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I. Le Moyen Âge fait-il vendre?

Entre réplicateurs historiques et stratégies marketing : l’Antiquité et le Moyen Âge sur les boîtes de jeux de société

Florian Besson et Pauline Ducret

Résumé

Les concepteurs de jeux de société, dont la production augmente ces dernières années en quantité comme en diversité de manière exponentielle, utilisent largement l’histoire pour vendre leurs produits, ce dont témoignent en premier lieu les couvertures des boîtes. Répondant à un double – et contradictoire – impératif de familiarité et d’originalité, ces boîtes reprennent et travaillent des imaginaires historiques déjà bien connus du grand public en les adaptant aux spécificités du média ludique. Pour analyser ce phénomène, nous nous concentrons sur les jeux à thèmes antique et médiéval pour souligner à la fois les différences de traitement entre les deux périodes et la construction progressive de modèles aujourd’hui quasiment incontournables.

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Texte intégral

  • 1 Véronique Yvernault, « Le jeu de société marque encore des points », LSA [En ligne], mis en ligne l (...)
  • 2 Sur ces professionnels, voir Vincent Berry et Nathalie Roucous, « Conception et édition de jeux de (...)
  • 3 En l’absence de données chiffrées fiables, il est difficile d’évaluer la part de jeux à thèmes hist (...)

1Le jeu de société est un secteur en pleine expansion avec plusieurs centaines de nouveautés par an, pour tous les publics1. Parce que cette production est de plus en plus foisonnante, il devient plus nécessaire que jamais pour les éditeurs de jeux2 de se distinguer et de mettre en place des stratégies éditoriales et marketing qui permettent de séduire le plus rapidement possible le public cible : le potentiel acheteur, perdu dans le volume impressionnant de produits disponibles, n’aura en effet que quelques secondes à consacrer à chaque jeu et il faut donc attirer son attention, la retenir, lui donner envie de sortir la boîte du rayon, de lire le résumé, et in fine de l’acheter. L’histoire, toutes périodes confondues, fait partie du panel des stratégies marketing mises en place par les éditeurs de jeux pour attirer l’œil de l’acheteur, comme en témoigne le nombre important de jeux à thème historique qui sortent chaque année3. Nous chercherons donc, dans cet article, à comprendre comment l’histoire est utilisée pour vendre les jeux : quels éléments sont retenus, quelles images sont convoquées, quelles mises en scène permettent de mettre l’histoire au service de stratégies marketing de plus en plus fines.

  • 4 Notons que la bibliographie consacrée au médiévalisme ludique est en réalité très réduite, la quasi (...)
  • 5 Voir Florian Besson et Pauline Ducret, « "Je ne joue jamais si ce n’est à l’an mil". Le Moyen Âge d (...)

2Tous deux historiens, spécialistes de la réception et de la réinvention contemporaine de nos périodes respectives, nous nous concentrerons ici sur les jeux de société historiques mettant en scène les périodes antique et médiévale, un sujet encore remarquablement peu exploré4. Nous entendons ici « jeux de société historiques » au sens le plus large possible : nous considérerons tous les types de jeux qui convoquent, utilisent, et, ce faisant, réinventent des temporalités passées, qu’il s’agisse d’un thème plaqué au service d’une mécanique abstraite ou d’un véritable effort pour faire découvrir aux joueurs et aux joueuses des mécanismes – politiques, économiques ou même linguistiques – censés correspondre aux sociétés d’hier5.

  • 6 Nous suivons, pour classer les jeux étudiés dans cet article, les catégories établies par le jury d (...)

3Dans un souci de cohérence, et pour conserver un corpus raisonnable, nous nous concentrons sur les jeux dont le thème, à défaut d’être toujours précisément ancré dans le temps, est réaliste, en excluant donc à la fois les jeux qui puisent dans la mythologie et font apparaître dieux, monstres et héros, et les jeux inscrits dans des univers de fantasy médiévaliste. L’approche retenue ici est comparatiste : nous nous demanderons notamment si les stratégies mises en place sont spécifiques à une période – qui correspond souvent à un imaginaire ou un type d’imaginaire précis – ou s’il existe des logiques transversales. Cela permettra par ailleurs de mesurer le degré de précision attendu sur les boîtes de jeu et de comprendre les choix d’une période plutôt que d’une autre : est-ce important, pour vendre un jeu, de le situer au Moyen Âge ou dans l’Antiquité, ou l’idée que l’on va se plonger dans une « histoire » un peu floue est-elle déjà suffisamment séduisante pour n’avoir pas besoin de différencier davantage un « monde antique » d’un « monde médiéval » ? L’histoire est-elle au cœur de ce qui fait vendre le jeu, ou un simple élément parmi d’autres, voire un prétexte à de belles images accrocheuses ? Enfin, l’utilisation de l’histoire est-elle différenciée en fonction du public visé6 ?

  • 7 Comme le montre également, dans ce même numéro, Hélène Cordier, « "Et si on mettait une épée sur la (...)

4Pour répondre à ces questions, nous nous concentrerons sur l’élément clé du dispositif commercial et communicationnel qu’est la couverture d’un jeu, ce que l’acheteur voit avant même de retourner la boîte pour lire le descriptif du jeu. Cette couverture remplit deux objectifs principaux, parfois difficilement conciliables7 :

5Elle doit être « belle », c’est-à-dire qu’elle doit attirer le regard et, avec lui ou plutôt entraînée par lui, l’attention. Il faut non seulement que ce regard se pose, mais qu’il s’arrête. Nous verrons que cet objectif est lui-même tendu entre deux logiques opposées : il faut jouer à la fois sur la familiarité, qui permet une reconnaissance immédiate d’images qui parlent au client, et sur l’originalité, pour se démarquer des autres productions.

6Une couverture doit par ailleurs être lisible, c’est-à-dire qu’elle doit renseigner le potentiel acheteur sur les caractéristiques du produit qu’il est prêt à acheter. En l’occurrence, dans l’objet particulier qu’est un jeu de société, deux informations clés doivent être délivrées en quelques secondes : le thème et la mécanique. D’une part, les images, les couleurs, la police sont autant d’éléments qui définissent l’univers dans lequel se déroule le jeu : le Japon médiéval, la conquête spatiale, l’Antiquité romaine, etc. D’autre part, les graphismes retenus, la taille de la boîte, les pictogrammes utilisés, etc., permettent de différencier un jeu familial d’un jeu expert, un jeu pour enfants d’un wargame réservé aux spécialistes, bref, de définir des types de jeux, première entrée vers la mécanique précise de ceux-ci. L’articulation de tous ces éléments permet enfin de cibler un public – et d’éviter que des familles n’achètent un jeu demandant une heure d’explication de règles et autant de mise en place.

7Les boîtes de jeu sont ainsi un support particulièrement intéressant à étudier, car s’y croisent des enjeux commerciaux communs à d’autres produits et d’autres qui sont spécifiques au secteur du jeu de société. Nous montrerons ici que les boîtes de jeu mettent en œuvre des réécritures de l’histoire elles-mêmes particulières, tout en se nourrissant d’imaginaires partagés avec d’autres médias.

Faire du vrai neuf ou du faux ancien

  • 8 François Bachelart et Antonio Mainez, Along History, Pins, Nostromo Éditions, 2023.

8Les éléments qui permettent d’inscrire une boîte de jeu dans l’histoire – et d’inscrire l’histoire sur une boîte de jeu – sont multiples. Sur celle de Along History8, jeu expert proposant aux joueurs de revivre, en près de 90 minutes, l’histoire de l’humanité depuis son apparition jusqu’au Moyen Âge, les éléments qui « font ancien » sont nombreux (Illustration 1).

