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The EU, Israel and the "Arab Spring" States

Partager sa propre expérience de réconciliation ?

Réflexion sur l’Europe et la paix
Bernard Philippe
Traduction(s) :
Sharing One’s Experience of Reconciliation? [en]

Texte intégral

  • 1 Au sein des Institutions européennes, la « journée de l’Europe », appelée familièrement la « Saint (...)

1Préparer un discours peut avoir du bon. À l’occasion des « Cinquante ans d’Europe »1 fêtées le 9 mai 2007, alors Chargé d’affaires à Tunis, j’ai eu à cœur de chercher à saisir l’essence de la construction européenne et le sens qu’elle pouvait avoir aujourd’hui. Au préalable, il a fallu me pencher longuement sur ce que l’Europe avait construit depuis ces cinquante ans, en le remettant dans un temps long. C’est-à-dire, à la lumière de ce qu’elle avait déconstruit après la Grande Guerre, avec le fameux Traité de Versailles de 1919, qui a précipité l’Europe vers la Seconde Guerre mondiale.

2Cela m’a permis de découvrir l’apport si particulier de la construction commune. Exceptionnel même, dans un certain sens, tout en butant sur un questionnement récurrent, voire un véritable étonnement. Comment en effet, après la succession des carnages et des totalitarismes qui l’ont si fortement déchirée, au point de dégénérer en deux conflits mondiaux, l’Europe a-t-elle pu s’arracher à sa propre histoire, faite de sang et de violence continue, et ce, en construisant la paix et l’unité du continent ? Il n’y a pas de réponse satisfaisante, mais il y a une certitude : l’Europe est d’abord et avant tout un processus de paix et de réconciliation, et c’est cette réalité qui ne cesse de la façonner.

3D’où une envie de partager cette redécouverte, d’autant que bien des ingrédients qui ont permis de se réconcilier sont d’une extrême modernité et peuvent selon moi, s’appliquer à d’autres situations de conflit. L’Europe, terriblement critiquée par ailleurs, et qui doit en effet devenir plus proche du citoyen, plus sociale et plus transparente, porte ainsi en elle un témoignage exceptionnel, un véritable gisement de sens et d’espérance dont on est loin d’avoir exploité tous les filons : dans les relations politiques, la violence n’a pas forcément le dernier mot. Plus encore, elle peut être inversée et les fondements des conflits peuvent être transformés en fondations de la paix. N’est-ce pas un chemin à (re)découvrir pour redonner sens au politique et goûter l’Europe, dans son essence et sa vérité ? Au moment-même où la « nouvelle frontière » de l’Europe, c’est de chercher à parler d’une seule voix sur la scène internationale, en particulier suite à la création de son Service d’Action Extérieure, n’est-il pas urgent de redécouvrir cette force d’inspiration que l’Europe porte en elle ?

4En découle pour moi une question simple et directe qui traverse mon ouvrage en référence, de bout en bout : l’Europe, qui a connu des siècles et des siècles de violence, peut-elle partager et transmettre sa propre expérience de réconciliation ? Question que j’applique en particulier au conflit israélo-palestinien, si lié à l’histoire douloureuse de l’Europe. Creuset de bien des tensions internationales, ce conflit mérite une attention en soi, bien évidemment, mais aussi comme matrice de bien d’autres conflits, et donc, de multiples réconciliations, bien au-delà de ses propres frontières. En contrepoint, une préoccupation traverse tout l’ouvrage : sans cette paix au Proche-Orient, l’Europe demeure inachevée. Si, en bâtissant la paix et l’unité sur le continent, l’Europe a franchi un pas de géant, elle n’est pas allée pour autant jusqu’au bout de son histoire. Porter en elle la paix du Proche-Orient est devenu une condition de son propre accomplissement. Un sérieux rendez-vous l’attend.

