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Comptes rendus

Petra Kramberger, Irena Samide et Tanja Žigon (dir.), Frauen, die studieren, sind gefährlich: Ausgewählte Porträts slowenischer Frauen der Intelligenz [Les femmes qui étudient sont dangereuses : portraits choisis de femmes slovènes de l’intelligentsia]

Ljubljana, Znanstvena založba Filozofske fakultete Univerze v Ljubljani, 2018
Héloïse Elisabeth Marie-Vincent Ghislaine Ducatteau
Référence(s) :

Kramberger, Petra, Samide, Irena et Žigon, Tanja (dir.), 2018, Frauen, die studieren, sind gefährlich: Ausgewählte Porträts slowenischer Frauen der Intelligenz [Les femmes qui étudient sont dangereuses : portraits choisis de femmes slovènes de l’intelligentsia], Ljubljana, Znanstvena založba Filozofske fakultete Univerze v Ljubljani, 288 p., ISBN : 978-961-06-0112-8, en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4312/9789610601128.

Texte intégral

1Cet ouvrage, écrit à plusieurs mains, s’intéresse à un sujet au carrefour de l’histoire des femmes, de l’histoire de l’andragogie et de l’histoire intellectuelle : il étudie les trajectoires de plusieurs femmes slovènes universitaires. Les premières femmes slovènes à étudier à l’université ne purent le faire en Slovénie et furent obligées de s’expatrier. En effet, la première université à accepter que des femmes étudient fut l’Université de Zurich, à partir de 1863, suivie de celle de Berne en 1868. Près de quatre décennies plus tard, l’Université de Vienne, en Autriche, offrait également cette possibilité.

  • 1 Bollman Stefan, Frauen, die lesen, sind gefährlich [Les femmes qui lisent sont dangereuses], Münche (...)

2L’ouvrage se compose de deux contributions introductives puis de trois grandes parties. La première partie rend compte de parcours de femmes de sciences dites « dures » ; la seconde de diplômées en sciences humaines et sociales ; la troisième d’alumnae aux carrières plus créatives et engagées civiquement. À l’exception des deux textes introductifs, chacun des textes se concentre sur une figure féminine en particulier. Le titre de l’ouvrage reprend le titre de la série de trois volumes publiés par l’écrivain (de best-sellers) et philologue Stefan Bollman entre 2005 et 20121.

  • 2 Heppner Harald, « Studentinnen der Grazer Universität aus den slowenischen Ländern (1884–1914) » [É (...)

3Le premier texte introductif propose une synthèse des différentes parties et remercie les soutiens multiples qui ont permis de mener à bien ce projet d’ouvrage, notamment au niveau des archives des universités de Vienne et Graz. Par la suite, on s’aperçoit que les archives d’autres établissements d’enseignement supérieur ont été mobilisées, notamment celles de l’Université de Prague. Dans le second texte introductif, il est précisé que le terme slovène mentionné dans le titre du volume se réfère à la langue maternelle slovène, telle que déclarée au moment de l’inscription universitaire, qui pouvait différer de la nationalité déclarée et perçue. Les investigations effectuées jusqu’alors se sont surtout intéressées aux universités de Vienne et de Graz, et à la population étudiante féminine slovène qui s’y trouvait, tandis que cette recherche prend en considération d’autres lieux de formation2. Si l’enseignement primaire obligatoire a été instauré très tôt en Slovénie, dès 1774, les filles restent toutefois tributaires du nombre de places restantes laissées par les garçons. Il faut attendre 1872 pour qu’elles aient accès au baccalauréat, mais leur diplôme, contrairement à celui de la gent masculine, ne comporte pas la mention « mature pour fréquenter l’université ». Pour accéder à l’université, elles doivent passer une épreuve externe, à moins, à partir de 1896, qu’elles aient conclu une formation dans une école de professorat. Les réticences masculines vis-à-vis du droit des femmes à entrer à l’université sont étayées de considérations sur leur nature intrinsèque, exprimées par des juristes, neurologues, psychiatres et physiologistes, à l’instar de Fritz Wittels.

  • 3 Verdel Helena et al. (dir.), Die 100 bedeutendsten Frauen des europäischen Ostens [Les 100 femmes l (...)
  • 4 Muratović Amir, Kuharska knjiga dr. Angele Piskernik [Le livre de cuisine du Dr Angela Piskernik], (...)

