Navigation – Plan du site

AccueilNuméros4État de la rechercheCréation et manipulations des arc...

État de la recherche

Création et manipulations des archives

L’exemple israélien
Véronique Meimoun
p. 25-41

Texte intégral

1En dépit de l’intérêt croissant des historiens pour la mémoire et ses divers supports, la majorité des historiens continuent de privilégier ce qui a été consigné par écrit au moment des faits, au détriment des témoignages oraux recueillis des années après les événements. La mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective, est perçue comme défaillante et sélective, partielle et partiale, plus difficilement maniable. La mémoire se révèle comme une organisation de l’oubli1. L’historiographie reste de ce fait largement dépendante des sources écrites. Bien que la notion d’archives ait évolué et se soit étendue aux témoignages oraux2, aux films, aux photographies, aux cartes, voire aux cassettes, les archives demeurent majoritairement un amoncellement de vieux papiers3. Elles sont l’outil privilégié des historiens pour reconstituer le passé. La question de leur fiabilité est donc essentielle. La situation des archives en Israël s’avère fort intéressante et instructive à ce sujet et permet d’apporter de nombreux éléments de réponse.

2En hébreu comme en français, le terme d’archives désigne aussi bien le lieu où sont entreposés les documents que les documents eux-mêmes. En Israël, on distingue trois principaux types d’archives :

  • Les archives privées généralement constituées de la correspondance, des journaux intimes, des manuscrits, des photographies voire des relevés de comptes bancaires et autres documents administratifs qu’un particulier ou une famille a conservés. Aucune règle précise ne régit ces archives, propriété exclusive d’individus, partie intégrante de leur patrimoine personnel.

  • Les archives thématiques historiques, dont la vocation est de regrouper le plus de documents possible sur un sujet donné. Ces archives se caractérisent par leur éclectisme, la diversité de leurs sources et de leur documentation, la variété éventuellement des langues employées dans les documents qu’elles détiennent. Les archives de Yad Vachem, créées en 1953 à Jérusalem, en sont l’illustration parfaite. Elles sont à l’affût de tout ce qui peut aider à la compréhension de la Shoah et à la perpétuation de son souvenir. À cet effet elles sont habilitées par la loi israélienne à mener des négociations avec les gouvernements étrangers et les particuliers, afin d’obtenir les photocopies ou les originaux de documents ayant trait au génocide des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Y sont entreposés entre autres les archives de diverses organisations juives actives pendant la guerre, les archives clandestines des ghettos, les minutes des divers procès intentés contre les criminels nazis, tant en Israël qu’en Europe, et tout spécialement en Allemagne, les fichiers des prisonniers des camps de concentration… Un département entier est consacré aux films et photographies, cela comprend autant des photographies de familles juives datant d’avant-guerre que des films de propagande nazie ou des reportages souvenirs de soldats allemands.

  • Les archives administratives qui décrivent le fonctionnement et les actions d’une institution précise, publique ou privée. Les archives de l’État d’Israël, de la mairie de Haïfa, de l’Agence juive, du mouvement de jeunesse des Bnei Akiva, d’un kibboutz ou d’une entreprise appartiennent toutes à cette catégorie, qualifiée de spontanée.

La loi israélienne sur les archives

Définition des documents à archiver

3La loi israélienne de 1955 ne s’intéresse qu’aux archives d’État, dont elle fixe les modalités de création, de conservation et d’accès. Elle prévoit que tous les documents administratifs, sortant de l’ordinaire, accumulés chaque année dans les bureaux des ministres et de leurs adjoints, soient versés, après usage, aux archives de l’État d’Israël. La formulation est vague. Seule une liste, même incomplète, des documents importants, méritants d’être conservés, permet de mieux cerner les intentions du législateur. Sont considérés comme tels les protocoles des réunions ministérielles, les dossiers concernant le budget attribué à chaque service, les préparatifs et les résultats des congrès professionnels, les minutes et conclusions des différentes commissions, tous les autres protocoles, les notes et mémoires se rapportant aux activités sectorielles des cabinets ministériels, les dossiers des porte-parole des ministres, y compris les coupures de presse et les photographies, toutes les copies des lettres expédiées et les requêtes des députés, les dossiers du conseiller juridique exposant les propositions de loi, même secondaires, qui émanent tant des ministères eux-mêmes que d’un autre ministère4.

Mesures envisagées contre le détournement d’archives

4La loi insiste pour que les dossiers traités par un ministre en fin de fonction soient immédiatement classés, enregistrés et versés aux archives de l’État d’Israël. S’ils sont nécessaires au ministre le remplaçant, ils ne sont évidemment pas archivés ; ils sont néanmoins listés et inventoriés. La loi précise qu’un inventaire des dossiers courants doit toujours exister, afin de pouvoir vérifier qu’aucun d’eux n’a été emporté. Il est fréquent que les hauts fonctionnaires étudient des dossiers à leur domicile ou à l’extérieur, ce qui est toléré et admis par la loi. Cependant dès la cessation de leurs activités officielles, ils doivent les rapporter. Dans le cas contraire, ces documents étant la propriété exclusive de l’État et risquant éventuellement de compromettre sa sécurité, ils commettent un véritable délit et s’exposent à une peine d’un an de prison ferme. Un amendement de 1975 réaffirme ce principe : conserver des documents d’archives, sans en avoir obtenu préalablement l’accord formel de l’archiviste d’État, est un manquement à la loi. Une décision gouvernementale de 1984 ajoute que les films, cassettes audiovisuelles ou photographies qui ornent le bureau d’un ministre et qui présentent un lien direct ou indirect avec son travail, appartiennent à l’État. Ses fonctions terminées, il ne peut les récupérer. Cette décision gouvernementale réaffirme avec force l’obligation, incombant aux ministres et aux autres hauts-fonctionnaires, de rendre tout document encore en leur possession à la fin de leur mandat. Le directeur du cabinet ministériel est responsable de l’inventaire et du classement des dossiers. Il est tenu de s’assurer qu’aucun dossier n’est incomplet ; s’il remarque l’absence de documents, il doit en avertir le ministre et lui conseiller de les restituer. Au moment où ils prennent leurs fonctions, le secrétaire général du gouvernement prévient les ministres et leurs directeurs de cabinet de leurs obligations respectives concernant les archives. L’archiviste d’État, quant à lui, les leur rappelle quand ils quittent leur poste.

