Frano Supilo et le Nouveau journal de Rijeka : une physiologie des émotions politiques, des Guerres balkaniques à la Première Guerre mondiale
Résumés
Le journaliste Frano Supilo a exercé une influence importante sur l’opinion publique croate par l’intermédiaire de son Riječki Novi list [Nouveau journal de Rijeka], en particulier autour de la Première Guerre mondiale. La couverture des Guerres balkaniques a donné lieu à des prises de position originales dans le contexte croate, en faveur des Serbes et d’une option sud-slave. La radicalité de ses projets politiques s’est accompagnée d’une expression toujours plus ouverte des émotions et d’un usage de métaphores biologiques à tonalité darwinienne. Cette transformation du discours politique, contemporaine d’une redéfinition en acte du sacré et d’une manifestation consciente du charisme en politique, marqua profondément la jeunesse.
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- 1 La figure de Supilo a particulièrement intéressé les historiens dans la perspective de la création (...)
- 2 La ville de Rijeka compte au début du xxe siècle, d’après le recensement de 1910, quelque 68 000 ha (...)
- 3 Matković Stjepan, « Hrvatska historiografija i intelektualna javnost o Balkanskim ratovima 1912.-19 (...)
- 4 Pour un cadrage théorique sur l’histoire des émotions en politique, voir l’introduction générale à (...)
1Frano Supilo (1870-1917) n’a pas directement joué de rôle dans le déroulement des Guerres balkaniques. Son importance est à chercher ailleurs que dans l’action immédiate. C’est par son implication dans la formation de l’opinion publique, principalement en Croatie, que ce journaliste, à la fois marginal et central, a exercé un magistère essentiel et durable, dont l’influence a précisément atteint un sommet dans la période qui s’ouvre avec les Guerres balkaniques et qui prend fin avec le début de la Première Guerre mondiale1. Durant ces presque deux ans, de l’automne 1912 à l’été 1914, Supilo fut en effet à la tête d’une entreprise de presse qui pesait d’un poids considérable dans l’espace public croate. Il avait fondé en 1900 et dirigé depuis lors le quotidien Novi list [Le Nouveau journal], qui devint en 1907 Riječki Novi list [Le Nouveau journal de Rijeka], dont les quelque 10 000 exemplaires étaient largement diffusés en Croatie, au-delà du seul port adriatique2. Une politique commerciale de vente au numéro à bas prix, à Rijeka même, mais aussi sur le littoral et en Croatie continentale, a largement contribué à diffuser cet organe de presse, porte-parole de la vision de Supilo – en évolution constante au demeurant – sur la future organisation politique des Slaves du Sud. Sa préoccupation essentielle était tournée vers l’élaboration d’un système politique qui marquerait l’avènement d’une indépendance complète des Croates et des autres Slaves du Sud à l’égard de l’Empire des Habsbourg. Les Guerres balkaniques donnèrent une nouvelle orientation à sa réflexion politique sur une entité sud-slave en gestation3, mais elles furent aussi un moment d’intenses émotions4 qui, en tant que telles, annonçaient, au nom de son engagement politique, une intensification du rapport au corps, tant à un niveau personnel que social.
2Définir exactement qui est Frano Supilo et la teneur de son programme à l’orée du premier conflit mondial n’est pas aisé en raison de la plasticité de ses prises de position. C’est ce que laisse entendre une brochure publiée en 1914 :
- 5 Allusion au fait qu’une offre lui fut faite d’exercer le pouvoir aux côtés du vice-roi officiel Nik (...)
- 6 Leopold Chlumetzky (1873-1940), journaliste proche de l’héritier du trône François-Ferdinand, était (...)
- 7 Hrvatska stranka prava [Le Parti du droit] marqua les débuts politiques de Supilo, qui se trouvait (...)
- 8 Josip Frank (1844-1911) fit sécession du Parti du droit et fonda le Parti pur du droit [Čista stran (...)
- 9 Supilo rédigea la résolution adoptée en 1905 à Rijeka, qui scella une alliance politique croato-ser (...)
- 10 Voir note 4.
- 11 Primorje [Kroatisches Küstenland] : partie de la côte adriatique comprise entre l’Istrie et la Dalm (...)
- 12 Supilo i sv. Johanca. Povijest jedne bezobrazne laži preštampano iz Riječkih novina [Supilo et sain (...)
Frano Supilo, premier des journalistes sud-slaves, vice-roi [oberban] pensionné sans droit à la retraite5, stipendié par Chlumetzky6, ancien partisan du Parti du droit croate7, ancien partisan du parti de J. Frank8, ancien partisan de l’Autriche, ancien journaliste attitré du gouverneur de Rijeka, ancien et actuel grand défenseur de la langue croate à Rijeka, ancien initiateur et principal ouvrier de la Résolution de Rijeka9, ancien député du peuple croate et représentant magyarophile à Pest, ancien ami et ennemi du noble ban Nikola Tomašić10, éminent éducateur de notre pauvre peuple du Littoral11, si souvent trompé, le plus grand et le plus célèbre génie que les murs de Rijeka comptèrent jamais en leur sein, homme politique célébré, économiste de la nation, homme d’État, diplomate, agent politique, statisticien, psychologue, libre-penseur, historien, juriste, théologien, etc. etc., en somme un grand homme célébré, devant qui tout un chacun ne peut que trembler, que tout le monde redoute, qui est aussi puissant à Pest et à Zagreb qu’à Rijeka, ce génie qui surpasse tous les génies, ce héros à nul autre pareil, ce savant illustre parmi ses pairs, a bien voulu se rapprocher quelquefois des pauvres capucins et de leurs modestes œuvres et en rendre compte de sa plume brillante12…
- 13 Sur la figure du père Bernardin Škrivanić, voir Deković Darko (dir.), Bernardin Nikola Škrivanić i (...)
3Derrière l’éloge hyperbolique pointe l’ironie d’un portrait à charge, dirigé depuis la ville même de Rijeka, où Supilo mène un combat acharné, par articles interposés, contre le père capucin Bernardin Škrivanić (1855-1932), qui incarne l’une des cibles devenues privilégiées de Supilo, l’Église catholique13. Du reste, cette image d’un Supilo présent sur tous les fronts, mais profondément insaisissable et en dernier ressort pétri de contradictions, vise juste. Les inflexions, remords et palinodies jalonnent le parcours politique et intellectuel de Supilo, longtemps à la recherche d’une formule idéale qui pourrait réguler la coexistence des deux entités culturelles et politiques croate et serbe, qu’il distingue, mais qui devront trouver un modus vivendi dont il veut croire qu’il peut être pacifique et bénéfique aux deux parties. Il conçoit les Slaves du Sud comme un même peuple, constituant un groupe linguistique qui inclut potentiellement les Slovènes, mais qui, à la suite de la Seconde Guerre balkanique, exclura les Bulgares.
- 14 La construction de la nouvelle et vaste église du sanctuaire, de style néogothique basilical, lancé (...)
4L’occasion d’une opposition frontale entre Supilo et l’Église catholique, qui explique l’ironie mordante du portrait publié par les presses du couvent des capucins de Rijeka, fut donnée par une affaire qui fit grand bruit dans la ville. Elle avait commencé en 1911 et s’est développée dans le contexte des Guerres balkaniques et de l’avant-guerre de 1914. Johanca Jeroušek, une paroissienne d’origine slovène installée dans les environs de la ville, avait fait état auprès des pères capucins de visions et de transports d’inspiration divine résultant en sueurs importantes, qui se transformaient en sang. Des flacons de ce liquide avaient commencé à circuler, alors que se propageait la nouvelle dans les églises de la ville. Johanca devint bientôt, au sein de certains milieux de Rijeka, « sainte Johanca » et les gouttes de ce liquide devinrent très précieux aux yeux de certains fidèles, mais aussi très onéreux pour ceux qui cherchaient à s’en procurer. Le monastère des capucins, qui construisait alors son monumental sanctuaire de Notre-Dame-de-Lourdes [Kapucinska crkva Gospe Lurdske]14, proposait des gouttes de ce liquide en contrepartie d’une contribution à l’achèvement du chantier. Supilo dénonça la vente, avérée, du fluide de couleur rouge, comme une supercherie : il fut prouvé que les flacons contenaient du sang de bœuf placé dans des pochettes sous les aisselles de la paroissienne, d’où il pouvait sortir à volonté en actionnant un système tubulaire.
- 15 Le journal de Supilo couvre cette affaire en particulier à l’automne 1913 et au début de l’année 19 (...)
- 16 Emilio Gentile, L’Apocalypse de la modernité : la Grande guerre et l’homme nouveau, trad. de l’ital (...)
- 17 Voir https://www.cnrtl.fr/definition/physiologie (consulté en juin 2022).
5« L’affaire sainte Johanca », comme elle fut dénommée par les protagonistes victorieux, soit l’accusation de simonie formulée à l’encontre des capucins, au-delà de son caractère anecdotique, révèle une tension qui se manifeste pleinement durant les Guerres balkaniques, et immédiatement après15. Elle pose la question de la cause moralement noble pour laquelle il est juste de verser son sang. Alors que le conflit bat son plein sur le théâtre des opérations balkaniques, le journal de Supilo devient le réceptacle privilégié d’une ferveur politique, d’une piété envers les ancêtres slaves, qui compte ses héros et ses martyrs. Ce phénomène d’amplification émotionnelle autour des conflits balkaniques peut être suivi dans les pages du journal, qui reflètent la montée en puissance d’un idéal politique qui se réalise peu de temps après le décès de Supilo en septembre 1917, avec la création du premier État sud-slave. À mesure que se précisent les contours d’un nouvel ordre politique pressenti comme radicalement différent, les prises de position de Supilo et de son journal gagnent en intensité dramatique. Les Guerres balkaniques apparaissent dès lors comme un événement déclencheur et un accélérateur de l’intériorisation émotionnelle des phénomènes politiques, jusqu’au paroxysme atteint durant la Première Guerre mondiale16, non sans revêtir des traits de ferveur religieuse qui affectent la physiologie de Supilo. Le terme « physiologie » est à comprendre ici dans sa double acception : le fonctionnement organique (celui de Supilo), mais il suggère aussi, par analogie, l’« étude du fonctionnement d’un mécanisme politique, intellectuel, social17 », en l’occurrence la transformation de la vie politique par une sacralisation dont Supilo est partie prenante. Les émotions ressenties, exprimées et diffusées par Supilo se présentent ainsi comme des voies d’accès privilégiées à une compréhension de mécanismes transnationaux, d’ordre anthropologique, que mettent au jour les péripéties des Guerres balkaniques et du premier conflit mondial, vécues à distance des fronts, mais dans l’intensité d’une mise en mots des morts qui s’y déroulent.
Le Nouveau journal de Rijeka : un positionnement original dans le paysage politique et médiatique
- 18 Perić, Mladi Supilo, op. cit., p. 34-36.
- 19 Voir note 6.
- 20 Sur le contexte politique, voir la monographie de MiloŠ Edi, Antun Radić (1868-1919). Homme de let (...)
