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Les pinqassim de Carpentras au regard du Saint-Siège

I. Le Séfer ha-yahas (1736-1769) d’Élie Crémieux
Simone Mrejen-O’Hana
p. 45-75

Résumé

The Pinqassim of Carpentras under the Supervision of the Holy See. I. The Séfer ha-yahas (1736-1769) kept by Élie Crémieux. – This article retraces the singular route taken by two pinqassim of Carpentras, the Séfer ha-yahas [The Book of genealogy] and the Hazkarat ha-nefashot [The Memorial of the Souls], 18th century Hebrew manuscripts which serve, amongst other things as old parish registers and portions of which can be found both in The Central Archives for the History of the Jewish People (CAHJP) in Jerusalem and The YIVO Institute for Jewish Research in New York (YIVO).
The article describes the context in which these registers were written, while providing information about its scribe who kept them, Élie Crémieux. It then attempts to describe the initial structure of the Séfer ha-yahas, suggesting a typology of the diverse entries that it contains.
These are, for the most part, entries recording births, circumcisions and marriages of the Carpentras Jews. At regular intervals amongst these entries, one finds a record of important events, such as those linked to the synagogue and religion or to the election of administrators and the passage of emissaries through the Holy Land.
These original old Hebrew texts demonstrate the persistence, liveliness and special character of the Hebrew of the period and, at the same time, serve as link between the medieval and the modern, contemporary languages. The study of these texts opens up new perspectives and tells us more about a meridional community at a key moment in its history.

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Texte intégral

I. Contexte historique

1Ancêtres et modèles de nos modernes registres d’état civil, les pinqassim ou registres communautaires hébraïques sont des documents rares et inédits dont on ne trouve pas trace avant le xviiie siècle. En effet l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539 signée par François Ier stipule bien l’obligation de tenir des registres de baptêmes mais, comme celles qui suivirent en 1579, 1667 et 1736, elles ne concernent pas les juifs. Ceux du Comtat Venaissin et d’Avignon1, jouissant de la protection du Pape ont quant à eux tenu des registres de circoncision et des rôles de décès conformément à une ordonnance du vicaire et official d’Avignon du 6 novembre 1620 : les actes rédigés en hébreu étaient semblerait-il assez mal tenus et ne s’appliquaient qu’aux mâles2. De toute façon, nous n’en avons pas trouvé trace.

2Il est vraisemblable cependant que chaque mohel [péritomiste]3 consignait dans son carnet personnel les actes pratiqués ; ainsi en atteste le rabbin scribe Élie Crémieux dans sa réponse à une demande de date exacte de naissance (celle du regretté Aron de Monteux, qui serait né entre 1670 et 1680) : « vû qu’on ne tenoit point pour lors de registre public, et que chaque particulier nottoit les circonsis qu’il faisoit dans un caÿer qu’il gardoit4 ». C’est ce qu’il ressort également du manuscrit que nous présentons le Séfer-ha-yahas [le livre de la généalogie] (cf. infra), lorsque, notant les circoncisions d’étrangers de passage dont il lui arrive d’ignorer les patronymes, Élie Crémieux renvoie au pinqas tenu par le péritomiste citant entre autres les carnets d’Élie d’Alpuget5, de Jassuda Crémieux6 ou encore de celui de Samuel Lyon7. Si ceux-là demeurent encore introuvables, nous en avons par ailleurs trouvé deux autres : celui du rabbin Jacob Ispir de Prague dit Ashkénazi et celui du rabbin David de Meyrargues8, tous deux concernent le xviiie siècle.

3Toujours est-il que lorsque le nouvel évêque Malachie d’Inguimbert (1683-1757) réclama aux dirigeants de la communauté juive de Carpentras de lui présenter les registres, aucun d’entre eux ne put satisfaire à sa demande9. C’est ainsi qu’il en ordonna la tenue tel qu’il est relaté dans ce qui est aujourd’hui la page de garde du pinqas (cf. infra).

4Bien qu’ouverts sur les injonctions du Saint-Siège, ces pinqassim ne tombent pas pour autant sous la censure inquisitoriale, ce qui sera le cas pour ceux qui suivront : les registres bilingues de Carpentras10. En effet, en vertu des prescriptions de la Suprême congrégation du Saint-Office formulées par Son Éminence Monseigneur le Cardinal Corsini, il fut ordonné en 1763 que dans chacune des quatre carrières du Comtat Venaissin et d’Avignon soit tenu un livre ou registre des naissances et circoncisions, des mariages et des morts des juifs et juives, par le rabbin des hommes11. Des registres tenus jusqu’en 1792, date de la loi sécularisant dans la nouvelle République l’enregistrement de ce qui devient l’état civil12. Précisons que la teneur du registre bilingue n’est plus la même. Elle donne l’impression d’une extirpation volontaire de toute connotation religieuse. Par exemple, l’eulogie comportant le tétragramme ne figure plus en marge de chaque feuillet, ou encore, la platitude des formules employées dans les actes. Comparativement, nos pinqassim abondent de renseignements divers et multiples de grand intérêt : outre l’identité des membres de la communauté, ils livrent la mémoire, la conscience et le vécu de l’histoire de celle-ci avec sentiments et ressentiments à travers un prisme direct, et ce durant 33 ans. Plus d’un demi-siècle (56 ans) si on leur adjoint les registres bilingues. Et si on les confronte par ailleurs aux nombreuses listes nominatives13 et archives notariées du début du xviiie siècle et celles postérieures aux registres bilingues, nous obtenons là bien plus d’un siècle d’observation d’une des plus anciennes communautés juives méridionales à une phase importante de son existence.

Des sources rares et éparses

5Lorsqu’ils existent, ces manuscrits hébraïques sont difficilement repérables. Ainsi en est-il de ceux de Carpentras qui se trouvaient avant la Seconde Guerre mondiale aux Archives départementales du Vaucluse et qui furent depuis curieusement disloqués et disséminés entre The Central Archives for the History of the Jewish People (CAHJP) à Jérusalem et The Institute for Jewish Research14 (YIVO) à New York. Un cas non isolé qui illustre le sort réservé aux archives juives françaises.

Le Séfer ha-yahas d’Élie Crémieux (Carpentras, 1736-1769),

Le Séfer ha-yahas d’Élie Crémieux (Carpentras, 1736-1769),

CAHJP, F CAR 794a (f° 2r° - Index 1741-1744) © Cliché Simone Mrejen-O’Hana.

6Suivons l’itinéraire étonnant de ces manuscrits. C’est dans le cadre de mes recherches entreprises pour la rédaction de mon doctorat15 que le professeur Gérard Nahon, directeur de thèse, alors directeur de l’équipe de recherche de la Nouvelle Gallia Judaïca (NGJ) me signala l’existence d’un manuscrit hébraïque se trouvant aux CAHJP16. Jusque-là ce manuscrit semblait peu connu si ce n’est du professeur Simon Schwarzfuchs qui s’y réfère très brièvement dans un de ses articles sans en donner de référence hormis qu’ils sont conservés aux CAHJP17. La NGJ commanda à mon attention le microfilm à partir duquel je fis des tirages18. Tandis que je complétais la banque de données informatisée que j’avais créée à partir de différentes sources (registres bilingues, listes nominatives et diverses archives), je m’aperçus qu’il manquait ici et là des feuillets, voire des portions. Je poursuivais mes recherches quand Abraham Malthête, ayant appris que je travaillais sur les manuscrits hébraïques de Carpentras, m’avisa qu’il disposait d’une copie d’un registre hébraïque de cette communauté que le cercle de Généalogie juive (GENAMI) lui avait remis, lui assurant qu’il provenait des CAHJP. Au vu des documents, je compris qu’il s’agissait là de la partie manquante à mon manuscrit. Seule faille, elle ne pouvait provenir des CAHJP puisque j’y ai longuement compulsé et inventorié les archives des communautés que j’étudie, mais du YIVO conformément aux travaux en yiddish que Zosa Szajkowski alias Szajko Frydman19 avait entrepris dans le cadre restreint de cet institut et à la description qu’avait faite Samuel Kerner dans un de ses articles sans qu’il en donne la référence exacte20. Je contactais le YIVO pour en savoir davantage, mais je n’obtins à mon grand regret aucune réponse. Je me consacrais alors pleinement à l’étude de l’hébreu des juifs du Pape et à l’édition critique de manuscrits hébraïques de Carpentras, des travaux menés en partie dans le cadre de trois missions de recherche dans le Centre de recherche des langues juives de l’Université hébraïque de Jérusalem dirigé par le professeur Moshé Bar Asher21. La saisie de l’édition entreprise à partir des tirages du microfilm du Séfer ha-yahas étant bien avancée, il me paraissait indispensable de corroborer ma version avec celle du manuscrit pour vérifier, voire combler certaines parties illisibles ou manquantes. Le Centre de recherche français de Jérusalem (CRFJ) m’offrait une belle opportunité d’entreprendre cette tâche22 et je me rendis donc aux CAHJP à Jérusalem. La directrice des archives, Hadassah Assouline, fut visiblement agacée du fait de la manipulation du manuscrit23, pensant que l’utilisation du microfilm devrait suffire. Je lui montrais l’état des copies en ma possession, certains contours de pages faisaient défaut. Elle chercha le microfilm dont une copie fut adressée à la NGJ mais ne le trouva point. Elle vint le lendemain m’assurant l’avoir trouvé, nous le visionnons ensemble : il s’agissait de celui du manuscrit du YIVO référencé quant à lui HM 106 ! Quoiqu’il en soit, l’essentiel est d’avoir finalement restitué à ces manuscrits hébraïques de Carpentras leur charpente initiale, du moins de ce qui nous est parvenu. Car il faut ajouter que les feuillets du Séfer ha-yahas du YIVO se trouvaient pêle mêle avec ceux du Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa (Osée 2 : 17, La vallée d’Akhor : Porte de l’espérance), un autre pinqas relatant les heurs et malheurs de la communauté que tint également Élie Crémieux et dont il fait largement allusion dans le Séfer ha-yahas (à titre d’exemple : Yivo 58v°, acte 699 ; f° 81r°, acte n° 1030). Ce livre porte également la signature en hébreu de Z. Szajkowski (p. A).

