Les femmes dans le cinéma post-yougoslave : la construction du « regard féminin »
Résumés
Le cinéma yougoslave a fourni plusieurs exemples de représentation monolithique des femmes en tant que victimes passives, privées de leur propre volonté, silencieuses et objets de fantasmes et désirs masculins. Si ces descriptions s’inscrivent dans l’histoire du cinéma yougoslave dès ses débuts, plusieurs réalisatrices contemporaines de l’espace post-yougoslave ont remis en cause ce modèle depuis les années 2000 en explorant les différentes façons dont les protagonistes féminines contestent les formes d’oppression, ainsi que les systèmes et cultures patriarcales régionales. Ces réalisatrices ont remis en question la construction hiérarchique du regard, qui n’est en aucun cas soumis ou assujetti ; au contraire, il va dans le sens d’une individualité féminine forte et bien articulée.
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Mots-clés :
cinéma post-yougoslave, regard féminin, cinéma au féminin, cinéma post-communiste, traumatisme au cinémaKeywords:
post-Yugoslav cinema, female gaze, women’s cinema, post-Communist cinema, trauma on screenPlan
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- 1 Tentant de traduire le terme Balkanness, utilisé dans ses textes en anglais, Daković propose plusie (...)
1Dans le cinéma post-yougoslave, les problèmes des femmes ont été, tout au long des années 1990, marginalisés. Les films se concentraient davantage sur la situation sociale d’après-guerre, les conséquences de la guerre et les changements sociaux qu’elle a entraînés. Les thèmes les plus fréquemment abordés étaient la dégradation morale, la violence juvénile et le lien entre la politique et le crime organisé. On y retrouve une misogynie rampante, surtout dans la cinématographie des années 1990, par exemple dans les films Lepa sela lepo gore et Rane [Joli village, jolie flamme] (1996) de Srđan Dragojević ou Rusko meso [Chair russe] (1997) de Lukas Nola, dans lesquels les femmes sont souvent violées, battues et réduites à l’état d’objet. La plupart des images de la femme dans ce que Nevena Daković a appelé le « genre balkanique1 » sont celles d’une féminité réprimée dans tous les sens du terme : physiquement, psychologiquement et économiquement. Selon Virginás, les personnages féminins traumatisés du cinéma est-européen peuvent être liés à l’imaginaire est-européen tel que conçu par les canons occidentaux. Elle écrit :
- 2 Virginás Andrea, « Female trauma in the films of Szabolcs Hajdu, David Lynch, Christian Mungiu and (...)
L’Europe de l’Est « périphérique », « impuissante » et « marginale » est efficacement évoquée à travers les histoires de femmes périphériques, impuissantes et marginales, et cette structure allégorique est (encore) consolidée grâce aux modes spécifiques de représentation audiovisuelle : le son « traumatique » et la narration2.
- 3 Daković Nevena, « Mother, Myth, and Cinema: Recent Yugoslav Cinema », Film Criticism, vol. 21, no 2 (...)
2Un personnage féminin fréquemment utilisé dans les films post-yougoslaves des années 1990 est la mariée soumise, humiliée, complètement passive et subordonnée aux désirs de son mari. Ces films ont promu la hiérarchie patriarcale des sexes en représentant la femme comme une « “figure muette” qui n’acquiert le sens de son identité qu’en relation avec un homme3 ».
- 4 Voir Pavičić Jurica, Postjugoslavenski film: stil i ideologija, [Le film post-yougoslave : style et (...)
3Il importe donc de se demander si l’image de la femme post-yougoslave a connu une métamorphose et, pour répondre à cette question, il convient de s’interroger sur les changements que les modèles préexistants ont subis au cours des deux dernières décennies, ce qui permettra de mieux définir les nouveaux modèles de femmes dans le cinéma post-yougoslave contemporain. Cette note de recherche s’articule autour de deux questions : la représentation des traumatismes féminins dans le cinéma post-yougoslave et les nouvelles représentations de la féminité au cours des deux dernières décennies. Le nouveau cinéma féminin post-yougoslave se distingue par ses protagonistes féminins, son point de vue féminin, son récit visant à repenser le rôle traditionnel des femmes et une tentative d’introduire une nouvelle tendance dans le cinéma post-yougoslave : le « cinéma de la normalisation4 ». Les changements économiques, sociaux et idéologiques survenus après le début des années 2000 ont influencé le contenu des films autant que leur style. Les films post-yougoslaves récents rompent, implicitement ou explicitement, avec le « genre balkanique ». L’auto-balkanisation a cessé d’être la dominante stylistique et est devenue une tendance utilisée pour ou par les étrangers. Les personnages des films datant d’après les années 2000 vivent dans les environnements urbains ; ils tentent de surmonter les traumatismes de l’après-guerre ou les problèmes quotidiens des sociétés capitalistes. Le « cinéma de la normalisation » ne se limite pas exclusivement aux réalisatrices post-yougoslaves, bien que les réalisatrices bosniaques Jasmila Žbanić et Aida Begić puissent être considérées comme les pionnières de cette tendance.