6Depuis sa prime jeunesse dans les environs de Dubrovnik, où il est né dans une famille d’agriculteurs, Supilo n’a cessé de développer une activité d’opposant au régime austro-hongrois18. Lycéen, il a chahuté, avec d’autres condisciples, le prince héritier Rodolphe en visite officielle en Dalmatie en 1885, ce qui lui valut une expulsion provisoire des établissements scolaires. En 1891, âgé d’une vingtaine d’années, il fonda un organe de presse à Dubrovnik, Crvena Hrvatska [La Croatie rouge], qui développait un programme centré sur l’indépendance croate, dans la ligne du Parti du droit d’Ante Starčević. Son rôle de faiseur d’opinion s’est affirmé lorsqu’il a participé à la signature de la Résolution de Rijeka de 1905, qui ouvrait la voie à la formation de la Coalition croato-serbe, qui devint une force politique majeure dans la vie politique croate, mais avec laquelle il prit ses distances en 1909, lorsqu’il fut accusé, à tort comme cela apparut bientôt, d’être un agent pro-gouvernemental au service de Chlumetzky19, cité à charge dans les écrits dirigés contre lui, notamment par les capucins. À partir de la crise suscitée par l’annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908, Supilo s’est installé dans une position tout à la fois marginale, volontairement à l’écart de l’exercice du pouvoir, dans une posture d’imprécateur à l’égard de ses anciens alliés politiques de la Coalition croato-serbe, et de leader d’opinion, par des positions tranchées, alors même que la vie politique dans les provinces sud-slaves de l’Empire habsbourgeois se déroulait au rythme des coalitions, des scissions et des compromis, que Supilo dénonçait comme des compromissions20. Son analyse de la situation politique était d’autant plus respectée et redoutée qu’il s’était assuré une indépendance financière qui ne l’obligeait à briguer aucun poste.
- 21 Gross Mirjana, « Supilo na Rijeci (Frano Supilo do početka prvog svjetskog rata) » [Supilo à Rijeka (...)
- 22 Ce régime d’exception (instauré par les autorités de Budapest pour la Croatie du 31 mars 1912 au 29 (...)
- 23 Horvat Josip, Povijest novinstva Hrvatske 1771.-1939. [Histoire du journalisme en Croatie], Zagreb, (...)
- 24 L’interdiction de la vente par colportage avait été envisagée par les autorités, car la société par (...)
7Depuis 1900, Supilo était actif dans la ville de Rijeka21, une enclave hongroise sur le littoral adriatique, qui jouissait de ce fait d’une relative liberté, ce qui ne manqua pas d’apparaître durant les Guerres balkaniques. En Croatie continentale, la situation politique était bloquée par l’entrée en vigueur, au printemps 1912, d’un système policier appelé le komesarijat22, placé sous la responsabilité du ban Slavko Cuvaj, qui avait toute latitude pour museler toute forme d’opposition et qui interdisait en particulier, la diète n’étant plus réunie, toute manifestation d’opinion politique. Supilo jouissait cependant à Rijeka de l’éloignement de Budapest, le centre politique réel du pouvoir, qui restait toutefois informé de ses agissements ainsi que de ses partisans par le truchement des gouverneurs de la ville, sans que cela n’entraîne de censure directe du journal, comme cela s’exerçait partout ailleurs en Croatie. L’un des moyens mis en œuvre par Supilo pour se démarquer des positions officielles fut d’avancer la publication au matin, soit avant la parution des journaux proches des milieux gouvernementaux. Durant les Guerres balkaniques, des mesures de rétorsion indirecte furent envisagées contre le journal, qui tirait pour la première fois à 10 000 exemplaires et était très largement accessible dans toute la région car il était mis en vente à un prix très abordable23. Son tirage et sa large distribution par colportage, qui avait fait l’objet d’une tentative de blocage de la part des autorités24, lui conféraient le statut de faiseur d’opinion.
- 25 Despot Ivo, Balkanski ratovi 1912.-1913. i njihov odjek u Hrvatskoj [Les Guerres balkaniques et leu (...)
- 26 Ibid., p. 212.
8Dans le contexte des conflits balkaniques de 1912-1913, le journal de Supilo exprima ouvertement des idées slavophiles, puis très clairement et de manière univoque antibulgares, par conviction proserbe. En cela, le Nouveau journal de Rijeka occupait une place particulière dans le paysage journalistique croate, dominé par des positions très prudentes, qui suivaient celles de la politique viennoise25. Sur le territoire croate, placé sous la juridiction du vice-roi et a fortiori du commissaire royal, le contexte était en effet celui d’une suspension des libertés publiques, de censure quant aux affaires de politique intérieure dans les articles prêts à la publication, non sans entraîner une autocensure dans le sens voulu par les autorités. Mais, en raison de l’intérêt gouvernemental tourné presque exclusivement vers les affaires intérieures, les Guerres balkaniques ont pu devenir le support d’une expression plus libre, si bien qu’un effet de miroir peut être observé, les conflits balkaniques prenant, dans les débats politiques, le relai des questions internes à la Monarchie26.
- 27 Il publia en outre un témoignage sur le conflit : Mašić Branko, Ratne slike i utisci (1912.-1913.) (...)
- 28 Sur cet organe éminent dans le contexte croate, qui parut de 1871 à 1941, voir Zvonar Ivica, « ‘Obz (...)
- 29 Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 229.
9Dans les comptes rendus publiés à Zagreb, Split et Dubrovnik durant les Guerres balkanique s’exprimait une vive sympathie à l’égard des alliés coalisés contre l’ennemi ottoman. Les articles d’envoyés spéciaux sur le terrain des opérations ainsi que des essais sur cette actualité brûlante furent très rapidement publiés : tant ceux d’auteurs en vue, tel Antun Gustav Matoš (1873-1914) dans le quotidien Obzor [L’Horizon] de Zagreb et Hrvatska [La Croatie], que d’auteurs moins connus, à l’instar de Branko Mašić27, également dans Obzor28, ou bien Oskar Tartaglia pour Sloboda [La Liberté] de Split29. Les opinions étaient plus divergentes autour de la question du parti à prendre face au sort du vaincu, qui devait échoir à la Bulgarie, qui suscita dans certains organes, minoritaires, une certaine compassion, mêlée d’un intérêt pour la question de l’autonomie croate.
- 30 Hrvatska straža, année 1913. Ibid., p. 215.
- 31 Hrvatska straža, année 1913. Ibid., p. 238.
- 32 Riječki novi list, 24.10.1912. Ibid., p. 239.
- 33 Dom, 7.03.1913. Ibid., p. 216.
10Dans un premier temps, un sentiment de fraternité avec les Bulgares avait été mis en avant dans les journaux, y compris ceux d’inspiration cléricale de Rijeka, à l’instar de Hrvatska straža [La Sentinelle croate], relai du réseau d’influence de l’évêque Antun Mahnić (1850-1920), qui se fait également sentir dans les colonnes du journal des capucins, Riječke novine [Journal de Rijeka]. Les raisons de ce soutien à la guerre menée par la Ligue balkanique sont à chercher dans la conviction que le moment est propice pour une avancée décisive vers la reconquête des territoires européens de l’Empire ottoman, avec l’espoir qui se profile de voir revenir la croix sur le dôme de Sainte-Sophie30. Par ailleurs, si Hrvatska straža [La Sentinelle croate] affirme que « tous suivent avec sympathie les luttes et les victoires des alliés balkaniques, en particulier des Bulgares héroïques et impavides »31, les catholiques allemands, qui quant à eux se sont exprimés en faveur de l’Empire ottoman, ont ainsi démontré, selon le journal, leur véritable sentiment, profondément antislave. Cette lecture antigermanique rapproche le clergé (depuis Strossmayer au moins, malgré son grand-père autrichien) des positions de Supilo dans ce moment de communion slave, comme le prouve la mobilisation des catholiques pour aider matériellement les populations balkaniques orthodoxes touchées par le conflit. Dans un même élan, des infirmières partent de Zagreb et de la ville épiscopale de Ðakovo pour rejoindre le Monténégro et la Bulgarie et y soigner les blessés32. Les victoires bulgares sont d’abord célébrées, mais aussi expliquées et présentées comme des conséquences logiques d’un mode de vie qui doit inspirer la paysannerie des autres contrées slaves. En mars 1913, le journal Dom [Le Foyer], proche du Parti paysan croate, cite un Américain résidant à Constantinople, qui explique la force démographique des Bulgares par leur tempérance : on peut parcourir des mois durant les campagnes bulgares, assure-t-il, sans jamais voir un paysan bulgare en état d’ébriété. C’est pour cette raison en particulier que la Bulgarie serait désormais devenue une grande puissance agricole33.
- 34 Pour une mise en perspective comparative des oppositions internes à l’Empire austro-hongrois à l’oc (...)
- 35 Riječki novi list, 24.11.1912 ; 8.01.1913. Ibid., p. 218. L’auteur se cachant derrière ce pseudonym (...)
- 36 Riječki novi list, 15.05.1913. Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 217.
- 37 Riječki novi list, 6.03.1913. Ibid., p. 218.
11Dans le journal de Supilo, les critiques se concentrent sur les peuples non slaves impliqués dans le conflit, les Albanais et les Roumains. Le journaliste, qui signe sous le pseudonyme Delminiensis les articles qui abordent la question albanaise, défend la thèse, opposée à celle défendue dans les cercles scientifiques austro-hongrois34, selon laquelle il n’est pas possible de prouver que les Albanais sont les descendants des Illyriens, qui du reste ne se comprennent pas mutuellement et dont le rôle historique est présenté comme insignifiant35. La création d’une Albanie indépendante est décrite avec scepticisme, en nette opposition là aussi à la politique très active du gouvernement austro-hongrois dans ce domaine. Les doutes exprimés par des représentants étrangers quant à la viabilité d’un État qui réunirait des populations aux différences internes si prononcées sont relayés. Le sort de l’archevêque de Shkodër est cité en exemple, le prélat ne pouvant quitter sa résidence par peur de représailles sanglantes à son encontre en raison de l’assassinat de l’un de ses adversaires par son propre neveu36. Le compte rendu du congrès suivi par le journaliste, qui réunit à Trieste des représentants albanais, fait état d’une manipulation autrichienne (une « farce ») qui vise à amoindrir le territoire de la future entité sud-slave par la création d’une Albanie indépendante, d’une part, et, d’autre part, en poussant la Roumanie à demander des compensations territoriales à mesure que la Bulgarie engrange des victoires37.
12L’hebdomadaire fondé par Supilo à Dubrovnik, qui continue d’être publié jusqu’en juillet 1914, fait également entendre une voix discordante, qui n’est pour le moins pas en phase avec la position officielle de la diplomatie viennoise. L’implication du Ballhausplatz y est en effet évaluée à l’aune de la situation interne de la Monarchie, le ministre austro-hongrois des Affaires étrangères Leopold Berchtold (1863-1942) prenant l’initiative de régler la situation dans l’Empire ottoman, alors que la Monarchie n’est pas en mesure de faire respecter les règles constitutionnelles internes :
- 38 Crvena Hrvatska, 24.08.1912. Ibid., p. 213.
Sans hésiter, nous nous en tenons à la sagesse populaire qui déclare qu’il faut d’abord balayer devant sa porte. Regardons cette pauvre Croatie ! Sans constitution, sans diète, sans rien du tout. Là-bas, c’est le règne de l’absolutisme, d’un absolutisme féroce. Berchtold quant à lui travaille à l’autonomie de l'Albanie, à l'organisation de la Turquie38 !
13Dans le quotidien de Rijeka, l’opposition à la politique viennoise n’est pas que d’ordre froidement intellectuel, reposant sur des calculs diplomatiques. L’extension territoriale du Monténégro, que la victoire remportée à l’issue de son offensive à Scutari/Shkodër lui avait permis d’espérer mais que les puissances régionales lui refusent, suscite un commentaire qui se situe délibérément dans l’ordre de l’émotion :
- 39 Riječki novi list, 9.05.1913. Ibid., p. 220.
Le Monténégro a cédé, car il devait céder devant une puissance qui lui était supérieure, non pas deux à trois fois, mais bien plusieurs centaines de fois. Et pourtant, dans toute cette affaire, le Monténégro doit susciter l’admiration, même chez ses propres ennemis, qui ne peuvent pas même se réjouir de leur victoire, par peur du ridicule39.
- 40 Riječki novi list, 5.02.1913. Ibid., p. 257.
