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Dossier

Héritages visuels contestés. Mobiliser la Yougoslavie socialiste dans la production artistique contemporaine des femmes en Bosnie-Herzégovine

Inherited Imaginaries: Visual Representations of Contested Heritage in Contemporary Women’s Artistic Production in Bosnia-Herzegovina
Ewa Anna Kumelowski

Résumés

Qu’il apparaisse sous la forme de références textuelles, de parallèles historiques, de citations visuelles ou de symboles récupérés, l’héritage culturel d’une sphère culturelle yougoslave commune continue de résonner chez les artistes bosniens, particulièrement chez les femmes artistes. Focalisé sur la capitale Sarajevo, cet article dépasse les limites d’un cadre analytique yougonostalgique pour examiner les projets culturels gérés par des femmes et la manière dont ils récupèrent ou réimaginent l’héritage socialiste dans un contexte contemporain. Combinant analyse historique et critique artistique contemporaine, le texte aborde le travail d’organisations et d’initiatives telles que CRVENA, Sve su to vještice et la galerie d’art Manifesto, ainsi que des pratiques artistiques individuelles, pour discuter de la variété des significations que les symboles yougoslaves ont pour les acteurs culturels d’aujourd’hui.

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Texte intégral

Images héritées : représentations visuelles d’un patrimoine contesté dans la production artistique contemporaine des femmes en Bosnie-Herzégovine

  • 1 Simmons Cynthia, « Women Engage. Engaged Art in Postwar Bosnia: Reconciliation, Recovery, and Civil (...)
  • 2 La documentation de l’installation Sarajevan est actuellement disponible en ligne. Dakić Danica, Wi (...)

1En 1998, une petite télévision noire est apparue sur un socle de pierre au centre de Sarajevo, la capitale de l’État récemment indépendant de Bosnie-Herzégovine. Accueillant à l’origine le buste du prix Nobel de littérature Ivo Andrić – retiré pendant la guerre en Bosnie pour être mis à l’abri –, la structure soutenait désormais un objet technologique d’apparence ordinaire qui diffusait régulièrement une unique image : celle d’une main désincarnée, accompagnée des sons staccato d’une machine à écrire. Placée là par l’artiste Danica Dakić, l’intervention questionnait publiquement la présence contestée du buste d’un écrivain, dont le pedigree yougoslave ambigu a fait une figure controversée parmi les politiciens ethno-nationalistes désireux de s’approprier l’hétérogénéité littéraire de l’auteur. Après s’être identifié comme un auteur yougoslave, l’absence prolongée d’Andrić du centre-ville de Sarajevo peut être attribuée au fait qu’il a simultanément été taxé de nationalisme croate et de nationalisme serbe, une controverse politique qui a fait que le gouvernement bosnien d’après-guerre a tardé à rendre à l’écrivain sa place d’honneur1. Cette sculpture manquante a donc été remplacée, ou plutôt réintroduite, auprès du public par Dakić sous une nouvelle forme, afin qu’il se réapproprie les complexités de l’héritage culturel yougoslave partagé, dans ce contexte contesté. En prenant la figure d’un héros littéraire commun et en la remplaçant par une intervention qui prend la forme d’une main en mouvement sur un écran, Dakić transpose l’héritage yougoslave d’Ivo Andrić pour parler des divisions culturelles actuelles et les mettre en question2.

Fig. 1

Fig. 1

Danica Dakić, Witnesss, vue de l’installation, Sarajevo, 1998. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.

2Bien qu’elle soit l’une des premières à problématiser le passé socialiste de son pays pour aborder des questions politiques contemporaines, Danica Dakić n’est pas la seule femme artiste bosnienne à faire usage de l’imagerie, des symboles ou de l’histoire yougoslave dans sa pratique artistique. Que ce soit sous la forme de références textuelles, de parallèles historiques, de citations visuelles ou de symboles récupérés, l’héritage d’une sphère culturelle yougoslave commune continue de résonner chez les artistes bosniens, et les femmes artistes en particulier. Les images associées à l’État yougoslave sont une source d’inspiration régulière pour les artistes visuels et les acteurs culturels qui gèrent la scène artistique de la capitale, pour qui l’étoile rouge (ou la couleur rouge en général), le drapeau yougoslave ou l’iconographie représentant Josip Broz Tito sont devenus des points de référence puissants. Bien qu’il soit exagéré de prétendre à l’existence d’une tendance artistique ou d’un modèle visuel, un examen plus approfondi révèle qu’une proportion significative de professionnelles du domaine culturel et d’artistes en Bosnie ont abordé ces thèmes à un moment ou à un autre de leur carrière. Parallèlement, l’association des références yougoslaves à la nostalgie politique ou aux attitudes antidémocratiques popularisées après l’éclatement de la Yougoslavie a largement limité l’intérêt du public et les travaux universitaires aux discussions sur la yougonostalgie, négligeant les dimensions personnelles des récits collectifs.

3Considérant les citations visuelles et les références conceptuelles plus larges à l’État yougoslave dans les pratiques artistiques des femmes, ce texte se penche sur des initiatives culturelles dirigées par des artistes femmes et des pratiques curatoriales en Bosnie-Herzégovine. Il propose une lecture genrée de l’art contemporain produit en Bosnie, en se focalisant sur la capitale Sarajevo, et aborde les arts visuels comme un site de (re)négociation pour une culture visuelle post-Dayton. En explorant les raisons pour lesquelles de telles références symboliques sont devenues attrayantes pour des artistes femmes, ce texte montre que la présence de l’iconographie yougoslave dans la production culturelle contemporaine ne peut et ne doit pas être réduite à des déclarations politiques directes ou au seul désir yougonostalgique. Au contraire, ces œuvres proposent des lectures distinctement féminines d’un processus d’historicisation régional qui aborde des héritages partagés tout en conservant une capacité à produire des significations individuelles.

  • 3 Jokić-Bornstein Jelena, « YU. Go Girl: Transnational Art and Its Role in the (Re)Construction of Me (...)
  • 4 Voir Blackwood Jonathan, Introduction to Contemporary Art in BiH, Sarajevo, Duplex 100m2, 2015 ; Wh (...)

4Suivant l’affirmation de Jokić-Bornstein selon laquelle « l’identité culturelle n’est pas simplement représentée dans l’art, mais activement constituée dans l’art3 », la récupération et la réinvention d’un tel symbolisme peuvent être utilisées comme un moyen de critiquer les structures politiques et sociales et d’articuler des revendications indépendantes par le biais de moyens visuels. Alors que les chercheurs étudiant la yougonostalgie traitent rarement des arts visuels en tant que vecteur de transferts culturels temporels, des théoriciens de l’art ont déjà noté l’influence des images historiques dans le travail des artistes bosniens4. À partir de textes d’exposition et d’autres publications artistiques, d’interviews d’acteurs, d’une observation participante et des œuvres d’art elles-mêmes, la production artistique contemporaine est contextualisée afin de situer ces pratiques dans un continuum théorique et discursif. En tant qu’expérimentation et hybride méthodologique, notre étude examine ces thèmes à la lumière des connaissances disponibles sur les processus de production du patrimoine culturel, l’historicisation et l’histoire du genre.

5Alors que les artistes, en tant que groupe social, ne sont pas toujours représentatifs d’expériences plus larges, leur travail peut être considéré comme le reflet de phénomènes sociaux plus vastes. En se penchant sur le travail de femmes artistes, de conservatrices ainsi que sur les organisations avec lesquelles elles travaillent, ce texte situe la pratique artistique indépendante dans un cadre historique. Les protagonistes ont été choisies pour figurer une variété de pratiques de et en Bosnie et représentent surtout la scène artistique indépendante du pays, qu’elles soient jeunes ou établies, basées à Sarajevo ou actives dans la diaspora, artistes ou conservatrices. Elles sont relativement peu nombreuses sur cette scène et souvent interconnectées, et les participantes les plus actives et visibles se retrouvent souvent autour des mêmes projets, à l’étranger comme au pays. Même si une vie artistique de qualité est proposée aux artistes à Banja Luka, Bihać ou Mostar par exemple, Sarajevo reste la ville où la majorité des développements artistiques novateurs se produisent, ainsi que la ville dans laquelle les acteurs des autres villes se retrouvent régulièrement. Présentant un réseau interconnecté d’initiatives artistiques et culturelles, les exemples choisis concernent une grande partie des réalisations des femmes artistes se référant à une « thématique yougoslave », sans prétendre à la représentativité. L’omission ou l’inclusion de certains artistes est avant tout le résultat d’une méthodologie qui interroge la récurrence d’un thème artistique par des acteurs distincts, plutôt qu’une étude exhaustive des arts visuels produits en Bosnie.

6L’article contextualise tout d’abord le réseau complexe d’images, de symboles et de débats qui ont été associés aux codes visuels yougoslaves. En donnant un aperçu des trajectoires temporelles de ces images, cette première partie tente d’inscrire notre propos sur la production culturelle bosnienne dans une perspective historique et genrée. La deuxième partie traite de la manière dont des femmes artistes bosniennes se saisissent de ces trajectoires historiques en explorant les multiples définitions du passé, telles que développées dans leurs pratiques curatoriales et artistiques. On prendra l’exemple de CRVENA, une organisation pour les arts et la culture, et des artistes qui y sont affiliées, dont l’utilisation de l’imagerie yougoslave peut être attribuée à un positionnement politique à gauche. La troisième partie examine les chevauchements entre l’héritage curatorial yougoslave et les pratiques contemporaines en la matière en Bosnie, en prenant l’exemple du travail de la galerie Manifesto, ouverte récemment, et de ses collaboratrices. S’ensuit un examen plus approfondi de la pratique des femmes artistes en Bosnie-Herzégovine ou originaires de ce pays, explorant la manière dont les références au passé prennent des formes multiples lorsqu’elles sont appliquées aux conditions contemporaines.

Naviguer à la croisée des chemins : être une artiste postsocialiste dans une société d’après-guerre

  • 5 Blackwood, Introduction to Contemporary Art in BiH, op. cit., p. 19.
  • 6 Ibid., p. 56.

7Depuis la fin de la guerre de Bosnie, la scène des arts visuels du pays a connu une proportion égale de stagnation et d’innovation au sein d’un système politique, économique et social complexe. Alors que la responsabilité du financement des institutions culturelles dans l’ancienne Fédération yougoslave incombait directement aux gouvernements des républiques et des provinces autonomes, la répartition des obligations financières reste pour le moins confuse dans la Bosnie de l’après-Dayton. En conséquence, les querelles entre les différents niveaux de gouvernement pour déterminer qui va payer quoi ont abouti à une scène artistique à peine financée, contraignant les artistes à adopter des stratégies de financement individuelles ou à graviter autour de travaux collectifs5. En raison de tactiques d’organisation improvisées et de ce que Jonathan Blackwood qualifie de « crise existentielle permanente », les artistes les plus influents du pays continuent d’être ceux « qui seraient normalement associés aux scènes “underground” ou “alternative” », comblant ainsi le vide laissé par l’absence de programme culturel officiel6.