Les traumatismes féminins dans le cinéma post-yougoslave
- 5 Hirsch Joshua, Afterimage: Film, Trauma and the Holocaust, Philadelphia, Temple University Press, 2 (...)
4Depuis le début des années 2000, le traumatisme historique et la relation collective au passé dans les sociétés post-yougoslaves ont été définis dans une large mesure par les médias visuels. Parmi ceux-ci, le cinéma a joué un rôle essentiel dans la (ré)articulation et la révision de la mémoire culturelle en abordant les sphères intimes de la victimisation et de la souffrance humaine et leurs relations affectives avec ce média. En effet, le cinéma entretient un rapport particulier et privilégié avec la mémoire, car il a la capacité de forger des images de la mémoire collective et d’influencer la mémoire personnelle, perçue par le spectateur comme un ensemble d’images lui appartenant. L’image cinématographique fonctionne comme un souvenir emprunté, que l’on n’a jamais vécu soi-même, mais que l’on s’approprie. Joshua Hirsch affirme que la narration d’un traumatisme dans un contexte culturel particulier est déterminée par « les conditions de production et de réception d’une œuvre5 ». Il poursuit en précisant :
- 6 Ibid., p. 16.
Il n’y a pas d’image traumatique en soi. Mais une image d’atrocité peut avoir un potentiel traumatique qui, en circulant parmi les individus et les sociétés ayant des concepts communs, peut se réaliser constamment dans une variété d’expériences de traumatisme vicariant6.
- 7 Burgin Victor, The Remembered Film, London, Reaktion Books, 2004, cité dans Radstone Susannah, Schw (...)
5Les définitions du personnel et du collectif, tout comme les frontières entre la mémoire et le cinéma, peuvent devenir floues. Pour Victor Burgin, la frontière entre les mémoires individuelles et les images cinématographiques constitue « le lieu de l’expérience culturelle7 », qui contribue à la formation et à la diffusion de croyances et de valeurs communes, et souligne les ambiguïtés des termes de mémoire « privée » et « publique ». Conformément à ces propos liminaires, la première partie de cette note de recherche explore la façon dont les réalisatrices post-yougoslaves s’engagent dans des pratiques de témoignage alternatives pour tenter d’intégrer une diversité de voix et de points de vue sur la mémoire privée et collective, en soulignant en particulier l’expérience féminine des traumatismes de l’après-guerre.
6Sans surprise, les questions du traumatisme et de la mémoire des conflits sont récurrentes dans les films post-yougoslaves. Ces derniers racontent de nombreuses histoires de souffrances masculines au sujet des guerres des années 1990. Le film bosniaque Muškarci ne plaču (Les hommes, ça ne pleure pas, Alen Drljević, 2017) traite, par exemple, d’un groupe de vétérans bosniaques, croates et serbes souffrant de troubles de stress post-traumatique et de leurs tentatives pour surmonter les traumatismes de la guerre. Les vétérans se rencontrent deux décennies après la fin de la guerre, mais le processus de conciliation n’est pas pour autant facile. Les querelles constantes entre les vétérans du groupe, qui contestent mutuellement leurs souvenirs de la guerre, démontrent que le passé n’est pas un savoir figé mais qu’il est un point de contestation. À travers leurs témoignages, les spectateurs peuvent confronter différentes interprétations du passé et leurs variations selon les groupes ethniques. Alors que les spectateurs sont témoins de l’inhumanité des crimes de guerre commis par les soldats, ils remarquent également leur résistance à se débarrasser des préjugés et du machisme qui les empêchent d’affronter leur passé violent. Dans un même ordre d’idées, le film croate Ničiji sin [Le fils de personne] (Arsen Antun Ostojić, 2009) raconte l’histoire poignante d’un ex-soldat croate en fauteuil roulant qui découvre que son véritable père est serbe. Confronté à une crise d’identité et incapable d’accepter qu’il appartient à la nation qu’il a combattue pendant la guerre, le protagoniste décide de se suicider.
- 8 Le premier long métrage de la réalisatrice irlandaise Juanita Wilson, Kao da me nema [Comme si je n (...)
7Or, ce n’est que depuis le début des années 2000 que l’attention des cinéastes se porte également sur les traumatismes féminins liés à la décennie de conflits. L’absence des voix et des points de vue des femmes dans la représentation de la réalité de l’après-guerre était problématique tant sur le plan éthique qu’épistémologique, mais deux pionnières, les réalisatrices bosniaques Jasmila Žbanić et Aida Begić, ont contribué à combler ce manque en traitant des traumatismes au féminin. Leurs premiers longs métrages, respectivement Grbavica (Sarajevo, mon amour, Jasmila Žbanić, 2006) et Snijeg (Premières neiges, Aida Begić, 2008), dépeignent les conséquences physiques et psychologiques dévastatrices de la guerre sur les femmes qui ont été violées (Grbavica) ou dont les membres de la famille ont été tués pendant la guerre (Snijeg). Begić et Žbanić sont généralement reconnues comme les premières réalisatrices post-yougoslaves à parler des formes sexualisées de violence dans un contexte où la violence sexospécifique faisait partie intégrante d’une stratégie militaire visant à violenter les femmes et à anéantir leur dignité8. Pour Žbanić et Begić, le traumatisme n’est pas un motif de vengeance comme dans d’autres films de guerre post-yougoslaves, il est plutôt quelque chose que les personnages féminins essaient de surmonter. Concentrées avant tout sur le quotidien, Žbanić et Begić évitent les grands récits historiques. Alors que certains épisodes particulièrement violents de l’histoire récente de l’ex-État commun sont soumis à l’obligation d’être oubliés, les thématiques abordées par Žbanić et Begić situent leurs films dans une perspective inverse qui accentue la nécessité de ne pas oublier.
