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État de la recherche

Détresse psychologique chez les immigrants de l’ex-Union soviétique en Israël

Facteurs de risque
Nelly Zilber
p. 43-60

Texte intégral

1À l'approche de la fin du XXe siècle, les problèmes liés aux migrations de population sont extrêmement sérieux. Le succès de l’absorption des réfugiés et des immigrés dans leur nouveau pays est généralement évalué par des paramètres dits « objectifs », tels que travail, conditions de logement, et acquisition du langage. De bonnes conditions matérielles sont bien évidemment nécessaires à une intégration réussie, mais sont-elles suffisantes pour définir le succès de l'intégration ? Un autre critère important – auquel moins d'attention est en général donnée – est sans nul doute l’ajustement psychologique, le bien-être et la satisfaction de vivre dans le nouveau pays

2L’immigration s’accompagne par définition de changements – physiques, sociaux et culturels – qui impliquent rupture de réseaux sociaux antérieurs, abandon, et apprentissage de nouvelles normes culturelles. Il en résulte que les immigrants doivent se mesurer avec des processus complexes de séparation, perte, renonciation, « deuil », d'une part, et adaptation et intégration dans le nouveau pays d’autre part. Ces processus sont sans aucun doute des sources potentielles de stress, qui peuvent affecter le bien-être psychologique des immigrants (par exemple, Flaherty et al., 1986 ; Mavreas & Bebbington, 1990). Il existe toutefois plusieurs études qui contredisent ces conclusions et montrent un taux égal ou même inférieur de désordres psychologiques chez les immigrants que dans la population de souche (Cochrane & Stopes-Roe, 1981 ; Halldin, 1985).

3En plus des différences entre les diverses populations migrantes et entre leurs conditions d'immigration, un facteur important qui peut expliquer ces divergences est le fait que la plupart des mouvements migratoires impliquent un phénomène de sélection, soit par les migrants eux-mêmes, soit par le pays d’accueil. La sélection est parfois « positive », quand les migrants sont plus ambitieux, aventureux, adaptables ou instruits, ou le pays hôte n'autorise pas par exemple l’immigration de certains malades. Souvent, au contraire, les gens émigrent à la suite d’échecs dans leur pays d’origine et les individus plus fragiles du point de vue psychologique sont plus motivés pour émigrer (Shuval, 1982).

4Il y a eu récemment une importante vague de migration de Juifs de l’ex-URSS vers Israël. Il s’agit d’une immigration de masse (environ trois quarts de million de personnes) et qui touche plus des familles entières que des individus isolés. (Florsheim, 1991). Ces deux caractéristiques, et la politique de l'Etat d’Israël de porte ouverte concernant l’immigration juive, diminuent les chances de sélectivité de cette immigration. De plus, les données socio-démographiques tendent à confirmer cette conclusion.

5La relative absence de sélectivité de cette immigration nous a fourni une occasion d'examiner la question de la relation entre migration et détresse psychologique. Les études déjà publiées sur ce sujet sont typiquement centrées sur les quelques premières années suivant l'immigration. Les études de suivi des immigrants au-delà des premières années traitent essentiellement des aspects objectifs de l'adaptation (travail, conditions de logement, acquisition du langage, contacts sociaux, etc.). Dans ces études, il a été trouvé une corrélation positive entre longueur du temps passé dans le nouveau pays et niveau d'adaptation. Étonnamment, les études sur l'effet du temps sur la détresse psychologique des immigrants sont rares et leurs résultats contradictoires.

6Le présent article examine donc l'adaptation psychologique des immigrants venus en Israël en 1990, pendant leurs cinq premières années en Israël, et les facteurs de risque de détresse psychologique prolongée.

Niveau de détresse psychologique des immigrants de l'ex-Union soviétique pendant leur première année en Israël

7Une première étude (Zilber & Lerner, 1996) a concerné les immigrants de l’ex-Union soviétique, âgés d’au moins 18 ans et qui avaient immigré en Israël entre septembre 1989 et octobre 1990. Un échantillon national représentatif, de 600 immigrants, a été sélectionné : dans chacune des 40 localités d’Israël comptant la plus forte concentration d’immigrants, un échantillon au hasard a été choisi, proportionnel au nombre total d’immigrants de l’ex-URSS dans la localité. Les sujets ont été interrogés en russe à leur domicile en décembre 1990, c'est-à-dire 2-15 mois après leur immigration.

8L'interview a concerné des paramètres liés à la vie en URSS, des variables socio-démographiques et des variables liées à la vie et l'intégration en Israël. La détresse psychologique a été mesurée par l’échelle de démoralisation du PERI (Psychiatric Epidemiology Research Interview), une échelle validée de 27 questions, conçue par Dohrenwend et al. (1980) pour mesurer le niveau de démoralisation. Chaque question est notée sur une échelle de 0 à 4. Le score PERI est la moyenne des scores des différentes questions. Un score élevé indique un haut niveau de démoralisation, c'est-à-dire faible estime de soi, absence d’espoir, manque de ressources ou d’appuis, tristesse, anxiété et symptômes psychosomatiques. Le PERI ne mesure donc pas la psychopathologie mais plutôt la souffrance liée à la détresse psychologique. Cette échelle avait déjà été utilisée pour diverses populations israéliennes, y compris des immigrants russes, et il avait été démontré que sa validité et sa fiabilité sont bonnes pour ces populations.