Attributions de l’archiviste d’État

5Le rôle de l’archiviste d’État ne se réduit pas à cette injonction. Il est chargé de surveiller les archives des grands corps de l’État et des autorités locales. Il doit s’efforcer de localiser les services administratifs qui créent des documents d’archives, et de publier à leur attention des directives qui portent généralement sur les soins à prodiguer aux documents avant leur archivage. Vérifier que les documents importants sont régulièrement inventoriés et déposés aux archives de l’État d’Israël entre aussi dans ses attributions. Il est amené à opérer de fréquents sondages dans les archives provisoires des administrations. L’archiviste d’État a la responsabilité d’entreposer les archives de l’État dans des conditions permettant à toutes les personnes intéressées, chercheurs ou enquêteurs, de les utiliser. À cet effet il est entouré d’une équipe de spécialistes et d’archivistes professionnels. Il revient à l’archiviste d’État de définir quels documents peuvent être détruits immédiatement après usage et ceux qui doivent être soumis à une conservation temporaire. Abandonnant partiellement cette dernière prérogative, il a confié aux services administratifs le soin de fixer quels papiers offraient un intérêt justifiant qu’on les conserve une période restreinte.

6Toujours d’après la loi, les documents des corps, institutions et organismes pré-étatiques sont à conserver et à déposer aux archives de l’État d’Israël. Toute organisation qui s’éteint sans laisser de successeur doit normalement léguer ses archives à l’État.

Les vides juridiques

7Cet arsenal juridique donne l’illusion rassurante que les archives de l’État d’Israël reflètent fidèlement l’action des institutions gouvernementales et administratives ; il laisse supposer qu’aucun document significatif ne peut lui échapper. Les archives, ainsi réglementées et encadrées, apparaissent comme un moyen relativement sûr et fiable d’accéder à la vérité historique. Les vides juridiques constituent une des failles de ce système. Bien qu’entités autonomes, les municipalités dépendent du ministère de l’Intérieur et la loi de 1955 sur les archives de l’État les concerne à divers titres. Comme le souligne Zohar Aloufi, directrice des archives de la ville de Haïfa, dans son intervention au Congrès mondial des études juives de 1994, la loi oublie de fixer les conditions dans lesquelles les archives municipales doivent être conservées, si bien que, d’une mairie à l’autre, les situations sont très variables et contradictoires : tantôt les archives sont traitées par un archiviste de profession, soigneusement classées et fichées, comme c’est par exemple le cas à Jérusalem ou à Tel-Aviv, tantôt elles moisissent dans une cave sans qu’aucune liste de leur contenu n’ait été rédigée. Elles se dégradent alors très rapidement, rongées par l’humidité, les insectes ou les souris, abîmées par le temps, et deviennent inutilisables. La loi incite par ailleurs les municipalités à acquérir les archives d’institutions privées qui ne relèvent pas de leur autorité, mais qui peuvent éclairer des aspects de leur vie communale. Cette politique d’acquisition est laissée à l’entière appréciation de celui qui s’occupe des archives municipales, dans la mesure où un tel responsable a été nommé.

Les entorses à la loi

8La loi n’est pas toujours non plus vécue comme une contrainte absolue ni entièrement respectée. En 1997, le contrôleur de l’État, Myriam Ben Porat, se pencha sur l’application effective de la loi sur les archives. Les résultats de son enquête, menée dans la plupart des ministères israéliens à l’exclusion du ministère des Affaires Etrangères, du ministère de la Défense, et de celui de l’Intégration, sont édifiants et surprenants, et laissent entrevoir à quel point parfois le fossé est grand entre la stricte application de la loi et la réalité. La conclusion de son rapport est très sévère :« les ministères n’ont pas versé aux archives de l’État d’Israël les documents crées pendant des dizaines d’années par les ministres, vice-ministres et directeurs de cabinet, et n’ont pas fait le nécessaire pour leur conservation. Une partie de ces documents a été incinérée contrairement aux directives de la loi, une autre partie est entreposée dans divers endroits et demeure difficilement localisable, la plupart ont disparu. L’archiviste d’État n’a pas pu faire un suivi adéquat des documents d’archives et n’a pas trouvé de moyens efficaces pour les collecter. À la suite de quoi de nombreux documents témoignant de l’action gouvernementale, des documents originaux ayant une importance indéniable pour la recherche historique sur Israël, ne sont plus entre les mains de l’État, ne sont plus ni soumis à sa surveillance ni conservés pour les générations futures. »5. Cette critique touche indistinctement tous les gouvernements qui se sont succédés depuis 1948, qu’ils soient de gauche, d’union nationale ou de droite. Cette situation est imputable tant à la négligence, au manque de personnel qualifié, qu’à la volonté manifeste de dissimuler.