  • 7 Dans la période post-Dayton, les artistes telles que Šelja Kamerić, Selma Selman, Lala Rašćić, Adel (...)
  • 8 À la fin des années 1970, le renouveau féministe autochtone a pris la forme d’un programme politiqu (...)
  • 9 Lóránd, « Socialist-Era New Yugoslav Feminism », art. cité, p. 857.

8Au sein de cette communauté, les femmes représentent une part importante et visible des plasticiens et des curateurs7. L’héritage socialiste du chevauchement entre féminisme et art demeure également pertinent au niveau local, même si l’influence des institutions historiques continue de décliner. C’est le cas par exemple de la symbiose qui s’est créée entre des artistes d’avant-garde influentes et les militantes de la « deuxième vague » du féminisme yougoslave, dont la plupart des activités ont été accueillies par des institutions telles que le Centre culturel et artistique des étudiants de Ljubljana (ŠKUC) ou le Centre culturel étudiant (SKC) de Belgrade8. C’est d’ailleurs sous la direction de Dunja Blažević, directrice du SKC à Belgrade, qui dirigera par la suite le Centre pour la culture et les arts de Sarajevo (SCCA), que s’est tenue la première conférence féministe internationale en Yougoslavie, sous la bannière « Drug-ca žena : žensko pitanje - novi pristup ? » [Camarade Femme : la question des femmes, une nouvelle approche ?]9. Bien qu’une étude genrée de la scène artistique de Bosnie-Herzégovine dans son ensemble dépasse largement le cadre de cet article, la prédominance des femmes à l’échelle locale autant que régionale encourage également à réfléchir à l’influence de l’héritage de la scène artistique yougoslave sur les pratiques contemporaines.

  • 10 Majstorović Danijela, « Féminité, patriarcat et résistance dans la Bosnie-Herzégovine d’après-guerr (...)
  • 11 Simmons, « Women Engaged/Engaged Art in Postwar Bosnia », art. cité, p. 3.
  • 12 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 233.
  • 13 Chinkin Christine, Porobić Isaković Nela, True Jacqui et. al., A Feminist Perspective on Post-Confl (...)

9Au-delà du monde de l’art, la situation actuelle des femmes en Bosnie-Herzégovine demeure une question complexe et contestée. Comme l’a signalé Danijela Majstorović, les structures patriarcales restent dominantes partout dans la région et, bien que leur expression diffère selon les régions ou les classes sociales, la lutte pour l’égalité des sexes a été « mise de côté alors que la transition, la pauvreté et le chômage ont pris le dessus10 ». La nature genrée des violences perpétrées pendant la guerre de Bosnie, notamment les agressions sexuelles et le nettoyage ethnique, a fortement influencé la façon dont le rôle des femmes est perçu (tant à l’intérieur qu’à l’extérieur), allant de pair avec des attentes accrues à leur égard en matière de soins et de travail émotionnel au sein de la famille et de la communauté11. En tant que « mères au service de la nation » et victimes de viols ou d’abus pendant la guerre, leurs « corps ont été instrumentalisés pour servir de champs de bataille physiques et symboliques » pendant les guerres de dissolution de la Yougoslavie et continuent, dans une certaine mesure, à remplir la même fonction12. Les accords de paix de Dayton, qui il y a près de trente ans, en 1995, ont mis fin aux hostilités, n’ont guère fait progresser, ni même contribué à sauvegarder les droits dont bénéficiaient les femmes dans l’État yougoslave. Au contraire, la non-discrimination fondée sur l’appartenance à l’une des trois ethnies constitutives a effectivement supplanté les autres interdictions de discrimination qui existaient auparavant, notamment celles fondées sur le sexe et le genre13.

  • 14 Pavlaković Vjeran, « Memory Politics in the Former Yugoslavia », Rocznik Instytutu Europy Środkowo- (...)
  • 15 Pavlaković, « Memory Politics », art. cité, p. 11.
  • 16 Husanović Jasmina, « The Politics of Gender, Witnessing, Postcoloniality and Trauma. Bosnian Femini (...)
  • 17 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 9.

10Le « discours centré sur la politique mémorielle d’après-guerre qui en résulte continue de dominer presque tous les États successeurs14 », les élites politiques locales fondant souvent « leur légitimité sur le rejet d’un État yougoslave commun et de sa politique mémorielle15 ». Dans la pratique, il en résulte un double processus de commémoration et d’oubli : alors que les héritages de l’État yougoslave sont systématiquement ignorés, l’expérience traumatisante de la guerre de Bosnie est devenue un cadre de référence dominant pour façonner les identités contemporaines. Jasmina Husanović souligne la façon dont ces processus, compte tenu de leur dimension profondément genrée, placent les femmes dans une position particulièrement précaire : « leurs pertes ne sont reconnues et rendues visibles que dans la mesure où elles servent le système patriarcal de la nation, de la famille et du marché d’aujourd’hui », et leur existence se limite souvent à la souffrance et au sacrifice face à une crise permanente16. En Bosnie, les jeunes en particulier considèrent que « l’émergence d’un conservatisme nationaliste et religieux dans la région » à la suite des accords de Dayton est en contradiction directe avec le « socialisme yougoslave ouvert » et l’accusent d’être à l’origine d’une augmentation de l’homophobie, du sexisme et de la violence à l’encontre des personnes LGBTQ au début des années 199017.

  • 18 Woodward Susan, « The Rights of Women: Ideology, Policy and Social Change in Yugoslavia », dans Sha (...)
  • 19 Zaharijević Adriana, « The Strange Case of Yugoslav Feminism: Feminism and Socialism in “the East”  (...)
  • 20 Woodward, « The Rights of Women », art. cité, p. 240.
  • 21 Ibid., p. 240.

11Ces conditions contrastent fortement avec les protections accordées aux femmes par l’État yougoslave, surtout si l’on considère l’héritage durable de la place des femmes dans le secteur culturel et l’importance de la femme comme actrice politique dans les discours officiels de l’ancien pays. Sortie victorieuse de la Seconde Guerre mondiale, la Yougoslavie a été fondée sur l’héritage de la victoire contre le fascisme et cherchait activement à inclure les femmes dans sa construction. Après la démobilisation, l’État yougoslave a été l’un des premiers à mettre l’émancipation des femmes au cœur de son projet politique, en leur offrant « le droit de voter, d’occuper des fonctions publiques, d’être éduquées dans n’importe quelle école et d’accéder à un emploi public sans discrimination18 ». L’État a non seulement pris en charge certaines questions genrées, telles que l’accès à l’avortement, l’inégalité des revenus ou le congé maternité, mais également proposé une clause spécifique dans la constitution révisée de 1974 rendant explicitement illégale la discrimination fondée sur le sexe19. Dans le même temps, la promotion politique des femmes est restée limitée, car l’État lui-même n’a pas fait grand-chose pour réduire l’influence des structures familiales patriarcales, les considérant à la fois comme un élément stabilisateur nécessaire dans le sillage de la guerre et comme une institution privilégiée chargée de s’occuper des enfants et des personnes âgées20. En conséquence, la position des femmes en Yougoslavie, bien qu’elle se soit considérablement améliorée, est restée en deçà des intentions : les femmes ne représentaient que 34,5 % de la population active, le mariage et la répartition des tâches ménagères continuaient de suivre les structures patriarcales et l’accès à la contraception restait limité21.

  • 22 Šuber Daniel, Karamanić Slobodan, « Mapping the Field: Towards Reading Images in the (Post‑)Yugosla (...)
  • 23 Voir, par exemple : Bošković Aleksandar, « Yugonostalgia and Yugoslav Cultural Memory: Lexicon of Y (...)
  • 24 Velikonja, « Entre mémoire collective et action politique », art. cité, p. 353.
  • 25 Palmberger, « Nostalgia Matters », art. cité, p. 357.
  • 26 Ibid., p. 358.

12Comment les imaginaires populaires du féminin hérités de l’époque yougoslave interagissent-ils avec le contexte culturel contemporain ? Alors que l’héritage yougoslave est surtout abordé sous l’angle des transitions post-guerre et postsocialiste par les États successeurs, les débats sur le passé sont souvent guidés par un « paradigme totalitaire » moralisant qui interprète les symboles culturels yougoslaves comme « de simples formes idéologiques vides sans contenu », n’existant que comme moyen de manipulation politique, et donc incapables de véhiculer l’expression d’un sentiment authentique22. La prédominance de la yougonostalgie en tant que cadre analytique est un élément crucial de ces débats, car elle influe sur la manière dont les références au passé sont interprétées dans les cercles universitaires et culturels23. Utilisée à l’origine pour discréditer les mouvements antinationalistes des années 1990, en les accusant d’être nostalgiques d’un système fossilisé qui n’a pas sa place dans les sociétés (nationales) modernes, la définition de la yougonostalgie est devenue beaucoup plus complexe qu’on ne le pense souvent : elle peut être à la fois fixe et indéfinie, émancipatrice ou essentialisée, réparatrice ou réflexive, personnelle ou collective24. De fait, des études sur le sujet suggèrent que les utilisations contemporaines des pratiques yougonostalgiques n’ont pas grand-chose à voir avec la commémoration essentialisée du passé, mais ont plutôt « pris le rôle d’un contre-discours au discours public dominant » dans un contexte où « la perte de confiance sociale ainsi que l’insécurité sociale actuelle renforcent toutes deux le sentiment de nostalgie du passé25 ». Ainsi, pour des chercheurs comme Monika Palmberger, les diverses manières dont les individus gèrent le passé sont à la fois « une expression de critique de la situation actuelle » et « une source d’aspirations futures », l’idée d’une yougonostalgie statique ou véritablement nostalgique ayant largement été discréditée26.

  • 27 Bǎdescu Gruia, Baillie Britt, Mazzucchelli Francesco (dir.), Transforming Heritage in the Former Yu (...)
  • 28 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit.
  • 29 Voir, par exemple : Simmons, « Women Engaged/Engaged Art in Postwar Bosnia », art. Cité ; Jašarević(...)
  • 30 Badinovac Zdenka, « Art as a Parallel Cultural Infrastructure / Legacy of Post War Avantgardes from (...)
  • 31 Volčič Zala, « Yugo-Nostalgia: Cultural Memory and Media in the Former Yugoslavia », Critical Studi (...)
  • 32 Belc Petra, Popović Milica, « Yugonostalgia: Yugoslavia as a Meta-space in Contemporary Art Practic (...)

