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Éléments de réflexion sur le rapport des Bédouines du Néguev au politique

Entre marginalisation politique et mobilisation sociale
Élisabeth Marteu
p. 148-165

Texte intégral

1Les quelque 130 000 Bédouins vivant actuellement dans le Néguev représentent 13 % des citoyens arabes d’Israël, qui constituent eux-mêmes 20 % de la population totale israélienne. Cette minorité, bien que de nationalité arabe1 et de confession musulmane sunnite, n’en continue pas moins de clamer sa spécificité. Si la référence à une identité palestinienne fait aujourd’hui l’unanimité chez les citoyens arabes d’Israël, les Bédouins revendiquent une histoire et une culture propres, celles des Bedu, habitants du désert (baadia), distingués et distinguables des citadins et des autres groupes de paysans de la région. Les transformations sociales et politiques qui ont affecté le Néguev depuis la fin du xixe siècle, sous l’effet des réorganisations administratives opérées par les autorités successives, ont bouleversé l’organisation interne de la communauté bédouine. L’Empire ottoman, les autorités britanniques et enfin l’État israélien ont chacun à leur tour remodelé la société bédouine, son mode de fonctionnement tribal et par là sa gestion politique. Ces transformations sociales – que nous développerons plus loin – ont affecté par ailleurs les rapports de genre et le rapport des femmes à la politique. Puisque la politique, en tant que mode de régulation des conflits et de gestion des affaires publiques, a changé de nature, la participation et les modes d’expression des femmes ont eux aussi évolué. Il ne suffit plus de dire que les femmes bédouines sont marginalisées d’une sphère politique exclusivement dominée par les hommes, il importe à présent de s’interroger sur l’apparente pérennité d’une telle marginalisation et les formes alternatives de mobilisation sociale et politique.

2L’organisation sociopolitique de la population bédouine du Néguev n’est pas figée et nombre d’études ont insisté sur la reconfiguration du système tribal2 et des rapports de genre3. Amorcée dès le xixe siècle, l’évolution de la communauté bédouine a été marquée par l’arrivée de groupes paysans (fellahin), venus des régions rurales sédentarisées de Palestine qui se sont affiliés aux pasteurs bédouins en louant et en exploitant leurs terres. Liés par un devoir de solidarité et d’entraide mutuelle, Bédouins et paysans ont constitué ce qu’on appelait une tribu qui comprenait en outre des familles d’anciens esclaves soudanais (‘abid). La tribu était donc composée de ces trois populations qui fonctionnaient en étroite relation mais ne pratiquaient rarement, ou jamais, d’échanges matrimoniaux4. En effet, les Bédouins considérés comme nobles ne mariaient pas leurs filles aux groupes inférieurs tandis qu’à l’inverse les filles de fellahin pouvaient épouser des Bédouins. Cette logique, qui prévaut encore aujourd’hui, a pourtant connu de nombreuses exceptions et n’a cessé d’être remodelé selon les contextes spatiotemporels. Néanmoins, son évocation par les intéressés comme d’une « tradition bédouine » n’en révèle que davantage son enjeu culturel et l’importance de faire référence à une identité bédouine commune prétendument inchangée et inchangeable.

3La tribu elle-même, en tant que référent social et politique, a subi des modifications sous l’effet de mesures administratives prises par les Ottomans, les Britanniques puis les Israéliens5. Sous l’autorité de la Sublime Porte, l’unité politique bédouine est la gabila, confédération de tribus dirigée par un petit nombre de sheikhs. En 1903, la ville de Beersheva devient un centre administratif. À cette époque, les Bédouins vivent déjà d’agro-pastoralisme. En 1906, les Turcs décident de figer les frontières de sept confédérations tribales et d’amorcer ainsi leur sédentarisation.

4Leur territorialisation sera poursuivie par les Britanniques qui donnent davantage de sens politique à la ‘ashira – unité tribale plus restreinte. Le nombre de sheikhs est multiplié tandis que ces derniers sont chargés de collecter les impôts pour les Britanniques. Le processus d’atomisation de la structure tribale se poursuit alors que la tribu britannique devient une unité administrative. Dans les années 1930, déjà près de 90 % des Bédouins pratiquent l’agriculture, ce qui participe d’une parcellisation des terres et d’une privatisation des ressources6. Les tribus bédouines commencent alors progressivement à perdre de leur pertinence politique.

5Le processus sera à la fois renforcé et remodelé par les Israéliens. Suite à la guerre de 1948, la plupart des Bédouins sont expulsés7. Ceux qui restent sont réunis de force dans un périmètre plus restreint au nord est de Beersheva (sayigh), zone ne représentant plus que 10 % de la surface précédemment occupée. Les Bédouins obtiennent la citoyenneté israélienne dans les années 1950 – Loi sur la citoyenneté de 1952. L’appartenance tribale est bouleversée tandis que les autorités israéliennes imposent aux Bédouins de s’enregistrer comme ressortissants de l’une des 19 tribus officiellement reconnues8. Les 19 chefs tribaux (sheikhs) sont alors choisis et appointés par Israël, parfois en dépit des logiques de pouvoir qui pouvaient prévaloir jusque-là9. Les sheikhs obtiennent alors un pouvoir considérable en devenant les intermédiaires directs entre la population et les autorités israéliennes. Les relations d’autorité sont donc contrariées et remodelées dans l’urgence. La territorialisation de même que l’organisation sociale des Bédouins est figée, tandis qu’ils sont soumis aux lois militaires jusqu’en 1966. De la même manière que sur les zones arabes de Galilée et du Triangle, les Bédouins sont placés sous l’autorité d’un gouvernement militaire qui contrôle leurs déplacements, leur expression politique et leur mode d’organisation10.