Les négligences

9Le rapport du contrôleur de l’État regorge d’infractions plus ou moins graves. Les entorses à la loi les plus fréquentes sont l’absence de listes décrivant l’ensemble des dossiers en cours, l’archivage de dossiers classés dans des locaux provisoires, les quantités ridicules de documents versés aux archives de l’État d’Israël. Sur ce dernier point une comparaison est assez éclairante. Quand Ora Namir, ministre du Travail et des Affaires sociales, quitte son poste au début de l’année 1997, elle fait verser cent quarante-trois caisses de documents aux archives de l’État d’Israël, tandis que l’ensemble des archives de huit de ses prédécesseurs tient dans trente-quatre caisses de même dimension. La différence, trop importante pour passer inaperçue, suscite interrogations et doutes.

Subtilisation de documents

10La détention illégale d’archives par des particuliers est la première cause de leur disparition. Le problème est si aigu que, pour y parer, il parut nécessaire au législateur d’ajouter à la loi les deux amendements de 1975 et de 1984 évoqués ci-dessus. En 1995, devant la persistance du phénomène, l’archiviste d’État proposa au conseiller juridique du gouvernement d’étendre au Président de l’État, au Premier ministre, aux ministres, vice-ministres et directeurs de cabinet, et à tous les élus une mesure négociée peu avant avec les représentants de la fonction publique, et déjà appliquée aux autres hauts-fonctionnaires. Il s’agissait de leur faire signer une déclaration sur l’honneur les engageant à rendre, immédiatement après la cessation de leurs activités, les documents encore en leur possession. Etant donné l’existence de plusieurs amendements réprimant sévèrement ce délit, le conseiller juridique repoussa cette proposition, jugée superflue. Suite à ce refus, les autres hauts-fonctionnaires ne sont plus désormais contraints à signer un tel engagement.

11L’ampleur des disparitions de documents d’archives est particulièrement impressionnante au sein de deux ministères. En 1970, au lieu d’être transféré aux archives de l’État d’Israël, tout le matériel archivistique du ministère de l’Intérieur a été enfermé dans deux armoires. Avec obstination, l’archiviste d’État le réclama à plusieurs reprises. Il obtint finalement en 1989 une réponse déconcertante : ces archives ont mystérieusement disparu. Intrigué et incrédule, déterminé à récupérer ces précieux documents, il engagea une procédure judiciaire, qui déboucha sur une enquête policière, aussi minutieuse que vaine. Malgré la mobilisation de la police et des services de sécurité, ces archives demeurent jusqu’à ce jour introuvables. N’ayant pas été brûlées, la seule hypothèse plausible est qu’elles ont été subtilisées6. Les archives des ministres des Transports en poste de 1948 à 1981 se sont, elles aussi, complètement volatilisées. Les soupçons portent cette fois-ci clairement sur les ministres eux-mêmes qui, « ignorants que ces documents appartenaient à l’État, se les sont appropriés et ont omis de les rapporter »7. Aucun des ministres incriminés n’a été poursuivi ni mis en examen.

12Cette tendance à conserver des documents officiels se manifeste à tous les échelons de la vie politique et publique israélienne. Les autorités locales sont confrontées au même problème : une partie non négligeable de leurs archives, telles les correspondances, les actes de vente de terrains immobiliers, les contrats notariés en tout genre, et surtout les archives concernant les prémisses de leur fondation ou la période pré-étatique, est détenue par des particuliers, anciens conseillers municipaux ou personnes ayant contribué de façon significative au développement de la cité. Les municipalités éprouvent bien des difficultés à faire valoir leur droit sur ces documents que les individus considèrent, à tort, comme leur bien ou leur héritage familial. Quand des divergences politiques ou un conflit strictement personnel opposent la direction de la ville aux détenteurs des archives, les obstacles deviennent insurmontables. Il suffit parfois que le maire soit perçu comme étranger à la localité pour que le transfert des archives soit annulé. Bien souvent l’hostilité envers le maire en fonction est si profonde que ceux qui ont accaparé ces archives préfèrent les détruire ou les vendre aux plus offrants, plutôt que de les céder à la municipalité8. Les archivistes n’ont pratiquement aucun recours et, impuissants, ils ne peuvent que regretter cette perte définitive.

Destructions illégales d’archives

13L’incinération de documents classés est en désaccord complet avec les principes édictés par la loi. En 1994, la quasi-totalité des documents qui se trouvaient dans le coffre du ministère des Finances, et qui couvraient les années 1967 à 1986, a été brûlée, sans l’avis préalable de l’archiviste d’État, selon les seules indications de l’agent de la sécurité du ministère. Sont partis en fumée, alors qu’ils appartenaient à la catégorie des documents sensibles qui doivent être conservés indéfiniment : les conclusions des réunions tenues avec le ministère de la Défense, les dossiers concernant le Fond juif unifié mondial, les protocoles et agenda de travail du directeur de cabinet, les propositions de loi, les dossiers de subventions et aides particulières, les télégrammes, les protocoles des réunions ministérielles et autres. Dans ce même ministère, il est d’usage de brûler, après une brève période de seulement deux ans, les copies du courrier expédié par le ministre, alors que ces lettres sont censées être classées chronologiquement et versées régulièrement aux archives de l’État d’Israël.

14Il y a bien d’autres cas connus de destruction prématurée de documents d’archives. L’organisation Hanotéa, littéralement le planteur, menait une activité intense d’achat de terres dans la région de Natanya, au moment de la fondation de cette cité. Le but de cette organisation était de redistribuer les terres arables aux habitants de la ville afin qu’ils les labourent, les fertilisent et puissent vivre de leurs récoltes. Normalement, les archives de cette organisation qui a tant œuvré pour le développement de Natanya, et qui depuis a été dissoute, auraient du être versées aux archives municipales, au lieu de quoi elles ont été brûlées avec les archives d’une autre association Bnei Benyamin9. Regrettable erreur ou malveillance, rien ne permet de trancher. Les archives d’autres associations pré-étatiques ont vraisemblablement subi le même sort, laissant des pans entiers de l’histoire du Yichouv sombrer dans l’oubli.