14Les conséquences locales du conflit balkanique sont également mises en exergue. La posture morale du journal se révèle dans la dénonciation d’un avantage indûment concédé. Alors que des blessés de guerre serbes sont soignés en Croatie, dans les villes balnéaires des environs de Rijeka, Jovan Stojanović, un individu se présentant comme un officier serbe revenu du front et qui put de ce fait profiter gratuitement du logis, d’invitations et autres largesses distribuées en solidarité avec les belligérants slaves, s’avère être un commis de Zagreb, qui s’est certes rendu sur le front mais uniquement en tant que correspondant40. La mobilisation des esprits pour la cause serbe n’exclut pas une dénonciation des usurpateurs de cette juste empathie. Comme dans l’affaire « sainte Johanca », l’indignation à l’encontre des profiteurs de guerre s’exprime au nom d’une éthique qui prend ses distances avec un principe d’autorité (l’Église ou, en l’occurrence, la solidarité slave).
- 41 Ibid., p. 221.
- 42 Le 14 juin 1913, le nouveau ministère Danev remplace, avec le soutien du tsar Ferdinand Ier, une éq (...)
15Durant la Seconde Guerre balkanique, les journaux croates oscillent entre défense de la cause serbe et bulgare. Dans ce dernier cas, il s’agit des courants proches du gouvernement autrichien, alignés sur le programme du Parti du droit et des cercles cléricaux41. Mais l’un des organes les plus violemment hostiles au camp bulgare est précisément le Nouveau journal de Rijeka, qui ouvre ses colonnes notamment à une lettre ouverte de l’écrivain croate Ante Tresić Pavičić (1867-1949), très actif politiquement dans le mouvement yougoslave, adressée au président du gouvernement bulgare Stoyan Danev (1858-1949), qu’il accuse de porter seul la responsabilité de la reprise des hostilités42 :
- 43 La soudaine attaque bulgare sur le fleuve Bregalnica en Macédoine et la contre-offensive victorieus (...)
- 44 Riječki novi list, 30.07.1913. Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 222.
Nous autres, Croates, avons souffert de bulgarophilie jusqu’à un point tel que notre droite la reprochait à notre gauche. […] Nous autres, Croates, considérons que le territoire serbe est notre territoire et, lorsque nous avons conseillé à nos frères [serbes] de se satisfaire de moins que ce qu’ils espéraient et de céder à votre avidité, nous avons renoncé à notre propre territoire. […] Quel sera le souvenir de Bregalnica43 et du Dr. Danev dans l’histoire bulgare ! La Bulgarie était au sommet de la gloire, le monde entier l’admirait ! Les Bulgares étaient les plus grands héros ! […] Vous me faites pitié, mais j’ai surtout pitié des milliers et des milliers de victimes de votre fatale erreur44.
- 45 Riječki novi list, 6.12.1913. Ibid., p. 257.
16Cette intervention d’Ante Tresić Pavičić a rendu le personnage très populaire en Serbie, où il fut invité à lire des extraits de son recueil poétique Osvećeno Kosovo [Le Kosovo vengé]. De telles lectures lui vaudront des ovations fin 1913 à Split45.
17Lors de cette phase du conflit, le journal cherche à diffuser, auprès du lectorat croate, le sentiment d’une attente déçue à l’égard des Bulgares et accueille des écrits en phase avec cette ferveur serbophile :
- 46 Riječki novi list, 8.07.1913. Ibid., p. 222.
Dans cette guerre, tous les habitants du littoral croate, tous autant qu’ils sont, se trouvent du côté des Serbes, à l’exception de quelque partisan isolé de J. Frank [frankovac] et de tel clérical, dont le nombre est extrêmement réduit ici, qui sympathisent avec les Bulgares. Tous reconnaissent le bon droit de la Serbie, qui se défend contre l’attaque insidieuse des Bulgares et contre leurs prétentions qui, si elles étaient réalisées, mettraient la Serbie dans une position pire que celle qui prévalait avant la guerre avec la Turquie46.
18À l’été 1913, Supilo commente, en guise de bilan, la paix de Bucarest (10 août 1913) en ces termes :
- 47 Une semaine avant le déclenchement des hostilités de la Seconde Guerre balkanique, une tentative d’ (...)
- 48 Riječki novi list, 8.08.1913. Šepić Dragovan (dir.), Frano Supilo. Politički Spisi: Članci, govori, (...)
La Bulgarie a rejeté l’idée d’une indépendance balkanique, illusionnée par l’idée de sa propre hégémonie. […] Les Bulgares ont agi en Caïn à Zletovo47 et ont par conséquent rencontré une puissante opposition, comme si cet acte avait poursuivi les Bulgares, avec toutes les atrocités qu’ils ont commises, pour les annihiler non seulement dans leur force militaire, mais aussi dans la force du développement culturel qu’on leur prédisait. Les événements de Bregalnica signifient la débâcle de la politique bulgare hypocrite et la débâcle de la politique qui comptait sur les Bulgares48.
- 49 Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 229.
- 50 Ibid., p. 272.
19La tonalité adoptée par les journaux croates à l’égard des belligérants et des grandes puissances dépend de l’allégeance plus ou moins importante de la rédaction aux autorités, mais aussi de leur dépendance à l’égard de la censure, qui s’exerce le plus directement dans le territoire où est introduit le régime d’exception. Ainsi, la position serbe est défendue dans les journaux favorables à la Coalition croato-serbe, impliquée dans le gouvernement à Zagreb49. Le plus hostile à la politique austro-hongroise est certainement l’organe de Supilo à Rijeka et le journal Crvena Hrvatska [La Croatie rouge] qu’il avait fondé à Dubrovnik, qui se trouve en Dalmatie, territoire cisleithanien sous autorité autrichienne. Dans le journal de Supilo, la réflexion politique qui se développe en écho aux combats sur les fronts balkaniques est accompagnée d’une montée en puissance spécifique des émotions, ce en quoi il se démarque du ton plus neutre et analytique adopté par les journaux proches de courants représentés à la diète. L’emphase, devant laquelle ne recule pas le Nouveau journal de Rijeka, reflète la situation au sein d’un segment grandissant de l’opinion publique qui exprime de plus en plus ouvertement son enthousiasme50.
Physiologie des émotions
20Alors que la Première Guerre balkanique était sur le point d’éclater, un article avait mis l’accent sur l’état psychologique des belligérants et des observateurs :
- 51 La diplomatie austro-hongroise, soucieuse de statu quo, avait proposé une série de mesures devant a (...)
- 52 Riječki novi list, 14.09.1912. Ibid., p. 214.
Les Balkans sont un nerf très sensible de la politique internationale, ils sont l’objet de désirs passionnés des grandes puissances, si bien que la nervosité balkanique a suscité un mal de cheveux à la vieille Europe. Peut-être est-ce dans cet état d’étourdissement et cette disposition hystérique que le comte Berchtold a imaginé sa proposition51, qui, c’est lui du moins qui l’affirme, devrait être le remède à administrer au malade impotent du Bosphore52.
- 53 « Nož u leđa » [Le coup de poignard dans le dos], Riječki novi list, 12.01.1913. Ibid., p. 224.
21La métaphore de l’homme malade de l’Europe appliquée au monde ottoman, poncif déjà ancien et éculé trente-cinq ans après l’occupation de la Bosnie-Herzégovine, est reprise dans les colonnes du journal de Supilo. Il faut certainement chercher plus en profondeur les racines d’une analyse de la crise balkanique en termes physiologiques. Les prises de position relayées par le Nouveau journal de Rijeka font régulièrement usage de métaphores corporelles. Un article, intitulé « Le coup de poignard dans le dos53 », très hostiles à la politique roumaine, donne le ton :
Le couteau est roumain, le dos est bulgare. […] Le geste d’apache des Roumains, qu’il est impossible de qualifier autrement, quelles que soient les tentatives visant à le recouvrir du voile d’une éthique en lambeaux et qui chercheraient à démontrer le droit de la Roumanie à être récompensée pour sa neutralité dans la guerre balkanique. […] L’attitude de la Roumanie instille le doute, à savoir que ce serait à l’instigation de ses protecteurs, qui ne peuvent aucunement se faire à l’idée d’un renforcement des Slaves des Balkans, qu’un rôle de provocateur a été imposé à la Roumanie et que, derrière lui, se cachent des plans secrets.
- 54 Sur la qualification des apaches : Kalifa Dominique, L’encre et le sang. Récits de crimes et sociét (...)
22L’image du coup de poignard renvoie aux faits divers qui rendent compte des ravages perpétrés par les apaches parisiens54. L’attitude des Roumains renvoie aux images d’atrocités du quotidien, transposées des métropoles européennes aux Balkans. La responsabilité n’est d’ailleurs pas uniquement imputée au gouvernement roumain, lui aussi confronté en dernier ressort à un état de fait balkanique, la dépendance à l’égard des grandes puissances. C’est donc du côté d’une manipulation politique (sous-entendue autrichienne) que se développe la vision du rôle de la Roumanie, évoquée sous la forme d’un corps agissant contre un autre individu incarnant la Bulgarie, d’abord présentée comme une victime.
- 55 Riječki novi list, 30.07.1913. Matković, « Hrvatska historiografija », art. cit., p. 273.
- 56 Ibid.
- 57 Ibid., p. 274.
23Mais, à l’issue de la Seconde Guerre balkanique, la position à l’égard des Bulgares change radicalement. Si leur défaite est évoquée par A. Tresić Pavičić comme une faillite morale, eux aussi influencés par la « perfidie jésuite de certains cercles germaniques »55, leur offensive contre leurs anciens alliés serbes agit comme un révélateur. L’image biblique du fratricide accompagne la réflexion sur l’identité sud-slave, censément commune, mais cette unité s’avère illusoire : la Seconde Guerre balkanique dévoile l’origine biologique différente des Bulgares (« Nous vîmes finalement que vous vous enorgueillissez davantage de votre origine finno-tatare que du sang et de la langue slaves56 »), qui supplante désormais l’argumentaire reposant sur une proximité culturelle et linguistique. Par leurs actions, les Bulgares apparaissent comme les Tatars qu’ils sont, preuve que ce ne sont donc pas de véritables Sud-Slaves. Par conséquent, leur exclusion du projet d’un État commun devient légitime : dans un rejet de la consanguinité avec les Bulgares, un futur diplomate yougoslave se réjouit que le « sang purement slave s’est montré plus fort que celui mêlé au sang des Tatars », si bien que « c’est à notre peuple qu’est promis à l’avenir l’hégémonie dans les Balkans57 ».
- 58 Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 225.
- 59 Ibid., p. 229.
- 60 Trotsky Lev, Les Guerres balkaniques 1912-1913, Paris, Science Marxiste, 2002, p. 142-148.
- 61 Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 226.
24La ligne éditoriale éminemment politique des journaux croates quant au déroulement des hostilités a pour conséquence que les victimes alliées ne sont pas relevées58. La question des atrocités attribuées à l’ensemble des belligérants n’est pas abordée de front. Peu de cas sont évoqués durant la Première Guerre balkanique et, durant la Seconde, la position à l’égard de la Bulgarie et de la Serbie dicte l’inclusion ou non d’articles dénonçant le comportement des troupes face aux civils. Une exception est l’organe Narodni list [Le National], pourtant proche de la Coalition croato-serbe, qui dénonce des atrocités serbes59, mais il s’agit d’un organe paraissant en Dalmatie (en Cisleithanie sous administration viennoise). Dans ce contexte, les victimes albanaises des exactions serbes et bulgares, dénoncées comme telles notamment par Trotski60, n’apparaissent pas61. Ce sont les journaux favorables à la politique gouvernementale à Vienne (Narodne novine [Le Populaire], Jutarnji list [Journal du matin]), mais également ceux proches des idées du Parti du droit de Starčević (Hrvatska [La Croatie]), qui voient d’un bon œil la création d’une nouvelle entité albanaise dans les Balkans.
- 62 Riječki novi list, 18.10.1912. Ibid., p. 253.
- 63 Ibid., p. 254.
- 64 Szekeres József, « Regesti spisa Kraljevskog gubernija o Franu Supilu, Novom listu i Riječkom novom (...)