13Dans le domaine des études culturelles, l’impact des images du passé et de l’héritage culturel sur les pratiques contemporaines est très présent27. En histoire de l’art, des études récentes ont souligné l’importance particulière des contributions des femmes yougoslaves aux pratiques artistiques du pays socialiste, ainsi que leur influence contemporaine dans les républiques indépendantes. L’étude de Jasmina Tumbas sur les performances artistiques des femmes dans la Yougoslavie est, par exemple, à l’avant-garde de ces travaux28. À l’inverse, les études sur les arts visuels bosniens ont largement abordé le thème du patrimoine culturel yougoslave sous l’angle de l’après-socialisme, de l’après-guerre ou de la réconciliation29. L’héritage de la sphère culturelle commune partagée dans l’ancienne Yougoslavie, fondée sur des réseaux professionnels et une infrastructure culturelle parallèle, continue d’informer la manière dont les artistes contemporains agissent au-delà de l’existence de l’État30. Façonnées par des sentiments d’appartenance partagés, fondés en grande partie sur une proximité culturelle basée sur la culture de la jeunesse, la musique, les biens de consommation ou les médias, ainsi que sur les aspects pratiques de la mobilité régionale et de la coopération institutionnelle, les identités ont été construites « sur la base de la fiction constitutive d’un sentiment d’unité supranationale viable31 ». Bien qu’elle ait existé dans le passé, Petra Belg et Milica Popović ont soutenu que cette sphère culturelle commune peut se rencontrer dans un contexte contemporain comme un organisme complexe et décentralisé connecté par « divers événements, réseaux de travail et liens humains, ainsi que par l’aspiration commune à appartenir à un contexte artistique (européen, mondial) encore plus large32 ». Introduisant l’idée d’un méta-espace culturel, elles affirment que :

  • 33 Ibid., p. 18.

[...] dans le méta-espace postsocialiste de la Yougoslavie désormais inexistante, les pratiques artistiques persistent et communiquent dans le même espace que celui dans lequel elles étaient actives avant la disparition de l’État, et dans lequel elles avaient opéré avant son établissement33.

  • 34 La politique du genre et la mémoire yougoslave sont des thèmes très présents chez les artistes du p (...)
  • 35 Pour en savoir plus sur les modalités d’un espace culturel yougoslave commun, voir : Badovinac Zden (...)

14Les artistes visuels contemporains de Bosnie habitent un curieux paysage imaginaire : d’une part, en tant que descendants d’un espace culturel fortement interconnecté et interdépendant, mais aussi en tant qu’acteurs naviguant dans une structure politique post-conflit qui nie régulièrement la pertinence, et parfois même l’existence, de tels héritages historiques. Dans cette constellation de significations, où la connotation négative de la yougonostalgie reste en contradiction avec les débats suscités par le méta-espace yougoslave, les femmes artistes bosniennes utilisent un vocabulaire visuel et discursif ancré à la fois dans l’histoire et dans leur présent34. Je soutiens que celles qui s’appuient sur le symbolisme de l’étoile rouge s’identifient aux idéaux yougoslaves partagés et au rejet de la politique ethno-nationaliste comme alternative aux luttes contemporaines engendrées par un système public en difficulté35. Plusieurs exemples vont permettre d’éclairer cette réalité.

Problématiser le passé en images : fouilles historiques d’histoires contestées

  • 36 Dugandžić Andreja, Jušić Adela, « Da Živi AFŽ ! AFŽ Arhiv » [Vive l’AFŽ ! L’archive de l’AFŽ], Arch (...)
  • 37 Entretien avec Danijela Dugandžić, Sarajevo, septembre 2022.

15Chez certaines personnes, le rejet de la fragmentation politique de la région et l’intérêt pour les droits des femmes se traduisent par une association visuelle et discursive avec les héroïnes yougoslaves, dont l’histoire victorieuse contraste fortement avec les récits de guerre victimaires contemporains. CRVENA, organisation artistique et culturelle basée à Sarajevo, dont le nom signifie « rouge », est un des exemples les plus visibles d’initiatives culturelles à caractère politique pratiquant la récupération du passé socialiste. L’un des projets les plus anciens de CRVENA, intitulé « Šta je nama naša borba dala » [Qu’est-ce que notre lutte nous a apporté ?], est un exemple parfait d’interaction entre le passé et le présent. Lancé en 2010, le projet vise à récupérer, collecter, numériser et rendre public un corpus d’archives cohérent documentant la vie et le travail du Front antifasciste des femmes (Antifašistički Front Žena, AFŽ), l’un des principaux organes politiques créés par les partisans yougoslaves en 1942. En faisant appel à une équipe de chercheurs et d’artistes locaux, le groupe a compilé plus de 500 documents provenant de diverses archives, créant ainsi une collection de documents d’archives sur les femmes partisanes pendant et après la fin de la Seconde Guerre mondiale36. Dans le but de « raviver la connaissance, l’histoire, l’histoire antifasciste des femmes bosniennes et yougoslaves », les participants au projet ont archivé de la documentation et produit une série de publications, d’expositions et d’événements visant à familiariser le public avec l’histoire de l’AFŽ37.

  • 38 Ibid.
  • 39 Dugandžić Andreja, Okić Tijana (dir.), Izgubljena revolucija: AFŽ između mita i zaborava, [La révol (...)

16Malgré l’importance accordée à la participation des femmes dans le mouvement des partisans et à leur rôle dans les pratiques de commémoration de la Seconde Guerre mondiale, l’AFŽ a le plus souvent été négligé dans le discours public socialiste – fait que le projet vise à corriger. Danijela Dugandžić, l’une de ses initiatrices, y voit une forme de « reprise en main » d’un patrimoine historique largement oublié dans l’imaginaire public38. En parallèle, ce projet est présenté comme le reflet direct des opinions politiques de CRVENA, héritières des luttes antifascistes historiques des femmes dont elles se réclament. Dans la lignée de l’intérêt pour la participation politique des femmes dans le mouvement partisan, le projet est présenté comme nécessairement politique, car la « réappropriation de cet héritage est une étape importante pour armer un nouveau mouvement de libération dans la lutte contre la tyrannie patriarcale, fasciste et capitaliste39 ». En parallèle, la marginalisation du travail politique des femmes est placée au centre des récits personnels, les initiatrices du projet expliquant leur intérêt pour le sujet par leur propre méconnaissance de leur héritage :

  • 40 Ibid., p. 6.

Réalisant que l’histoire de la plus grande organisation de femmes de cette partie du monde nous était quasiment inconnue, nous nous sommes efforcées de faire des archives publiques une exploration d’un fait historique qui a toujours été, et reste, relégué aux marges40.

17La mise à disposition de ces archives, consultables en ligne, s’est accompagnée d’une importante publication, dont la conception a impliqué une série d’artistes visuels et de professionnels de la culture sarajéviens. L’ouvrage a été publié en 2016 sous le titre bilingue bosnien-anglais, Izgubljena revolucija : AFŽ između mita i zaborava [La révolution perdue : l’AFŽ entre le mythe et l’oubli], et combine des textes théoriques sur l’histoire de l’AFŽ et une série d’illustrations commandées à de jeunes femmes artistes locales : Sunita Fišić, Kasja Jerlagić, Aleksandra Nina Knežević et Nardina Zubanović. Les images reprennent des scènes socialistes typiques de femmes travaillant, portant, construisant ou menant des activités politiques, chaque image offrant une forme d’individualisation aux scènes historiques décrivant l’agentivité des femmes. Bien qu’hétérogènes sur le plan stylistique, ces différentes séries d’illustrations montrent des scènes du passé socialiste qui placent les femmes au premier plan de l’action politique. Qu’elles représentent des femmes portant des bûches ou des pancartes de protestation, les illustrations jouent un rôle clé dans cette publication adjacente aux archives : elles offrent des parallèles visuels aux textes scientifiques qu’elles accompagnent, en proposant des repères visuels auxquels les lecteurs peuvent s’identifier. Si l’on considère que les images de femmes rurales poussant des brouettes ou participant à des manifestations correspondent rarement à une compréhension plus large de la participation des femmes à la Seconde Guerre mondiale, souvent éclipsées par les récits sur les infirmières et les combattantes partisanes, elles offrent au lecteur de nouveaux codes visuels pour accompagner les textes théoriques.

  • 41 Jušić Adela, « Here Come the Women », site personnel d’Adela Jušić, 8 mai 2015, https://adelajusic. (...)
  • 42 Beoković Mila, Žene heroji [Les femmes héroïques], Sarajevo, Svjetlost, 1967.

18C’est le cas par exemple d’une série de collages élaborée par Andreja Dugandžić et Adela Jušić, Eto nam žena [Voilà qu’arrivent les femmes], créée à partir des archives de l’AFŽ pour la modeste Biennale d’art contemporain D-0 Ark Underground tenue à Konjic, en Herzégovine, en 201541. S’appuyant sur les recherches effectuées par CRVENA, l’œuvre juxtapose des bribes de textes décrivant les expériences des femmes en temps de guerre et des images de femmes effectuant diverses activités en temps de guerre. Replaçant une présence féminine dans des espaces d’où les femmes ont historiquement été effacées, l’œuvre est un exemple de production artistique contemporaine ayant une fonction à la fois politique et éducative. On retrouve une approche similaire dans la pratique d’Adela Jušić, comme en témoignent la sculpture Nepoznata partizanka [Femme partisane inconnue] (2017) ou la pièce sonore Ona je otišla u rat [Elle est partie à la guerre] (2017). Une vidéo de la sculpture, reproduisant cette pièce sonore, montre comment l’artiste, aidée de quelques compagnons, façonne la réplique d’un mémorial pour les soldats (masculins) de la Seconde Guerre mondiale tombés au champ d’honneur typique de la région. Exposant des revendications en matière de patriotisme et d’espoir d’égalité, sur la base du livre de Mila Beoković, Les femmes héroïques42, Jušić énumère une série de motivations pour rejoindre la lutte sur une bande sonore chantée :

  • 43 Jušić Adela, Unknown Partisan Woman, installation et documentation vidéo, 2017, 1:10.

Elle a rejoint le Mouvement populaire de libération parce qu’on lui a promis qu’il porterait aussi ses fruits pour les femmes de Yougoslavie et que personne ne pourrait jamais leur arracher ces réalisations durement gagnées43.

  • 44 Blackwood, Introduction to Contemporary Art in BiH, op. cit., p. 41.
  • 45 Whelan, « Exploring Alternative Geographies, Politics and Identities », art. cité, p. 202.

