1Avant d’aborder la question des migrations et des relations interculturelles dans le Levant au Néolithique précéramique B (PPNB), il faut traiter de la notion de culture et expliquer pourquoi les archéologues préfèrent utiliser le terme de « culture matérielle », qui correspond mieux aux types de reconstructions qu’ils peuvent faire.
- 1 Identifier des cultures ne permet donc pas d’en réifier l’existence (Izard, 1991).
2En anthropologie, le terme de culture désigne tout ensemble ethnographique qui présente des écarts significatifs avec d’autres ensembles, en ce qui concerne ses valeurs, ses comportements et ses savoirs dont les limites coïncident approximativement (Lévi-Strauss, 1958). Les cultures ainsi identifiées ne sont donc pas des ensembles de données mais plutôt le résultat d’enquêtes et de comparaisons1. Il faut savoir que les termes de comparaison ne varient pas tous au même moment d’une culture à l’autre ; et ceux qui varient en même temps ne varient pas nécessairement avec la même intensité. Ainsi, il faut utiliser le terme de « culture » avec précaution et rester conscient que ses limites sont toutes relatives.
3Cela étant dit, pouvons-nous identifier des cultures en archéologie ? Les anthropologues qui s’attachent à tous les aspects de sociétés vivantes éprouvent quelques peines à définir des cultures ; la tâche est d’autant plus ardue pour les archéologues qui étudient des sociétés disparues. Les archéologues n’ont en effet à leur disposition que les vestiges matériels d’un petit nombre d’activités techniques, sociales et symboliques d’un groupe donné. Ces chercheurs doivent donc se limiter à identifier des « cultures matérielles » qui peuvent être définies comme des associations cohérentes de caractères dont les traces qui restent sont matérielles. Et ils savent que ces « cultures matérielles » ne correspondent pas nécessairement à des réalités anthropologiques (Leclerc et Tarrête, 1995).
4Cet article porte sur les différentes populations du Levant (fig. 1) qui ont produit diverses cultures matérielles et dont les relations se sont intensifiées à un moment spécifique du Néolithique : le Néolithique précéramique B (PPNB). Ces relations vont être examinées à la lumière d’une activité peu étudiée dans ce contexte jusqu’à présent : l’exploitation des matières osseuses. Il s’agit de déterminer si l’intensification des contacts a influencé le travail de l’os. Plus avant, nous verrons s’il est possible de clarifier le type de relation entre les diverses populations du Levant grâce aux données collectées dans l’industrie de l’os.
5Nous exposerons d’abord le contexte préhistorique et l’état du débat concernant les relations dans le Levant. Nous présenterons ensuite la méthode de travail, puis les résultats sur lesquels débouche l’étude de l’industrie de l’os, avant de conclure.
Fig. 1 : Carte des sites PPNB étudiés et cités
6Dans le Levant, la Néolithisation débute autour de 13000 cal BC et prend fin vers 5000 avant notre ère. Marquée par le passage d’un mode de vie nomade basé sur la chasse et la cueillette à un mode de vie sédentaire basé sur l’agriculture et l’élevage, la Néolithisation dans le Levant comprend cinq périodes. Pendant le Natoufien (de 13000 à 9600 cal BC), le nomadisme décline. Le Néolithique précéramique A (PPNA, de 9600 à 8700 cal BC) marque les premières tentatives d’agriculture. Au Néolithique précéramique B (PPNB, de 8700 à 6900 cal BC), c’est le début de l’élevage, activité qui se renforce durant le Néolithique précéramique C (PPNC, de 6900 à 6500 cal BC). À l’époque du Néolithique céramique (PN, de 6500 à 5000 cal BC), enfin, la technique de la céramique développée dans le nord est pour la première fois utilisée dans le sud.
7Diverses cultures matérielles ont été identifiées dans le Levant durant toute la période néolithique. Lors du PPNB, période dont traite cet article, les populations du nord (moyen Euphrate) et du sud (Palestine, Jordanie), développent des particularités sur une base commune.