- 9 Laub Dori, « Truth and Testimony: The Process and the Struggle », dans Cathy Caruth (dir.), Trauma: (...)
- 10 Caruth Cathy, « Trauma and Experience: Introduction », dans Cathy Caruth (dir.), Trauma, op. cit., (...)
8Snijeg et Grbavica mettent en évidence l’indicibilité9 et la non-représentabilité10 du traumatisme à travers l’étouffement de la voix féminine imposé de l’extérieur. Bien que les protagonistes féminines soient le plus souvent silencieuses, elles ne sont pas sans voix et, à la fin, elles trouvent la force de verbaliser leurs traumatismes. Ces deux films examinent comment les normes sociales influencent la manière dont le traumatisme est d’abord intériorisé, puis extériorisé dans le récit. La trajectoire douloureuse et les silences implicites de l’histoire récente offrent une perspective genrée qui féminise l’historicité post-yougoslave et démontre comment l’éthique masculine de la guerre et l’idéologie nationaliste ont ravagé à la fois le corps féminin et l’histoire des femmes par la censure sociale, la réduction au silence, l’exclusion et le déni.
- 11 Vidan Aida, « Framing the body, vocalizing the pain: Perspectives of South Slavic female directors (...)
9Dans ces films, les deux réalisatrices évitent délibérément l’esthétique excessive du « genre balkanique » inscrite dans des paradigmes sexistes, homophobes, racistes et nationalistes. Elles s’éloignent aussi des discours de victimisation et d’auto-exotisme en employant une stratégie différente : les protagonistes des deux films adoptent une attitude active face aux problèmes en essayant de forger un avenir meilleur pour elles-mêmes et leur famille. Comme l’affirme Vidan dans son article sur les réalisatrices contemporaines des Balkans : « c’est aussi un monde déterminé dans lequel les personnages féminins sont résolus à ne pas se désister11 ». Grbavica et Snijeg dénoncent explicitement la politique d’exploitation du corps féminin et, à ce titre, pourraient être perçus comme une critique des films d’auto-balkanisation.
10Au début du film Snijeg, les protagonistes tentent de réprimer leurs souvenirs de violence en ne parlant que du travail quotidien. Leur silence se reflète sur le récit puisque leurs traumatismes de guerre sont écartés de l’histoire. Le film se déroule dans un petit village de Bosnie orientale, largement peuplé de femmes. Comme les spectateurs le découvrent peu à peu, leurs fils et maris ont été faits prisonniers pendant la guerre et elles n’en ont plus jamais entendu parler. Les tâches quotidiennes peuvent sembler insignifiantes mais elles sont essentielles à la survie des protagonistes et de leur communauté. En se focalisant sur le quotidien, ce film marque un changement significatif par rapport aux atrocités de la guerre très présentes dans la production cinématographique post-yougoslave. Les cicatrices émotionnelles et psychologiques laissées par la mort tragique des maris et des fils sont liées au silence des femmes et à leurs tentatives de rétablir l’illusion de la normalité. Le son, principalement diégétique, semble souligner le naturalisme de la représentation et le silence des personnages féminins. Cependant, un certain optimisme émerge à la fin du film lorsque les femmes décident de monter une petite entreprise et de fabriquer des produits locaux, se démarquant ainsi de la position de victime et soulignant leur capacité à acquérir un savoir-faire, à gérer leur temps et à gagner leur vie. Le film ne reflète pas une fascination pour le passé en tant que tel, mais interroge plutôt la manière dont le passé peut déterminer le présent. Ce film ouvre la voie vers l’émancipation ; c’est par le travail dans leur foyer que les femmes ont conquis leur dignité et leur indépendance économique.
- 12 Jelača Dijana, Dislocated Screen Memory: Narrating Trauma in Post-Yugoslav Cinema, Hampshire, New Y (...)
