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Compte-rendus

Correspondance générale d’Eugène Sue. Volume III (1846-mai 1850), Éditée par Jean-Pierre Galvan.

Vittorio Frigerio
Référence(s) :

Correspondance générale d’Eugène Sue. Volume III (1846-mai 1850). Éditée par Jean-Pierre Galvan. Paris : Champion, 2016. 887 p. ISBN : 9782745329479.

Texte intégral

1Ce troisième volume de l’œuvre admirable et véritablement monumentale accomplie par Jean-Pierre Galvan couvre des années importantes dans la vie du grand romancier et feuilletoniste, en particulier celles qui suivent son entrée en politique et son élection comme député de Paris en 1850. Il siégera alors dans les rangs de l’extrême gauche, évolution remarquable pour cet ancien dandy, à qui les succès romanesques ont garanti une aisance certaine et qui devra par conséquent faire face à de vigoureuses – et mal fondées – accusations d’hypocrisie, notamment de la part de ce même Jacquot, dit Eugène de Mirecourt, qui s’était fait une spécialité de médire des romanciers les plus appréciés du public et avait attaqué Alexandre Dumas dans un pamphlet qui fit le plus grand mal à sa réputation auprès de la postérité.

2C’est dans ces années que Sue écrit certains de ses romans les plus ouvertement militants, tel Martin l’enfant trouvé ou Les Sept péchés capitaux, imbus d’idéologie fouriériste, pour revenir ensuite, face à un accueil mitigé de la part du public, à un ton plus susceptible de plaire aux lecteurs et surtout aux lectrices issues de la bourgeoisie qui composent la plus grande partie de son lectorat. C’est que, comme l’exprime l’un de ses correspondants en donnant sur avis sur Martin, « Vous allez un peu vite et un peu loin, mon brave ; êtes-vous sûr de tenir vos auditeurs jusqu’au bout ? » (75) Mais ce sont Les Mystères du peuple, « formidable épopée prolétarienne en seize volumes » (12), publiés sur huit ans, qui viendront clore magistralement sa carrière avec une histoire de lutte des classes déguisée en lutte des races, entre les prolétaires descendants des Gaulois vaincus et les exploiteurs descendants des Francs conquérants.

3Ce sont ces événements que Galvan rappelle au lecteur dans son introduction, expliquant aussi le travail de recherche qui a pu le mener à rassembler dans ce volume des documents épars et d’obtention fort difficile, depuis près de trente ans qu’il travaille avec minutie à cette tâche ardue. Les principes d’édition sont les mêmes que pour les deux volumes précédents. Chaque année est précédée d’une chronologie utile et un grand nombre de notes de bas de page aident à éclairer les plus menus détails des échanges de l’auteur avec ses admirateurs, ses amis, ses éditeurs.

4Comme c’est inévitable dans un ouvrage de ce genre, qui reconstruit presque au jour le jour une vie et les activités nécessairement confuses et multiples d’un personnage soumis à mille pressions et tiraillé dans tous les sens par ses correspondants, on trouvera des lettres criantes de vérité et d’intérêt humain mélangées à des correspondances d’affaires ou à des appels à l’aide, bien nombreux, rédigés sur les tons les plus mélodramatiques et lacrimatoires, dans l’orthographe la plus incongrue qui soit. Bien nombreux sont ceux qui s’adressent à Sue dans l’espoir d’en devenir les protégés, et qui expriment dans leurs lettres des variantes de l’appel « Si vous vouliez ma position changerait » (126). Ce sont au fond ces lettres, qui restituent toute une époque et rendent perceptible et compréhensible la profonde influence que Sue – « le noble défenseur des intérêts de l’humanité » (257) – a pu avoir sur ses contemporains, qui font l’intérêt du volume. Propositions de collaboration, idées pour de nouvelles œuvres, manuscrits soumis dans l’espoir d’une appréciation positive, offres d’amitié, dénonciations d’injustices sociales que l’on espère voir l’auteur condamner dans ses futurs ouvrages… Et au milieu de tout cela aussi, dans les lettres de Sue lui-même, des allusions et des jugements sur les autres grands écrivains du temps qui intéresseront plus particulièrement les férus de littérature, comme ces quelques mots sur Balzac, dont les livres donnent « un véritable et profond enseignement […] sauf [pour] le refrain : l’Église catholique, l’Église catholique […] » (197). Sans parler des traités avec les éditeurs, discutés et rediscutés, des échanges avec ceux-ci, des dissensions et éventuellement des procès qui ont pu en découler ; et puis les adaptations théâtrales des œuvres, leur réception, les rapports avec la censure, les détails des droits... Quelques remarques font sourire, comme la réticence de Sue face à une suggestion de l’éditeur Troupenas pour contourner certaines difficultés avec l’éditeur Gosselin. Le romancier dit espérer « n’être pas réduit à écrire des volumes à la Dumas comme vous dites, car il me serait impossible de mettre mon nom à une œuvre que je n’aurais pas faite en toute conscience. » (547) Mais en plus de ses rapports avec les écrivains de son temps, Lamartine, George Sand, ou le grand homme de presse Émile de Girardin, ce sont les lettres et les écrits détaillant l’engagement politique de Sue, surtout lors de la période précédant son élection, qui se révèlent intéressants pour qui veut se faire une idée brute et immédiate de l’ambiance qui pouvait régner en France entre la révolution de 1848 et les débuts du Second Empire, tous, comme il le dit lui-même, gages « de dévouement à l’impérissable et sainte cause de la démocratie socialiste » (603).

5Un « Dictionnaire des correspondants », ainsi qu’un « Index des noms cités » et un « Index des œuvres d’Eugène Sue viennent clore très utilement l’ouvrage. Il serait difficile de dire tout le bien qu’il faudrait d’un travail comme celui-ci, d’une érudition méticuleuse et intelligente, précis, clair et éminemment lisible. Cette Correspondance, dans ses trois tomes, est un véritable monument et mérite d’être saluée par tous les spécialistes de la période.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vittorio Frigerio, « Correspondance générale d’Eugène Sue. Volume III (1846-mai 1850), Éditée par Jean-Pierre Galvan.  »Belphégor [En ligne], 16-1 | 2018, mis en ligne le 04 juillet 2018, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/belphegor/1128 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/belphegor.1128

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