8Pour ce qui est des caractères partagés, les hommes de la région nord autant que ceux de la région sud domestiquent les caprinés puis les aurochs tout en consolidant leur agriculture. Leurs villages, composés d’habitations généralement quadrangulaires, se développent. Les structures de stockage sont placées dans les habitations individuelles plutôt que dans des espaces communs (Lebreton, 2003 ; Byrd, 2000). Dans le domaine de la production lithique, les hommes utilisent la technique sophistiquée du débitage naviforme et transforment les supports qui en résultent en grandes pointes. Leurs productions se standardisent de plus en plus. Enfin, dans l’iconographie et le symbolisme, une importance de plus en plus grande est accordée à l’humain (Stordeur, 2010), aux attributs masculins ainsi qu’à l’image du taureau.
9Mis à part ces caractères partagés, d’autres ne se retrouvent que dans le sud et, pour certains, également dans la Damascène. Il s’agit, entre autres, des statues de plâtre, des crânes surmodelés, des masques de pierre, des outils tranchants en éventail – en pierre ou en os –, des pointes de Jéricho, de l’utilisation du débitage naviforme sur de grands blocs de pierre, de deux types de vannerie appelées « vanneries cordées » et « à nappes superposées » (Stordeur, 1989), de la persistance de constructions rondes ainsi que de l’élevage principalement orienté vers les caprinés.
10En revanche les murs peints, les groupements de corps dans des bâtiments spécialisés à cet effet (Coqueugniot, 2000), la vannerie en « nattes », les haches et les herminettes polies ne sont observés qu’au nord.
- 2 L’obsidienne d’Anatolie se trouve en petite quantité dans le sud dès le Natoufien final (Valla et (...)
11Les populations responsables de ces deux cultures matérielles entretiennent des relations. La présence, dans le sud, d’obsidienne venant d’Anatolie en est l’une des meilleures preuves (Cauvin, 1997). Les relations entre le nord et le sud, qui débutent, en fait, dès la fin du Natoufien2, atteignent une intensité particulière durant le PPNB. Durant cette période, en effet, de nombreux caractères apparemment apparus dans l’une des deux régions, se propagent dans tout le Levant. Pendant longtemps, les archéologues pensaient que la majeure partie de ces caractères avait été transmise du nord au sud (Cauvin, 1997), ces caractères étant, entre autres, l’architecture quadrangulaire, la notion de débitage naviforme, l’élevage ovin, la culture de l’engrain, la représentation de taureaux…
12Plusieurs hypothèses concernant le type de relations entre le Levant Nord et le Levant Sud ont alors été proposées.
13D’après J. Cauvin (1997) et P. Edwards (Edwards et al., 2005), seules les migrations de populations du nord vers le sud et leur implantation dans le sud au PPNB pourraient expliquer l’introduction à la fois abrupte et durable de caractères du nord dans le sud. J. Cauvin (1997) fait appel à des arguments anthropologiques : d’après lui, des « méditerranéens graciles » venant du nord ont été retrouvés à Jéricho à côté de « méditerranéens robustes » typiques du sud.
14Selon une autre hypothèse, la transmission de caractères d’une région à une autre aurait eu lieu sans migration mais à travers l’emprunt d’objets et d’idées dans le cadre de contacts et d’échanges intensifiés. A. Gopher (1989, 1994) fait appel à la fréquence des pointes de silex dans l’espace et dans le temps, fréquence qui montre que ces pointes n’ont pas été introduites d’un seul coup dans le sud avec l’arrivée d’une nouvelle population, mais qu’elles se sont propagées petit à petit, par contacts et transferts d’idées. Il faut noter, cependant, que cette étude spatio-temporelle utilise les données d’Aswad en Damascène, dont la datation a récemment été corrigée. Appuyant le point de vue de Gopher, les anthropologues G. Kurth et O. Röhrer-Ertl (1981), qui ont travaillé sur les squelettes de Jéricho, n’ont noté aucun changement entre les populations du PPNA et celles du PPNB, contredisant ainsi l’argument de J. Cauvin (cf. supra).