11À l’instar de Snijeg, Grbavica met en scène une femme, Esma, musulmane bosniaque, qui vit à Sarajevo avec sa fille issue d’un viol. En cherchant à effacer ses souvenirs traumatisants, Esma est dans le déni de son propre passé et garde l’identité du père de sa fille secrète, même pour cette dernière, et ne parle pas du viol avant la fin du film. La décision de Žbanić d’éviter l’usage des flashbacks pour évoquer des souvenirs traumatiques refoulés montre qu’elle ne veut pas accuser ou demander vengeance. Grbavica n’est pas seulement un film sur les traumatismes de la guerre, c’est aussi un film qui aborde le processus difficile, en particulier pour les femmes marginalisées, de témoigner d’un traumatisme. La déception et la lassitude des femmes face au fait que leurs voix et leurs témoignages ne semblent avoir aucune importance dans la société sont soulignées dès la première séquence. Dans la scène d’ouverture du film, mentionnée par plusieurs spécialistes du cinéma12, les gros plans sur le visage des femmes permettent au spectateur de saisir leur fragilité. Toute la vulnérabilité contenue dans cette scène, qui fonctionne comme une sorte de prologue, est, en effet, mise en exergue par des plans en plongée de leurs visages, de leurs têtes et regards baissés, et de leur immobilité, qui suggèrent également un déni de la réalité qui sous-tend une aspiration à oublier. Au début du film, la narration est non verbale ; la douleur des femmes violées est exprimée par leur silence et leurs visages sérieux. Plus tard dans le film, le public apprend que ces femmes font partie d’un groupe de soutien aux victimes de violences sexuelles. Le traumatisme originel du viol est exacerbé par le traumatisme supplémentaire provenant du déni collectif de leur souffrance. Les femmes demeurent silencieuses par honte et par peur d’être stigmatisées. Ce n’est qu’à la fin du film que nous entendons parler, pour la première fois dans un long métrage post-yougoslave, de l’expérience douloureuse d’Esma, violée systématiquement puis enfermée jusqu’à ce que l’avortement soit impossible. Encouragées par son acte, d’autres femmes témoignent publiquement de leurs expériences traumatisantes, montrant ainsi leur capacité à se réapproprier leur voix. À ce sujet, Dijana Jelača observe :
- 13 Jelača, Dislocated Screen Memory, op. cit., p. 85.
De manière tout à fait poignante, l’acte de parler n’est pas traité dans Grbavica comme un outil de résolution cathartique et rédemptrice des traumatismes subis par les femmes. Au lieu de fétichiser l’acte de parler comme un moyen de rédemption ou de réalisation de soi-même [...], le film échappe prudemment à de telles conclusions en n’offrant pas de clôture rédemptrice ou de catharsis13.
- 14 Virginás, « Female trauma », art. cité, p. 162.
12Les héroïnes silencieuses des deux films peuvent être comparées à ce que Virginás appelle des « “corps féminins sans voix” puisque les sons ambiants parlent et agissent au nom des femmes traumatisées : elles sont incarnées, mais leurs voix sont niées, et l’espace (extra)diégétique “produit des sons”14 ». En effet, le son des deux films, surtout de Grbavica, est principalement diégétique et constitué des bruits provenant de la circulation et de la ville. Le film met en scène les stratégies de visibilité et de non-visibilité pour montrer la lutte intérieure des protagonistes, qui oscillent entre le désir d’oublier et le besoin de se souvenir. Leurs traumatismes ne sont jamais clairement représentés, mais leurs conséquences sont constamment évoquées par des éléments visuels répétitifs, tels que la tapisserie dans Grbavica et les tâches quotidiennes dans Snijeg. Ces deux films partagent ces thèmes et la construction de leurs protagonistes féminins.
- 15 Jameson Fredric, The Political Unconscious. Narrative as a Socially Symbolic Act, Ithaca, Cornell U (...)
13Ces films évoquent une certaine tendance du cinéma réalisé par les femmes à mettre en scène le thème du traumatisme en rapport avec l’histoire nationale. D’après Fredric Jameson, les films présentant des personnages féminins traumatisés deviennent représentatifs des problèmes publics et des crises politiques et sociales, puisque les souffrances traumatiques individualisées ont généralement une dimension collective15. Grbavica a joué un rôle social important à cet égard, car sa prise de position critique face aux traumatismes révèle la vulnérabilité des femmes mais aussi de la communauté entière qui est incapable de se confronter aux traumatismes personnels et collectifs. Žbanić revient sur ce sujet dans son dernier film, Quo vadis, Aida? (La voix d’Aïda, 2020) portant sur le massacre en 1995 de 8 000 hommes et adolescents bosniaques de la région de Srebrenica durant la guerre de Bosnie-Herzégovine. Ce film relate l’histoire d’Aïda, une interprète du camp de l’ONU à Srebrenica, où s’entassent les habitants musulmans fuyant les militaires serbes. Elle mobilise sa voix pour sauver son mari et ses fils, malheureusement sans succès. Le dénouement du film est particulièrement douloureux : Aïda est obligée de vivre dans la même ville que les criminels de guerre, qui y vivent en toute impunité. Les victimes, comme Aïda et d’autres femmes ayant perdu des membres de leur famille, sont obligées de faire face à leurs traumatismes en silence, dans une société corrompue qui préfère ignorer la douleur des victimes.
Au-delà du « genre balkanique » : chemin vers un nouveau cinéma féminin
- 16 Mulvey Laura, « Film, Feminism and the Avant-Garde », dans Laura Mulvey, Visual and Other Pleasures(...)
