Devant le constat de la multiplication des bestiaires médiévalistes dérivant d’univers fictionnels préexistants (romans, films, jeux vidéo, séries), l’autrice s’intéresse à ce qui fait la séduction de ces bestiaires pour les lecteurs et à la manière dont le bestiaire se prête idéalement aux objectifs marketing d’une marque. Un premier élément de réponse est la séduction visuelle de l’ouvrage, lui-même hybride, inspiré de codes visuels liés au manuscrit médiéval mais aussi aux carnets de voyageurs de la période moderne. Le lecteur éprouve aussi une réelle satisfaction à tenir entre les mains un répertoire à prétention exhaustive, véritable somme d’un monde. Parce que les bestiaires se présentent comme des artefacts fictionnels, jouant sur de nombreux effets de matérialité et faisant des lecteurs les héritiers d’un univers dont il faut se saisir, ils sont immersifs et participatifs. Le lecteur se voit investi du lourd – et exaltant – devoir de prendre le relai du chasseur de monstres et du naturaliste auteur du bestiaire. Sur le plan marketing enfin, tout clos qu’il soit, le bestiaire est porteur de nombreuses promesses d’extension qui sont autant d’occasions d’achat pour les fans.

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Texte intégral

  • 1 Je remercie Gabriel Pérez-Simon pour l’aide qu’il m’a apportée dans les recherches documentaires en (...)
  • 2 Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9 septembre 1886, mod (...)
  • 3 George Lucas avec Star Wars (dont le premier opus date de 1977) est le premier à avoir développé l’ (...)
  • 4 La distinction derivative/transformative ne fonctionne pas en français et ne permet pas de préciser (...)
  • 5 Isabelle Peyrat, Caroline Rogliano, cahier pratique « Développer des produits dérivés », dans Danie (...)

1Le Monster Manual de Donjons et Dragons a fait des émules depuis les années 19701. Le phénomène des bestiaires recensant toutes les créatures d’un monde fictionnel donné s’accroît de façon exponentielle depuis les années 2000. Ces inventaires rassemblent les animaux et autres créatures d’œuvres médiévalistes sous forme de catalogue raisonné, dans un format codifié rappelant les bestiaires médiévaux, tels les bestiaires de Harry Potter, Star Wars, L’Épouvanteur, En avant !, Minecraft ou encore Dark Crystal. Parce que ces bestiaires empruntent à un monde fictionnel préexistant et que ce sont des œuvres graphiques créatives, ces bestiaires sont des « œuvres dérivées », correspondant à la définition donnée par la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Les œuvres dérivées impliquent une « transformation, modification ou adaptation qui constitue en elle-même une création originale, œuvre de l’esprit susceptible d’être protégée par le droit d’auteur2 ». Les œuvres dérivées peuvent émaner des propriétaires des droits (derivative work3) ou de fans (transformative work4). Cet article est consacré aux derivative works, et plus particulièrement à la sous-catégorie des « produits dérivés » qui « utilisent la notoriété d’une œuvre originale, d’un patrimoine, d’une marque ou d’un personnage pour une exploitation commerciale5 », et qui se distinguent des goodies, qui s’inscrivent dans une logique purement promotionnelle, sans vocation créative.

2Quelle apparence prennent ces bestiaires à vocation artistique et créative ? Sur le plan formel, ils empruntent à deux registres différents, les bestiaires médiévaux et les carnets de voyageurs. Ces ouvrages arrivent sur le marché en tant que produits dérivés de jeux de rôle, répertoires tirés d’univers fictionnels ou making of de films. Ils suscitent chez le lecteur un plaisir bien particulier, entre la collection et la domination. Par différentes stratégies, comme la mise en abyme du livre, ou l’apparition de la voix du narrateur, le lecteur se voit impliqué dans l’univers suscité par le bestiaire, dont il devient en quelque sorte l’héritier. Cette implication du lecteur joue un rôle majeur dans le succès commercial des bestiaires. Nous verrons pour finir que ces univers expansifs médiévalistes proposent des déclinaisons infinies qui sont des possibilités marketing.

Un concept et une charte graphique hybrides

3Les bestiaires sur lesquels nous nous penchons ici s’inscrivent dans un courant qui se revendique d’inspiration médiévale, mais ils sont hybridés avec une influence ultérieure, celle des carnets de voyage et des carnets d’explorateurs du xviie et du xixe siècle.

  • 6 Physiologos, Le Bestiaire des bestiaires, traduit par Arnaud Zucker, Grenoble, Éditions Jérôme Mill (...)
  • 7 Thomas Cantimpratensis, Liber de natura rerum, versions I-II, édition établie par M. Cipriani, 2022
  • 8 Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rerum, vol. I : Prohemium, Liber I, Liber II, Liber III e (...)
  • 9 Elsa Lonati, « Le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré dans le Speculum maius de Vincent de (...)
  • 10 Albert the Great, On Animals. A Medieval Summa Zoologica, traduit par Kenneth F. Kitchell Jr. et Ir (...)

4Le modèle explicite du bestiaire médiévaliste est le recueil manuscrit compilant différentes catégories d’animaux, de monstres hybrides et de peuples monstrueux, dont l’origine remonte au Physiologos (ier siècle)6 mais qui est souvent rattaché au Moyen Âge car c’est la période où fleurissent ces ouvrages à vocation encyclopédique, notamment aux xiie et xiiie siècles avec le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré7, le De proprietatibus rerum de Barthélemy l’Anglais8, le Speculum naturale de Vincent de Beauvais9 et le De animalibus d’Albert le Grand10, qui incluent tous une section dédiée aux animaux.

  • 11 Philippe de Thaon, Bestiaire, édition établie par Luigina Morini, Paris, Champion, coll. « Classiqu (...)
  • 12 Rémy Cordonnier, L’Iconographie du Bestiaire divin de Guillaume le clerc de Normandie, Turnhout, Br (...)
  • 13 Comme le fait que la consommation de la chair d’autruche est bénéfique pour l’épilepsie tandis que (...)
  • 14 Pour éviter d’être attaqué par un loup, il faut l’apercevoir avant qu’il ne nous aperçoive, ce qui (...)
  • 15 Baudouin Van den Abeele, « Bestiaires encyclopédiques moralisés. Quelques succédanés de Thomas de C (...)
  • 16 Richard de Fournival, Le Bestiaire d’amour, op. cit.
  • 17 Les Monstres des hommes, traduit et édité par Pierre-Olivier Dittmar et Maud Pérez-Simon, Paris, Ho (...)

5Le terme bestiaire apparaît en français avec le Bestiaire de Philippe de Thaon11 (début xiie) et le Bestiaire divin de Guillaume Le Clerc de Normandie12 (vers 1210). Ces ouvrages associent une image et un texte décrivant l’animal, son aspect, ses habitudes et son environnement. Ces descriptions sont fondées sur l’observation ou reconstituées à partir de récits de voyageurs ou de croyances. Le reste du contenu est variable en fonction des objectifs du rédacteur : on peut y trouver des recettes médicales13 ou encore des astuces en cas de confrontation avec l’animal14. Ces très brèves notices se terminent par une lecture allégorique qui propose une interprétation du nom de l’animal, de son aspect ou de son comportement15. Le plus souvent, la lecture allégorique est théologique – le bébé lion qui naît mort et qui ne prend vie qu’au bout de trois jours représente la résurrection du Christ – mais elle peut aussi être amoureuse, comme dans le Bestiaire d’amour16, ou encore politique et sociale comme dans Les Monstres des hommes17. Dans les bestiaires médiévaux, les créatures réelles, quotidiennes ou exotiques, comme les belettes et les éléphants, côtoient la licorne et le phénix, sans distinction en termes de vérité ou de vraisemblance.

  • 18 Armand Strubel, « Le sens de l’écriture et le déchiffrement du monde », dans Michel Zink, Franck Le (...)

6La plupart de ces œuvres donnent lieu, comme le rappelle Armand Strubel, à « des manuscrits somptueusement enluminés, dans lesquels une iconographie approximative ou fantasmagorique augmente encore l’effet d’exotisme et d’émerveillement et, par corollaire, l’effet de vérité18 ».

7Le Bestiaire d’amour de Richard de Fournival date de la fin du xiiie siècle ou du début du xive siècle (Illustration 1).

Illustration 1. Richard de Fournival, Bestiaire d’amour, BnF fr. 1951, fol. 9 ©Bibliothèque nationale de France

8La lecture allégorique qu’il propose est originale car elle n’est plus théologique, elle porte sur le déchiffrement des comportements amoureux. Dans le manuscrit BnF fr. 1951, qui date de la période d’écriture, chaque chapitre s’ouvre sur une miniature de l’animal correspondant. Les bordures et les éléments végétaux qui en émanent sont faits à la feuille d’or, les lettrines dorées sont entourées de fins filigranes à la plume, les couleurs des fonds orfévrés sont vives. Au-delà de sa fonction de repérage visuel dans le texte, l’illustration joue donc le double rôle d’estrangement – par la mise en image d’un monde merveilleux et dépaysant – et de preuve.

