Résumé
Jerusalem in 2020: A Planner’s View. – In September 2004, the municipal government of Jerusalem developed a new master plan for the city. This is of great significance since the last plan was approved back in 1959.
Every planning document aims to both satisfy the residents current needs and to project those needs into the needs of the future, hoping to contribute to an improvement in living conditions. The task, always a delicate one, is essentially to define the common good, both for today and tomographe (see illustration, p. 212).
Foreign and domestic political considerations always influence the decision-making process. In this case, the new master plan appears not to have restricted itself to meeting existing needs since it is also concerned with meeting a certain goal, one outlined in the government’s recommendations. That goal is the “consolidation of Jewish sovereignty over Jerusalem.” Planners were advised to strive for maintaining in the city the ethnic distribution that has existed since 1967: 70% Jewish inhabitants and 30% Arab.
Surprisingly, the planners contested this, the plan projecting that, by 2020, the city would be 60% Jewish and 40% Arab, given natural growth. This figure would appear to be more fair than that of the government’s recommendation, but even it is not based on natural growth projections alone. For it requires that there be significant rise in Jewish immigration to the city and no Arab immigration, whereas at present there are number of Jews is declining.
This call for strong Jewish immigration has had a great influence on the urban vision contained in the master plan. As regards housing, Jewish neighbourhoods are to be extended while the growth of Arab neighbourhoods is to be restricted, both vertically and horizontally. Some new neighbourhoods are also projected and they all appear to be intended for Jewish residents alone (to the West, Har Harett, Rekhes Lavan, and Mitzpe Neftoah; to the East, Har Homa D).
Even if the discriminatory inequities contained in the plan have been, and continue to be, a matter of intense discussion by Israelis and Palestinians, it must be said that the new master plan contains a number of decisions that are not at all connected to the Arab-Israeli conflict. Rather, they seem to be inspired by classical Western approaches to planning. These include the Central Business District (CBD) renewal, with its new towers and tram network, the protection of open spaces or green belts, and the conservation of a number of historic buildings.
Western influenced Jerusalem planning is nothing new; indeed, it can be said to have originated with the British Mandate. Current legislation is thus but a part of the British heritage. Moreover, a good number of Israeli planners were educated abroad, particularly in North America and Europe. Finally, Israeli society in general is highly western and hence tends to favour western-urban development.
Plan
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I. Un nouveau plan d’aménagement pour Jérusalem
1En septembre 2004, la municipalité israélienne a publié un nouveau schéma directeur1 pour la ville de Jérusalem2. Il traverse en 2005 la phase d’enquête publique, avant d’être voté en conseil municipal. Ce document revêt une valeur considérable : le précédent schéma directeur approuvé et toujours en vigueur date de 1959.
2L’élaboration d’un document d’urbanisme est soumise, à Jérusalem comme ailleurs, à une tension entre la volonté de répondre aux besoins existants et le désir d’améliorer l’avenir des habitants. Ce type de document endosse les tâches délicates de la définition de l’intérêt général et de la conception de projections démographiques, sociales et économiques fiables. De même, le Plan local d’urbanisme (PLU) actuellement présenté par la mairie de Paris, propose d’accroître le nombre de logements sociaux dans tous les arrondissements, et de créer de nouvelles zones d’activités dans l’Est de la capitale afin de ré-équilibrer les dynamiques économiques. Ces deux desseins, bien que relevant des domaines économiques et sociaux, sont marqués par une coloration idéologique, socialiste et socialiste-libérale. Il s’avère difficile de démêler en eux la part de volontarisme et la part de nécessité. De même, à Jérusalem, il existe des déterminations urbaines non politiques, mais qui illustrent une doctrine particulière, et des enjeux politiques, internes et externes, locaux et internationaux.
3Il semble cependant que le nouveau schéma directeur pour Jérusalem exprime une volonté politique d’influer sur le développement dans un sens précis – consolider la souveraineté israélienne à Jérusalem – plutôt qu’une simple prise en compte des besoins existants.