9Le score PERI moyen dans l’échantillon était de 1,14 (écart-type [E.T.] 0,59), presque identique à celui trouvé en 1985 par Flaherty, Korn & Levav (1988) sur un échantillon d'immigrants de l'URSS qui avaient immigré en Israël 1-3 ans plus tôt. Le score était significativement (< 0.0001) plus élevé chez les femmes (1,28, E.T. 0,63) que chez les hommes (1,00, E.T. 0,56).

10Le niveau de détresse de l'échantillon d'immigrants a été comparé à celui de la population née en Israël, en utilisant les données obtenues par Dohrenwend et Levav sur un échantillon national représentatif de 2 355 juifs nés en Israël, d'origine européenne, âgés de 24 à 33 ans, examinés en 1983. Dans notre échantillon russe de 1990, nous n'avons pas trouvé de différence de démoralisation selon l'âge, ce qui a permis la comparaison des deux échantillons.

11Après contrôle du niveau d'éducation, le score PERI moyen, c'est-à-dire la démoralisation, était significativement plus élevé dans l'échantillon d'immigrants, tant chez les hommes (= 0.001) que chez les femmes (= 10-6). Contrairement à ce qui a été suggéré (par exemple, Beiser, 1990), les femmes ne réagissaient pas plus sévèrement que les hommes au stress de l'immigration.

12Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, il ne semble pas y avoir eu de processus de sélection chez les juifs soviétiques ayant immigré en Israël. Le haut niveau éducatif et professionnel des juifs dans l'ex-Union soviétique caractérisait aussi ceux d'entre eux ayant immigré en Israël en 1990. Ainsi, même si l'immigration juive en Israël était dans une certaine mesure sélective, cette sélectivité n'était certainement pas négative et ne peut rendre compte des résultats.

13Les immigrants demeurent à haut risque de détresse émotionnelle accrue même lorsque les conditions sont relativement favorables, comme c'est le cas dans la présente étude, surtout si on les compare aux autres flux migratoires de par le monde. Depuis la fin de 1989, à la suite de la Glasnost, les juifs soviétiques vivaient avec une peur croissante de l’antisémitisme, dans une situation politique et économique des plus instables. Les émigrants fuyaient cette situation pour des conditions qu’ils jugeaient meilleures et plus sûres en Israël. De plus, l’immigration en Israël ne représente pas seulement une expérience de déracinement, mais aussi un ré-enracinement dans son ancienne patrie. En outre, la nature pluraliste de la société israélienne permet aux immigrants d'en devenir partie intégrante tout en préservant leurs anciennes normes culturelles. En Israël, l’immigration des juifs de la diaspora est globalement valorisée et recherchée. Enfin il existe en Israël une variété de structures de soutien et d’aide destinées à faciliter l’intégration des immigrants dans la société, telles que cours gratuits d’étude de l’hébreu, cours de recyclage gratuits, aide financière directe de l’état. De plus, une importante source potentielle de stress chez les immigrants, la séparation de la famille, était relativement rare chez les immigrants juifs de l'ex-Union soviétique, puisque, comme indiqué ci-dessus, ce sont en général des familles entières qui ont émigré.

14Nous avons donc montré que, malgré ces conditions apparemment favorables, le niveau moyen de démoralisation des immigrants était, pendant leur première année en Israël, plus élevé que celui de la population née dans le pays, confirmant l’hypothèse d’une relation causale entre immigration et détresse psychologique accrue.

Facteurs protecteurs et facteurs de risque de détresse psychologique parmi les immigrants de l’ex-Union soviétique pendant leur première année en Israël

15La gamme des niveaux de détresse étant assez large parmi les immigrants, nous avons recherché des facteurs protecteurs et des facteurs de risque de détresse psychologique pendant leur première année en Israël. À cet effet, nous avons examiné la corrélation entre la démoralisation et deux groupes de facteurs : facteurs de risque préexistant à l’immigration et variables médiatrices potentielles (conditions sociales dans la société hôte). Le premier groupe incluait âge à l’immigration, sexe, état matrimonial, nombre d’enfants, éducation, profession, religiosité, lieu de résidence en ex-URSS, et comportement de recherche d’aide en période de détresse psychologique en ex-URSS. Le deuxième groupe incluait évaluation subjective du soutien social (nombre de personnes vers lesquelles le sujet dit pouvoir se tourner pour recevoir de l’aide), conditions actuelles de logement, emploi, connaissance de l’hébreu, etc. ; ces variables reflètent évidemment non seulement les ressources sociales mais aussi, à un certain degré, les ressources personnelles. L’analyse a été multivariée (analyse de variance), permettant de décrire la relation entre la variable dépendante et chacune des variables indépendantes en soi, après contrôle de l’influence des autres variables.

16Pour les deux sexes, le prédicteur le plus puissant de détresse était le manque de soutien social – le sentiment qu'en cas de besoin personne ou presque personne ne pourrait aider. À cet égard, il est intéressant de mentionner que, trois mois après cette étude, après la guerre du Golfe, nous avons ré-interviewé les mêmes immigrants et trouvé que leur détresse n'avait pas augmenté et avait même souvent diminué (Lerner & Zilber, 1996). Nous avons associé ce résultat plutôt inattendu aux sentiments de destin partagé, d'appartenance, de cohésion sociale, et de solidarité entre tous ses membres qui, d’après ce que l’on sait des guerres précédentes en Israël, caractérisent la population générale israélienne en cas de guerre.