Illustration 1. Boîte du jeu Along History

9C’est avant tout la série de huit illustrations représentant activités humaines, lieux de vie et réalisations architecturales qui permet de reconnaître les différentes époques visées. Par ailleurs, la forme que crée la répartition de ces images sur la couverture – un rectangle inscrit dans un cercle dont les rayons définissent les zones des illustrations – renvoie, quasiment parfaitement, au carré dans le cercle à partir duquel l’architecte romain Vitruve invite à dessiner les théâtres antiques, image largement diffusée depuis la Renaissance. Ce fond est lui-même travaillé pour « faire vieux » : légèrement plus clair au centre, il est bordé de lignes blanches partiellement effacées et, si l’on y regarde bien, la couleur n’est jamais uniformément présente. Il est donc texturé pour donner l’impression d’avoir été abîmé par le passage du temps. Les couleurs sont elles-mêmes porteuses de sens, et le doré du titre comme des trois personnages en ombres chinoises sont tout à fait typiques de ce « faire vieux ». Enfin, la manière dont le H du titre s’étale de part et d’autre de la lettre évoque la représentation du temps sur une frise chronologique. Ainsi, les éléments qui « font vieux » sont multiples et, combinés les uns avec les autres, sans même que le joueur n’ait besoin de les analyser un à un, ils ne laissent aucun doute sur le fait que l’univers dans lequel s’ancre le jeu est ancien. Ici, en l’occurrence, ancien rime avec historique alors même que, sur cette boîte, rien n’est issu d’une source historique : l’ensemble est une création contemporaine sans effet de citation directe.

  • 9 Reiner Stockhausen et Klemens Franz, Orléans, Paris, Matagot, 2015 ; la couverture reproduit, à pei (...)

10Pourtant, pour réaliser rapidement une couverture de jeu historique efficace, c’est-à-dire d’abord pour annoncer au potentiel acheteur qu’il est invité à jouer avec et dans l’histoire, il pourrait sembler plus simple d’utiliser des documents anciens ou, tout du moins, de faire semblant d’utiliser de l’ancien. Cette stratégie existe, mais elle reste rare et, surtout, cantonnée aux jeux inspirés par le Moyen Âge. De fait, plusieurs de ces jeux choisissent d’aller directement puiser dans l’imagerie médiévale, et non pas médiévaliste : il s’agit bien ici d’aller chercher des images produites à l’époque médiévale. Le jeu Orléans reprend ainsi une célèbre enluminure représentant les trois ordres, très régulièrement reproduite dans les manuels scolaires et donc familière à un large public9 (Illustrations 2 et 3).

Illustration 2. Boîte du jeu Orléans

Illustration 3. « Clerc, chevalier et laboureur », enluminure représentant les trois ordres, dans Aldobrandino da Siena, Li Livres dou Santé, vers 1285

  • 10 Ken Shannon, Jody Barbessi et Karen Boginski, Le Tournoi de Camelot, Ivry sur Seine, Origames, 2022 (...)
  • 11 Des pictogrammes qui confirment cette première impression sont présents sur la couverture, en bas à (...)

11Ce choix stratégique représente un avantage économique majeur : le processus de création est limité puisqu’il requiert uniquement de puiser dans des banques d’images et de les retravailler. Sans doute est-il même parfois possible de s’affranchir des services d’un illustrateur : dans le cas du Tournoi de Camelot, dont la couverture recopie une enluminure du début du xive siècle10, l’essentiel du travail est celui d’un graphiste, qui doit mettre en page et agencer entre eux des éléments visuels préexistants. Si la forme et la taille de la boîte donnent au potentiel acheteur des indications sur le type de jeu et le public visé11, l’imaginaire visuel convoqué est extrêmement proche et ne permet pas de distinguer le jeu de plateau expert (Orléans) du jeu de plis initié (Tournoi de Camelot).

  • 12 Jay Cormier, Sen-Foong Lim et Chris Quilliams, Akrotiri, Montréal, Filosofia, 2014, dont la couvert (...)

12Les sources antiques sont en revanche peu utilisées dans les jeux à ancrage antique, à de très rares exceptions près : lorsque les couvertures font apparaître des objets perçus comme antiques, il s’agit d’objets imaginaires, non de citations d’œuvres ou de documents qui nous auraient été transmis depuis l’Antiquité (Illustration 4)12.

Illustration 4. Boîtes de jeux Romolo o Remo ?, Trajan, Akrotiri, Pharaon

13Il existe pourtant un imaginaire visuel rattaché à cette période – monnaies, statues, fresques, bas-reliefs, inscriptions, mosaïques – et il y aurait par conséquent de quoi fabriquer du faux ancien et refaçonner des éléments visuels préexistants. Le fait que cette stratégie marketing soit aussi peu utilisée pour l’Antiquité alors qu’elle l’est régulièrement pour le Moyen Âge reste assez mystérieux, mais ce décalage souligne que les imaginaires liés à ces périodes répondent à des logiques en partie différentes.

  • 13 Rikki Tahta et Naïade, Epix, Mérignac, Ferti, 2015.
  • 14 Sébastien Pauchon, Julio Cesar, Corinth, Paris, Days of Wonder, 2019.
  • 15 Johannes Goupy, Bruno Cathala et Paul Mafayon, Orichalque, Lyon, Catch Up Games, 2022.

14Le plus souvent, et ce pour les deux périodes, le choix est plutôt celui de modes de représentation contemporains qui n’essayent aucunement de faire ancien, voire qui assument un anachronisme radical. Cette tendance s’accentue ces dernières années avec le dessin numérique et certains choix graphiques se rapprochent de ceux du jeu vidéo (Epix13), du dessin animé (Corinth14) ou encore du manga (Orichalque15) (Illustration 5).

Illustration 5. Boîtes des jeux Orichalque, Epix, Corinth

  • 16 Voir Tea de Rougemont, « Medieval Letterings – Gameplay, Argumentum and Conservation », dans Robert (...)
  • 17 Florian Besson, « Mais que fait la police ? Les typographies, entre recherche d’authenticité et jeu (...)
  • 18 Åse Berg, Henrik Berg et Denis Martynets, Rattus, Paris, Matagot, 2023 ; Laurent Gary, Nicolas Trei (...)

15Le fond, ce qui est représenté, continue de renvoyer au passé, mais la forme est quant à elle tout à fait actuelle ; il s’agit là, sinon tout à fait d’une exception, du moins d’une spécificité du jeu de société qui s’adresse à des publics extrêmement variés et se décline donc sous des formes particulièrement plurielles. En l’occurrence, les trois jeux que nous venons de citer, qui jouent sur une intertextualité graphique transmédiatique, sont des jeux de plateau à destination d’un public familial ou initié, calibrés pour durer entre 30 minutes et une heure : graphistes, illustrateurs et éditeurs semblent ainsi chercher à parler à un public qui apprécie également le jeu vidéo et l’animé plutôt qu’à des amateurs éclairés d’histoire. La seule exception à cette distorsion entre fond historique et forme contemporaine est le travail sur la police d’écriture. Elle est souvent le seul élément visuel produit pour « faire ancien », y compris sur des boîtes qui font pour le reste des éléments utilisés le choix du contemporain16. Les exemples sont multiples, tant dans les thématiques d’inspiration antique que médiévale, et il s’agit d’un phénomène sur lequel nous sommes déjà revenus dans d’autres travaux : la police d’écriture contribue à l’ancrage temporel immédiat et joue donc comme un puissant signe de reconnaissance adressé au public, qui identifie immédiatement le contexte historique du produit17. Ces polices sont tout aussi fantaisistes qu’anachroniques et contribuent à consolider des clichés sur les périodes historiques ainsi convoquées et instrumentalisées. Au-delà de la seule police, c’est parfois l’ensemble du titre qui est travaillé dans une mise en scène destinée à « faire vieux » : ainsi d’un cartouche à effet parchemin (Rattus), un fond de mosaïque (Byzantio) ou de pierre recevant une inscription (Ra18) (Illustration 6).