15Dans les cas précédents, le doute subsiste, la négligence et l’ignorance des termes précis de la loi pouvant être alléguées ; dans l’exemple suivant, la volonté délibérée de détruire des documents compromettants est manifeste. Interviewé le 8 novembre 1998 par un journaliste de Galei Tsahal, la radio de l’armée, Rehavam Zeevi, député du parti d’extrême droite Molédet, ancien général, révèle qu’en 1953 il a brûlé, sur l’ordre pressant de Ben Gourion, tous les documents prouvant que l’armée israélienne était responsable de l’attaque du village jordanien de Kybia. Cette opération menée en représailles d’un attentat provoqua la mort de soixante-neuf civils, principalement des femmes et des enfants qui furent dynamités avec leur maison, ce qui indigna l’opinion internationale et poussa le Conseil de sécurité de l’ONU à condamner officiellement Israël. Devant la violence des protestations, le gouvernement israélien rejeta la responsabilité de ce massacre sur les habitants de la vallée du Jourdain qui étaient confrontés à un terrorisme frontalier incessant. Ben Gourion les accusa d’avoir commis un acte de vengeance privée et aveugle. Afin d’effacer toutes les traces de la culpabilité du gouvernement israélien, et pour accréditer cette thèse aux yeux des générations futures et des éventuelles commissions d’enquête, Ben Gourion exigea la destruction des ordres militaires qui conduisirent à cette action. Il pouvait ainsi tranquillement affirmer qu’aucune unité israélienne n’était sortie de sa base ce soir-là. Mais avant d’obtempérer à l’ordre de son Premier ministre, Rehavam Zeevi copia tous ces documents, qu’il conserva secrètement à titre privé.

Archivage défectueux

16L’archiviste d’État n’est pas non plus à l’abri des critiques : des irrégularités ont été relevées dans le rapport du contrôleur de l’État concernant son travail proprement dit. Les dossiers de plusieurs ministres n’ont pas été séparés et sont classés dans une même et unique pochette, ce qui complique singulièrement le travail des chercheurs. Des erreurs de datation se sont glissées dans l’archivage de nombreux documents, qui sont faussement attribués à tel ou tel ministre. Quand les agrafes ou les trombones n’ont pas été enlevés, quand les couvertures originales des dossiers n’ont pas été remplacées par celles requises par la loi, l’archiviste d’État n’est nullement tenu d’accepter ces pièces, qu’il peut refuser d’enregistrer et de classer aux archives de l’État d’Israël. Les documents, recalés pour vice de forme, doivent en principe regagner le service dont ils émanent, et y être déposés en attendant de recevoir les traitements appropriés. À deux reprises au moins, l’archiviste d’État a accepté d’entreposer dans ses réserves, sans les enregistrer, des documents non traités conformément à ses directives ; ils ont de ce fait officiellement disparu : aucune liste ne signale leur présence ni aux archives de l’État d’Israël ni aux archives provisoires des ministères dont ils sont issus. Leur localisation, quoique rendue très délicate, est encore possible.

17De ce point de vue, l’infraction suivante est plus lourde de conséquences : l’archiviste d’État a donné son accord verbal pour que les documents d’un ministre des Finances, dont l’identité n’est pas révélée, soient transférés aux archives de l’État d’Israël en tant qu’archives privées. Ils bénéficient, de ce fait, d’un statut diffèrent : les archives privées ne sont pas soumises aux mêmes règles d’ouverture, leur accès dépendant du bon vouloir du donateur ; elles ne sont pas promises à une conservation perpétuelle, et dans quelques années, elles seront irrémédiablement détruites. Contrairement à ce qu’exige la loi en de pareilles circonstances, aucun contrat entre les parties n’a été signé. Les raisons qui ont convaincu l’archiviste d’État de se contenter d’un arrangement tacite n’ont pas été élucidées10.

Fiabilité des documents entreposés aux archives

18Créer un fonds d’archives exhaustif et complet d’un organisme étatique, gouvernemental ou publique semble relever du défi ; à cet égard le cas israélien n’est sûrement pas exceptionnel. Il faut admettre que les archives sont immanquablement lacunaires, même en présence d’une loi régissant leur constitution et leur création. Le fait que des documents se trouvent classés aux archives n’est pas non plus forcément une garantie ni de leur authenticité ni de leur fiabilité absolue. Pour des raisons de bienséance, de politesse ou d’apaisement des tensions, le protocole d’une réunion houleuse peut ne pas retranscrire toutes les paroles échangées entre les intervenants. Plus d’un motif peut entraver la transcription correcte d’un débat : vivacité des propos, incompréhension ou étourderie du sténographe… il y a toujours plus ou moins une marge d’erreur incontournable.