6À la fin des années 1960, Israël va changer sa politique à l’égard des Bédouins et décider de les urbaniser en les logeant dans des villes et villages planifiés. Ces localités se construisent, le plus souvent sans consultation populaire préalable, en ayant pour objectif de rassembler les Bédouins dans des ensembles urbains et d’éviter ainsi leur éparpillement dans le Néguev11. Sept localités ont été créées depuis 1966, qui rassemblent aujourd’hui plus de la moitié de la population bédouine du Néguev12. L’autre moitié réside dans des villages dits non reconnus, dont les terres autrefois coutumièrement possédées par les Bédouins ont été nationalisées par l’État dans les années cinquante13. Des différences considérables se sont alors creusées entre urbains, semi-urbains et ruraux, ces derniers ne bénéficiant ni d’infrastructures ni de services publics. Dans les localités planifiées, la gestion est, quant à elle, confiée à une autorité locale appointée par le ministère de l’Intérieur. Il faudra attendre les années 1990 pour voir s’organiser les premières élections libres de conseils locaux bédouins. L’urbanisation et les changements socioéconomiques apparus dans les années 1960 font éclater les tribus israéliennes qui perdent leur pertinence politique autant que leur légitimité administrative. Aujourd’hui, la référence à l’appartenance tribale n’a pas complètement disparue, mais elle est davantage utilisée pour rappeler occasionnellement l’origine familiale et surtout territoriale d’un lignage.

7L’organisation sociopolitique bédouine a donc connu de profonds bouleversements depuis la fin du xixe siècle. En devenant citoyens israéliens, les Bédouins sont entrés dans une nouvelle aire de reconfiguration qui aura mené à la désintégration de leur système tribal. Pourtant, dans cette analyse, il reste bien un point qui, lui, n’a apparemment pas changé : la marginalisation des femmes du pouvoir politique et des affaires publiques. La pérennité n’est pourtant qu’apparente, car en réalité les mécanismes même de cette discrimination ont changé. En effet, puisque la société bédouine a connu des transformations sociales et politiques, alors le rapport des femmes à la sphère publique a lui aussi changé. Qu’il s’agisse de la période pré israélienne, du gouvernement militaire ou du processus d’urbanisation, les femmes ont apparemment toujours été évincées du jeu politique. Néanmoins, les mécanismes et les enjeux de cette discrimination ont, quant à eux, connu des changements successifs.

I. Pouvoir et politique

8Il convient tout d’abord de préciser la terminologie employée dans cette étude et de marquer ainsi une différence entre « pouvoir » et « politique ». S’intéresser aux modes d’expression et de mobilisation politique ne revient pas à analyser le concept de pouvoir. Sur cette question, les travaux de Lila Abu Lughod (1988, 1990) Cynthia Nelson (1973) et Gillian Lewando Hundt (1978) ont déjà longuement insisté sur les modalités du pouvoir exercé par les femmes bédouines au Proche-Orient14. Lila Abu Lughod, qui a étudié la signification sociale et politique des poèmes récités par les membres de la tribu égyptienne des Awlad ‘Ali, s’est attachée à démontrer les formes de résistance employées par les femmes contre la domination masculine. Elle parle ainsi des poèmes, parfois subversifs, mais aussi de l’attitude même des jeunes filles qui, par leurs modes vestimentaires et leur refus des mariages forcés, prouvent qu’elles peuvent exercer du pouvoir. Cynthia Nelson a, quant à elle, théorisé la place des femmes dans le mode de vie semi-nomade désertique. Elle démontre ainsi que les femmes exercent du pouvoir en maîtrisant le Harem, notamment en y critiquant librement les hommes, et en contrôlant les tractations matrimoniales. Ce sont en effet les femmes, surtout les plus vieilles, qui arrangent les unions et exercent une autorité sur leurs cadettes. Quant à Gillian Lewando Hundt, qui a étudié la position des femmes dans les villes planifiées bédouines du Néguev, elle montre comment l’urbanisation a changé les normes sociales en enfermant les femmes dans la cellule familiale, mais comment cette réclusion leur a par ailleurs permis de dominer leur espace et de s’autonomiser des hommes.

9Toutes ces études abordent donc bien la question du « pouvoir » mais non pas celle du « politique ». Par ailleurs, le pouvoir exercé par les femmes, aussi influent soit il, reste confiné à la sphère privée et féminine. Les femmes n’ont pas, ou peu, d’influence sur les affaires publiques. Ceci valait en situation semi nomade où le shigg (espace des hommes) restait le lieu des débats et des arrangements politiques, et cela prévaut encore aujourd’hui où les partis politiques comme les instances élues sont exclusivement masculines. Effectivement, les femmes pouvaient circuler plus facilement entre les sphères et donc s’informer des questions débattues. Aujourd’hui aussi, les couples discutent de politique et des secrétaires travaillent dans les mairies. Est-ce à dire que les femmes, du fait de leur connaissance de la chose politique, exercent une forme de pouvoir politique ? Non. Que les Bédouines aient toujours été au courant de ce qu’il se tramait autour d’elle, c’est une évidence, mais il serait exagéré d’affirmer qu’elles détiennent du pouvoir politique sous le seul prétexte qu’elles détiennent les informations. Il ne suffit pas de savoir, il faut aussi agir pour exercer un pouvoir politique, quand bien même il ne serait qu’informel. Or, les femmes bédouines, même en influençant certaines questions sociales – les mariages en sont la preuve – ne sont pas autonomes dans l’exercice de cette compétence. Par ailleurs, il faut distinguer compétence et implication politique15. Concernant l’implication politique, elle est visiblement restreinte, si ce n’est inexistante. Quant à la compétence politique, il n’est pas certain que les Bédouines aient dans leur ensemble une compétence adaptée au jeu politique tel qu’il est contrôlé et codifié par les hommes aujourd’hui.