7Une question récurrente demeure néanmoins : comment expliquer le parcours rocambolesque de ces manuscrits français ? Une interrogation qui a taraudé Hugues-Jean de Dianoux qui consacra une partie de ses travaux à ces communautés juives. J’avais certes eu vent d’échos qu’il m’était difficile d’accréditer, faute de preuves. Mais voilà que me trouvant à la Bibliothèque de l’Alliance Israélite universelle, la lecture d’un article de Zosa Szajkowski (1911-1978) allait confirmer les dires. Voici les propos que ce jeune homme de 29 ans relate lors d’une conférence de presse à New York en 1940 :

In the tragic days of 1940, on the eve of the German occupation, the writer was able, by a peculiar combination of circumstances, to salvage much of this material and to bring it for safe keeping to this country, where is has been deposited in the Yiddish Scientific Institute in New York.24

8Et dont voici la version française :

Durant les jours tragiques de 1940, à la veille de l’occupation allemande, une combinaison de circonstances particulières a fait que l’auteur était en mesure de récupérer un grand nombre de matériel, de le transporter afin de le mettre en sécurité dans ce pays et de le déposer à l’Institut Scientifique Yiddish (YIVO) à New York.

9Visiblement, il ne mit point en application ses idéaux puisqu’en 1958 il vendit aux CAHJP une partie des documents censée demeurer au YIVO. Témoin de cette passation, son patronyme est calligraphié en caractères hébraïques sur le premier folio du manuscrit de Jérusalem (cf. supra le cliché en haut à droite). Mais rien ne nous dit pourquoi celle-ci ne fut que fragmentaire, si ce n’est qu’il n’ait craint de déprécier la valeur marchande du manuscrit car le reste des documents du YIVO est très détérioré comparativement aux documents de Jérusalem.

10Ceci dit, il nous faut ajouter que depuis leur entrée aux CAHJP, ces manuscrits étaient perçus comme étant un seul recueil et furent classés sous une seule cote F CAR 794 alors qu’ils constituent deux registres de formats distincts. Depuis juillet 2004 le Séfer ha-yahas [le livre de la généalogie] et le Hazkarat ha-nefashot25 [le livre de la commémoration des âmes] sont respectivement référencés F CAR 794a et FCAR 794b26. Présentons ici le premier d’entre eux :

II. Le Séfer ha-yahas – le pinqas de Jérusalem et de New York

Description du manuscrit

11D’un format de 27 x 18 cm, sans couverture, ce manuscrit est constitué de plusieurs petits cahiers cousus main dont certaines pages sont aujourd’hui volantes. Le manuscrit dans son intégralité comprend 11 folios déposés au YIVO à New York27 et 85 aux ACHJP à Jérusalem plus un folio manquant. N’étant pas paginé, nous avons numéroté les pages et reconstitué le manuscrit constituant au total 97 folios tel qu’il apparaît ci-dessous28 :

12Le papier a jauni. Il est piqué ou tacheté d’auréoles à certains endroits et l’on entrevoit parfois l’écriture en transparence. D’autres parties, notamment les bordures et les coins sont arrondis et partiellement détériorés. Comme je l’ai déjà précisé, celles du YIVO sont très endommagées.

13S’agissant d’un document officiel, la disposition du texte est en pleine page et ne comporte pas de marge29. Les actes y sont généralement précédés d’un tiret à droite marquant la séparation ente eux.

14Le pinqas est entièrement rédigé en hébreu rabbinique, émaillé de quelques fragments araméens et agrémenté de nombreuses réminiscences scripturaires. On y dénote l’interférence du milieu ambiant comme en attestent les gloses et les vocables en français et en provençal transcrits ou translittérés en caractères hébraïques30 dont certains sont dotés d’une vocalisation inhabituelle. Cet effort de transcription de la prononciation réussit cependant à révéler certains aspects de l’idiome judéo provençal31. Finalement, on trouve des phrases en français32. Toujours est-il que ces quelques remarques ne concernent pas la qualité d’ensemble des documents, précieux justement par la subtilité de la langue, qui nous apparaît d’autant plus riche que nous sommes conscients de la répression de la vie intellectuelle et culturelle juive à l’époque.

15L’écriture manuscrite tient quant à elle de la cursive séfarade, dite Rashi. Elle comporte plusieurs abréviations telle l’eulogie comportant le tétragramme :בה"י Be-’ezrat Ha-Shem Yitbarakh [avec l’aide de Dieu, béni soit-Il], inscrite en en-tête de chaque feuillet, lequel comporte également l’année hébraïque insérée entre Séfer et ha-yahas.

16Le pinqas se présente sous forme de journal ou de chronique qui enregistre essentiellement les mariages, naissances et circoncisions des juifs de la carrière de Carpentras, intercalant divers textes dont par exemple des anecdotes relatives à la vie communautaire et religieuse telles entre autres, les élections annuelles des dirigeants, les passages des émissaires de Terre sainte, les attestations de perte de virginité ou encore des invocations à l’occasion du nouvel an hébraïque.

17Étudions plus précisément le manuscrit en suivant la chronologie des deux parties afin de constituer son corpus initial que l’on présente ici sous forme de tableau synoptique selon le calendrier grégorien en lui attribuant une foliotation (cf. infra tableau n° 2).

Le pinqas du YIVO de New York

18Le premier folio sur les onze de ce livre dans ce manuscrit est en fait le premier folio du Séfer ha-yahas dans son ensemble. Il est très détérioré, ce qui rend quelques passages illisibles. Néanmoins nous entrapercevons en guise d’introduction33 :

<Carpentras sise> sur les rives de l’Ouvèze, capitale du <Comtat Venaissin, sous l’autorité de notre Seigneur le Pape, que sa Majesté soit exaltée>, l’heure est à la bénédiction à partir de ce jour du mois de tishri. Aussi, avec joie, vous vous mettrez en marche, reconduits par un cortège pacifique ; devant nous montagnes et collines éclateront en cris d’allégresse, et tous les arbres des champs battront des mains (Isaïe 55 : 12).

L’Eternel dans sa miséricorde exaucera les Écritures : Veuille l’Éternel, Dieu de vos pères, vous rendre mille fois plus nombreux encore et vous bénir comme il vous l’a promis ! (Deutéronome 1 : 11).

19S’en suit en « avant propos » une rétrospective qui relate la naissance du fils de David de Digne le 3 ’ellul 5497 (15 septembre 1736) dont la circoncision tomba le jour de Kippur. Il s’agit pour lui d’un événement nouveau, auquel il n’a jamais été confronté ; il ne lui a pas non plus trouvé d’antécédent, même dans les écrits du défunt rabbin Élie d’Alpuget. Il se propose de consigner le déroulement de la circoncision selon les préceptes décrétés par les Sages de Carpentras, de rappeler le mariage de son frère Isaïe qui se déroula l’année passée et d’écrire ce qui lui semble important jusqu’à la fête de shavu‘ot [Pentecôte] 5498 (25/26 mai 1738)34.