- 17 Doane Mary Ann, « The “Woman’s Film”: Possession and Address », dans Mary Ann Doane, Patricia Melle (...)
14Depuis vingt ans, on assiste à un développement important du cinéma au féminin dans les pays de l’ex-Yougoslavie. Le cinéma féminin contemporain ouvre également la voie à une autre politique du regard. La nouvelle génération de réalisatrices a remis en question la construction hiérarchique du regard, qui n’est en aucun cas soumis ou assujetti mais va dans le sens d’une individualité féminine bien articulée visant à déconstruire l’imaginaire existant du corps féminin. La nécessité d’un nouveau cinéma fait par les femmes et pour les femmes est conforme à ce que Laura Mulvey prône dans son essai Film, Feminism and the Avant-Garde (1978) lorsqu’elle avance qu’il ne suffit pas de protester contre l’exploitation des femmes en tant qu’images, ayant des rôles passifs, mais qu’il convient de remplacer ce modèle féminin par un autre, plus fort et plus indépendant, et d’inventer un nouveau cinéma en accord avec la pensée féministe. La prochaine étape vers un nouveau cinéma féministe devrait être le rôle actif des femmes, pour un cinéma dans lequel les femmes parlent pour elles-mêmes en adoptant de nouvelles techniques de représentation. Ce n’est qu’ainsi que la redéfinition de la féminité prescrite par le patriarcat pourra être réalisée16. Le cinéma des réalisatrices est un contre-cinéma, au sens d’une alternative au cinéma masculin classique. Comme le souligne Mary Ann Doane, un nouveau cinéma pour les femmes nécessite la construction d’une nouvelle spectatrice. En outre, comme l’expose Doane, le cinéma féminin place la protagoniste en position d’agent et résiste donc à l’analyse qui vise à accentuer la « regardabilité » et l’objectivation des femmes. Autrement dit, il n’est plus nécessaire que le regard soit empreint d’un désir fondé sur le fétichisme masculin. Il y a donc une certaine dé-spectacularisation, une déviation de la scopophilie dans d’autres directions, loin du corps féminin17. La dé-érotisation du regard nécessite aussi un changement dans la représentation de la sexualité féminine. La représentation des actes sexuels a contribué à la subversion et à la reconfiguration des normes, car les femmes ont traditionnellement été représentées comme les objets érotiques d’un regard voyeuriste masculin.
- 18 Le turbo-folk est un genre musical qui tire ses influences de la musique électro, des rythmes rapid (...)
- 19 Iordanova Dina, Cinema of the Other Europe: The Industry and Artistry of East Central European Film(...)
15À cet égard, deux films post-yougoslaves sont très explicites dans leur représentation de la sexualité et du plaisir féminin : Aleksi (Barbara Vekarić, 2018) et Klip (Clip, Maja Miloš, 2012). La protagoniste du film serbe Klip, Jasna, est une lycéenne qui vit avec ses parents dans un immeuble décrépit en périphérie de Belgrade. Elle semble ne s’intéresser qu’aux fêtes au cours desquelles elle boit excessivement et se drogue avec ses copines au son de la musique turbo-folk18. Les filles, aux allures hyper provocantes, prennent des photos dans des poses lascives qu’elles mettent en ligne. La grande attention portée au corps de la femme et les scènes de sexe explicites ne sont pas tant un signe d’émancipation ou une célébration de la féminité que le résultat d’une fascination irrésistible pour la sexualité des femmes de la part de la plupart des médias et du boom des publications pornographiques. Bien que la réalisatrice expose le corps féminin et décrive sans fard l’acte sexuel, le film ne vise pas tant la libération du corps féminin que la description d’une nouvelle tendance sur les réseaux sociaux : l’hyper sexualisation du corps féminin. Dans ce cadre, la libération sexuelle n’est pas l’exact synonyme de la libération des femmes car celles-ci n’échappent pas à la dictature des médias et de la publicité. Ainsi, Jasna est un exemple de la tendance qui existe dans tous les cinémas post-communistes dépeignant les femmes comme « des créatures constamment excitées qui cherchent avant tout à réaliser leurs fantasmes érotiques et à nouer de nouvelles relations sexuelles à toute heure du jour et de la nuit19». Bien qu’il soit décrit de manière explicite, l’acte sexuel est toujours considéré comme un droit collectif de propriété, un enjeu de pouvoir. Dans Klip, les filles ne sont pas des individus distincts aux yeux de la plupart des adolescents. Ce qui signifie que même les nouvelles générations de femmes balkaniques vivent à l’intérieur de cette réalité de l’appropriation, leur corps apprenant à réagir à ce que la domination masculine offre comme rapport sexuel et « amour ».
- 20 Les images de femmes soumises ont été prédominantes dans le cinéma yougoslave où les femmes étaient (...)