10Par conséquent, les femmes ont peu accès à la politique publique en tant que scène de régulation des conflits et de gestion des affaires du groupe. Néanmoins, elles sont politiquement socialisées dans l’espace privé et font de la « politique privée » en agissant sur l’organisation tribale et aujourd’hui familiale. En revanche, concernant un autre aspect du concept de politique, qui correspond, quant à lui, aux modes de collectivisation d’une question sociale portée en intérêt public, la mobilisation des femmes est un phénomène plus récent. En effet, c’est grâce aux associations de femmes et notamment aux réseaux féministes nationaux et internationaux que certaines Bédouines ont donné une dimension publique à des thèmes sociaux et ont commencé à jouer le jeu de la négociation politique avec des instances nationales (Knesset) mais aussi internationales (ONU et bailleurs de fonds). Là réside la nouveauté de ces dix dernières années : l’accès des femmes bédouines à la sphère publique israélienne et transnationale en utilisant des outils politiques en dehors des sphères conventionnelles verrouillées par les groupes dominants16.

II. Genre et mode de vie semi-nomade : à la recherche du politique

11En interrogeant les Bédouines du Néguev sur la situation des femmes avant la création d’Israël en 1948, on obtient deux types de réponses : les plus vieilles décrivent la difficulté du mode de vie semi-nomade, leur participation aux tâches agropastorales, et leur éviction des questions politiques ; les plus jeunes louent l’âge d’or de la vie bédouine, les valeurs de solidarité et de complémentarité entre hommes et femmes. Deux visions donc de l’histoire et des rapports entre les sexes.

12Les aînées n’hésitent pas à insister sur les conditions sociales et économiques particulièrement difficiles, la pâture des troupeaux de chèvres, la collecte de l’eau, la cuisine, la couture et toutes les autres tâches domestiques qui incombaient aux femmes. Elles décrivent le shigg comme une sphère publique et masculine, où les hommes recevaient leurs hôtes et discutaient des affaires du groupe. À la question de savoir si elles avaient une quelconque influence politique, elles répondent par la négative. D’abord parce que c’est un domaine réservé aux hommes, essentialisé comme de compétence masculine, ensuite parce qu’elles étaient peu consultées dans la prise de décision. Une pratique vient néanmoins relativiser ce tableau : les femmes proches du sheikh – filles, épouses, sœurs – étaient parfois envoyées pour enquêter, si ce n’est espionner, sur les groupes lignagers alentours et leur situation sociale. En d’autres termes, des femmes étaient chargées d’aller passer quelques jours dans une tribu étrangère pour voir s’il y avait des filles à marier et examiner la situation économique du groupe – proportion du troupeau, propriété et proximité d’un puit, etc. En effet, quand il s’agissait de passer des accords entre lignages, les échanges matrimoniaux étaient un bon moyen de sceller les solidarités et les devoirs mutuels. Ces missionnaires étaient donc une source privilégiée de renseignements qui permettaient ensuite au sheikh de décider de l’intérêt de passer ou non de telles alliances. Les Bédouines, tout du moins certaines proches du chef tribal, servaient donc d’auxiliaires politiques. Néanmoins, quand bien même elles pouvaient orienter volontairement leurs déclarations et conseiller le sheikh dans ses choix, elles ne prenaient pas les décisions. Une fois de plus, les femmes ont un rôle secondaire en arrière-plan, influent peut-être mais non moins dépendant du bon vouloir masculin. Si la vie semi-nomade était caractérisée par une polarisation entre les sexes, à la fois stricte en public et souple dans la famille restreinte, l’expression politique des femmes dans l’espace privé ne suffit pas à cacher leur silence public.

13Pourtant les plus jeunes ne portent pas un jugement aussi sévère sur leurs aînées. Elles louent le courage des vieilles Bédouines qui vivaient dans des conditions particulièrement rudes et elles soulignent également la complémentarité entre hommes et femmes, ces dernières aidant dans les tâches physiques et travaillant comme de véritables partenaires économiques. Les trentenaires parlent aussi du dialogue qui existait entre hommes et femmes et de la consultation de ces dernières sur toute question propre à la vie du groupe. Il semble que ce soit une vision un peu romantique de la vie semi-nomade en espace désertique où hommes et femmes agiraient de pair, la fraternité et l’entraide étant les maîtres mots de la vie bédouine. En réalité, d’après les récits qui sont faits par les plus vieilles, il existait bien un dialogue entre les membres d’une même famille, mais il n’y avait pas de cogestion et de mixité politique. La période pré-israélienne reste donc caractérisée par une marginalisation politique des femmes et une distinction entre affaires privées et publiques. Ce qui aujourd’hui s’analyse en terme d’espace ou de sphère, représentait déjà à l’époque une polarisation sociale et politique entre hommes et femmes. La structure a certes changé mais la nature patriarcale de la différenciation sexuée subsiste.

14Par ailleurs, la résolution des conflits en communauté bédouine répond à des pratiques coutumières qui impliquent une solidarité lignagère patrilinéaire. Bien évidemment, il serait bien trop essentialisant de résumer les Bédouins à leurs coutumes, ce serait nier les transformations de leurs pratiques et l’environnement socio-légal dans lequel ils vivent. Néanmoins la question des revanches de sang est caractéristique de l’éviction des femmes des codes de régulation des conflits. En effet, en cas de problème, notamment en cas de meurtre entre des ressortissants de lignages différents, le khams agit en organe politique de règlement du conflit. Le khams rassemble tous les hommes de descendance patrilinéaire réclamant un ancêtre commun sur cinq générations. Tous ces hommes doivent en principe s’entraider et porter une responsabilité collective pour les agissements de chacun. Si un membre du lignage A est tué par un membre du lignage B, alors le khams de ce dernier est chargé de payer la dette, haqq al daam (prix du sang) pour résoudre le conflit. Sans entrer dans les détails d’une pratique bien plus complexe qu’il n’y parait, les revanches de sang sont la preuve d’une gestion coutumière de certains conflits et d’une responsabilité exclusivement masculine17. Dans ce système, qui débouche sur le paiement de la dette, la mort ou l’exil du coupable, seuls les hommes sont compétents et légitimes pour négocier.