9L’influence des bestiaires médiévaux sur les bestiaires contemporains se concrétise par une codification et une parenté formelle autour de quelques principes récurrents (Illustration 2):

  • des articles relativement courts (un animal ou deux animaux par double page) ;

  • une illustration par animal ;

  • un texte donnant les caractéristiques des créatures, leur habitat ;

  • des conseils pour les capturer ou les vaincre ;

  • une mise en page connotant les manuscrits médiévaux : parchemin, lettrines, police de caractères plus ou moins gothique, gloses en marge (parfois sous une forme très moderne, qui n’est qu’un clin d’œil à une pratique ancienne) ;

  • une reliure en faux cuir, estampé, ou écailles de dragon avec éventuellement des pierres semi-précieuses comme ornements ;

    • 19 Titre donné à l’un des bestiaires de Donjons & Dragons, voir infra.
    • 20 Codex de l’Innommable est le titre français du bestiaire du jeu de rôle Cthulhu, paru en 2015 (édit (...)

    le titre enfin peut renvoyer plus ou moins explicitement à cet univers en employant des mots comme bestiaire, compendium19, ou codex20.

Illustration 2. Caractéristiques « médiévales » des bestiaires contemporains. Montage de l’autrice

10Mais les bestiaires médiévalistes contemporains ne tirent pas seulement leur inspiration du Moyen Âge. Ils sont aussi fortement influencés par les carnets d’explorateurs et les carnets de voyages du xviie au xixe siècle, qui présentent eux aussi des créatures plus ou moins étranges et monstrueuses selon des codes graphiques spécifiques. Les carnets d’explorateurs rassemblent des animaux exotiques réels mais presque invraisemblables pour les Occidentaux. Si les naturalistes sont peu connus du grand public, le principe du carnet de naturaliste est immédiatement identifiable visuellement.

  • 21 Huw Lewis-Jones, Kari Herbert, Carnets d’explorateurs, Paris, Paulsen, 2016.

11Philip Georg von Reck (1711-1798) était un noble protestant allemand qui suivit une expédition en Géorgie pour y installer une colonie luthérienne. Il documenta le nouveau monde et est l’un des premiers à avoir rendu compte de la faune et de la flore de cette région ainsi que de la vie des Amérindiens21. L’un de ses carnets de croquis se trouve aujourd’hui au Danemark (Illustration 3).

Illustration 3. Philip Georg Friedrich von Reck, Carnet de voyage (36,5 x 28,8 cm), 1734, Det Kongelige Bibliotek NKS 565 4o, fol. 8r. http://www5.kb.dk/​permalink/​2006/​manus/​22/​eng/​8+recto/​?var= (consulté le 05/10/2024)

12Sur les feuillets à peine jaunis, les animaux et les végétaux sont soigneusement dessinés et aquarellés, montrés sous un angle qui permet d’en faire voir le plus de caractéristiques possible. Les dessins sont légendés de caractères soigneusement tracés à la plume et un paragraphe en bas de page explicite les observations du chercheur.

13Le zoologiste et botaniste d’origine française Constantin Samuel Rafinesque fut un acteur crucial du développement des sciences naturelles américaines au xixe siècle. Au cours de l’année 1818, il se lança dans un périple de quelque 4 000 kilomètres à travers l’Ouest américain, ce qui lui permit d’herboriser et de cataloguer des espèces. Son travail d’inventaire de la biodiversité s’avère colossal : sur les milliers de taxons qu’il décrit (qui concernent aussi bien des mousses que des annélides ou des chauves-souris), pas moins de 160 genres et quelque 300 espèces sont encore tenus pour valides aujourd’hui. Quant à ses écrits, ils avoisinent le millier et ont influencé Darwin. Ses dessins tracés à la plume permettent de restituer les silhouettes plus mobiles des animaux et donnent à ses carnets un aspect « pris sur le vif » (Illustration 4). Le texte vient épouser le contour des animaux. Les pages semblent abîmées par l’humidité ou par des traces de plantes qu’on y aurait fait sécher. Un fermoir en métal vient ajouter à la dimension très matérielle de l’objet.

Illustration 4. Constantin Rafinesque, Carnet de voyage, vers 1818, © Smithsonian Institution Archives (http://siarchives.si.edu/​). Image #SIA2012-6095

  • 22 Charles Darwin, Le Voyage du Beagle. L’édition illustrée du carnet de voyage et du journal de bord, (...)
  • 23 L’influence de Leonard de Vinci est manifeste dans la bande dessinée Lanfeust de Christophe Arlesto (...)

14Parmi les carnets de voyageurs les plus connus, on peut citer les carnets de Darwin lui-même, dessinés quand il a accompagné en tant que naturaliste l’expédition du Beagle en 1831, et qui lui ont valu une première et véritable reconnaissance auprès des scientifiques britanniques22. Évoquons enfin deux modèles de carnets qui, s’ils n’appartenaient pas à des naturalistes, n’en ont pas moins définitivement influencé notre horizon d’attente en termes de carnets de notes et de carnets de voyage : les carnets de Léonard de Vinci qui associent un trait au dessin et des annotations d’une graphie cursive serrée qui se superposent parfois aux croquis23, et les carnets du voyage au Maroc de Delacroix, aux aquarelles lumineuses scrupuleusement légendées.

15La charte graphique de nombreux bestiaires contemporains est fortement marquée par le souvenir de ces documents qui allient à la rigueur scientifique l’aura romanesque des premiers découvreurs. Les caractéristiques formelles en sont les suivantes (Illustration 5) :

  • des feuilles de papier jaunies, pliées, tâchées, etc. ;

  • des dessins à la plume ou aquarellés ;

  • un rapport texte-image étroit ;

  • des annotations brèves en écriture cursive ;

  • parfois des collages d’échantillons à même la page.

Illustration 5. Caractéristiques visuelles des bestiaires les apparentant à des carnets de naturalistes. Montage de l’autrice

16Les deux modèles, les bestiaires médiévaux et les carnets de voyages des naturalistes, se fondent en un objet typiquement médiévaliste, qui mélange les codes avec homogénéité : en résulte un produit hybride, définissant un genre propre, reconnaissable par les lecteurs et suscitant un horizon d’attente bien spécifique.

Les bestiaires : produits dérivés

17Les produits dérivés émergent d’univers qui ont rencontré des succès commerciaux dont ils ont vocation à exploiter la matière. Ils répondent à une attente de fans et, sur le plan marketing, profitent du succès de l’œuvre primaire. On peut caractériser les bestiaires en fonction du lien qu’ils entretiennent avec l’univers primaire dont ils sont le produit dérivé. Il peut s’agir d’une extension, d’un répertoire à vocation totalisante, ou d’un reportage sur le making of.

Les extensions de jeux de rôle

18Les bestiaires contemporains médiévalistes ont pour origine le jeu de rôle Donjons et Dragons en 1974. Ils rassemblent des créatures monstrueuses plutôt que des animaux réalistes. La question de la vérité de ces monstres ne se pose pas car leur existence est bien établie dans l’univers auquel ils sont rattachés. Le premier coffret de Donjons et Dragons ne comportait pas de manuel des monstres séparé mais fournissait des listes de monstres dans un des livrets inclus, intitulé Monstres et Trésors. Le premier bestiaire, Monster Manual, apparaît trois ans plus tard, en 1977, et est conçu comme une aide au jeu (Illustration 6).

Illustration 6. Monster manual, couverture, 1979 (4e édition)

19Il offre au Maître du donjon de quoi nourrir son imagination et ses mondes, peupler ses aventures avec des monstres prêts à l’emploi, lesquels sont présentés avec une brève description de leurs habitudes et de leur habitat ainsi qu’une image, et avec des statistiques de combat déjà calculées pour être équilibrées entre les créatures sur l’ensemble du jeu. Le Monster Manual est rapidement apparu comme contribuant à renouveler les techniques de jeu et s’est révélé incontournable. Don Turnbull, journaliste, éditeur, et game designer, qui a fait beaucoup pour introduire le jeu en Grande Bretagne affirme dès 1978 :

  • 24 Tactical Studies Rules. Maison d’édition fondée par Gary Gygax pour commercialiser Donjons et Drago (...)
  • 25 « I can do no more than heap high praise on the Monster Manual. If every DM Dungeon Master and ev (...)

