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Dossier

Les attentats à dos d’âne (Macédoine, 1911-1912) : une page de l’histoire du terrorisme mondial

Donkey Attacks (Macedonia, 1911-1912): A Page in the History of World Terrorism
Bernard Lory

Résumés

À partir de 1908, l’Empire ottoman est engagé dans un processus de démocratisation et de modernisation intense. Ceci ne fait pas l’affaire des États balkaniques, qui, à la veille des Guerres balkaniques, veulent le diaboliser en réactivant la vieille image d’un Empire « massacreur de chrétiens ». Des attentats terroristes aveuglément meurtriers sont organisés dans le but de déclencher des émeutes de bazar qui font des victimes chrétiennes que l’on peut alors dénoncer de façon pathétique.

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Texte intégral

1Pour la génération qui a connu aussi bien la chute du mur de Berlin que les Printemps arabes, la période 1905-1911 a un petit air de familiarité. Amenée à réfléchir aux transitions démocratiques, notre génération retrouve dans la première décennie du xxe siècle bon nombre de problématiques connues. En quatre années seulement, quatre empires autocratiques se transforment en monarchies constitutionnelles, voire en république : la Russie en 1905, la Perse en 1906, l’Empire ottoman en 1908 et la Chine en 1911. On peut y ajouter, pour le microcosme balkanique, l’adoption d’une constitution par le Monténégro en 1905 et l’octroi d’un système représentatif à la Bosnie-Herzégovine en 1910, deux ans après son annexion par l’Empire austro-hongrois.

2L’époque contemporaine nous a appris que ces périodes de transitions démocratiques, après une phase libératoire d’exaltation collective, connaissent de longs et pénibles ajustements. Ce sont des périodes fragiles, de liberté d’expression débridée, de campagnes électorales maladroites, de tâtonnements parlementaires, de lacunes juridiques, d’eaux troubles où des fortunes rapides se construisent. Elles engendrent bientôt d’intenses frustrations parmi les citoyens, qui ont le sentiment d’être dépossédés de leur révolution. Et de fait, les aspirations démocratiques initialement revendiquées sont bien souvent dévoyées, voire complètement confisquées dans les années qui suivent.

3La Révolution jeune-turque du 23 juillet 1908 n’y fait pas exception. Mais, dans son cas, on peut dire qu’elle a aussi été largement sabotée de l’extérieur. Dès l’automne, l’Empire ottoman en voie de rénovation est victime de deux « escamotages territoriaux » : la Bulgarie proclame son indépendance le 5 octobre 1908 et la Bosnie-Herzégovine est annexée par l’Autriche-Hongrie le lendemain. Certes, la souveraineté de Constantinople y était depuis longtemps théorique, mais il s’agit d’un désaveu international, durement ressenti par les démocrates ottomans. Les Guerres balkaniques de 1912-1913 ne rentrent-elles pas dans la même logique ? Un Empire ottoman rénové, démocratique, entrant de plain-pied dans la vie internationale européenne n’était-il pas bien plus redoutable pour les monarchies balkaniques qu’un Empire réputé vermoulu, despotique, incapable d’accéder à la modernité ? Discréditer l’Empire ottoman, le diaboliser aux yeux de l’opinion internationale, voilà la stratégie de communication que les États balkaniques adoptent à la veille d’un conflit qui devait changer radicalement les rapports de force dans la Péninsule.

Les Balkans après 1908

  • 1 Sur les spécificités de cette violence urbaine, voir Lory Bernard, La ville balkanissime, Bitola 18 (...)

4Dans les provinces balkaniques de l’Empire (Thrace, Macédoine, Épire, Albanie, Kosovo, Sandjak), la Révolution jeune-turque a un certain nombre d’effets que l’on peut qualifier de positifs. Elle parvient à suspendre le cycle infernal de violence, devenue endémique, entre bandes armées rivales qui ensanglantait les campagnes (komitadjis bulgares, andartes grecs, četniks serbes, kaçaks albanais) ; de même, elle arrête une violence urbaine, faite de meurtres et d’attentats, qui faisait obstacle au développement moderne1. Elle propose des médiations nouvelles aux profondes tensions dans ces régions : expression communautaire par le biais des clubs constitutionnels, procédures électorales, représentation parlementaire. Après la chape de suspicion du régime hamidien, l’expression publique connaît une véritable explosion, surtout dans la presse. Le nouveau régime parvient à régler le vieux contentieux qui empoisonnait les rapports entre Grecs et Bulgares depuis près d’un demi-siècle (Loi sur les églises et les écoles de Roumélie du 3 juillet 1910). Il prône une idéologie ottomaniste qui s’efforce d’inclure toutes les composantes ethno-nationales : aux identités nationales exclusives, il oppose le lien de la terre partagée (toprak kardaş, « frère par la terre »). La contrepartie de cette citoyenneté égalitaire, reconnue pour tous, est l’introduction du service militaire universel (et non plus réservé aux seuls musulmans). Peut-on trouver quelque chose à redire au slogan de « Liberté, Égalité, Fraternité, Justice » ?