Autocensure originelle dès la rédaction des documents

19Le problème devient plus épineux quand les documents destinés à être archivés sont sciemment travestis et trafiqués dès leur rédaction. Ce sont en quelque sorte les « vrais faux papiers » de l’histoire. Ben Gourion n’a cessé sa vie durant de consigner au jour le jour ses impressions, les conclusions de ses rencontres et entrevues. D’après plusieurs témoignages, il décrivait dans son journal les événements et les entretiens, au moment même où ils se déroulaient. Ses nombreux écrits et chroniques ont été déposés pour une partie aux archives de l’État d’Israël, pour une autre aux archives de l’armée, et le reste aux archives de l’Institut de recherches qui porte son nom, à Sdé Boqer11, dans le Négev. Ben Gourion était doué d’une conscience historique aiguë, il savait pertinemment que ces journaux intimes et carnets de bord seraient lus et décryptés par les chercheurs et historiens. Il n’a pas hésité à saisir la possibilité que lui offraient ces chroniques, non seulement d’écrire l’histoire, mais aussi d’influencer, par sa version des événements, l’historiographie. Longtemps ses divers carnets de bord, considérés comme source historique de première importance, ont effectivement servi de base à l’historiographie israélienne, jusqu’à ce que dans les années quatre-vingt les premières critiques s’élèvent et que des historiens, aussi renommés qu’Anita Shapira, émettent de sérieux doutes sur leur degré d’exactitude12.

20Il semble que Ben Gourion censurait ses écrits dans une mesure non négligeable. Les preuves abondent dans ce sens : les premier et deux janvier 1948 se tinrent d’importantes rencontres entre les hauts-fonctionnaires et les militaires chargés des problèmes arabes. Y assistèrent entre autres Moché Sharett, chef du département politique de l’Agence juive, futur ministre des Affaires étrangères de l’État d’Israël, Réouven Shiloah, futur chef du Mossad, Ezra Danin, Gad Meknes, spécialiste des affaires arabes et futur chef de cabinet du ministre des Minorités et évidemment Ben Gourion. Deux sources rapportent les détails de ces réunions qui traitaient des réactions des Arabes palestiniens à la situation conflictuelle qui se développait dans le pays, et des réponses que le Yichouv pouvait y apporter : le protocole sténographié fort de quatre-vingt-une pages, récemment ouvert à la recherche13, et les treize pages que Ben Gourion y consacra dans son journal. On relève des différences certes peu nombreuses mais très significatives entre les deux documents14. D’après le rapport sténographié Meknes ouvrit le débat par cette affirmation : « À mon avis, les Arabes n’étaient pas prêts. Quand le conflit a éclaté, la majorité de la population arabe ne voulait pas non plus en arriver là ». Ben Gourion dans son journal nota seulement que « les Arabes n’étaient pas prêts », et omit totalement la deuxième partie du discours de Meknes. En d’autres endroits Ben Gourion ajouta des éléments de phrase ou des détails qui n’apparaissent pas dans le rapport sténographié. Eliahou Sasson, un des participants, directeur de la branche arabe du département politique de l’Agence juive, accusa les Juifs d’avoir, par des provocations inutiles et superflues, déclenché des émeutes arabes. Il affirma cependant que « à Haïfa, la Haganah a su agir comme il le fallait, a puni les coupables (d’actes de provocation) et a dirigé correctement les opérations, si bien que la partie arabe de Haïfa est restée calme ». Ben Gourion retranscrit ce passage comme suit : « À Haïfa, la Haganah s’est bien conduite et a géré les affaires comme il le fallait, si bien que la ville fut pacifiée, du moins jusqu’à l’acte du Etzel ». Ben Gourion a rajouté de son propre chef « du moins jusqu’à l’acte du Etzel ». Il faisait allusion à l’attentat commis le 30 décembre 1947 par le groupe juif extrémiste Etzel, devant une station d’autobus, près des raffineries de pétrole de Haïfa, qui coûta la vie à six Arabes. En représailles à cet attentat, les ouvriers arabes des raffineries massacrèrent quarante de leurs collègues juifs. L’analyse, certes pertinente, que Ben Gourion prête à Sasson, (l’attentat du Etzel embrasa effectivement la ville de Haïfa), ne correspond pas à l’opinion exprimée par ce dernier au cours de la réunion. Cette précision, qui accable les adversaires politiques de Ben Gourion et déplore leurs initiatives militaires terroristes, a été probablement ajoutée à l’intention des générations futures.

21Le 18 août 1948 une rencontre réunit tous les généraux de l’armée, les hauts-fonctionnaires et principaux officiers responsables au sein du gouvernement des problèmes du Moyen-Orient et des Arabes, certains ministres dont Chetritt, responsable des minorités, et Ben Gourion en personne. L’ordre du jour de cette réunion était de déterminer les moyens d’empêcher le retour des réfugiés palestiniens. Lors de la discussion fut avancée l’idée de raser les villages arabes abandonnés et de moissonner les champs laissés en friche. Plusieurs des participants à cette réunion ont témoigné dans leurs journaux personnels qu’une telle proposition avait été envisagée comme moyen extrême de décourager les réfugiés de revenir. Ben Gourion, lui, n’y fit aucune allusion dans son carnet de bord15.

22Un dernier exemple des silences troublants de Ben Gourion : le 21 septembre 1948, Ezra Danin, nommé conseiller spécial du Moyen-Orient auprès du ministre des Affaires étrangères, suggéra à Ben Gourion de soutenir la création en Cisjordanie d’un État palestinien fantoche, au lieu de reconnaître l’autorité jordanienne sur la dite région. Ben Gourion s’y opposa violemment et rétorqua que« ça suffit avec les aventures et que les Arabes palestiniens n’ont plus qu’une chose à faire : fuir »16. Sur cette phrase Ben Gourion clôt l’entretien avec Danin. Il n’y a absolument aucune trace de cet échange de propos dans son journal. La proposition de Danin ne l’intéressant pas, Ben Gourion n’a pas jugé nécessaire de la rapporter. Il a pourtant bien enregistré que, ce jour-là, il a rencontré Danin et que ce dernier lui a rendu compte de ses discussions avec des Arabes de Tulkarem appartenant à l’opposition. Ben Gourion a souvent éliminé de ses écrits ce qui lui paraissait dégrader l’image de l’armée ou de l’État, ce qui pouvait nuire aux intérêts supérieurs de la nation ou simplement ce qui le dérangeait. Ses chroniques sont à manipuler avec beaucoup de précautions. La critique historique a démontré que ce ne sont pas les seuls documents de l’histoire du sionisme et de l’État d’Israël qui souffrent de telles déformations17.