19L’œuvre se distingue non seulement par le ton d’espoir qu’elle véhicule, mais aussi par la promesse non tenue d’une autonomisation durable faite à la combattante anonyme par un camarade vraisemblablement masculin, tout aussi anonyme. Sans porter d’accusations directes, la vidéo documente le sentiment de trahison attribué à une femme partisane inconnue dont les sacrifices à la guerre n’ont laissé que peu de traces dans l’histoire. L’œuvre a été interprétée comme une « analyse féministe sans compromis des effets du conflit sur les individus » faisant référence au contexte post-conflit contemporain44. La réappropriation par Jušić de marqueurs visuels historiques, prenant la forme des monuments aux morts traditionnels, peut également être lue comme une critique de la réalité actuelle : les victoires durement gagnées qui ont « permis » aux femmes d’avoir une place dans la Constitution yougoslave leur ont en effet été « retirées des mains ». Cette œuvre suggère que Jušić trouve du réconfort à s’identifier à l’héroïne socialiste anonyme, mais aussi qu’elle relie sa position actuelle à celle de ses ancêtres. Comme l’affirme Charlotte Whelan selon laquelle « la nostalgie ne devrait pas être considérée comme un simple désir idéalisé pour le passé, mais plutôt comme un outil actif pour réimaginer le présent/futur », la présence récurrente de références aux partisans peut ainsi être considérée comme un moyen de communiquer des expériences personnelles entre le passé, le présent et l’avenir45.

Fig. 2

Fig. 2

Adela Jušić, Nepoznata Partizanka [Femme partisane inconnue], intervention dans l’espace public, 2017, Sarajevo. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.

  • 46 Entretien avec Hana Ćurak, Berlin, octobre 2022.
  • 47 Ibid.

20La mobilisation des symboles socialistes comme forme de pratique éducative, dans laquelle l’histoire des femmes yougoslaves est utilisée pour aborder les inégalités de genre persistantes, se retrouve également sur la plateforme numérique humoristique Sve su to vještice [Ce sont toutes des sorcières] animée par Hana Ćurak. Populaire auprès des jeunes féministes de Bosnie et des Balkans, ce projet numérique expérimente des formats émergents, combinant des images d’archives de figures historiques et des commentaires textuels dans l’intention de « soutenir l’expérience féminine dans l’espace public46 ». Bien que Ćurak explique privilégier les images d’archives de personnalités et d’intellectuels occidentaux, elle se réfère régulièrement à l’imagerie yougoslave, notamment sous la forme de photographies réimaginées de Josip Broz Tito et de son épouse Jovanka. Le couple, dont les répliques dans ce contexte ont une valeur symbolique en tant que caricatures de leurs rôles historiques, semble également avoir une grande résonance auprès du public de la plateforme47.

  • 48 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 10.

21En exhumant des photographies reconnaissables du passé et en les juxtaposant à des commentaires mordants et ironiques, le projet rappelle régulièrement à ses internautes que si les femmes en Yougoslavie avaient les mêmes droits que les hommes, il leur fallait néanmoins « gagner » leur droit à l’égalité pour que le système patriarcal qui les avait autrefois opprimées le leur accorde48. En d’autres termes, les collages produits par Ćurak poursuivent le double objectif de rappeler au spectateur les réalités vécues par les aïeules yougoslaves, tout en soulignant la continuité des formes d’oppression fondées sur le sexe qui persistent jusqu’à aujourd’hui. Pour cette raison, la plateforme a également été incluse dans l’exposition Polet Žena [Soulever les femmes] (2019) de CRVENA, hébergée au Musée historique de Bosnie-Herzégovine dans le cadre d’un engagement de longue date avec les archives de l’AFŽ.

Fig. 3

Fig. 3

Josip Broz Tito et une travailleuse anonyme dans une soupe populaire.

Plateforme Sve su to vještice, sans titre, média numérique, 2019. Source originale : utilisateur privé de Twitter (impossible à localiser). Avec l’aimable autorisation de l’autrice.

22Fonctionnant à la fois en tant que collages, images de référence et illustrations symboliques, les œuvres présentées dans cette exposition offrent une représentation visuelle du décalage entre les droits théoriques obtenus par les femmes en tant que membres de la résistance et la réalité patriarcale dans laquelle elles vivaient. L’une d’entre elles représente la photographie de trois combattants partisans prenant leur repas tranquillement allongés au sol tandis qu’une femme de la campagne portant un foulard leur apporte des rafraîchissements. Un simple texte en caractères blancs sur fond rouge formule la pensée de la camarade : « Mangez d’abord, je mangerai après ». De la même façon, une autre image montre deux femmes souriantes travaillant ensemble, un tapis tissé à la main, la légende imposant une phrase tout aussi joyeuse : « En avant, chères camarades, les forces fascistes sont presque vaincues ». Par ce type d’interventions décalées, Ćurak et CRVENA questionnent les structures patriarcales qui faisaient autrefois partie du système yougoslave, tout en y trouvant une source d’inspiration.

Fig. 4

Fig. 4

Sve su to vještice, sans titre, média numérique, 2019. Source originale : archive de l’AFŽ, 1948, http://afzarhiv.org/​items/​show/​157. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.

Fig. 5

Fig. 5

Image avec intervention textuelle d’Andreja Dugandžić, incluse dans l’exposition Polet Žena organisée au Musée historique de Bosnie-Herzégovine en 2019 par Lala Raščić et Andreja Dugandžić.

Sve su to vještice, sans titre, média numérique, 2019. Source originale : archive de l’AFŽ, 1948, http://afzarhiv.org/​items/​show/​195. Avec l’aimable autorisation d’Hana Ćurak.

23Hana Ćurak ne s’identifie pourtant pas comme yougonostalgique. Elle considère plutôt son usage des références yougoslaves comme un moyen de se réapproprier des archives la reliant à un espace culturel commun et de placer ses critiques féministes dans un contexte régional auquel elle se sent personnellement liée. Bien qu’elle soit née après la dissolution de l’État commun, elle affirme être régulièrement confrontée à des situations dans lesquelles l’héritage de la sphère culturelle commune s’introduit dans sa vie et dans sa pratique militante basée sur l’image :

  • 49 Entretien avec Hana Ćurak, Berlin, octobre 2022.

Je ne suis pas yougonostalgique, je n’ai pas l’expérience de ce pays, j’en sais très peu sur lui, mais d’une manière ou d’une autre, dans ma vie quotidienne et dans tout ce que je lis, ce que je ressens et ce que je vis, la Yougoslavie apparaît, non pas comme un pays, mais plutôt comme un lieu métaphilosophique, non pas comme un style de vie, mais plutôt comme une réalité oubliée depuis longtemps ou une réalité effacée depuis longtemps. Et quelque part, je ressens le besoin « d’effacer son effacement », parce que c’est la vérité de nos expériences culturelles communes49.

24Nécessairement tournée vers l’avenir, Ćurak explore les paysages socio-physiques possibles du passé en déterrant, en se réappropriant et en recontextualisant des images historiques de femmes yougoslaves largement effacées des récits publics. Cette pratique peut également être considérée comme un moyen d’auto-historiciser des expériences culturelles fragmentées, comme le soutient Zdenka Badovinac :

  • 50 Badinovac Zdenka, « Self-Historicization. Artist Archives in Eastern Europe », dans Emese Kürti, Zs (...)

Aujourd’hui, dans le travail des jeunes artistes, la stratégie d’historicisation acquiert de nouvelles formes, associées en particulier à une critique des nouvelles relations dans la société qui tentent d’instrumentaliser l’histoire. Si, jusqu’à récemment, le sujet de l’historicisation était principalement l’art d’avant-garde de l’après-guerre, aujourd’hui, sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, par exemple, ces sujets incluent également l’héritage culturel du socialisme et du mouvement des partisans yougoslaves50.

  • 51 Ibid., p. 85.

25Considérant la mobilisation du souvenir des idéaux yougoslaves à travers les images comme un moyen de créer des espaces virtuels dans lesquels les femmes « essaient de se connecter avec d’autres personnes qui sont passées par là », Ćurak présente des alternatives pour ceux qui habitent des espaces publics « où il n’y a pas de place pour eux51 ». De cette manière, sa pratique tire parti d’un cadre visuel socialiste pour s’adresser à un public qui dépasse les frontières de la Bosnie autour d’un problème commun, rejoignant ainsi les efforts de CRVENA pour exhumer des archives qui traitent d’expériences à la fois personnelles et collectives.

Réexamen des pratiques curatoriales yougoslaves sur la scène artistique contemporaine

  • 52 Entretien avec Adna Muslija, Sarajevo, septembre 2022.
  • 53 Ibid.

26Bien que Sarajevo soit d’une certaine façon demeurée un lieu secondaire de la production artistique yougoslave, les acteurs culturels de la Bosnie d’aujourd’hui continuent de trouver inspiration, motivation ou signification dans l’héritage historique de leurs prédécesseurs yougoslaves. Ainsi, la présence visible de projets dirigés par des femmes et liés aux questions de genre, ou la popularité continue des pratiques de performance construites autour de la subversion conceptuelle du corps féminin peuvent être considérées comme des reflets de l’héritage féministe. C’est ce qui vient à l’esprit lorsqu’on rencontre Adna Muslija, conservatrice à Manifesto, une nouvelle galerie privée qui tente de revitaliser la scène artistique bosnienne. Avec Benjamin Čengić et Ajla Salkić, Muslija dirige ce qui est peut-être l’une des galeries « white cubes » les plus intéressantes du Sarajevo de l’après-guerre, grâce à une campagne massive de financement participatif. En l’absence de marché de l’art local ou d’aide publique significative, l’équipe travaille avec de jeunes artistes et des stratégies de financement inventives afin de créer un espace durable pour la recherche et l’expérimentation culturelles. Bien qu’il ne soit en rien issu d’une institution culturelle yougoslave, l’espace semble théoriquement ancré dans l’héritage historique de l’ancien État52. Citant le SCCA des années d’après-guerre (1996-2005) comme influence majeure, Muslija décrit la galerie Manifesto comme un espace qui s’engage et apprend du passé et, à l’invite, reconnaît un certain chevauchement entre les héritages des centres culturels pour étudiants et des galeries associées qui ont dominé la scène artistique yougoslave. Sans financement régulier ni accès à un marché économique solide, Manifesto est devenue au fil du temps le siège de discussions politiques qui rappellent davantage la nature ambivalente des centres culturels yougoslaves qu’une galerie d’art contemporain classique, créant ainsi une impression de continuité des pratiques. Bien qu’elle ne considère pas son travail comme issu directement des clubs d’étudiants yougoslaves, et que les espaces artistiques qui s’engagent en politique se soient globalement multipliés ces derniers années, Muslija identifie en partie ses luttes à celles de ses prédécesseurs lorsqu’elle réfléchit aux similitudes entre la vie culturelle actuelle et passée : « les centres d’étudiants sont vraiment le meilleur exemple de la manière dont l’État peut être clairvoyant et les gens encore davantage53 ».

  • 54 Muslija Adna, « How to Be a Pioneer: Feminism, Art and the Future », texte de l’exposition, Sarajev (...)
  • 55 Ibid.