III. Reconfiguration tribale, urbanisation et professionnalisation du politique

15Précisons, néanmoins, que ces logiques ou ces normes bédouines ont connu de nombreux changements et qu’elles ont été transformées sous l’effet des politiques prises par les puissances qui avaient autorité sur la région. L’une des modifications contemporaines les plus brutales a certainement été provoquée par la création de l’État israélien, qui a entraîné le départ forcé de la majeure partie des Bédouins du Néguev et a transformé les modes de vie de ceux qui sont restés. Ces nouveaux citoyens israéliens ont été soumis à un gouvernement militaire qui s’exerçait sur un territoire réduit. Les modes de gestion politique ont alors été bouleversés par l’imposition de lois militaires, l’appointement de sheikhs salariés – parfois non représentatifs – et le développement d’un large système de patronage entre leaders locaux et autorités israéliennes18. Si les logiques clientélistes ne sont pas nouvelles, en revanche le patronage, tel qu’il s’est développé à cette époque, était d’un nouvel ordre. En effet, dès les années 1950, les Bédouins deviennent citoyens israéliens et votent aux élections parlementaires de 1955. De la même manière que dans le Nord, ce sont les partis sionistes, en premier lieu le Mapaï – ex-parti travailliste – qui courtisent les voix arabes, en l’occurrence ici bédouines19. Le marchandage des voix arabes se fait en échange d’intérêts matériels ou symboliques. Des listes satellites arabes affiliées au Mapaï sont spécialement créées à la veille des élections pour récolter les voix arabes en Israël. C’est ainsi que des députés arabes entrent à la Knesset, comme le Bédouin Hamed Abu Rabia élu sur une liste affiliée aux travaillistes à la fin des années 1970.

16La fin du gouvernement militaire (1966) voit la création des localités planifiées dirigées par des conseils locaux appointés par le ministère de l’Intérieur. Le mode de gestion politique de la communauté bédouine est donc en train de changer. Les sheikhs perdent leurs prérogatives et sont remplacés par des conseils politiques et administratifs. L’organisation lignagère, déjà largement ébranlée depuis 1949, disparaît et fait place à une forme de gouvernement officiellement plus rationnel. Une scène politique conventionnelle se développe donc, même si les Bédouins sont encore limités dans leur expression et leur organisation politique. Ils votent aux élections nationales, majoritairement pour les partis sionistes et les listes satellites, mais ne votent pas encore à l’échelon local, dominé par une administration juive. Il faudra attendre 1989 à Rahat, 1993 à Tel as-Saba et 2000 dans les cinq autres localités bédouines pour assister aux premières élections locales libres. Toute cette période est ainsi marquée par la domination des groupes sionistes et les relations de patronage avec les Bédouins. Une fois de plus, les femmes ne participent pas à ces marchandages. Elles ne sont pas des leaders locaux et n’entrent donc pas dans les tractations électorales. Bien sûr, elles suivent le comportement politique de leurs époux et leur famille, mais elles n’exercent aucune influence directe. Puisque les Bédouins, eux-mêmes, sont largement dépossédés de leur pouvoir de gestion, les femmes n’en sont que davantage marginalisées. Minorité au sein d’une minorité déjà discriminée, les Bédouines se tiennent et sont tenues à distance du jeu politique. Marginalisation qui est également subie par d’autres groupes sociaux comme les familles d’anciens esclaves et tous les autres groupes tenus en marge des sphères de pouvoir.

17Le changement va s’opérer dans les années 1980 avec la création de partis politiques arabes autonomes20. Jusque-là seul le Rakah (parti communiste) puis la Jabha (Front démocratique pour la paix et l’égalité21) avaient représenté les intérêts des Arabes en Israël. Bien implantés dans le Nord, ils n’avaient pourtant pas réussi à pénétrer le Néguev et à faire contrepoids aux groupes sionistes. Il faut donc attendre les années 1980 et la formation de partis politiques arabes pour voir s’autonomiser le vote bédouin et se développer la revendication d’une identité palestinienne commune. Les élections nationales, puis locales, vont ainsi gagner en importance et mobiliser davantage l’électorat bédouin. Ainsi le taux de participation bédouine aux élections de 1988 est de 61,3 % contre 50 % en 1981. Pour ces élections, le Parti démocratique arabe (PDA), fraîchement créé, remporte 43,7 % des suffrages tandis que la Jabha ne récolte que 5,8 % des voix bédouines. Aux élections de 1999, les partis arabes comprennent la Liste Arabe Unie – liste commune entre le PDA et le Mouvement islamique – le Tajammu’ –  Rassemblement patriotique démocratique22 – et la Jabha. Ces trois listes remportent plus de 70 % des suffrages bédouins.

18Depuis lors, le nouvel acteur à succès est le Mouvement islamique, qui jouit depuis les années 1980, puis surtout 1990, d’une large assise sociale et politique dans le Néguev. Même si le PDA compte un député célèbre, le Bédouin Talab as-Sana, le Mouvement islamique reste l’organisation la mieux implantée et la plus active chez les Bédouins. Chaque localité compte des membres actifs du Mouvement, apparemment plus proches de la branche modérée de Ibrahim Sarsur que de la branche radicale de Ra’ed Salah23.

19La professionnalisation du politique en milieu bédouin a donc impliqué la création de partis politiques et de politiciens. Les jeunes cadres éduqués sont alors devenus les nouveaux spécialistes de la politique, maîtrisant les rouages du jeu électoral et des tractations clientélistes. Là encore les femmes sont exclues de cette transformation car elles ne sont pas engagées ni invitées dans les partis politiques, qu’elles n’ont pas d’intérêts à négocier et qu’elles ne manipulent pas les nouveaux outils du système politique israélien. Aucune femme bédouine n’a donc jamais été élue dans un conseil local ni à un poste de député à la Knesset24. Précisons à nouveau que d’autres groupes sociaux et économiques restent à la périphérie du jeu politique dans une société bédouine fortement hiérarchisée.