Je ne peux que faire l'éloge du Manuel des Monstres. Si tous les DM [Dungeon Master] et tous les joueurs ne l'achetaient pas, j'en serais très surpris. C'est sans aucun doute la meilleure chose que TSR24 ait produite jusqu'à présent25.

  • 26 Jean-Christophe Piot, « Donjons & Dragons ou la nouvelle jeunesse des monstres anciens », dans Hélè (...)

20L’achat du livre s’impose donc pour les joueurs, au même titre que celui du Player’s Handbook et du Dungeon’s Master Guide. Ce premier bestiaire connaît quinze tirages jusqu’en 1989. Un deuxième Monster Manual est publié en 1983, puis chaque nouvelle version de Donjons et Dragons est accompagnée de mises à jour ou de nouvelles éditions (2000, 2004, 2006, 2009, 2015)26.

21Le journaliste David M. Ewalt insiste sur l’importance prise par l’objet-livre que représente le bestiaire de Donjons et Dragons, en tant qu’aide de jeu mais aussi comme objet fétiche accompagnant les joueurs :

  • 27 « The Monster Manual succeeded not just as a game supplement but by elevating the D&D rule book to (...)

Le Manuel des Monstres a réussi non seulement en tant que supplément de jeu, mais aussi en élevant le livre de règles de D&D au rang d'objet fétiche. [...] Le livre est devenu le compagnon bien-aimé d'une génération de joueurs, un ouvrage auquel ils revenaient sans cesse27.

22La publication du Monster Manual coïncide avec l’époque du développement commercial du jeu de rôle. Le modèle en a ainsi été repris pour tous les jeux de rôle, comme Pathfinder par exemple, qui est à l’origine une extension de Donjons et Dragons, et qui prend son autonomie à partir de 2007. Son premier bestiaire est publié en 2009, les cinq suivants en huit ans, jusqu’au Pathfinder Bestiary 6 en 2017, à quoi il faut ajouter le Monster Codex paru en 2014 et le Bonus Bestiary (date non renseignée), les rééditions des volumes et la sortie en format poche.

23Dans le domaine des jeux de rôle, le bestiaire est donc une manne.

Les répertoires tirés d’univers fictionnels

  • 28 Newt Scamander (Fantastic Beasts and Where to Find Them, Scholastic, 2001), Les Animaux fantastique (...)
  • 29 Le « beau livre » est un livre généralement de grand format, avec des illustrations de grande taill (...)
  • 30 Newt Scamander, Fantastic Beasts and Where to Find Them (2001), New York, Arthur A. Levine Books, r (...)

24Nombreux sont les bestiaires qui se présentent comme la synthèse en images des créatures d’un monde. Le plus connu est sans doute le bestiaire de Harry Potter, Les Animaux fantastiques. Vie et habitat (J. K. Rowling, 2001), censé avoir été écrit par Norbert Dragonneau, célèbre magizoologiste, ancien élève de Poudlard ayant parcouru le monde au début du xxe siècle pour étudier et répertorier les animaux fantastiques. Son bestiaire rassemble 90 créatures par ordre alphabétique, qui font l’objet d’un classement en fonction de leur dangerosité. L’ouvrage, initialement publié en livre de poche à couverture souple28, se métamorphose au fil des rééditions jusqu’à devenir un beau livre29 avec les superbes illustrations de Olivia Lomenech Gill (2017)30 (Illustrations 7 et 8).

Illustration 7. Mise en page de la première édition des Animaux fantastiques. Vie et habitat, très similaire à la première version anglophone (2001), illustrée de dessins de J. K. Rowling

Illustration 8. Double page extraite de la version illustrée de Newt Scamander, Fantastic Beasts and Where to Find Them, avec les dessins de Olivia Lomenech Gill (2017)

  • 31 Joseph Delanay, Le Bestiaire de l’Épouvanteur (The Spook’s Bestiary. A Guidebook to the Creatures F (...)

25Un roman sériel comme L’Épouvanteur de Joseph Delaney (The Wardstone Chronicles) publié en 16 tomes, de 2004 à 2014, voit paraître son bestiaire en 201031 (Illustration 9). Il recense les différentes créatures par catégories : gobelins, anciens dieux, sorcières, mages, morts sans repos, créatures aquatiques..., le tout entrecoupé de conseils pour les neutraliser, de récits d’affrontements avec les créatures et de typologies. Des dessins en noir et blanc ponctuent les pages de manière irrégulière.

Illustration 9. Gobelin velu et Frappeurs. Le Bestiaire de l’Épouvanteur, 2013

  • 32 Mojang AB, Minecraft, The Mobestiary, Random House, Del Rey, 2017.

26Il n’y a pas que les romans qui donnent lieu à des bestiaires. Des univers fictionnels issus d’autres supports médiatiques les voient aussi proliférer. Pensons à The Mob-bestiary32 (2017), le bestiaire du jeu vidéo Minecraft (sorti en 2011), qui classe les animaux et les peuples (ghast, araignée, enderman, loup, creeper, chauve-souris) en fonction de leur degré d’agressivité et de domestication (Illustration 10).

Illustration 10. Les chauves-souris de Minecraft. Le contraste est intéressant entre le caractère pixelisé de la créature et l’impression de croquis « pris sur le vif ». The Mobestiary, 2017

  • 33 Adam Cesare, Jim Henson’s The Dark Crystal Bestiary. The Definitive Guide to the Creatures of Thra, (...)

27Les notices sont assez développées et les schémas sont annotés. Dark Crystal Bestiary. The Definitive Guide to the Creatures of Thra33 (2020) recense les différents peuples et créatures de l’univers de Dark Crystal. La disposition en double page permet notamment d’opposer les vils Skeksès aux Mystics, puis adopte une logique plus linéaire pour proposer un catalogue de créatures comme les Sidetic, Scrummuncher, Arduff, Tumbleloth dont sont détaillées l’hybridité, les habitudes (les Tumbleloth ont tendance à voler les objets précieux), et les relations avec la civilisation Gelfling (par exemple leur conflit latent avec les Arduff) (Illustration 11).

Illustration 11. Tumbleloth et Arduff. La mise en page est inspirée des carnets de croquis et l’ordre des créatures est motivé par le fait que les créatures de la page de droite sont les prédateurs de celles de la page de gauche. Jim Henson’s The Dark Crystal Bestiary. The Definitive Guide to the Creatures of Thra (2020)

28Même si le film date de 1982, le bestiaire date de 2020 parce qu’il a profité de la reprise de la franchise et du développement de l’univers sous forme de série télévisée en 2019.

29S’il n’est pas systématique, le bestiaire devient un produit réflexe depuis les années 2010 pour un certain nombre de franchises commerciales. Le mouvement est enclenché.

Les making of

30Les making of de film sont moins spontanément reliés au monde des bestiaires, pourtant le choix de s’intéresser plus particulièrement aux créatures de ces univers, et la mise en page de certains d’entre eux, les y rattachent très explicitement.

  • 34 Terryl Whitlatch et Bob Carrau, The Wildlife of Star Wars, A Field Guide, Lucas Books, San Francisc (...)
  • 35 Jody Revenson, Harry Potter, The Creature Vault, Harper, 2014.

31Le lecteur est plongé dans la conception des monstres en amont du film. C’est dans cet esprit qu’ont été conçus The Wildlife of Star Wars. A Field Guide en 200134 et Harry Potter. The Creature Vault en 201435. Le premier est dessiné par Terryl Whitlatch, l’illustratrice de formation biologiste et entomologiste qui réalise les concept arts pour la sortie en édition spéciale de la trilogie originale et pour le film Star Wars. La menace fantôme (Illustration 12).

Illustration 12. Deux espèces du monde de Star Wars, présentées sous forme de planche anatomique. Dessins par Terry Whitlatch (2001). Disponible sur : https://archive.org/​details/​TheWildlifeOfStarWars/​page/​n5/​mode/​2up (consulté le 05/10/2024)

32Le second puise dans les archives de la Warner Bros et compile concept arts, photos de tournage et secrets de confection des monstres (Illustration 13).

Illustration 13. Lutin de Cornouailles, Jody Revenson, Harry Potter, Le grand livre des créatures, Huggin & Muninn, Paris-San Francisco, 2014 (version française de Jody Revenson, Harry Potter, The Creature Vault, Harper, 2014), p. 82-83

33On y découvre que pour chaque créature, parfois aussi en fonction des scènes et des cadrages, des choix différents ont été faits : animaux dressés, marionnettes, maquettes en silicone, animatroniques, animaux réels filmés puis retouchés par ordinateur ou conception entièrement numérique... Grâce à ces livres, le lecteur a ainsi l’impression d’être un initié.