27L’exposition réciproque organisée sous le titre « How to Be a Pioneer(ess): Feminism, Art and the Future » est une parfaite illustration de l’interaction entre le passé et le présent observée dans la galerie Manifesto. Le projet, qui souligne l’absence de liens diplomatiques et les difficultés de circulation entre la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo voisin, « permet des lectures féministes du passé et du présent, ainsi que des réflexions sur l’avenir », en positionnant les œuvres dans un contexte temporel et géographique adaptable, intrinsèquement féministe54. En partenariat avec l’espace artistique Ministudio à Priština, une poignée d’artistes kosovars d’orientation féministe ont été invités à ouvrir l’espace permanent de Manifesto en 2022, questionnant ainsi les relations politiques irrégulières entre les deux capitales. L’événement s’est déroulé sous le nom de « Chit-Chats: Heterotopia of time and female (visual) writing », présentant le travail d’Alije Vokshi, du collectif Haveit et de Laureta Hajrullahu ; il a ouvertement critiqué le statu quo régional en tant que « produit du système patriarcal et de ses valeurs55 ». En échange, Ministudio a accueilli la même année à Priština les œuvres d’Adela Jušić, Alma Gačanin, Milena Ivić, Jelena Fužinato et Bojana Fužinato sous le titre « The Economy of (female) labor: Between gender and ideals of production ». Principalement axée sur les inégalités contemporaines en matière de travail, l’exposition comporte des déclarations ouvertement politiques sur les mécanismes patriarcaux d’exploitation, bien que Jušić soit la seule à aborder directement le passé historique.

  • 56 Muslija Adna, « The Economy of Female Labour: Between Gender and Ideals of Production », texte de l (...)

28Proposant une critique des politiques capitalistes néolibérales, l’exposition est fermement ancrée dans des logiques féministes tout en reproduisant, même si cela n’est pas mentionné directement dans le texte de l’exposition, des pratiques curatoriales issues des traditions yougoslaves56. Cela n’est pas une réminiscence de la nostalgie yougoslave : les similitudes entre la situation des artistes yougoslaves et celle de leurs homologues contemporains – qui s’expriment principalement à travers la difficulté d’accès au marché mondial de l’art – ont poussé les deux groupes à rechercher des solutions novatrices. Le projet est aussi intrinsèquement ancré dans un cadre culturel yougoslave : rappelant aux spectateurs que les Bosniens ont toujours besoin d’un visa pour se rendre dans ce qui était alors une ville voisine du même pays, le titre du projet se réfère aux pionniers de Tito, en tant que référence partagée. S’efforçant de reconstruire des réseaux culturels régionaux, l’équipe de Manifesto reconnaît l’héritage des pratiques culturelles, mais suggère également qu’il est financièrement, politiquement et culturellement avantageux de continuer à le faire.

29Muslija se revendique comme une professionnelle de la culture féministe, dont l’intérêt pour les questions de genre découle de motivations politiques plus larges. Reconnaissant le manque de références ou de modèles facilement accessibles pour les jeunes femmes artistes d’aujourd’hui, elle plaide pour l’utilité des continuités dans le domaine des arts visuels. S’exprimant de manière critique sur le paysage culturel post-Dayton, elle considère l’identification artistique au projet yougoslave comme un rejet des réalités actuelles plutôt que comme un réel désir de retour au passé :

  • 57 Entretien avec Adna Muslija, Sarajevo, septembre 2022.

Si le système démocratique créé avec Dayton ne vous plaît pas, et que vous ne vous reconnaissez pas dans l’appartenance ethnique et les récits qu’elle comporte, la seule voie pour vous est de vous relier d’une manière ou d’une autre à la lutte antifasciste yougoslave. [...] En fait, je suis devenue féministe après que...en grandissant, j’ai réalisé que je me sentais une femme de gauche, et j’ai alors réalisé que tout cela devait être lié, qu’on ne pouvait pas le séparer57.

  • 58 Ibid.
  • 59 Muslija Adna, « Bitter Coffee Sweetly Drunk », texte d’exposition, ODRON, Sarajevo, 2019.

30En tant que membre d’une jeune génération qui ne se souvient pas personnellement de l’État socialiste, elle considère que les citations visuelles de symboles socialistes sont avant tout l’expression d’idéaux politiques contemporains procédant par récupération, plutôt que d’une quelconque nostalgie. Par ailleurs, sa pratique artistique traite principalement des réalités politiques de la vie dans les Balkans par le biais d’interventions dans l’espace public et d’installations percutantes. Utilisant fréquemment la couleur rouge comme élément constitutif de ses créations, elle reconnaît les connotations et les liens avec l’espace politique historique qu’elle habite58. Certains de ses projets, telle une série d’installations connues sous le nom de Bitter Coffee Sweetly Drunk (2019), abordent de front la question complexe de l’appartenance du patrimoine partagé dans les Balkans. En combinant des objets ménagers quotidiens associés au design et à la production socialistes placés en contexte bosnien, elle reproduit un décor de salon à partir d’objets visuellement symboliques. Ainsi, un fauteuil typique, tapissé de rouge, est drapé de chaussettes tricotées ornées d’étoiles rouges et d’un napperon en dentelle traditionnelle, également découpé en forme d’étoile, faisant ainsi un lien discursif entre le passé et le présent. Au-delà des références visuelles, Muslija joue avec les orientations socialistes en insérant une référence discursive dans la dernière phrase du texte de présentation de l’exposition : « Mort au fascisme, liberté à la synthèse59 ».

Fig. 6

Fig. 6

Adna Muslija, Bitter Coffee Sweetly Drunk, vue de l’exposition, Sarajevo, 2019. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.

31Muslija souligne l’importance des discours actuels dans sa pratique artistique et curatoriale, et admet que cela implique nécessairement de prendre en compte le passé yougoslave. Si les héritages esthétiques et curatoriaux yougoslaves ne sont pas nécessairement présents dans toutes les initiatives culturelles de Bosnie, même les plus ouvertement féministes, leur popularité dans les pratiques curatoriales contemporaines peut être interprétée comme une continuité dans un contexte post-yougoslave plus large. Ainsi, la récupération de l’héritage yougoslave dans les initiatives culturelles contemporaines n’indique pas une reproduction directe des valeurs du passé, mais plutôt une nouvelle forme de compréhension pratique des contextes politiques et culturels régionaux.

Le personnel et le politique : approches individuelles des féminités reliées dans le temps

  • 60 Velikonja, « Between Collective Memory and Political Action », art. cité, p. 353.
  • 61 Palmberger, « Nostalgia Matters », art. cité, p. 358.

32Que ce soit dans la programmation des galeries, les campagnes sur les réseaux sociaux ou les pratiques artistiques individuelles, une grande partie de la production artistique discutée ici est enracinée dans des croyances politiques individuelles. Celles-ci s’expriment dans la traduction systématique des idées en processus créatifs ou dans la réappropriation (sub)consciente d’imageries visuelles associées à la gauche yougoslave. La popularité des thèmes socialistes dans la pratique artistique des femmes bosniennes peut donc être associée à de multiples raisonnements qui nous semblent ancrés dans des modes d’expression collectivement lisibles. En tant que tel, ces artistes oscillent entre les différentes significations attribuées à la yougonostalgie par Mitja Velikonja, selon lesquelles les références yougoslaves fonctionnent beaucoup plus comme des éléments d’un langage pictural mutuellement intelligible que comme des citations concrètes du passé60. Les pratiques yougonostalgiques contemporaines comme « expressions de la critique de la situation actuelle », telles que décrites par Monika Palmberger, sont, dans ce cas, peut-être les plus directement visibles61. Si on examine de plus près la pratique artistique de quelques femmes bosniennes à différents moments de leur carrière, il devient évident que ces références au passé peuvent prendre des formes multiples, voire contradictoires, lorsqu’elles sont appliquées aux conditions contemporaines.

  • 62 Entretien avec Adna Muslija, Sarajevo, septembre 2022.
  • 63 Par exemple, sa récente participation à l’exposition collective Drugarstvo [Camaraderie] en 2022 au (...)

33Interrogée à ce sujet, Adna Muslija souligne que les métarécits centrés sur l’ancien État yougoslave et sa dissolution ont encore tendance à s’infiltrer dans des éléments subconscients de la production artistique62. Muslija donne l’exemple du travail de Lala Raščić : comme nombre de ses compatriotes, cette artiste aborde rarement directement dans son travail l’ancien État et son parcours témoigne pourtant d’une participation régulière à des expositions de groupe sur des sujets historiques yougoslaves63. L’historienne de l’art Jasmina Tumbas suggère de la même manière des parallèles entre les œuvres de Raščić et des discussions plus larges sur le lien entre la violence patriarcale et les guerres de dissolution de la Yougoslavie. Sa performance Gorgo (2019), inspirée de la mythologie grecque et de la figure de Méduse, est citée en exemple : l’artiste assemble lentement une armure martelée sur son corps, chaque mouvement extirpant soigneusement du métal protecteur des sons étudiés. Dans sa lecture de la pièce, Tumbas considère que la performance réhabilite une figure mythologique fatale dont le pouvoir a été accaparé par les structures patriarcales, dans une métaphore de l’imposition de mécanismes similaires aux mouvements antinationalistes de femmes des années 1990. Tumbas voit dans cette performance un rejet du chauvinisme national et de la violence sexiste qui ont accompagné la dissolution de la Yougoslavie. Ainsi, le travail de Lala Raščić semble être régulièrement interprété par ses pairs comme usant de références yougoslaves, alors même que ces références sont indirectes et souvent abstraites. En se référant au passé par l’expérience « partagée » des mouvements féminins anti-guerre, souvent dénoncés comme yougonostalgiques par leurs critiques, elle semble se réapproprier non pas l’imagerie mais l’étiquette de la nostalgie dans son travail.

  • 64 Correspondance personnelle avec Kasja Jerlagić, octobre 2022.

34D’autre part, l’usage de symboles socialistes ou de l’imagerie yougoslave peut également résulter d’une réflexion politique consciente et de références directes à l’État en tant que projet politique. C’est le cas de Kasja Jerlagić, artiste, commissaire d’exposition et cofondatrice de l’espace artistique et militant ODRON (aujourd’hui disparu) qui proclame ouvertement ses positions politiques : « Je me considère comme une artiste féministe, mais je suis avant tout une gauchiste64 ». Pour elle, l’histoire socialiste de son pays d’origine reste, malgré sa disparation, une partie intégrante de son quotidien :

  • 65 Ibid.

La Yougoslavie est très importante pour moi car c’est notre passé récent et nous sommes entourés de ses vestiges – les histoires de famille, les souvenirs collectifs, le cadre industriel et administratif, même la culture pop est encore très yougoslave. [...] La Yougoslavie est la clé pour comprendre où nous en sommes aujourd’hui en tant que région. Pour moi, elle représente non seulement un passé industriel idéalisé, mais aussi un avenir socialiste utopique possible65.