15Voilà les deux manières dont, à la fin des années quatre-vingt-dix, la recherche entendait les relations dans le Levant durant le PPNB. Des fouilles récentes sur des sites dans le sud (Khalaily et al., 2007) et dans la Damascène (Stordeur, 2003) raniment aujourd’hui le débat.
16La discussion principale porte sur l’origine nordique de certains caractères répandus dans le Levant durant le PPNB, ainsi que sur l’idée d’une transmission unidirectionnelle du nord vers le sud. Des fouilles récentes à Aswad dans la Damascène ont montré que certains de ces caractères auraient finalement pu être transmis de la Damascène à d’autres régions, l’un d’eux étant un type particulièrement sophistiqué de débitage naviforme dont les archéologues pensaient auparavant qu’il était apparu dans le nord (Abbès et Stordeur, communication personnelle).
17Il est trop tôt pour proposer un nouveau modèle de relation dans le Levant. Il est cependant fort probable qu’il faille tendre vers un modèle de transmission multidirectionnelle plus complexe mais aussi plus réaliste que celui proposé jusqu’à présent. Les caractères communs à l’ensemble du Levant ont pu être progressivement mis en place à partir d’innovations et d’évolutions qui sont apparues dans diverses régions et qui se sont ensuite répandues grâce à des échanges et des relations accrus durant le PPNB.
18L’information recueillie par l’analyse de l’industrie de l’os va maintenant être présentée.
19Il convient tout d’abord d’exposer la méthode utilisée dans l’étude des industries de l’os.
20Notre recherche sur les sociétés du passé est basée sur la compréhension des modes d’exploitation des matières osseuses. Pour chaque collection étudiée, les formes produites sont décrites et les chaînes d’exploitation sont reconstruites, depuis l’acquisition de la matière première jusqu’à l’utilisation des objets, d’un point de vue technique et d’un point de vue économique. Les reconstructions sont faites grâce à une méthode de remontage adaptée aux propriétés des matières osseuses : le remontage mental (Averbouh, 2000).
21Les résultats présentés ici sont basés sur l’étude directe de cinq sites datant du PPNB dans le Levant Sud, ainsi que sur les publications concernant les sites du Levant Nord. Étant donné le petit nombre de sites étudiés, l’hétérogénéité des études réalisées dans le nord et dans le sud, et le manque de publication sur l’industrie osseuse retrouvée sur les sites de Damascène récemment fouillés, le travail présenté ici doit être considéré comme préliminaire.
Fig. 2 : Objets du PPNB trouvés aussi bien dans le Levant Nord que dans le Levant Sud
a et b : poinçons provenant d’‘Ain Ghazal (LPPNB) (Photos G. Le Dosseur. Tous droits réservés – Yarmouk University) ;
c : couteau plat trouvé à Motza (EPPNB/MPPNB) (Photos G. Le Dosseur. Tous droits réservés – Israel Antiquity Authority) ;
d : poinçon trouvé à Motza (EPPNB/MPPNB) (Photos G. Le Dosseur. Tous droits réservés – Israel Antiquity Authority) ;
e et f : perles tubulaires trouvées à Motza (EPPNB/MPPNB) (Photos G. Le Dosseur. Tous droits réservés – Israel Antiquity Authority) ;
g : couteau plat trouvé à Nahal Hemar (MPPNB/LPPNB) (Photos G. Le Dosseur avec l’autorisation d’O. Bar Yosef).