- 65 Riječki novi list, 5 et 6.11.1912 ; « Iz mojih uspomena s crnogorskog ratišta » [Extraits de mes so (...)
- 66 Ibid., p. 264.
25Le Nouveau journal de Rijeka se fait par ailleurs l’écho d’un élan de solidarité à l’égard des victimes de la guerre. Une collecte de fonds pour les comités de la Croix-Rouge des Alliés est relayée par le journal. À Split, ce sont de futures personnalités de premier plan du mouvement d’unification yougoslave qui sont signataires d’un appel à la solidarité, tels Ante Trumbić (1864-1938) et Josip Smodlaka (1869-1956)62. À Rijeka, ce sont des représentants de Serbes, de Slovènes et de Croates de la ville qui organisent un comité63. Ces activités sont connues des autorités hongroises, ces informations étant sollicitées, en particulier par le ministre de l’Intérieur hongrois, auprès du gouverneur de Rijeka. Le ministère demande instamment de tenir un relevé des personnes impliquées dans les actions humanitaires liées aux Guerres balkaniques, sans pour autant les interdire64. Le médecin Hugo Fabijanić rend compte, dans une suite d’articles intitulés « Extraits de mes souvenirs du front monténégrin », de la situation sanitaire très précaire ; il est d’ailleurs décoré par les autorités du Monténégro65. Ce témoignage renforce la portée émotionnelle du conflit, il transpose les statistiques sanitaires en données identifiables comme de la souffrance humaine. Par son engagement auprès des Monténégrins, Le Nouveau journal de Rijeka reflète, et encourage, un glissement des positions parmi les étudiants, parmi lesquels le courant jusqu’alors majoritaire, celui du Parti du droit, cède la place à un yougoslavisme unitaire66.
La mobilisation de la jeunesse comme horizon politique : le discours du 5 décembre 1913
- 67 Goldstein Ivo, Croatia. A History, Londres, C. Hurst & Co., 1999, p. 105.
- 68 Stelli Giovanni, Storia di Fiume, Pordenone, Biblioteca dell’Immagine, 2016, p. 199-200.
26Le Nouveau journal de Rijeka accueille différentes tendances politiques, qui agitent la jeunesse politisée et accompagnent, en le soutenant, l’appropriation du programme d’unification yougoslave. Milostislav Bartulica (1893-1984) fait partie de ces jeunes qui invoquent la nécessité d’user de moyens violents, par antiparlementarisme radical, couplé à un athéisme nationaliste, qui postule l’unité des Croates et des Serbes. Des actes d’opposition radicale se multiplient de fait durant le régime d’exception de Cuvaj, dans les mois qui précèdent les Guerres balkaniques, sous la forme d’attentats perpétrés par des lycéens et des étudiants contre sa propre personne le 8 juin et le 31 octobre 1912. Cuvaj se retire fin 1912, sans que le régime d’exception ne soit immédiatement aboli67. Un violent attentat, organisé cette fois par de jeunes irrédentistes italiens, se déroule à Rijeka début mars 1914 devant les locaux du gouvernement, qui cause des dégâts matériels importants et fait forte impression, mais sans victimes à déplorer68.
- 69 La composante juvénile de la contestation politique dans le contexte des Guerres balkaniques a fait (...)
27Alors que la vie publique croate devient atone, l’activité politique se concentre dans des cercles où prédominent les jeunes générations, qui ne sont pas liées, par le fonctionnariat, à une obligation de retenue en matière politique. Les plus jeunes générations, exposées aux Guerres balkaniques, souhaitent le passage à une action directe, à des actes de provocation envers l’Autriche-Hongrie, alors que ceux parmi eux qui ont été formés dans des établissements d’enseignement supérieur hésitent encore sur les voies et moyens à mettre en œuvre pour réaliser le programme d’unification yougoslave69. Si diverses tendances coexistent, plus ou moins enclines à l’emploi de la force, les Guerres balkaniques donnent l’occasion à certains de se rendre sur le théâtre des opérations au sein des troupes monténégrines et serbes.
28Depuis qu’il a quitté la Coalition croato-serbe en 1909, Supilo se concentre sciemment, dans son action, sur la partie de la population la plus jeune et engagée. Il s’agit, à ses yeux, de favoriser le rapprochement entre Serbes et Croates dans un esprit résolument anti-dualiste. À la fin de l’année 1913, alors que le projet unitaire balkanique aboutit à une guerre fratricide, le moment est venu pour lui de faire un bilan et de présenter les conclusions qu’il entend tirer des événements de l’année écoulée et, en l’occurrence, les conséquences du traité de paix de Bucarest (10 août 1913). Ce moment correspond à un important remaniement du gouvernement croate, le commissaire Cuvaj étant définitivement relevé de ses fonctions le 21 juillet 1913, remplacé à ce poste par Ivan Škrlec/Skerlecz (1873-1951), qui est quant à lui victime d’un attentat perpétré dès le 18 août 1913 par un jeune révolutionnaire, Ivan Dojčić, qui le blesse au bras.
- 70 Riječki novi list, 9.12.1913. Pour les citations du discours, voir sa réédition : Šepić Dragovan (d (...)
29Supilo se rend à Vienne le 5 décembre 1913, et à Graz le 7, à la rencontre des étudiants sud-slaves, principalement issus du littoral adriatique. Il souhaite s’adresser aux futurs ingénieurs, médecins et autres agents de commerce, représentants d’une nouvelle génération qu’il souhaite indépendante à l’égard de la bureaucratie d’État, auxquels il livre l’essence de ses réflexions politiques. Le 9 décembre 1913, le journal annonce en une et publie in extenso le texte du discours tenu par le rédacteur en chef Supilo à Vienne devant la jeunesse croate, serbe et slovène70. Dans l’auberge « Zum wilden Mann », où il fait salle comble, d’après le correspondant du journal, les organisateurs, notamment A. Tresić Pavičić, ainsi que les étudiants donnent la parole à Supilo en l’assurant que la jeunesse attend son avis objectif sur la situation. Il répond qu’il s’exprimera selon son sentiment et ses convictions et concentre son propos sur le radicalisme en politique. Le discours tourne autour de deux maximes latines qui lient l’action politique à deux types de postures, la première dictant une intransigeance absolue, la seconde recommandant une certaine flexibilité, mises toutes deux au service d’une résistance acharnée susceptible d’apporter la plus grande victoire possible dans l’adversité : frangar non flectar [Je serai brisé, mais ne plierai pas] et flectar non frangar [Je plierai, mais ne serai pas brisé]. Les considérations politiques exprimées par Supilo alors qu’il glose ces deux maximes empreintes d’une vision biologique des sociétés, dans laquelle l’expérience individuelle reflète une tendance générale : « ainsi en est-il dans la vie de l’individu et la politique nationale n’est rien d’autre que l’expression collective de cette vie ». En arrière-plan de ses réflexions politiques se trouve en effet une vision en termes d’évolution darwinienne des peuples. Certains ont formé des groupes nationaux (les Espagnols, les Allemands, les Belges…), alors que les conditions et les situations de départ étaient moins favorables que pour les Croates et les Serbes.
30Supilo se livre en outre à une analyse comparée en psychologie des masses des deux entités croate et serbe. Pour les Croates, avoir confié « leur conscience nationale et morale à la perfidie et aux intrigues de l’Église de Rome », qui n’a eu pour ambition que d’imposer son pouvoir temporel, aurait eu des conséquences désastreuses. Dans l’Empire habsbourgeois, terre de pactes et de compromis, l’élection des Habsbourg au xvie siècle, ainsi continue la démonstration, ne fut pas le fait d’une libre délibération par la noblesse croate, car les régiments espagnols étaient stationnés dans les environs pour veiller au bon déroulement des choses. L’aristocratie et le cléricalisme demeurent in fine, en raison de cette inclusion dans l’espace habsbourgeois, les grands fléaux qui affectent la Croatie et ne lui accordent pas de liberté d’action, la rendant impropre au sacrifice que le peuple serbe a consenti lors des deux Guerres balkaniques. Alors que la société croate serait menacée par l’influence de l’Église catholique, que Supilo dénonce encore une fois comme un atavisme clérical aussi néfaste que le poids de l’aristocratie, il lui oppose la dynamique que représente la Serbie, qui fait naître l’espoir d’une société démocratique, dans la mesure où elle a pu se mobiliser, même sans élite nobiliaire. Le modèle d’une population serbe constituée de paysans et de bergers qui a gagné sa liberté dans ces conditions sociales est, d’après sa « conviction la plus profonde », le reflet d’une foi différente. La comparaison avec la Serbie lors des derniers conflits balkaniques sert de modèle pour une mobilisation en masse à venir : « Il n’y a pas dans l’histoire contemporaine d’exemple d’un peuple [narod], d’une plèbe [puk], qui aurait répondu d’une telle manière à l’appel de la mobilisation et où 50 000 volontaires se sont présentés en plus des appelés et des hommes dont la venue était jugée nécessaire ». Cet enthousiasme guerrier apparaît comme un modèle, que Supilo évoque dans un récit qui met en exergue « les épisodes touchants de cette ferveur. Et c’est précisément parce qu’ils se sont précipités pour se sacrifier qu’ils ont réussi ». En Croatie en revanche, « le feu d’une puissante et intransigeante action purifierait tout ou bien engloutirait tout dans cet incendie ». Enfin, « l’orateur démontra qu’une telle action anéantirait toutes les attitudes exclusives au nom du triomphe complet de l’idée d’unité nationale des Serbes et des Croates ».
- 71 Petrinović, Politička misao Frana Supila, op. cit., chapitre 6, « Političko djelovanje uoči balkans (...)
31La nouveauté qu’introduisent les Guerres balkaniques est donc le rôle accru que la Serbie devra dorénavant jouer comme facteur influençant le cours des choses en Croatie. Il ne s’agit cependant pas, aux yeux de Supilo, de faire jouer à la Serbie le rôle d’un Piémont, mais celui d’accélérateur de l’émancipation. Supilo finit par l’évocation des projets étatiques futurs qu’il s’agirait désormais de mener à bien, une union serbo-croate, à laquelle devraient se joindre les Slovènes s’ils le souhaitent. Le projet vise à créer des structures étatiques en Croatie et en Bosnie, l’essentiel consistant à lutter contre la présence germanique. Dans le but d’obtenir une autonomie complète, qui ne peut être purement croate, il présente son idée d’une union des peuples71. L’inspiration est à puiser dans un modèle de résistance serbe radical, qui n’hésite pas à oser adopter une position jusqu’au-boutiste, au mépris du compromis, du moins jusqu’à l’établissement d’un État stable. Radicalisme et opportunisme ont déjà été mis en œuvre en Serbie avant la guerre, lorsque l’Autriche-Hongrie a cherché à l’étouffer économiquement. C’est en termes darwiniens, et leurs dérivés spencériens, que se présente à ses yeux la situation, face à laquelle la violence sert d’ultime recours :
Un radicalisme inconditionnel est, tout comme un opportunisme inconditionnel, un phénomène pathologique. […] Il faut faire usage de la première méthode lorsqu’il en va de questions vitales, de la survie même de la nation, de son honneur, dans des actions où il n’y a rien ou pas grand-chose à perdre et beaucoup à gagner ; de l’autre dans des circonstances extrêmes, quand existent des conditions acceptables pour la survie nationale, quand on sent que l’on est maître de son destin. Entre les deux, l’instinct de survie, allié au bon sens, fait le choix selon ses besoins.
32Supilo avait souligné que la position intransigeante qu’il présentait à la jeunesse viennoise était en porte-à-faux avec ses propres origines ragusaines, où l’opportunisme n’avait pas nui aux intérêts de la cité commerçante. Le programme national dont Supilo se fait l’avocat consiste en une union étroite entre Croates et Serbes, mais qui ménagerait une autonomie pour chaque peuple sud-slave, ce qui sous-entend la création d’États (en Croatie avec l'élément croate comme force dominante, en Bosnie-Herzégovine avec l’élément serbe), sur la base d’un programme libéral et démocratique, qui finalement aboutirait à une social-démocratie qui aurait pour horizon un ensemble fini de peuples très proches.