17Nous avons montré que l’isolement social objectif (le fait de vivre seul) était aussi un facteur de risque. Il a été montré dans d’autres populations que les personnes non mariées étaient plus susceptibles de développer des symptômes à la suite d’événements stressants de la vie, du fait d’un moindre soutien social (Eaton, 1978). Dans notre étude, nous n’avons pas trouvé de lien entre état matrimonial et démoralisation. Cette différence peut s’expliquer par le fait que, chez les immigrants russes, à la différence des autres populations occidentales, souvent plusieurs générations vivent ensemble, tant pour des raisons traditionnelles qu’à cause des contraintes économiques.

18On a trouvé également, dans les deux sexes, une association significative entre démoralisation et émigration d'une région proche de Tchernobyl (dans un rayon de 150 Km), après contrôle des autres variables. Israël est, après l’ex-Union soviétique, le pays de résidence du plus grand nombre de victimes potentielles de l’accident de Tchernobyl. Une anxiété prolongée quant à de possibles séquelles graves des radiations a été décrite dans des populations vivant à proximité de zones contaminées par des incidents dans des réacteurs atomiques (par exemple Bromet et al, 1982 ; Tsvang, 1991). Dans notre étude, qui a été conduite cinq ans après l’accident de Tchernobyl, le même phénomène perdurait, bien que les immigrants eussent quitté la zone contaminée.

19Un autre facteur qui a été trouvé être un facteur de risque de démoralisation après l’immigration est, surtout chez les hommes, le fait d’avoir été en contact avec un professionnel de la santé pour problèmes psychologiques en URSS. Dans la société soviétique, le recours à une aide professionnelle pour traiter des problèmes psychologiques était rare, et les hommes, qui n’étaient pas supposés exprimer leur faiblesse psychologique, n’avaient probablement recours à cette aide que dans des cas de psychopathologie plus sévères que les femmes.

20Finalement, il a été montré que l'émigration d’une république d'Asie Centrale était un facteur de risque, surtout chez les femmes. Ces émigrants, venant de sociétés traditionnelles, ont dû s’acculturer aux normes sociales d’une société de type occidental telle qu’Israël ; les divergences culturelles étaient plus importantes pour les femmes qui, dans ces sociétés, sont encore moins en contact avec les valeurs occidentales que les hommes.

21La non-acquisition de la langue du pays hôte et le chômage sont en général considérés comme d’importants facteurs de risque de détresse psychologique chez les immigrants. Notre étude a montré que ce n’est pas le cas pour les immigrants de l’ex-Union soviétique pendant leur première année en Israël, probablement à cause des conditions particulières suivantes. Pendant leur première année en Israël, tous les immigrants de 1990 recevaient une aide financière du gouvernement, avaient droit à six mois gratuits de cours journaliers intensifs d’hébreu et pouvaient participer gratuitement à des cours de recyclage. Il n'y avait donc pas encore vraiment de sérieux problèmes financiers ou de perte de prestige liés au chômage pendant la première année. De plus, dans la société israélienne, qui a un pourcentage si élevé de nouveaux immigrants, il est volontiers accepté que ceux-ci parlent entre eux dans leur langue d’origine, aient des journaux dans cette langue, et parlent l’hébreu avec un accent ou en faisant des fautes.

22Le fait d'avoir eu une profession manuelle ou technique en ex-Union soviétique était un facteur protecteur, surtout chez les hommes. Un haut niveau d’éducation est considéré, en général, comme facteur protecteur, essentiellement parce qu’il ouvre de meilleures perspectives d’emploi (Beiser, 1990). Le pourcentage très élevé d'immigrants hautement qualifiés de l'ex-Union soviétique rendait aléatoire la possibilité pour eux de trouver du travail dans leur profession. Cette menace de perte de statut social était évidemment bien moindre chez les immigrants exerçant un métier manuel ou technique. Le fait d’être religieux était aussi chez les hommes un facteur protecteur, sans doute parce qu'il peut donner une signification positive à l’immigration en Israël (Flaherty et al., 1988), et ainsi tempérer les pertes dues à l’immigration.

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En résumé, cette étude montre que, même dans des conditions relativement favorables, l’immigration est un facteur de risque de détresse psychologique. Ce qui en module le niveau, ce sont essentiellement, au moins la première année, les caractéristiques des immigrants qu’ils apportent avec eux, plus que des facteurs liés aux conditions d’absorption et de travail. Il est possible que le sentiment d’un manque de soutien social, qui est significativement associé à la détresse psychologique, soit lui-même lié en grande partie à des traits de personnalité.

Étude de suivi de cette population – comment la détresse psychologique varie-t-elle avec le temps ?

24Une seconde étude, également sur un échantillon d'immigrants de 1990, a été effectuée, cette fois cinq ans après l'immigration. Les buts de l'étude étaient :

  • Comparer les paramètres d'adaptation et le niveau de détresse psychologique des immigrants soviétiques un et cinq ans après leur arrivée en Israël ;

  • Identifier les facteurs de risque de détresse psychologique accrue cinq ans après leur arrivée en Israël.