20Les mécanismes de représentation et surtout d’expression politique se sont professionnalisés en faisant apparaître des techniciens du politique, sachant jouer de toutes les solidarités tant familiales que plus matérielles25. Les élections nationales et locales reposent donc aujourd’hui sur un réseau d’interconnaissance et d’intérêt, non plus seulement fondé sur le lignage mais agrégé à d’autres formes de clientélisme, dont les femmes n’en sont que plus marginalisées. Elles suivent le vote et l’engagement de leurs pères ou de leurs époux, mais elles ne se mobilisent pas de façon autonome. La preuve en est faite par le déroulement des élections et les techniques de fraude utilisées. Pendant les élections locales à Laqiyya en septembre 2004, nous avons observé des pratiques de fraude largement employées pour les élections, et ce dans toutes les localités bédouines26. Les hommes saisissent les cartes d’identité de certaines femmes ou achètent leur voix, puis donnent les cartes à quelques femmes de confiance chargées d’aller voter pour toutes les autres. Voici une manière de s’assurer du vote des femmes et de prévenir les risques d’expression individuelle potentiellement déviante. Comme se plaisent à le raconter elles-mêmes les Bédouines, les cartes peuvent s’échanger dans l’urgence pour plusieurs centaines – voire milliers – de shekels. Les femmes passent leur journée à changer de vêtement pour déjouer le contrôle de la police et jouent ainsi à ce jeu plusieurs fois par jour. Il arrive pour certaines élections nationales que des femmes soient envoyées dans d’autres localités pour voter à la place d’autres femmes. Le système est largement répandu et aujourd’hui bien rodé. La circulation des cartes se fait au sein même des bureaux de vote, à proximité des salles où se trouvent policiers et inspecteurs électoraux du ministère de l’Intérieur. Dans ce jeu, les autorités israéliennes ne sont pas dupes et savent parfaitement comment se déroulent les élections. Mais elles refusent volontairement d’intervenir pour ne pas avoir de problèmes avec la population locale. Ces fraudes sont pratiquées autant pour les élections nationales que pour les locales. Ce sont les hommes qui organisent la fraude et les femmes qui la pratiquent. Là encore, les Bédouines prouvent qu’elles participent à leur manière au jeu politique mais qu’elles restent des auxiliaires volontaires, quoique dépendantes, des hommes.

21Les élections de Laqiyya en 2004 ont pourtant été marquées par une nouveauté : la présence d’une femme bédouine comme observatrice dans une salle de vote. Chargée de contrôler la régularité du vote, elle ne s’est pas gênée pour contester l’identité de certains votants, mêmes ressortissants de sa famille. Sa présence a été largement critiquée par certains conservateurs, mais surtout par les organisateurs des fraudes qui sont allés jusqu’à menacer son mari s’il ne faisait pas pression sur son épouse pour qu’elle se retire. Le scandale n’en a que davantage confirmé le verrouillage politique à l’encontre des femmes et le monopole que souhaitent garder certains hommes pour maîtriser le système.

22En outre, pendant la campagne électorale, aucune femme ne participe aux réunions politiques qui sont exclusivement masculines et organisées dans des quartiers généraux placés sur les terres des chefs de liste. Les listes ne répondent pas seulement à des logiques familiales. C’est même le contraire qui a été observé aux élections de Laqiyya en 2004, où des membres d’un même lignage se sont portés candidats sur des listes concurrentes. Les dissensions occasionnées dans les familles n’en confirment pourtant pas moins l’attachement à la solidarité familiale mise à mal par d’autres types d’intérêts. Les femmes travaillent pour certaines listes en démarchant leurs voisines pour le compte d’un candidat. La campagne a donc aussi une arène féminine mais plus discrète, non professionnelle et circonscrite à l’espace privé. Il s’agit de rencontres informelles organisées par des femmes mandatées par les chefs de liste. Elles ne sont pas des militantes politiques mais des volontaires occasionnellement mobilisées et mobilisables.

23En revanche beaucoup plus sont actives dans le réseau associatif du Mouvement islamique. C’est justement là que la frontière entre social et politique se brouille. Beaucoup de Bédouines participent aux activités du Mouvement islamique organisées pour les femmes. Il existe ainsi des responsables de sections féminines dans chaque localité bédouine. Ces femmes ne participent pas aux élections mais organisent des débats, des cours de religion dans les mosquées et la collecte de dons pour les déshérités notamment palestiniens des Territoires occupés. En effet, les femmes sont actives et mobilisées sur des questions tant culturelles, sociales que politiques. Elles ne sont pas des membres affiliés mais des soutiens et des bénévoles volontaires. Ce phénomène est plutôt récent et correspond au processus d’islamisation de la communauté bédouine du Néguev observé depuis la décennie 197027. Les règles religieuses musulmanes sont collectivement suivies et le Mouvement islamique s’est imposé comme un acteur social et politique incontournable. Par ailleurs, la respectabilité de ce mouvement donne à voir des pratiques intéressantes sur la légitimation de l’accès des femmes à l’espace public. Les activités sociales, culturelles et politiques du Mouvement islamique étant devenues des espaces recommandés et recommandables pour les femmes.

IV. Mobilisation sociale et féministe

24À la fin des années 1970, la société israélienne dans son ensemble est marquée par le développement d’un large champ associatif à même de représenter divers intérêts et notamment ceux des groupes ethniques et confessionnels minoritaires. Plusieurs associations arabes se sont ainsi créées et notamment dans le Néguev, comme en 1974 avec l’Association pour les droits des Bédouins. Les thèmes de mobilisation sont essentiellement tournés vers la contestation des expropriations de terres bédouines. La terre devient d’ailleurs à cette époque un enjeu majeur de lutte nationale pour les citoyens arabes. En témoigne ainsi la Journée de la Terre de septembre 1976 dont la journée de grève générale et les manifestations organisées en Galilée pour contester les expropriations de terres se sont soldées par la mort de six citoyens arabes. Tous les 30 septembre de chaque année est ainsi commémoré cet événement tragique qui donne lieu à des manifestations et des conférences sur la question de la terre. En 2005, la journée a été pour la première fois organisée dans un village non reconnu du Néguev marquant par là l’actualité sensible de cette question dans la communauté bédouine.