II. Autoritarisme ethnico-démographique ?
4Dès l’introduction, les auteurs expliquent que la commande gouvernementale leur a assigné un objectif : mettre en œuvre des politiques urbaines qui confirment la place de Jérusalem comme capitale d’Israël et, dans cette optique, veiller au maintien d’une certaine distribution ethnique de la population : 70 % d’habitants juifs et 30 % d’habitants arabes3. Certains Palestiniens fustigent ce procédé en le qualifiant de raciste. Par ailleurs, des opposants israéliens au projet arguent que les documents d’urbanisme doivent se baser sur la croissance démographique naturelle et non fixer des limites.
5Pourtant, l’histoire de la planification révèle que celle-ci impose souvent des programmes contraignants. Ainsi, en France, les schémas directeurs nationaux comme ceux de la région Ile-de-France depuis les années 1960 jusqu’aux années 1990 incarnaient l’intention de réduire la centralisation parisienne au profit de la province, avec des perspectives démographiques chiffrées4. Selon Pierre Merlin et Françoise Choay, l’aménagement est « un ensemble d’actions concertées visant à disposer avec ordre les habitants, les activités, les constructions, les équipements et les moyens de communication sur l’étendue du territoire5 ». Cette définition sous-tend une idée de répartition spatiale équilibrée « sur l’étendue du territoire », qui nécessite une action volontariste « disposer avec ordre ».
6En 2000, la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) tentait d’exiger que chaque projet d’ensemble résidentiel réserve 20 % des logements à l’habitat social dans les grandes villes françaises6. Certes, ces mesures font preuve d’un souci d’équilibre, géographique dans le premier cas, social dans le second, et elles ne s’aventurent pas dans le domaine de la distribution ethnique. Néanmoins, elles manifestent un certain autoritarisme en matière de répartition de la population.
7Par ailleurs, la plupart des pays occidentaux établissent des restrictions à l’immigration qui portent en elles un caractère ethnique. Or, dans une certaine mesure, le gouvernement israélien considère de facto la Palestine7 comme un État et veut éviter l’immigration de Palestiniens en provenance de Cisjordanie vers Jérusalem, qui prend des allures de ville-frontière.
8Étonnamment, cependant, les auteurs du nouveau schéma directeur de Jérusalem contestent l’objectif tracé par l’État et en annoncent un autre, plus favorable aux habitants arabes : 60 % d’habitants juifs et 40 % d’habitants arabes en 2020. Ils affirment que les proportions envisagées par le gouvernement ne sont pas réalistes compte tenu des données de la croissance naturelle et produisent d’autres estimations démographiques8. En 1967, la distribution ethnique de la population hiérosolomitaine était de 74 % de Juifs, 26 % d’Arabes. Elle est en 2002 de 67 % de Juifs et 33 % d’Arabes9 : le poids de la population arabe a cru plus rapidement que celui de la population juive, essentiellement sous l’effet de la croissance naturelle, l’immigration arabe vers Jérusalem étant presque impossible. Les projections du schéma directeur (60 %-40 %) apparaissent plus « réalistes », plus « objectives » que la recommandation gouvernementale puisqu’elles sont basées sur les prévisions de la croissance naturelle. Pourtant, elles ne se fondent pas moins sur l’espoir d’un solde migratoire positif d’habitants juifs vers la Ville sainte, alors que ce solde est actuellement déficitaire. En d’autres termes, la croissance naturelle juive ne suffirait même pas à atteindre les 60 % en 2020. Jérusalem souffre d’un manque d’attractivité au sein de la population juive d’Israël. Les facteurs généralement évoqués par les analystes israéliens sont l’« orthodoxisation » de la société, qui fait fuir les laïcs, la situation sécuritaire10 et le manque d’emplois11. Dans les représentations collectives, les jeunes cadres dynamiques – laïcs – hiérosolomitains partent vers Tel-Aviv à la recherche d’un emploi mieux rémunéré12. La création de zones d’emplois constitue alors un enjeu primordial pour les aménageurs13.