25Cette seconde étude, comme la précédente effectuée en 1990, concernait tous les immigrants de l'ex-Union soviétique arrivés en Israël pendant l'année 1990 et qui avaient plus de 18 ans à leur arrivée. Un échantillon au hasard de 587 immigrants a été sélectionné. Les sujets de la recherche ont été interviewés chez eux, en russe, en 1995. Le questionnaire incluait les échelles et éléments suivants :

  • L'échelle de démoralisation de PERI (voir ci-dessus).

  • La version révisée du « Perceived Social Support Scale » (Blumenthal et al., 1987) : une échelle de questions, validée, conçue pour mesurer le degré de soutien social perçu par l'interviewé.

  • Le « Control Scale », l'une des trois sous-échelles de la version révisée du aHardiness Scalea conçu par Kobassa (voir la revue de Orr & Westman, 1991) : une échelle de 17 questions conçue pour mesurer le « centre de contrôle » (locus of control), c'est-à-dire l'influence qu'une personne croit pouvoir exercer sur le cours des événements dans des limites raisonnables.

  • Une version modifiée de l'échelle des événements de vie de Holmes & Rahe (1967).

  • Un questionnaire qui concerne des données socio-démographiques, les maladies physiques, le comportement de recherche de soins, la façon dont les interviewés s'identifient, etc.

26Les deux échantillons d'immigrants, celui de 1995, cinq ans après l'arrivée en Israël, et celui de 1990, l'année d'arrivée, ont été comparés sur plusieurs paramètres d'adaptation. Le pourcentage d'immigrants employés à plein temps a augmenté de 17 % en 1990 à 70 % en 1995. Il y avait souvent, cependant, une chute de statut professionnel (chez 41 % des hommes et 55 % des femmes). En ce qui concerne les conditions de logement, nous avons observé un énorme accroissement en 1995 dans le pourcentage d'immigrants propriétaires de leur logement (57 % contre 2 % en 1990) ; la densité des habitants (nombre de gens par pièce) a significativement décru (dans 29 % des cas, contre 50 % en 1990, trois personnes ou plus vivaient avec l'interviewé) ; et un plus grand pourcentage d'immigrants avaient l'intention de rester dans leur appartement actuel (61 % contre 15 % en 1990). En ce qui concerne l'acquisition du langage du pays d'accueil, nous avons observé un accroissement significatif du pourcentage d'immigrants parlant l'hébreu bien ou assez bien – 54 % contre 19 % en 1990.

27Ces différentes variables sont des paramètres objectifs de l'adaptation. Quand les interviewés étaient interrogés sur des aspects subjectifs de leur adaptation, le tableau était bien différent. Afin d'estimer les aspects subjectifs du support social, les immigrants étaient interrogés quant à leur estimation du nombre de gens auxquels ils pourraient demander de l'aide en cas de nécessité. Le pourcentage d'immigrants estimant ce nombre élevé n'avait pas changé significativement après cinq ans (45 % contre 42 % en 1990). Pendant leur première année en Israël, 75 % des immigrants étaient heureux de leur condition dans leur nouveau pays (5,7 % très satisfaits, 69,7 % satisfaits). Aucun accroissement dans ces pourcentages n'a été observé en 1995 (5,3 % très satisfaits, 69,5 % satisfaits). Malgré le fait que 54 % des immigrants avaient, comme indiqué ci-dessus, une bonne connaissance de l'hébreu en 1995, le pourcentage de ceux qui lisaient un journal en hébreu restait aussi bas qu'en 1990 (20 % contre 18 % en 1990).

28Puisqu'en 1995 un nouvel échantillon a été interviewé, toutes ces comparaisons ont été refaites par une régression logistique qui contrôlait sexe, âge à l'immigration, statut matrimonial à l'immigration, éducation à l'immigration et continent d'origine. Les mêmes résultats ont été obtenus, excepté pour la variable « lecture de journal en hébreu », qui est devenue positivement associée au temps passé depuis l'immigration.

29Nous avons aussi comparé le niveau de détresse psychologique (score PERI) dans l'échantillon de 1995 avec celui trouvé dans l'échantillon de 1990 pendant la première année en Israël. Cette comparaison a été faite séparément pour chaque sexe, puisque le score PERI diffère significativement chez les hommes et les femmes. Le score PERI moyen est resté inchangé chez les hommes et a augmenté significativement chez les femmes.

30Puisqu'une association, non observée dans l'étude de 1990, a été trouvée dans l'étude de 1995 entre âge et score PERI, avec un score significativement plus élevé chez les personnes âgées, nous avons décidé de comparer le niveau de démoralisation en 1990 et en 1995 séparément pour les personnes à l'âge de la retraite et pour les plus jeunes. Aucune différence significative n'a été observée entre les scores moyens chez les gens en deçà de l'âge de la retraite (65 ans pour les hommes et 60 pour les femmes). Dans le groupe des plus âgés, par contre, un accroissement significatif de la démoralisation a été observé, en particulier chez les femmes. Les comparaisons ont été refaites par une analyse de variance, en contrôlant l'âge à l'immigration, le statut matrimonial à l'immigration, l'éducation à l'immigration et la république d'origine. Les résultats sont restés inchangés dans les deux groupes d'âge. Nous avons aussi vérifié que ce changement dans le niveau de démoralisation ne pouvait être attribué à une différence dans la distribution des âges parmi les personnes à l'âge de la retraite en 1990 et 1995.

