Colloque : « 2000 ans de Diasporas »
Texte intégral
1Le colloque intitulé « 2000 ans de Diasporas » s’est tenu les 14, 15 et 16 février 2002 à Poitiers. Cette conférence internationale, organisée par L. Anteby-Yemini (CNRS/CRFJ), W. Berthomière (CNRS, MIGRINTER) et Gaby Sheffer (Université hébraïque de Jérusalem), est le fruit d’une collaboration entre le Centre de recherche français de Jérusalem, l’unité MIGRINTER (UMR 6588, Poitiers) et le département des Sciences Politiques de l’Université hébraïque de Jérusalem et a pu être réalisé avec le soutien du Ministère français de la Recherche, de la Région Poitou-Charentes (Com’Science), du CNRS, de l’Université de Poitiers et de la MSHS. Ce colloque s’est donné pour but d’éclairer la notion de diaspora en adoptant une approche critique et interdisciplinaire de ses diverses acceptions. Cette rencontre, destinée à des anthropologues, sociologues, géographes, mais aussi politologues et historiens s’est voulue une réflexion méthodologique et théorique sur l’évolution des diasporas classiques (Juifs, Arméniens, Grecs), sur l’émergence de nouvelles diasporas (maghrébine, russe, asiatique...), sur la construction des notions d’exil et de retour, sur les représentations de la terre d’origine, imaginaire ou réelle (Palestiniens, Tsiganes...), sur les réseaux transnationaux (diasporas chinoise, turque, maghrébine...) et sur l’avenir des diasporas quand l’intégration et l’assimilation sont des variables qui orientent leurs caractères futurs. Comme chaque diaspora qui a son histoire, ce colloque a aussi son histoire. Ainsi, de même que les diasporas s’exilent de leur terre d’origine, ce congrès a malheureusement pris un caractère diasporique et a dû s’exiler à Poitiers alors qu’il devait avoir lieu en octobre 2000 à Jérusalem. En raison de la situation politique en Israël, de nombreux collègues français ont refusé de se rendre à Jérusalem et le colloque a été reporté et déplacé.
2Les sessions se sont déroulées dans les agréables locaux de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de l’Université de Poitiers et la conférence a bénéficié d’une traduction simultanée, grandement appréciée par les anglophones. La première journée s’est proposée de dresser un état des lieux des études sur les diasporas et d’aborder des questions théoriques, en s’efforçant de définir le terme de « diaspora » et en prenant comme point d’ancrage la diaspora juive, archétype des groupes diasporiques. L’ouverture du colloque s’est faite par de courts discours d’accueil par un représentant de la région Poitou-Charentes, un représentant de l’administration de l’université de Poitiers, M. MaMung (directeur de Migrinter), D. Bourel (directeur du CRFJ) et les organisateurs.
3La première session, intitulée « La diaspora juive aujourd’hui » a commencé par un aperçu historique des stratégies de survie et des structures d’organisation diasporiques qui pourraient expliquer le « miracle » de la pérennité juive (S. Epstein, Université hébraïque de Jérusalem) : en l’absence de mère-patrie, d’importants centres démographiquement, politiquement, et intellectuellement dominants ont joué ce rôle de référence. Puis a suivi une présentation des tendances et des projections démographiques concernant la diaspora juive mondiale et les transformations à prévoir dans la définition même de « communauté juive » (S. Della Pergola, Université hébraïque de Jérusalem) qui n’a pas été sans provoquer des réactions de la part des participants palestiniens entraînant un débat fort animé. Deux exemples concrets ont été présentés, l’un ayant trait à la restructuration identitaire de la diaspora juive américaine à la fin du XXème siècle (U. Rebhun, Université hébraïque de Jérusalem) et l’autre, dans une communication assez provocatrice, portant sur la « dé-sionisation » de la diaspora juive en Occident et la perte de la centralité de la terre ancestrale par W. Safran (Université du Colorado, USA), auteur de l’un des articles fondamentaux dans le domaine des études sur les diasporas. Ces communications ont toutes posé la question du devenir de la diaspora juive et ont suggéré qu’il serait nécessaire de repenser le terme même de diaspora, face aux évolutions des constructions identitaires des communautés juives et de la place décroissante d’Israël, comme terre d’origine (homeland), dans ces processus.