Illustration 6. Boîtes des jeux Breizh 1341, Rattus, Byzantio, Ra

16Le travail sur le titre devient ainsi l’unique porteur de « l’effet vieux », garant d’une authenticité fantasmée dont le potentiel de séduction est au cœur de ce volume. Il peut par ailleurs, par le sens qu’il porte, permettre de mieux situer le jeu et de donner des éléments de contextes : Byzantio se passera dans l’empire byzantin, Rattus pendant la peste noire et, Breizh 1341… en Bretagne en 1341. La matérialité fictive du titre peut venir renforcer cette localisation donnée par son sens : un parchemin évoquera l’égypte pharaonique ou le Moyen Âge de l’écrit, une mosaïque l’époque byzantine, du marbre fissuré la Grèce classique ou la Rome impériale. Le fond et la forme, dans ce cas, sont intrinsèquement liés et ils ne font parfaitement sens qu’envisagés l’un avec l’autre. De fait, au-delà de « l’effet vieux » que nous venons d’analyser, et qui permet de reconnaître immédiatement un jeu historique dans la production ludique générale, une couverture réussie doit donner des éléments plus précis et ancrer le jeu dans l’histoire.

S’ancrer dans l’histoire

17Cette volonté de s’ancrer dans un contexte historique précis est caractéristique des fictions historiques : dans les films, ce rôle est souvent joué par une voix off ou par un texte qui s’affiche dans les premières secondes de visionnage, l’un et l’autre pouvant convoquer une date ou des éléments de contexte pour planter le décor. Cependant, rien de tout cela n’est possible sur une boîte de jeu puisqu’il faut y trouver la solution la plus immédiate, la plus économique, la plus efficace pour réaliser ce travail d’ancrage historique, le tout, comme nous l’avons déjà souligné, en veillant également à faire apparaître les éléments nécessaires aux potentiels acheteurs pour situer le jeu dans son contexte et par rapport à une concurrence foisonnante.

  • 19 Laurent Gary et Nicolas Treil, Breizh 1341, Aubenas, Shakos, 2022 ; Vladimir Suchy et Raul Fernande (...)

18Parmi plusieurs stratégies possibles, la première consiste à faire apparaître une date explicite. Citons ainsi, pour le Moyen Âge, Breizh 1341, Messina 1347, Caylus 1303, Toledo 1085, etc.19. Nous n’avons en revanche trouvé aucun jeu à thème antique dont le titre porte une date. Dans quelques cas, un résumé contextuel apparaît dans les règles ou au dos de la boîte : l’ancrage chronologique arrive donc dans un second temps de lecture, lorsque le potentiel acheteur a déjà fait l’effort d’explorer le reste des informations. Là encore, cette différence interroge. L’Antiquité est-elle vue comme une période plus linéaire, plus monolithique, en sorte qu’il serait inutile d’écrire « Colisée 154 » ? Est-ce à l’inverse parce que le Moyen Âge est moins connu qu’il demanderait à être précisé ? Nous ferions volontiers l’hypothèse que les dates à quatre chiffres font davantage partie de l’imaginaire collectif, de « Marignan 1515 » à « la révolution de 1789 », en sorte qu’elles seraient plus efficaces pour attirer l’attention d’un acheteur – sans compter que les dates négatives sont à l’inverse un casse-tête à écrire comme à comprendre.

  • 20 Gérard Chandès, « Réplicateurs visuels et sonores du monde néo-médiéval », Itinéraires. Littérature (...)
  • 21 Sur la cathédrale comme symbole du Moyen Âge, voir Étienne Anheim et Catherine König-Pralong, « Int (...)
  • 22 Pour la première, Michael Rieneck et Stefan Stadler, Les Piliers de la Terre, Nancy, Iello, 2017 ; (...)

19En l’occurrence, dans les cas cités, sont à chaque fois explicités dans le titre non seulement une date mais aussi un lieu, qui devient lui-même un marqueur temporel efficace. Tout se passe comme si une période historique était associée, sinon forcément réduite, à un espace, lui-même résumé à quelques bâtiments emblématiques qui deviennent de véritables réplicateurs au sens de Gérard Chandès20, autrement dit des symboles à la fois stéréotypés et décontextualisés dont la présence suffit à elle seule à ancrer un lieu dans un contexte historique précis. Pour le Moyen Âge, les deux bâtiments emblématiques omniprésents sont sans surprise la cathédrale21 et le château fort22 (Illustration 7).

Illustration 7. Boîtes des jeux Les Piliers de la Terre, Basilica, Les Bâtisseurs – Moyen Âge, Kingdomino, Queen’s Architect, Minute Realms, Burgenland

20L’Antiquité est représentée par plus de diversité, mais cette équation entre un moment, un espace et un monument y est conservée : pour Rome, le Colisée s’impose (Illustration 8).

  • 23 Dominique Ehrard et Arnaud Demaegd, Sylla, Clermont-Ferrand, Ystari Games, 2008 ; Andrei Novac et D (...)

Illustration 8. Boîtes des jeux Ave Roma, Senators, Lotta Rome, Praetor, L’Empire de César, Sylla23

  • 24 Laury-Nuria André parle de même du « syndrome Acropole » pour les jeux vidéo à sujet antique : Laur (...)
  • 25 Bernd Eisenstein et Matthias Catrein, Peloponnes, Enghien, Jactalea, 2013.

21Pour Athènes, c’est l’Acropole24 et plus précisément, dans le cas du jeu Peloponnes25, les Propylées (Illustration 9).

Illustration 9. Boîte du jeu Peloponnes

  • 26 Eric Labouze, Fabrice Weiss et Alexey Yakovlev, Genesia, Paris, Super Meeple, 2020.
  • 27 Charles Davoine, La Ville défigurée. Gestion et perception des ruines dans le monde romain (ier siè (...)
  • 28 Laury-Nuria André et Sophie Lécole-Solnychkine, « Paysages et topoi dans le peplum grec contemporai (...)
  • 29 Philippe Jockey, Le Mythe de la Grèce blanche. Histoire d'un rêve occidental, Paris, Belin, 2015, e (...)

22Si cela peut sembler tout à fait logique – c’est le lieu touristique le plus fréquenté de Grèce continentale –, notons que ce n’est pas en adéquation avec le titre, qui annonce que le jeu se passe dans le Péloponnèse. Peut-être faut-il comprendre qu’il s’agit de la guerre du Péloponnèse, à laquelle participe Athènes ? Il ne s’agit pourtant pas d’un jeu d’affrontement, mais d’un jeu de développement expert, ce que la couverture explicite par ailleurs en figurant des chariots qui transportent des matériaux de construction. Ce flou semble volontaire : l’important est que le joueur-acheteur reconnaisse sans doute possible que le jeu se situe dans le monde grec à l’époque classique, non de lui expliquer exactement où et quand se déroule l’action. Notons par ailleurs l’importance du motif de la ruine, par exemple sur la boîte de Genesia26 où un temple à moitié écroulé symbolise à lui seul la période antique : l’absurdité de la représentation – la beauté des ruines étant une construction moderne parfaitement étrangère aux Anciens27 – importe peu, d’autant qu’il s’agit là d’une représentation venue directement du péplum28. De même peut-on noter que dans la quasi-totalité des images les architectures sont très blanches, que ce soit pour les cathédrales médiévales ou les villes antiques, ce qui reproduit un cliché solidement ancré dans les imaginaires collectifs29.

23iv

24Il est une période pour laquelle cette adéquation entre un moment et un monument est tout aussi fausse que manifeste, et nous avons donc tenté à son propos une recension exhaustive : l’Antiquité égyptienne. La quasi-totalité des jeux que nous avons relevés, soit plusieurs dizaines, représentent les pyramides, souvent au premier plan, parfois en fond (Illustration 10), y compris lorsque la période représentée est très éloignée de l’Ancien Empire.

