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Comptes-rendus

Jean-Maurice Rosier, Mauvais genres, mauvaises lectures, mauvaises gens

Vittorio Frigerio
Référence(s) :

Rosier, Jean-Maurice. Mauvais genres, mauvaises lectures, mauvaises gens. Mons : Éditions du Cerisier, 2010. 127 p. ISBN : 2-87267-145-5

Texte intégral

1Pour peu qu’une histoire des rapports entre la littérature lettrée, de diffusion restreinte, et le vaste monde de la paralittérature puisse s’écrire en cent vingt et quelques pages, ce livre de Jean-Maurice Rosier, professeur à l’Université libre de Bruxelles, y parvient. Conçu comme une exploration systématique des « mauvais genres » – pris en tant que tels mais également en rapport à l’évolution historique du concept même de littérature et en rapport à l’usage qui en est fait par des lecteurs de toutes les classes – le livre passe en revue la bande dessinée, la science-fiction, le polar, le roman d’espionnage, le roman sentimental, le roman-photo, la novélisation, le best-seller, les mangas, les blogs-romans et on en passe, le tout encadré par d’utiles mises en contexte initiales et des conclusions qui donnent à réfléchir. Il serait abusif de dire que l’analyse de l’auteur, quoique parfois par nécessité très rapide, se lit, selon l’expression consacrée, comme un roman (policier ou pas). L’épaisseur des références et l’abondance des renvois, unis à un style qui ne recherche pas toujours d’instinct la transparence, ne font pas de ce livre pourtant mince une lecture rapide. Elle est du moins toutefois très stimulante.

2Son objectif se limite – ce qui n’est guère une critique – au monde de l’écriture et l’édition franco-belge. En soi, il s’agit donc déjà d’un domaine suffisamment vaste et sur une durée suffisamment longue (les quelque 180 ans canoniques depuis Sainte-Beuve et sa dénonciation de la littérature industrielle). L’argument est soutenu par une tout aussi vaste érudition en la matière, quoique l’on puisse noter qu’il aurait été utile de faire référence aux travaux de Charles Grivel en parlant du roman-photo, d’Arnaud Huftier et de Roger Bozzetto en parlant du fantastique (plutôt que du fatigué Todorov), ou de Jan Baetens pour la novélisation. Mais cela ne veut guère dévaluer l’excellente connaissance montrée par l’auteur des critiques les plus marquants ayant œuvré dans le domaine de la littérature de masse et des commentateurs – de gauche surtout, mais aussi de droite – qui ont disserté, pour s’en plaindre ou s’en complaire, du développement de la littérature destinée au plus grand nombre.

3Il ne s’agit pas ici, comme le titre pourrait d’abord le laisser supposer, d’un ouvrage militant en faveur de la littérature populaire et pourfendant les critiques aristocratiques. Il n’y est nullement question de défendre les productions « industrielles » ou de valoriser la lecture populaire en opposition à la création reconnue par les institutions culturelles. L’auteur reconnaît d’emblée que « la situation actuelle est […] passablement confuse, car la perte de prestige du légitime est manifeste » (23), mais il le fait sans masquer le fait que la lecture dans les écoles a régressé à un tel point qu’il n’est guère étonnant qu’on voie des titres appartenant à la littérature de masse faire leur apparition dans les programmes des cours, car de nos jours « s’adonner à la lecture de n’importe quel texte suffit à conférer un brevet culturel » (18). En fait, dans son parcours, Rosier, tout en mettant en lumière les mécanismes par lesquels les institutions savent si bien marginaliser tout ce qui ne cadre pas avec la vision idéale qu’elles désirent projeter, n’hésite guère à pointer du doigt les limites et les insuffisances à la fois de l’écriture et de la lecture « populaires » ou prétendues telles. L’objectif de l’ouvrage apparaît ainsi comme étant d’indiquer les pièges de la massification pour pouvoir parvenir à « une véritable démocratisation culturelle » (10) qui ne serait pas uniquement glorification du produit industriel, mais authentique appréciation différenciée des valeurs véhiculées par divers types d’écritures et divers modes de fruition.

4Rosier jongle dès lors avec les divers genres de classification de la production culturelle, montrant à quel point l’école (complètement dépassée par les pratiques de lecture et d’écriture contemporaines) peine à faire passer auprès des étudiants une vision figée de ce qu’est la culture – du moins cette seule culture qu’elle se sent habilitée à transmettre. Face à cela se développe le discours critique sur les genres naguère dévalorisés, qui survient peut-être trop tard (on le craint) face à une consommation de produits narratifs qui se déplace de plus en plus vers d’autres médias que la page imprimée.

5Ce livre a donc le grand mérite de résumer de manière souvent très efficace les grandes données de base du débat opposant une culture d’élite à une culture ouverte au plus grand nombre, tout en évitant de tomber dans les simplifications outrancières que ce type de contraste suscite souvent. Le positionnement idéologique de l’auteur est clairement à gauche : l’isolement dédaigneux des intellectuels qui honnissent le peuple est visé autant que l’abrutissement infligé au lecteur/téléspectateur par une culture hypocritement « populaire », mais en réalité artificielle. Les conclusions qu’il tire de son panorama rapide et soigné méritent d’être partagées : « Pour respecter l’autre, désigné comme faible lecteur, il faut rejeter le discours de mépris sur ses préférences – bande dessinée, polars, fanfictions – et ne pas s’illusionner sur la possibilité de gérer en douceur l’écart qui sépare ceux qui savent de ceux qui ne lisent que de la paralittérature » (121). C’est dire qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire…

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vittorio Frigerio, « Jean-Maurice Rosier, Mauvais genres, mauvaises lectures, mauvaises gens »Belphégor [En ligne], 12-1 | 2014, mis en ligne le 12 juin 2014, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/belphegor/510 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/belphegor.510

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