4La seconde session, « Définir les diasporas », a permis de cerner la notion de diaspora par des chercheurs de disciplines différentes. En commençant par la terminologie utilisée en Grèce et dans le monde hellénique pour décrire les phénomènes diasporiques (M. Bruneau, CNRS/TIDE), le terme de « diaspora » a été ensuite analysé du point de vue des sciences politiques (S. Dufoix, Université Paris X-Nanterre), de la sociologie (M. Hovanessian, CNRS/URMIS) et de l’anthropologie (S. Weil, Université Ben-Gurion du Néguev). Ces réflexions théoriques autour du concept de diaspora montrent avant tout la diversité de ses significations et ses différentes dimensions géopolitiques, culturelles, religieuses, ethniques et linguistiques.
5Enfin, une session inaugurale clôt ce premier jour avec des communications de spécialistes internationaux dans le domaine des diasporas qui introduisent de nouveaux cadres d’étude et proposent de resituer certains modèles d’analyse tels que l’utilisation de termes adéquats pour désigner les populations diasporisées, prenant comme exemple la diaspora chinoise (E. MaMung, CNRS/MIGRINTER) ; les diasporas comme négation de « l’idéologie géographique » (G. Prévélakis, Université Paris-I Sorbonne) ; une approche politique au diasporisme ethno-national (G. Sheffer, Université hébraïque) ; et le couple mobilité/sédentarité dans les études de diasporas par K. Tololyan (Université Weslyan, USA), une figure importante dans le domaine car il est le rédacteur en chef de la revue Diaspora.
6La seconde journée a surtout tenu à développer des exemples concrets de différentes communautés diasporiques, notamment les diasporas juives et palestiniennes mais aussi les diasporas noires et les nouvelles diasporas d’Europe de l’Est et de la Méditerranée. La première session, intitulée « Exil, mémoire et retour », s’est attachée à montrer les mécanismes du fonctionnement diasporique à travers la mémoire du territoire perdu chez les Palestiniens réfugiés au Liban (K. Doraï, CERMOC/MIGRINTER), mécanismes différents de ceux mis en place parmi les élites en Europe et aux Etats-Unis, en particulier concernant l’idée du retour qui reste encore virtuelle et de la place de la terre d’origine qui perd de son importance comme centre physique à l’ère de l’internet (S. Hanafi, SHAML, Ramallah). Par contre, dans sa communication sur les Juifs qui vivent encore au Maroc, A. Lévy (Université Ben-Gurion du Néguev) montre que ce pays représente pour la communauté juive à la fois un centre symbolique et une diaspora. Enfin, Gilad Margalit (Université de Haïfa) présente le cas de la diasporisation d’une communauté sans terre ancestrale : les Sinti (tsiganes) d’Allemagne. Toutes ces allocutions mettent en avant les relations complexes entre centre (réel, virtuel, symbolique ou imaginaire) et périphérie dans les rapports entre groupe diasporique et terre d’origine et propose de nouvelles manières de penser ces liens.
7La séance suivante est consacrée aux « diasporas noires » et présente trois cas de populations dont le dénominateur commun est d’être noires et déplacées : les immigrants éthiopiens en Israël et la pertinence du concept de diaspora noire naissante lorsqu’il s’agit d’un groupe juif « retournant » à sa terre ancestrale (L. Anteby-Yemini, CNRS/CRFJ) ; l’expérience noire des Amériques et la pluralité de modèles diasporiques — continuité, créolisation, aliénation — qui peut lui être appliquée (C. Chivallon, CNRS/TIDE) ; et les Hébreux noirs, un groupe d’afro-américains qui emploient un discours diasporique de « retour au pays d’origine » pour s’installer en Israël alors qu’ils ne sont pas reconnus comme juifs par l’Etat israélien (F. Markowitz, Université Ben-Gurion du Négev).
8L’après-midi s’est concentré sur les diasporas dans l’ère post-soviétique avec les communications de W. Berthomière (CNRS/MIGRINTER) sur la construction et la déconstruction de la diaspora juive de l’ex-URSS face à ses récentes reconfigurations (émigration vers les États-Unis et l’Allemagne, « rapatriement » vers Israël ou maintien en place dans les nouveaux États indépendants) et de A. de Tinguy (CNRS/CERI) qui s’interroge sur la pertinence du terme même de « diaspora » pour désigner les nouvelles diasporas russes ainsi que sur leur rôle en tant que relais d’influence de la Russie dans leurs relations au sein du triangle pays d’origine — diaspora — pays d’accueil.