20Il précise ensuite les circonstances qui ont mené à la tenue de ce livre :

Un jour, ils ont accusé un juif devant l’évêque Malachie Inguimbert, que son éminence soit exaltée; il <l’évêque> a ordonné de sortir le Séfer ha-yahas et ils ne l’ont pas trouvé. Et il s’est mis en colère et a ordonné d’écrire les naissances. Les dirigeants de la communauté se sont adressés à moi et m’ont transmis ce livre. Et j’ai copié tout ce qui avait été écrit sur le premier livre mentionné ci-dessus jusqu’au vingt-six tammuz 5498 <14 juillet 1738> depuis la création du monde.

21Ensuite, la rubrique Maftéhot ha-séfer [l’Index] (cf. infra) commence en bas du premier folio et continue au verso de celui-ci ; elle couvre les années 1736-1741 (l’année n’est pas complète).

22Les 10 folios suivants concernent la période du 6 septembre 1751 au 27 janvier 1755. Il s’agit de feuillets disparates complémentaires au pinqas de Jérusalem. Nous y relevons 21 actes de mariages, 58 actes de naissances (dont 3 sont gémellaires), 39 actes de circoncisions et 13 actes divers, soit au total 131 actes (cf. infra : tableau n° 2).

Le pinqas des CAHJP de Jérusalem

23Il est constitué de 85 folios auxquels il faut intégrer le folio manquant, soit initialement 86 folios, représentant la partie la plus importante.

24Les quatre premiers folios, intitulés Maftéhot ha-séfer, complètent le premier folio du manuscrit du YIVO. Ils répertorient par année les mariages, naissances et circoncisions, élections de dirigeants communautaires, intronisations aux nouvelles fonctions de membres de la communauté, bénédictions des autorités locales et autres textes divers qui concernent les années hébraïques de 5501 (1740-1741) à 5528 (1767-1768)35. Le verso du dernier folio ne comporte aucune écriture excepté une soustraction. Ils correspondent aux folios 2 à 5.

25Les 81 folios qui suivent sont en fait répartis en deux blocs : le premier bloc constituant la première partie du Séfer ha-yahas comprend 42 folios (f° 6 à 48) auquel il faut adjoindre le folio manquant (f° 10) et le bloc du YIVO (f° 49-58) ; le second bloc quant à lui est constitué de 39 folios (59 à 97) bouclant le Séfer ha-yahas.

26On comptabilise dans le pinqas de Jérusalem 188 (+1) mariages, 427 circoncisions, 460 (+1) naissances, et 73 actes divers relatifs entre autres à la vie communautaire et religieuse représentant un total de 1148 (+ 2) actes36.

27Dans son intégralité, le Séfer ha-yahas totalise 1279 (+2) actes37, soit en moyenne 13 articles par feuillet représentant 6 à 7 articles par page. On y dénombre 209 (+1) actes de mariages, 518 (+1) actes de naissances dont 493 déclarent la naissance de filles et les 25 restant celle de garçons mort-nés. Parmi ces naissances, des triplés et neuf naissances gémellaires qui apparaissent clairement dans le tableau synoptique : NJ. NJm. NJf. NJmf. NJfm (cf. légende infra). Une naissance y est répertoriée à deux reprises : la première étant erronée, elle apparaît ente crochet [N] et n’a pas été comptabilisée. On y répertorie 466 actes de circoncisions dont l’un concerne des jumeaux (f° 44r° acte n° 506). Enfin 86 actes traitent de divers sujets. Précisons qu’un acte peut comporter plusieurs entrées tel celui intitulé : « Tremblement de terre, mariage de Mossé38 de la Roque et naissance d’un garçon » (f° 63v° acte n° 775) ainsi qu’il apparaît en infra dans le tableau signalétique : D/M/Nm (=Divers, Mariage, Naissance d’un garçon). Celui-ci n’est comptabilisé qu’une fois sous la rubrique Divers. Toutefois, nous en avons tenu compte dans le nombre de mariages et celui de naissances. Il apparaît supra entre parenthèses. Notons également que certaines données telles celles intitulées Leydat hazan [Intronisation d’un chantre] sont soit enregistrées dans une rubrique à part, soit insérées dans d’autres actes. Il en est de même de celles concernant les élections des dirigeants communautaires qui apparaissent sous la rubrique Berurey ha-qahal39, ils stipulent de temps à autre les bénédictions des gouvernants. Ceci signifie que les données sont bien plus importantes qu’il n’y paraît. Une présentation des actes permettra de mieux en apercevoir la teneur.

III. Rédacteur et rédaction des actes

28Intéressons-nous au préalable au scribe généalogiste, ha-kotev veha-meyahes40. Fils de Mossé Crémieux dit Caramoune (1674-1749)41 et de Ribkah Samuel (1682-1746), Élie Crémieux (1707-1773) porte le nom de son grand-père paternel qui fut un temps rabbin à Avignon42 et à qui on doit, entre autres, un commentaire de la liturgie de Rosh ha-shana [Nouvel an] en 1672-167343. Versé dans les textes scripturaires et dédié à sa communauté dont il fut l’un des rabbins44, il avait à charge d’enseigner aux enfants indigents et percevait en 1769 un salaire de 450 livres. Il avait aussi le devoir et le privilège de prêcher dans certaines circonstances entre autres lors des mariages (f° 6r°, acte n° 1) et des circoncisions (f° 31r°, acte n° 334). Les dirigeants communautaires lui confièrent la tenue du Séfer ha-yahas qui, selon ses dires, fut antérieure à celle du Hazkarat ha-nefashot (f° 1) lequel débute en 1738. En retour, ils lui avaient concédé le privilège d’être maftir le dernier jour de Pessah appelé « jour du Cantique des Cantiques »45 (f° 16r°, acte n° 141). Mais Élie Crémieux est par ailleurs connu pour avoir édité le Séder ha-Tamid (Avignon, 1760, 2 vol.), le rituel des prières journalières selon le rite comtadin que l’illustre écrivain et rabbin Mardochée Crémieux (Carpentras 1750-Aix 1825), fils d’Abraham lui avait confié46. Enfin, il a marqué les esprits par l’épreuve tragique qu’il eut à subir, celle du baptême forcé de son fils Sem élevé par l’Église pour en faire un haut dignitaire47 (cf. infra).

29Durant plus de trois décennies de 1736/1738 à 1769, avec fidélité, minutie (et parfois quelques négligences), Élie Crémieux consigna les naissances, circoncisions, mariages comme les faits majeurs se rapportant à la vie communautaire48. Il eut à cœur de préciser systématiquement, ses liens de parenté avec les individus dont il enregistre les données. En effet, dès le 18 février 1736, le tout premier mariage noté par Élie Crémieux est celui de son frère Isaïe avec Franquette, fille de David Abram, résidant à l’Isle (cf. infra). Il ajoute :

אני הכותב אליהו כרמי, אחי החתן. ואני הכותב בן כ″ט שנים שלמות וחודש אחד ביום ההוא שדרשתי. ובו ביום נתחנכתי49 להיות דורש לנשואין, וישעיה החזן הנזכר נתחנך בו ביום להיות חזן לנשואין50.

Et moi, le greffier, suis âgé de vingt-neuf années pleines et un mois en ce jour où j’ai prêché. Et ce jour-là, je me suis élevé au rang de prêcheur pour les mariages. Et Isaïe mentionné ci-dessus <Vidal, cousin d’Élie>, le chantre, a été promu ce jour-ci au rang de chantre pour les mariages.

30C’est la seule fois que le scribe note l’âge d’un individu, qui permet en l’occurrence de déduire que lui-même, le rabbin Élie Crémieux, est né vers 1707.

31Le scribe interpelle auparavant un éventuel lecteur du pinqas, lui fournissant les explications nécessaires à la compréhension des actes:

דע כי כל מקום אשר תמצא נישואין, הוא יום אשר עשה החתן51 השורה52 בבית הכנסת. ובכל מקום אשר תמצא אביו או אחיו או גיסו אם הוא בנישואי53 אז הוא אבי החתן או אחיו או שאר קרוביו של חתן. ואם תמצא במילה אז הוא54 גיסו של בעל ברית או שאר קרובו. ולפעמים55 תמצא בנשואין מפורש אחי הכלה או שאר קרוביה וזה תמצא מוזכר היטב. ובנישואי אלמנות עם אלמון56 הוא הלילה ראשונה57 שנתיחדו58 יחד. [וכן כי תמצא בלידת בת "ויקרא שמה בישראל" בלא שם, הוא סימן שמתה קודם שאמה59 יצאה]60.