4La première partie de l’ouvrage illustre bien les tentatives de masquer les réalisations féminines : la thèse de la première docteure slovène, toutes disciplines confondues, Ana/Anna/Anica Štěrba-Böhm, née Jenko/Jenková, a tellement été escamotée qu’Angela Pisternik, une jeune chercheuse slovène plus jeune qu’elle, croyait être la première femme slovène à obtenir ce titre universitaire. Si Ana Jenko Štěrba-Böhm a effectué son doctorat en chimie à Prague, la chimiste Ana Kansky, née Mayer, a été la première docteure de l’Université de Ljubljana en 1919. Le cas d’Ana Jenko aurait pu être placé en fin de première partie en guise de transition vers la seconde partie, puisque la jeune femme n’a pas seulement étudié des sciences dures mais également des sciences humaines, à savoir la linguistique, la philosophie, les sciences littéraires et la psychologie. Sa sœur aînée, Eleonora, est également mentionnée plusieurs fois dans le texte, et aurait pu l’être dans le titre, d’autant qu’elle a été la première docteure slovène en médecine. Elle a sans doute exercé une influence sur sa sœur puisqu’elle a réalisé ses études à Saint-Pétersbourg, où Ana est venue la rejoindre pour y suivre des cours avant d’entrer à la faculté de Prague. Angela Piskernik, première docteure slovène de l’Université de Vienne, était botaniste et a contribué aussi bien à la recherche qu’à la didactique en la matière, y compris après sa thèse. Étant donné son engagement en faveur de la nature, de la condition des femmes et d’autres groupes sociaux marginalisés, elle aurait également pu figurer dans la troisième partie. À l’instar d’Anna Jenko, Angela Piskernik a également étudié les sciences humaines et la sténographie. La botaniste est sûrement l’une des femmes les plus connues du panel. Sa photo figure en effet sur la page de couverture d’une monographie consacrée à cent femmes retenues pour leur importance en Europe de l’Est3 et un documentaire récent lui est consacré4. La première phytopathologiste slovène, Milena Perušek, a quant à elle eu une vie plus discrète : la preuve en est que nous n’avons aucune photographie d’elle à ce jour. Le rapport de sa soutenance de thèse figure en arrière-plan de la page de couverture de la première partie. Les sciences humaines ont également fait partie de son cursus.

5La deuxième partie se concentre sur deux personnalités ayant toutes deux étudié à la fois en Autriche et en France : Melitta Pivec-Stelè a étudié à la fois à Vienne et à Paris ; Helena Stupan à Graz, ainsi qu’à Paris et à Strasbourg. Elle s’intéresse d’abord au parcours de Melitta Pivec-Stelè, qui a la particularité d’avoir réalisé, tout de suite après la Grande Guerre, deux thèses doctorales, en histoire religieuse alpine puis en économie grecque. Après avoir travaillé comme bibliothécaire, elle a prodigué ses conseils à l’Académie slovène des sciences et des arts, puis en matière de médiation culturelle entre la France et la Yougoslavie d’alors. Helena Stupan, née Tominšek, se distingue également par sa double formation, d’abord en archéologie puis en lettres germaniques, romanes et slovènes à Zagreb puis Prague. Elle a été enseignante en littérature germanophone notamment à l’Université de Ljubljana, pendant les années 1930, puis en lycée, à Maribor. Bien qu’elle soit la première femme slovène à avoir reçu le titre de docteure en archéologie en 1925, elle n’a pas poursuivi dans cette voie.

6La troisième partie s’intéresse à des figures moins proches du monde universitaire. Zofka Kveder a ainsi dû se limiter à un semestre d’études à l’Université de Berne, en Suisse, pour des raisons financières. Elle est considérée comme l’écrivaine qui est le mieux parvenue à relater les conditions des femmes en Europe centrale à la Belle Époque. Le parcours de Ljudmila Poljanec est ensuite abordé non seulement pour sa réussite en matière de publication, mais également pour son combat en faveur du progrès social pour les femmes. Avec la poétesse Vida Jeraj, elle est la seule femme à être parvenue à faire publier ses écrits sous la forme d’ouvrages avant 1914. Elle a également été publiée dans les principales revues de l’époque ayant trait aux arts. Ses préoccupations sociétales concernaient surtout l’éducation des petites filles et l’abrogation du célibat qui était imposé aux enseignantes à l’époque. Comme Zofka Kveder, elle n’a pas pu achever sa formation à la faculté, mais a tout de même pu étudier six semestres à Vienne, entre ses 34 et ses 35 ans, en hygiène, psychologie, philosophie. Minka Skabernè a quant à elle favorisé l’intégration des malvoyant·e·s, entre autres par la cocréation d’une bibliothèque adaptée. À la différence des autres, elle n’a pas du tout étudié à l’université.