9Or les statistiques nous apprennent que le solde migratoire de Tel-Aviv est également négatif14, et que les émigrants hiérosolomitains se dirigent principalement vers des villes satellites (Bet Shemesh, Maale Adumim, Beitar Illit), dont certaines sont largement peuplées par des haredim15. Les deux premières villes israéliennes connaissent une dynamique de redistribution de la population vers les villes de banlieues et vers les villes moyennes, comme en France entre les recensements de 1990 et de 1999, dynamique indépendante de la situation sécuritaire et de l’« orthodoxisation ». La cause principale de ces départs est la recherche d’un logement à meilleur prix, les coûts ayant augmenté dans le cœur de l’agglomération. Ce processus est classique et s’observe dans de nombreux autres pays. De plus, on recense un grand nombre de haredim parmi les émigrants : ceux-ci disposent en moyenne de faibles revenus, et sont plus touchés que les autres catégories sociales par la hausse du coût de l’immobilier.
III. Les nouveaux quartiers imaginés par le schéma directeur
10Les prévisions démographiques du schéma directeur visent à attirer davantage de Juifs israéliens dans la Ville sainte. Cette spéculation démographique trouve une traduction dans les projets urbains avancés par le document. Deux types d’extension urbaine apparaissent, une extension en « tâche d’huile » sur les franges des constructions existantes16 et un remplissage des interstices vacants entre les surfaces bâties. Or ces extensions sont dotées de plus vastes superficies autour des quartiers juifs existants qu’autour des quartiers arabes.
11De plus, trois nouveaux quartiers fleurissent dans les forêts occidentales, formant une interface avec les banlieues externes et réclamant l’agrandissement du périmètre municipal : Rekhes Lavan, Har Harett, Mitzpe Neftoah. Un autre occupe la dernière colline vierge de Jérusalem-Est, au sud-est de Har Homa, qui semble être guidé par des motivations politiques – empêcher le rapprochement entre Bethléem et les quartiers arabes de Jérusalem. Dans le même dessein, la juridiction de l’implantation de Maale Adumim porte désormais jusqu’à la bordure municipale de Jérusalem, coupant le nord et le sud de la Cisjordanie. Les autorités israéliennes considèrent cette politique non comme une discrimination voulue mais comme l’expression d’une lutte commune pour l’occupation de l’espace. Les autorités palestiniennes constatent que les nouveaux quartiers juifs empêchent la continuité urbaine de la Jérusalem arabe, mais du point de vue israélien, les nouveaux quartiers palestiniens empêchent la continuité de la Jérusalem juive. Précisons que la barrière de séparation ne figure pas sur le schéma : l’administration responsable de son tracé est le ministère de la Défense et non la municipalité17.
12La seconde illustration majeure des objectifs de répartition démographique dans le schéma directeur est la limitation horizontale et verticale du développement urbain palestinien. Tandis que les quartiers juifs bénéficient du droit de construire des bâtiments de six à huit étages en moyenne, et parfois jusqu’à 33 étages, les quartiers palestiniens sont limités à quatre étages, et six étages au nord de l’agglomération. Quant à la vieille ville, pour des raisons de protection du patrimoine et du paysage, il est pratiquement impossible d’y effectuer des ajouts, et le schéma directeur prévoit de résoudre les problèmes de logement en réduisant la densité de peuplement du quartier musulman, ce qui signifie qu’une partie des habitants sera forcée de quitter les lieux. Aucune solution de remplacement n’est proposée pour ces habitants par le schéma directeur.
