Iyas Hassan (dir.), La littérature aux marges du ʾadab. Regards croisés sur la prose arabe classique
Iyas Hassan (dir.), La littérature aux marges du ʾadab. Regards croisés sur la prose arabe classique, Marseille-Beyrouth, Diacritiques Éditions-Presses de l’Ifpo (PIFD, 814), 2017, 364 p. ISBN : 9783519728
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- 1 Colloque « Aux sources de la tradition narrative arabe. Les frontières du littéraire et le rôle de (...)
- 2 Colloque « Parcours d’hommes, portrait d’une littérature : le récit de vie et ses fonctions dans l (...)
1La littérature aux marges du ʾadab s’ouvre sur le constat d’une dichotomie profondément établie entre les études arabes et les études islamologiques, à tel point que, « vers la fin du xxe siècle, il n’était plus possible, dans une démarche respectueuse des usages académiques dans ce domaine, d’aborder la Sīra d’Ibn Hishām et les récits du Livre des avares d’al-Jāḥiẓ, avec les mêmes outils ni dans une même perspective » (p. 11). Sous la direction d’Iyas Hassan, cet ouvrage collectif a pour objectif de questionner la séparation épistémologique entre les études arabes et islamologiques et de proposer une approche transdisciplinaire pour la dépasser. C’est plus largement l’ambition des travaux d’Iyas Hassan et, notamment, des réflexions menées dans le cadre du programme qu’il a porté, entre 2014 et 2017, à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo). Intitulé Genèse et évolution du récit littéraire arabe. Nouvelles perspectives. Guerres, cultures et sociétés au Proche-Orient médiéval (969-1517) (GenèR), ce programme a cherché à interroger les frontières disciplinaires établies entre les études arabes et islamologiques. La littérature aux marges du ʾadab constitue l’un des résultats de plusieurs années de travail dans le cadre de GenèR. Il réunit neuf contributions, dont sept ont été présentées lors d’un colloque organisé en 2015 à Beyrouth, au Liban, en collaboration avec l’Université Saint-Joseph1. L’événement a permis de mettre en dialogue des chercheurs issus de disciplines différentes. Un deuxième colloque a eu lieu en 2017 à Hammamet en Tunisie2 et l’on ne peut qu’espérer que ses résultats seront également prochainement publiés.
2L’ouvrage s’articule autour d’une proposition centrale : celle d’une nouvelle approche des études littéraires au croisement de l’histoire de la littérature arabe et des études islamiques. En d’autres termes, il s’agit de repenser l’écart entre entre ʿilm et ʾadab. Dans un souci de créer des ponts entre les différentes sphères de l’écriture arabe classique, l’ouvrage fait émerger des champs encore peu envisagés par la recherche en littérature. Ainsi rassemblées, les contributions constituent un corpus inédit d’une vingtaine de textes de natures, de genres et d’origines intellectuelles diverses. Produits entre le viiie et le xe siècles (iie-ive) depuis le Maghreb et le Machrek, ils appartiennent d’une part aux écrits d’adab et d’autre part aux écrits dits « traditionnels » et relevant conventionnellement des domaines de compétence des islamologues. La variété des textes qui composent le corpus de cette étude collective s’étend du hadith canonique, au hadith apocryphe (mawḍūʿāt) et judaïca (isrāʾiliyyāt), aux récits eschatologiques, à la tradition ascétique, au Coran et à l’exégèse coranique chiite et sunnite, à la gnose chiite puis à l’exégèse poétique et enfin à l’historiographie orientale et maghrébine.
3L’approche, rare ou encore inédite, commune aux contributions, consiste à présenter la dimension littéraire des narrations religieuses de l’islam médiéval. Cela contribue à la mise en valeur du rôle de ces textes dans les mécanismes d’élaboration et d’évolution de la prose narrative arabe classique.
4Dans son introduction intitulée « La littérature arabe ancienne et son corpus », Iyas Hassan présente les enjeux de la transdisciplinarité et son intérêt pour une meilleure compréhension des sources narratives classiques en arabe. Il retrace l’histoire de la dichotomie dont il fait le constat et de son installation jusque dans les études arabes et islamiques. Il avance et défend l’idée qu’elle est notamment le produit d’une certaine conception islamique. L’auteur montre l’étendue de cette dichotomie au point qu’elle se retrouve dans l’enseignement de la littérature arabe classique en France et dans les départements littéraires des universités arabes où la littérature arabe classique est présentée selon la séparation prose et poésie. C’est donc dans une démarche résolument globale, épistémologique et didactique, que l’ouvrage s’inscrit.