- 72 Gross Mirjana, « Nacionalne ideje studentske omladine u Hrvatskoj uoči I. svjetskog rata » [Les idé (...)
- 73 Šarenac Danilo, « Why did nobody control Apis? Serbian military intelligence and the Sarajevo assas (...)
- 74 Cette violence même peut être interprétée, dans le contexte régional et chronologique, comme étant (...)
- 75 Okey Robin, « Mlada Bosna: The educational and cultural context », dans Mark Cornwall (dir.), Saraj (...)
- 76 La véhémence de Supilo faisait forte impression auprès des Jeunes Bosniaques d’après Dedijer Vladim (...)
33Le journal fait état de l’enthousiasme des auditeurs à l’issue de cette prise de parole. Supilo est devenu le rédacteur en chef d’un organe influent au sein de la jeunesse, qui bascule, à l’occasion des Guerres balkaniques, par sa ligne éditoriale d’une orientation majoritairement croate, à un yougoslavisme unitaire72. Ce discours s’inscrit dans une suite d’actions et de réflexions qui avaient établi un lien entre la jeunesse radicalisée, tant en Croatie et en Serbie qu’en Bosnie, et la violence. Quelque deux ans auparavant, le 28 décembre 1911, avait eu lieu la fondation de l’organisation de la « Jeunesse radicale croato-serbe » [Hrvatsko-srpska radikalna omladina], soit quelques mois après celle de l’organisation secrète « L’Union ou la mort » [Ujedinjenje ili smrt] à Belgrade, dont une cheville ouvrière, Dragutin Dimitrijević Apis, était en contact avec les jeunes terroristes de Bosnie73. Assurément, le contexte des Guerres balkaniques, victorieuses pour la Serbie, explique la prégnance d’un modèle de violence assumée en politique74. Gavrilo Princip développe ses derniers projets en tant que membre de l’organisation Mlada Bosna [Jeune Bosnie] après le refus mortifiant qu’il doit essuyer de la part des autorités militaires serbes de se joindre à l’armée comme volontaire75. La responsabilité de Supilo, très écouté en Bosnie-Herzégovine, dans la préparation, non pas matérielle mais intellectuelle, de l’attentat de Sarajevo peut dès lors être posée76. La déclaration de guerre qui s’ensuit mettra cependant à bas tout l’échafaudage théorique sur l’avenir politique sud-slave présenté à Vienne début décembre 1913, qui justifiait par avance l’usage de la force. Avec la désagrégation de l’Empire habsbourgeois, la réflexion politique avancera ensuite sur d’autres prémisses, non sans revirements de la part de Supilo quant à la place de la Croatie dans le nouvel État sud-slave en gestation.
Magnétisme en politique et fluide vital
- 77 Šepić (dir.), Frano Supilo. Politički Spisi, op. cit., p. 55.
34Dans les mois qui suivent la conférence de Vienne et jusqu’à l’attentat de Sarajevo, Supilo reste une figure isolée, qui jouit d’une réelle popularité auprès du jeune lectorat. Supilo critique les tenants d’une politique de compromis avec les pouvoirs en place en Autriche-Hongrie, notamment Svetozar Pribićević, l’homme fort de la Coalition croato-serbe, qui coopère avec les autorités de Budapest et de Vienne, inquiètes d’une possible déstabilisation interne dans le sillage d’une coopération serbo-croate approfondie : il accepte, pour cette raison, la révision du Compromis hungaro-croate, afin de donner des gages de loyauté et de ne pas attirer les foudres de la Monarchie austro-hongroise sur la Serbie, qui sort affaiblie des conflits balkaniques. Mais Supilo n’épargne pas davantage les socio-démocrates, dont il dénonce l’internationalisme, au nom d’une identité croate forte77.
- 78 Szekeres, « Regesti », op. cit., p. 409.
- 79 Djokić Dejan, Nikola Pašić and Ante Trumbić: The Kingdom of Serbs, Croats and Slovenes, Londres, Ha (...)
35Le Nouveau journal de Rijeka est finalement interdit le 9 janvier 1916, pour cause de parution d’articles portant atteinte aux intérêts de la Monarchie78. Entretemps, Supilo avait pris soin de s’exiler, dès la déclaration de guerre de l’été 1914, non sans avoir transféré ses avoirs financiers en Italie, grâce auxquels il put continuer à participer aux discussions sur l’élaboration d’une formule étatique yougoslave viable. Depuis Venise, Saint-Pétersbourg et Londres, il suit les développements militaires du conflit et tente d’en mesurer les conséquences pour la Croatie, pour laquelle il pressent que la tournure des événements ne lui donne pas cette position de partenaire à égalité qu’il souhaitait lui voir attribuer dans le processus de création d’une entité yougoslave. C’est la raison pour laquelle les dernières années de Supilo sont marquées par une collaboration critique avec le comité yougoslave, mis en place pour préparer la fondation du nouvel État sud-slave. Il lui semble que son ami Trumbić cède trop facilement aux prétentions et représentations des milieux dirigeants serbes, en l’occurrence face à l’incontournable homme fort de la politique serbe, Nikola Pašić (1845-1926)79, avec lequel Supilo entretient des relations houleuses, d’autant plus frustrantes pour Supilo qu’il perçoit que sa position est fragilisée par le cours militaire des choses, à mesure que se renforce la stature diplomatique de la Serbie.
- 80 10.08.1917, Londres. Šepić Dragovan (dir.), Pisma i memorandumi Frana Supila (1914-1917), Belgrade, (...)
- 81 Gina Lombroso-Ferrero (1872-1944), fille du fondateur de l’anthropologie criminelle Cesare Lombroso (...)
36La correspondance de Supilo durant les années d’exil dévoile une intensité émotionnelle où la politique devient inextricablement liée à une réflexion d’ordre physiologique. Au lendemain d’un entretien avec Pašić, il rend compte, sous le signe de l’exaltation, dans un brouillon de lettre à un haut fonctionnaire du Foreign Office, d’une proximité nouvelle. La lettre mêle indistinctement plusieurs registres, entre avancée des tractations diplomatiques et confessions les plus intimes : « Maintenant les relations entre moi et M. Pašić ne sont pas amicales, elles sont excellentes. Aujourd’hui il fut tellement ému qu’il m’embrassa à plusieurs reprises80. » Ses missives deviennent de plus en plus empreintes de descriptions de sa propre complexion en lien avec ses tractations diplomatiques. Ainsi confie-t-il à Gina Lombroso-Ferrero81, une amie turinoise de longue date, à propos de cette dernière rencontre avec Pašić :
- 82 Šepić (dir.), Pisma i memorandumi, op. cit., p. 205-206.
Le lendemain, mon état était serein, la pensée alerte, mais je sentais en outre chez moi quelque chose comme un magnétisme puissant, si bien que me rendant à pied chez Pašić (moi qui ne suis pas un sujet libidineux) je sentais que toute femme qui me regarde, belle, jeune, même très jeune, subit mon regard d’une manière inédite dans ma vie. Et elle se retourne derrière moi, fascinée, comme si les forces lui manquaient, si bien que j’étais pour ainsi dire sûr que si j’avais voulu, j’aurais pu posséder chacune d’entre elles tout de suite, là, dans la rue. Moi qui ai 46 ans aujourd’hui et suis presque chenu !! Quel est donc ce phénomène ? Avec Pašić je me suis entretenu trois heures. J’étais calme, mais dans un état extraordinaire. Je parlais en l’accusant, défendant ma politique et le remerciant des grands, des immenses sacrifices moraux dont nous lui sommes redevables, que l’orthodoxie serbe a accomplis en supprimant dans l’esprit nouveau toute une mentalité multiséculaire. Jamais, non jamais de ma vie je ne me suis senti aussi fort, aussi pleinement en possession de mes facultés psychiques et morales. Il me semblait que quelque chose m’avait transformé. La fin de notre entretien, qui n’avait de fait rien de platonique ni de déclamatoire, fut scellée par le vieil homme […] à la longue barbe blanche et apostolique, il scella notre longue conversation sérieuse en se levant, les yeux rouges de larmes et me prenant par la tête de ses mains fortes et il m’imprima au front d’innombrables baisers en murmurant « ce front, ce front », et me rendant grâce de la lutte “frondeuse” que je menais contre lui et que je lui avais expliquée avec de nouvelles propositions82.
37Le processus d’intériorisation physiologique du politique se développe en un crescendo émotionnel. Supilo se perçoit lui-même comme un être dédoublé, à la fois observateur lucide et investi d’une dimension qui n’est plus de l’ordre du rationnel. Dans une vision hallucinée et décrite comme telle par l’intéressé, Supilo se présente comme un corps investi d’un pouvoir surnaturel. Le magnétisme universel dont il est détenteur renvoie à une force de la nature. Doté d’un érotisme universel qui fait de lui un être désiré des plus jeunes femmes comme des hommes âgés, Supilo se décrit participant à une scène ritualisée où Pašić, à la longue barbe, fait office de patriarche orthodoxe et lui-même d’objet de dévotion.
- 83 21.08.1917. Ibid., p. 208.
38Il confie peu après à Jovan Jovanović (1869-1939), le représentant de la Serbie à Londres de 1916 à 1919, qu’il est « un Raspoutine yougoslave au meilleur sens du terme », ce qui serait « le secret de mes peines, mais aussi de mes succès magnétiques83 ». Enfin, dans un dernier message envoyé à son amie Gina Lombroso-Ferrero, il fait état d’une situation clinique dans laquelle la politique fait intrusion dans son corps, au point que l’activité neuronale de réflexion politique lui est désormais interdite :
- 84 Les représentants de la Croatie au parlement hongrois ont opté, par opposition à la politique proje (...)
- 85 22.08.1917. Ibid., p. 209.
J’ai déjà participé à deux grandes obstructions à Budapest84 et toutes les deux furent accompagnées de terribles accès nerveux, que j’ai maîtrisés. Cette fois, à ce qu’il semble, le grand œuvre, en particulier de transformation serbe et de propagande pour l’entente italo-serbe, doit avoir donné le coup de grâce.
Je ne sais ce qu’ils feront de moi, parce que les analyses ne sont pas achevées. Tous sont optimistes, sauf moi, parce que je me sens plus vieux. Entretemps je ne dois ni travailler, ni recevoir de lettres politiques ou autres choses de ce genre85.
- 86 Max Weber élaborait alors la notion de charisme en politique dans une approche sociologique. Eisens (...)
39Supilo interprète lui-même le magnétisme agissant vers l’extérieur, ce charisme en politique qui le fait se comparer à Raspoutine86, comme un mal qui l’anéantit et auquel il se sacrifie pour la bonne cause. Les péripéties des tractations diplomatiques (le sacrifice de la Dalmatie à l’Italie entrée en guerre aux côtés des Alliés, consigné dans le traité secret de Londres de 1915) sont, sous sa plume, l’autre facteur fragilisant dangereusement sa santé. Dans la présentation de son propre corps mis à l’épreuve, Supilo fait montre d’une proximité avec les visions dont faisait état Johanca, dans un registre cette fois de religion sécularisée. La lutte de Supilo contre le cléricalisme, comme combat pour une galvanisation des masses autour d’un projet politique sud-slave, est accompagnée, dans la dernière phase de sa vie, d’une conscience de la présence d’un mystérieux fluide magnétique en lui-même.
40Cette ultime missive, rendant compte d’un nouvel épisode d’intensité nerveuse, fut suivie dix jours plus tard d’une nouvelle attaque, dont il ne devait plus se remettre. Hospitalisé, il décède à Londres dans un hôpital psychiatrique le 25 septembre 1917. D’un point de vue fonctionnel et organique, cette lettre semble signaler que l’absence de matière politique à traiter, en d’autres termes la mort politique, anticipe la survenue de sa mort clinique.