13La limitation horizontale consiste à protéger les terres agricoles et les « espaces verts » sur les marges de certains espaces bâtis afin de contenir leur croissance18. En cela, ce document d’urbanisme n’émet rien de fondamentalement novateur, ni dans un sens ni dans l’autre, car il s’inscrit dans la droite ligne des politiques menées depuis 1967, qui attribuent au secteur arabe un coefficient d’occupation des sols (COS) variant entre 25 % et 50 %, et au secteur juif un COS de 120 % à 200 % en moyenne. Cependant, M. Cohen, responsable de l’équipe des planificateurs, pense que ce plan est révolutionnaire puisqu’il augmente pour la première fois les COS dans les quartiers arabes, et désigne de nouvelles superficies résidentielles, qui sont effectivement assez larges à Bet Hanina, Shu’fat et Tsur Baher19.
14L’influence de la majorité municipale haredit (ultra-orthodoxe) est-elle perceptible dans ce document ? Assez peu, car il a été élaboré par une agence d’architecture privée, qui a commencé ce travail de sous-traitance pour la municipalité en 2000, avant l’élection du maire actuel. De plus, les membres de cette agence sont des Israéliens laïcs, se situant plutôt à gauche sur l’échiquier politique. Toutefois, les élus haredim espèrent pouvoir tirer partie de ce plan. Lors de la réunion du conseil municipal du 16 février 2005, Y. Pollack, maire-adjoint et président de la commission locale de planification, a affirmé que la majorité des nouvelles zones résidentielles conçues par le schéma directeur seraient habitées par des ultra-orthodoxes. Il a ajouté qu’il n’était pas nécessaire que cela soit notifié dans le document, la croissance démographique naturelle et la localisation des nouvelles zones suffiraient à les « orthodoxiser20 ».
IV. Un schéma d’inspiration occidentale
15Ce schéma directeur n’a pas été construit uniquement dans le but de servir la compétition démographique et spatiale israélo-palestinienne. Il adopte plusieurs lignes semblables à celles des schémas directeurs européens actuels qui sont programmées plus ou moins indépendamment de la situation politique. Nous émettons l’hypothèse que les analyses occidentales portant sur l’évolution urbaine au Proche-Orient ont tendance à se focaliser sur les politiques liées au conflit, alors que cet enjeu n’est pas primordial pour les urbanistes israéliens, qui considèrent que la gestion du conflit relève de l’autorité du ministère de la Défense et non de celle des urbanistes. Dans ce contexte, les projets sont envisagés dans le cadre d’un statu quo politique, ou présentent une flexibilité potentielle utilisable en cas de changements politiques majeurs.
16Une des lignes inspirées par l’urbanisme occidental consiste à stimuler la revivification du centre-ville de Jérusalem-Ouest. Des tours de bureaux vont être érigées le long des rues de Jaffa et Hillel, ainsi qu’à l’« entrée de ville » occidentale21. La zone piétonne sera étendue autour des axes Ben Yehuda-Agrippas-Jaffa. Le tramway apportera une nouvelle possibilité de transport public plus efficace que les autobus, et devrait améliorer la fluidité du trafic. Deux ouvrages d’art monumentaux, conçus par des architectes de renommée internationale, agrémenteront le paysage : le musée de la Tolérance (architecte : Franck Geries) et le viaduc du tramway (architecte : Juan Calatrava). Cette politique urbaine manifeste un désir de « rattraper l’Occident » et surtout de rattraper Tel-Aviv en se modernisant. Les urbanistes veulent que Jérusalem soit inscrite dans le cercle des grandes métropoles mondiales, et qu’elle puisse ainsi concurrencer la capitale économique du pays, Tel-Aviv.
17Un second axe prévoit une gestion équilibrée du développement urbain de banlieue. L’idée de polycentrisme est admise, à condition qu’elle ne se fasse pas au détriment du centre-ville traditionnel. Cette idée a provoqué de virulents débats, car elle implique la mise en œuvre du « projet Safdie » dans la périphérie occidentale de l’agglomération, qui prend des allures de véritable ville nouvelle, dotée de 100 000 unités de logement. Les opposants au projet affirment que celui-ci condamne le centre-ville au déclin22. Ce dilemme – renforcer l’hyper centre versus favoriser les centres satellites – a également été soulevé dans le cadre de la préparation du prochain schéma directeur d’Ile-de-France, et dans le cadre du Greater London Plan23.