22Au PPNB, une grande quantité d’objets en os et de pratiques techniques sont répandus dans tout le Levant. Partout, les outillages comprennent un grand nombre de poinçons (fig. 2 : a, b, d), de couteaux plats (fig. 2 : c, g), d’outils tranchants, d’aiguilles, de perles tubulaires (fig. 2 : e, f)… Des productions plus exceptionnelles, tels de grands crochets (fig. 3 : a, b, c) ou des manches en bois de cervidés (fig. 3 : d, e) se trouvent dans le nord comme dans le sud au PPNB.
23Toutes les techniques et les méthodes de base du travail de l’os (raclage, abrasion, rainurage, sciage, entaillage, percussion, bipartition…) sont maîtrisées dans l’ensemble du Levant. Des procédés plus spécifiques, telle la perforation par rainurage longitudinal, se retrouvent dans le nord aussi bien que dans le sud durant le PPNB.
24Dans le cas des objets ordinaires (poinçons, couteaux plats) qui sont à la base de l’outillage depuis le Natoufien, ces ressemblances sont visiblement le résultat de processus de diffusion très anciens, ou de convergence. Dans le nord, comme dans le sud, des outils simples identiques sont utilisés pour des activités de base identiques (tannerie, vannerie…).
Fig. 3 : Objets du PPNB trouvés aussi bien dans le Levant Nord que dans le Levant Sud
a : grand crochet trouvé à Nahal Hemar (MPPNB/LPPNB) (Bar Yosef et Alon, 1988, fig. 13, p.18, avec l’autorisation de l’IAA);
b : crochet trouvé à Abu Hureyra (LPPNB) (Sidéra, 1998, fig. 10:6, p.230);
c : crochet trouvé à çafer Höyük (EPPNB/MPPNB) (Stordeur, 1988b, fig. 3: 6, p.213);
d : manche en bois de cervidé trouvé à Abou Gosh (MPPNB) (dessin G. Le Dosseur. Tous droits réservés - Israel Antiquities Anthority);
e : manche en bois de cervidé trouvé à çafer Höyük (EPPNB/MPPNB) (Stordeur, 1988b, fig. 2: 4a, p. 212).
25Les mêmes phénomènes expliquent le vaste usage de techniques et de méthodes de base (raclage, abrasion, bipartition…) qui font partie du répertoire technique au moins depuis le Natoufien.
- 3 Les manches et la perforation par rainurage longitudinal sont présents dans le nord dès le PPNA. L (...)
26Dans le cas d’objets plus particuliers tels les grands crochets et les manches en bois de cervidés, ou dans le cas de procédés nouveaux et originaux comme la perforation par rainurage longitudinal, on peut se demander si leur apparition dans l’ensemble du Levant durant le PPNB n’est pas le résultat de contacts entre les populations à cette époque, plutôt que de convergences. D’après les données actuelles, ces caractères apparaissent d’abord dans le nord3.
27La plupart du temps, l’objet venu du nord se trouve modifié dans son nouvel environnement au sud. Sa forme, sa fonction ou le mode de fabrication change. De même, la technique venue du nord est utilisée différemment lorsqu’elle est introduite au sud. L’objet « étranger » ou la technique « étrangère » est adapté à un nouvel environnement, à un nouveau système.
28C’est le cas du manche en bois de cervidé trouvé à Abou Gosh (fig. 3 : d). Tandis que les manches trouvés dans le nord ont la forme régulière de gobelets (fig. 3 : e), le manche d’Abou Gosh présente un pédoncule (fig. 3 : d), ce qui implique que les manches dans le sud n’ont pas tout à fait la même fonction ou le même fonctionnement que dans le nord.
Fig. 4 : le procédé de perforation par rainurage longitudinal
a : le procédé de perforation par rainurage longitudinal bifacial ;
b : le procédé tel qu’il est utilisé dans la production des « aiguilles de Mureybet » dans le Levant Nord, à çafer Höyük, EPPNB/MPPNB (Stordeur, 1988b, fig. 2.1a, p. 212);
c : le procédé utilisé dans la production d’outils pointus plats et de couteaux plats à Nahal Hemar MPPNB/LPPNB (dessins et photos G. Le Dosseur avec l’autorisation d’O. Bar Yosef).