Une résonnance particulière

5Pour moi, cette édification de la paix et de l’unité en Europe a une résonance particulière. Venant de Lorraine, une région de frontières marquée à jamais par la succession des guerres et de conflits, mon enfance a été baignée dans ce qu’Alfred Grosser appelait la « question allemande ». Mes années de jeunesse se sont écoulées à l’ombre de la Ligne Maginot et des monuments aux « morts pour la France », aux listes interminables, traduisant l’ampleur du gâchis d’une jeunesse européenne détruite par le feu ennemi. Comme la plupart des familles de la région, la mienne a été façonnée par ces guerres, avec deux pôles opposés qui m’ont marqué : l’un maternel, avec une mère qui vouait un désamour farouche à l’égard de l’Allemagne et des Allemands, désamour adouci toutefois avec le temps et le sérieux allemand pour reconstruire l’Europe. L’Allemagne a en effet beaucoup donné à l’Europe, beaucoup accepté d’elle, beaucoup fait pour elle. L’autre pôle, celui d’un père qui a utilisé ses années de captivité en Pologne à apprendre la langue de ses geôliers pour pouvoir échanger, d’homme à homme, au-delà des barreaux et des uniformes.

6Mon grand-père maternel, dont le père avait combattu les Prussiens en 1870, a été lui-même enrôlé de force dans l’armée allemande lors de la Première Guerre mondiale, sur le front russe, en tant que « Malgré nous », en raison de l’occupation allemande d’une bonne partie de la Lorraine, de 1870 à 1919. Peu sont revenus de ce voyage au bout de l’enfer où rôdait la mort, régnaient le froid et la faim. Par miracle, mon grand-père en a réchappé, après avoir effectué le retour de Russie en Lorraine à pied. Lors de la Seconde Guerre mondiale, sa ferme a été incendiée, sa famille dispersée et lui-même réfugié dans le sud de la France, son propre pays. Traité d’Allemand voire plus souvent de sale boche en raison de son éducation germanique liée à l’Occupation, il était accusé de venir « manger le pain des Français ». À l’instar de tous ses frères, mon propre père a passé cinq années comme prisonnier de guerre. Capturé dès juin 1940, dans les caves de Champagne, maigre consolation, où beaucoup se réfugiaient sous l’avancée éclair des troupes allemandes, il a été envoyé de Stalags en Commandos pour aboutir en Pologne au Stalag 369 de Kobierzyn. La brutalité et les privations étaient d’autant plus sévères que, prisonnier réfractaire, il refusait de travailler pour les Allemands.

7Quant à son père, mon autre grand-père, et comme un million et demi d’Allemands et de Français, il a été appelé sur le front de Verdun lors de la Première Guerre mondiale. L’horreur des combats a fait de ce lieu un symbole mondial de la barbarie humaine. Les conditions climatiques souvent épouvantables, le froid et la boue ne faisant qu’amplifier la boucherie des tranchées. Les mémoires de guerre de mon grand-père en fournissent maintes illustrations, comme ces deux épisodes de 1917 :

« Nous allions à Verdun soi-disant pour « stabiliser » le secteur des Chaumes qu’une division métropolitaine venait de reprendre à l’ennemi… Je prends possession du Poste de Commandement, dit « Marie-Louise ». Bien beau nom… mais, en réalité, le plus moche, le plus infect des Postes de Commandement que j’ai occupés au cours de la campagne… À l’intérieur et tout autour, on ne respirait que des odeurs de cadavres. La relève s’effectue dans des conditions très pénibles. Partout, c’est la désolation et la mort. De nombreux cadavres d’Allemands et de Français gisaient encore entre les deux lignes. La mort rôde de toutes parts, dans tous les plis du terrain déchiré par les obus ; les gaz asphyxiants rampent dans tous les ravins, semant l’angoisse et l’épouvante, puis montent, s’épanchant et passent lentement sur les plateaux. Je ne tarde pas à apprendre que mon médecin-major, le Docteur Cachin, ainsi que tout son personnel sanitaire sont évacués, atteints qu’ils ont été, dès leur entrée en ligne, par les gaz. À la nuit tombante, je vais visiter mes postes de première ligne. La situation me paraît épouvantablement difficile. À peine ébauchées, les tranchées de l’avant sont démantelées par la mitraille… Ajoutez à cela un temps de chien. Dans la boue froide, empoisonnée comme l’air qu’ils respirent, mes braves marsouins s’efforcent de creuser quelques abris, guettés à toute minute par la mort… Dans leur communiqué pour le lendemain, les Allemands s’étaient vantés de m’avoir fait de nombreux prisonniers. Le Général Blondlat, Commandant le 11ème C.A. Colonial, arrivait le 9, vers 7h, à mon Poste de Commandement, au moment où je me disposais moi-même à visiter mes postes. Nous fîmes ensemble cette reconnaissance. Au poste des Sénégalais, vision d’horreur dont je garderai à jamais le souvenir : il y eut là entre Allemands et mes noirs, un terrible corps à corps, une lutte épique à la grenade. Cinquante à soixante cadavres environ, horriblement mutilés, couverts de sang et de boue, gisaient sur le sol, entremêlés les uns aux autres ».

