Compte rendu de la XXVe conférence de la Société internationale de sociologie des religions
Texte intégral
1C’est sur le campus de l’Université Catholique (Katholieke Universiteit) de Louvain en Belgique que s’est tenue la XXVe conférence de la Société Internationale de Sociologie des Religions (SISR) à l’occasion du 50e anniversaire de la société. Le thème retenu pour ce colloque était le voyage. Voyage dans le temps, voyage dans l’espace, voyages religieux et voyages initiatiques, pèlerinages et messianismes, parcours mystiques et itinéraires de foi, autant de métaphores qui ont trait au religieux. Ces sujets ont fait l’objet de séances plénières, qui se sont déroulées tous les matins, dans l’amphithéâtre du Collège Marie-Thérèse au cœur de la vieille ville. De plus, des sessions thématiques ont traité de ces questions, où reçoivent une attention toute particulière les études sur les pèlerinages (notamment à l’aube du troisième millénaire), les pentecôtismes (surtout en Afrique et en Amérique du sud) et les religions syncrétiques (en situation de migration en particulier), les voyages dans l’au-delà et les rapports entre religion, laïcité et État. Mais cette conférence a aussi mis l’accent sur les voyages interdisciplinaires en étendant ses frontières à l’anthropologie, l’histoire et la psychologie. Outre des théologiens, la conférence a regroupé des chercheurs de différentes disciplines qui étudient de près ou de loin les phénomènes religieux. Enfin, les voyages géographiques se reflètent dans le caractère véritablement international du programme où plus de quarante pays sont représentés, la France venant en tête. En effet, un contingent important de chercheurs et d’étudiants du Centre d’Études Interdisciplinaires des Faits Religieux participaient au colloque (parmi lesquels D. Hervieu-Léger, R. Azria, F. Champion, M. Cohen).
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Lundi 26 juillet, la séance d’ouverture débute, après les allocutions de bienvenue, par la communication de la session inaugurale, donnée par Franco Ferrarotti (Universita degli Studi di Roma) : « Voyage as Metaphor ». Il propose de comparer les pèlerins du Moyen Âge et les voyageurs d’aujourd’hui qui les uns et les autres cherchent satisfaction dans le voyage, les premiers pour atteindre le bonheur éternel, les seconds pour assouvir leur soif d’exotisme. Mais ce qui différencie sans doute ces deux modes du voyage concerne le retour. Chez les touristes modernes, voyager pour voyager n’apporte pas la paix intérieure mais devient plutôt le malaise du siècle. La seconde communication, « L’islam et la fin du voyage : comment l’autre est devenu Occident » de Tahar Labib (Université de Tunis) est lue par Jean-Paul Willaime. Ce texte, qui souligne la centralité du voyage et du déplacement dans l’islam, montre comment l’image de l’Occident s’y transforme. Dans un premier temps, l’univers musulman à son apogée (IXe siècle) constitue un espace de brassages, de pèlerinages, d’itinéraires culturels, d’expansion de l’islam. Dans ces voyages, l’autre lointain (l’Occident) est dépeint comme un semblable. Mais dans un deuxième temps, le monde musulman connaît une période de désintégration politique, de régression culturelle et de repli sur soi. L’Occident devient alors une altérité absolue et inverse le voyage vers une poursuite de soi.
3Après cette séance d’inauguration, tous les conférenciers sont conviés à une réception à l’Hôtel de ville pour une dégustation de bières belges. Louvain est après-tout le quartier général d’Interbrew et le lieu de la création de la Stella Artois et quoi de plus convivial pour débuter ce colloque que de trinquer à cette boisson nationale ?