29C’est également le cas du procédé de perforation par rainurage longitudinal. Alors que, dans le nord, ce procédé est utilisé systématiquement et presque exclusivement dans la production d’un type spécifique d’aiguille, appelée « aiguille de Mureybet » (fig. 4) (Stordeur et Christidou, 2008 : Stordeur, 1988b), dans le sud, il est utilisé dans un contexte de production assez différent. Il est utilisé pour perforer des outils pointus plats ou des couteaux plats (à Motza, à Nahal Hemar) (fig. 4 : c). Le procédé a donc été extrait de son système technique initial pour être adapté dans un nouveau système technique. Ce procédé, identifié jusqu’à présent sur un petit nombre de sites et utilisé dans la production d’une très petite variété d’objets, semble avoir été utilisé dans un système fermé (Roux, 2007). Il ne semble pas avoir été largement transmis.
30Selon la première hypothèse, des hommes du nord se sont installés dans le sud et ont adapté leur outillage et leur système technique dans leur nouveau contexte (dans un nouveau « milieu extérieur » et « intérieur » ; Leroi-Gourhan, 1945, 1973).
Fig. 5 : Objets trouvés dans une seule région
a : os sectionné utilisé comme outil de taille trouvé à Çafer Höyük, EPPNB/MPPNB (Stordeur, 1988b, fig. 1, p. 211) ;
b : anneau trouvé à ‘Ain Ghazal LPPNB (Photos G. Le Dosseur. Tous droits réservés – Yarmouk University) ;
c : outil de taille en forme d’éventail trouvé à Motza EPPNB/MPPNB (Photos G. Le Dosseur. Tous droits réservés – Israel Antiquities Authority) ;
d et e : outils pointus plats trouvés à Motza EPPNB/MPPNB (Photos G. Le Dosseur. Tous droits réservés – Israel Antiquities Authority).
- 4 Les outils tranchants lourds en éventail et les pointes plates retrouvés dans ces industries du PP (...)
- 5 Certains des éléments nordiques reconnus au sud au PPNB existaient au nord dès le PPNA.
31Les industries dans lesquelles les éléments nordiques adaptés ont été trouvés montrent des ressemblances avec les traditions du sud plus anciennes4. Aussi, nous pourrions penser que des populations du nord seraient arrivées dans le sud avant le moment où l’on trouve des éléments nordiques adaptés, au tout début du PPNB, ou même au PPNA5. Depuis leur arrivée, les nouvelles populations auraient eu le temps de modifier leur culture matérielle initiale et d’intégrer celle préexistant dans le sud en se mêlant aux populations locales. Jusqu’à présent, cependant, les sites dans lesquels les éléments du nord auraient été introduits sans aucune modification n’ont pas été découverts. Ainsi, au vu des données disponibles, c’est la seconde hypothèse – présentée ci-dessous – qu’il faudrait privilégier.
32Selon cette seconde hypothèse, les populations du sud auraient été en contact avec des gens du nord, durant le PPNB, et auraient emprunté certains de leurs objets et de leurs techniques. Ce faisant, ils les auraient adaptés à un nouvel environnement. Nous nous posons alors la question des motivations de ces emprunts. Le processus de perforation par rainurage longitudinal, par exemple, présente-il plus d’avantages que le procédé préexistant ? Est-il plus facile de se procurer un burin ou un éclat coupant et d’aménager un trou en rainurant que de se procurer un perçoir et de percer un trou par rotation ? Techniquement parlant, est-il plus sûr d’effectuer une perforation par rainurage longitudinal plutôt que par rotation ? Dans le sud, la technique de rainurage longitudinal est presque toujours utilisée sur des supports venus d’os plats. Des expérimentations permettraient de vérifier si le rainurage longitudinal est effectivement mieux adapté que la rotation dans ce cas-là. Enfin, si l’emprunt de procédés nordiques ne pouvait être expliqué par des avantages matériels, pourrait-il être compris comme un moyen de distinction sociale ?