Supilo et le culte mémoriel yougoslave
- 87 Šepić, Supilo diplomat, op. cit., p. 247-249.
- 88 Horvat, Supilo, op. cit., p. 292.
41La figure de Supilo a suscité post mortem une forme de culte politique et littéraire. Son rôle de critique radical et conséquent des arrangements politiques fut une des raisons de sa popularité, officiellement soutenue dans l’entre-deux-guerres. Le retour de ses cendres eut lieu en grande pompe à Dubrovnik en décembre 1927. La cérémonie funèbre fut organisée selon un protocole mûrement réfléchi, qui devait en faire le représentant par excellence du yougoslavisme croate, tout en gommant les aspérités qui ne manquaient pourtant pas. L’historiographie yougoslave passa volontiers sous silence les raisons moralement peu avouables du mal qui rongeait Supilo, évoquant une « ancienne maladie incurable » qui n’eut pas d’incidence sur ses activités87. Or lui-même avait évoqué en privé la syphilis qu’il avait contractée à Bologne en 1905 ou 1906, mais comme la conséquence d’un piège tendu par des agents autrichiens, qui l’auraient mené à une femme infectée88. La politique, de son point de vue, aurait toujours le dernier mot sur la vie et la mort.
- 89 Lukežić Irvin explore, à la fin de la période yougoslave, la place de Supilo dans l’imaginaire cult (...)
- 90 Žic Igor, « Povijest jedne iluzije » [Histoire d’une illusion], Sušačka Revija, no 58-59, 2007, p. (...)
- 91 Visković Velimir, « Supilo, Frano » dans Krležijana, en ligne : https://krlezijana.lzmk.hr/clanak.a (...)
- 92 Lasić Stanko, Miroslav Krleža. Kronologija života i rada [Chronologie de sa vie et de ses travaux], (...)
42L’une des raisons de sa présence dans l’imaginaire culturel, au-delà des seules controverses historiographiques89, tient à la construction posthume d’une personnalité politique qui vécut la politique comme une passion dévorante et exclusive qui aurait eu raison de son corps. Antun Gustav Matoš avait, de son vivant, fait le portrait, à charge, d’un homme pour qui précisément la politique était affaire de passion et d’engagement personnel, au détriment des idées90. L’écrivain Miroslav Krleža (1893-1981) revint à plusieurs reprises au cours de sa longue carrière littéraire sur l’itinéraire de Supilo pour le faire, au contraire, apparaître comme un personnage d’outre-tombe et néanmoins tutélaire91. Krleža avait lui-même subi un traumatisme durant les Guerres balkaniques, lié à son enthousiasme pour la cause yougoslave : encore jeune officier soldat de l’armée austro-hongroise, il avait rejoint Belgrade en mai 1912, où il comptait offrir ses services de volontaire, mais il dut affronter d’insurmontables réticences concernant les raisons de ce passage à l’ennemi. Son engagement ne fut pas jugé crédible par les officiers serbes92. Cet épisode de la Première Guerre balkanique, où l’élan yougoslave se heurta à la méfiance des autorités serbes face à un ressortissant austro-hongrois, demeura un point de rupture dans son cheminement politique et une voie d’accès vers une conception de ce qui lui apparaît comme un chemin de croix de Supilo.
- 93 Un premier texte de Krleža consacré à Supilo paraît en 1924 dans le numéro de fin d’année de la rev (...)
- 94 Krleža Miroslav, « Slom Frana Supila » [L’effondrement de Frano Supilo], dans Deset krvavih godina (...)
- 95 Ibid., p. 161.
43Sous le titre « L’effondrement de Supilo » parut en 192893 un essai dans lequel Supilo se présente à l’auteur comme un personnage fantomatique, au sens premier du terme, rencontré à Vienne, comme l’incarnation d’idéaux contradictoires, brisé par la réalité de l’union yougoslave. Krleža situe ce dialogue imaginaire dans le contexte d’une pathologie propre à la période d’activité de Supilo, celle d’une « schizophrénie politique ambiante », dans laquelle « le pouvoir autrichien apparaissait comme une constante, apparue il y a 400 ans », où les êtres obéissaient à des instincts animaux : « les gens changeaient de couleur, comme des caméléons, humiliés qu’ils étaient, blêmissaient comme du linge » et ne révéraient que ceux qui avaient fait la preuve de leur supériorité physique. Alors que, note l’auteur, « personne ne croit à la réalité des saints disposés sur les autels, les gens s’agenouillent pourtant devant eux94 ». Rétrospectivement, « la période de la Résolution de Rijeka porte en elle tous les éléments contradictoires des phases de crise ultérieures et de la chute finale, qui aura lieu douze ans plus tard à Londres95 ». Assurément, Krleža ne manque pas de sympathie pour Supilo, qui apparaît comme un alter ego de l’auteur, dont il salue l’effort tragique pour endosser à lui seul les contradictions croissantes du destin croate, intériorisées jusqu’à la rupture psychique :
- 96 Ibid., p. 176.
En soupirant, comme s’il allait mourir, Supilo voulut dire quelque chose sur la difficile solitude de nos hommes politiques, qui perdent le sens de l’espace et du temps et qui demeurent isolés au moment le plus fatal96.
Conclusion
- 97 Gentile Emilio, La religion fasciste : la sacralisation de la politique dans l’Italie fasciste, tra (...)
44Les Guerres balkaniques ont assurément accéléré la montée en intensité des émotions et des contradictions à l’intérieur de la société croate en général et chez Supilo tout particulièrement. La séquence décennale de guerres continues qui s’ouvre pour les Balkans en 1912 fut fertile en émotions d’une force nouvelle, que Supilo partagea à travers son activité de rédacteur en chef et d’orateur. S’il est difficile, dans l’histoire des émotions, par essence intime, d’identifier des bornes chronologiques, il est du moins possible de rechercher des paliers et des cohérences. Dans le cas de l’environnement urbain dans lequel Supilo a agi, les Guerres balkaniques inaugurent une série de bouleversements continus, jusqu’à l’annexion de la ville de Rijeka/Fiume à l’Italie en 1924. Durant cette période, un état de guerre permanent a diffusé, à l’échelle de la ville, des manières d’agir et de réagir, qui ont servi de laboratoire à la vie politique ultérieure, tout particulièrement à travers l’exercice du pouvoir par Gabriele D’Annunzio (1863-1938), qui apparaît en pleine lumière sur la scène politique au moment où Supilo disparaît. Maître de l’expression patriotique et incarnation du pouvoir exercé sur un mode nouveau, appelé à faire école, D’Annunzio prend la direction de la ville jusqu’aux combats fratricides et sanglants de Noël 1920 [« Natale di sangue »]97, qui voient s’opposer les Italiens ralliés à D’Annunzio aux loyalistes. L’expression consacrée pour désigner cet épisode entré dans les mémoires locales en condense les aspects religieux, politique et biologique.
- 98 Clarke Christopher, Les somnambules. Été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre, trad. de (...)
45Entre la posture de Supilo et celle de D’Annunzio, sur des prémisses idéologiques fort différentes, s’élabore une action politique incarnée par des praticiens submergés par une émotion dont ils comprennent qu’elle est devenue en soi un facteur politique. La compréhension des affects individuels comme relevant d’une physiologie, donc d’un fonctionnement naturel, est un trait de l’époque : les milieux diplomatiques et gouvernementaux européens ont été touchés par des accès de nervosité extrême et de fragilité psychologique consciente dans le sillage des Guerres balkaniques, qui participent de l’ambiance de l’époque et contribuent à expliquer l’embrasement généralisé qu’entraîneront les coups de feu de Sarajevo98. En outre, dans l’évolution politique et physiologique de Supilo entre « l’affaire sainte Johanca » qu’il dénonce et son propre décès suivi des prémices d’une vénération, s’opère un transfert de sacralité, du religieux au politique, de l’anticléricalisme croate au yougoslavisme critique. Les Guerres balkaniques auront à cet égard joué un rôle d’accélérateur dans la diffusion d’une lecture biologique teintée de darwinisme.
- 99 La dénomination de cette artère centrale a changé dès l’incorporation de la ville à la seconde Youg (...)
46Par-delà les oppositions sur le terrain doctrinal, une convergence des moyens rhétoriques lie les textes et l’action de Supilo et D’Annunzio. La toponymie actuelle dans la ville de Rijeka rend compte de cette proximité : depuis le corso du front de mer, il faut remonter la rue Supilo pour atteindre le palais du gouverneur où siégea le poète commandant, qui abrite désormais le Musée municipal d’histoire, lieu de récapitulation in situ des périodes de mobilisation successive des esprits, pour des causes diamétralement opposées99.
Notes
1 La figure de Supilo a particulièrement intéressé les historiens dans la perspective de la création de la première Yougoslavie. Pour une vue d’ensemble de sa biographie avec une riche bibliographie, voir Matković Stjepan, « Supilo, Frano (Fran) », dans Hrvatski biografski leksikon [Dictionnaire biographique croate], en ligne : https://hbl.lzmk.hr/clanak.aspx?id=11931 (consulté en juin 2022). Voir sur des points plus précis les études de Horvat Josip, Frano Supilo, Belgrade, Nolit, 1961 [1938] ; ŠepiĆ Dragovan, Supilo diplomat. Rad Frana Supila u emigraciji 1914-1917. godine [Supilo diplomate. L’action de Frano Supilo dans l’émigration 1914-1917], Zagreb, Naprijed, 1961 ; Petrinović Ivo, Politička misao Frana Supila [La pensée politique de Frano Supilo], Split, Književni krug, 1988 ; sur l’influence déterminante de Supilo dans le domaine des idées en tant que chef de l’opposition, voir Horvat Josip, Politička povijest Hrvatske [Histoire politique de la Croatie], t. 1, Zagreb, August Cesarec, 1990 [1936], p. 308 ; Perić Ivo, Mladi Supilo [Le jeune Supilo], Zagreb, Školska knjiga, 1996. Voir aussi le dossier thématique consacré à l’étude de J. Horvat sur la jeunesse politisée de Croatie à l’aube de la Première Guerre mondiale : Gordogan, vol. 6, hiver 2005 (« Josip Horvat i nacionalistička omladina » [Josip Horvat et la jeunesse nationaliste]), p. 106-221. Pour une contextualisation récente en français, voir Miloš Edi, « Les Slaves méridionaux de la Monarchie des Habsbourg et les guerres balkaniques », dans Jean-Paul Bled, Jean-Pierre Deschodt (dir.), Les Guerres balkaniques (1912-1913), Paris, PUPS, 2014, p. 145-155 ; id., « Les Slaves méridionaux d’Autriche-Hongrie et la question adriatique (1914-1915) », dans Jean-Paul Bled, Jean-Pierre Deschodt (dir.), Études danubiennes, « De Tannenberg à Verdun. La guerre totale », 2017, p. 299-309 (302) ; Matković Stjepan, « Political Narratives in Croatia in the Face of War in the Balkans », dans Katrin Boeckh, Sabine Rutar (dir.), The Balkan Wars from Contemporary Perception to Historic Memory, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2016, p. 179-196.
2 La ville de Rijeka compte au début du xxe siècle, d’après le recensement de 1910, quelque 68 000 habitants (y compris avec le faubourg de Sušak, où Supilo a installé son journal), dont environ 27 000 d’origine croate, 23 000 italophones, 3 900 Slovènes, 3 600 Magyars et 2 500 germanophones. Žic Igor, Kratka povijest grada Rijeke [Brève histoire de la ville de Rijeka], Rijeka, Adamić, 2010, p. 123. Zagreb compte à l’époque, à titre de comparaison, environ 75 000 habitants.