16Au contraire, le film de Vekarić est un pas en avant important vers la réappropriation du corps féminin et le droit d’en disposer librement. Dans ce film, Aleksi est une photographe de 28 ans qui retourne chez elle, dans une péninsule croate, après avoir obtenu son diplôme universitaire. Pour tromper son ennui, elle a des rapports sexuels occasionnels avec plusieurs hommes : un photographe américain, un musicien local et un playboy slovène d’âge mûr. La représentation d’une sexualité féminine non débridée constitue une démarche importante dans la représentation du sexe dans l’histoire du cinéma yougoslave20. Comme on peut le voir dans Aleksi et d’autres films contemporains réalisés par des femmes, les cinéastes évitent d’érotiser la nudité et les rapports sexuels, et soulèvent la question du « regard féminin » sur le corps de son partenaire. En se distançant du regard imposé par le cinéma mainstream, les réalisatrices filment le corps féminin sans le montrer comme un objet de désir masculin. La question du plaisir des femmes et la revendication du contrôle de la sexualité féminine servent à promouvoir des protagonistes féminines émancipées et autonomes qui se débrouillent seules et cherchent à se réaliser en dehors du couple hétérosexuel monogame. Dans ces films, l’homme sort également de son rôle actif traditionnel et devient un objet sexuel, tandis que la femme assume le rôle « masculin » et devient la porteuse du regard.
- 21 Maria Todorova souligne que dans le discours balkaniste, les Balkans sont dominés par le principe m (...)
- 22 Quelques films contemporains comme Ti mene nosiš (Tu me portes, Ivona Juka, 2015) et Trampolin (Tra (...)
- 23 Voir Vidan Aida, « Framing the body, vocalizing the pain », art. cité, p. 141.
- 24 Mare, une mère au foyer, aime sa famille et prend soin d’eux. Mais Mare se sent parfois une étrangè (...)
17Ces films appellent à porter un regard féminin sur les corps, mais aussi à une déconstruction de l’image de l’homme macho des Balkans21, si typique des films du « genre balkanique » des années 1990. Après le machisme testostéroné du cinéma balkanique des années 1990, le cinéma féminin contemporain propose une variété de personnages masculins différents. Ceux qui sont représentés sont soit tout le contraire de l’homme typique des Balkans, soit des figures patriarcales qui ont perdu leur pouvoir social et dont les rôles dans la sphère privée et publique ont été redéfinis22. Néanmoins, la persistance de la famille patriarcale est visible, parfois même à travers les personnages féminins, comme dans le film croate Ne gledaj mi u pijat [Arrête de regarder mon assiette] (Hana Jušić, 2016). Vjera, la mère de la protagoniste Marijana, est une femme au foyer abusive, le frère de Marijana est un simplet qui n’a aucun but dans la vie mais qui bénéficie d’un statut protégé en raison de son sexe. La mère reproduit le schéma patriarcal vicieux : elle favorise le fils et administre des punitions physiques à sa fille23. Bien qu’elle soit la seule personne à gagner de l’argent dans la famille, Marijana supporte silencieusement l’oppression patriarcale imposée par son père, qui perd son pouvoir de pater familias après une attaque cérébrale. Le cinéma féminin le plus récent voit fleurir un nouveau langage artistique. La poétique du naturel est présente dans la majorité des films contemporains réalisés par des femmes. Cela comprend une utilisation particulière de la caméra et des sons naturels. Des films comme Ne gledaj mi u pijat, Mare (Andrea Štaka, 2020)24 et Klip sont principalement tournés avec une caméra à l’épaule qui suit les personnages de près. Ces films insistent sur l’immédiateté, ainsi que sur l’intimité psychologique et physique. Les réalisatrices n’hésitent pas à montrer les fonctions corporelles des protagonistes, y compris des plans détaillés de leurs rencontres sexuelles aléatoires. Les réalisatrices contemporaines utilisent un style de mise en scène minimaliste, évitant délibérément l’excès du « genre balkanique ».
- 25 Tereza est une femme mariée de 37 ans vivant dans une société patriarcale qui ne valorise la femme (...)
18L’entrelacement de l’espace privé et de l’espace public laisse les protagonistes mentalement et physiquement exposées. Le recours à de nombreux plans-séquence contribue à créer un sentiment de claustrophobie et de captivité dans un environnement cruel et impitoyable. L’espace physique tel qu’il est montré dans les films contemporains (Tereza 3725, Danilo Šerbedžija, 2020 ; Mare et Ne gledaj mi u pijat) devient le matériau diégétique susceptible de déterminer les états d’âme des personnages féminins ; il reflète un enfermement par les structures sociales qui sapent leur avancement. Il semble donc que la géographie urbaine post-communiste soit un mécanisme supplémentaire de création du sentiment d’oppression des personnages féminins. Les blocs gris étouffants typiques des quartiers socialistes des villes croates de Zagreb (Ti mene nosiš [Tu me portes], Ivona Juka, 2015) et de Split (Tereza 37) deviennent des métaphores de l’emprisonnement visuel et littéral des protagonistes. Ne gledaj mi u pijat se déroule dans la ville méditerranéenne de Šibenik. Cependant, le film ne capitalise pas sur les qualités scéniques de la ville : au contraire, la réalisatrice opte pour les bâtiments socialistes qui capturent efficacement l’atmosphère étouffante du milieu patriarcal, ainsi que l’appauvrissement économique causé par les perturbations politiques et économiques des dernières décennies. Par conséquent, les enfants adultes, comme Marijana, sont contraints de vivre dans les logements étriqués de leurs parents et d’être surveillés par eux.