25Certaines Bédouines se tiennent régulièrement auprès des hommes pour contester la politique israélienne à l’encontre des Bédouins du Néguev. En 1996, les habitants du village non reconnu d’Abdeh ont été victimes d’expropriations forcées. Un sit-in de plusieurs dizaines de jours a été organisé aux portes de la Knesset à Jérusalem. Aux côtés du député bédouin, Talab as-Sana, se trouvait une vieille femme veuve, Fadiya Abu Gardud, aujourd’hui connue dans le Néguev pour sa participation active à la contestation. Elle explique ainsi que son action était une évidence, un instinct de survie qui n’incombe pas seulement aux hommes mais aussi aux femmes, qui doivent protéger leurs terres pour le bien de leurs enfants et la préservation de leur identité28. Elle refuse donc de voir une quelconque signification politique à son investissement car la politique reste le monde des hommes, l’apanage des professionnels et non de ceux qui luttent « simplement » pour leur survie.

26Si les grèves et les manifestations ont connu un essor considérable depuis les années 1980, en revanche il ne faudrait pas surestimer leur utilisation dans le Néguev. Les Bédouins ne se mobilisent pas massivement pour défendre leurs droits ni ceux des Palestiniens des Territoires occupés, même si ce dernier thème fait aujourd’hui l’unanimité dans la population arabe qui revendique publiquement son appartenance au peuple palestinien29. Les Bédouins insistent aussi sur ce référent identitaire, notamment les jeunes nationalistes et dans l’espace public, quand il s’agit de se distinguer de la population israélienne juive. Des manifestations ont donc été organisées contre le massacre au Liban en 1982 des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila et en soutien à la première et à la seconde Intifada. Des femmes ont participé à ces marches, ce qui confirme un phénomène récent, assez typique des jeunes bédouines éduquées qui revendiquent leur identité palestinienne et leur lutte solidaire avec les Territoires occupés. En effet, la caractéristique commune des jeunes universitaires – garçons et filles – est d’insister sur le référent identitaire palestinien. Ils n’oublient pas leur origine bédouine, bien au contraire, mais l’articule avec une identité plus politisée et nationale. Disons que se dire bédouin c’est rappeler son ancrage territorial et l’attachement à la terre, tandis que l’identité palestinienne a une connotation politique plus englobante, entraînant les Bédouins dans une lutte nationaliste protestataire historique de plus grande envergure.

27Néanmoins le nombre de femmes bédouines mobilisées reste restreint et limité à certaines familles des classes privilégiées. En effet, la mobilisation féminine s’organise dans des familles éduquées et aisées, le plus souvent urbaines avec le soutien des hommes du lignage. Les associations de femmes ont ainsi été exclusivement créées dans les localités planifiées par des ressortissantes de lignages dominants. Cela vaut pour Laqiyya comme pour toutes les autres localités, les femmes viennent systématiquement de familles dominantes. Il a fallu attendre ces dernières années pour voir se développer des activités dans les villages non reconnus, très souvent menées d’ailleurs par les dirigeantes des associations des localités planifiées. Ces associations, enregistrées sous la Loi sur les Associations de 1980, sont à but non lucratif et proposent toutes sortes d’activités et de services à destination des femmes et des enfants : garderies pour enfants, cours d’hébreu et d’arabe, conférences sur des sujets divers comme la santé, l’éducation, les violences conjugales ou encore l’ouverture de comptes en banque et la gestion financière du foyer. Les deux associations dominantes du Néguev se trouvent à Laqiyya. La première, Nisa Laqiyya (les femmes de Laqiyya), produit des broderies bédouines quant à la seconde, jam’iyyat Sidreh (association Sidreh), elle fabrique et vend des tapis. L’artisanat est entièrement produit par les femmes du village, dans le but de les aider à devenir indépendantes financièrement. L’objectif de ces associations est de promouvoir le savoir-faire artisanal bédouin pour défendre un héritage culturel tout en soutenant le développement économique local.

28Néanmoins, certaines militantes de ces associations participent à une organisation féministe appelée Ma’an (Forum) qui a été créée en 2000 à Beersheva et qui a pour but de défendre les droits des Bédouines. La visée est ici nettement engagée et féministe. L’organisation publie un journal et a participé en 2005 à la rédaction d’un rapport sur la condition des femmes palestiniennes d’Israël destiné au comité CEDAW30 des Nations unies. En effet, en parallèle du rapport officiel rédigé par les autorités israéliennes sur la condition des femmes en Israël, une organisation arabe, le Working Group on the Status of Palestinian Women in Israel, rédige depuis 2001 des contre rapports d’information. Pour la première fois cette année, les Bédouines, par l’intermédiaire de Ma’an, ont pu participer à ce rapport et donner une visibilité internationale à la place des femmes dans le Néguev. Ma’an entend par ailleurs rédiger son propre rapport indépendant sur les femmes bédouines et aborder ainsi des questions féminines le plus souvent marginalisées dans le Néguev : santé, emploi, éducation, statut personnel, polygynie et rôle politique des femmes.