5Mais ce tableau comprend aussi beaucoup d’ombres : des élections falsifiées, une presse outrancière, l’émergence d’une idéologie nationale turque qui manifeste des velléités d’hégémonie, le rejet du service militaire par ceux qui n’y étaient pas astreints auparavant, etc.

6Les témoignages laissés par les contemporains laissent une impression assez confuse. Dans l’émergence d’un pluralisme d’opinion très foisonnant, il est difficile de faire ressortir les idées-forces : les idéologies nationales qui se présentaient comme monolithiques face au régime hamidien se découvrent en effet beaucoup plus divisées sur elles-mêmes qu’elles ne le laissaient prévoir. De plus, la période est brève (juillet 1908-octobre 1912) et son souvenir est brouillé par le chaos qui suivra, la terrible décennie 1912-1922.

  • 2 Voir, par exemple, Georgeon François (dir.), « L’ivresse de la liberté ». La révolution de 1908 dan (...)
  • 3 L’un des rares historiens balkaniques à avoir approfondi les années 1908-1912 est Manol Pandevski, (...)

7La Révolution jeune-turque reste un épisode mal aimé et mal connu de l’histoire européenne, dont le souvenir n’est guère cultivé qu’en Turquie. À l’occasion de son centenaire, on a pu procéder à certaines réévaluations scientifiques2. Les lectures faites à Ankara ou dans les capitales balkaniques restent néanmoins fort divergentes. La tendance générale dans les historiographies balkaniques est à occulter la période : elles passent rapidement de 1908 à 1912, sans s’appesantir sur les processus qui s’ébauchent dans l’intervalle. Elles rabaissent ou dénigrent les idéaux révolutionnaires des Jeunes-Turcs. Dans une démarche téléologique (puisque l’historien connaît la suite des événements…), l’on décrète que l’expérience était vouée à l’échec, ce qui fut effectivement le cas. On refuse d’y voir une sincère volonté de transition démocratique, et l’on parle de parodie, de comédie, voire de farce politique3.

8Les Guerres balkaniques surplombent ces années. Les solutions qu’elles imposeront (et qui pourtant seront loin de donner satisfaction à toutes les parties prenantes) disqualifient toutes les tentatives précédentes de résoudre les contradictions régionales. Pourtant, les populations des Balkans ont bel et bien vécu entre 1908 et 1912, elles ont passionnément participé aux débats de ces années et elles n’ont pressenti l’imminence de la guerre que quelques semaines avant son déclenchement.

9À partir de quand les Guerres balkaniques se préparent-elles ? Depuis le traité de Berlin (1878) ? Depuis l’échec de la guerre menée en solo par la Grèce contre l’Empire ottoman en 1897 ? Depuis l’échec de l’insurrection d’Ilinden en 1903 ? On note une impressionnante augmentation des budgets militaires des différents pays dans les premières années du xxe siècle. Vers le printemps 1910, l’option militaire prend progressivement forme dans les capitales balkaniques. La perspective d’une coalition implique de renoncer au maximalisme territorial (les fameuses « frontières ethniques » que chaque pays a tant revendiquées) et d’envisager des solutions de compromis. L’idée du partage de la Macédoine (que Serbes et Grecs ont depuis longtemps adoptée, sans pour autant parvenir à s’entendre sur leurs sphères d’intérêt respectives) commence à faire son chemin à Sofia, ce qui implique de renoncer à la Bulgarie de San Stefano, socle de toute revendication jusque-là. Ces premiers frémissements bellicistes se renforcent avec la déclaration de guerre de l’Italie à l’Empire ottoman, le 29 septembre 1911, qui crée un contexte international favorable. Le moment est venu de préparer les opinions publiques, tant dans le cadre national que sur la scène internationale. On ressort alors tout un vieil arsenal de propagande.