8À travers toutes ces vies qui me précédent, s’est construit en moi le souci de la paix lié à une Europe tirée de la boue, où se sont tant affrontés Allemands et Français. Voilà pourquoi, pour moi-même, l’Europe c’est la paix. Cela m’aide à mieux comprendre ceux qui ont rédigé le Traité sur l’Union européenne et qui, dans toute leur sagesse, ont fait de la promotion de la paix leur objectif premier (Article 3, § 1). Peut-être, est-ce aussi en raison de cette enfance baignée dans la « question allemande » que, depuis plus d’un quart de siècle, je travaille à la construction de l’Europe et de son unité, au sein de ses institutions, et que je m’y trouve à ma place.

9Ce souci de la paix a pris une tournure particulière lorsque mon travail m’a amené, juste au lendemain des Accords d’Oslo de septembre 1993, et jusqu’à maintenant, à fréquenter assidûment l’administration israélienne et l’administration palestinienne naissante à l’époque. Les contacts fascinants noués de part et d’autre, et plus généralement, la découverte dans le concret des destins juifs tragiques et de l’exil palestinien. La découverte aussi de cette terre que les deux parties se disputent, sa sainteté et sa violence mélangées, ont eu sur moi cet effet qui marque, comme un feu, tous ceux qui découvrent la région. Son attrait et sa complexité réunis ont décuplé mon souci de la paix.

10Toutes ces années de travail ont été l’occasion d’innombrables discussions sur la recherche de la paix. Avec, à chaque fois, sans exception, le même refrain : « la réconciliation entre Européens, c’était simple et facile. Pour nous, Palestiniens et Israéliens, la situation est totalement différente, si spécifique même que rien ne peut s’y comparer ». C’est là, assurément, que se situe le point d’origine de mon ouvrage en référence sur l’Europe et la paix : l’Europe peut-elle partager et transmettre ce qu’elle a appris en s’arrachant à son histoire ? Un tel processus de réconciliation et d’unité est-il dans son essence spécifique, c’est-à-dire lié à un temps, des lieux et donc une histoire ? Ou, au contraire, l’alchimie en cause peut-elle servir à d’autres ? Cette interrogation mérite d’autant plus d’attention qu’elle soulève la question délicate de l’expérience humaine, son partage et sa transmission. L’un et l’autre supposent bien des conditions remplies sur le plan individuel et sans doute davantage dans les relations de groupes à groupes ou de communautés à communautés.

11Dès le départ, chassons toute ambiguïté : il ne s’agit, en rien, d’une glorification de l’Europe. L’Europe a encore beaucoup de chemin à parcourir et, quant au chemin déjà parcouru, dans un certain sens, il était dû. L’Europe se le devait, à elle-même, comme elle le devait aux autres. Après les abîmes, incommensurables, dans lesquels elle s’était enfoncée au cours de la première moitié du XXème siècle, entraînant bien d’autres dans son sillage, l’Europe se devait de rebondir. Mais l’Europe dispose-t-elle pour autant d’une autorité pour parler ? L’Europe doit-elle « oser » une parole ? Voilà le paradoxe au cœur de notre démarche, que je dois évoquer, sans être capable d’y apporter une réponse convaincante. Oui, en effet, quel est le poids de sa parole, alors qu’elle a été la source des trois totalitarismes les plus violents de l’histoire humaine : colonialisme, nazisme et communisme ? Il n’empêche. Ce que l’Europe porte la dépasse, et l’oblige à témoigner pour dire, avec la plus extrême humilité, mais avec force, que l’on peut s’arracher à une histoire baignée de violence et de conflits.