7En somme, cet ouvrage est très instructif et très accessible, même pour des lecteur·ice·s peu averti·e·s. Il servirait d’excellente base pour l’organisation d’une exposition. Chaque contribution débute par une photographie de la personnalité abordée, ce qui facilite la mémorisation. D’autres photographies, individuelles ou de famille, sont parfois insérées dans le texte. Entre la conclusion et la bibliographie de chaque contribution se trouve en outre une chronologie de vie également fort utile. Autre point positif : la pluridisciplinarité des contributeur·ice·s de l’ouvrage, allant de la germanistique à l’économie en passant par la slovénistique, l’histoire culturelle, les sciences vétérinaires et l’agronomie. Les résumés sont fournis en anglais et en slovène permettant une large diffusion. L’index des noms est également très utile. On regrettera que la méthodologie ne soit pas précisée. Les nombreux journaux, comme Slovenec, Jutro ou Glas naroda, qui servent de sources, ne sont pas présentés, qu’il s’agisse de leur positionnement politique, de leur lectorat, etc. Le choix des personnalités retenues n’est pas non plus justifié : pourquoi, par exemple, aucune musicologue n’est mise en valeur, ni aucune ethnologue ?

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Notes

1 Bollman Stefan, Frauen, die lesen, sind gefährlich [Les femmes qui lisent sont dangereuses], München, Elisabeth Sandmann Verlag, 2005 ; Frauen, die schreiben, leben gefährlich [Les femmes qui écrivent vivent dangereusement], München, Elisabeth Sandmann Verlag, 2006 ; Frauen, die denken, sind gefährlich und stark [Les femmes qui pensent sont dangereuses et fortes], München, Elisabeth Sandmann Verlag, 2012.

2 Heppner Harald, « Studentinnen der Grazer Universität aus den slowenischen Ländern (1884–1914) » [Étudiantes de l’Université de Graz originaires des pays slovènes (1884-1914)], dans Alois Kernbauer, Karin Schmidlechner-Lienhart (dir.), Frauenstudium und Frauenkarrieren an der Universität Graz [Études et carrières féminines à l’Université de Graz], Graz, Akademische Druck- u. Verlagsanstalt, 1996, p. 119-121 ; Cindrič Alois, « Študentke s Kranjske na dunajski univerzi » [Des étudiants de Carniole à l’Université de Vienne], Zgodovinski časopis, vol. 67, nº 1-2, 2013, p. 60-85 ; Cindrič Alois, « Študentke s Kranjske na dunajski univerzi 1897-1918 » [Les étudiantes de Carniole à l’Université de Vienne 1897-1918], dans Vincenc Rajšp (dir.), Slovenski odnosi z Dunajem skozi čas [Les relations slovènes avec Vienne à travers le temps], Dunaj/Wien, Slovenski znanstveni inštitut = Slowenisches Wissenschaftsinstitut; Ljubljana, Založba ZRC, ZRC SAZU: Inštitut za narodnostna vprašanja, 2013, p. 117-144.

3 Verdel Helena et al. (dir.), Die 100 bedeutendsten Frauen des europäischen Ostens [Les 100 femmes les plus importantes de l’Est européen], Klagenfurt, Wieser Verlag, 2003.

4 Muratović Amir, Kuharska knjiga dr. Angele Piskernik [Le livre de cuisine du Dr Angela Piskernik], TV Slovenija, 2012.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Héloïse Elisabeth Marie-Vincent Ghislaine Ducatteau, « Petra Kramberger, Irena Samide et Tanja Žigon (dir.), Frauen, die studieren, sind gefährlich: Ausgewählte Porträts slowenischer Frauen der Intelligenz [Les femmes qui étudient sont dangereuses : portraits choisis de femmes slovènes de l’intelligentsia] »Balkanologie [En ligne], Vol. 18 n° 2 | 2023, mis en ligne le 01 mai 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/5462 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qfk

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