31L'absence de différence significative entre le score PERI moyen en 1990 et 1995 dans le plus jeune groupe d'âge ne peut exclure la possibilité qu'il existe un changement dans la proportion de ceux ayant un score de démoralisation très élevé. L'habituel seuil de 1,27 pour les hommes et 1,55 pour les femmes a été choisi pour distinguer entre ceux ayant un score élevé de démoralisation et les autres. Ces seuils ont été utilisés par Levav et al. (1991) sur la base d'études préalables montrant qu'ils discriminaient entre « répondants sains » et ceux utilisant les services de santé mentale.

32Le pourcentage d'immigrants avec un score PERI au-dessus du seuil a été comparé en 1990 et 1995, séparément pour les hommes et les femmes. Une différence significative n'a été trouvée que dans le groupe à l'âge de la retraite, et elle était plus prononcée chez les femmes. Ainsi, parmi les immigrants en deçà de l'âge de la retraite, non seulement le score PERI moyen n'avait pas changé après cinq ans, mais également aucun changement n'était observé dans la proportion d'immigrants avec un score élevé.

33Dix-sept immigrants de l'étude de 1990 ont été choisis au hasard et ré-interviewés en 1995. Leurs scores PERI en 1990 et 1995 ont été comparés par un test t apparié de Student ; aucune différence significative n'a été observée.

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En conclusion, cette étude montre une divergence entre les changements des paramètres objectifs et subjectifs d'adaptation. Les changements dans l'intégration objective étaient très impressionnants, grâce au support massif du gouvernement, tandis que les sentiments subjectifs de satisfaction et d'identification ne changeaient pas ou même s'aggravaient chez les personnes âgées. Puisque nous avons montré que le niveau de démoralisation des immigrants pendant leur première année en 1990 était plus élevé que celui trouvé par d'autres dans un échantillon national d'Israéliens nés au pays, ceci indique qu'après cinq ans, la démoralisation reste plus élevée parmi les immigrants. Le temps en soi, contrairement à ce qui a été rapporté, n'a pas un effet atténuateur sur la détresse psychologique des immigrants pour au moins les cinq premières années. Il est possible que des sensations subjectives naturelles de déracinement et d'aliénation soient durablement exacerbées chez les gens de l'ex-Union soviétique immigrant dans une société démocratique, où les gens doivent façonner leur destin seuls, plutôt que de dépendre d'autorités omnipotentes. La perte de statut professionnel, surtout dans la population âgée dont les chances de regagner un statut similaire à celui du passé sont faibles, semble être extrêmement douloureuse, et ce d'autant plus que la vie professionnelle dans l'Union soviétique était hautement valorisée et était la principale source d'estime de soi. Quoi qu'il en soit, une évaluation de routine du succès de l'absorption des immigrants devrait inclure quelque mesure de leur statut psychologique.

Facteurs protecteurs et facteurs de risque de détresse psychologique prolongée

35Si l'on examine individuellement le niveau de démoralisation des immigrants cinq ans après leur arrivée, l'on observe un assez large éventail, indiquant très probablement l'effet de facteurs protecteurs et de facteurs de risque sur la démoralisation. Nous avons effectué une analyse univariée de l'association entre une longue liste de variables indépendantes et la démoralisation.

36Les variables les plus fortement associées à la détresse psychologique(< 0.001) et expliquant le plus grand pourcentage de la variance du score PERI (10 % ou plus) étaient : chômage ou travail à temps partiel, surtout chez les hommes ; manque de support d'amis ; problèmes de santé ; insatisfaction de vivre en Israël ; manque de support social ; manque de support familial ; « lieu de contrôle » externe (sens faible de contrôle personnel sur ce qui se passe dans leur vie) ; récents événements de vie négatifs.

37Les variables qui sont fortement associées à la détresse psychologique (< 0.001) mais expliquent moins de 10 % de la variance du score PERI étaient : appréciation subjective de l'insuffisance des revenus, surtout pour les hommes ; absence d'amis ; maigres talents en hébreu ; définition de soi-même comme soviétique plutôt qu'israélien, chez les femmes ; recherche d'aide psychologique professionnelle dans le passé, chez les hommes.

38Les variables associées avec la détresse psychologique seulement au niveau < 0.05 et expliquant moins de 10 % de la variance du score PERI étaient : le fait d'être au–delà de l'âge de la retraite (65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes) ; revenus totaux de la famille inférieurs au revenu moyen israélien ; pour les hommes, le fait de louer un appartement privé, vivre dans une grande ville, avoir moins d'un tiers des membres de la famille en âge de travailler qui soient effectivement en activité, avoir perdu un proche parent dans un camp pendant la deuxième guerre mondiale ; pour les femmes, le veuvage, l'incertitude quant au futur lieu de résidence, la lecture d'un journal en russe. La religiosité et le fait d'être venu d'une république d'Asie ou d'une région proche de Tchernobyl n'étaient plus associés à la démoralisation après cinq années en Israël.