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Le mardi 27 juillet s'ouvre avec la première séance plénière intitulée : « Larguer les amarres : genèse de la quête ? ». Ana Maria Diaz-Stevens (Union Theological Seminary) commence sur le sujet: « From Material Interests to Spiritual Quest: The Latino-Hispanic Paradox ». Son propos est de montrer comment la population hispanophone aux États-Unis, qui constituera environ 15 % de la population américaine d’ici 2020 (soit 47 millions) et 25 % (soit 95 millions) d’ici 2050, représente un groupe linguistique et culturel en cours d’identification. Elle examine en particulier le rôle de la religion dans les processus de formation identitaire et parle même d’une « résurgence religieuse Latino ». Les expressions de religiosité populaire permettent aux hispanophones des États-Unis de se penser comme Latinos mais aussi comme chrétiens. Les services sociaux et éducatifs qui se développent autour des églises procurent un sentiment d’appartenance à une communauté de foi où la persistance de la langue espagnole dans la liturgie et les messes ne fait qu’accentuer les constructions d’une identité latino, distincte de l’environnement euro-américain. La seconde communication, donnée par Nabutaka Inoue (Kokugakuin University) s’intitule « From religious confomity to innovation ». Elle traite des nouveaux mouvements religieux au Japon en examinant trois formes de « voyages » : le voyage intérieur dans le monde de l’esprit, l’espace extra-terrestre comme espace sacré et l’espace virtuel de l’internet. Si la signification religieuse des planètes, du système solaire et des forces cosmiques tient une place fondamentale dans certaines nouvelles religions japonaises, c’est surtout l’internet qui a permis leur développement ces dernières années. La création de temples virtuels, les pèlerinages sur des sites « sacrés » de la toile électronique (web) et l’accomplissement par ordinateur des rites rendus aux ancêtres montrent comment les nouvelles technologies donnent lieu à des expériences religieuses virtuelles qui pourraient bien finir par se substituer aux expressions traditionnelles de la religion. Le rapporteur de cette séance, Roberto Cipriani (Università di Roma) souligne l’aspect descriptif des deux communications au détriment d’une problématisation plus scientifique, reprochant à la première d’avoir une approche trop idéologique et à la deuxième de donner simplement une typologie des nouveaux mouvements religieux au Japon. Il rappelle enfin que les nouvelles manières de se rapporter au sacré doivent de même être étudiées au sein des religions monothéistes traditionnelles, qui, elles aussi, font appel aux nouvelles technologies.
5La matinée se termine avec des groupes linguistiques, c’est-à-dire des sessions de rencontres informelles entre participants provenant d’un même pays ou d’une même aire linguistique. L’après-midi est consacrée à des sessions thématiques en parallèle qui traitent de sujets aussi variés que : la laïcité ; mort et religion ; religion et genre (gender) ; religion et immigration ; la sociologie des religions au Vietnam ; voyage, religion et alentours ; les paradigmes dans l’étude de la religion ; religion, état et politique ; religion et école ; cosmologie et religion en Amérique du Sud.
6Le soir, le Centre Catholique de Documentation et de Recherche (KADOC) a accueilli dans ses locaux les participants de la conférence pour la présentation d’un livre intitulé Sociologie et Religions, des relations ambiguës, sous la direction de Liliane Voyé et Jaak Billiet (publié par le KADOC et les Presses Universitaires de Louvain). De nombreuses contributions proviennent des membres de la SISR et traitent des relations souvent tourmentées entre les différentes religions (monothéistes ou non) et la sociologie. La question « qu’est ce que le religieux ? » incite à repenser les théories et les méthodes qui, adéquates pour décrire les expressions religieuses du siècle dernier, ne le sont plus pour l’étude des phénomènes religieux en cette fin du XXe siècle. L’ouvrage regroupe des réflexions sur le catholicisme ((E. Gérard et K. Wils ; J. Rémy), le protestantisme (R. Campiche), le judaïsme (R. Azria), l’islam (C. Hamès), les religions orientales (S. Shimazono), les sectes (B. Wilson) et les nouveaux mouvements religieux (E. Barker) et leurs rapports avec le champ de la sociologie. Cette soirée est aussi l’occasion d’inaugurer l’exposition intitulée « Les catholiques et la sociologie, 50 ans de SISR ». Il semblait tout naturel que ce soit le KADOC, un centre interdisciplinaire au service de l’étude de la vie catholique en Flandre / Belgique où sont déposées les archives de la Société Internationale de Sociologie des Religions, qui présente cette exposition retraçant l’histoire de la SISR depuis sa création à Louvain en 1948.
7Une excursion à Gand (Ghent) est organisée le mercredi après-midi, au béguinage de Gand. Les béguinages flamands sont d’anciennes résidences de « béguines », des femmes veuves ou célibataires qui, pour un temps variable, vivaient dans des communautés religieuses, tout en ayant leurs propres maisons. Ce mode de vie permettait à ces femmes de mener une vie indépendante sans entrer dans les ordres religieux qui exigeaient un engagement de perpétuité et de pauvreté. Ces communautés autogérées pouvaient ainsi allier spiritualité et solidarité. Dans presque chaque ville flamande on trouvait un béguinage qui regroupait à l’intérieur d’une enceinte les maisons des béguines, formant ainsi de petits quartiers. L’intérêt de ces béguinages est lié à leurs caractéristiques architecturales et urbanistiques mais c’est sans aucun doute la signification de ce phénomène religieux issu du courant mystique médiéval qui a intéressé au plus près nos collègues, chercheurs en sociologie des religions...