3 Matković Stjepan, « Hrvatska historiografija i intelektualna javnost o Balkanskim ratovima 1912.-1913. » [Historiographie croate et intellectuels dans le débat public sur les Guerres balkaniques 1912-1913], dans Josip Bratulić (dir.), Hrvatsko-bugarski odnosi u 19. i 20. stoljeću [Les relations croato-bulgares aux xixe et xxe siècles], Zagreb, Hrvatsko-bugarsko društvo, 2005, p. 267-282.
4 Pour un cadrage théorique sur l’histoire des émotions en politique, voir l’introduction générale à ce numéro sur les Guerres balkaniques. Voir en particulier l’entreprise collective de Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques, Vigarello Georges (dir.), Histoire des émotions, 3 vol., Paris, Seuil, 2016-2017, qui met en évidence l’articulation entre les émotions comme fonctionnement organique et l’anthropologie du politique (sur ce point, voir Mariot Nicolas, « Fureurs, communions et ardeur civique : la vie politique des émotions », dans Jean-François Courtine (dir.), Histoire des émotions, vol. 3., De la fin du xixe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2017, p. 98-126).
5 Allusion au fait qu’une offre lui fut faite d’exercer le pouvoir aux côtés du vice-roi officiel Nikola Tomašić (1862-1918), proposition qu’il déclina cependant le 10 août 1910.
6 Leopold Chlumetzky (1873-1940), journaliste proche de l’héritier du trône François-Ferdinand, était apparu en 1909 au procès dit de Friedjung qui s’était tenu à Zagreb et avait sérieusement entaché la réputation de Supilo. Il avait soutenu que Supilo recevait des subsides de sa part, ce qui s’avéra faux au cours du procès. Supilo avait néanmoins démissionné de ses fonctions et mandats parlementaires par égard pour ses compagnons politiques. Gross Mirjana, Hrvatski biografski leksikon [Dictionnaire biographique croate], 1989, en ligne : https://enciklopedija.lzmk.hr/clanak.aspx?id=52489 (consulté en juin 2022).
7 Hrvatska stranka prava [Le Parti du droit] marqua les débuts politiques de Supilo, qui se trouvait alors sous l’influence durable de sa figure tutélaire Ante Starčević (1823-1896), qui défendait un programme d’indépendance politique croate en dehors de la Monarchie habsbourgeoise.
8 Josip Frank (1844-1911) fit sécession du Parti du droit et fonda le Parti pur du droit [Čista stranka prava], qui mena une politique plus conciliante à l’égard des autorités austro-hongroises. Supilo s’est en fait constamment opposé à ce courant.
9 Supilo rédigea la résolution adoptée en 1905 à Rijeka, qui scella une alliance politique croato-serbe dirigée contre le système politique habsbourgeois. Ce rapprochement eut pour conséquence la victoire de ses représentants aux élections, moment important dans la mobilisation de forces politiques en faveur d’un système qui devait prendre, à terme, la succession de l’Empire habsbourgeois.
10 Voir note 4.
11 Primorje [Kroatisches Küstenland] : partie de la côte adriatique comprise entre l’Istrie et la Dalmatie, dont Rijeka forme le centre urbain.
12 Supilo i sv. Johanca. Povijest jedne bezobrazne laži preštampano iz Riječkih novina [Supilo et sainte Johanca. Histoire d’un mensonge éhonté repris dans les colonnes du Nouveau journal de Rijeka], Rijeka, Tiskarski zavod « Miriam », 1914, p. 1-2. Sauf mention contraire, les traductions sont de l’auteur.
13 Sur la figure du père Bernardin Škrivanić, voir Deković Darko (dir.), Bernardin Nikola Škrivanić i njegovo vrijeme [Bernardin Nikola Škrivanić et son temps], Rijeka, Matica hrvatska-Ogranak Rijeka, Rijeka, 1997. Sur l’anticléricalisme grandissant de Supilo dans les colonnes de son journal et son influence croissante : TrogrliĆ Stipan, « Supilov Novi list i javno mnijenje – uticaj na katolicitet obitelji » [Le Nouveau journal de Supilo et l’opinion publique - leur influence sur le catholicisme de la famille], Riječki teološki časopis, vol. 14, no 2, 2006, p. 379-398.
14 La construction de la nouvelle et vaste église du sanctuaire, de style néogothique basilical, lancée en 1904, fut achevée en 1929.
15 Le journal de Supilo couvre cette affaire en particulier à l’automne 1913 et au début de l’année 1914, lorsque Johanca Jeroušek est condamnée par le tribunal de Ljubljana pour malversations. Pour la chronologie, voir Bogović Mile, « Crkvena povijest Rijeke od 1889. do 1924. » [Histoire religieuse de Rijeka de 1889 à 1924], dans Darko Deković (dir.), Bernardin Nikola Škrivanić, op. cit., p. 7-42.
16 Emilio Gentile, L’Apocalypse de la modernité : la Grande guerre et l’homme nouveau, trad. de l’italien Stéphanie Lanfranchi, Paris, Aubier, 2010 [2008].
17 Voir https://www.cnrtl.fr/definition/physiologie (consulté en juin 2022).
18 Perić, Mladi Supilo, op. cit., p. 34-36.
19 Voir note 6.
20 Sur le contexte politique, voir la monographie de MiloŠ Edi, Antun Radić (1868-1919). Homme de lettres engagé et théoricien du mouvement paysan croate, Paris, PUPS, 2018.
21 Gross Mirjana, « Supilo na Rijeci (Frano Supilo do početka prvog svjetskog rata) » [Supilo à Rijeka (Frano Supilo jusqu’au début de la Première Guerre mondiale)], Dometi, vol. 3, no 3-4, mars-avril 1970, p. 79-88.
22 Ce régime d’exception (instauré par les autorités de Budapest pour la Croatie du 31 mars 1912 au 29 novembre 1913) plaçait les pleins pouvoirs dans les mains d’un commissaire royal, dont les fonctions remplaçaient celles du vice-roi (le ban).
23 Horvat Josip, Povijest novinstva Hrvatske 1771.-1939. [Histoire du journalisme en Croatie], Zagreb, Stvarnost, 1962, p. 372-373.
24 L’interdiction de la vente par colportage avait été envisagée par les autorités, car la société par action n’aurait sans doute pas été en mesure d’assurer une distribution par courrier.
25 Despot Ivo, Balkanski ratovi 1912.-1913. i njihov odjek u Hrvatskoj [Les Guerres balkaniques et leur écho en Croatie], Zagreb, Plejada, 2013. Cette publication est issue d’un travail de thèse qui repose sur un dépouillement intensif de la presse.
26 Ibid., p. 212.
27 Il publia en outre un témoignage sur le conflit : Mašić Branko, Ratne slike i utisci (1912.-1913.) [Images et impressions de guerre (1912-1913)], Zagreb, Srpska štamparija, 1913.
28 Sur cet organe éminent dans le contexte croate, qui parut de 1871 à 1941, voir Zvonar Ivica, « ‘Obzor’ o Drugom balkanskom ratu » [La position de « L’Horizon » sur la Seconde Guerre balkanique], dans Josip Bratulić (dir.), Hrvatsko-bugarski odnosi, op. cit., p. 359-382.
29 Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 229.
30 Hrvatska straža, année 1913. Ibid., p. 215.
31 Hrvatska straža, année 1913. Ibid., p. 238.
32 Riječki novi list, 24.10.1912. Ibid., p. 239.
33 Dom, 7.03.1913. Ibid., p. 216.
34 Pour une mise en perspective comparative des oppositions internes à l’Empire austro-hongrois à l’occasion des Guerres balkaniques, voir la contribution de Krisztián Csaplár-Degovics dans ce dossier.
35 Riječki novi list, 24.11.1912 ; 8.01.1913. Ibid., p. 218. L’auteur se cachant derrière ce pseudonyme, qui fait référence à une localité identifiée comme illyrienne (Delminium, non loin de Tomislavgrad en Herzégovine), n’est pas connu. La thèse des origines illyriennes avait précisément été développée au sein d’instances scientifiques austro-hongroises, en particulier le Landesmuseum de Sarajevo. Clayer Nathalie, Aux origines du nationalisme albanais. La naissance d’une nation majoritairement musulmane en Europe, Paris, Karthala, 2007, p. 531. Le site de Delminium avait été repéré et fouillé par l’archéologue Carl Patsch à la fin du xixe siècle. Sur le contexte de ces recherches archéologiques, voir Baric Daniel, « Archéologie classique et politique scientifique en Bosnie-Herzégovine habsbourgeoise : Carl Patsch à Sarajevo (1891-1918) », Revue germanique internationale, no 16, 2012, p. 73-89, en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rgi.1340.
36 Riječki novi list, 15.05.1913. Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 217.
37 Riječki novi list, 6.03.1913. Ibid., p. 218.
38 Crvena Hrvatska, 24.08.1912. Ibid., p. 213.
39 Riječki novi list, 9.05.1913. Ibid., p. 220.
40 Riječki novi list, 5.02.1913. Ibid., p. 257.
41 Ibid., p. 221.
42 Le 14 juin 1913, le nouveau ministère Danev remplace, avec le soutien du tsar Ferdinand Ier, une équipe menée par Ivan Guechov, qui avait semblé trop encline aux tractations diplomatiques. Confiant dans les forces armées bulgares et persuadé du soutien indéfectible de la Russie, il cherche à imposer sur le terrain une prééminence bulgare en Macédoine.
43 La soudaine attaque bulgare sur le fleuve Bregalnica en Macédoine et la contre-offensive victorieuse des forces serbes (4-8 juillet 1913) a inversé le cours de la Seconde Guerre balkanique, au désavantage des Bulgares, qui durent ensuite céder face aux Roumains et aux Ottomans. Hall Richard C., The Balkan Wars 1912-1913. Prelude to the First World War, Londres-New York, Routledge, p. 110-113.
44 Riječki novi list, 30.07.1913. Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 222.
45 Riječki novi list, 6.12.1913. Ibid., p. 257.
46 Riječki novi list, 8.07.1913. Ibid., p. 222.
47 Une semaine avant le déclenchement des hostilités de la Seconde Guerre balkanique, une tentative d’encerclement par des soldats bulgares de la localité macédonienne de Zletovo tenue par l’armée serbe s’est soldée par un échec qui entraîna un incendie et l’exode d’une grande partie de la population en Bulgarie.
48 Riječki novi list, 8.08.1913. Šepić Dragovan (dir.), Frano Supilo. Politički Spisi: Članci, govori, pisma, memorandumi [Frano Supilo. Écrits politiques : articles, discours, mémorandums], Zagreb, Znanje, 1970, p. 436.
49 Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 229.
50 Ibid., p. 272.
51 La diplomatie austro-hongroise, soucieuse de statu quo, avait proposé une série de mesures devant assurer l’autonomie des vilayets albanais (concédée le 4 septembre 1912).
52 Riječki novi list, 14.09.1912. Ibid., p. 214.
53 « Nož u leđa » [Le coup de poignard dans le dos], Riječki novi list, 12.01.1913. Ibid., p. 224.
54 Sur la qualification des apaches : Kalifa Dominique, L’encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle Époque, Paris, Fayard, 1995, p. 152-161 ; Ambroise-Rendu Anne-Claude, Petits récits des désordres ordinaires. Les faits divers dans la presse française des débuts de la IIIe République à la Grande Guerre, Paris, Seli Arslan, 2004, p. 237-242.
55 Riječki novi list, 30.07.1913. Matković, « Hrvatska historiografija », art. cit., p. 273.
56 Ibid.
57 Ibid., p. 274.
58 Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 225.
59 Ibid., p. 229.
60 Trotsky Lev, Les Guerres balkaniques 1912-1913, Paris, Science Marxiste, 2002, p. 142-148.
61 Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 226.