L’Empire ottoman, « État massacreur »

  • 4 Il est frappant de constater que les gravures horrifiques de cette littérature de propagande sont t (...)

10Le thème de la cruauté ottomane est fort ancien. Il remonte aux xv-xvie siècles et a largement été diffusé en Europe centrale, à l’époque du Türkennot, par le biais de l’imprimerie, médium novateur, non pas tant dans des ouvrages savants que par une grande quantité de livrets, brochures et estampes destinés à un public populaire4.

  • 5 François Georgeon montre bien la marge de manœuvre toujours plus réduite de ce souverain difficile (...)

11Au xixe siècle, quand la question d’Orient prend véritablement forme, le thème des massacres commis par les Turcs revient comme un leitmotiv dans la lecture occidentale. Les plus médiatisés en Europe sont le massacre de Chios en 1822 illustré par Delacroix et chanté par Hugo, le massacre de Damas en 1860 qui suscite l’intervention au Liban, les massacres de Bulgarie en 1876 instrumentalisés par Gladstone pour discréditer le régime de son rival Disraeli. Les massacres d’Arméniens en 1894, 1895 et 1896 (ce dernier à Constantinople même), puis à Adana en 1909 réactualisent cette image au tournant du siècle. Les lobbies anti-ottomans et pro-chrétiens d’Europe occidentale s’acharnent sur la personne du sultan Abdülhamid II, « le sultan rouge », « le grand saigneur »5. Les caricatures de L’Assiette au beurre ou de Simplicissimus ont souvent été reproduites par la suite, comme si elles avaient valeur de document objectif.

  • 6 L’historien Justin Mc Carthy s’est fait le chantre d’une révision du regard historique sur cette qu (...)

12Une vision manichéenne oppose des Turcs systématiquement oppresseurs à des chrétiens systématiquement victimes. Or les chrétiens balkaniques se sont aussi livrés à des massacres contre les populations civiles musulmanes : les insurgés serbes lors de la prise de Belgrade en 1807, les insurgés grecs à Tripoli en 1821, les Bulgares lors de la déroute militaire ottomane de l’hiver 1877-18786. Les luttes macédoniennes et les exactions commises durant les Guerres balkaniques montrent que les chrétiens peuvent également être d’une grande férocité les uns envers les autres. Une certaine culture de la violence s’est assurément développée dans les Balkans dans la première décennie du xxe siècle.

  • 7 Le roman de Pierre d’Espagnat, Avant le massacre, roman de la Macédoine actuelle (Paris, Fasquelle, (...)
  • 8 Stojanovski Aleksandar (dir.), Turski dokumenti za ilindenskoto vostanie [Documents turcs sur l’ins (...)
  • 9 Par exemple, Grebenarov Aleksandăr, 100 godini ot Ilindensko-Preobraženskoto văstanie (1903. g.) [1 (...)

13À la veille des Guerres balkaniques, on est convaincu que toute insurrection chrétienne dans les Balkans s’accompagne de massacres. Cette idée a beaucoup été instrumentalisée dans les affaires de Macédoine. De façon révélatrice, le roman que Pierre d’Espagnat (1869-1902) consacre à la lutte macédonienne en 1902 s’intitule Avant le massacre7. Or l’insurrection d’Ilinden en 1903 ne s’est pas accompagnée de massacres de population civile. Certes, de nombreux villages chrétiens furent incendiés et de nombreux réfugiés sans abri affluèrent dans les villes, mais il n’y eut pas de charniers pour susciter l’indignation des Occidentaux. Au contraire, la documentation actuellement disponible montre que les autorités ottomanes veillèrent strictement à empêcher les irréguliers albanais de sévir en Macédoine8. Pourtant, aujourd’hui encore, bien des ouvrages historiques bulgares s’efforcent de dupliquer le discours sur l’insurrection de 1876 et établissent des parallèles systématiques avec 19039. On sait pourtant que l’histoire ne se répète pas…