Censure de documents déclasses

23La loi israélienne impose des restrictions quant à l’ouverture légale des archives, qui ressemblent à celles appliquées en France. Les dossiers sensibles, touchant à la sécurité de l’État, c’est-à-dire la quasi-totalité des archives militaires, ne sont accessibles qu’après un délai de cinquante ans, sauf dérogation spéciale, accordée avec parcimonie. Les archives des services de renseignement et d’espionnage sont encore plus protégées. Les autres documents administratifs et la correspondance des hommes ayant occupé une charge publique sont assujettis à un droit de réserve allant de vingt à trente ans. Les fonds privés légués aux archives d’État jouissent de conditions d’ouverture particulières, fixées par les donateurs. Dans ce cadre défini par la loi, les archivistes peuvent temporairement dissimuler au public une partie des documents dont ils ont la garde. À la fin des années 70 et au début des années 80, les journaux de Ben Gourion sont ouverts à la recherche. Mémoires d’un Premier ministre, ils étaient soumis à trente ans de réserve, et cette période dépassée, ils ont été déclassés et sont devenus consultables. Avant d’être livrés au public, un nombre relativement restreint de passages, essentiellement ceux qui dévoilaient l’identité de certains espions et de fonctionnaires soupçonnés de délit ou qui avaient trait aux achats secrets d’armes faits par l’intermédiaire d’un pays tiers, ont été cependant supprimés. Ces censures s’efforçaient de protéger les sources d’information et les relations étrangères de l’État d’Israël. À titre d’exemple, les archivistes ont jugé préférable d’effacer les phrases du 17 octobre 1948, qui évoquent les trente dollars que le gouvernement bulgare exigeait du mouvement sioniste pour chaque Juif autorisé à émigrer en Israël. Ils ont visiblement craint que ces révélations nuisent aux relations israélo-bulgares et gênent l’émigration des Juifs d’Europe de l’Est18. Le texte de Ben Gourion a parfois été amputé de quelques mots isolés, selon toute vraisemblance, des insultes ou des termes violents à l’encontre de personnes encore vivantes. En trois ou quatre endroits des phrases entières ont été enlevées. Généralement, tous les textes censurés dans ces années -là ont été restaurés par la suite dans leur intégralité ou ont été autorisés à la publication. Un décalage aussi exceptionnel qu’amusant a subsisté : le 16 novembre 1948, Ben Gourion a une discussion avec David Ernest Bergmann, chimiste renommé, chef des services scientifiques de l’armée et futur directeur de la Commission israélienne de l’énergie atomique. La chronique de la guerre de Ben Gourion a été rééditée dans une version incluant des extraits de cette entrevue, encore censurés aux archives Ben Gourion à Sdé Boqer19. Ce type de censure, temporaire et passagère, est habituellement compris et toléré par la communauté scientifique et les chercheurs. Il ne faut pourtant ni oublier son existence ni négliger ses effets.

24Certains chercheurs se plaignent en revanche de mesures abusives de censure pratiquées à leur encontre par les archivistes. Cela se produit principalement aux archives de l’armée, et se traduit par le tri préalable des documents transmis aux chercheurs. Au début des années 90, il était encore fréquent qu’un agent du Mossad vérifie que rien, dans les documents montrés aux chercheurs indépendants, ne venait entacher la théorie de la pureté des armes de l’armée israélienne 20. Aux dires de ces mêmes chercheurs, qui la dénoncent vivement, cette tendance s’est depuis infléchie vers plus de libéralité et d’ouverture, sans toutefois disparaître complètement : il existe toujours une différence de traitement entre ceux qui sont chargés par l’armée d’écrire son histoire, les officiers ou les protégés de membres influents de la hiérarchie militaire et de l’élite politique, et les chercheurs indépendants. Le contenu des dossiers mis à leur disposition n’est pas identique. Cette censure sélective, qui s’exerce à l’encontre d’une catégorie spécifique d’individus, ne se justifie pas, étant donné que les documents censurés ne mettent pas directement en péril la sécurité de l’État, mais salissent l’image de l’armée. La plupart des archives soumises à ces tris préalables ont trait aux massacres de civils arabes, sujet explosif, qui détruit, entièrement ou partiellement, le mythe, encore cher à l’armée, de la pureté des armes21.

Tentative de falsification des archives par les utilisateurs

25La lettre de Ben Gourion à son fils Amos datant du 5 octobre 1937 est, sans nul doute, l’exemple israélien le plus connu de falsification d’archives. Un large consensus se dessine autour de cette lettre : tous les spécialistes s’accordent aujourd’hui à dire qu’elle a été falsifiée entre le moment où elle a été écrite et la fin des années 70, alors qu’elle était déposée aux archives de l’État d’Israël. Le document original porte effectivement une biffure : une phrase et demie a été gribouillée à l’encre. Les éditeurs, chargés de la publication de la correspondance de Ben Gourion, se sont aperçus que cette rature avait été faite avec une encre différente de celle employée dans le reste de la lettre. Grâce à des techniques modernes, la maison d’édition a réussi à restaurer la version intégrale, en faisant réapparaître les mots cachés. Dans la version endommagée, Ben Gourion s’exprimait très clairement en faveur d’un transfert de population, conformément aux recommandations du rapport de la commission Peel de 1937, qui préconisait des échanges de population entre les États juif et arabe à venir. Ben Gourion écrivait à son fils : « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place… ». La version originale restaurée affirme exactement le contraire. En réalité, Ben Gourion a écrit : « Nous ne devons pas expulser les Arabes et prendre leur place… ». La négation ayant été supprimée, le sens de la phrase a été totalement corrompu, et de nombreux chercheurs israéliens, abusés, ne doutant pas de son authenticité, ont utilisé ce document dénaturé tel quel dans leurs travaux.