Illustration 10. Boîtes de divers jeux portant sur l'Égypte antique

  • 30 Dávid Turczi, Daniele Tascini, Alexander Zawada, Zbigniew Umgelter, Michał Długaj et Jakub Fajtanow (...)
  • 31 Bruno Cathala, Ludovic Maublanc et Julien Delval, Cléopâtre et la société des architectes, Paris, D (...)

25Associer Cléopâtre aux pyramides ne semble pas un problème, alors même qu’il s’est écoulé plus de temps entre l’Ancien Empire et la fin de l’Égypte ptolémaïque qu’entre Cléopâtre et nous – mais, là encore, il s’agit d’un raccourci qui est loin d’être spécifique au jeu de société. Quelques rares exceptions puisent dans d’autres monuments pharaoniques : la pyramide peut notamment être remplacée par un obélisque, assurant à l’illustration une certaine originalité sans risquer de remettre en cause la lecture de la boîte30. Ainsi, si nous avons déjà noté que l’imaginaire visuel convoqué ne dépend que rarement du type du jeu, de ses mécaniques et du public visé, il n’est ici pas même lié à la thématique développée dans le reste du jeu (arrière de la boîte et, surtout, matériel et règles contenus à l’intérieur de la boîte) : l’association de Cléopâtre et des pyramides se trouve tout autant sur des boîtes de jeux de construction, comme Cléopâtre et la société des architectes (édition 2016) destiné à un public initié, de jeux d’enchères experts, comme Ra (édition 2016), de jeux de gestion de ressources, comme le beaucoup plus familial Ankh’or, ou encore de jeux d’affrontement pour deux joueurs, comme César et Cléopâtre31.

  • 32 Bruno Cathala, Ludovic Maublanc et Julien Delval, Cléopâtre et la société des architectes, op. cit.
  • 33 Wolfgang Kramer, Richard Ulrich, Doris Matthäus, El Grande, Rio Rancho, Rio Grande Games, 1995, et (...)

26Cette focalisation sur un lieu emblématique semble aujourd’hui un élément essentiel et quasiment incontournable des boîtes de jeu. Cléopâtre et la société des architectes32 gagne ainsi une pyramide entre la première et la deuxième édition. De même, sur la couverture d’El Grande33, apparaît en 2023 un château qui était absent de l’édition de 1995 (Illustration 11).

Illustration 11. Boîtes du jeu El Grande (versions de 1995 et 2023)

27Comment l’expliquer ? Il n’est pas si simple, sur la boîte de la première édition, de comprendre où le jeu se situe – le joueur-acheteur doit prendre son temps pour remarquer en arrière-plan des tours crénelées, qui aident à la lecture. Une fois qu’un château a été ajouté comme élément central de l’illustration, il sait désormais immédiatement qu’il est invité à jouer dans le Moyen Âge. Cette transformation renvoie ainsi à une simplification du discours qui répond à un objectif commercial, simplification qui prend ici la forme d’une stéréotypisation : le public associe une époque à un lieu stéréotypé, qui devient un des principaux moyens – si ce n’est le moyen principal – de vendre un jeu inscrit dans cette époque. Dans l’immense majorité des cas, ces lieux ne sont cependant pas vides mais habités par des personnages qui, eux aussi, permettent l’ancrage immédiat dans un univers historique.

Incarner l’histoire

28Pour incarner une période historique, deux cas de figure se présentent. Les concepteurs de la couverture peuvent d’abord choisir de faire apparaître un véritable personnage historique susceptible d’être immédiatement reconnu. Dans l’Antiquité, c’est en particulier le cas de Cléopâtre, très largement surreprésentée y compris sur des boîtes de jeux à thème romain (Illustration 12).

Illustration 12. Boîtes de jeux mettant en scène Cléopâtre

  • 34 Amandine Berton-Schmitt, Faire des manuels scolaires des outils de l’égalité entre les femmes et le (...)
  • 35 Wolfgang Kramer, Richard Ulrich, Arnaud Demaegd et Eckhard Freytag, Les Princes de Florence, Paris, (...)

29La présence de Cléopâtre sur une boîte ne signifie cependant pas qu’elle apparaît dans le jeu, que ce soit sous la forme d’un meeple, d’une carte, d’un objectif, ou même d’un nom dans les règles : dans 7 Wonders Duel, par exemple, les cartes jouables ne représentent que des bâtiments et la Cléopâtre de la couverture a donc pour seul rôle d’être immédiatement reconnaissable par le joueur-acheteur qui en déduira l’ancrage historique du jeu. À l’exception de la célèbre reine d’Égypte, les grandes figures sont presque toujours masculines, ce qui renvoie à la faible présence des femmes à la fois dans les imaginaires historiques collectifs et, corrélativement, dans les supports visuels qui les construisent, des séries télévisuelles aux manuels scolaires du secondaire34. Ce point est en train d’évoluer : de plus en plus de boîtes essaient désormais d’inclure au moins un personnage féminin – ainsi de la nouvelle version des Princes de Florence35, qui passe de trois personnages masculins à cinq personnages dont deux féminins (Illustration 13) –, une évolution qui répond autant à des transformations sociales qu’à une volonté des éditeurs de jeux de s’ouvrir à des publics féminins, qui, de fait, investissent de plus en plus le monde du jeu et deviennent ainsi une nouvelle clientèle à cibler.

Illustration 13. Boîtes du jeu Princes de Florence (versions de 2007 et 2023)

  • 36 Sur ce point, voir le mémoire de master de Darinka Rabu, « Comment les femmes tirent leur épingle d (...)

30Le seul fait de représenter des femmes sur une couverture n’est pourtant pas forcément synonyme de plus d’inclusivité, dans la mesure où ces représentations peuvent elles-mêmes reproduire et donc conforter des clichés sexistes, que ce soit en représentant des figures fortement sexualisées ou en reprenant les figures iconiques de la sorcière ou de la princesse36.

  • 37 La couverture associe en effet un sénateur, un légionnaire, un gladiateur sur le point de pointer s (...)

31Le choix peut également être d’utiliser une incarnation générique, un personnage qui est en fait un rôle : pour l’Antiquité sont ainsi utilisés le personnage du sénateur, du légionnaire ou du gladiateur – voire les trois ensemble sur la boîte de Sylla qui mêle ainsi sans guère de nuances tous les clichés associés à l’Antiquité romaine37 (Illustration 14).

Illustration 14. Boîtes de jeux mettant en scène des personnages de sénateurs, de légionnaires ou de gladiateurs

  • 38 Voir dans ce même numéro l’article de Gauthier Gruber, « Produire du Moyen Âge pour les élèves » (h (...)

32Pour le Moyen Âge, sans surprise, le chevalier domine, ce qui confirme son statut de véritable clé de voûte des représentations collectives contemporaines du Moyen Âge38 (Illustration 15).

Illustration 15. Boîtes de jeux mettant en scène un personnage de chevalier

  • 39 Inka Brand, Markus Brand et Dennis Lohausen, Descendance, s.l., Gigamic, 2011.
  • 40 Julien Nigon et Carole Chaland, Pelegrinus, Tours, Asyncron, 2018.

33Certaines boîtes font des choix plus rares, en faisant apparaître des villageois (Descendance39) ou des pèlerins (Pelegrinus40), mais il s’agit d’exceptions qui en l’occurrence renvoient aux thématiques de ces jeux.