Sache qu’à chaque endroit où tu trouveras ‘mariages’, c’est le jour ou l’époux a fait la shura à la synagogue. Et à chaque endroit où sera noté ‘son père ou son frère’ et que cela concerne le mariage, alors il s’agira du père du marié ou de son frère ou encore d’un des proches de l’époux. S’agissant de circoncision, le nom fait référence au beau-frère du mari ou l’un de ses proches. Et parfois tu trouveras les indications correctement notées lors d’un mariage, et de façon explicite ‘frère de la mariée’ ou de ‘l’un de ses proches’. Et s’il s’agit des noces d’un veuf avec une veuve : la date [figurant sur le registre] correspond à la nuit de leur première union. Et aussi lorsque tu trouveras lors d’une naissance ‘et elle fut appelée dans <la nation d’>Israël’ sans que le nom soit indiqué, cela signifie qu’elle est décédée avant que la mère ne sorte (f° 6r°, acte n° 0).

Libellé des actes

32Le Séfer ha-yahas fait la liste chronologique des mariages et des naissances et circoncisions. Chaque acte est précédé d’un en-tête qui spécifie sa nature : Nissu’in pour les mariages ; Mila pour les circoncisions et Leydat bat pour la naissance d’une fille. Dans ces deux cas, lorsqu’il s’agit d’un(e) aîné(e), cela est spécifié.

33Chaque acte comporte le jour, la date et l’année hébraïque, indiqués, selon la tradition juive, depuis la création du monde. Le jour de semaine et le cas échéant le jour de fête y sont précisés, ainsi que la parasha [péricope hebdomadaire] lorsqu’il s’agit de shabbat. Jusqu’en mai 1763, les dates inscrites sur le pinqas sont exclusivement indiquées en hébreu. Dès le 17 juillet 1763, l’écrivain Élie Crémieux y ajoute celles du calendrier grégorien en caractères hébraïques, puis, à partir du 9 août 1763, en caractères latins. Ce changement de pratique coïncide avec le moment où l’Inquisition rendit obligatoire la tenue de registres bilingues (cf. supra).

34Détaillons la description du contenu linguistique de ces actes.

Mariages

35Le premier mariage inscrit en hébreu sur le pinqas date du 18 février 1736 (cf. supra) :

Le samedi de sainteté, péricope Teruma, six du mois de ’adar de l’an 5496 depuis la création du monde, mon frère Isaïe fils de Mossé Crémieux s’est marié en premières noces avec sa femme Franquette, fille de David Abram, résidant dans la ville de l’Isle. Isaïe, fils de mon oncle, Jassé Haïm Samuel, shoshvin61 du fiancé. Mardochée, fils de David Abram mentionné ci-dessus, shoshvin de la fiancée, sa sœur. Le chantre, mon cousin Isaïe Vidal. Le prêcheur moi, l’écrivain Élie Crémieux, frère du fiancé. Et moi, le greffier, suis âgé de vingt-neuf années pleines et un mois en ce jour où j’ai prêché. Et ce jour-là, je me suis élevé au rang de prêcheur pour les mariages. Et Isaïe ci-dessus mentionné, le chantre, a été promu ce jour-ci au rang de chantre pour les mariages (f° 6r°, acte n° 1).

36Le dernier date du

10 décembre 1768, samedi, néoménie du mois de tevet, 30 kislew, péricope miqes, sixième jour de Hanuka [fête dite des Lumières] de l’an 5529 depuis la création du monde, Mardochée de Monteux, fils de Jacob dit Dohabe et de Sarah de Milhaud a convolé en premières noces avec sa femme Miriam de Meyrargues, fille de Haïm dit Tayino et de Gentille de Cavaillon. Le jeune Mossé de Milhaud fils de son beau-frère Michael de Milhaud shoshvin du marié. Mardochée de Carcassonne, son beau-frère, mari de la sœur de sa femme, shoshvin de la mariée. Le chantre, Mossé de la Roque dit Gey’as. Le prêcheur rabbi Isaïe Crémieux, éminent, illustre et excellent prêcheur fils de mon maître et rabbin rabbi Israël Crémieux, prédicateur62 (f° 96v° acte n° 1271).

37La formule hébraïque qui suit illustre les renseignements qui figurent dans les actes de mariage :

ביום... נתחבר האוהל להיות אחד63 מנשואי [שני/שלישי]... בן... עם אשתו... בת... מתושבי..., קרובו הבחור...בן... שושבין מהחתן. הבחור... בן..., שושבין מהכלה, והחזן ר′... בן... והדורש... בן...

Le… un [second/troisième] foyer fut fondé entre … fils de… avec sa femme…, fille de …, originaire de …, son cousin, le jeune homme…, fils de…, shoshvin de l’époux. Le jeune…, fils de…, shoshvin de la mariée. Et le chantre, rabbi…, fils de …. Et le prédicateur…, fils de…

38Les pointillés indiquent les prénoms du marié, ceux de son père avec, s’il est décédé, l’abréviation נ"ע, soit noho ‘eden ou nishmato ‘eden : que son âme repose au paradis – que nous traduisons par « fu » ou « feu », comme dans le registre bilingue – et le nom de famille. Lorsqu’il s’agit d’un remariage, le rang est spécifié : sheni [deuxième] ou shelishi [troisième] ; en général lorsqu’un veuf épouse une jeune fille, ou plus précisément une femme pour qui il s’agit d’un premier mariage, le scribe note clairement « vierge ». Lorsque l’un des époux n’est pas originaire de Carpentras קארפינטראץ, sa ville d’origine y est précisée : Avignon64 אביגנון, Cavaillon קאווליון, l’Isle לישלוה, Nice נישא, Prague פראגוה…

Naissances et circoncisions

39Les actes concernant les naissances des filles sont très succincts. Ils précisent outre le jour, la date et l’année, le nom et prénom du père et celui de sa fille. Lorsque celle-ci est le premier enfant qui naît dans le couple, il est ajouté « aînée ».

40Le premier acte de naissance enregistré remonte au 16 septembre 1736 :

Dimanche 11 du mois de tishri de l’an 5496 depuis la création du monde, est née une fille à Jassuda, fille de David de Lattes. Elle fut appelée dans <la nation d’>Israël Rébecca (f° 6r°, acte n° 5).

41Le dernier date du 16 janvier 1769 :

Le lundi 19 shevat 5529 depuis la création du monde, est née une fille à l’érudit Mossé de Roquemartine que lui a donnée sa femme Rébecca de Monteux. Elle fut appelée dans <la nation d’>Israël Anna (f° 97r°, acte n° 1278).

לידת בת [בכורה] ב... לבריאת העולם
נולדה בת ל... בן [נ″ע] [בכורה] ויקרא שמה בישראל...

Naissance d’une fille [aînée]
le… depuis la création du monde, est née une fille à… fils… [feu] [aînée] et elle fut appelée dans <la nation d’>Israël…

42Quant aux garçons, ce ne sont pas leurs dates de naissances qui sont indiquées mais celles de leurs circoncisions à moins que le nouveau-né ne soit décédé, l’acte est alors intitulé leydat ben [naissance d’un garçon]. Quelques actes attestent de naissances gémellaires ou multiples sous l’intitulé Leydat te’umim. Enfin, certaines circoncisions concernent des enfants issus d’autres communautés, essentiellement ashkénazes.

43Les circoncisions sont généralement faites le huitième jour qui suit la naissance à condition que l’enfant ne présente aucune maladie et que son état de santé le permette. La circoncision donne lieu à une cérémonie à laquelle assisteront les proches venus le cas échéant des communautés avoisinantes. Les parrains et marraines du nouveau-né sont choisis dans le cercle familial. Ces précisions, en général fournies dans les actes, permettent de compléter et d’étudier les liens qui se tissent entre les familles.

44La première circoncision date du mercredi 12 septembre 1736 :

Le mercredi 7 tishri 5496 depuis la création du monde [fut] circoncis au huitième <jour> le fils de David Haïm Mossé auprès de Jassuda Crémieux, fils de feu Jacob, péritomiste. Le parrain, son gendre, le jeune Jassé de Lisbonne, fils de son beau-frère, feu Samuel de Lisbonne, mari de sa sœur. La marraine, sa fille Douce, fiancée au parrain ci-dessus nommé. Il fut appelé dans <la nation d’>Israël Isaac-Samuel (f° 6r°, acte n° 2).

45La dernière, du 31 décembre 1768 :

Le samedi de sainteté 21 de tevet 5529 depuis la création du monde, péricope Exode, <a été> circoncis au huitième <jour> l’enfant d’Isaac de Digne que lui a donné sa femme Bengude de Lisbonne, par les mains de Jassé Vidal, médecin et péritomiste. Mardochée de Lisbonne, son beau-frère, frère de sa femme, parrain. La marraine, Nehuma, fille d’Aaron de Carcassonne, femme de David de Meyrargues65 dit Ţow’ozey [טֳואֳזֵי]. Il fut nommé dans <la nation d’>Israël Mossé. Le chantre David de Digne. Mon cher fils Mossé <Crémieux>, que le Seigneur le protège, a prêché (f° 97r°, acte n° 1276).