Une triple hypothèque

12Pour construire la paix au Proche-Orient, il faut des fondations saines. Toutefois, une triple perception complique singulièrement toutes les discussions de paix. Très largement partagée, elle hypothèque tout cheminement vers la paix : la violence serait irréversible, le pardon impraticable, et les tiers incapables d’agir.

13La violence est perçue comme une fatalité. Ceci rend impossible son abandon par les parties au conflit, incapables de changer d’horizon, comme si la violence était inscrite à jamais. Ce fatalisme profond porte, bien évidemment, sur la violence de l’autre (et non de la sienne). L’Europe apporte ici un démenti cinglant et un heureux précédent : elle prouve que les deux ennemis héréditaires (Erbfeinde), Allemagne et France, dont l’opposition séculaire a même dégénéré en deux conflits mondiaux, les pires que l’humanité ait connus, ont réussi à s’arracher à une histoire de violence et à construire la paix. L’Europe se doit de témoigner que la violence peut s’inverser et se transformer en coopération.

  • 2 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 2005.

14L’impossible par-don entre Juifs et Arabes, ou du moins entre Israéliens et Palestiniens, vouerait nécessairement à l’échec toute tentative de réconciliation. Beaucoup estiment au Proche-Orient que, si l’Allemagne et la France s’étaient réconciliées, c’est en raison de la proximité de leur univers culturel et de leurs traditions religieuses, qui font une large place au « pardon » (ce qui ne les a pas empêchés de s’entretuer pendant des générations). Chemin toujours complexe et nécessairement original, la réconciliation doit être à chaque fois réinventée. Il n’y a pas de modèle à emprunter et, en même temps, comme l’a si fortement souligné Hannah Arendt, après ses travaux sur les trois totalitarismes qui l’on amenée à douter de l’action politique et à réfléchir sur la fragilité du temps humain. C’est ainsi que, pour elle, le pardon ne peut-être monopolisé par une culture ou un courant d’idée : dans un sens laïc, il peut être mis à disposition de tous. Elle le présente ainsi comme la clé du vivre ensemble2 : « il faut que l’on pardonne continuellement pour que la vie en commun puisse continuer, en déliant constamment les hommes de ce qu’ils ont fait… afin de rester de libres agents… et commencer du neuf ». Ceci passe, nécessairement, par le deuil des ambitions excessives qui permet de se confronter au réel et de sortir des chimères, puis par l’éducation, condition au dialogue. Elle seule nous apprend que les torts sont généralement partagés et que la violence n’est pas, nécessairement, le seul mode de communication.

15L’inefficacité des tiers ou de l’intermédiation constitue aussi un sérieux handicap. À l’asymétrie des États-Unis et à l’absence d’influence de la Ligue arabe, s’ajoute la tétanisation de l’Europe liée à sa propre histoire, paralysée par son lourd passé, sur lequel se greffe l’absence de politique étrangère commune. Cet impossible « agir » de l’Union serait même une caractéristique forte de l’Europe souvent qualifiée de « puissance douce » (soft power). Exerçant une réelle influence en produisant des normes de droit, sur les plans politique et militaire, elle ne compterait pas. En fait, ce que je crois profondément, et m’efforce de démontrer dans mon ouvrage sur l’Europe et la paix, c’est que cette triple hypothèque peut être levée, et que l’Europe a un rôle important à y jouer. Pour faciliter la tâche, deux conditions supplémentaires doivent être remplies.

Deux conditions supplémentaires

  • 3 Conseil européen du 5 juin 1980 (Europe à Neuf) et celui du 26 mars 1999 (Europe à Quinze).
  • 4 En particulier, la dépollution de la Méditerranée, le plan solaire, les autoroutes de la mer et de (...)