26Une violente polémique s’est engagée entre historiens israéliens et étrangers, particulièrement entre Benny Morris, Chabtaï Teveth et Efraïm Karsh, qui se rejettent, plus ou moins ouvertement, la responsabilité de cette falsification. Dans la mesure où les ouvrages rédigés en français, qui ont accordé une certaine publicité à cette querelle, sans accuser textuellement Benny Morris, laissent planer un doute sur sa rigueur et son honnêteté intellectuelle22, il n’est pas inutile de rappeler succinctement les faits, d’autant que leur restitution dans l’ordre chronologique suffit à le disculper entièrement. A priori un chercheur étant censé rapporter fidèlement les références qu’il utilise, il est d’usage que les historiens se servent des citations trouvées dans les ouvrages de leurs collègues, sans aucune vérification supplémentaire. Seule cette confiance excessive, commune à de nombreux scientifiques, peut éventuellement être reprochée à Benny Morris. En 1985, Chabtaï Teveth, biographe de Ben Gourion et chercheur au centre de Sdé Boqer, publia, en anglais, un livre sur Ben Gourion et les Arabes palestiniens. Dans cette version anglaise, Ben Gourion and The Palestinian Arabs, éditée aux presses universitaires d’Oxford, Chabtaï Teveth cite, page 189, la phrase tronquée de Ben Gourion, amputée de sa négation. En 1987, Benny Morris, historien et journaliste israélien, se fiant à la version anglaise du livre de Chabtaï Teveth23, utilisa inconsciemment les écrits falsifiés de Ben Gourion pour accréditer la thèse, selon laquelle, dans les années 30-40, Ben Gourion était favorable, dans son for intérieur, au transfert des Arabes. Benny Morris ne bâtit pas toute son argumentation sur cette seule phrase. En 1991, Benny Morris parvint à faire traduire en hébreu son ouvrage sur la création du problème des réfugiés palestiniens. Dans le laps de temps qui sépare la parution de ces deux ouvrages, il apprit que l’original de la lettre de Ben Gourion avait été trafiqué. Il rétablit donc scrupuleusement dans la version hébraïque de son livre la phrase telle que Ben Gourion l’a réellement rédigée. Cette rectification ne suffit pas à modifier son avis sur les idées transferristes qu’il lui attribue ; la phrase raturée n’était qu’un élément de sa démonstration que d’autres preuves plus déterminantes étayent et corroborent. Benny Morris rédigea, en 1996, un article pour la revue israélienne Alpaïm, dans lequel il évoqua cette manipulation de document, et reprocha à Chabtaï Teveth d’avoir diffusé, en anglais et dans le monde entier, la phrase estropiée de Ben Gourion, alors qu’il avait visiblement eu connaissance de la version originale24. En effet, Chabtaï Teveth publia également en hébreu son livre sur Ben Gourion et les Arabes palestiniens aux éditions Shoken en 1985, l’année même où paraissait la version anglaise de cet ouvrage, et il cite intégralement, page 314, cette fameuse lettre de Ben Gourion, sans les ratures. Benny Morris ne poussa pas la critique au point d’accuser Chabtaï Teveth de malversation. Induit peut être en erreur par les apparences, la version erronée du texte de Ben Gourion appuyant les thèses très contestées de Benny Morris, Efraïm Karsh, historien d’origine israélienne, enseignant à Londres, n’hésita pas à insinuer, en dépit des évidences, que Benny Morris était l’auteur de cette falsification25. L’identité du véritable faussaire est loin d’être connue, mais les insinuations lancées de part et d’autre empoisonnent le débat universitaire. L’éventualité qu’une telle corruption d’archives se reproduise ne peut être définitivement écartée. Bien qu’infime, le risque persiste.

27
Toutes ces carences décelées dans la formation et la conservation des archives, toutes ces déformations subies par les documents ne doivent pas conduire à rejeter les archives et les sources écrites, mais doivent inciter à plus de précaution, d’esprit critique et d’humilité. Les méthodes de la critique historique sont à affûter et à appliquer avec plus de rigueur. Il est prudent de multiplier les sources d’archives et de les comparer systématiquement. Malgré les réticences concernant la mémoire, compléter les sources écrites par des témoignages oraux s’avère souvent très fructueux. Les archives privées renferment un riche potentiel d’informations qu’il faut s’efforcer d’exploiter davantage. En histoire, rien n’est jamais acquis, et les narrations reconstruites du passé sont amenées à évoluer, elles ne sont pas définitivement établies. Cette affirmation ne légitime pas pour autant les positions post-modernistes : un historien, bien que conscient de l’imperfection de son travail, des diverses influences qui s’exercent sur sa manière de penser et d’écrire et des lacunes de ses sources, doit tendre à l’objectivité et tout tenter pour reconstituer, le plus fidèlement possible, une réalité complexe enfuie. Le passé n’est pas une illusion et les documents d’archives ne se réduisent pas à de simples interprétations orientées des événements. Les falsifications et les disparitions d’archives, les erreurs, les censures, les omissions, les silences ou les rajouts que l’on y découvre, en révèlent autant sur les auteurs des documents ou sur la société que des témoignages lisses et sans failles du passé.