  • 66 « Skupa smo se uvalili, skupa ćemo se i izvući », traduction de l’auteure.

35Alors que la pratique de Jerlagić prend ses distances avec les institutions, elle revient régulièrement à son propre héritage yougoslave en intégrant un symbolisme visuel dans ses œuvres. En tant qu’artiste interdisciplinaire explorant sans relâche tous les supports physiques, numériques, innovants ou traditionnels à sa disposition, elle utilise le passé comme un outil pour créer un lien entre l’œuvre, le spectateur et ses propres questionnements émotionnels. On peut trouver un exemple de cette récupération extratemporelle dans une série d’impressions numériques représentant des femmes vêtues de costumes folkloriques régionaux traditionnels prenant des poses provocantes, questionnant directement les divisions nationales d’un point de vue genré. Son œuvre Soc Nouveau illustre particulièrement ce procédé : en représentant trois femmes vêtues des costumes nationaux associés aux traditions bosniaques, croates et serbes de Bosnie, elle emprunte consciemment à la propagande soc-réaliste afin de commenter la position des femmes dans la région. Superposées à un lettrage décoratif mais percutant, les figures interpellent le spectateur avec un air de défi et un slogan simple : « C’est ensemble que nous nous sommes mis dans ce [pétrin], c’est ensemble que nous nous en sortirons66 ». Jerlagić utilise ainsi l’imagerie du passé, empruntant des outils stylistiques associés aux imprimés de propagande socialiste et des motifs issus de la culture populaire promue pendant la période socialiste, pour aborder la dissolution de l’État yougoslave et proposer des solutions politiquement réfléchies basées sur la solidarité féminine.

Fig. 7

Fig. 7

Kasja Jerlagić, Soc Nouveau, impression numérique, 2019. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.

36Après avoir touché à tout – de la photographie analogique à l’illustration, en passant par la conception numérique, avant de se consacrer aux textiles –, l’artiste se focalise actuellement sur les tapis tissés à la main et estampés de lettres. Dans son travail, les références régulières à Tito, à l’étoile rouge et à la culture folklorique yougoslave apparaissent davantage comme une reconnaissance de l’influence du passé que comme une invitation à un retour. Malgré le symbolisme explicite qui parsème ses œuvres, ces objets sont à la fois simples et complexes, et le support à travers lequel cette imagerie est transposée se lit plus intimement que n’importe quelle œuvre d’agit-prop typique.

37Ayant trouvé succès commercial et soutien institutionnel à l’étranger, Selma Selman est peut-être la femme artiste dont la pratique croise l’imagerie yougoslave la plus connue de Bosnie. L’héritage socialiste associé à son lieu de naissance se retrouve sous diverses formes dans son portfolio, par exemple dans la documentation d’une performance intitulée Ja Sam Jugoslovenka [Je suis la femme yougoslave], dans laquelle l’artiste se réfère à une vidéo musicale mémorable de l’icône pop Lepa Brena et à sa chanson du même nom. On y voit l’artiste debout, seule sur un bateau entre l’Italie et la Slovénie, les cheveux au vent. Lors d’un entretien avec Jasmina Tumbas, Selma a expliqué ainsi son choix :

  • 67 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 281-282.

Je me suis sentie comme Lepa Brena. Si une jeune femme rom originaire de Bosnie, vivant aux États-Unis, performeuse dans des réseaux internationaux, vit et respire la vie de la Yougoslavie et de la « Jugoslovenka », alors nous pouvons effectivement en déduire que si le projet politique yougoslave a été détruit par le nationalisme et le capitalisme néolibéral au début des années 1990, son héritage féministe et multiethnique vit dans le corps des nouvelles générations de femmes yougoslaves67.

38Se revendiquant Jugoslovenka [femme yougoslave], Selman se positionne en tant que citoyenne d’un État inexistant, en contraste direct avec la politique ethno-nationaliste qui a suivi la dissolution de ce dernier, établissant publiquement une comparaison entre elle et la figure reconnaissable d’une icône régionale. De la même façon que le portrait ne porte pas de marqueurs visuels associés à l’imagerie yougoslave, l’usage d’un contexte yougoslave (et non simplement antinationaliste) avec une vue de bord de mer, sans rapport critique apparent avec les politiques régionales contemporaines, implique pourtant leur infériorité par rapport à l’ancien statu quo. Bien qu’elles ne soient pas aussi abstraites que les références présentes dans le travail de Lala Raščić ni aussi ouvertement politiques que le portfolio varié de Kasja Jerlagić, les œuvres de Selman mobilisent régulièrement de telles références pour aborder des cas spécifiques d’oppression patriarcale considérés comme symptomatiques de la société bosnienne d’après-guerre.

39Tout comme elle s’est identifiée à l’icône Lepa Brena, Selma Selman a également adopté la figure de Josip Broz Tito comme vecteur de transmission de ses expériences. S’appuyant sur son succès pour créer la fondation éducative Get the Heck to School, Selman a consacré du temps et apporté un soutien financier direct à la scolarisation des enfants en Bosnie, en particulier des filles roms de sa communauté. Le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires est ainsi passé de 15 à 95 % chez les filles d’origine rrom vivant à Bihać68. En partie grâce à son succès commercial et à son activisme populaire, elle est devenue une personnalité influente au sein de sa communauté, ce qui lui a valu d’être surnommée « Tito » par les enfants69. Illustrant l’influence durable des symboles socialistes sur la société contemporaine, Selman reconfigure un nom prescrit de l’extérieur pour exprimer sa propre opinion sur sa position sociale. Renversant le slogan populaire selon lequel « Nous sommes à Tito », Selman s’approprie l’idée politique de la prospérité yougoslave et la figure de proue symbolique de cette prospérité, et on la voit au volant d’une camionnette portant le slogan : « Selma Je Tito » [Selma est Tito]70.

Fig. 8

Fig. 8

Selma Selman, Selma Selman je Tito, photographie, 2019. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.

Fig. 9

Fig. 9

Selma Selman, Paintings on Metal, acrylique sur métal, dimensions variables, 2018. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.

40Même lorsqu’elle peint, Selman fusionne le médium traditionnel avec des matériaux inhabituels, comme on peut le voir dans sa série Paintings on Metal (2018). L’une de ces pièces est un objet métallique rond et bleu, dont la surface irrégulière est utilisée comme toile représentant une image de l’artiste elle-même, assise sur une chaise, aux côtés d’un buste statuaire représentant l’ancien dirigeant yougoslave qui rappelle les statues typiques réservées aux chefs d’État. En lettres inégales, l’artiste proclame : « Je veux aller à L.A. Je ne veux pas être Tito », exprimant à la fois sa relation ambivalente avec l’héritage symbolique du règne de Tito et ses difficultés en tant qu’individu.

  • 71 Correspondance personnelle avec Kasja Jerlagić, octobre 2022.

41S’éloignant de la théorie et s’ancrant dans la pratique, les utilisations contemporaines de l’imagerie yougoslave semblent également liées à des considérations esthétiques plutôt qu’idéologiques. Développés dans le cadre d’un continuum sociopolitique spécifique, les codes visuels de l’art et du design yougoslaves traditionnels attirent le public grâce à leur recours à des couleurs denses, à leur symbolisme angulaire et, dans une certaine mesure, à la représentation fréquente de figures puissantes. À l’opposé, les pratiques artistiques d’avant-garde qui ont dominé la scène artistique yougoslave dite indépendante étaient également engagées dans la réappropriation du symbolisme national dans des œuvres subversives. On peut le constater, par exemple, dans le travail de Kasja Jerlagić pour qui « l’esthétique chic » du design socialiste est représentative d’un espace culturel commun construit sur « un art de qualité produit et circulant dans la région » d’une manière « inimaginable aujourd’hui71 ». En tant qu’artiste, Jerlagić – dont le portfolio comprend un débardeur blanc brodé d’une faucille et d’un marteau aux couleurs de l’arc-en-ciel ou une tapisserie miniature représentant le portrait de Josip Broz Tito – emprunte régulièrement à l’héritage du design yougoslave pour le juxtaposer aux pratiques douteuses du design étatique d’aujourd’hui.

42De même, Danijela Dugandžić, de CRVENA, établit un lien entre les préoccupations politiques contemporaines et la réponse visuelle suscitée par les images reproduites. S’adressant spécifiquement aux jeunes femmes qui n’ont pas connu la vie dans l’État socialiste, Dugandžić interprète la popularité de l’imagerie yougoslave auprès de ce groupe générationnel comme le rejet des langages visuels contemporains :

  • 72 Entretien avec Danijela Dugandžić, Sarajevo, septembre 2022.

Si vous essayez de comparer l’imagerie politique d’aujourd’hui avec celle de la Yougoslavie, vous verrez une grande différence. Le design yougoslave est vraiment quelque chose à part – de l’art pur. [...] Qu’il s’agisse d’une affiche représentant une grande étoile rouge en mouvement ou de l’illustration d’une femme forte le poing levé, il s’agit toujours d’une imagerie puissante. En la regardant, vous devez vous dire : « Je veux me sentir comme ça, je veux être cette femme, je veux que les femmes soient vues comme ça. Je ne veux certainement pas me sentir victime, comme dans l’imagerie actuelle, une femme en pleurs, contemplant des cimetières de masse ». Des images que nous connaissons tous très bien aujourd’hui, malheureusement. Il s’agit de se sentir autonome et pleine d’espoir, sans être accablée par le passé tragique72.

43En particulier pour la génération d’artistes qui n’a connu directement ni la guerre ni l’État yougoslave, il apparaît que les principaux canaux de représentation de la position sociale des femmes sont restés liés à la victimisation engendrée par le conflit et n’ont pas réussi à produire d’alternatives constructives pour l’après-guerre. Il est donc logique que les jeunes artistes soient attirées par l’imagerie yougoslave : visuellement, le répertoire yougoslave offre des images de force et d’action qui sont absentes des représentations visuelles plus récentes.

  • 73 Entretien avec Amila Smajović, Sarajevo, septembre 2022.
  • 74 Ibid.

44Si la plupart des femmes artistes et des professionnelles de la culture dont il est question dans ce texte s’identifient à la gauche politique au sens large, un grand nombre d’entre elles ne s’identifient pas spécifiquement à une position politique ou à une étiquette féministe. Pour certaines, comme Amila Smajović, la popularité de l’iconographie socialiste dans la pratique artistique des femmes contemporaines est le résultat de processus de commémoration basés sur la nostalgie, encouragés par la douloureuse transition de l’après-guerre73. Smajović, dont les idéaux humanistes imprègnent la pratique textile, s’est fait un nom grâce à divers projets de longue haleine axés sur la récupération des traditions de fabrication de tapis bosniens, mais ne se sent pas particulièrement représentée par le symbolisme socialiste. Bien qu’elle soit parfaitement consciente des questions de genre qui se posent dans la société contemporaine et qu’elle se réfère aux difficultés rencontrées par les femmes dans la gestion conflictuelle des obligations familiales et professionnelles, elle préfère concevoir son travail comme le reflet d’une vision universaliste du monde, axée sur la réduction des divisions sociales plutôt que sur sa propre identité de genre74.