62 Riječki novi list, 18.10.1912. Ibid., p. 253.
63 Ibid., p. 254.
64 Szekeres József, « Regesti spisa Kraljevskog gubernija o Franu Supilu, Novom listu i Riječkom novom listu u spisima Kr. riječke gubernije (1900.-1916.) » [Régestes des écrits du gouvernement royal sur Supilo, le Nouveau journal et le Nouveau journal de Rijeka dans les écrits du gouvernement à Rijeka (1900-1916)], Vjesnik Historijskog arhiva u Rijeci i Pazinu [Bulletin des archives historiques de Rijeka et Pazin], vol. 15, 1970, p. 385-409 (401-402).
65 Riječki novi list, 5 et 6.11.1912 ; « Iz mojih uspomena s crnogorskog ratišta » [Extraits de mes souvenirs du front monténégrin] : 31.01.1913, 1.02.1913, 2.02.1913, 4.02.1913. Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 252-253.
66 Ibid., p. 264.
67 Goldstein Ivo, Croatia. A History, Londres, C. Hurst & Co., 1999, p. 105.
68 Stelli Giovanni, Storia di Fiume, Pordenone, Biblioteca dell’Immagine, 2016, p. 199-200.
69 La composante juvénile de la contestation politique dans le contexte des Guerres balkaniques a fait l’objet d’une grande attention dans l’historiographie (post-)yougoslave : voir le dossier présenté dans Gordogan, 2005, op. cit. ; la publication postérieure de Horvat Josip, Pobuna omladine 1911.-1914. [La révolte de la jeunesse, 1911-1914], Zagreb, Gordogan, 2006, ainsi que Zaninović Vice, « Mlada Hrvatska uoči I. svjetskog rata » [Le mouvement « Jeune Croatie » à la veille de la Première Guerre mondiale], Historijski zbornik, vol. XI-XII, 1958-1959, p. 65-104 ; Milojković-Ðurić Jelena, « Učešće omladine u javnom mnjenju uoči balkanskih ratova » [La participation de la jeunesse dans l’opinion publique à la veille des Guerres balkaniques], dans Vladimir Stojančević (dir.), Prvi balkanski rat 1912. godine i kraj Osmanskog carstva na Balkanu [La Première Guerre balkanique de 1912 et la fin de l’Empire ottoman dans les Balkans], Belgrade, SANU, 2007, p. 191-205 ; Luetić Tihana, « Balkanski ratovi i studentska mladež u Hrvatskoj » [Les Guerres balkaniques et la jeunesse estudiantine en Croatie], dans Svetlozar Eldarov et al. (dir.), B’lgaro-h’rvatski političeski i kulturni otnošenija prez vekovete. Sbornik v čest na 75-godišninata na Rumiana Božilova / Bulgarian-Croatian Political and Cultural Relations Through the Centuries. Collection of Papers Devoted to Rumyana Bozhilova on the Occasion of her 75th Anniversary, Sofia, Bulgarian Academy of Sciences/Paradigma, 2015, p. 147-170 ; Despot, Balkanski ratovi, op. cit., p. 234. Voir aussi l’approche critique, centrée sur la Bosnie-Herzégovine, qui interroge le facteur réel que représentait en politique la jeunesse par HajdarpaŠiĆ Edin, Whose Bosnia? Nationalism and Political Imagination in the Balkans, 1840-1914, Ithaca (NY)-Londres, Cornell University Press, 2015, en particulier le chapitre « Year X, or 1914? », p. 127-160.
70 Riječki novi list, 9.12.1913. Pour les citations du discours, voir sa réédition : Šepić Dragovan (dir.), Frano Supilo. Politički Spisi, op. cit., p. 447-453.
71 Petrinović, Politička misao Frana Supila, op. cit., chapitre 6, « Političko djelovanje uoči balkanskih ratova i Prvoga svjetskog rata » [L’action politique à la veille des Guerres balkaniques et de la Première Guerre mondiale], p. 135-150.
72 Gross Mirjana, « Nacionalne ideje studentske omladine u Hrvatskoj uoči I. svjetskog rata » [Les idées nationales de la jeunesse étudiante en Croatie à la veille de la Première Guerre mondiale], Historijski zbornik, vol. XXII-XXIII, 1968-1969, p. 75-143 (97) ; Šepić (dir.), Frano Supilo. Politički Spisi, op. cit., p. 53-55 ; DESPOT, Balkanski ratovi, op. cit., p. 264-267.
73 Šarenac Danilo, « Why did nobody control Apis? Serbian military intelligence and the Sarajevo assassination », dans Mark Cornwall (dir.), Sarajevo 1914. Sparking the First World War, Londres, Bloomsbury Academic, 2020, p. 125-148.
74 Cette violence même peut être interprétée, dans le contexte régional et chronologique, comme étant l’élément qui donne forme à la nation (« violence was nation-forming »), outre que les Guerres balkaniques intensifièrent l’attente d’actes imminents et héroïques : Hajdarpašić, Whose Bosnia?, op. cit., p. 157-159. Sur la question du terrorisme comme moyen conscient de pression politique, voir la situation décrite en Macédoine par Bernard Lory dans ce dossier.
75 Okey Robin, « Mlada Bosna: The educational and cultural context », dans Mark Cornwall (dir.), Sarajevo 1914, op. cit., p. 102-121 (117).
76 La véhémence de Supilo faisait forte impression auprès des Jeunes Bosniaques d’après Dedijer Vladimir, La Route de Sarajevo, trad. de l’anglais Magdeleine Paz, Paris, Gallimard, 1969 [1966], p. 204-205.
77 Šepić (dir.), Frano Supilo. Politički Spisi, op. cit., p. 55.
78 Szekeres, « Regesti », op. cit., p. 409.
79 Djokić Dejan, Nikola Pašić and Ante Trumbić: The Kingdom of Serbs, Croats and Slovenes, Londres, Haus Histories, 2010.
80 10.08.1917, Londres. Šepić Dragovan (dir.), Pisma i memorandumi Frana Supila (1914-1917), Belgrade, SANU, p. 204. L’original de cette lettre à un haut fonctionnaire, non spécifié dans le document d’archive, est en italien.
81 Gina Lombroso-Ferrero (1872-1944), fille du fondateur de l’anthropologie criminelle Cesare Lombroso (1835-1909), avait publié des études sur les développements de la psychiatrie et préparait l’édition d’une étude sur le rôle de la femme moderne (Lombroso-Ferrero Gina, L’âme de la femme, trad. de l’italien François Le Hénaff, Paris, Payot, 1923 [1917-1918]). Sa connaissance intime des travaux de son père sur les liens entre émotion et réactions physiologiques en faisait une interlocutrice privilégiée pour Supilo. Sur le rôle de C. Lombroso dans l’histoire de cette découverte : Carroy Jacqueline, Dupouy Stéphanie, « Du côté des sciences : psychologie, physiologie et neurobiologie », dans Courtine (dir.), Histoire des émotions, op. cit., p. 46-71 (56).
82 Šepić (dir.), Pisma i memorandumi, op. cit., p. 205-206.
83 21.08.1917. Ibid., p. 208.
84 Les représentants de la Croatie au parlement hongrois ont opté, par opposition à la politique projetée, pour une prise de parole ininterrompue afin de bloquer le processus législatif, appelée obstruction. Le double sens, politique et physiologique, du terme obstruction [ostruzione], employé dans ce contexte, est significatif, bien que certainement non intentionnel de la part de Supilo.
85 22.08.1917. Ibid., p. 209.
86 Max Weber élaborait alors la notion de charisme en politique dans une approche sociologique. Eisenstadt Shmuel, Max Weber on Charisma and Institution Building, Chicago, Chicago University Press, 1969 ; pour un examen critique de cette notion, voir Bernardou Vanessa, Blanc Félix, Laignoux Raphaëlle, Roa Bastos Francisco (dir.), Que faire du charisme ? Retours sur une notion de Max Weber, Rennes, PUR, 2014.
87 Šepić, Supilo diplomat, op. cit., p. 247-249.
88 Horvat, Supilo, op. cit., p. 292.
89 Lukežić Irvin explore, à la fin de la période yougoslave, la place de Supilo dans l’imaginaire culturel croate du point de vue de l’histoire de Rijeka, comme une figure tragique : Fijumanske priče [Histoires de Fiume], Rijeka, Izdavački centar Rijeka, 1991, p. 77-86, 174-186 ; Paljetak Luko, « Lik Frana Supila u hrvatskoj književnosti » [La figure de Frano Supilo dans la littérature croate], Dubrovnik, vol. 12, no 4, 2001, p. 31-58 repris dans id., Književni pretinci. Studije iz novije hrvatske književnosti [Dossiers littéraires. Études sur la littérature croate moderne], Zagreb, Matica hrvatska, 2020, p. 11-142.
90 Žic Igor, « Povijest jedne iluzije » [Histoire d’une illusion], Sušačka Revija, no 58-59, 2007, p. 23-32, en ligne : http://www.klub-susacana.hr/revija/clanak.asp?Num=58-59&C=5 (consulté en juin 2022).
91 Visković Velimir, « Supilo, Frano » dans Krležijana, en ligne : https://krlezijana.lzmk.hr/clanak.aspx?id=2169 (consulté en juin 2022).
92 Lasić Stanko, Miroslav Krleža. Kronologija života i rada [Chronologie de sa vie et de ses travaux], Zagreb, Grafički zavod Hrvatske, p. 93-97.
93 Un premier texte de Krleža consacré à Supilo paraît en 1924 dans le numéro de fin d’année de la revue Hrvat [Le Croate]. Deux ans plus tard, le texte est publié sous un titre modifié : « Razgovor sa senom Frana Supila » [Conversation avec l’ombre de Frano Supilo] ; dans la revue Književnik [L’Homme de lettres], no 2, 1928, il publie un texte consacré à ce qui apparaît comme une trajectoire moralement irréprochable, mais tragique : « Slom Frana Supila » [L’effondrement de Frano Supilo].
94 Krleža Miroslav, « Slom Frana Supila » [L’effondrement de Frano Supilo], dans Deset krvavih godina i drugi politički eseji [Dix années sanglantes et autres essais politiques], Sarajevo, Oslobođenje, 1973, p. 129-146 ; id., « Razgovor sa senom Frana Supila » [Conversation avec l’ombre de Frano Supilo], ibid., p. 149-176 (158).
95 Ibid., p. 161.
96 Ibid., p. 176.
97 Gentile Emilio, La religion fasciste : la sacralisation de la politique dans l’Italie fasciste, trad. de l’italien Julien Gayrard, Paris, Perrin, 2002 [1993] ; Isnenghi Mario, L’Italia in piazza. I luoghi della vita pubblica dal 1848 ai giorni nostri, Bologne, il Mulino, 2004, voir en particulier « La nuova agorà. Fiume », p. 267-273 ; Stelli Giovanni, Storia di Fiume, op. cit., p. 244-248 ; Tosseri Olivier, La folie D’Annunzio. L’épopée de Fiume (1919-1920), Paris, Buchet Chastel, 2019, p. 240-251.
98 Clarke Christopher, Les somnambules. Été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre, trad. de l’anglais Marie-Anne de Béru, Paris, Flammarion, 2013 [2012], p. 509-510.
99 La dénomination de cette artère centrale a changé dès l’incorporation de la ville à la seconde Yougoslavie et fut confirmée à deux reprises après l’indépendance de la Croatie : via del Municipio en 1910 et 1916, puis Ulica Frana Supila en 1945, 1991 et 1996. Moranjak Zlatko, Burburan Ferruccio, Ulicama Riječkim lutam [En parcourant les rues de Rijeka], Rijeka, Exsto/Institut za Fiumanologiju, 2017, p. 42.
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Référence électronique
Daniel Baric, « Frano Supilo et le Nouveau journal de Rijeka : une physiologie des émotions politiques, des Guerres balkaniques à la Première Guerre mondiale », Balkanologie [En ligne], Vol. 17 n° 1 | 2022, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/3965 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/balkanologie.3965
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