39Les variables significativement associées à la détresse psychologique ont été ensuite introduites dans une analyse multivariée, où la démoralisation était la variable indépendante. Vu que le sexe affectait différemment l'association entre les différentes variables indépendantes et la démoralisation, les analyses ont été effectuées séparément pour les hommes et les femmes. Le modèle final a été développé en plusieurs stades. D'abord, les variables considérées comme innées ou au-delà du contrôle du répondant – âge, république d'origine, famille proche ayant péri pendant la deuxième guerre mondiale, « lieu de contrôle » et événements de vie négatifs – ont été entrées dans le modèle. Les variables (âge, lieu de contrôle, et événements de vie) qui sont restées associées au score PERI après contrôle des autres variables ont été incluses dans les sept analyses de variance du score PERI suivantes :

  • mesures du support familial et social (nombre d'amis, échelle de support social, échelle de support familial) ;

  • mesures relatives au logement (type de logement, intention de déménager, taille de la localité de résidence) ;

  • état de santé (hospitalisation dans les derniers six mois, nombre de visites au médecin de famille durant les trois derniers mois, nombre de maladies chroniques, prise de médicaments prolongée pour au moins l'une de ces maladies, etc.) ;

  • mesures de l'emploi (emploi de l'interviewé, proportion de membres de la famille en âge de travailler qui sont effectivement en activité) ;

  • variables concernant les revenus (revenu total de la famille en comparaison avec le revenu israélien moyen) ;

  • facteurs d'acculturation (connaissance de l'hébreu, lecture de journaux en hébreu) ;

  • autres variables (service militaire, comportement de recherche d'aide dans le passé, définition de sa propre identité). La satisfaction de vivre en Israël n'a pas été incluse dans le modèle, car cette variable est en fait plutôt une variable dépendante, proche de celle de la détresse psychologique.

40Lorsque les variables significatives de chaque analyse ont été introduites ensemble dans le modèle, les sept variables suivantes sont restées significativement associées au score PERI au niveau < 0.05, dans au moins un sexe.

Lieu de contrôle (« locus of control »)

41Nous avons montré que le lieu de contrôle est un prédicteur très important. Le sens de contrôle personnel sur les circonstances de sa vie atténue l'impression naturelle du migrant d'être extrêmement dépendant des autorités – ce qui caractérisait notamment la culture totalitaire soviétique. Ainsi, ceux qui ont réussi à développer un sens de contrôle de leur destin, en dépit de leur passé culturel, semblent avoir un trait de personnalité spécifique qui les prépare mieux à se mesurer avec le stress de l'immigration.

Événements de vie

42Le nombre d'événements de vie négatifs que les répondants rapportaient avoir expérimenté pendant la dernière année était positivement associé avec le niveau de démoralisation ; plus le nombre d'événements de vie était grand, plus le score PERI était élevé. Les immigrants sont probablement plus sensibles aux récents événements de vie négatifs que d'autres populations, vu les énormes changements dans leur vie sociale, professionnelle et familiale. La mesure des événements de vie a été incluse dans l'étude afin de contrôler son possible effet sur la relation des autre variables avec la démoralisation.

Support social

43Le sentiment de manquer d'un éventuel support était significativement associé à une démoralisation élevée. Cet aspect du support social a été défini comme l'appréciation cognitive de l'individu d'être connecté de façon sûre à autrui, c'est-à-dire la croyance qu'on s'intéresse à lui.

État de santé

44Toutes les mesures de la santé utilisées dans cette étude étaient fortement associées à la démoralisation (hospitalisation dans les derniers six mois, visite au médecin de famille au moins trois fois dans les trois derniers mois, maladie chronique diagnostiquée après l'immigration, etc.). Les répondants qui souffraient de plusieurs maladies physiques chroniques et qui prenaient des médicaments pour ces maladies étaient plus susceptibles d'être démoralisés que ceux en bonne santé, indépendamment de tous les autres facteurs, y compris l'âge. Les répondants qui étaient en deçà de l'âge de la retraite et qui souffraient de maladie physique chronique avaient une probabilité bien plus grande d'être démoralisés que ceux en bonne santé. Ceci était vrai particulièrement chez les hommes, dont aucun de ceux en mauvaise santé ne travaillait à plein temps.

Logement

45Nous avons trouvé que les conditions de logement étaient significativement associées à la détresse psychologique chez les hommes. Il existait une interaction entre taille de la localité de résidence et type de logement chez les hommes ; les hommes vivant en location dans une grande ville étaient beaucoup plus à risque d'être démoralisés. Il faut remarquer que pratiquement aucun répondant des grandes villes n'a rapporté vivre dans une habitation gouvernementale ; la plupart des appartements gouvernementaux disponibles sont situés dans de petites localités. Dans les grandes villes, vu le prix d'achat plus élevé des appartements, il n'est pas surprenant que la plupart des immigrants y vivaient en location. Pour eux, le poids de loyers élevés et le manque de permanence de leurs conditions de vie peuvent peser lourdement sur les épaules des immigrants hommes, contribuant aux niveaux de détresse psychologique plus élevés trouvés dans ce sous-groupe de population.