Entre collection et domination

34Nous sommes maintenant en mesure de synthétiser ce qui fait le succès du bestiaire, devenu un objet commercial prisé. Joue tout d’abord son aspect esthétique. L’objet médiévaliste séduit par ses dessins à la plume ou aquarellés, ses lettrines et sa calligraphie. L’inventivité visuelle dans la représentation des monstres permet un effet de variation infini. Les mises en page sont créatives. Les bestiaires sont souvent considérés comme des beaux livres, du concept art : ils sont recherchés par les fans pour leurs qualités graphiques et pour devenir des objets de collection, constitués eux-mêmes d’une collection de créatures.

  • 36 « Son contenu plaisant et sa forme propice à la mémorisation, associant un texte souvent rédigé en (...)
  • 37 Norbert Dragonneau, Les Animaux fantastiques, op. cit., p. 75.
  • 38 Joseph Delanay, Le Bestiaire de l’Épouvanteur, op. cit., p. 39-40.

35Dans la lignée des bestiaires médiévaux, les bestiaires ont aussi plusieurs aspects pratiques : présentés sous la forme de courtes notices, ils sont faciles à consulter et le lien texte-image favorise la mémorisation36. Les bestiaires des jeux de rôle fournissent au joueur une liste de monstres avec un tableau donnant pour chaque animal le nombre de points de force, de vie, de résistance. Ils aident les Maîtres du donjon à concevoir et à nourrir leur scénario, et les joueurs à prendre des décisions. Les bestiaires contiennent aussi de nombreuses indications pour ceux qui doivent chasser les monstres ou les utiliser dans des recettes. On apprend dans Les Animaux fantastiques. Vie et habitat que « [l]es plumes de Jobarbille sont utilisées dans la fabrication des sérums de vérité et des potions de mémoire37 » et dans le Bestiaire de l’Épouvanteur comment il faut procéder pour entraver un gobelin38. Le joueur comme le lecteur peuvent se projeter dans un monde où l’animal est intégré à leur réalité, sous un angle réaliste et matériel.

  • 39 Ibid.

36Les bestiaires apportent encore la satisfaction d’un monde totalisant. Compilations à ambition encyclopédique, ils ont vocation à « rassembler en une seule œuvre les sources qui font autorité sur le monde animal39 ». Ils sont le fruit d’une volonté de saisir le monde dans la complexité et la diversité de ses occurrences. Ils l’étaient déjà au Moyen Âge puisque, au xiie et au xiiie siècle, ils s’inscrivaient dans le grand courant encyclopédique qui a vu naître de vastes sommes comme l’œuvre philosophique et scientifique de Roger Bacon – Opus minus (1265), Opus majus (1268), Opus tertium (1270) – ou la plus considérable encyclopédie du monde occidental jusqu’au xviiie siècle, le Speculum maius, rédigé entre 1246 et 1259 par Vincent de Beauvais pour Saint Louis, et qui comprend des sommes sur l’histoire naturelle (Speculum naturale), les sciences (Speculum doctrinale), l’histoire (Speculum historiale) et la morale (Speculum morale). Le tout en 80 livres et presque 10 000 chapitres (9 885). Le possesseur du bestiaire ressent ainsi la satisfaction du collectionneur assouvi, qui a pu rassembler en un même endroit les éléments diffus d’un monde vaste et insondable.

37Si les bestiaires médiévaux avaient pour vocation de recenser l’existant, le monde connu, les carnets de naturaliste recensent un monde en cours de découverte. Ils fonctionnent sur un mode inchoatif, c’est-à-dire qu’ils se font au fur et à mesure des découvertes. Le lecteur moderne peut avoir ce double usage du bestiaire médiévaliste. S’il le considère comme un tout déjà constitué, comme une encyclopédie à consulter pour en savoir davantage, il a alors la satisfaction (tout à fait illusoire puisque d’autres bestiaires vont bientôt paraître) de pouvoir appréhender un monde dans sa totalité – de manière compréhensive –, de le « saisir » par les mains et par l’esprit, en une seule fois. Mais dans la progression de l’acte de lecture, il peut aussi mimer une découverte personnelle, au fur et à mesure d’un jeu ou de sa progression narrative.

  • 40 Pierre-Olivier Dittmar, « Le seigneur des animaux entre pecus et bestia. Les animalités paradisiaqu (...)

38Enfin, la classification se fait par la nomination, voie pour l’appropriation. Dans les bestiaires contemporains, les noms font l’objet d’une attention particulière puisqu’ils sont aussi exotiques que les monstres auxquels ils renvoient. Ils font l’objet d’une véritable inventivité lexicale : Nimbanels dans Star Wars, Horglups chez Harry Potter, Sidetic dans Dark Crystal… Dans L’Épouvanteur, ce sont les prénoms des sorcières qui éveillent un exotisme celtique : Kernolde, Grimalkin, Wurmalde, Demdike… Nommer, c’est connaître, appréhender. C’est aussi posséder. Pierre-Olivier Dittmar fait le lien entre les bestiaires médiévaux et le geste par lequel Adam nomme les animaux du Paradis et s’en rend ainsi maître : « Dans cette scène, Dieu fait d’Adam non seulement le gardien du jardin d’Eden, mais aussi un second créateur, capable au moins de repérer et d’avaliser l’ordre du monde40. » Nommer, c’est dominer.

  • 41 Augustin, De genesi contra manichaeos, II, XI, 16, p. 230.

39Dans la Genèse (2, 19), le verbe utilisé n’est pas nominare mais vocare (ut videret quid vocare ea). Adam appelle à lui les animaux en même temps qu’il leur donne un nom ; les bêtes se soumettent à l’appel de l’homme, ce qui prouve l’emprise de l’homme sur l’animal comme le souligne Saint Augustin41. Par l’appellation, « Adam exerce sa seignorie en Eden », il hiérarchise le monde en montrant combien il est supérieur. Or, par l’écriture du bestiaire, l’auteur reproduit le geste d’Adam, totalisant un monde, le nommant et en prenant possession :

  • 42 Pierre-Olivier Dittmar, « L’animal, l’humain et les images », dans Jérôme Baschet, Pierre-Olivier D (...)

Les ressemblances entre les catégorisations de la Création et celles induites par le vocabulaire du premier homme attestent de la justesse de la nomination adamique. Cette adéquation est cruciale pour légitimer un ouvrage comme le bestiaire : le vocabulaire des humains servant à décrire la faune se trouve ainsi comparé au verbe divin et devient une voie d’accès à la connaissance42.

40Par rebond, le lecteur se voit livrer les clés de ce monde :

  • 43 Ibid.

C’est désormais le lecteur du manuscrit qui se trouve invité, comme le premier homme, à reconnaître et nommer les différentes créatures réparties dans les petites cases face à lui. Manière insigne de signifier que la lecture d’une encyclopédie médiévale n’a pas seulement pour vocation de délecter le lecteur, mais aussi d’inviter ce dernier à convertir son regard43.

  • 44 Je remercie Florian Besson pour cette remarque pertinente.

41Il nous semble que c’est précisément là que se joue le rôle du bestiaire contemporain adossé à un univers fictionnel préexistant. Il fait un recensement à vocation exhaustive de toutes les créatures de ce monde, les énumère et en donne les clefs à son lecteur, qui peut ensuite, notamment dans les bestiaires de jeux de rôle, se les approprier et interagir avec elles. Dans le monde des Pokémons, l’analogie est encore plus pertinente. L’objectif du jeu est précisément : « attrapez-les tous », pour constituer un bestiaire, une collection la plus complète possible, qui porte le nom de Pokédex. Et la domination passe par la nomination (vocare) puisque le héros nomme l’animal au moment de le lancer au combat : « Pikachu, à l’attaque44. »

Impliquer le lecteur

  • 45 Entre la sortie du tome 4 (La Coupe de feu, 2000) et celle du tome 5 (L’Ordre du Phénix, 2003).
  • 46 Sur la quatrième de couverture de l’édition française mise à jour en 2020, on lit encore : « Les dr (...)

42Une caractéristique des bestiaires connaît une expansion plus importante. Il s’agit du bestiaire comme matérialisation d’un objet intradiégétique, un livre jouant un rôle dans le récit, utilisé par les héros. Ainsi le bestiaire de Harry Potter, Les Animaux fantastiques. Vie et habitat, est censé être une reproduction du manuel utilisé par les élèves dans Harry Potter à l’école des sorciers (1997). La première édition étant sortie en 2001, la même année que le film adapté de ce volume, elle s’appuie donc sur le succès commercial anticipé du film, lui-même assuré par les ventes colossales des quatre premiers tomes du livre45. Le succès de ce produit dérivé est garanti dès sa sortie, au point qu’il est d’abord conçu comme une source d’argent à vocation caritative46. Le produit des ventes de la première édition est prévu pour être reversé à Comic Relief, association fondée en 1985 par un groupe de comédiens britanniques pour lutter en faveur de la justice sociale et contre la pauvreté, et Lumo, association fondée par J. K. Rowling pour aider les orphelins.