  • 41 Matthieu Poitevin, Alexandre Bonvalot et Joelle Drans, L’Empire de César, op. cit.
  • 42 Vlaada Chvatil, Jakub Politzer et Milan Vavroň, Through the Ages, Nancy, Iello, 2010.
  • 43 Ed Teixeira, Heroes of the Colosseum, Pueblo West, Lock’N Load Publishing, 2015.
  • 44 Jean-Léon Gérôme, Pollice Verso, 1872 (huile sur toile, 100,3x148,9 cm, conservée au Phoenix Art Mu (...)
  • 45 Robert Haines, Don Greenwod, Richard Berthold, Kurt Miller, Mark Poole et Patrick Turner, Res Publi (...)
  • 46 Mathieu Gabella et Andrea Meloni, César, Paris, Glénat/Fayard, 2019.

34De fait, utiliser une figure qui n’est pas immédiatement reconnaissable représente, pour l’éditeur du jeu, une prise de risque. En effet, comme dans l’ensemble des fictions historiques, les enjeux de marketing imposent de proposer un matériau familier : surprendre le public peut l’amener à se détourner d’un jeu qu’il ne reconnaîtrait pas. Dès lors, puiser dans des images déjà bien connues apparaît comme une stratégie efficace et les boîtes de jeux font donc appel à une forte intermédialité. Ainsi le jeu L’Empire de César41 reprend l’univers graphique d’Astérix tandis que la Cléopâtre de Through the Ages42 est un décalque de Liz Taylor et que la boîte de Heroes of the Colosseum43 reprend un très célèbre tableau de Gérôme44. Certaines images apparaissent et se déclinent sur diverses boîtes, ce qui contribue à en renforcer l’efficacité – mais interdit par là-même l’originalité : c’est en particulier le cas de la statue de César conservée au Louvre, qui se retrouve sur plusieurs jeux45, y compris pour représenter des empereurs postérieurs à César comme Caligula, mais aussi sur des couvertures de bandes dessinées (Illustration 16)46.

Illustration 16. Boîtes de jeux mettant en scène des empereurs romains

  • 47 Bernd Eisenstein et Matthias Catrein, Panthalos, Berlin, Irongames, 2014.

35Les références sont parfois plurielles, ce qui est caractéristique de ces complexes phénomènes d’échos et d’emprunts sous-tendant la fabrique des imaginaires historiques : le terrible titan menaçant les humains de Panthalos47 reprend par exemple tout autant le célèbre manga L’Attaque des Titans que la représentation de Kronos dans le jeu vidéo Age of Mythology (2003) (Illustration 17).

Illustration 17. Représentations ludiques et vidéoludiques de Kronos et des Titans

36Incarner l’histoire via des personnages humains semble devenir un élément incontournable des boîtes de jeux produites ces dernières années. Si les premières versions des Colons de Catane ne présentaient ainsi qu’un soleil crépusculaire, les plus récentes mettent au premier plan un ou plusieurs personnages. L’édition originale de Ra, en anglais, représentait le dieu solaire égyptien sur sa barque, reproduisant quasiment à l’identique un motif pictural très utilisé dans les tombes égyptiennes, tandis que sa récente réédition en français représente, au premier plan, une Cléopâtre devant une ville égyptienne dominée, au second plan, par une pyramide. Se généralise ainsi une manière archétypale de présenter un jeu historique, consistant à associer un lieu et un ou plusieurs personnages. Un modèle s’est peu à peu imposé, au point de devenir désormais omniprésent : un personnage au premier plan montre, regarde ou désigne un lieu en arrière-plan. Il peut être décliné en deux sous-types : un personnage, représenté de dos, regarde voire pointe dans la direction de l’arrière-plan (Illustration 18), ou un personnage de face, tourné vers le joueur-acheteur, pointe vers le paysage derrière lui (Illustration 19).

Illustration 18. Boîtes de jeux mettant en scène un personnage de dos face au paysage

Illustration 19. Boîtes de jeux mettant en scène un personnage de face faisant signe vers le paysage

  • 48 Ils héritent eux-mêmes ce modèle de la peinture romantique travaillant le motif du sublime avec une (...)

37Ce modèle vient directement du monde du jeu de rôle et du jeu vidéo48 qui nous ont habitués à de telles visions. Cette évolution semble assez récente et il est frappant de voir qu’elle s’impose autant pour les nouvelles productions que lors de rééditions de jeux : si la première boîte du jeu Tigre et Euphrate, dans sa version allemande de 1997, était finalement assez originale par sa focalisation sur un personnage au travail sur un bâtiment peu reconnaissable, sa récente réédition reproduit ce type désormais hégémonique du personnage debout devant un décor à l’arrière-plan. L’évolution tend ainsi vers des images plus explicites et donc plus proches les unes des autres et il est permis de penser que le recours aux IA généralisera encore davantage ce phénomène d’alignement.

Conclusion

  • 49 Ainsi de la couverture de Mario Papini, Lancelot, Bloomingdale, WizKids, 2017, qui représente certe (...)
  • 50 Nous rejoignons donc largement les conclusions tirées, à propos du jeu de rôle grandeur nature, par (...)

38Trois secondes pour vendre un jeu : c’est ce à quoi sert une boîte. Dans un contexte fortement concurrentiel, les couvertures de jeux historiques, inscrites dans des dispositifs commerciaux et communicationnels complexes, utilisent des recettes finalement assez fixes et qui ont tendance en outre à se standardiser ces dernières années. Chaque boîte supplémentaire qui utilise ces effets visuels contribue en effet à consolider le moule dans lequel les boîtes ultérieures se couleront, que leurs concepteurs en soient ou non conscients, et ainsi à accentuer ce mouvement. Il semblerait donc que l’impératif de familiarité soit supérieur à celui de l’originalité. De fait, rares sont les boîtes qui s’affranchissent de ces modèles49, et les mêmes ingrédients finissent par se retrouver partout : ainsi de l’utilisation de figures si souvent convoquées qu’elles deviennent des réplicateurs résumant à elles seules une période (les pyramides, le château, Cléopâtre, le chevalier), du jeu sur les polices d’écriture ou encore de ce type visuel du « personnage debout devant une ville ».  En brassant des images familières, ces couvertures contribuent à jouer sur ce sentiment de nostalgie qui est l’une des racines de la fascination, et notamment de la consommation économique, pour les époques antique et médiévale : les boîtes de jeux invitent à s’évader dans des passés idéalisés, réduits au « temps des pyramides » ou au « temps des chevaliers »50.

  • 51 Pour rester sur L’Année des 5 empereurs, on peut ainsi noter que la couverture annonce clairement l (...)

39Le second élément marquant de notre analyse est le choix – très fréquent sinon tout à fait systématique51 – d’une déconnexion entre la couverture, qui doit séduire l’acheteur et lui dire le plus vite possible à quelle époque on veut l’emmener, et les mécaniques précises du jeu, voire la thématique qui peut souvent être éloignée de ce que promet l’image de couverture. De fait, si une couverture d’un jeu historique nous dit quand on va jouer – encore que ce « quand » est parfois dilué dans un grand flou chronologique –, elle nous dit rarement comment on va y jouer. La couverture sert bien plus à accrocher l’attention des joueurs qu’à leur introduire le jeu, dont les mécaniques précises ne se révèleront qu’à la lecture du dos de la boîte, si ce n’est à l’apprentissage des règles.

40Ces choix relèvent souvent de stratégies marketing délibérées – ainsi de la présence croissante de femmes sur les boîtes – mais s’inscrivent également dans des impensés. Pourquoi utiliser des enluminures médiévales pour des jeux médiévalistes, mais pas des fresques de Pompéi ou des bas-reliefs égyptiens pour les jeux à thème antique ? Pourquoi les jeux médiévalistes affichent-ils en titre des dates absentes des jeux à thème antique ? Vendre un jeu historique suppose ainsi d’utiliser une histoire vendable, autrement dit à même d’être facilement convoquée et instrumentalisée puisque réduite à un certain nombre d’icônes reconnaissables et populaires. Cette réduction n’est pas à lire comme un appauvrissement des imaginaires historiques mais témoigne de la manière dont ces constructions mentales se reconfigurent au fil du temps. Aussi stéréotypées soient-elles, ces images n’en intègrent pas moins des réseaux de sens aussi riches que complexes, qui contribuent à modeler la manière dont on se représente les sociétés du passé et en particulier à cimenter les imaginaires individuels et collectifs de l’Antiquité et du Moyen Âge en diffusant encore et toujours les mêmes images, les mêmes biais, les mêmes clichés. Finalement, si l’histoire fait vendre, c’est aussi parce que la vente fait l’histoire.