16La première a trait à la détermination et à la clarté des positions politiques de l’Union. De ce point de vue, s’inspirer du souffle et de la vision des textes de référence que constituent toujours les déclarations de Venise de 1980 ou de Berlin3 de 1999, serait un premier pas dans la bonne direction. La deuxième condition doit être longuement énoncée : l’Europe ne peut se limiter à faire et à donner (en particulier des financements servant notamment à reconstruire les infrastructures volontairement détruites) ; elle doit aussi partager ce qu’elle est, son « être » propre, en échangeant avec les parties au conflit son expérience de paix et de réconciliation. Au-delà du « don », on entre ici dans le domaine du « partage et de la transmission ». Il y a là un ingrédient propre à l’Europe, un ingrédient vraiment décisif que ni les Américains ni les pays arabes ou les Russes ne peuvent apporter, mais indispensable à l’avènement de la paix au Proche-Orient. Indispensable aussi à la propre construction de l’Europe, pour qu’elle-même ne soit plus bancale et achève les réconciliations en son sein qui ne demandent qu’à se parachever, surtout entre l’Allemagne et la Pologne. Tout ceci donne un élan et une légitimité nouvelle à l’espace commun de paix et de stabilité que vise la politique méditerranéenne de l’Europe lancée en 1995 à Barcelone et renforcée à présent par les grands chantiers communs que vise l’Union pour la Méditerranée lancée à Paris le 13 juillet 20084.

17La trame qui s’impose à l’inversion de la violence rappelle ces vieux ingrédients, toujours nouveaux, qui une fois assemblés, réunis et transformés, constituent les conditions de la paix. Leur énonciation est simple : il n’y a pas de paix sans justice, comme il ne peut y avoir de justice sans vérité. Ni de vérité sans reconnaissance de l’autre. Une telle relecture de la construction de l’Europe n’est en rien un regard nostalgique sur le passé. Elle n’est pas plus un examen de géologie ou d’archéologie qui chercherait à mesurer les couches sédimentaires de cinquante ou soixante ans de construction passée, pour s’en glorifier. Il s’agit ici d’entrer dans une démarche différente, celle des sciences du vivant, consistant à nous intéresser davantage à l’à-venir, la croissance, à l’échange et au don.

Annexe

Variations sur la déclaration du 9 mai 1950 de Robert Schuman

18Voici une interprétation libre du texte fondateur de l’Union européenne, la Déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950. Elle vise à comprendre ce qu’une telle Déclaration peut signifier pour d’autres acteurs, d’autres époques, sous d’autres cieux, israéliens et palestiniens en l’occurrence. Les lecteurs qui le souhaitent sont invités à proposer leur propre lecture pour qu’une multiplicité d’interprétations conduise à une véritable herméneutique du dialogue et de la paix.

Déclaration liminaire

19Messieurs, il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte, d’un acte hardi, d’un acte constructif. Israël a agi et les conséquences de son action peuvent être immenses.

20Nous espérons qu’elles le seront. Il a agi essentiellement pour la paix. Pour que la paix puisse vraiment courir sa chance, il faut, d’abord, qu’il y ait un Proche-Orient. Un an, presque jour pour jour, après la signature de l’Accord de paix, Israël accomplit le premier acte décisif de la construction de la région et y associe la Palestine. Les conditions de la région doivent s’en trouver entièrement transformées.

21Cette transformation doit rendre possibles d’autres actions communes impossibles jusqu’à ce jour. Le Proche-Orient naîtra de tout cela, un Proche-Orient solidement uni et fortement charpenté. Un Proche-Orient où le niveau de vie s’élèvera grâce au groupement des économies et à l’extension des marchés qui provoqueront une meilleure compétitivité. Un Proche-Orient où Israéliens et Palestiniens travailleront de concert et feront profiter de leur travail pacifique, suivi par des observateurs des Nations Unies, tous les peuples du Proche-Orient, sans distinction. Voici cette décision, avec les considérations qui l’ont inspirée.