43Le livre connaît une telle réussite commerciale qu’il multiplie les rééditions (2001, 2009, 2013, 2017) jusqu’à susciter ses propres produits dérivés, puisque le bestiaire engendre à son tour une série de films, Les Animaux fantastiques, à partir de 2016, qui retracent la vie de l’auteur Norbert Dragonneau. Grâce à ce bestiaire, les lecteurs ont l’impression d’être sur les bancs de Poudlard aux côtés de leurs héros, et de suivre les cours de magie. L’impression est encore renforcée par le fait que la première édition est annotée par Harry et ses amis, ce qui joue autant sur les souvenirs scolaires (les agendas annotés par les copains et copines) que sur l’image du manuscrit médiéval enrichi de gloses marginales (Illustration 14).

Illustration 14. Annotations dans le manuel de Harry Potter (2001), censées être de la main des jeunes héros

  • 47 Disney-Pixar, En avant. Les quêtes de Yore par Barley et Ian, Vanves, Hachette jeunesse, 2020.

44De même, Les Quêtes de Yore, le livre tiré du film de Pixar-Disney En avant ! (2020), édité et commercialisé de manière concomitante au film, est censé être la réplique fidèle du manuel de magie des deux jeunes héros elfes, Barley et Ian, qui les guide tout au long de leurs aventures dans leur quête pour retrouver leur père47. Il contient un bestiaire et un manuel de jeu de rôle. Il existe un fort lien narratif entre l’intrigue du fim et le produit dérivé car le grand frère est un fan de jeu de rôle. Le livre tire sa saveur de ce lien direct avec le récit du film, puisque l’on peut y suivre le fil de l’intrigue au gré des annotations faites par les adolescents (Illustration 15). Les lecteurs sont inclus dans la belle complicité qui se forme progressivement entre les frères.

Illustration 15. Annotations dans le grimoire de quêtes et de magie de Barley (2020)

  • 48 « My guide to creatures of the dark : notes, tales and lessons on how to contain them – and how to (...)
  • 49 Joseph Delaney, Le Bestiaire de l’Épouvanteur, op. cit., p. 9.
  • 50 Joseph Delaney, Le Bestiaire de l’Épouvanteur, op. cit., conclusion, p. 239.
  • 51 « Un objet sémiotique […] dont l’énonciation, voire la fabrication, présuppose un univers de référe (...)
  • 52 Anne Besson décrit bien le rôle joué par le livre dans les constructions de mondes fictionnels alte (...)

45Dans une logique proche, Le Bestiaire de l’Épouvanteur est censé avoir été écrit par l’Épouvanteur lui-même, John Gregory. Sur la couverture de l’édition anglaise, le sous-titre est le suivant : « Mon guide des créatures de l'ombre : notes, récits et leçons sur la façon de les contenir – et de survivre48 ». Dans la version française, on lit dans l’introduction que ce bestiaire est son « répertoire personnel des êtres de l’obscur qu’il a pu rencontrer, augmenté des enseignements tirés de ses erreurs49 ». L’existence de ce livre est dramatisée par le fait que toute la bibliothèque de John Gregory a brûlé et que tous les ouvrages rédigés par les générations successives de ses prédécesseurs ont disparu. L’Épouvanteur est écrasé par le poids de la responsabilité car il a failli à son rôle de gardien. Son bestiaire « est le seul rescapé » et il « sera le premier à être replacé sur les étagères50 ». De tels bestiaires sont un puissant ressort de la fantasy. Ils constituent ce que Richard Saint-Gelais appelle des « artefacts fictionnels51 », ici non narratifs, à savoir des cartes, ouvrages encyclopédiques, carnets, croquis, lexiques qui documentent un monde fictionnel dont ils sont inspirés et duquel ils semblent issus. La matérialité de ces artefacts atteste de la réalité de ce monde et nous permet d’y participer du seul fait de les tenir entre nos mains52.

46C’est pour cette raison que la mise en page de cet objet médiévaliste qu’est le bestiaire-carnet de voyage implique une multiplication des effets de matérialité : papier déchiré dans les coins, moucherons écrasées entre les pages, taches d’encre, changement de graphie entre les différentes annotations, articles déchirés insérés entre les pages ou photos scotchées, qui amplifient le sentiment d’immersion des lecteurs (Illustration 16).

Illustration 16. Matérialité des bestiaires médiévalistes. Montage de l’autrice

47Le livre est vieilli par l’usage, écrin d’un savoir ancestral dont ces derniers sont les dépositaires. La responsabilité est immense, l’honneur également. La fiction de la transmission est accentuée par les nombreuses lettres manuscrites qui ouvrent les volumes, écrites par un sorcier, par le Maître Épouvanteur, par le père de Ian et Barley (qui était lui-même un magicien), par le naturaliste qui a recensé les créatures de Minecraft ou par Norbert Dragonneau (Illustration 17), qui tous témoignent de leur expérience et surtout investissent le lecteur d’une mission.

Illustration 17. Lettres manuscrites à l’orée des bestiaires médiévalistes. Montage de l’autrice

  • 53 « It is my fondest hope that a new generation of witches and wizards will find in its pages fresh r (...)
  • 54 « I leave you with my life’s work […]. I shall be thinking of you […] as my book helps you achieve (...)
  • 55 On peut dire que le Pokédex fonctionne sur le même principe. Censé avoir été inventé par le profess (...)

48Celui-ci se retrouve dépositaire d’un savoir rare et précieux, qu’il a pour mission d’apprendre, d’enrichir et de perpétuer. À cette condition, il pourra faire partie d’une communauté exclusive, élue, détentrice d’un savoir ancestral, et il pourra partir pour sa propre quête, ses propres aventures : « J'espère sincèrement qu'une nouvelle génération de sorcières et de magiciens trouvera dans ces pages de nouvelles raisons d'aimer et de protéger les bêtes incroyables avec lesquelles nous partageons la magie53 » écrit Newt Scamender. « Je vous laisse l'œuvre de ma vie [...]. Je penserai à vous [...] pour que mon livre vous aide à atteindre la gloire la plus haute54 », signe le « Naturaliste » de Minecraft. « Puisse ce bestiaire s’enrichir grâce aux épouvanteurs qui marcheront sur mes traces ! » écrit, quant à lui, John Gregory. Le bestiaire a un effet Jumanji : il propulse les lecteurs au cœur de la narration, dont ils deviennent les héros55.

49Non seulement le lecteur a entre les mains la synthèse d’un monde imaginaire dans un format qui se veut exhaustif et explicatif, mais il peut et surtout il a le devoir d’y participer. Extraits de la narration, les bestiaires reportent sur les acheteurs le pouvoir de la fiction, dont ces derniers deviennent acteurs, par le pouvoir transitionnel de l’objet-livre.

  • 56 Nina Hess, A Practical Guide to Monsters, Washington, Mirrorstone, 2007.
  • 57 « I expect you to read it and learn well. Only then will you be prepared to take on the robes of a (...)
  • 58 Le livre rassemble deux extensions précédentes du livre des monstres : Volo’s Guide to Monsters (20 (...)

50L’aspect de transmission était déjà présent dans un bestiaire abrégé de Donjons et Dragons, A Practical Guide to Monsters56 (2007), qui commence par une lettre écrite par l’archimage Zendric : « J'attends de toi que tu le lises et que tu l'apprennes bien. Ce n'est qu'à cette condition que tu seras prêt à endosser la robe d'un vrai sorcier et à te défendre dans une quête qui t'est propre57 ». Le détour par un artefact fictionnel a été généralisé récemment pour le nouveau triptyque qui vient renouveler et remplacer les trois livres de base vendus en coffret (Player’s Handbook, Dungeon Master’s Guide et Monster Manual) qui formaient depuis la fin des années 1970 un tout cohérent, autonome et suffisant pour accompagner les joueurs dans leurs aventures. Entre 2017 et 2022 sont sortis Xanathar’s Guide to Everything (2017), Tasha’s Cauldron of Everything (2020) et Mordenkaïnen Presents : Monsters of the Multiverse58 (2022). Chacun de ces livres est maintenant censé avoir été écrit par des personnages de l’univers de Donjons & Dragons. Xanathar, lui-même un monstre, est un tyrannœil chef d’un gang de bandits. Tasha, reine des sorcières, est la fille de Baba Yaga et Mordenkaïnen est un grand sorcier, ami de Tasha et explorateur du multivers ; il est surtout l’incarnation dans le jeu de Gary Gygax, le créateur de Donjons et Dragons, puisqu’il s’agit du personnage qu’il s’était choisi. La mise en abyme devient vertigineuse.