מילה [בן בכור מאב ומאם]
ב...  לבריאת העולם, נימול בן [בכור מאביו ומאמו] לשמונה ל... מכונה... בן... על ידי...- מוהל, הסנדק... והסנדקת66... בת... ויקרא שמו בישראל...

Circoncision [d’un fils, aîné de son père et de sa mère].
Le… depuis la création du monde, circoncision d’un enfant âgé de huit [jours] à… surnommé… fils de… auprès de… et le parrain…, fils de …, et la marraine…, fille de…, et il fut appelé dans <la nation d’>Israël…

46Ces formules sophistiquées et très riches ne font cependant aucune place à des renseignements concernant la lignée maternelle. On naît le fils ou la fille d’un tel. Dans la plupart des cas, l’identité de la mère est absente, conformément à la Bible (Les Nombres 1 : 2) : le-mishpehotam le-veyt ’avotam : « Faites le relevé de toute la communauté des enfants d’Israël, selon leurs familles et leurs maisons paternelles, au moyen d’un recensement nominal de tous les mâles, comptés par tête ». On notera néanmoins que vers la fin du pinqas cette tendance se modifie, le scribe commence en effet à noter l’identité de la mère.

Actes relatifs à la vie communautaire et religieuse

47Nous avons relevé de façon synoptique tous les actes figurant dans le pinqas qui ne concernent pas les naissances, circoncisions et mariages. À titre indicatif, nous recensons dans le pinqas pas moins de 83 actes relatifs à la vie communautaire et religieuse, et actes divers. Comme nous l’avons précisé, un acte peut comporter diverses autres données. Quelquefois une donnée constitue un acte à part, dans d’autres cas, le scribe l’insère dans le corps d’un autre acte.

48Notons d’abord l’enregistrement des élections. Chaque année de 1738 à 1768, pendant les demi-fêtes de Sukot [fête des Cabanes] avait lieu le tirage au sort des administrateurs de la communauté. Donnons un exemple d’acte tiré du manuscrit de New York, l’élection de dirigeants communautaires :

Le lundi 17 tishri 5513 <25 septembre 1752> depuis la création du monde, premier jour de demi-fête des Cabanes, comme à l’accoutumée, le <tirage au> sort a désigné les bailons du qahal – mais on a fait de nouvelles élections des bailons de la première main – que voici : Hananael Crémieux, fils de Saoul que son âme repose au paradis – première main et son assistant : Mossé de la Roque dit As, fils de feu Jacob appartenant aussi à la première main ; Isaac Lyon dit Cabri, fils de feu Abraham – deuxième main ; l’érudit mon maître et rabbin Jacob Lunel, fils du rabbi Élie que son âme repose au paradis – troisième main.67 (f° 52v°, acte n° 617).

49À partir de cette date, deux membres seront choisis dans la première main.

50Notons ensuite parmi les actes relatifs à la vie tant communautaire que religieuse, les catégories suivantes :

    Investiture des diverses autorités religieuses, qui héritent le plus souvent de privilèges ancestraux68. Notons par exemple : l’intronisation du chantre Mossé de la Roque (f° 18r°, acte n° 164), celle du chantre Isaac de Roquemartine en 1748 (f° 39r°, acte n° 439)  ou encore celle en 1756 du rabbin Isaïe Crémieux en tant que prêcheur à la place de son défunt père (f° 62v°, acte 757) ; le 3 octobre 1767, jour de Kippur, tombé cette année là le shabbat, Zeboulon Crémieux fut intronisé chantre à la place de son regretté oncle et beau-père Salomon Crémieux, (f° 93v°, acte n° 1217) ; le 30 janvier 1768, Samuel de Baze fut nommé bedeau de la synagogue à la place de son défunt père Daniel de Baze (f° 94v°, acte n° 1239a).

    Réjouissances et bénédictions des autorités, dont beaucoup sont l’occasion de compositions en hébreu. Notons par exemple celles du 21 shevat 5517 (11 février 1757) pour la guérison du pape Prospero Lambertini (1675-1758)  (Benoît XIV) et celles pour la guérison du roi Louis XV (f° 65r°, acte n° 793) ; la venue des autorités avignonnaises à la synagogue de Carpentras le 17 mars 1764 (f° 85r°, acte n° 1083) ; les bénédictions de Clément XIII69 le 19 octobre 1758 (f° 70r°, acte n° 858) et une prière adressée au grand roi Louis XV le Bien Aimé : אַיְימֵיאֵי בִיאַן כֵנְזִיאִי לֳואִיאִי (1710-1774) le 4 octobre 1768 (f° 96v°, acte n° 1265).

    Les attestations concernant des fillettes dites « mukot ‘es70 » qui auraient perdu leur virginité de manière « accidentelle ». On en recense onze au total : huit dans le pinqas de Jérusalem et trois dans celui de New York (cf. f° 42v°, acte n° 485 ; f° 44v°, acte n° 518).

    Les actes de halisa71. Au nombre de trois dont celle du 9 octobre 1747 qui relate qu’en présence de trois juges : les rabbins Abraham de Roquemartine, Isaïe Crémieux et l’éminent Jassuda David Crémieux, Mossé Crémieux (le père d’Élie Crémieux : rabbin-scribe) libéra sa belle-sœur Gentille, fille de Jacob Naquet, veuve de Malaqui Crémieux son frère (f° 37v°, acte n° 420). On trouve par ailleurs des cas de lévirat (f° 64v°, acte n° 785).

    Actes relatifs à la synagogue, à son embellissement, entretien ou reconstruction72 : nous trouvons enregistrés un rapport sur la construction de la nouvelle synagogue le jeudi 16 novembre 1741 (f° 19v°, acte n° 185), et la mise en vente des places autour du tabernacle le 4 février 1754 (f° 56r° acte n° 668). Mais également : Inauguration de la Yeshiva le 15 janvier 1750 (f° 76r°, acte n° 941) ou encore construction d’une terrasse pour la bénédiction de la lune (f° 77v°, acte n° 972) ; cette même année, Mossé de Monteux, dit Mouette, a hypothéqué la moitié de sa maison pour construire les escaliers du côté occidental de la synagogue (f° 45r°, acte n° 525) ; le pinqas de New York mentionne le 21 mars 1754 l’inauguration de la chaise du prophète Élie offerte par le frère du scribe, Isaïe Crémieux (YIVO, f° 57r°, acte n° 681). Nous trouvons aussi la donation d’un lustre de l’érudit Mossé de Roquemartine, fils de Samuel, lors du nouvel an hébraïque en 5516 – 6 septembre 1755, (f° 61r°, acte n° 737), et l’achat d’une pièce le 15 novembre 1757, laquelle fut donnée à Mossé Crémieux, fils de feu Ruben. Ceci fut consigné par Élie Crémieux pour, dit-il, « que les générations à venir se souviennent » (f° 70r°, acte n° 859).

    Actes se rapportant à la vie religieuse : le 23 mai 1749, à l’initiative du rabbin Israël Crémieux, s’est répandue la coutume de se couvrir la tête avec le tallit [châle de prière] à l’heure de la prière (f° 42r°, acte n° 483). Trois jeûnes furent décrétés les 7, 10 et 14 février 1752 par le rabbin Abraham de Roquemartine suite aux perquisitions faites chez les particuliers pour leur confisquer les ouvrages susceptibles de contenir des attaques contre la religion catholique73 (YIVO, f° 50v°, acte n° 593). Trois autres jeûnes furent institués les 3, 6 et 10 janvier 1763, suite au baptême forcé de Sem, fils du rabbin-scribe Élie Crémieux, enlevé à ses parents pour servir l’Église (f° 81r°, acte n° 1030).

    La venue d’émissaires de Terre sainte : entre 1739 et 1768, nous relevons onze passages d’émissaires venus des quatre communautés de Terre sainte, Hébron, Jérusalem, Tibériade et Safed. Ce sont les émissaires de Hébron qui ont été le plus en contact avec la communauté de Carpentras puisque nous relevons six séjours. Parmi eux, le célèbre Rabbin Abraham Guedalia74 (f° 12v°, acte n° 97 ; f° 13r°, acte n° 104 ; f° 14v°, acte n° 124 ; f° 34r°, acte n° 372). On notera que Abraham Ya‘ari75 n’indique pas dans son excellent ouvrage le passage de certains de nos émissaires comme le Gaon Rabbi Yom Tov Saban, une éminence de Safed qui se rendit à deux reprises à Carpentras (f° 27r°, acte n° 280 et YIVO f° 53v, acte n° 634).