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Le jeudi 29 juillet a lieu la deuxième séance plénière intitulée « Contraintes et échappatoires : les régulations de la quête religieuse ». Le premier conférencier, Tariq Modood (University of Bristol) nous parle de « The Place of Muslims in British Secular Multiculturalism ». T. Modood retrace l’émergence d’une identité musulmane britannique aux côtés d’autres expressions d’identités minoritaires. Il observe toutefois que les « politiques d’identité » (identity politics) prônées par les Noirs ou les autres minorités ethno-raciales ne fonctionnent pas de la même manière pour les musulmans dans le système britannique où religion et État doivent rester séparés. En effet, l’inacceptabilité d’une identité « musulmane » aux yeux des multiculturalistes provient, outre les visions de l’islam sur la division sexuelle et la liberté d’expression, du fait qu’il s’agit d’une identité d’abord religieuse, en porte-à-faux avec le pouvoir hégémonique de la laïcité dans la culture politique britannique. Ainsi, même si la Grande-Bretagne prône un pluralisme religieux et ethnique, l’identité musulmane est perçue comme l’enfant illégitime du multiculturalisme britannique. C’est ensuite au tour de Maria das Dores Campos Machado (Universidade Federal Rural do Rio de Janeiro) de nous parler de « Religions and Societies: a Latin American Puzzle ». Elle fait état de la transnationalisation des religions en Amérique Latine et de leur impact sur la culture de cette région. En identifiant les facteurs socio-économiques qui contribuent à la pluralisation religieuse, elle montre notamment comment le pentecôtisme gagne du terrain parmi les pauvres, les femmes et les Noirs, et leur offre des stratégies de survie dans des conditions de paupérisation, d’exclusion et de marginalité. Elle examine enfin comment ces processus interagissent et montre que si les traditions religieuses indigènes et les pratiques néolibérales dans des états à fortes inégalités sociales favorisent ces passages à travers les frontières, la diversité de ces religions dans chaque contexte n'est pas à négliger. Le rapporteur pour cette séance, Albert Bastenier (Université Catholique de Louvain), remarque qu’on retrouve chez l’un comme chez l’autre intervenant l’argumentation de la détermination socio-économique dans la quête religieuse, que ce soit comme échappatoire à une situation d’exclusion sociale ou pour réaffirmer son identité en milieu migratoire. Par contre l’approche est différente dans les deux communications : le premier texte examine, par une analyse sociologique, une nouvelle modalité de l’intervention culturelle et symbolique dans l’espace public – en montrant le paradoxe d’une identité religieuse publique dans une Grande-Bretagne qui prône un multiculturalisme laïc. Le second texte développe une approche socio-économique mais semble donner trop d’importance à l’économique au détriment des facteurs symboliques ou spirituels qui jouent aussi un rôle dans les phénomènes de conversion religieuse en Amérique latine.
9La matinée se termine avec la seconde partie des groupes linguistiques. Les communications se poursuivent dans l’après-midi dans des sessions thématiques parallèles qui abordent des sujets tels que : les résultats de l’enquête ISSP ; les histoires de vie comme voyages religieux ; l’islam en Occident ; les pèlerinages ; Église catholique et production du lien social ; religions dans les pays post-communistes ; la redéfinition des frontières religieuses en Amérique latine. Une session est aussi consacrée à la présentation de deux films. Le premier « Seven Lightenings Over California – Don Daniel, a Palero in Los Angeles », réalisé par Erwan Dianteill (CEPT/EHESS) et Gérard Pigeon (University of California) présente la pratique d’une religion afro-cubaine (le palo monte) transplantée sur la côte ouest des États-Unis à travers l’histoire du dirigeant d’un temple. Le second film, « Sur le chemin de la Terre promise » est projeté en présence du réalisateur, Daniel Friedmann (CNRS, CETSAP). Ce documentaire, tourné en 1990 à Addis Abéba peu avant le pont aérien qui transporta les juifs d’Ethiopie vers Israël, porte sur les problèmes de sélection par les autorités israéliennes des candidats à l’émigration ainsi que sur les conditions de vie très précaires de ces « réfugiés urbains » attendant le départ...