Conclusion
19Depuis le début des années 2000, le cinéma contemporain des anciennes républiques yougoslaves commence à s’intéresser aux problèmes quotidiens des femmes et met l’accent sur les caractéristiques individuelles des personnages féminins en évoquant fidèlement les problèmes des femmes. Malgré les changements sociaux et politiques survenus dans la région au cours des trente dernières années, l’ordre patriarcal est resté fortement ancré dans les sociétés post-yougoslaves. Les politiques de la mémoire ou le « récit national » peuvent permettre, ou empêcher, la réinscription de la mémoire personnelle et des traumatismes féminins dans le tissu social. La voix féminine devient un point essentiel dans les films des réalisatrices bosniaques Aida Begić et Jasmila Žbanić, dans lesquels domine le sentiment d’abandon, d’isolement, de honte et de solitude des femmes. Les corps féminins maltraités sont utilisés comme métaphores des traumatismes privés et collectifs, véhiculés par les modes de représentation particuliers adoptés par la jeune génération de réalisatrices de la région qui continuent d’explorer les multiples aspects de l’oppression et des traumatismes des femmes dans les sociétés balkaniques encore conservatrices et patriarcales.
20Le cinéma contemporain post-yougoslave contribue ainsi à la déconstruction de certains modèles existants, dont celui de la femme qui existait dans le « genre balkanique », en proposant des personnages féminins qui sortent largement d’un cadre bien défini par les normes sociales balkaniques. À travers leurs films, des réalisatrices contemporaines telles que Ivona Juka, Andrea Štaka, Barbara Vekarić, Hana Jušić, Katarina Zrinka Matijević tentent de combler le décalage entre les modèles féminins existants et le quotidien des femmes. L’un des traits communs du cinéma féminin post-yougoslave est la manière dont les réalisatrices ont traité les sujets évoqués avec de nouvelles techniques cinématographiques visant à développer un nouveau cinéma féminin dans lequel les corps et les plaisirs féminins sont filmés sans tomber dans la fétichisation. Le regard féminin proposé par ces réalisatrices post-yougoslaves ne consiste pas à remplacer le regard masculin ; il se construit à côté du regard masculin et s’en différencie de manière subtile en tant que contre-regard visant à montrer au spectateur l’expérience corporelle des femmes.
Notes
1 Tentant de traduire le terme Balkanness, utilisé dans ses textes en anglais, Daković propose plusieurs traductions en serbe et choisit balkanstvo [balkanité] comme le plus approprié et le moins péjoratif et ambigu de tous. Il désigne une vaste gamme de formes spécifiques de la culture et de l’identité balkanique en perpétuelle réarticulation et évolution. Voir Daković Nevena, Balkan kao (filmski) žanr : slika, tekst, nacija, [Balkan comme un genre (filmique) : image, texte, nation], Belgrade, FDU, Institut za pozorište, film, radio, televiziju, 2008.
2 Virginás Andrea, « Female trauma in the films of Szabolcs Hajdu, David Lynch, Christian Mungiu and Peter Strickland », Studies in Eastern European Cinema, vol. 5, no 2, 2014, p. 155-168 (165). Toutes les traductions du serbe, du bosniaque, du croate et de l’anglais sont de l’autrice.
3 Daković Nevena, « Mother, Myth, and Cinema: Recent Yugoslav Cinema », Film Criticism, vol. 21, no 2, 1996-1997, p. 40-49 (40).
4 Voir Pavičić Jurica, Postjugoslavenski film: stil i ideologija, [Le film post-yougoslave : style et idéologie, Zagreb, Hrvatski filmski savez, 2011, p. 181-213.
5 Hirsch Joshua, Afterimage: Film, Trauma and the Holocaust, Philadelphia, Temple University Press, 2004, p. 11.
6 Ibid., p. 16.
7 Burgin Victor, The Remembered Film, London, Reaktion Books, 2004, cité dans Radstone Susannah, Schwarz Bill (dir.), Memory: Histories, Theories, Debates, New York, Fordham University Press, 2010, p. 337.
8 Le premier long métrage de la réalisatrice irlandaise Juanita Wilson, Kao da me nema [Comme si je n’étais pas là] (2010) traite aussi du traumatisme féminin. Le film, basé sur le roman de l’écrivaine croate Slavenka Drakulić, raconte l’histoire d’une jeune enseignante bosniaque emprisonnée dans un camp où elle est violée à de nombreuses reprises.
9 Laub Dori, « Truth and Testimony: The Process and the Struggle », dans Cathy Caruth (dir.), Trauma: Explorations in Memory, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1995, p. 61-75.
10 Caruth Cathy, « Trauma and Experience: Introduction », dans Cathy Caruth (dir.), Trauma, op. cit., p. 3-12.
11 Vidan Aida, « Framing the body, vocalizing the pain: Perspectives of South Slavic female directors », Studies in European Cinema, vol. 15, no 2-3, 2018, p. 125-145 (128).