51Quant aux « actes divers » figurant dans le pinqas, nous trouvons essentiellement d’abord des faits divers d’ordre assez général, et d’autres dont la présence ne se justifie que parce qu’ils ont touché le scribe d’assez près :

  • Annonce du décès du rabbin Jacob de Viddish noyé le 21 janvier 1752 dans la Garonne près de Bordeaux (YIVO f° 50r°, acte n° 592).

  • Deux tremblements de terre dont celui du 28 août 1756 (f° 63v°, acte n° 775).

    Le 4 février 1757, ’erussin76 de Joie, fille d’Élie Crémieux (f° 64v°, acte n° 792).

  • Le scribe nous apprend que Rabbi Abraham de Roquemartine lui ordonna de consigner le tonnerre qui eut lieu le 27 février 1759 (f° 71r°, acte n° 872).

  • Le 4 février 1760, Reuben Crémieux (1739-1788), fils d’Élie, fut circoncis une seconde fois à l’âge de vingt et un ans. La signature d’Élie Crémieux est apposée en bas de l’acte (f° 74r°, acte n° 912).

    Rappel le 7 octobre 1763 du rapt du fils du rabbin scribe Élie Crémieux, Sem, baptisé par Haïm de Cavaillon. Il relate comment le jeudi 2 kislew 552317 novembre 1762, on vint chez lui enlever avec force son enfant des mains de sa femme Esther pour l’élever dans la chrétienté (f° 82v°, acte n° 1053)77.

    Le 10 mars 1764, le scribe note l’expulsion des enfants de Haïm de Cavaillon (f° 85r°, acte n° 1082)78.

Textes de gestion du pinqas : la « conscience » du texte

52Tout un ensemble d’annotations, de remarques et même d’actes ont pour fonction de gérer tant la lecture que l’écriture du pinqas lui-même. Nous avons déjà souligné la propension du scribe à signaler sa présence, soit par le rappel de ses liens de parenté, le cas échéant, avec les personnes pour lesquelles il enregistre un événement, soit par son choix de faits divers à rapporter, choix qui va parfois jusqu’à ce qui est presque la notation de ses sentiments – mais le fait, s’il est intéressant parce qu’il rapproche le pinqas de ce que nous entendons par journal, est rare. Ainsi, le jeudi 2 mai 1737, il nous informe que son neveu Aharon âgé de deux ans, deux mois et douze jours, a été sevré par sa mère (f° 7v°, acte n° 27). Ailleurs, il relate les jeûnes institués pour son jeune fils Sem baptisé et élevé dans la religion chrétienne au service de l’Église (cf. supra).

53Mais il est aussi présent lorsqu’il parle de la gestion du registre, lui donnant un tour que nous appellerions autoréférentiel. Nous avons vu que dans le tout premier folio, Élie Crémieux s’explique sur la tenue des actes (cf. supra) (f° 6r°, acte n° 0), fournissant en quelque sorte une grille de lecture du pinqas. Nous trouvons aussi des oublis rattrapés par des actes subséquents sous la signature d’Élie Crémieux (88v°, 90v°, f° 91).

54Finalement, ce sont les signatures qui marquent clairement la responsabilité pour le registre. La recension de quelques-unes d’entre elles : David de Meyrargues, Mossé de la Roque (f° 24r°, acte n° 246) ; David de Digne et Bessallel de Milhaud (f° 19v°, acte n° 182), Israël Crémieux (YIVO, f° 54v° acte n° 646 et f° 55r°, acte n° 653), Élie Crémieux (YIVO f° 54v° acte n° 646, CAHJP f° 67v°, acte n° 832). Certains signataires sont des sommités rabbiniques ou des témoins79 qui accréditent par leur signature l’accident qui aurait occasionné la perte de virginité (mukat ‘es). Tel est le cas notamment des rabbins Israël Crémieux (f° 54v°, cf. supra) et Mossé de Roquemartine (f° 65v°, acte n° 801) – Nous ne trouvons pas, par exemple, la signature des mariés au bas de leur acte de mariage.

55Parmi les témoins, notons ceux d’Élie Crémieux qui authentifient les actes relatifs à sa famille. Ainsi lors de son mariage célébré le 16 septembre 1741 (f° 19v°, acte n° 182) :

Et, parce qu’on ne peut témoigner pour soi-même, nous, soussignés, témoignons comment au jour précité, conformément à ce qui est écrit dans le corps de ce contrat, le rabbin Élie Crémieux – généalogiste de ce lieu, a épousé en premières noces en ce jour rappelé dans l’acte, 6 tishri 5502 depuis la création, et que tout est valable et en règle et avons signé ici à Carpentras, aujourd’hui le 5 heshwan.
Le jeune Bessallel de Milhaud, témoin ; le jeune David de Meyrargues, témoin ; le jeune David de Digne, témoin.

56Ces manuscrits initialement conçus comme un listing, somme toute anodin, s’avèrent être une source directe de grande envergure, inestimable pour appréhender toute étude monographique, telle la reconstitution d’une communauté et des familles qui la composent. Le Séfer ha-yahas par la diversité, la teneur et l’importance des données qu’il contient offre les outils nécessaires à une approche pluridisciplinaire tant dans le domaine de l’historiographie que de la microhistoire. Les aspects sociodémographiques et anthropologiques ont déjà fait l’objet d’une étude dans notre thèse80. Il reste à livrer l’édition du manuscrit hébraïque accompagnée d’un apparat critique s’attachant à décrire les faits et traditions linguistiques de cette communauté qui paraîtra sous peu. Nous avons, dans le présent article, donné un bref aperçu des caractéristiques linguistiques. Ailleurs, nous en avons livré certains extraits. Nous pensons qu’il y a là et dans d’autres sources hébraïques un large champ linguistique doté d’enseignements qu’il convient de continuer d’explorer.