Revenus

46Après contrôle de tous les autres facteurs, le revenu lui-même n'était plus associé à la démoralisation, mais l'appréciation subjective des revenus l'était. Les répondants qui décrivaient le revenu total de la famille comme insuffisant pour répondre à leurs besoins tendaient à avoir un score PERI au-dessus de la moyenne, tandis que ceux qui le décrivaient comme suffisant avaient un score au-dessous de la moyenne (< 0.0005 chez les répondants hommes et femmes).

Identité

47Les répondants qui se décrivaient comme étant israéliens avaient plus de chance d'avoir un score PERI bas que ceux qui s'identifiaient comme soviétiques. Ceci était particulièrement vrai pour les femmes. Lorsqu'on entrait cette variable dans le modèle final, elle ne restait associée significativement à la démoralisation que chez les femmes. Pour les hommes, cette association ne restait dans le modèle que si l'on en ôtait le « lieu de contrôle ». Pour les hommes, l'impact sur la démoralisation de la perception de soi comme israélien semble donc dépendre plus du sentiment qu'ils contrôlent leur destinée que de la mesure dans laquelle ils adoptent leur nouveau pays – ce qui n'est pas vrai pour les femmes.

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Ainsi les résultats concernant les facteurs de risque de détresse psychologique chez les immigrants sont conformes à certains résultats publiés antérieurement. Le manque de réseaux sociaux, par exemple la situation d'un homme immigrant célibataire âgé vivant en location dans une grande ville, conduit à une détresse psychologique accrue.

49D'autre part, nos résultats indiquent que ce que l'immigrant amène avec lui en quittant son précédent pays n'est pas moins important que les conditions qu'il trouve après son immigration dans son nouveau pays. Les immigrants ayant un sens réduit de contrôle de leur destin, sont moins équipés pour faire face au processus d'immigration et peuvent avoir besoin d'une plus longue période pour s'adapter psychologiquement. De plus le statut d'immigrant entraînant en soi un état de dépendance. Ceci suggère que les autorités responsables dans ce domaine devraient encourager les immigrants à s'impliquer activement dans les programmes d'absorption, et même à participer à des activités politiques plus larges d'organisation et de planification au sujet des problèmes les concernant.

50Il serait intéressant de suivre cette grande vague d'immigrants, et d'examiner si le processus d'adaptation psychologique conduit à la disparition progressive de la détresse associée aux premières années d'immigration et d'absorption.

Quelques résultats sur la psychopathologie parmi ces immigrants

51Des résultats contradictoires concernant la prévalence1 de la psychopathologie clinique chez les immigrants ont été publiés. Tandis que Halldin(1985) et Mavreas & Bebbington (1989) rapportent des taux de prévalence de psychopathologie similaires chez les gens nés dans le pays et chez les immigrants, Murphy (1997) cite des études dans lesquelles la prévalence de la psychopathologie chez les immigrants est inférieure à celle des autochtones. Par contre, Westermeyer (1988) rapporte un taux de désordres psychiatriques considérablement plus élevé chez les immigrants de l'Asie du sud-est que chez les Américains nés dans le pays. La divergence entre les résultats peut certainement s'expliquer au moins en partie par le fait que la durée de séjour dans le nouveau pays n'était pas prise en compte dans la plupart des études, en dépit de rapports sur l'association entre temps passé depuis l'immigration et psychopathologie.

52Nous avons examiné la fréquence de la psychopathologie dans un sous-échantillon de 120 immigrants pris dans l'échantillon utilisé pour l'étude ci-dessus. Ils ont été ré-interviewés à leur domicile, avec une interview structurée, une version abrégée du CIDI (Composite International Diagnostic Interview), le CDI-S (Kovess et al., 1992, 1993). Des taux de prévalence ont été calculés pour les désordres psychiatriques les plus communs dans la population générale, dépression majeure, dysthymie, et anxiété.

53Les données dans la littérature sur la prévalence de la psychopathologie dans la population générale sont extrêmement inconsistantes, et il n'en existe ni en Israël ni dans l'ex-URSS. De nos résultats sur la prévalence de la psychopathologie des immigrants, il est donc difficile de tirer une conclusion non équivoque sur la comparaison de ces taux avec celle des autres populations. Nous avons cependant pu montrer que les taux d'incidence2 de ces désordres dans notre échantillon étaient significativement plus élevés après l'immigration qu'avant, indiquant qu'une des possibles conséquences de l'immigration est un accroissement de la probabilité de psychopathologie, qui dure au moins cinq ans.

54Un autre élément vaut la peine d'être signalé. Des études épidémiologiques ont montré, chez les gens âgés de plus de 65 ans, des taux plus bas de prévalence (courante et sur la vie entière) des désordres non psychotiques, en particulier la dépression. Cependant, comme nous l'avons montré ci-dessus, la détresse psychologique était plus prononcée chez les personnes âgées que chez celles de moins de 65 ans, cinq ans après leur immigration. La détresse psychologique était évaluée dans cette étude par le questionnaire de démoralisation de PERI, qui n'est pas un instrument de diagnostic clinique. Nous avons examiné si cette relation entre détresse psychologique et âge trouvée chez les immigrants est vraie aussi pour les désordres psychiatriques. Nous avons pu montrer que c'est bien le cas, contrairement à ce qui existe dans les autres populations. À nouveau, les immigrants âgés semblent être un groupe tout particulièrement à risque.