  • 75 Ibid.

45Smajović appartient à une génération établie d’artistes qui a vécu la stabilité économique offerte aux travailleurs du secteur culturel par l’État yougoslave, ainsi que son effondrement. Lorsqu’elle parle de la récupération des symboles et des motifs yougoslaves, son positionnement est pertinent malgré sa propre ambivalence – voire son rejet – à l’égard des références au passé socialiste de la région. Ainsi, même les femmes artistes dont les convictions personnelles ne coïncident pas avec les programmes politiques de gauche ou féministes non seulement reconnaissent le langage visuel employé par leurs collègues, mais peuvent également expliquer pourquoi ce langage peut être attrayant pour d’autres et faire spontanément le lien entre le terme de nostalgie, à connotation quelque peu négative, et les inégalités actuelles existant entre les sexes75. Si toutes les femmes artistes ne s’accordent pas à dire que la reconfiguration des étoiles rouges et des slogans socialistes est une méthode constructive du travail artistique ou culturel, les intentions de celles qui choisissent de participer à cette pratique sont lisibles par des personnes non engagées.

En conclusion : fouiller l’avenir du symbolisme yougoslave

46Les différents exemples mobilisés ici montrent que les femmes artistes, curatrices et organisatrices d’événements artistiques de Sarajevo mobilisent l’imagerie yougoslave de diverses manières : comme un moyen de se relier à leur histoire personnelle, pour se souvenir des héritages oubliés de l’émancipation et éduquer les autres, ou encore comme un moyen d’aborder les problèmes politiques contemporains, comme source d’inspiration esthétique ou thématique, voire simplement par choix esthétique. L’intervention artistique de Danica Dakić qui ouvre ce texte n’est donc qu’un exemple parmi d’autres de ces récupérations historiques dans les arts visuels, mais un exemple qui illustre bien les ambiguïtés relevées. Non seulement elle critique la réalité actuelle, mais elle le fait en réutilisant et en reconfigurant des références culturelles à un passé partagé comme moyen de mobiliser un public local et régional.

  • 76 Kurtić Azem, « Uništeno Partizansko groblje u Mostaru » [Le cimetière partisan détruit à Mostar], B (...)

47Malgré la popularité du sujet dans les sciences sociales contemporaines, les modalités régissant la récupération des symboles et des références yougoslaves restent marquées par les incertitudes et les contradictions. Dans le climat politique actuel, où l’on assiste à une résurgence de l’hostilité envers les objets culturels liés à l’État yougoslave, il est de plus en plus urgent de discuter de la manière dont les individus abordent l’héritage culturel du passé socialiste. Les actes de violence commis à l’encontre des symboles socialistes, telle la destruction du célèbre cimetière des Partisans de Mostar, sont emblématiques d’une nouvelle façon de concevoir le patrimoine yougoslave uniquement en tant qu’antithèse aux politiques ethno-nationalistes, sans autre signification supplémentaire76. En examinant la manière dont les artistes contemporains, les femmes artistes en particulier, s’engagent à travers un portfolio étonnamment diversifié de références historiques, il est possible d’aborder les façons dont cette population a vécu la transition sans nécessairement imposer de lectures postsocialistes – mais également de mieux comprendre les motivations de ceux qui s’opposent violemment à toute référence de ce type.

48La popularité de l’imagerie socialiste parmi les femmes artistes bosniennes n’est pas le signe d’un projet féministe global, pas plus qu’elle n’indique le désir massif des femmes de revenir à l’époque de la Yougoslavie socialiste. Cela ne signifie pourtant pas que les usages de ce symbolisme visuel soient dénués de sens. Les tensions entre les héritages historiques, leurs interprétations publiques et les expériences personnelles qui les sous-tendent sont le reflet de la reproduction d’utopies culturelles partagées basées sur des indicateurs de valeur communs. Bien qu’elles soient parfois proches des pratiques de commémoration, ces initiatives découlent en grande partie de l’identification personnelle des artistes femmes à leur passé et à un avenir incertain. Les études contemporaines s’accordent largement sur le fait que ce que l’on appelle souvent les pratiques yougonostalgiques ne reposent pas nécessairement sur des sentiments de nostalgie. En tentant de démêler l’écheveau complexe de significations, d’histoires et de pratiques au sein d’une communauté spécifique d’artistes visuels, cet article postule que la récupération des symboles socialistes existe en tant que phénomène pluraliste qui irrigue la production culturelle contemporaine moins comme une référence au passé que comme un vocabulaire historique partagé. Si l’on considère que les mobilisations contemporaines de la représentation symbolique yougoslave n’ont cessé d’élargir la définition de la pratique yougonostalgique, il est peut-être temps de reconsidérer la nostalgie en tant que principal facteur régissant les usages d’images historiques dans un contexte contemporain. Mettant en garde contre l’imposition forcée de revendications politiques imaginaires sur les pratiques de résistance culturelle, ce texte s’écarte d’une lecture statique des événements et des symboles historiques, alors que partout dans l’ex-Yougoslavie les pratiques de récupération se déplacent et fusionnent, prenant des sens nouveaux et individuels.

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Notes

1 Simmons Cynthia, « Women Engage. Engaged Art in Postwar Bosnia: Reconciliation, Recovery, and Civil Society », The Carl Beck Papers in Russian and East European Studies, no 2005, 2010, p. 21.

2 La documentation de l’installation Sarajevan est actuellement disponible en ligne. Dakić Danica, Witness, Sarajevo, 1998, https://www.youtube.com/watch?v=fDFnIl8c0v4 (consulté en décembre 2023).

3 Jokić-Bornstein Jelena, « YU. Go Girl: Transnational Art and Its Role in the (Re)Construction of Memory and Identity in Post-Conflict Societies. The Case of Bosnian Female Artists in Vienna », Academia Papers, article 4465, 2021, p. 2. Toutes les citations ont été traduites par l’autrice.

4 Voir Blackwood Jonathan, Introduction to Contemporary Art in BiH, Sarajevo, Duplex 100m2, 2015 ; Whelan Charlotte, « Exploring Alternative Geographies, Politics and Identities in Bosnia and Herzegovina through Contemporary Art Practices », thèse de doctorat en géographie, Londres, University College London, 2017.

5 Blackwood, Introduction to Contemporary Art in BiH, op. cit., p. 19.

6 Ibid., p. 56.

7 Dans la période post-Dayton, les artistes telles que Šelja Kamerić, Selma Selman, Lala Rašćić, Adela Jušić ou Alma Gačanin ont connu le succès et la reconnaissance tant au niveau local qu’international, souvent davantage que leurs homologues masculins. Les orientations curatoriales de Dunja Blažević ou de Lejla Hodžić au Centre pour la culture et les arts de Sarajevo (SCCA) illustrent de la même manière le rôle prépondérant des femmes dans la culture bosnienne contemporaine d’après-guerre.

8 À la fin des années 1970, le renouveau féministe autochtone a pris la forme d’un programme politique construit en fusionnant la discussion intellectuelle et la production culturelle. Les centres culturels étudiants actifs en Yougoslavie ont accueilli des événements féministes radicaux à plusieurs reprises, tout en offrant un espace à des artistes et professionnelles, telles que Bojana Pejić, Jasna Tijardović, Biljana Tomić, Marinela Koželj ou Dunja Blažević pour développer leurs projets curatoriaux, et ont encouragé les voix d’artistes radicaux tels que Marina Abramović et Katalin Ladik. Voir : Lóránd Zsófia, « Socialist-Era New Yugoslav Feminism between “Mainstreaming” and “Disengagement”: The Possibilities for Resistance, Critical Opposition and Dissent », The Hungarian Historical Review, vol. 5, no 4, 2016, p. 854-881 (854) ; Tumbas Jasmina, “I Am Jugoslovenka!”: Feminist Performance Politics During and After Yugoslav Socialism, Manchester, Manchester University Press, 2022, p. 24.

9 Lóránd, « Socialist-Era New Yugoslav Feminism », art. cité, p. 857.

10 Majstorović Danijela, « Féminité, patriarcat et résistance dans la Bosnie-Herzégovine d’après-guerre », Revue internationale de sociologie, vol. 21, no 2, 2011, p. 277-299 (297).

11 Simmons, « Women Engaged/Engaged Art in Postwar Bosnia », art. cité, p. 3.

12 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 233.

13 Chinkin Christine, Porobić Isaković Nela, True Jacqui et. al., A Feminist Perspective on Post-Conflict Restructuring and Recovery. The Case of Bosnia and Herzegovina, Sarajevo, Women’s International League for Peace and Freedom, Women Organizing for Change in BiH, 2017, p. 5.

14 Pavlaković Vjeran, « Memory Politics in the Former Yugoslavia », Rocznik Instytutu Europy Środkowo-Wschodniej [Annuaire de l’Institut de l’Europe centrale et orientale], vol. 18, no 2, 2020, p. 9-31 (11). Voir aussi : Palmberger Monika, « Nostalgia Matters: Nostalgia for Yugoslavia as Potential Vision for a Better Future », Sociologija [Sociologie], vol. 50, no 4, 2008, p. 355-370 (359).

15 Pavlaković, « Memory Politics », art. cité, p. 11.

16 Husanović Jasmina, « The Politics of Gender, Witnessing, Postcoloniality and Trauma. Bosnian Feminist Trajectories », Feminist Theory, vol. 10, no 1, 2009, p. 99-119 (116).

17 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 9.

18 Woodward Susan, « The Rights of Women: Ideology, Policy and Social Change in Yugoslavia », dans Sharon L. Wolchik, Alfred G. Meyer (dir.), Women, State, and Party in Eastern Europe, Durham, Duke University Press, 1985, p. 234-256 (240).

19 Zaharijević Adriana, « The Strange Case of Yugoslav Feminism: Feminism and Socialism in “the East” », dans Dijana Jelača et al. (dir.), The Cultural Life of Capitalism in Yugoslavia: (Post)Socialism and Its Other, Cham, Springer International, 2017, p. 135-156 (140).

20 Woodward, « The Rights of Women », art. cité, p. 240.

21 Ibid., p. 240.

22 Šuber Daniel, Karamanić Slobodan, « Mapping the Field: Towards Reading Images in the (Post‑)Yugoslav Context », dans Daniel Šuber, Slobodan Karamanić (dir.), Retracing Images. Visual Culture After Yugoslavia, Boston, Brill, 2012, p. 1-28 (8).