14Un scénario implicite est bien établi dans l’esprit des Balkaniques depuis les années 1820. Ce « scénario canonique » stipule que le régime ottoman, discriminatoire, irrite à tel point la population chrétienne que celle-ci prend les armes ; le pouvoir ottoman réprime l’insurrection de façon barbare et commet des massacres ; les grandes puissances, indignées par ces cruautés, interviennent diplomatiquement ou militairement pour imposer un règlement de la crise, lequel sera plus ou moins conforme aux intérêts des chrétiens. Dans ce scénario canonique, les massacres occupent une place centrale, car c’est là que se rejoignent l’initiative balkanique et l’intervention des puissances. Cela s’est avéré efficace en Grèce, en Bulgarie et au Kosovo, d’où le rôle historique majeur conféré aux massacres de Chios (1822), Batak (1876) et Raçak (1999). En revanche les insurrections crétoises, macédoniennes et arméniennes démentent ce schéma et n’apportent pas les résultats escomptés.

15La crise de 1912-1913 ne suit que partiellement ce scénario canonique. Il y manque en effet le premier épisode, celui de l’insurrection des chrétiens exaspérés et, par ailleurs, ce n’est pas l’intervention des grandes puissances qui est attendue, mais au contraire celle des États balkaniques, pour la première fois coalisés contre leur adversaire commun. Cependant, on a toujours besoin de massacres pour justifier l’intervention militaire, tant aux yeux de l’opinion internationale que des combattants balkaniques eux-mêmes.

  • 10 La situation dans le Sandjak de Novi Pazar présente des analogies intéressantes, cf. Destani Bejtul (...)

16Nous nous concentrerons ici sur la Macédoine en 1912, laissant volontairement de côté l’Albanie, l’Épire, la Crète et la Thrace10.

La question macédonienne : une palette de stratégies violentes

17La situation en Macédoine à la veille des Guerres balkaniques est loin d’être simple. La principale organisation révolutionnaire des Slaves de la région, l’ORIMA (Organisation révolutionnaire intérieure macédono-andrinopolitaine), a fortement évolué en vingt années d’existence.

  • 11 Siljanov Hristo, Osvoboditelnite borbi na Makedonija [Les luttes de libération en Macédoine], t. 1, (...)

18Créée en 1893, elle consacre ses premières années à tisser un réseau clandestin dans les villes, en recrutant principalement parmi les instituteurs et les artisans. Ce réseau s’étend ensuite aux campagnes. L’activité se focalise principalement sur le recrutement, la conscientisation et la diffusion d’écrits révolutionnaires. Par la suite, on passe à la contrebande d’armes, ce dont les autorités ottomanes ont rapidement vent. Les premières bandes armées (četas) sont constituées, pour incarner l’existence de l’Organisation dans les villages et contrer l’influence de l’organisation rivale, le Comité suprême macédonien, piloté par Sofia. Les deux organisations sont en compétition pour le contrôle des canaux clandestins d’acheminement d’armes à partir du territoire bulgare. Elles divergent sur les méthodes : l’ORIMA rêve d’une grande insurrection populaire, qu’il faut préparer longuement si l’on veut que le « scénario canonique » puisse se réaliser, tandis que le Comité suprême a besoin d’actions d’éclat ponctuelles, venant à l’appui de la politique conjoncturelle menée par le gouvernement bulgare (raid sur Melnik en juillet 1895, soulèvement de Gorna Džumaja en octobre-novembre 190211).

  • 12 Le programme de réformes dit de Mürzsteg, établi en octobre 1903 par les empereurs François-Joseph (...)

19En 1903, la pression interne dans les deux organisations devient telle qu’elles se résolvent à collaborer pour la grande insurrection tant attendue : on s’y prépare depuis dix ans et les militants réclament de passer à l’action. L’insurrection d’Ilinden (de la Saint-Élie) en 1903 est un fiasco. L’armée ottomane n’intervient pas immédiatement, car elle veut d’abord concentrer ses forces, ce qui laisse aux insurgés l’illusion de contrôler la situation (éphémère république de Kruševo). Puis, la répression s’opère, sans grande difficulté, dans les trois secteurs insurgés, successivement en Macédoine occidentale, en Thrace andrinopolitaine et dans la région de Serrès. Les insurgés n’ont pas tenu compte du contexte international : aucune grande puissance n’envisage d’intervenir (pas même la Russie, dont le consul à Bitola a pourtant été assassiné12). L’ORIMA et le Comité suprême sortent profondément affaiblis de l’épreuve qu’ils se sont imposés à eux-mêmes ; les propagandes rivales, grecque et serbe, s’engouffrent dans la brèche et, entre 1904 et 1908, leurs četas prennent le contrôle de vastes zones de montagne. Les bandes armées de divers bords s’affrontent dans de féroces escarmouches en montagne ; la gendarmerie ottomane s’abstient d’intervenir et se contente de punir les villages qui ont hébergé les guérillas.