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Le dernier jour, vendredi 30 juillet, poursuit ce thème de la Terre promise puisque la troisième séance plénière s’intitule : « Terres rêvées, rêves brisés ». La première communication est donnée par Gary Gerstle (University of Maryland) : « American Freedom, American Coercion: Immigrant Journey to the Promised Land ». L’auteur se penche sur le mythe des États-Unis comme une Terre promise pour les millions d’immigrants qui s’y sont installés. Une interprétation de ce mythe considère l’Amérique comme terre de discrimination et d’exclusion pour ceux dont la race, la religion ou l’opinion politique était suspecte. Le mythe d’une Terre promise sur le modèle de l’Ancien Testament exigeait aussi l’expulsion des populations indigènes et la discipline des membres récalcitrants de la communauté « élue ». Ces versions du mythe offrent un cadre plus large pour l’étude des immigrants aux États-Unis. Le second intervenant, André Mary (CNRS), fait une communication sur « Voyage visionnaire et errance prophétique : du nomadisme à la fondation ». Mary se propose de comparer ici trois types de relation au voyage : le voyage initiatique du Bwiti des Fang du Gabon, le nomadisme des prophètes harristes de Côte d’Ivoire et le pèlerinage des fidèles d’une église prophétique africaine à la cité sainte d’Imeko au Nigeria. Le voyage des initiés, le nomadisme du prophète et le pèlerinage des fidèles peuvent se lire comme un cycle où s’enchaînent trois formes de l’expérience religieuse du voyage qui lient les promesses de l’aller à la réussite du retour. En tant que rapporteur de cette session, nous avons apporté un troisième exemple à ces itinéraires vers des terres promises, celui des juifs d’Éthiopie vers Israël. La première intervention, de nature historique, nous montre comment le mythe des États-Unis est construit sur le modèle biblique où l’entrée du peuple « élu » dans cette Terre promise se réalise au détriment des populations indigènes et des exclus du « rêve américain ». Dans la seconde communication, avec une approche anthropologique, l’auteur examine trois formes de voyage vers des ailleurs mythiques où, dans certains cas, l’échec donne sens au voyage, comme celui des prophètes qui « rentrent dans leur pays » et dont les tombes deviennent des lieux de pèlerinage qui font perdurer le mythe. Mais les deux interventions soulèvent une même interrogation : quelles sont les nouvelles formes que prend le mythe quand la Terre promise est atteinte ?
11La matinée se poursuit avec un forum des jeunes chercheurs, une session de communications libres, un groupe de travail sur « éthique et religion », des sessions thématiques sur « religion et démocratie » et « imaginaires politique et pentecôtisme » et une séance intitulée « auteur face à la critique » qui présentait le dernier ouvrage de F. Champion et M. Cohen, Sectes et démocratie.
12Ces sessions continuent l’après-midi sur les thèmes suivants : l’expansion des religions afro-américaines dans les Amériques et dans le monde ; sociologie et Bible ; analyse comparative des religions ; gestion publique du pluralisme religieux ; mutations religieuses dans l’espace francophone ; controverses sur le lavage de cerveau et les nouveaux mouvements religieux. Une seconde séance « auteur face à la critique » présentait le dernier ouvrage de D. Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement.
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Malgré un programme chargé mais bien équilibré, ce colloque a enrichi le domaine de la sociologie des religions en y apportant de nouvelles perspectives sur les faits religieux contemporains et sur les méthodes et les théories d’étude de ces formes de religiosité actuelles. L’importante présence de chercheurs d’Amérique du Sud, des pays de l’Est et du Japon en particulier a contribué à élargir ces réflexions à des terrains de recherche qui restent encore à la périphérie des principaux travaux sur les religions en Europe de l’Ouest. Cependant, il est regrettable que les religions monothéistes juive et musulmane ainsi que les religions non-occidentales (africaines, bouddhistes, etc.) n’aient guère été représentées dans l’éventail des interventions. Ainsi, aucune communication n’a traité du judaïsme à l’exception de celle concernant les Juifs hongrois et seule une conférencière d’origine iranienne a parlé de la situation de l’État et de la religion dans son pays. De même peu de travaux ont concerné les religions africaines indigènes si ce n’est en rapport avec les nouvelles formes de religiosité en Afrique, à commencer par le pentecôtisme. La majorité des études portaient donc sur le christianisme, en Europe principalement et sur les problèmes actuels que rencontre cette religion dans la société contemporaine. Les tendances de la recherche dans ce colloque démontrent qu’au seuil du XXIe siècle, la sociologie des religions ne s’ouvre encore que difficilement à la mondialisation et à la globalisation, même si le voyage en était le thème principal.
Pour citer cet article
Référence papier
Lisa Anteby, « Compte rendu de la XXVe conférence de la Société internationale de sociologie des religions », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 5 | 1999, 39-45.
Référence électronique
Lisa Anteby, « Compte rendu de la XXVe conférence de la Société internationale de sociologie des religions », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 5 | 1999, mis en ligne le 27 mai 2008, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcrfj/3172
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