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Notes

1 Véronique Yvernault, « Le jeu de société marque encore des points », LSA [En ligne], mis en ligne le 26 janvier 2022, https://www.lsa-conso.fr/le-jeu-de-societe-marque-encore-des-points,401841. Sans doute faut-il relativiser cette expansion en rappelant que les jeux de plateau les moins traditionnels touchent encore un public assez restreint, tant quantitativement que sociologiquement : des jeux aussi célèbres dans le monde ludique que Carcassonne ou Les colons de Catane sont ainsi inconnus de 90 % du panel analysé par Vincent Berry et Samuel Coavoux, « "Qui veut jouer au Monopoly ?" Cultures et pratiques du jeu de société en France », Sciences du jeu [En ligne], n°14, 2021, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdj/2819. Les jeux historiques ici analysés restent donc, comme l’écrivent les auteurs, « des pratiques confidentielles » largement réservées à un public de « boardgamers », public qui cependant ne cesse de croître.

2 Sur ces professionnels, voir Vincent Berry et Nathalie Roucous, « Conception et édition de jeux de société : étude du secteur (de niche) et trajectoires professionnelles », Sciences du jeu [En ligne], n°13, 2020, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdj/2732.

3 En l’absence de données chiffrées fiables, il est difficile d’évaluer la part de jeux à thèmes historiques dans la production actuelle. Nous nous contenterons donc de noter que 14 des 36 jeux sélectionnés pour l’« As d’Or » au Festival International des Jeux de Cannes sur les années 2022, 2023 et 2024 travaillent le matériau historique.

4 Notons que la bibliographie consacrée au médiévalisme ludique est en réalité très réduite, la quasi-totalité des études se penchant sur des jeux vidéo – plus célèbres, plus diffusés, plus accessibles. Les trois ouvrages dirigés par Robert Houghton (Karl Alvestad et Robert Houghton (dir.), The Middle Ages in Modern Culture. History and Authenticity in Contemporary Medievalism, Londres, Bloomsbury, 2021 ; Robert Houghton (dir.), Teaching the Middle Ages through Modern Games Using, Modding and Creating Games for Education and Impact, Berlin, De Gruyter, 2022 ; Robert Houghton (dir.), Playing the Middle Ages. Pitfalls and Potential in Modern Games, Londres, Bloomsbury, 2023), malgré une volonté affichée de travailler sur les « physical and digital games », se concentrent quasiment exclusivement sur les seconds ; les articles proposent des approches essentiellement monographiques articulées autour des monuments vidéoludiques médiévalistes que sont Crusader Kings, A Plague Tale, Skyrim ou encore Assassin’s Creed. Les journées d’études en ligne « Middle Ages in Modern Games Twitter », organisées chaque année depuis 2020 et dont les actes sont disponibles en ligne (https://www.winchester.ac.uk/research/Our-impactful-research/Research-in-Humanities-and-Social-Sciences/Research-centres-groups-and-networks/Centre-for-Medieval-and-Renaissance-Research/The-Middle-Ages-in-Modern-Games/), sont elles aussi très largement focalisées sur les jeux vidéo, malgré quelques exceptions. Signalons enfin que l’ouvrage intitulé Jouer avec l’histoire (Olivier Caïra, Jérôme Larré et al., Jouer avec l'histoire, Villecresnes, Pinkerton Press, 2009) n’est pas une analyse universitaire mais rassemble des conseils pour créer des jeux de rôle historiques. Aussi, sans méconnaître ni les travaux qui, en France ou ailleurs, se penchent sur les liens entre les imaginaires historiques et les cultures ludiques (ainsi des études d’Antoine Dauphragne sur les jeux de rôle, d’Antoine Bourguilleau sur les wargames ou de Laurent di Filippo sur les MMORPG), ni sous-estimer les liens profonds tant génériques que génétiques qui unissent jeux de plateau et jeux vidéo, nous considérons qu’il s’agit là d’un champ largement en friche.

5 Voir Florian Besson et Pauline Ducret, « "Je ne joue jamais si ce n’est à l’an mil". Le Moyen Âge dans la culture ludique contemporaine », dans Martin Aurell, Florian Besson, Justine Breton et Lucie Malbos (dir.), Les Médiévistes face aux médiévalismes, Rennes, PUR, 2023, p. 89-99.

6 Nous suivons, pour classer les jeux étudiés dans cet article, les catégories établies par le jury de l’« As d’Or » du Festival International des Jeux de Cannes qui distingue les jeux en fonction de leur accessibilité, de leur difficulté, du temps de jeu et, plus globalement, de l’investissement qu’il demande aux joueurs : enfant, familial, initié, expert.

7 Comme le montre également, dans ce même numéro, Hélène Cordier, « "Et si on mettait une épée sur la couverture ? Le marketing éditorial médiévaliste" » (https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/belphegor/6502)

8 François Bachelart et Antonio Mainez, Along History, Pins, Nostromo Éditions, 2023.

9 Reiner Stockhausen et Klemens Franz, Orléans, Paris, Matagot, 2015 ; la couverture reproduit, à peine retravaillée dans des graphismes numériques, l’enluminure « Clerc, chevalier et laboureur », dans Aldobrandino de Siena, Li Livres dou Santé, vers 1285, MS Sloane 2435, fol. 85, British Library.

10 Ken Shannon, Jody Barbessi et Karen Boginski, Le Tournoi de Camelot, Ivry sur Seine, Origames, 2022 ; la couverture recopie à l’identique une enluminure extraite de Michael Lupi de Çandiu, Vidal Mayor, v. 1310, MS Ludwig XIV 6, fol. 169v.

11 Des pictogrammes qui confirment cette première impression sont présents sur la couverture, en bas à droite, d’Orléans, mais l’acheteur doit retourner la boîte pour avoir ces informations dans le cas du Tournoi de Camelot.

12 Jay Cormier, Sen-Foong Lim et Chris Quilliams, Akrotiri, Montréal, Filosofia, 2014, dont la couverture se compose d’un visuel faisant penser à une mosaïque grecque ou romaine ; Michele Quondam et Lamberto Azzariti, Romolo o Remo ?, 2013 (jeu disponible sur le site Giochix.it), qui utilise une monnaie d’apparence antique représentant les profils de deux personnages qu’on imagine être Romulus et Remus ; Stefan Feld et Jo Hartwig, Trajan, Mannheim, Ammonit-Spiel, 2012, qui utilise une statue impériale imaginaire ; Henri Molliné, Sylas et Christine Alcouffe, Pharaon, Lyon, Catch Up Games, 2019, qui crée un bijou et des bas-reliefs d’inspiration égyptienne.