Haut de page

Notes

1 Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, éditions du Seuil, Paris, 1990, p. 12
2 Cf. entre autres la création des archives orales de l’Institut du Judaïsme contemporain de l’Université hébraïque fin des années quatre-vingt et la division d’histoire orale de l’Institut Léonard Davis de relations internationales de l’Université hébraïque qui compile les archives orales de politique étrangère et de défense de l’État d’Israël en interrogeant et enregistrant des politiciens israéliens.
3 Citation extraite des discussions de la Commission supérieure des archives, tenues aux archives de l’État d’Israël en septembre 1993. Référence relevée dans un article en hébreu de Lazovik Yaakov, Les archives de Yad Vachem, Mahanaïm 9, 1995, p. 268.
4 Cf. descriptif de la loi in Myriam Ben Porat, Rapport annuel du contrôleur de l’État, numéro 48, 1998, pp. 87-89, en hébreu.
5 Ibidem, p. 100.
6 Ibidem, p. 97.
7 Ibidem, p. 99.
8 Cf. Zohar Aloufi, La place des archives privées dans les archives des autorités locales en Israël, Kami 11, volume 2, 1994, p. 379, en hébreu.
9 Exemple extrait de l’intervention de Zohar Aloufi au congrès mondial des études juives de 1994.
10 Myriam Ben Porat, Rapport annuel du contrôleur de l’État, numéro 48, Jérusalem, 1998, p. 92, en hébreu.
11 Ces archives dépendent statutairement des archives de l’État d’Israël.
12 Anita Shapira, De la démission des chefs du commandement national au démantèlement du Palmach, la lutte pour la direction du système de défense 1948, Hakibboutz Haméouchad, Tel Aviv, 1985, p. 23, en hébreu. Cf. aussi la réponse d’Elhanan Oren, Chroniques de la guerre de Ben Gourion comme source historique de la guerre d’indépendance, Cathédra 43, mars 1987, pp. 92-173, en hébreu, et les articles de Chalom Zaki, Les journaux de Ben Gourion comme source historique, Cathédra 56, juin 1990, pp. 136-149, en hébreu et de Benny Morris, Regard nouveau sur des documents fondamentaux du sionisme, Alpaïm 12, 1996, pp. 73-103, en hébreu.
13  Ce rapport sténographié fournit encore un exemple de détournement d’archives au profit d’un particulier. Il appartenait à la collection des papiers personnels de Israel Galili, qui ont été déposés, à sa mort, aux archives du mouvement des kibboutzim unifiés. Étant donné sa nature et les directives de la loi de 1955 sur les archives, il aurait dû être versé aux archives de l’État d’Israël.
14 Benny Morris, Regard nouveau sur des documents fondamentaux du sionisme, Alpaïm 12, 1996, pp. 91-92, en hébreu.
15 Exemple rapporté par Benny Morris lors de l’émission « Questions personnelles » de Yaacov Agmon sur Galei Tsahal, la radio de l’armée, en 1996.
16 Ibidem, p. 93.
17 Ibidem, pp. 73-103. Benny Morris analyse les protocoles du Congrès sioniste mondial de 1937, les journaux de Yossef Weitz et de Yossef Nachmani, responsable du KKL en Galilée orientale de 1935 à 1965, officier de la Haganah en Galilée, membre du Conseil de la ville de Tibériade de 1927 à 1950, les protocoles de la réunion politique du parti Mapam du 11 novembre 1948 durant laquelle les sténographes avaient été prévenus de ne pas retranscrire certains débats.
18 Ibidem, p. 90.
19 Pour de plus amples détails consulter l’article de Benny Morris, Regard nouveau sur des documents fondamentaux du sionisme, Alpaïm 12, 1996, pp. 89-90.
20 Cf. les critiques répétées de Benny Morris à cet égard et spécialement la préface de son livre, Israel’s border War, 1949-1956: Arab Infiltration, Israeli Retalation and the Countdown to the Suez War, Oxford, Clarendon Press, 1993.
21 Benny Morris, Les guerres frontalières d’Israël 1948-1956, Am Oved, Tel Aviv, 1996, p. 9, en hébreu. Sur l’adoucissement et la libéralisation de la censure militaire lire aussi la préface de Ian Black et Benny Morris, Israel’s Secret Wars, A History of Israel’s Intelligence Services, Hamilton, New-York et Londres, 1991.
22 Cf. en particulier le récit qu’en offre Ilan Greilsammer dans La nouvelle histoire d’Israël, essai sur une identité nationale, Paris, Gallimard, 1998, pp. 200-206.
23 Benny Morris, The Birth of The Palestinian Refugee Problem, 1947-1949, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 25. La référence de cette citation est renvoyée à la fin de l’ouvrage, p. 304, note 30. Il ressort très clairement de cette note que Benny Morris n’a pas utilisé l’original archivé de la lettre de Ben Gourion, mais uniquement la citation qu’en fait Chabtaï Teveth dans Ben Gourion and the Palestinian Arabs, Oxford, 1985, p. 189.
24 Benny Morris, Regard nouveau sur des documents fondamentaux du sionisme, Alpaïm 12, 1996, pp. 76-77.
25 Efraïm Karsh, Fabricating Israeli History: The New Historians, Londres, Franck Cass, 1997.
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Véronique Meimoun, « Création et manipulations des archives »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 4 | 1999, 25-41.

Référence électronique

Véronique Meimoun, « Création et manipulations des archives »Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 4 | 1999, mis en ligne le 02 juin 2008, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/3522

Haut de page

Auteur

Véronique Meimoun

CRFJ

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search