5Alors que l’auteur rappelle que les études islamologiques ont connu un renouvellement méthodologique par l’utilisation d’outils traditionnellement réservés à l’approche littéraire, les pratiques disciplinaires n’ont néanmoins pas connu de modification notable. Ainsi, le phénomène de renouvellement n’a abouti à aucune utilisation nouvelle des outils de l’analyse littéraire pour les mettre au service de la compréhension de faits historiques ou des conditions de production des corpus étudiés. Ces changements de paradigme ont cependant eu le mérite de révéler les caractéristiques esthétiques d’œuvres non littéraires. D’un autre côté, certaines études littéraires arabes ont emprunté à l’islamologie.
6Dans la lignée de ces changements et avec la volonté d’aller plus loin, les contributions se répartissent autour de différentes thématiques. Quatre d’entre elles (proposées par Jaafar Ben El Haj Soulami, Mohamed Hamza, Ahyaf Sinno, Mohamed Zarrouk) abordent les procédés d’écriture et les œuvres qui participent à la construction d’un imaginaire religieux dans les sources arabes classiques. Des outils issus de certains courants de l’analyse littéraire, de la mythologie et de la narratologie, sont mis au profit de la compréhension de ces sources classiques. En mettant en valeur leur dimension créative et littéraire, elles font émerger les continuités – l’élaboration d’un imaginaire commun – et les ruptures entre les écrits d’ʾadab et ceux qui s’inscrivent dans d’autres domaines de l’écriture arabe médiévale. Une autre contribution (Iyas Hassan) se propose d’aborder l’exégèse poétique (sharḥ) au prisme de l’histoire littéraire. L’hypothèse formulée réside dans l’idée que cette pratique constitue un élément d’un processus culturel pour la construction et le développement esthétique de la prose arabe. En proposant une approche culturelle de la littérature, cette contribution souhaite interroger la place de la poésie dans la société et dans la pensée. Deux autres chapitres offrent un apport inédit aux études islamologiques. L’un s’appuie d’une part sur un travail autour du tafsīr à partir de sources chiites (Mohammad-Ali Amir-Moezzi) pour révéler les enjeux politiques sous-jacents à ces récits. La construction littéraire apparaît ainsi comme mise au service d’une idéologie. En déplaçant l’intérêt qui lui a jusqu’alors été porté pour son caractère authentique ou artificiel, le hadith est ici traité comme un élément du processus de fabrication de la mémoire collective de la Umma. L’autre chapitre propose une étude de personnages dans le récit coranique (Catherine Penacchio) et leur évolution dans des corpus religieux postérieurs. Des personnages mythiques, on passe à un travail sur un personnage historique (Chafik T. Benchekroun) par la mise en dialogue de corpus issus de périodes différentes et de natures diverses. Menée dans une perspective historique, cette contribution présente des sources inédites dans le champ de l’histoire de la littérature. Enfin, une dernière contribution cherche à montrer les caractéristiques littéraires, non envisagées jusqu’alors, dans des sources en apparence non littéraires (Léonardo Capezzone).
7L’ensemble des contributions participe ainsi à formuler les premières modalités d’une démarche pour le renouveau des études arabes et islamologiques. Elle consiste à questionner les frontières entre des corpus de natures différentes. Sur le long terme, cette réflexion pose les jalons d’un projet épistémologique plus vaste. Il a pour ambition de mieux comprendre le rôle des sources religieuses et parareligieuses dans l’évolution de la prose narrative arabe classique. Mais, au-delà de la mise en commun des corpus et des démarches scientifiques, cela implique nécessairement le développement d’outils méthodologiques collectifs et partagés, comme une étape postérieure à la publication de cet ouvrage. Cette remise en question des divisions génériques traditionnelles touche plus largement les approches de la production littéraire des périodes classique et contemporaine. Elle offre la possibilité de porter l’attention sur des éléments transgénériques structurants et, ainsi, de laisser émerger, non pas les ruptures, mais les continuités qui permettent d’envisager la production littéraire comme un ensemble cohérent et global, produit d’évolutions dans le temps et dans l’espace.
Notes
1 Colloque « Aux sources de la tradition narrative arabe. Les frontières du littéraire et le rôle des genres religieux, biographiques et historiographiques (viie-xe siècles après J-C.), Ifpo-USJ, Beyrouth (Liban), 20 et 21 mai 2015, https://www.ifporient.org/colloque-20-05-2015/
2 Colloque « Parcours d’hommes, portrait d’une littérature : le récit de vie et ses fonctions dans les sources arabes classiques », Université de la Manouba-Ifpo-Irmc, Hammamet (Tunisie), 4-6 octobre 2017, https://www.ifporient.org/colloque-04-10-2017/
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Référence électronique
Najla Nakhlé-Cerruti, « Iyas Hassan (dir.), La littérature aux marges du ʾadab. Regards croisés sur la prose arabe classique », Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bcai/780 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bcai.780
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