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Document annexe

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Notes

1 Le Comtat Venaissin et Avignon furent respectivement acquis au xiiie siècle et au xive siècle par le Saint-Siège. Les juifs y furent maintenus et protégés par les souverains Pontifes alors qu’ils furent expulsés du Royaume de France en 1394. Ils furent néanmoins assujettis à une législation rigoureuse comme celle qui, au xviie siècle, les contraignit à restreindre leur habitat aux quatre carrières (Carpentras, Cavaillon, l’Isle et Avignon), des communautés qui perdurèrent jusqu’à la fin de l’ancien Régime. Concernant l’histoire de ces communautés, voir René Moulinas, Les Juifs du Pape en France. Les communautés d’Avignon et du Comtat Venaissin aux 17e et 18e siècles, Toulouse, Privat et Paris, Les Belles Lettres, 1981.
2 C’est ce qu’il ressort des observations apportées par Jacques Levron dans son article « Les registres paroissiaux et d’état civil en France », Archivum, Revue internationale des archives 9, 1959, pp. 55-83 et plus particulièrement le chapitre X consacré aux registres israélites, pp. 77-78. Voir Archives Nationales, Guide des recherches sur l’histoire des familles, Paris, Archives Nationales, 1988, « les registres israélites », p. 34. Voir également J. de Font-Réaulx, Archives départementales de Vaucluse, Les registres antérieurs à 1792, Avignon, 1958, pp. 11-13.
3 Celui qui circoncit.
4 Bibliothèque Alliance Israélite Universelle [AIU), Collection Halphen, R 43, 117.
5 Séfer ha-yahas, f° 1r°. Le concernant, voir notre article : « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’ du Comtat Venaissin et d’Avignon : lexique et grammaire », Revue des études juives (sous presse).
6 « Le 18 juillet 1758, a été circoncis un orphelin âgé de vingt-cinq jours dont la mère de passage ici atteste que son mari est décédé » Élie Crémieux écrit ensuite en hébreu « J’ignore le nom de la mère… Et moi le scribe je n’ai demandé ni sa ville, ni son nom de façon inhabituelle. Mais je savais que le péritomiste qui a pratiqué la circoncision a consigné dans son carnet formellement le nom de famille et celui de sa ville » (f° 69r°, acte n° 848).
7 Le 14 juin 1764, Élie Crémieux consigne le déroulement d’une circoncision sans préciser l’identité ni du père ni celle de l’enfant ; il y note cependant l’origine de celui-ci : d’Allemagne et renvoie pour plus d’informations au carnet d’Isaac Samuel Lyon – le péritomiste (f° 86r°, acte n° 1096).
8 Voir à leurs sujets notre publication, « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’…», (cit. supra note 5).
9 Il avait pris ses nouvelles fonctions en 1735. À quelle date exigea-t-il la tenue des registres ? La date n’est pas précisée mais ce pourrait être 1738 (cf. infra).
10 GG 47 – Archives communales de Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine. Ces registres ont été exploités et publiés dans les Annexes de notre thèse (cit. infra note 15), vol. II, pp.1-205 ; 1- 12.
11 Il existait aussi un « rabbin des femmes » ainsi que nous l’avons présenté lors de notre communication au Fourteenth World Congress of Jewish Studies [en héb.] « Les noms des diverses fonctions dans la communauté juive de Carpentras : analyse linguistique et thématique ».
12 Archives communales de Carpentras déposées à la Bibliothèque municipale, Bibliothèque Inguimbertine, GG 47. Un microfilm de ce registre est conservé à la Bibliothèque de l’Unité propre de recherche du CNRS Nouvelle Gallia Judaïca (Inv. n° 63 241) ainsi qu’à Jérusalem aux CAHJP (F CAR 792).
13 À titre d’exemple, les états nominatifs et recensements des juifs de Carpentras de 1790 à 1861 comprenant entre autres ceux des CAHJP figurent dans notre thèse, vol. 2 – Annexes, pp. 1-21 (cit. infra n. 15).
14 Anciennement Yiddisher Visnshaftlekher.
15 La famille juive au 18e siècle d’après les registres ‘paroissiaux’ de Carpentras et du Comtat Venaissin : approches sociodémographiques, École Pratique des Hautes Études–Sorbonne, Section des sciences religieuses, 1998, 2 vol. Cette étude bénéficia alors du concours de la Fondation du judaïsme français et de celle du CASIP-COJASOR, qu’elles en soient remerciées. Voir notre résumé in Annuaire École Pratique des Hautes Études – Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux, t. 106, 1997-98, pp. 629-634.
16 Un grand merci à la direction des CAHJP pour nous avoir permis d’éditer les manuscrits, à son équipe, avec une attention particulière à Fabienne Sadan. Nous disons le manuscrit car il était perçu comme étant une seule compilation (cf. infra).
17 « Échos hébraïques du Comtat et de ses carrières », Armand Lunel et les Juifs du Midi. Actes du colloque international du centre régional d’histoire des mentalités, 14-16 juin 1982 (dir. Carol Iancu), Montpellier, 1986, p. 213 note 11. Il consacre moins de trois pages aux deux registres : le « Rappel du souvenir des âmes », et « Le livre de l’ascendance » qu’il fait débuter en 1738 (pp. 209-212).
18 NGJ, Inv. n° 572.
19 Entre autres : « Karpentraser pinkusim fun 18th yorhundert », New York, YIVO-Bleter 21, 1943, pp. 351-355.
20 « Les registres communautaires de Carpentras au 18e siècle », Archives Juives 3, 1982, voir particulièrement les pages 44-45. Il y désigne ce manuscrit comme étant le registre B contenant 61 pages d’un format 27,5 x 19 cm dont le « Sefer ha-yahas », le « Hazkarat ha-nefashot » et « Emeq Akor le-petah tikvah » (YIVO, à New York) qu’il décrit. Il n’en présente en fait que 54 ! Nous avons précisé que ces registres étaient de formats différents !
21 Je lui adresse ma plus profonde reconnaissance pour m’avoir accueillie dans son équipe de recherche et avoir aiguillé mes travaux.
22 Il m’est agréable d’exprimer ma reconnaissance au CRFJ et de remercier son directeur d’alors, Dominique Bourel pour l’octroi en juillet 2004 de la bourse « mois-chercheur ».
23 Il me faut préciser que l’affaire du conservateur du fonds des manuscrits hébraïques de la BNF défrayait les chroniques.
24 AIU – Paris U357, « The Decline and fall of Provence Jewry », (Conference on Jewish Relations, New York, 1944), in Jewish Social Studies, vol. VI n° 1, 1944, p. 31.
25 Nous présenterons prochainement une étude détaillée de ce livre.
26 Cette rectification fut apportée pendant mon séjour aux CAHJP, après que j’eusse signalé à Hadassah Assouline, qu’il s’agissait là de deux registres et qu’il conviendrait de leur attribuer une cote distincte.
27 Il convient de préciser que le microfilm du YIVO présente 23 clichés du Séfer ha-yahas. L’un d’entre eux, le f° 49v° est microfilmé à deux reprises.
28 Il est probable que le nombre de folios soit supérieur à celui-ci conformément à ce qui est stipulé dans les actes 373 (f° 34r°) et 593 (YIVO, f° 50v°) : le scribe renvoie le lecteur aux derniers folios de ce livre pour plus d’informations au sujet notamment des heurs et malheurs qu’ils endurèrent durant la construction de la synagogue et de l’incident qui fut à l’origine des trois jeûnes décrétés le 7, 10 et 25 février 1752. Le Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa constituerait-il cette dernière partie du Séfer ha-yahas ?
29 Soucieux de n’y laisser aucun espace ni en fin de ligne, ni en fin de page, le scribe rature les bouts de ligne ou fins de page (folios 14r°, 49, YIVO 56 et d’autres). Il se trouve contraint parfois, faute de place, de réécrire le dernier mot de la ligne à la ligne suivante sans toujours le raturer ou d’y tracer un/des trait(s).
30 A titre d’exemple : פורטו"ר [porteur] (f° 13r° acte n° 104) ;מֶי מִשִיאֳון [ma mission] (f° 72r°, acte n° 882).
31 כַדִירֳו [kadyro : chaise] (f° 69v°, acte n° 853) ou כַאַדִיְרֳאוה (f° 70v°, acte n° 863).
32 L’annotation « bien spidé » mise à gauche d’une répétition de [circoncision 21 du mois de novembre 1764 d’après le comput] (f° 87r° acte n° 1111) ; « Les mandiss espliquée les adition die Cremieu escrivem » (f° 88v°, acte n° 1130).
33 Les ajouts sont entre chevrons (ici il s’agit de mots illisibles). Toutefois nous ne les avons pas mis dans les citations bibliques pour ne pas charger le texte. La traduction proposée est empruntée à La Bible traduite du texte original par le rabbinat français, dir. Zadoc Kahn, Paris, éditions Colbo, rééd. 1989.
34 Il semblerait qu’Élie Crémieux prit la relève d’Élie d’Alpuget (c’est à ce registre qu’il se réfère plus loin). Si tel fut le cas, pourquoi les administrateurs n’ont-ils pas présenté ce registre au nouvel évêque ? Était-il partiel comme ils le laissent sous-entendre puisqu’il ne comprenait que des circoncisions ou craignaient-ils que celui-ci y trouve des passages compromettants ? Toujours est-il que les propos d’Élie Crémieux sont quelque peu confus et imprécis quant aux dates indiquées (cf. infra). On ignore par exemple quand le nouvel évêque exigea le livre. Serait-ce en 1737 conformément à cette note du 12 avril 1768 nous informant « qu’Élie Crémieu tient le registre des décès, circoncisions et mariages depuis 1737 environ, que Jassé de Meyrargues, dit Pinton, en transmet depuis quatre ans copie en français au père inquisiteur, donnant les noms des circonciseurs en exercice ainsi que les noms de ceux qui sont décédés avec l’indication de leurs héritiers détenteur de leurs livres », AIU, fonds Halphen R43, f° 116. À moins que cela ne soit en 1738 puisque les premières élections des administrateurs remontent à cette date.
35 L’index est lacunaire : on relève quelques omissions et une partie des actes de 1768 à 1769 n’y est pas répertoriée.
36 Ces totaux intègrent les 14 actes du folio manquant : 7 circoncisions, 5 naissances et 2 actes indiquant l’élection des dirigeants communautaires et un tremblement de terre, voir infra tableau 2, f° 10 qui apparaissent en caractères gras.
37 Dans l’édition critique, le premier article qui fait office de grille de lecture (cf. infra) est numéroté 0, ce qui donne au total 1278.
38 Ainsi prononçait-on le shin !
39 Voir l’analyse de Berurey ha-qahal dans notre publication [en hébreu] « L’hébreu à Carpentras et dans ses environs I », in Festschrift in Honor of Moshe Bar Asher, S. Fassberg & A. Maman (eds.), Jerusalem, Center for Jewish Languages and Literatures, (sous presse).
40 Voir l’étude proposée dans notre article [en hébr.] « L’hébreu à Carpentras et dans ses environs II », Massorot 13, Jérusalem (sous presse).
41 Les dates en italiques indiquent que nous ne possédons pas d’actes de naissance et que celles-ci sont calculées selon les données stipulées dans les actes de décès.
42 Voir J. Prener, « Contrat d’engagement du rabbin d’Avignon en 1661 », in R.E.J. 65, 1913, pp. 315-316.
43 Ce commentaire fut transcrit par David Ben Juda de Milhaud et achevé en 1744. Il constitue la première partie du manuscrit Valabrègue. Voir la présentation faite par l’Équipe de la Gallia-judaïca, « Le manuscrit Valabrègue, documents judéo-comtadins inédits du xviiie siècle », Archives Juives 4, 1976.
44 Bibliothèque de l’AIU, Collection Halphen, R43, f° 117r° : « Atteste je suissigné Elie Cremieu, fils a fu Mossé Crémieu, rabbin de la carrière des juifs de cette ville de Carpentras ».
45 Voir notre explication [en héb.] in « L’hébreu à Carpentras… I », (cit. supra, n. 39)
46 AIU, Fonds Halphen, R43, f° 87.
47 Nous présenterons ultérieurement et de manière plus complète la biographie du rabbin scribe.
48 Précisons qu’entre 1763 et 1769, nous disposons d’un double enregistrement : celui des pinqassim d’Élie Crémieux et celui des registres bilingues, ce qui permet de corroborer les données.
49 "נתחנכתי" : [il fut intronisé] signifie que ce fut la première fois qu’il exerça sa fonction ; ce vocable infère qu’il y ait eu au préalable un processus éducatif (voir plus loin : "נתחנך"). Voir par ailleurs le paragraphe destiné aux schèmes verbaux nitpa‘‘al/hitpa‘‘el in « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’…, (cit. supra, n. 5). Un phénomène très répandu dans les écrits d’Élie Crémieux et de ses contemporains. 
50 Il nous est apparu important d’y insérer quelques passages en hébreu afin d’entrevoir la teneur des actes et celle de la langue usitée. Ces derniers sont suivis de leur traduction, toutefois nous nous limiterons par la suite à leur traduction.
51 "שורה" : mot raturé avant ."החתן"
52 Voir l’explication suggérée in « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’ »…, (cit. supra, n. 5).
53 S’agit-il ici d’un pluriel araméen ? À moins que l’auteur n’ait eu l’intention d’écrire נישואין et omis le nun final ?
54 "ח"  raturée.
55 "אם" : raturé.
56 Isaïe 37 : 9. Voir l’explication [en héb.] proposée in « L’hébreu à Carpentras… II », (cit supra, n. 40).
57 Il s’agit là d’un calque lexical : "ראשונה" au lieu de "הראשון" (au masculin) qui est le produit de l’interférence des langues romanes, le français ou le provençal, « nuit » étant au féminin. Voir d’autres exemples du même genre in « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’… », (cit. supra, n. 5).
58 Sur l’usage du schème verbal nitpa‘‘al voir supra n. 49.
59 Élie Crémieux a noté "שאמו" et nous avons rectifié.
60 Il se réfère semblerait-il au « jour des relevailles » qui clôture la période niddah [de réclusion] de la mère qui est de 80 jours lorsqu’il s’agit de la naissance d’une fille. Concernant l’expression, « jour des relevailles » voir la thèse de Hugues Jean de Dianoux de la Perrotine, Les communautés juives du Comtat Venaissin et de l’État d’Avignon d’après leurs statuts (1490-1790), Paris, École de Chartes, 1938, p. 127. Pour le reste, voir le résumé de nos conférences « Pratiques religieuses et rites de passage dans les familles juives françaises », Annuaire École Pratique des Hautes Études – Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux, tome 111, 2002-2003, pp. 195-200.
61 Voir à ce sujet notre article « A propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’ »…, (cit. supra, n. 5).
62 Mokhiah. Voir l’analyse [en héb.] de ce vocable in « L’hébreu à Carpentras… I », (cit. supra, n. 39).
63 Voir l’explication de cette expression in « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’… », (cit. supra, n. 5).
64 Voir la translittération des mots étrangers en hébreu et plus précisément la translittération du toponyme Avignon in « L’hébreu à Carpentras… I » (cit. supra, n. 39).
65 Le patronyme « de Digne » est raturé.
66 Ce vocable n’est référencé dans aucun dictionnaire hébraïque. Il atteste par ailleurs de l’imprégnation des usages du monde chrétien. Voir à ce sujet « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’ »… (cit. supra, n. 5).
67 Trois représentants des membres du conseil de la communauté, un pour chaque classe sociale ou « main », un système de répartition en trois catégories suivant le niveau de fortune dont les indigents sont exclus. Ce même système existait chez les chrétiens.
68 Voir notamment le Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa. On y trouve un folio (pp. 2-3) intitulé Hezqat ha-hazanim, (Possession des privilèges des chantres) qui reprend de manière plus solennelle la passation de ces privilèges.
69 Charles Rezzonico (1693-1769) fut Cardinal, Évêque de Padoue, puis Pape en 1758.
70 Voir Ketubbot 1 : 4 et Sanhedrin 3 : 5.
71 Deutéronome 25 : 5-10 et le traité Yevamot.
72 Voir le Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa, p. A intitulée « Histoire de la construction de la nouvelle synagogue et sa fermeture auprès de l’évêque Malachie Inguimbert, que son éminence soit exaltée » [en héb].
73 Ibidem, p. B. Voir Zosa Szajkowski, « Documents des quatre communautés au xviiie siècle », dans Yidn in Frankraikh, New York, 1942 [en yiddish].
74 Voir Abraham Ya‘ari, Sheluhey ’Eres Israël, Toldot ha-shlihut méha-’ares la-gola. Mé-hurban bayit sheni ‘ad ha-me’a ha-‘esré, [Les émissaires de Terre sainte. Histoire des missions de Terre sainte en diaspora : du second temple au xixe siècle], Jérusalem, Mossad Harav kook, 1940, et rééd. 2002, 2 vol. Voir également notre publication « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’… » (cit. supra, n. 5).
75 Voir supra, Abraham Ya‘ari, éd. 1940, p. 438.
76 Fiançailles considérées alors comme le mariage puisque le lien ne pouvait être rompu que par le guet [l’acte de divorce] ou la mort.
77 Il donne comme date le 2 kislew et le 17 novembre 1762, mais il s’agit en fait du 18 ! Voir le Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa qui rend compte de cet événement, pp. 6-8. (Il s’agit d’une pagination arbitraire et tardive !).
78 Ibid. p. 9.
79 Deut. 19 : 15. La déposition de deux témoins est généralement nécessaire pour étayer la véracité d’un événement.
80 Voir supra (n. 15), celle-ci paraîtra prochainement aux éditions Slatkine dans la ‘Collection Études juives’ sous une forme remaniée. Concernant nos publications dans ce domaine voir entre autres, « Le mariage juif sous l’Ancien Régime : l’exemple de Carpentras (1763-1792) », Annales de Démographie Historique 1993, Société de Démographie Historique – E.H.E.S.S., Paris, pp. 161-170 ; « Pratiques et comportements religieux dans les ‘quatre saintes communautés’ d’Avignon et du comtat Venaissin au xviiie siècle », Archives Juives 28/2, Paris, Liana Lévi, 1995, pp. 4-19 ; « Familles juives en Europe et en Amérique du xviiie au xxe siècle », Entre héritage et devenir : la construction de la famille juive. Études offertes à Joseph Mélèze-Modrzejewski, dir. : Patricia Hidiroglou, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, pp. 329-371.
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Table des illustrations