23 Voir, par exemple : Bošković Aleksandar, « Yugonostalgia and Yugoslav Cultural Memory: Lexicon of YU Mythology », Slavic Review, vol. 72, no 1, 2013, p. 54-78 ; Kurtović Larisa, « Yugonostalgia on Wheels: Commemorating Marshal Tito across Post-Yugoslav Borders, Two Ethnographic Tales from Postwar Bosnia-Herzegovina », Newsletter of the Institute for Slavic, Eastern European and Eurasian Studies, vol. 28, no 1, 2011, p. 2-13 ; Maksimović Maja, « Unattainable Past, Unsatisfying Present – Yugonostalgia: An Omen of a Better Future? », Nationalities Papers, vol. 45, no 6, 2017, p. 1066-1081 ; Popović Milica, « Post-Yugoslav memories as a resistance strategy and the political significance of Yugonostalgia », thèse de doctorat en science politique, Institut d’études politiques de Paris – Sciences Po, Univerza v Ljubljani, 2021 ; Velikonja Mitja, « Between Collective Memory and Political Action: Yugonostalgia in Bosnia-Herzegovina », Bosnia-Herzegovina since Dayton: Civic and Uncivic Values, Réseau international Europe et Balkans , no 34, 2013, p. 351-368.

24 Velikonja, « Entre mémoire collective et action politique », art. cité, p. 353.

25 Palmberger, « Nostalgia Matters », art. cité, p. 357.

26 Ibid., p. 358.

27 Bǎdescu Gruia, Baillie Britt, Mazzucchelli Francesco (dir.), Transforming Heritage in the Former Yugoslavia: Synchronous Pasts, Cham, Springer International Publishing, 2021 ; Kirn Gal, The Partisan Counter-Archive: Retracing the Ruptures of Art and Memory in the Yugoslav People’s Liberation Struggle, Berlin, De Gruyter, 2020 ; Šuber, Karamanić, Retracing Images, op. cit.

28 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit.

29 Voir, par exemple : Simmons, « Women Engaged/Engaged Art in Postwar Bosnia », art. Cité ; Jašarević Merima, « Kultura i umjetnost u postratnom društvu: komparativni sociološki ogled o bosanskohercegovačkoj stvarnosti » [La culture et l’art dans la société d’après-guerre : une étude sociologique comparative de la réalité de la Bosnie-Herzégovine], Društvene i humanistične studije [Études sociales et humanistes], no 3, 2017, p. 189-202 ; Gavrankapetanović-Redžić Jasmina, « Cultural Capital in Times of Crisis: The Fragmentation of Sarajevo’s Post-War Cultural Elite », Southeastern Europe, vol. 43, no 2, 2019, p. 111-134 ; Vujanović Branka, « Aesthetics of Transgression and Its Strategies in Post-Yugoslav Art », thèse de doctorat, Justus-Liebig University Giessen, 2016.

30 Badinovac Zdenka, « Art as a Parallel Cultural Infrastructure / Legacy of Post War Avantgardes from Former Yugoslavia », Haus der Kunst, https://hausderkunst.de/en/explore/videos/zdenka-badovinac-art-as-a-parallel-cultural-infrastructure-legacy-of-post-war-avantgardes-from-former-yugoslavia (consulté en janvier 2022).

31 Volčič Zala, « Yugo-Nostalgia: Cultural Memory and Media in the Former Yugoslavia », Critical Studies in Media Communication, vol. 24, no 1, 2007 ,p. 21-28 (27).

32 Belc Petra, Popović Milica, « Yugonostalgia: Yugoslavia as a Meta-space in Contemporary Art Practices », Život umjetnosti: časopis o modernoj i suvremenoj umjetnosti i arhitekturi, vol. 94, no 1, 2014, p. 18-35 (18).

33 Ibid., p. 18.

34 La politique du genre et la mémoire yougoslave sont des thèmes très présents chez les artistes du pays. Blackwood, Introduction to Contemporary Art in BiH, op. cit., p. 13-17.

35 Pour en savoir plus sur les modalités d’un espace culturel yougoslave commun, voir : Badovinac Zdenka, « An Exhibition About an Exhibition », dans Zdenka Badinovac, Bojana Piškur (dir.), The Heritage of 1989. Case Study: The Second Yugoslav Documents Exhibition, Ljubljana, Museum of Modern Art, 2017 ; Denegri Ješa, « The Reason for the Other Line », in Jugoslovensja Dokumenta ‘89, Sarajevo, Collegium Artisticum, 1989, p. 35-38 ; Gorup Radmila, After Yugoslavia: The Cultural Spaces of a Vanished Land, Stanford, Stanford University Press, 2013.

36 Dugandžić Andreja, Jušić Adela, « Da Živi AFŽ ! AFŽ Arhiv » [Vive l’AFŽ ! L’archive de l’AFŽ], Archive du Front anti-fasciste des femmes de BiH et de Yougoslavie, http://afzarhiv.org/da-zivi-afz (consulté en décembre 2023).

37 Entretien avec Danijela Dugandžić, Sarajevo, septembre 2022.

38 Ibid.

39 Dugandžić Andreja, Okić Tijana (dir.), Izgubljena revolucija: AFŽ između mita i zaborava, [La révolution perdue : l’AFŽ entre le mythe et l’oublie], Sarajevo, CRVENA, 2018, p. 6.

40 Ibid., p. 6.

41 Jušić Adela, « Here Come the Women », site personnel d’Adela Jušić, 8 mai 2015, https://adelajusic.wordpress.com/2015/05/08/here-come-the-women/ (consulté en décembre 2023).

42 Beoković Mila, Žene heroji [Les femmes héroïques], Sarajevo, Svjetlost, 1967.

43 Jušić Adela, Unknown Partisan Woman, installation et documentation vidéo, 2017, 1:10.

44 Blackwood, Introduction to Contemporary Art in BiH, op. cit., p. 41.

45 Whelan, « Exploring Alternative Geographies, Politics and Identities », art. cité, p. 202.

46 Entretien avec Hana Ćurak, Berlin, octobre 2022.

47 Ibid.

48 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 10.

49 Entretien avec Hana Ćurak, Berlin, octobre 2022.

50 Badinovac Zdenka, « Self-Historicization. Artist Archives in Eastern Europe », dans Emese Kürti, Zsuzsa László (dir.), What Will Be Already Exists. Temporalities of Cold War Archives in East-Central Europe and Beyond, Bielefeld, Transcript Verlag, 2021, p. 81-95 (85).

51 Ibid., p. 85.

52 Entretien avec Adna Muslija, Sarajevo, septembre 2022.

53 Ibid.

54 Muslija Adna, « How to Be a Pioneer: Feminism, Art and the Future », texte de l’exposition, Sarajevo, Manifesto, juin 2022, p. 1.

55 Ibid.

56 Muslija Adna, « The Economy of Female Labour: Between Gender and Ideals of Production », texte de l’exposition, Sarajevo, Manifesto, 2022.

57 Entretien avec Adna Muslija, Sarajevo, septembre 2022.

58 Ibid.

59 Muslija Adna, « Bitter Coffee Sweetly Drunk », texte d’exposition, ODRON, Sarajevo, 2019.

60 Velikonja, « Between Collective Memory and Political Action », art. cité, p. 353.

61 Palmberger, « Nostalgia Matters », art. cité, p. 358.

62 Entretien avec Adna Muslija, Sarajevo, septembre 2022.

63 Par exemple, sa récente participation à l’exposition collective Drugarstvo [Camaraderie] en 2022 au musée d’art contemporain de Zagreb, ou à l’exposition Bigger than Myself en 2021 dans les espaces du musée romain MAXXI, dont les titres font clairement référence à des thèmes yougoslaves.

64 Correspondance personnelle avec Kasja Jerlagić, octobre 2022.

65 Ibid.

66 « Skupa smo se uvalili, skupa ćemo se i izvući », traduction de l’auteure.

67 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 281-282.

68 Selman Selma, « Activism », site personnel de Selma Selman, https://www.selmanselma.com/march-to-school (consulté en décembre 2023).

69 Tumbas, “I Am Jugoslovenka!”, op. cit., p. 278.

70 Ibid.

71 Correspondance personnelle avec Kasja Jerlagić, octobre 2022.

72 Entretien avec Danijela Dugandžić, Sarajevo, septembre 2022.

73 Entretien avec Amila Smajović, Sarajevo, septembre 2022.

74 Ibid.

75 Ibid.

76 Kurtić Azem, « Uništeno Partizansko groblje u Mostaru » [Le cimetière partisan détruit à Mostar], Balkan Insight, 15 juin 2022, https://balkaninsight.com/sr/2022/06/15/unisteno-partizansko-groblje-u-mostaru/ (consulté en décembre 2023).

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Table des illustrations

Titre Fig. 1
Crédits Danica Dakić, Witnesss, vue de l’installation, Sarajevo, 1998. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
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Titre Fig. 2
Crédits Adela Jušić, Nepoznata Partizanka [Femme partisane inconnue], intervention dans l’espace public, 2017, Sarajevo. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
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Titre Fig. 3
Légende Josip Broz Tito et une travailleuse anonyme dans une soupe populaire.
Crédits Plateforme Sve su to vještice, sans titre, média numérique, 2019. Source originale : utilisateur privé de Twitter (impossible à localiser). Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
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Titre Fig. 4
Crédits Sve su to vještice, sans titre, média numérique, 2019. Source originale : archive de l’AFŽ, 1948, http://afzarhiv.org/​items/​show/​157. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
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Titre Fig. 5
Légende Image avec intervention textuelle d’Andreja Dugandžić, incluse dans l’exposition Polet Žena organisée au Musée historique de Bosnie-Herzégovine en 2019 par Lala Raščić et Andreja Dugandžić.
Crédits Sve su to vještice, sans titre, média numérique, 2019. Source originale : archive de l’AFŽ, 1948, http://afzarhiv.org/​items/​show/​195. Avec l’aimable autorisation d’Hana Ćurak.
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Titre Fig. 6
Crédits Adna Muslija, Bitter Coffee Sweetly Drunk, vue de l’exposition, Sarajevo, 2019. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
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Titre Fig. 7
Crédits Kasja Jerlagić, Soc Nouveau, impression numérique, 2019. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
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Titre Fig. 8
Crédits Selma Selman, Selma Selman je Tito, photographie, 2019. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
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Titre Fig. 9
Crédits Selma Selman, Paintings on Metal, acrylique sur métal, dimensions variables, 2018. Avec l’aimable autorisation de l’autrice.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Ewa Anna Kumelowski, « Héritages visuels contestés. Mobiliser la Yougoslavie socialiste dans la production artistique contemporaine des femmes en Bosnie-Herzégovine »Balkanologie [En ligne], Vol. 18 n° 2 | 2023, mis en ligne le 30 décembre 2023, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/5335 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11qf9

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Auteur

Ewa Anna Kumelowski

Chercheuse associée au CETOBaC, Paris

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Droits d’auteur

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