18Une troisième ligne insiste sur la sauvegarde des espaces ouverts, qui représente pour le moins un sujet à la mode dans l’urbanisme occidental, avec la montée en puissance des préoccupations environnementales. Un large éventail de degrés de protection est exposé, du parc national à la réserve naturelle, en passant par les paysages ouverts, les terrains agricoles et les zones « à valeur religieuse24 ». Des quotas de surface ouverte minimale par habitant sont établis selon les normes en vigueur dans des pays occidentaux. Une ceinture verte externe et un réseau de coulées vertes interne est esquissé, qui n’est pas sans rappeler, une fois de plus, ceux qui ont été aménagés en Ile-de-France.
19Un quatrième axe prône la conservation du patrimoine bâti, toujours inspiré par les pratiques occidentales en matière de sauvegarde. Les critères de sélection sont architecturaux et historiques, les urbanistes s’intéressent principalement à l’héritage sioniste laïc (Rehavia, Nahlaot), mais la politique n’est pas discriminante25 car les demeures arabes traditionnelles (Baka, Moshava Germanit) et les innombrables églises et monastères font l’objet de respectueux égards.
20Un cinquième domaine, la politique de transports, ressemble étrangement à celles des grandes agglomérations européennes. Une rocade routière est tracée tout autour de l’agglomération, quatre lignes de tramway – aménagées sur le modèle des tramways de Strasbourg et Montpellier – sont prévues à l’horizon 202026, et des pistes cyclables apparaissent dans les quartiers centraux (il en existe déjà à Tel-Aviv).
21Un dernier aspect rapproche ce schéma directeur de ses homologues européens, celui de la méthodologie employée. La municipalité a mis en place un processus de participation du public par l’intermédiaire des comités de quartier, démarche nouvelle pour Jérusalem27. Néanmoins, les critiques sont vives car les aspirations des habitants n’ont pas été systématiquement prises en considération28.
22L’influence occidentale s’explique par de nombreux facteurs. Tout d’abord, la planification urbaine au sens moderne29 est apparue à Jérusalem à l’époque du Mandat britannique, et ses traces sont encore visibles aujourd’hui, tant dans le Code de l’urbanisme que dans le maintien de certains principes d’aménagement (protection du bassin visuel autour de la vieille ville, ceinture verte, zonage circulaire, façades en pierre, etc.30) Ensuite, à Jérusalem, la globalisation est en œuvre, la circulation des personnes et des idées entre Orient et Occident est très intense. Du point de vue d’un grand nombre de professionnels israéliens de l’urbain, l’architecture et l’urbanisme occidentaux incarnent la pointe du progrès. De très nombreux architectes sont formés en Europe ou aux États-Unis. L’actuel architecte en chef de la municipalité, ainsi que l’auteur du « projet Safdie », ont tous deux obtenu leur diplôme au MIT de Boston. Le lieu de leur formation n’a rien d’anecdotique car il a des répercussions sur les décisions en matière d’aménagement : l’architecte en chef prend fréquemment pour modèle de grandes villes américaines lorsqu’il expose sa vision de la future Jérusalem. À ce contingent de transnationaux s’ajoute celui des nouveaux immigrants arrivés en Israël après leurs études. Un des aménageurs les plus influents de la municipalité a importé son expérience de l’urbanisme rationnel britannique. Le directeur du département de géographie de l’Université hébraïque est l’un de ses compatriotes. Les cours de droit de l’urbanisme, ainsi que les cours de protection du patrimoine, sont assurés par des Américains ou des Britanniques d’origine31. Évidemment, certaines figures majeures parmi les enseignants d’études urbaines, qui travaillent également en tant qu’aménageurs, sont des Israéliens formés en Israël, mais leurs cours s’appuient autant, voire davantage, sur des exemples européens ou américains, que sur des exemples locaux32. En France, au contraire, les études urbaines universitaires restent largement européano-centrées.