29Pour ce faire, l’association est financée par des aides extérieures, des organisations non gouvernementales étrangères et l’Union européenne. Ce recours à la scène internationale, depuis une dizaine d’années, n’est pas propre aux associations bédouines mais à toutes les organisations israéliennes comme palestiniennes. L’implication des bailleurs de fonds internationaux a connu un nouvel essor avec le succès des programmes gender and development, impulsés par les Nations unies et les multiples conférences internationales sur le développement. Ce phénomène a pourtant changé la configuration des associations de femmes arabes, qui se plient aux exigences des instances étrangères, en calquant leurs programmes sur les visées féministes des bailleurs de fonds. En effet, les critères de financement développés sont essentiellement inspirés des théories féministes occidentales, agrémentées des nouveaux critères économiques et politiques de « bonne gouvernance31 ». Dans cette nouvelle quête de démocratie au Proche-Orient, les femmes sont considérées comme les garantes du changement social. Elles deviennent ainsi les cibles privilégiées des financements internationaux tandis qu’elles peaufinent leurs programmes féministes largement dépolitisés. Une des conséquences de ce recours à l’international est la décontextualisation des priorités et des besoins32. En voulant changer les femmes sans changer le contexte même de leurs discriminations, ces mesures extraient toute substance politique, potentiellement nationaliste et subversive. Ceci explique pourquoi il est aujourd’hui reproché à ces associations de ne lutter qu’exclusivement pour les femmes, sans prendre en compte les besoins de la communauté dans son ensemble. L’autre reproche vise les méthodes même de négociation sociale et politique employées par ces associations qui recourent aux aides financières nationales et ont l’oreille des féministes israéliennes. En effet, à force d’insister sur les fondements patriarcaux de la société bédouine et la souffrance des femmes, certains hommes y voient une proximité dangereuse avec l’appareil étatique. C’est pourquoi des actes de sabotage et de dégradation ont pu être menés contre ces associations pour contester autant les activités et l’indépendance des femmes que leur insertion dans le jeu politique israélien. En effet, il serait réducteur de croire que les réticences des hommes à l’égard des associations de femmes ne résident qu’exclusivement dans le système patriarcal. Il existe aussi des raisons sociales et politiques, notamment de frustration, de jalousie et de méfiance pour des initiatives féminines, excluant de fait les hommes, et soutenues par les autorités israéliennes.

30Les Bédouines ne sont donc toujours pas représentées en politique, de même qu’elles sont peu actives dans les partis. Néanmoins, une petite minorité est mobilisée dans le champ associatif qui a gagné en importance et ne se contente plus seulement d’apporter des services localisés. Il prend aujourd’hui une dimension nationale et a le soutien de l’étranger. Quant bien même ces associations n’auraient pas de visée clairement politique, elles n’en représentent pas moins une sphère d’activité pour les jeunes diplômées, de nouveaux lieux de sociabilité pour les femmes et des lieux de contestation sociale. L’arène politique dite conventionnelle n’apparaît donc pas comme une sphère d’investissement utile et respectable aux yeux des Bédouines. Opinion qui est d’ailleurs largement répandue chez les citoyens arabes d’Israël qui n’ont ni confiance ni espoir dans leurs représentants politiques. Les déçus et les marginalisés de ce système choisissent donc le plus souvent de ne pas s’engager. Les quelques Bédouines qui s’engagent dans des associations sont des jeunes éduquées et urbaines (féministes ou non), très critiques concernant le système politique dans le Néguev et qui décident donc de se mobiliser sur d’autres registres sociaux et économiques à destination des femmes, indépendamment des logiques politiques partisanes.