Titre Le Séfer ha-yahas d’Élie Crémieux (Carpentras, 1736-1769),
Légende CAHJP, F CAR 794a (f° 2r° - Index 1741-1744) © Cliché Simone Mrejen-O’Hana.
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Pour citer cet article

Référence papier

Simone Mrejen-O’Hana, « Les pinqassim de Carpentras au regard du Saint-Siège »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 16 | 2005, 45-75.

Référence électronique

Simone Mrejen-O’Hana, « Les pinqassim de Carpentras au regard du Saint-Siège »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 16 | 2005, mis en ligne le 19 septembre 2007, consulté le 26 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/46

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Auteur

Simone Mrejen-O’Hana

Linguiste et historienne, membre des équipes de recherche de la Nouvelle Gallia judaica (CNRS) et de la JE–Histoire moderne et contemporaine des juifs (EPHE), Simone Mrejen-O’Hana poursuit ses investigations pluridisciplinaires sur les juifs du Pape. Elle analyse actuellement le paysage linguistique hébraïque et ses rapports avec les langues locales (provençal, français) et prépare une édition critique et annotée des registres hébraïques de Carpentras.
Simone Mrejen-O’Hana is a linguist and an historian, member of the team of the new Gallia judaica (CNRS). She studies, on a pluridisciplinary point of view, the Juifs du Pape.
simone.ohana@free.fr

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Droits d’auteur

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