Déclaration

22La paix régionale, voire mondiale, ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution que la paix organisée et réelle peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant pour les années à venir les champions d’un Proche-Orient uni, incluant dès que possible le Liban, la Jordanie, la Syrie et l’Égypte, Israéliens et Palestiniens ont pour objet essentiel de servir la paix. L’Union avec nos voisins n’a pas été faite, nous avons eu la guerre. La région ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations proche-orientales exige que l’opposition traditionnelle d’Israël et des ses voisins arabes soit éliminée : l’action entreprise doit toucher au premier chef Israël et la Palestine.
Dans ce but, le gouvernement israélien propose de porter immédiatement l’action sur un point limité, mais décisif : le Gouvernement israélien propose de placer l’ensemble des ressources énergétiques et en eau d’Israël et de Palestine sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays de la région. La mise en commun de l’eau et de l’énergie assurera immédiatement l’établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération orientale, et changera le destin des régions longtemps vouées à la fabrication ou au trafic des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes.
La solidarité sera ainsi nouée pour manifester que toute guerre entre Israël et la Palestine devient non seulement impensable, mais matériellement impossible.
L’établissement de cette unité puissante de coopération ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu’elle rassemblera les éléments fondamentaux des ressources aux mêmes conditions, jetant les fondements réels de leur unification économique (… ).
Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d’intérêts indispensables à l’établissement d’une communauté économique et introduit le ferment d’une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes.
Par la mise en commun de ces ressources de base et l’institution d’une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront Israël, la Palestine et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une Fédération orientale indispensable à la préservation de la paix. Pour poursuivre la réalisation des objectifs ainsi définis, le gouvernement israélien est prêt à ouvrir des négociations sur les bases suivantes : La mission impartie à la Haute Autorité commune sera d’assurer dans les délais les plus rapides : la modernisation et la mise en commun de la production d’eau et d’électricité, l’amélioration de sa qualité ; la fourniture à des conditions identiques d’approvisionnement sur le marché israélien et sur le marché palestinien, ainsi que sur ceux des pays adhérents.
Pour atteindre ces objectifs à partir des conditions très disparates dans lesquelles sont placées actuellement les ressources des pays adhérents, à titre transitoire, certaines dispositions devront être mises en œuvre, comportant l’application d’un plan de production et d’investissements, l’institution de mécanismes de péréquation des prix. La circulation de l’eau et de l’énergie entre les pays adhérents sera immédiatement affranchie de tout droit de douane (…). Progressivement se dégageront les conditions assurant spontanément la répartition la plus rationnelle de la production au niveau de productivité le plus élevé.
Les principes et les engagements essentiels ci-dessus définis feront l’objet d’un traité signé entre les États. Les négociations indispensables pour préciser les mesures d’application seront poursuivies avec l’assistance d’un arbitre désigné d’un commun accord : celui-ci aura charge de veiller à ce que les accords soient conformes aux principes et, en cas d’opposition irréductible, fixera la solution qui sera adoptée. La Haute Autorité commune chargée du fonctionnement de tout le régime sera composée de personnalités indépendantes désignées sur une base paritaire par les Gouvernements et un Président sera choisi d’un commun accord par les autres pays adhérents. Des dispositions appropriées assureront les voies de recours nécessaires contre les décisions de la Haute Autorité. Un représentant des Nations Unies auprès de cette Autorité sera chargé de faire deux fois par an un rapport public à l’O.N.U. rendant compte du fonctionnement de l’organisme nouveau, notamment en ce qui concerne la sauvegarde de ses fins pacifiques.

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Notes

1 Au sein des Institutions européennes, la « journée de l’Europe », appelée familièrement la « Saint Schuman », est célébrée chaque année le 9 mai. Elle commémore le discours du 9 mai 1950 prononcé par Robert Schuman, ministre français des affaires étrangères de l’époque. En lançant l’Europe des « petits pas », fondée sur la mise en commun des ressources de charbon et d’acier, ce discours a été le point de départ de la construction européenne.

2 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 2005.

3 Conseil européen du 5 juin 1980 (Europe à Neuf) et celui du 26 mars 1999 (Europe à Quinze).

4 En particulier, la dépollution de la Méditerranée, le plan solaire, les autoroutes de la mer et de la terre, l’enseignement, les sciences et la recherche.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bernard Philippe, « Partager sa propre expérience de réconciliation ? »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 25 | 2014, mis en ligne le 30 octobre 2014, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/7350

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Auteur

Bernard Philippe

Bernard Philippe est fonctionnaire européen, membre du Service Européen d’Action Extérieure, en poste à Jérusalem. Il est l’auteur du livre : « Le prix de la paix. Israël et Palestine : un enjeu européen ? », Éditions Riveneuve, février 2010. Ses propos n’engagent pas les Institutions européennes.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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