Implications de ces résultats pour le système de soins israélien

55Notre étude a donc mis en évidence une détresse psychologique persistante chez les immigrants de l'ex-Union soviétique, les personnes âgées étant un sous-groupe particulièrement vulnérable. L'état de santé semble être un prédicteur très puissant de la détresse psychologique, même après contrôle des autres facteurs tels l'âge et le sexe. Il est connu que les maladies physiques chroniques sont associées à une certaine détresse psychologique et les immigrants qui ne sont pas familiers avec le système de santé local et avec les services auxquels ils ont droit, peuvent trouver difficile d'obtenir le traitement adéquat et donc souffrir encore plus de leur invalidité. À cet égard, les personnes âgées sont plus à risque de détresse psychologique. Nous avons montré que ce risque est accru en particulier par le manque de support social, qui caractérise les personnes âgées. En plus, tandis qu'en URSS les grands-parents jouissaient d'une grande considération, en Israël où il y a moins d'interaction entre les générations, ils ont vu le rôle central qu'ils avaient dans la famille diminuer, ce qui a pu entraîner chez les immigrants soviétiques âgés une perte significative d'estime de soi.

56Lorsqu'on leur a demandé vers qui ils se tourneraient s'ils se sentaient stressés, nerveusement tendus ou anxieux, seulement 0,7 % des immigrants ont répondu qu'ils se tourneraient vers un professionnel de santé mentale. Bien que les malades mentaux soient stigmatisés aussi dans la société occidentale, le fait d'aller chez des spécialistes de santé mentale pour un traitement de santé mentale est encore plus un stigma chez les immigrants de l'ex-Union soviétique. Ceci doit être compris dans le contexte des attitudes soviétiques envers la maladie mentale : les malades mentaux étaient considérés comme détériorant l'image d'une société socialiste heureuse ; il ne faut pas non plus oublier que les psychiatres soviétiques ont abusé politiquement de la psychiatrie.

57Cette attitude envers la psychiatrie est probablement en train de changer puisqu'en 1995, 19 % des immigrants interviewés ont dit qu'ils pourraient se tourner vers des services psychologiques dans le futur si le besoin s'en faisait sentir. Néanmoins, 63 % ont répondu qu'ils se tourneraient vers un généraliste s'ils avaient besoin d'aide psychologique. Ainsi, la plupart des immigrants soviétiques identifient encore les généralistes comme la source primaire d'assistance en santé mentale, la source préférée pour un avis initial et la meilleure source d'aide.

58L'importance des généralistes en ce qui concerne les soins de santé mentale se reconnaît dans trois rôles fondamentaux : diagnostiquer, adresser à des spécialistes et soigner. Ils devraient être mis au courant de nos résultats, afin qu'ils reconnaissent le besoin de clarifier le statut, du point de vue santé mentale, des clients qui ont les facteurs de risque décrits ci-dessus, et en particulier qu'ils dépistent et traitent la détresse psychologique des personnes âgées malades. Il faudrait déterminer quelle sorte de programme d'intervention répondrait le mieux aux besoins de ce groupe à risque.

59Les trois éléments suivants sont caractéristiques des immigrants soviétiques :

  • Un très grand pourcentage des immigrants russes venus en Israël ces 9 dernières années sont médecins. De plus, de nombreux médecins spécialistes travaillent en Israël comme généralistes – si bien qu'un très grand nombre de médecins russes travaillent dans les services de médecine primaire.

  • Les immigrants russes tendent à se soigner chez des médecins russes.

  • Il est bien connu que le taux de détection des problèmes de santé mentale par les généralistes est en général bas – 10 à 55 % seulement. Il a été montré que les attitudes des généralistes envers la psychiatrie jouent un rôle important dans la détection des cas : un généraliste a plus de chances d'identifier des cas s'il croit à la psychogenèse des désordres physiques et ne redoute pas que le fait de donner un diagnostic psychiatrique ou l'orientation vers des spécialistes de santé mentale puissent avoir des conséquences négatives pour le patient. À cet égard les médecins de l'ex-Union soviétique doivent avoir des taux de détection particulièrement bas.

60Il semble donc impératif que les médecins généralistes russes, qui ont un fonds culturel commun avec leurs clients, soient spécifiquement formés à être sensibles aux aspects psychologiques de la population d'immigrants qu'ils servent, afin d'identifier la détresse émotionnelle à un stade précoce. Ils devraient être un groupe–cible pour une éducation médicale qui concernerait la détection et le traitement des problèmes de santé mentale au sein des systèmes primaires de santé. Comme indiqué ci-dessus, les immigrants eux-mêmes devraient eux-mêmes prendre une part active dans la préparation de tels programmes éducatifs.

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Notes

1 La prévalence d'une maladie est le nombre de personnes souffrant de cette maladie pendant une période de temps donnée.
2 L'incidence d'une maladie est le nombre de personnes dont la maladie a commencé pendant une période de temps donnée.
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Pour citer cet article

Référence papier

Nelly Zilber, « Détresse psychologique chez les immigrants de l’ex-Union soviétique en Israël »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 4 | 1999, 43-60.

Référence électronique

Nelly Zilber, « Détresse psychologique chez les immigrants de l’ex-Union soviétique en Israël »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 4 | 1999, mis en ligne le 02 juin 2008, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/3572

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Nelly Zilber

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