9Une seconde séance s’est intéressée aux diasporas naissantes, comme celle des immigrants d’origine palestinienne au Pérou (D. Cuche, Université Paris V), des migrants d’Europe centrale et orientale (D. Diminescu, MSH-Paris), des commerçants maghrébins (M. Péraldi, CNRS/LAMES) et de la population turque émigrée (S. de Tapia, CNRS/CERATO). Les intervenants ont présenté des exemples qui apportent des modèles diasporiques alternatifs qui remettent en question la définition d’une diaspora dans des cas où le processus de diasporisation ne fait que commencer (Palestiniens du Pérou), où le mouvement migratoire et circulaire est constitué de va-et-vient (ressortissants de pays d’ Europe centrale et orientale), où le terme de diaspora ne décrit que très approximativement la mobilité d’un dispositif commercial informel (Maghrébins à Marseille, Istanbul et Tunis) ou enfin quand il s’agit d’une population diversifiée socialement, linguisitiquement, ethniquement, religieusement et idéologiquement (telle les émigrés turcs qui sont Juifs, Arméniens, Assyro-Chaldéens, Kurdes, etc...).
10La dernière journée a tenté de faire le point sur la question et de résumer les thèmes dégagés pendant le colloque. Dans une dernière session intitulée « Défis à l’Etat-nation ou assimilation aux pays d’accueil ? » ont présenté des communications : E. Flores-Meiser (Université Ball State, USA) sur la diaspora philippine et sa relation avec la patrie d’origine, I. Simon-Barouh (CNRS/LASEMA/CERIEM) sur les réfugiés du Cambodge en France, J. Blaschke (Institut de Recherche Sociale Comparée de Berlin) sur la diaspora politique musulmane en Europe et de P. Werbner (Université de Keele) sur la vulnérabilité de la diaspora musulmane face à la terreur globale. Les deux premières intervenantes se sont entretenues du rapport avec la terre d’origine dans l’expérience diasporique, de sa construction, de sa part dans les processus d’identification et de la transmission de ce lien à la seconde et troisième génération. Les deux derniers participants ont plutôt abordé, dans le cas de la diaspora musulmane en Europe, l’influence des conflits mondiaux dans la constitution d’une identité musulmane collective.
11Puis, une conférence de D. Schnapper (EHESS, Paris) sur une définition opératoire du concept de diaspora et des lectures finales par J. Shuval (Université hébraïque de Jérusalem) et M. Bruneau (CNRS/TIDE) ont essayé de synthétiser les diverses dimensions des études sur les diasporas aujourd’hui, en introduisant de nouvelles notions comme celle de peuples-monde (Bruneau) ou en re-examinant des concepts-clés comme « le chez-soi (home) » et la mère-patrie (homeland), la réactivation ou la somnolence de l’activisme diasporique et les liens multidirectionnels entre une même diaspora dispersée dans plusieurs parties du monde. Pour conclure, une table ronde composée de C. Benayoun (CNRS/Diasporas), A. Dieckhoff (CNRS/CERI), G. Prévélakis (Université Paris I), W. Safran (Université de Colorado, USA) et A. Weingrod (Université Ben-Gurion du Néguev) a tenté de résumer les propos des trois journées. Les discutants ont tous fait part de l’extrême richesse des communications et de l’importante contribution des nombreux exemples évoqués pour l’étude des diasporas proposées. Si certains ont déclaré que le concept de diaspora leur paraît encore plus confus et complexe qu’ils ne l’avaient pensé avant la conférence, ils ne voient qu’une solution pour continuer le débat : tenir une seconde conférence sur le sujet !
12Note : les actes du colloque sont en cours de publication et seront publiés par les Presses universitaires de Rennes.1
Notes
http://www.mshs.univ-poitiers.fr/migrinter/index.php?text=documentation/diasporas
Pour citer cet article
Référence papier
Lisa Anteby-Yemini, « Colloque : « 2000 ans de Diasporas » », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 11 | 2002, 58-61.
Référence électronique
Lisa Anteby-Yemini, « Colloque : « 2000 ans de Diasporas » », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 11 | 2002, mis en ligne le 13 novembre 2007, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/882
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