13 Rikki Tahta et Naïade, Epix, Mérignac, Ferti, 2015.

14 Sébastien Pauchon, Julio Cesar, Corinth, Paris, Days of Wonder, 2019.

15 Johannes Goupy, Bruno Cathala et Paul Mafayon, Orichalque, Lyon, Catch Up Games, 2022.

16 Voir Tea de Rougemont, « Medieval Letterings – Gameplay, Argumentum and Conservation », dans Robert Houghton (dir.), The Middle Ages in Modern Games : Conference Proceedings, vol. 2, The Public Medievalist, Winchester, University of Winchester, 2021, p. 71. Disponible sur le site de l'université de Winchester [En ligne], https://issuu.com/theuniversityofwinchester/docs/mamg21_proceedings?fr=sMDYyMTU2MDg1ODQ

17 Florian Besson, « Mais que fait la police ? Les typographies, entre recherche d’authenticité et jeux sur les clichés historiques », dans Justine Breton et Audrey Tuaillon-Démésy (dir.), Les Langues anciennes et leurs imaginaires, Autun, Human-Hist/VIII Éditions, 2024, p. 41-49 ; dans ce même ouvrage, appliqué au péplum, voir également Pauline Ducret, « Veni, vidi, vici : quand le péplum se met à la VO », p. 9-20.

18 Åse Berg, Henrik Berg et Denis Martynets, Rattus, Paris, Matagot, 2023 ; Laurent Gary, Nicolas Treill, Breizh 1341, Aubenas, Shakos, 2022 ; Lefteri Iroglidis, Alexander Boucharelis, Anestis Iroglidis, Mateusz Bielski, Maciej Mutwil et Chrisi Giannopoulou, Byzantio, Turku, Ludicreations, 2013 ; Reiner Knizia et Ian O’Toole, Ra, Grand Rapids (Minn.), Windrider Games, 2016.

19 Laurent Gary et Nicolas Treil, Breizh 1341, Aubenas, Shakos, 2022 ; Vladimir Suchy et Raul Fernandez Aparicio, Messina 1347, Prague, Delicious Games, 2021 ; William Attia et Arnaud Demaegd, Caylus 1303, Guyancourt, Space Cowboys, 2019 ; Javier Jésus et Dominguez Cruz, Toledo 1085, Séville/Toulouse, Edge Entertainment, 2010.

20 Gérard Chandès, « Réplicateurs visuels et sonores du monde néo-médiéval », Itinéraires. Littérature, textes, cultures, n°3, 2010, p. 167-175.

21 Sur la cathédrale comme symbole du Moyen Âge, voir Étienne Anheim et Catherine König-Pralong, « Introduction. Le Moyen Âge des sciences sociales », Revue d’histoire des sciences humaines, n°43, 2023, p. 7-48.

22 Pour la première, Michael Rieneck et Stefan Stadler, Les Piliers de la Terre, Nancy, Iello, 2017 ; Lukasz Pogoda, Basilica, Gdansk, Rebel, 2010 ; Frédéric Henry et Sabrina Miramon, Les Bâtisseurs – Moyen Âge, Quimper, Bombyx, 2013 ; pour le second, Bruno Cathala et Cyril Bouquet, Kingdomino, Pont-à-Mousson, Blue Orange, 2017 ; Stefano Castelli et Pavel Hordyniak, Minute Realms, s.l., dV Giochi, 2018 ; Volker Schächtele, Queen’s Architect, Troisdorf, Queen Games, 2015 ; Inka Brand, Markus Brand et Julien Delval, Burgenland, Pfastatt, Ravensburger, 2014.

23 Dominique Ehrard et Arnaud Demaegd, Sylla, Clermont-Ferrand, Ystari Games, 2008 ; Andrei Novac et David Szilagyi, Praetor, Bucarest, NSKN Games, 2014 ; Attila Szogyi et Gyula Poszgay, Ave Roma, s.l., A-Games, 2016 ; Rikki Tahta et Pascal Quidault, Senators, Ferti, 2018 ; Matthieu Poitevin, Alexandre Bonvalot et Joelle Drans, L’Empire de César, Pointe-des-Cascades, Synapses Games, 2021 ; Evgeny Petrov et Irina Pechenkina, Lotta Rome, Erevan, Red Cat, 2022.

24 Laury-Nuria André parle de même du « syndrome Acropole » pour les jeux vidéo à sujet antique : Laury-Nuria André, Game of Rome. L’Antiquité vidéoludique, Caen, Passage(s), 2016, p. 17.

25 Bernd Eisenstein et Matthias Catrein, Peloponnes, Enghien, Jactalea, 2013.

26 Eric Labouze, Fabrice Weiss et Alexey Yakovlev, Genesia, Paris, Super Meeple, 2020.

27 Charles Davoine, La Ville défigurée. Gestion et perception des ruines dans le monde romain (ier siècle av. JC. ive siècle ap. JC.), Bordeaux, Ausonius, 2021.

28 Laury-Nuria André et Sophie Lécole-Solnychkine, « Paysages et topoi dans le peplum grec contemporain : de l’esthétique de la ruine à sa resurrection virtuelle », Anabases, n° 18, 2013, p. 109-127 ; Laury-Nuria André, Clash of the classics. L’Antiquité dans le cinéma contemporain, Caen, Passage(s), 2021, p. 202-208.

29 Philippe Jockey, Le Mythe de la Grèce blanche. Histoire d'un rêve occidental, Paris, Belin, 2015, et, pour le Moyen Âge, p. 116-126.

30 Dávid Turczi, Daniele Tascini, Alexander Zawada, Zbigniew Umgelter, Michał Długaj et Jakub Fajtanowski, Tekhenu : l’obélisque du soleil, s.l., Board and Dice, 2020 ; Matthew Dunstan, Brett J. Gilbert, Iosu Palacios Asenio, Nile Artifacts, Roubaix, Ankama, 2021.

31 Bruno Cathala, Ludovic Maublanc et Julien Delval, Cléopâtre et la société des architectes, Paris, Days of Wonder, 2016 ; Reiner Knizia, Ra, op. cit. ; Frank Crittin, Grégoire Largey et Sébastien Pauchon, Ankh’or, Guyancourt, Space Cowboys, 2022 ; Wolfgang Lüdtke, César et Cléopâtre, Montréal, Asmodée-Filosofia, édition 2010.

32 Bruno Cathala, Ludovic Maublanc et Julien Delval, Cléopâtre et la société des architectes, op. cit.

33 Wolfgang Kramer, Richard Ulrich, Doris Matthäus, El Grande, Rio Rancho, Rio Grande Games, 1995, et Munich, Hans im Glück, 2023.

34 Amandine Berton-Schmitt, Faire des manuels scolaires des outils de l’égalité entre les femmes et les hommes, Paris, Centre Hubertine Auclert, 2020, p. 11-16.

35 Wolfgang Kramer, Richard Ulrich, Arnaud Demaegd et Eckhard Freytag, Les Princes de Florence, Paris, Ystari Games, 2007 et Le Blanc-Mesnil, Don’t Panic Games, 2023.

36 Sur ce point, voir le mémoire de master de Darinka Rabu, « Comment les femmes tirent leur épingle du jeu ? Étude de l’hégémonie masculine dans l’industrie ludique et les jeux de société modernes », sous la direction de Mehdi Derfoufi, Université Paris 8, 2023, ainsi que Daisy Black, « Malevolent and marginal: the feminized "Dark Ages" in modern card game cultures », dans Karl Alvestad et Robert Houghton (dir.), The Middle Ages in Modern Culture. History and Authenticity in Contemporary Medievalism, Londres, Bloomsbury, 2021, p. 105-118.

37 La couverture associe en effet un sénateur, un légionnaire, un gladiateur sur le point de pointer son pouce vers le bas, un Colisée et une scène d’orgie. Soulignons qu’à l’inverse les (nombreux) clichés associés au Moyen Âge, comme la torture, la saleté, la violence et tout un imaginaire de l’obscurité, sont très rarement convoqués sur des couvertures de jeux, car il s’agit de clichés négatifs, donc répulsifs ; alors que les clichés liés à l’Antiquité, qu’ils mobilisent l’image de la luxure décadente, de l’armée invincible ou du politicien comploteur, sont plus ambivalents et peuvent donc être utilisés dans des dispositifs communicationnels et commerciaux visant à séduire de potentiels acheteurs. Ici, c’est bien la spécificité du média « jeu de société » qui explique la manière dont on joue avec l’histoire : alors qu’une scène de torture ou de bûcher peut être un puissant ressort narratif dans un roman ou une série historique, elle risque d’être perçue comme répulsive sur une boîte de jeux, ce qui explique donc que ce médiévalisme violent et sombre ne soit pas utilisé pour vendre des jeux historiques.