33Cette hypothèse d’emprunts de la part des populations du sud sans qu’il y ait eu nécessairement d’implantation de gens du nord dans le sud durant le PPNB pourrait être corroborée par l’apparition progressive plutôt qu’abrupte de nouvelles habitudes techniques au sud. Ainsi, alors que pendant le Natoufien, les hommes du sud utilisent surtout les épiphyses proximales des métapodes pour fabriquer les poinçons, ils se tournent peu à peu, par étapes, vers l’utilisation des extrémités distales et privilégient finalement celles-ci au PPNB (fig. 6).
34Mis à part les ressemblances trouvées entre les industries osseuses du Levant Nord et celles du Levant Sud, des différences existent. Malgré l’intensification des contacts dans le Levant, certains objets et procédés techniques nordiques n’atteignent pas le sud (os sectionnés utilisés comme outils tranchants (fig. 5 : a) ; aiguilles de Mureybet (fig. 4 : b)), tandis que d’autres ne sont pas utilisés dans le nord (outils tranchants en éventail (fig. 5 : c) ; pointes plates (fig. 5 : d, e) ; anneaux (fig. 5 : b)). Soit des populations migrantes ne souhaitaient pas ou n’avaient pas besoin de reproduire l’ensemble de leur outillage dans leur nouvel environnement, soit des populations en contact avec des éléments extérieurs n’étaient pas capables de les adopter, ou n’en avaient pas le besoin, pour des raisons économiques, techniques, sociales, symboliques…
Fig. 6 : Au Levant Sud, installation progressive du nouveau choix d’utiliser des épiphyses distales de métapodes pour la fabrication de poinçons
35L’étude des industries osseuses dans le Levant a mis en lumière le transfert d’objets et de techniques d’une région à l’autre durant le PPNB. Ces industries osseuses sont une illustration, parmi d’autres, des relations entretenues durant cette période dans cette région. Cette illustration reste, cependant, fort discrète : l’industrie de l’os, liée à la vie de tous les jours et à la sphère domestique, ne constitue pas l’une de ces productions rares et prestigieuses qui se propagent, de façon très visible en général, lors d’échanges intensifiés. Malgré tout, grâce aux quelques transferts identifiés depuis le nord vers le sud, a-t-il été possible de clarifier le type de relations entre les hommes dans le Levant au PPNB ?
36Les éléments venant du nord et introduits dans le sud sont généralement modifiés dans leur nouvel environnement. De plus, ils apparaissent dans un contexte général souvent fortement lié aux traditions du passé dans le sud. Il ne peut être exclu que des hommes du nord se soient installés dans le sud, apportant avec eux de nouveaux éléments et se mêlant aux hommes du sud, quelque temps avant que les modifications deviennent visibles. Cependant, à moins de trouver les sites dans lesquels ils s’établirent avant que s’opèrent ces modifications et ces mélanges, il faudrait privilégier une autre hypothèse, selon laquelle les populations installées depuis longtemps dans le sud ont adopté et adapté des éléments du nord, connus au PPNB grâce aux rencontres et aux échanges intensifiés.
Je voudrais remercier les deux organisateurs du séminaire, Caroline Rozenholc et Sylvain Bauvais, de m’avoir donné l’opportunité de présenter ces résultats sur les relations interculturelles durant le PPNB. Je remercie également beaucoup H. Khalaily, O. Bar Yosef, G. Rollefson, Z. Kafafi et D. Stordeur de m’avoir permis d’étudier les collections osseuses. Je tiens à remercier P. de Miroschedji pour ses conseils durant la rédaction de cet article, ainsi que M. Barazani pour le travail de publication. Je remercie également J. Grumbach pour la traduction de l’anglais au français. Enfin, je suis reconnaissante au ministère des Affaires étrangères et européennes pour son soutien financier cette année (Lavoisier).