  • 59 Mordenkaïnen est connu dans le Player’s Handbook par les noms de trois sorts : « chien de garde de (...)
  • 60 Donjons et Dragons. Le Chaudron des merveilles de Tasha, s. l., Wizards of the Coast, 2021, p. 5.

51Ces trois nouveaux livres reposent sur une attente des fans mais répondent évidemment à une stratégie marketing de duplication du set essentiel. Le fait qu’ils soient censés tous les trois avoir été écrits par des personnages59 de Donjons et Dragons déjà connus par ailleurs contribue à les rendre immersifs. Tasha’s Cauldron of Everything commence par une lettre de Tasha : « C’est pour vous, chères lectrices, chers lecteurs, que je lève le voile de la réalité. Armez-vous de courage, osez un coup d’œil60 » – et Xanathar’s Guide to Everything est émaillé de commentaires de Mordenkaïnen et de Tasha. Ces ouvrages mettent sous les yeux des lecteurs un monde fantasmé, rempli de créatures qui fascinent par leur laideur, intriguent par leur morphologie, éblouissent par leur exotisme chatoyant. Ils sont participatifs puisque les lecteurs ont dans les mains un livre écrit par un des personnages dont ils suivent les aventures. Le degré d’implication induit est la garantie du succès du produit dérivé auprès de son public.

L’éclatement et le réagencement du bestiaire

  • 61 « Ya que un monstruo no es otra cosa que una combinación de elementos de seres reales y que las pos (...)

52Le bestiaire se prête idéalement aux objectifs marketing par son principe de non-clôture. Un bestiaire offre toujours de nouvelles possibilités d’expansion par variation. Borges souligne les inépuisables possibilités de la combinatoire présidant à la confection de monstres : « Un monstre n’est pas autre chose qu’une combinaison d’éléments d’êtres réels et les possibilités de l’art combinatoire frisent l’infini61. »

  • 62 Anne Besson, « Matérialisation et immatériel : livres et world building », art. cit.

53Dans son article sur le rôle du livre dans le world building, Anne Besson souligne le fait que les livres, contrairement aux sites de fans et aux wikis, demeurent « concrètement clos ». Il est vrai que parce qu’ils matérialisent un univers, ils le « referment sur lui-même62 ». C’est pourquoi la promesse d’ouverture, amorcée par le principe de compilation des bestiaires, trouve à se réaliser autrement.

54En 1989, pour la deuxième édition de Advanced Dungeons & Dragons, paraît le Monstrous Compendium. Il s’agit d’un classeur de feuilles volantes proposant les monstres principaux du jeu et des monstres associés à chaque campagne. Le format ne s’est pas révélé pratique et le Compendium a par la suite été édité sous forme de livre, mais c’était une première tentative de garder un principe d’ouverture. Le Fiend folio (le « folio des monstres ») représente un autre principe d’ouverture. L’ouvrage est né en Grande Bretagne à la suite d’une initiative du magazine White Dwarf : les lecteurs et les joueurs étaient invités à soumettre leurs idées de monstres à la « Fiend factory » (l’« usine de monstres ») et les plus réussis ont été compilés en un ouvrage, vendu en 1981 (Illustration 18). C’était une façon, dès les origines, de montrer que la liste des monstres était ouverte et que les joueurs pouvaient y contribuer. L’ouvrage a connu ensuite plusieurs rééditions et remaniements.

Illustration 18. Fiend Factory (1981)

  • 63 Michel Pastoureau, Les Animaux célèbres, Paris, Arlea, 2008 ; Le Cochon. Histoire d’un cousin mal a (...)

55Le bestiaire est donc extensible et peut aussi donner lieu à la circulation d’unités autonomes. Que l’on pense par exemple à l’immense succès de librairie des ouvrages de Michel Pastoureau63, dont le thème est déclinable et exploitable à grande échelle en vue de constituer un méta-bestiaire qui n’aurait d’existence que dans la bibliothèque de ses lecteurs.

56Dans le secteur de la littérature jeunesse, on peut penser à Beast Quest, qui a commencé à paraître en 2007 et qui comporte désormais une centaine de livres, rédigés par un collectif d’auteurs sous le nom d’Adam Blade. Chaque livre porte sur un animal imaginaire différent que les héros doivent sauver. Les possibilités de ce concept, en termes marketing, sont exponentielles.

  • 64 Le jeu comporte 396 cartes et est édité par Panini.
  • 65 Jeu créé par Richard Garfield et édité à partir de 1993 par Wizards of the Coast.
  • 66 Les cartes peuvent aussi représenter des terrains, des objets, des personnages.
  • 67 Une base de données a été conçue pour rechercher les cartes : « Gatherer », Magic. The Gatherine [E (...)
  • 68 La carte la plus chère n’est pas un animal. Pensée sur le modèle de l’anneau unique à la suite d’un (...)

57Un angle marketing capital pour les bestiaires est donc leur potentiel éclatement. Cet angle est exploité aujourd’hui par les différents jeux de cartes comme Fantasy Riders64 ou Magic. The Gathering65. Chaque carte documentant une créature66 correspond à une fiche de bestiaire miniaturisée avec une illustration, un texte bref donnant les caractéristiques de la créature et ses points de vie et de force. Ces cartes peuvent être classées par famille, par univers, par évolution individuelle, par compétences. Il s’agit là de la logique de vente poussée à son maximum. Pour Magic. The Gathering, entre 600 et 1000 cartes sont produites chaque année. Certaines font l’objet de partenariats avec d’autres franchises dont elles sont autant de produits dérivés, comme Transformers, My Little Pony, The Walking Dead, Marvel, etc. Le nombre de cartes Magic. The Gathering atteint aujourd’hui environ 23 000, mais comme certaines ont été redessinées, il existe en réalité environ 50 000 cartes différentes67, qui donnent lieu à des spéculations vertigineuses68. À leur tour, les cartes ont donné lieu à une production de livres les recensant, d’art books, etc.

58Quel bénéfice l’acheteur trouve-t-il dans cette ultime métamorphose du bestiaire ? Il peut créer son propre monde par un système combinatoire. Le jeu pousse la logique démiurgique plus loin. Le lecteur est un Adam qui pourrait désormais réagencer le monde à volonté (Illustration 19).

Illustration 19. Cartes Fantasy Riders organisées dans un classeur par un collectionneur

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Notes

1 Je remercie Gabriel Pérez-Simon pour l’aide qu’il m’a apportée dans les recherches documentaires en préparation de cet article.

2 Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9 septembre 1886, modifiée le 28 septembre 1979, art. 2.3. : « Œuvres dérivées ».

3 George Lucas avec Star Wars (dont le premier opus date de 1977) est le premier à avoir développé l’usage et fait connaitre l’intérêt des produits dérivés. Il a passé de nombreux contrats pour ses figurines, jeux vidéo, jeux de rôle, bandes dessinées, romans, bandes originales. Pokémon serait la première œuvre (ici un jeu vidéo, sorti en 1996) à les avoir pleinement intégrés au cœur de la fiction (le Pokedex) et à avoir organisé une sortie coordonnée de produits dérivés : jeu de cartes à collectionner (1996), série animée (1997) et long métrage d’animation (1998).

4 La distinction derivative/transformative ne fonctionne pas en français et ne permet pas de préciser l’émetteur de l’œuvre. Dans son mémoire de maîtrise en droit, Melany Billard explique que les trois termes « œuvre dérivée », « œuvre composite » et « œuvre transformative » sont utilisés en français comme des synonymes. Melany Billard, Les Œuvres transformatives à l’épreuve du droit d’auteur, sous la direction de Charlaine Bouchard (université Laval) et de Pauline Léger (université Paris Sud), soutenu en 2019, p. 1.

5 Isabelle Peyrat, Caroline Rogliano, cahier pratique « Développer des produits dérivés », dans Danielle Bourlange (dir.), Ressources de l’immatériel, Paris, Agence du patrimoine immatériel de l’État (APIE), juin 2016. Consultable sur Ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie [En ligne], https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/apie/marques/publications/Developper_produits_derives.pdf (consulté le 26/05/2024).

6 Physiologos, Le Bestiaire des bestiaires, traduit par Arnaud Zucker, Grenoble, Éditions Jérôme Million, 2004.

7 Thomas Cantimpratensis, Liber de natura rerum, versions I-II, édition établie par M. Cipriani, 2022.

8 Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rerum, vol. I : Prohemium, Liber I, Liber II, Liber III et Liber IV, Turnhout, Brepols, coll. « De diversis artibus », 2007.