12 Jelača Dijana, Dislocated Screen Memory: Narrating Trauma in Post-Yugoslav Cinema, Hampshire, New York, Palgrave Macmillan, 2016, p. 82-83 ; Murtić Dino, Post-Yugoslav Cinema, op. cit., p. 112 ; Vidan Aida, « Framing the body », art. cité, p. 131-132.
13 Jelača, Dislocated Screen Memory, op. cit., p. 85.
14 Virginás, « Female trauma », art. cité, p. 162.
15 Jameson Fredric, The Political Unconscious. Narrative as a Socially Symbolic Act, Ithaca, Cornell University Press, 1994.
16 Mulvey Laura, « Film, Feminism and the Avant-Garde », dans Laura Mulvey, Visual and Other Pleasures, Hampshire, New York, Palgrave Macmillan, 2009 [1978], p. 115-131.
17 Doane Mary Ann, « The “Woman’s Film”: Possession and Address », dans Mary Ann Doane, Patricia Mellencamp, Linda Williams (dir.), Re-Vision Essays in Feminist Film Criticism, Los Angeles, The American Film Institute, 1984, p. 67-82 (68-70).
18 Le turbo-folk est un genre musical qui tire ses influences de la musique électro, des rythmes rapides et des chansons populaires des Balkans. Il est encore populaire dans toutes les républiques post-yougoslaves et est généralement lié au milieu criminel de l’après-guerre immédiat et à la culture machiste des années 1990. Pour une analyse approfondie de la musique turbo-folk, voir Kronja Ivana, « Politics, Nationalism, Music, and Popular Culture in 1990s Serbia », Slovo, vol. 15, no 1, 2004, p. 5-15.
19 Iordanova Dina, Cinema of the Other Europe: The Industry and Artistry of East Central European Film, Londres, Wallflower Press, 2003, p. 141.
20 Les images de femmes soumises ont été prédominantes dans le cinéma yougoslave où les femmes étaient souvent battues, violées ou humiliées ou détruites par la communauté pour avoir osé contester l’ordre patriarcal (Otac na službenom putu [Papa est en voyage d’affaires], Emir Kusturica, 1985 ; Lisice [Les menottes], Krsto Papić, 1969). Sur la représentation cinématographique de la femme dans le cinéma yougoslave de l’immédiat après-guerre, voir Srdić Srebro Andja, « La représentation cinématographique de la femme en Yougoslavie de l’après-guerre », Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain, vol. 24, 2021 en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/mimmoc.6794 (consulté en janvier 2023) et Slapšak Svetlana, « Representations of Gender as Constructed, Questioned and Subverted in Balkan Films », Cinéaste, vol. 32, no 3, 2007, p. 37-40.
21 Maria Todorova souligne que dans le discours balkaniste, les Balkans sont dominés par le principe masculin et que l’orientalisme ne se manifeste pas uniquement à travers les images construites des femmes, mais aussi à travers des stéréotypes sur le comportement des hommes. « Dans pratiquement toutes les descriptions, l’homme balkanique typique est non civilisé, primitif, grossier, cruel et, sans exception, débraillé. » Todorova Maria, Imagining the Balkans, New York-Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 14.
22 Quelques films contemporains comme Ti mene nosiš (Tu me portes, Ivona Juka, 2015) et Trampolin (Trampoline, Katarina Zrinka Matijević, 2016) sont des lieux de masculinité absente, dans lesquels les figures masculines parentales ne sont que sporadiquement présentes. Dans le film Ti mene nosiš, on suit les péripéties quotidiennes de trois femmes indépendantes qui tentent de faire face aux relations difficiles qu’elles entretiennent avec leurs pères et leurs partenaires. Trampolin est un film sur trois femmes (une enfant, une adolescente et une adulte) qui portent les cicatrices émotionnelles et psychologiques de la violence domestique exercée par leurs mères.
23 Voir Vidan Aida, « Framing the body, vocalizing the pain », art. cité, p. 141.
24 Mare, une mère au foyer, aime sa famille et prend soin d’eux. Mais Mare se sent parfois une étrangère dans sa propre maison, dans laquelle sa voix et ses besoins ne sont pas entendus. Son univers va basculer lorsqu’elle rencontre un ouvrier polonais.
25 Tereza est une femme mariée de 37 ans vivant dans une société patriarcale qui ne valorise la femme qu’en tant que mère ou épouse. Après plusieurs fausses couches, son gynécologue lui dit en plaisantant qu’elle devrait essayer de concevoir avec un autre partenaire. Cette remarque va pousser Tereza à remettre en question son mariage monotone et à laisser entrer d’autres hommes dans sa vie.
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Référence électronique
Etami Borjan, « Les femmes dans le cinéma post-yougoslave : la construction du « regard féminin » », Balkanologie [En ligne], Vol. 18 n° 2 | 2023, mis en ligne le 30 décembre 2023, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/5527 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qfg
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