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Notes

1 En plus d’une citoyenneté israélienne, Israël reconnaît principalement trois nationalités (leom) : Juive, Arabe et Druze.
2 L. Jakubowska, « Resisting Ethnicity : The Israeli State and Bedouin Identity », in C. Norstrom & J. Martin (eds), The Paths to Domination, Resistance and Terror, University of California Press, 1992. A. Meir, As Nomadism Ends, Boulder 1997. C. Parizot, Le Mois de la Bienvenue, thèse de doctorat inédite, Paris, EHESS 2001.
3 G. Lewando Hundt, Women’s Power and Settlement : the Effect of Settlement on the Position of Negev Bedouin Women, MA Thesis, University of Edinburgh 1978. S. Dinero, « Female Role Change and Male response in the Post-Nomadic Urban Environment : The case of the Israeli Negev Bedouin », Journal of Comparative Family Studies, 28 (3), 1997, pp. 248-261.
4 E. Marx, The Bedouin of the Negev, Manchester University Press, 1967. Chap. 3 : Composition of a Tribe, pp. 61-80 & Chap. 5 : Marriage Patterns, pp. 101-145.
5 C. Parizot, op. cit., note 2, pp. 25-58.
6 G. Falah, « The Spatial Pattern of Bedouin Sedentarization in Israel », Geojournal, 11 (4) 1985, p. 362.
7 On dénombre environ 95 500 Bédouins dans le Néguev en 1947. Ils ne sont plus que 11 000 à la fin de l’année 1948. Falah, op. cit., note 6, p. 363.
8 Sur les 19 tribus officiellement reconnues et figées administrativement par les autorités israéliennes, 11 sont originaires de régions extérieures au sayigh.
9 E. Marx, op. cit. note 4, Chap. 2 : Administrative Environment, pp. 31-58. A. Meir, op. cit., note 2, Chap. 4 : Territorialization, pp. 73-105. C. Parizot, op. cit., note 2, pp. 42-48
10 Jusqu’en 1966, l’ensemble de la population arabe en Israël est placé sous administration militaire. Les règles sont strictes : surveillance des modes d’organisation politique et contrôle des déplacements avec des permis de circulation pour sortir des zones militaires. Voir I. Lustick, Arabs in the Jewish State, Austin, Texas University Press, 1980.
11 A. Meir, op. cit., note 2, Chap. 4 : Territorialization, pp. 73-105.
12 Tel as-Saba, Rahat, A’ra’ra, Kseife, Sgib as-Salam, Hura puis Laqiyya.
13 L’expropriation des Bédouins s’est faite sous l’effet de plusieurs lois dont la loi sur les Biens des Absents de 1950 et la loi sur l’Acquisition des Terres de 1953.
14 L. Abu Lughod, Veiled Sentiments, Honor and Poetry in a Bedouin Society, Berkeley, University of California, 1988 ; « The Romance of Resistance : Tracing Transformations of Power through Bedouin Women », American Ethnologist, vol. 17, n° 1, February 1990, pp. 41-55. C. Nelson, The Desert and the Sown. Nomads in the Greater Society, Berkeley University of California, 1973. G. Lewando Hundt, Women’s Power and Settlement : the Effect of Settlement on the Position of Negev Bedouin Women, MA Thesis, University of Edinburgh, 1978.
15 S. Duchesne & F. Haegel, « La politisation des discussions au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation », Revue Française de Science Politique, vol. 54, n° 6, décembre 2004.
16 Groupes dominants de genre mais aussi ethnico-confessionnels – les citoyens juifs. Il ne s’agit ici que d’un aspect des rapports de domination qui comprennent, en outre, des variables générationnelles, économiques, géographiques, etc. qui prévalent aussi entre Bédouines.
17 Pour plus de détails sur ces notions, voir E. Marx, op. cit. Chap. 7 : Sections and Co-liable Groups, pp. 177-213 ; E. Marx & A. Shmueli, The Changing Bedouin, Transaction Books, 1984 ; ainsi que G. Kressel, Descent through Males. An Anthropological Investigation into Patterns Underlying Social Hierarchy, Kinship and Marriage among Former Bedouin in Ramla-Lod Area (Israel), Mediterranean Language and Culture Monograph ; Serie 8, Harrassowitz, Wiesbaden, 1992.
18 A. Meir, op. cit., note 2, Chap. 8 : The Political Dimension : The Bedouin and the State, pp. 193-220.
19 I. Lustick, op. cit., note 10, Chap. 6 : Cooptation as a Component of Control : The Capture of Arab Elite. B. Neuberger, « The Arab Minority in Israeli Politics 1948-1992 : From Marginality to Influence », Asian and African Studies n° 27, 1993, pp. 149-170
20 Création en 1984 de la Liste progressive pour la paix, issue de la coalition du Mouvement progressiste (dirigé par Mohammed Miari) et du mouvement juif Alternativa (dirigé par Uri Avneri). Peu avant les élections de 1988, création du Parti démocratique arabe dirigé par Abd el-Wahab Darawshe, ancien député travailliste.
21 La Jabha, fondée pour les élections de 1977, est issue d’une coalition de plusieurs organisations autour du noyau central formé par le parti communiste.
22 Al-Tajammu’ al-Watani al-Dimuqrati (Rassemblement patriotique démocratique) a été fondé en 1996 de la fusion du mouvement progressiste et d’une partie de l’organisation radicale Abna al-Balad. Il est aujourd’hui dirigé par son leader charismatique, Azmi Bishara.
23 Le Mouvement islamique, qui s’est scindé en deux branches en 1996, compte une aile nord dite radicale refusant de participer aux élections parlementaires et une aile sud dite modérée jouant le jeu du système politique et comptant des députés à la Knesset.
24 Depuis la création de l’État israélien, 15 citoyennes arabes ont été élues conseillères municipales et une femme, Violet Khouri a présidé un conseil local entre 1972 et 1973 à Kufr Yassif. Deux femmes arabes ont été élues députées : Husnia Jabara du parti sioniste de gauche Meretz (1999-2003) et Nadia Hilou du parti travailliste a été élue aux dernières élections de 2006.
25 C. Parizot, op. cit., note 2, Chap. 6 : Le mois de la Bienvenue : Médiations « traditionnalisées » et culture politique partisane, pp. 322-386.
26 C. Parizot, op. cit., note 2, pp. 262-268.
27 L. Jakubowska, op. cit., note 2, pp. 100-101.
28 Entretien septembre 2004.
29 Ce sujet a fait l’objet de nombreuses études portant sur la « palestinisation » voir la radicalisation des citoyens arabes d’Israël. Voir J. Landau, Arab Minority in Israel 1967-1971 : Political aspects, Oxford, Clarendon Press, 1993 ; Y. Peres, « Modernization and Nationalism in the Identity of the Israeli Arabs », Middle East Journal, vol. 24, n° 4, Autumn, 1970 ; S. Smooha, « The Arab Minority in Israel : Radicalization or politicization ? », Studies in Contemporary Jewry, vol.5, 1989 ; A. Bishara, « L’Arabe en Israël », Revue d’études palestiniennes n° 7, printemps 1996 ; E. Rekhess « Israeli Arabs and the Arabs of the West Bank and Gaza : Political Affinity and National Solidarity », Asian and African Studies, n° 27, 1989 et L. Louër, Les citoyens arabes d’Israël, Paris, Balland, 2003.
30 Convention on the Elimination of all Forms of Discrimination Against Women.
31 Il est régulièrement reproché aux textes internationaux concernant la promotion des femmes de ne pas employer une terminologie féministe, c’est-à-dire engagée et critique, mais plutôt un vocable neutre. Cette critique visant d’ailleurs directement les textes onusiens. Néanmoins, dans le cas des associations non occidentales, on ne peut nier l’influence de valeurs et de critères occidentaux sur l’égalité homme-femme. C’est en ce sens que nous parlons ici de féminisme occidental.
32 Cette analyse a également été faite sur les associations de femmes palestiniennes. Voir R. Giacaman, « International Aid, Women’s Interests, and the Depoliticization of Women », Gender and Society, working paper n° 3, Women’s Studies Program, Birzeit University, September 1995.
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Pour citer cet article

Référence papier

Élisabeth Marteu, « Éléments de réflexion sur le rapport des Bédouines du Néguev au politique »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 16 | 2005, 148-165.

Référence électronique

Élisabeth Marteu, « Éléments de réflexion sur le rapport des Bédouines du Néguev au politique »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 16 | 2005, mis en ligne le 17 septembre 2007, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/61

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Auteur

Élisabeth Marteu

Elisabeth Marteu est doctorante à l’Institut d’Études Politiques de Paris et à l’université Ben Gourion du Négev. Elle a été boursière du Centre de recherche français de Jérusalem en 2004-2005.
emarteu@hotmail.com

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