9 Elsa Lonati, « Le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré dans le Speculum maius de Vincent de Beauvais : bilan des emprunts, version utilisée et sources concurrentes », RursuSpicae [En ligne], n° 3, 2020, mis en ligne le 30/12/2020, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rursuspicae (consulté le 03/10/2024).

10 Albert the Great, On Animals. A Medieval Summa Zoologica, traduit par Kenneth F. Kitchell Jr. et Irven Michael Resnick, Baltimore, John Hopkins University Press, coll. « Foundations of Natural History », 1999, 2 tomes.

11 Philippe de Thaon, Bestiaire, édition établie par Luigina Morini, Paris, Champion, coll. « Classiques français du Moyen Âge », 2018.

12 Rémy Cordonnier, L’Iconographie du Bestiaire divin de Guillaume le clerc de Normandie, Turnhout, Brepols, coll. « Le corpus du RILMA », 2022.

13 Comme le fait que la consommation de la chair d’autruche est bénéfique pour l’épilepsie tandis que la coquille d’œuf est salutaire contre l’hydropisie. Hildegardis Bingensis, Physica, col. 1117-1352.

14 Pour éviter d’être attaqué par un loup, il faut l’apercevoir avant qu’il ne nous aperçoive, ce qui lui fait perdre toute sa force et sa hardiesse. Richard de Fournival, Le Bestiaire d’amour et La Réponse du Bestiaire, traduit par Gabriel Bianciotto, Paris, Honoré Champion, 2009, p. 163 et 285.

15 Baudouin Van den Abeele, « Bestiaires encyclopédiques moralisés. Quelques succédanés de Thomas de Cantimpré et de Barthélémy l’Anglais », Reinardus, n° 7, 1994, p. 209-228.

16 Richard de Fournival, Le Bestiaire d’amour, op. cit.

17 Les Monstres des hommes, traduit et édité par Pierre-Olivier Dittmar et Maud Pérez-Simon, Paris, Honoré Champion, 2024.

18 Armand Strubel, « Le sens de l’écriture et le déchiffrement du monde », dans Michel Zink, Franck Lestringant (dir.), Histoire de la France littéraire. Naissances, renaissances (Moyen Âge-xvie siècle), Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2006, p. 237-262, p. 256-257.

19 Titre donné à l’un des bestiaires de Donjons & Dragons, voir infra.

20 Codex de l’Innommable est le titre français du bestiaire du jeu de rôle Cthulhu, paru en 2015 (édité par Sans Détour), qui s’appelait en anglais le Sandy Petersen’s Field Guide to the Lovecraftian Horrors. Le terme codex est aussi utilisé pour le bestiaire du jeu de rôle Role and Play.

21 Huw Lewis-Jones, Kari Herbert, Carnets d’explorateurs, Paris, Paulsen, 2016.

22 Charles Darwin, Le Voyage du Beagle. L’édition illustrée du carnet de voyage et du journal de bord, traduit par Ed. Barbier, Paris, Delachaux et Niestle, 2018.

23 L’influence de Leonard de Vinci est manifeste dans la bande dessinée Lanfeust de Christophe Arleston et Didier Tarquin, publiée aux éditions Soleil (1994-2000). Un bestiaire aux coloris sépia se déploie sur la double page qui fait l’ouverture des différents volumes. Sur la page de gauche, on peut admirer un « Troll de Vitruve », preuve de l’amalgame qui est fait entre les bestiaires, les carnets de Leonard de Vinci et les carnets de naturaliste. Je remercie Florian Besson pour cette remarque.

24 Tactical Studies Rules. Maison d’édition fondée par Gary Gygax pour commercialiser Donjons et Dragons.

25 « I can do no more than heap high praise on the Monster Manual. If every DM Dungeon Master and every player didn’t buy it, I would be very surprised. It is without doubt the best thing that TSR have produced so far. » Don Turnbull, « The Open Box, The Monster Manual », White Dwarf, n° 8, août-septembre 1978, p. 16-17. Traduction de l’autrice.

26 Jean-Christophe Piot, « Donjons & Dragons ou la nouvelle jeunesse des monstres anciens », dans Hélène Bouillon (dir.), Animaux fantastiques. Du merveilleux dans l’art, Gand/Lens, Snoeck/Louvre-Lens, 2023, p. 374-377.

27 « The Monster Manual succeeded not just as a game supplement but by elevating the D&D rule book to fetish object. [...] The book became a beloved companion to a generation of gamers, something they came back to again and again ». David M. Ewalt, Of Dice and Men. The Story of Dungeons & Dragons and the People Who Play It, New York, Scribner, 2013, p. 137-138. Traduction de l’autrice.

28 Newt Scamander (Fantastic Beasts and Where to Find Them, Scholastic, 2001), Les Animaux fantastiques. Vie et habitat par Norbert Dragonneau, traduit par Jean-François Ménard, Paris/Londres, Gallimard Jeunesse/Obscurus books, 2001.

29 Le « beau livre » est un livre généralement de grand format, avec des illustrations de grande taille et imprimé sur du papier de qualité. Il se distingue du livre de poche et se rapproche de l’objet d’art qu’on a plaisir à exposer. C’est un segment éditorial à part entière.

30 Newt Scamander, Fantastic Beasts and Where to Find Them (2001), New York, Arthur A. Levine Books, réédition, 2017.

31 Joseph Delanay, Le Bestiaire de l’Épouvanteur (The Spook’s Bestiary. A Guidebook to the Creatures Found in The Wardstone Chronicles Universe, 2010), traduit par Marie-Hélène Delval, Montrouge, Bayard Jeunesse, 2013.

32 Mojang AB, Minecraft, The Mobestiary, Random House, Del Rey, 2017.

33 Adam Cesare, Jim Henson’s The Dark Crystal Bestiary. The Definitive Guide to the Creatures of Thra, illustré par Iris Compiet, San Rafael/Los Angeles/London, Insight Editions, 2020.

34 Terryl Whitlatch et Bob Carrau, The Wildlife of Star Wars, A Field Guide, Lucas Books, San Francisco, Chronicle Books, 2001.

35 Jody Revenson, Harry Potter, The Creature Vault, Harper, 2014.

36 « Son contenu plaisant et sa forme propice à la mémorisation, associant un texte souvent rédigé en prose rythmique à des compositions picturales parfois associées à de courts passages versifiés, correspondent parfaitement aux usages de la pédagogie médiévale ». Rémy Cordonnier, L’iconographie du Bestiaire divin, op. cit., p. 20.

37 Norbert Dragonneau, Les Animaux fantastiques, op. cit., p. 75.

38 Joseph Delanay, Le Bestiaire de l’Épouvanteur, op. cit., p. 39-40.

39 Ibid.

40 Pierre-Olivier Dittmar, « Le seigneur des animaux entre pecus et bestia. Les animalités paradisiaques des années 1300 », dans Agostino Paravicini Bagliani (dir.), Adam premier homme, Florence, SISMEL edizioni del Galluzzo, coll. « Micrologus’ library », 2012, p. 219-254, p. 221.

41 Augustin, De genesi contra manichaeos, II, XI, 16, p. 230.

42 Pierre-Olivier Dittmar, « L’animal, l’humain et les images », dans Jérôme Baschet, Pierre-Olivier Dittmar (dir.), Les Images dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols, coll. « L’Atelier du Médiéviste », 2015, p. 355-432, p. 429.

43 Ibid.

44 Je remercie Florian Besson pour cette remarque pertinente.

45 Entre la sortie du tome 4 (La Coupe de feu, 2000) et celle du tome 5 (L’Ordre du Phénix, 2003).

46 Sur la quatrième de couverture de l’édition française mise à jour en 2020, on lit encore : « Les droits d’auteur de la vente de ce livre seront reversés aux organisations caritatives Comic Relief et Lumos, ce qui signifie que les euros que vous emploierez pour l’acheter auront un pouvoir magique plus grand que celui de tout sorcier. Si vous pensez que ce n’est pas une raison suffisante pour dépenser votre argent, espérons que des sorciers plus charitables passeront par là le jour où vous serez attaqué par une manticore. »

47 Disney-Pixar, En avant. Les quêtes de Yore par Barley et Ian, Vanves, Hachette jeunesse, 2020.

48 « My guide to creatures of the dark : notes, tales and lessons on how to contain them – and how to survive. »

49 Joseph Delaney, Le Bestiaire de l’Épouvanteur, op. cit., p. 9.

50 Joseph Delaney, Le Bestiaire de l’Épouvanteur, op. cit., conclusion, p. 239.

51 « Un objet sémiotique […] dont l’énonciation, voire la fabrication, présuppose un univers de référence non pas réel, mais bien imaginaire […] – de sorte que l’objet en question se donne comme provenant de ce monde imaginaire » (Richard Saint-Gelais, L’Empire du pseudo. Modernités de la science-fiction, Québec, Nota Bene, coll. « Littératures », 1999, p. 312).