38 Voir dans ce même numéro l’article de Gauthier Gruber, « Produire du Moyen Âge pour les élèves » (https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/belphegor/6522).

39 Inka Brand, Markus Brand et Dennis Lohausen, Descendance, s.l., Gigamic, 2011.

40 Julien Nigon et Carole Chaland, Pelegrinus, Tours, Asyncron, 2018.

41 Matthieu Poitevin, Alexandre Bonvalot et Joelle Drans, L’Empire de César, op. cit.

42 Vlaada Chvatil, Jakub Politzer et Milan Vavroň, Through the Ages, Nancy, Iello, 2010.

43 Ed Teixeira, Heroes of the Colosseum, Pueblo West, Lock’N Load Publishing, 2015.

44 Jean-Léon Gérôme, Pollice Verso, 1872 (huile sur toile, 100,3x148,9 cm, conservée au Phoenix Art Museum).

45 Robert Haines, Don Greenwod, Richard Berthold, Kurt Miller, Mark Poole et Patrick Turner, Res Publica Romana, Séville/Toulouse, Edge Entertainment, 2011 ; Paolo Mori, Caesar !, Henfield/Strasbourg, PSC Games/Barbu INC, 2022 ; Pierluca Zizzi, Paolo Vallerga, Paolo Meriti, Caligula, s.l., Post Scriptum, 2008.

46 Mathieu Gabella et Andrea Meloni, César, Paris, Glénat/Fayard, 2019.

47 Bernd Eisenstein et Matthias Catrein, Panthalos, Berlin, Irongames, 2014.

48 Ils héritent eux-mêmes ce modèle de la peinture romantique travaillant le motif du sublime avec une figure, généralement masculine, face à un paysage naturel.

49 Ainsi de la couverture de Mario Papini, Lancelot, Bloomingdale, WizKids, 2017, qui représente certes un chevalier en armure, mais dans une attitude humble et dans des teintes tirant vers la peinture victorienne, ou plus encore de la couverture de Clément Leclerq, Roméo Hennion, Mathieu Blayo, Yann Bartelheimer et Zael, L’Année des 5 empereurs, Grenoble, Game Flow, 2022 : contournant l’impératif d’incarnation, la couverture représente avec subtilité cinq mains se partageant une couronne de lauriers, proposant donc un motif original tout en réinvestissant un certain nombre de symboles antiques familiers au grand public (la couronne de laurier, l’association de la pourpre et de l’or, le fond blanc qui évoque le marbre).

50 Nous rejoignons donc largement les conclusions tirées, à propos du jeu de rôle grandeur nature, par Gil Bartholeyns et Daniel Bonvoisin, « Le Moyen Âge sinon rien. Statut et usage du passé dans le jeu de rôles grandeur nature », Senefiance, n°56, 2010, p. 47-57.

51 Pour rester sur L’Année des 5 empereurs, on peut ainsi noter que la couverture annonce clairement la mécanique centrale du jeu, puisque les joueurs, au nombre maximum de cinq, vont devoir s’approprier des cartes disposées autour d’un plateau ovale pour conquérir le pouvoir, tout comme sur la couverture les mains s’approprient les feuilles de la couronne de lauriers pour devenir le seul empereur. Il s’agit bien là d’une exception tant, en règle générale, la couverture apparaît comme une image paradoxalement détachée – on irait jusqu’à dire décontextualisée – du jeu qu’elle illustre.

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Table des illustrations

Légende Illustration 1. Boîte du jeu Along History
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Légende Illustration 2. Boîte du jeu Orléans
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Légende Illustration 3. « Clerc, chevalier et laboureur », enluminure représentant les trois ordres, dans Aldobrandino da Siena, Li Livres dou Santé, vers 1285
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Légende Illustration 4. Boîtes de jeux Romolo o Remo ?, Trajan, Akrotiri, Pharaon
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Légende Illustration 5. Boîtes des jeux Orichalque, Epix, Corinth
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Légende Illustration 6. Boîtes des jeux Breizh 1341, Rattus, Byzantio, Ra
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Légende Illustration 7. Boîtes des jeux Les Piliers de la Terre, Basilica, Les Bâtisseurs – Moyen Âge, Kingdomino, Queen’s Architect, Minute Realms, Burgenland
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Légende Illustration 8. Boîtes des jeux Ave Roma, Senators, Lotta Rome, Praetor, L’Empire de César, Sylla23
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Légende Illustration 9. Boîte du jeu Peloponnes
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Légende Illustration 10. Boîtes de divers jeux portant sur l'Égypte antique
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Légende Illustration 11. Boîtes du jeu El Grande (versions de 1995 et 2023)
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Légende Illustration 12. Boîtes de jeux mettant en scène Cléopâtre
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Légende Illustration 13. Boîtes du jeu Princes de Florence (versions de 2007 et 2023)
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Légende Illustration 14. Boîtes de jeux mettant en scène des personnages de sénateurs, de légionnaires ou de gladiateurs
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Légende Illustration 15. Boîtes de jeux mettant en scène un personnage de chevalier
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Légende Illustration 16. Boîtes de jeux mettant en scène des empereurs romains
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Légende Illustration 17. Représentations ludiques et vidéoludiques de Kronos et des Titans
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Légende Illustration 18. Boîtes de jeux mettant en scène un personnage de dos face au paysage
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Légende Illustration 19. Boîtes de jeux mettant en scène un personnage de face faisant signe vers le paysage
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Pour citer cet article

Référence électronique

Florian Besson et Pauline Ducret, « Entre réplicateurs historiques et stratégies marketing : l’Antiquité et le Moyen Âge sur les boîtes de jeux de société »Belphégor [En ligne], 22-2 | 2024, mis en ligne le 16 décembre 2024, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/belphegor/6453 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/130vg

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Auteurs

Florian Besson

florient.latin@gmail.com

Florian Besson est médiéviste. Spécialiste des croisades et des États latins d'Orient, il travaille également sur les médiévalismes contemporains, à la fois dans la fantasy – il a notamment codirigé Kaamelott, un livre d'histoire (Vendémiaire, 2018) et coécrit Une histoire de feu et de sang. Les Moyen Âge de Game of Thrones (PUF, 2020) – et dans les instrumentalisations politiques – il a entre autres coécrit Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l'histoire (Les Arènes, 2022). Depuis deux ans, il conduit avec Pauline Ducret un programme de recherche centré sur la manière dont les jeux de société utilisent et réinventent l'histoire antique et médiévale.

    

 

Pauline Ducret

École française de Rome

paulineducret.univ@gmail.com

Spécialiste d’histoire économique et d’archéologie de la construction de la Rome républicaine et augustéenne, Pauline Ducret est actuellement membre scientifique de l’École française de Rome. Elle développe par ailleurs depuis plusieurs années un second axe de recherche sur la réception des périodes anciennes dans la culture populaire et les médias contemporains, qu’il s’agisse de bandes dessinées, de films et de séries, de jeux ou encore de discours politiques. Elle a notamment participé au catalogue d’exposition Alix. L’Art de Jacques Martin, 9e art + éditions, Angoulême, 2018 ; a écrit, avec Florian Besson, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, l’essai Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, publié aux Arènes en 2022 ; et a dirigé, avec Florian Besson et Fabien Bièvre-Perrin, le n° 9 de la revue Frontière.s consacré aux « Passés politisés » (2023).   

 

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Droits d’auteur

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