23En effet, une grande partie de la population israélienne est tournée vers l’Occident et souhaiterait que l’État hébreu soit intégré à la Communauté européenne. Ceci contredit le poncif du « repli communautaire » ou du particularisme dont est parfois taxée la société israélienne. On constate une forte volonté de normalisation, qui, à nouveau, ne nous intéresse pas seulement sur le plan sociologique, mais parce qu’elle est perceptible dans la fabrique urbaine. Pour de nombreux Israéliens, les enjeux capitaux du développement urbain de Jérusalem ne reposent pas sur l’aménagement ou le non-aménagement des quartiers arabes, mais plutôt sur l’autorisation ou l’interdiction d’ériger d’immenses tours de bureaux en centre-ville, la protection des espaces verts de récréation à l’Ouest, l’ouverture d’autoroutes, la viabilité du tramway ou la hausse du coût du logement – problématiques identiques à celle du nouveau PLU parisien. Les habitants israéliens mettent assez peu en relation la fabrique urbaine à Jérusalem et le conflit israélo-palestinien.
V. Portée et valeur d’un schéma directeur à Jérusalem
24Une différence fondamentale apparaît néanmoins entre le schéma directeur de Jérusalem et ceux des grandes métropoles occidentales : la régularité et le mode d’utilisation de cet outil d’urbanisme. Il n’y a pas eu de schéma directeur pour Jérusalem depuis 46 ans. Cette lacune a engendré une forme de sacralisation de ce type de document, puisque le précédent est resté la référence suprême depuis presque un demi-siècle. Le fait même qu’aucun autre plan n’ait été approuvé, malgré plusieurs tentatives33, prouve la valeur et la force contraignante que les élus locaux confèrent à ce document.
25Toutefois, cet outil, qui émet des projections pour vingt ans, fige la direction que prendra le développement. Il peut alors paraître inadapté dans un contexte politique instable, sensible et incertain. C’est pourquoi les élus hiérosolomitains ont préféré utiliser des plans d’aménagement locaux, à l’échelle de quartiers ou de sous-quartiers, qui permettent une plus grande flexibilité. La procédure de modification d’un plan local est évidemment plus aisée que la révision d’un schéma directeur. En outre, bien que le document de 1959 ait force de loi, les pratiques illégales sont très répandues. Prenons l’exemple des activités économiques : la majorité des commerces de l’avenue Derech Bethléem à l’Ouest et des ateliers de Wadi Joz à l’Est ne détiennent pas de licence, car ces deux zones sont classées « résidentielles » dans le schéma de 1959 et dans les plans de quartiers. Les principes du schéma directeur comme ceux des plans locaux sont peu respectés, tant à Jérusalem-Ouest qu’à Jérusalem-Est, et il est probable que cette tendance se poursuive après l’approbation du nouveau schéma directeur.
26Enfin, rien ne garantit que ce schéma sera approuvé, tant sont nombreuses les demandes légales d’annulation ou de modifications qui seront déposées.
27Il s’agit donc de ne pas surévaluer la portée de ce type de document. En effet, malgré l’importance que lui attribuent les urbanistes, il semble, à Jérusalem comme ailleurs, que la fabrique urbaine effective se plie assez peu aux normes et aux orientations qu’un schéma directeur établit. Les dynamiques urbaines procèdent de multiples facteurs économiques, démographiques et politiques, qui sont par nature fluctuants, et que les aménageurs ne peuvent maîtriser entièrement.
Notes
Table des illustrations
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Titre | Fig. 1 – Le nouveau schéma directeur pour Jérusalem |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/docannexe/image/68/img-1.jpg |
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Pour citer cet article
Référence papier
Irène Salenson, « Jérusalem en 2020 sous l’œil des urbanistes », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 16 | 2005, 210-221.
Référence électronique
Irène Salenson, « Jérusalem en 2020 sous l’œil des urbanistes », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 16 | 2005, mis en ligne le 17 septembre 2007, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/68
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