52 Anne Besson décrit bien le rôle joué par le livre dans les constructions de mondes fictionnels alternatifs, qu’il s’agisse de livres cités comme la source de l’univers ou de ceux, comme ici, qui en sont l’émanation. Anne Besson, « Matérialisation et immatériel : livres et world building », dans Louise Dehondt, Anne Duprat, Irène Gayraud, Catherine Grall, Christian Michel (dir.), Nouveaux mondes, nouveaux romans ?, Paris, SFLGC, coll. « Bibliothèque comparatiste », 2018, p. 171-180. Consultable sur SFLGC [En ligne], http://sflgc.org/wp-content/uploads/2018/05/14besson_nmnr.pdf (consulté le 12/09/2024)/

53 « It is my fondest hope that a new generation of witches and wizards will find in its pages fresh reason to love and protect the incredible beasts with whom we share magic ». Newt Scamander, « Foreword », Fantastic Beasts and Where to Find Them, op. cit., n. p. Traduction de l’autrice.

54 « I leave you with my life’s work […]. I shall be thinking of you […] as my book helps you achieve the highest glory ». Mojang AB, Minecraft, The Mobestiary, op. cit., n. p. Traduction de l’autrice.

55 On peut dire que le Pokédex fonctionne sur le même principe. Censé avoir été inventé par le professeur Chen, il est mentionné pour la première fois dans le jeu en 1996. C’est un outil numérique permettant de répertorier tous les Pokémons. Il sort ensuite en format papier pour les lecteurs qui deviennent alors eux-mêmes chasseurs de Pokémons. Nous ne développons pas cet exemple car la référence au Moyen Âge est moins clairement affirmée.

56 Nina Hess, A Practical Guide to Monsters, Washington, Mirrorstone, 2007.

57 « I expect you to read it and learn well. Only then will you be prepared to take on the robes of a true wizard and to defend yourself on a quest of your own ». Nina Hess, A Practical Guide to Monsters, op. cit., n. p. Traduction de l’autrice.

58 Le livre rassemble deux extensions précédentes du livre des monstres : Volo’s Guide to Monsters (2016) et Mordenkainen’s Tome of Foes (2018).

59 Mordenkaïnen est connu dans le Player’s Handbook par les noms de trois sorts : « chien de garde de Mordenkaïnen », « coffre de Mordenkaïnen » et « maison de Mordenkaïnen ».

60 Donjons et Dragons. Le Chaudron des merveilles de Tasha, s. l., Wizards of the Coast, 2021, p. 5.

61 « Ya que un monstruo no es otra cosa que una combinación de elementos de seres reales y que las posibilidades el arte combinatorio lindan con lo infinito ». Jorge Luis Borgès, Margarita Guerrero, Manual de zoología fantástica, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 1957, p. 8.

62 Anne Besson, « Matérialisation et immatériel : livres et world building », art. cit.

63 Michel Pastoureau, Les Animaux célèbres, Paris, Arlea, 2008 ; Le Cochon. Histoire d’un cousin mal aimé, Paris, Gallimard, 2013 ; L’Ours. Histoire d’un roi déchu, Points, 2015 ; Le Loup. Une histoire culturelle, Paris, Seuil, 2018 ; Le Taureau. Une histoire culturelle, Paris, Seuil, 2020 ; Le Corbeau. Une histoire culturelle, Paris, Seuil, 2021 ; La Baleine. Une histoire culturelle, Paris, Seuil, 2023.

64 Le jeu comporte 396 cartes et est édité par Panini.

65 Jeu créé par Richard Garfield et édité à partir de 1993 par Wizards of the Coast.

66 Les cartes peuvent aussi représenter des terrains, des objets, des personnages.

67 Une base de données a été conçue pour rechercher les cartes : « Gatherer », Magic. The Gatherine [En ligne], https://gatherer.wizards.com/Pages/Advanced.aspx (consulté le 05/10/2024).

68 La carte la plus chère n’est pas un animal. Pensée sur le modèle de l’anneau unique à la suite d’un partenariat avec Le Seigneur des Anneaux, elle vient d’être vendue deux millions d’euros.

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Table des illustrations

Légende Illustration 1. Richard de Fournival, Bestiaire d’amour, BnF fr. 1951, fol. 9 ©Bibliothèque nationale de France
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Légende Illustration 2. Caractéristiques « médiévales » des bestiaires contemporains. Montage de l’autrice
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Légende Illustration 3. Philip Georg Friedrich von Reck, Carnet de voyage (36,5 x 28,8 cm), 1734, Det Kongelige Bibliotek NKS 565 4o, fol. 8r. http://www5.kb.dk/​permalink/​2006/​manus/​22/​eng/​8+recto/​?var= (consulté le 05/10/2024)
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Légende Illustration 4. Constantin Rafinesque, Carnet de voyage, vers 1818, © Smithsonian Institution Archives (http://siarchives.si.edu/​). Image #SIA2012-6095
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Légende Illustration 5. Caractéristiques visuelles des bestiaires les apparentant à des carnets de naturalistes. Montage de l’autrice
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Légende Illustration 6. Monster manual, couverture, 1979 (4e édition)
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Légende Illustration 7. Mise en page de la première édition des Animaux fantastiques. Vie et habitat, très similaire à la première version anglophone (2001), illustrée de dessins de J. K. Rowling
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Légende Illustration 8. Double page extraite de la version illustrée de Newt Scamander, Fantastic Beasts and Where to Find Them, avec les dessins de Olivia Lomenech Gill (2017)
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Légende Illustration 9. Gobelin velu et Frappeurs. Le Bestiaire de l’Épouvanteur, 2013
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Légende Illustration 10. Les chauves-souris de Minecraft. Le contraste est intéressant entre le caractère pixelisé de la créature et l’impression de croquis « pris sur le vif ». The Mobestiary, 2017
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Légende Illustration 11. Tumbleloth et Arduff. La mise en page est inspirée des carnets de croquis et l’ordre des créatures est motivé par le fait que les créatures de la page de droite sont les prédateurs de celles de la page de gauche. Jim Henson’s The Dark Crystal Bestiary. The Definitive Guide to the Creatures of Thra (2020)
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Légende Illustration 12. Deux espèces du monde de Star Wars, présentées sous forme de planche anatomique. Dessins par Terry Whitlatch (2001). Disponible sur : https://archive.org/​details/​TheWildlifeOfStarWars/​page/​n5/​mode/​2up (consulté le 05/10/2024)
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Légende Illustration 13. Lutin de Cornouailles, Jody Revenson, Harry Potter, Le grand livre des créatures, Huggin & Muninn, Paris-San Francisco, 2014 (version française de Jody Revenson, Harry Potter, The Creature Vault, Harper, 2014), p. 82-83
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Légende Illustration 14. Annotations dans le manuel de Harry Potter (2001), censées être de la main des jeunes héros
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Légende Illustration 15. Annotations dans le grimoire de quêtes et de magie de Barley (2020)
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Légende Illustration 16. Matérialité des bestiaires médiévalistes. Montage de l’autrice
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Légende Illustration 17. Lettres manuscrites à l’orée des bestiaires médiévalistes. Montage de l’autrice
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Légende Illustration 18. Fiend Factory (1981)
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Légende Illustration 19. Cartes Fantasy Riders organisées dans un classeur par un collectionneur
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Pour citer cet article

Référence électronique

Maud Pérez-Simon, « Le bestiaire médiévaliste comme produit dérivé »Belphégor [En ligne], 22-2 | 2024, mis en ligne le 19 décembre 2024, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/belphegor/6547 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/130vm

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Auteur

Maud Pérez-Simon

Université Sorbonne Nouvelle, CERAM (EA 173), Maîtresse de conférences

Membre Junior de l’IUF

Maud Pérez-Simon est Maîtresse de Conférences en littérature médiévale à l'Université Sorbonne Nouvelle. Elle s'intéresse au lien texte-image dans les manuscrits et sur les plafonds peints du Moyen Âge. Ses recherches portent plus particulièrement sur les monstres médiévaux et médiévalistes. Son édition des Monstres des hommes, premier inventaire de peuples monstrueux en langue française (XIIIe siècle) vient de paraître aux éditions Champion. Elle a écrit l'article « Animaux/Bestiaire » dans le Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire, A. Besson, W. Blanc et V. Ferré (dir.), Éditions Vendémiaire, 2022.

 

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