20Survient la Révolution jeune-turque, comme un coup de théâtre, qui redistribue les cartes et délégitime le recours à la violence. Au sein de l’ORIMA, affaiblie depuis 1903, un profond clivage oppose l’aile gauche menée par Jane Sandanski, fortement implantée dans l’est de la Macédoine et prête à collaborer avec le régime jeune-turc, à l’aile droite menée par Todor Aleksandrov, bien plus inféodée à la politique de Sofia, qui ne souhaite pas changer de modus operandi. On observe, au sein de l’ORIMA ébranlée, ce que nous qualifions aujourd’hui de « dérives maffieuses » (racket, règlements de compte, guerre des chefs). En 1909, et surtout à partir de 1910, la petite guerre de četas reprend dans les montagnes, mais elle tourne un peu à vide. Pour y couper court (et surtout pour tenter de juguler les insurrections albanaises à répétition), les Ottomans organisent en 1910 une grande opération de désarmement des populations en Albanie et en Macédoine, menée avec brutalité par Turgut pacha.

  • 13 Lory Bernard, « Archaïsme et modernité des formes de violence politique dans les Balkans au tournan (...)

21L’aile droite de l’ORIMA change alors de tactique. Si l’action des bandes armées est inefficace, il faut passer à des attentats à la bombe, frapper en milieu citadin et viser tout particulièrement les lignes de chemin de fer, afin d’avoir un écho international en touchant les grandes puissances dans leurs intérêts économiques. Cette tactique a déjà été expérimentée en Macédoine, avec les attentats de Salonique (28-29 avril 1903) perpétrés par un petit groupe de très jeunes anarchistes ayant obtenu un soutien financier de la part de l’ORIMA13.

Les attentats « à dos d’âne » [magareški atentati]

  • 14 Il s’agit donc bien d’attentats terroristes et non d’opérations armées dans une guerre asymétrique (...)

22Plusieurs attentats sont organisés à la fin de 1911 et en 1912, parmi lesquels ceux qui ont eu le plus de retentissement international sont ceux de Štip (4 décembre 1911), Kočani (1er août 1912) et Dojran (28 août 1912). Ils tranchent, parmi toute une série d’attentats à la bombe visant les installations de la Compagnie des Chemins de fer orientaux ou des agences bancaires, par leur procédé particulièrement révoltant : on se contente, un jour de marché, de pousser vers la cohue du centre-ville un âne chargé d’une machine infernale qui explosera de façon aléatoire au milieu de la foule. Il s’agit d’une violence aveugle, non ciblée (à la différence des attentats de 1903 à Salonique, qui visaient les intérêts économiques occidentaux), dont le but est de terroriser la population14.

  • 15 Il est connu comme nefra au Maroc, voir Geertz Clifford, Le souk de Sefrou. Sur l’économie du bazar(...)
  • 16 On en trouve une évocation très vivante dans le roman d’Ivo Andrić, La chronique de Travnik (1945), (...)

23L’objectif de ce genre d’attentats est de provoquer la fureur de la population dominante (les musulmans) et de la pousser à des réactions violentes – le fameux massacre –, dont les organisations révolutionnaires ont besoin. Les attentats à dos d’âne montrent une connaissance fine de la société balkanique, en instrumentalisant à des fins politiques un mécanisme social bien connu, l’émeute de bazar. C’est un phénomène que les sociologues ont décrit dans le monde ottoman et méditerranéen en général15. L’espace public de la ville ottomane est structuré en deux entités complémentaires : le bazar (qu’on appelle čaršija dans les Balkans) qui regroupe l’activité artisanale et commerciale, espace commun où se côtoient toutes les composantes ethno-religieuses de la population (principalement la population masculine) ; le bazar se distingue nettement des quartiers d’habitation [mahala] qui sont le domaine de l’entre-soi communautaire, avec des quartiers à dominante musulmane, chrétienne ou juive, voire des quartiers « bulgares » opposés à des quartiers « grecs » ; les mahalas sont le domaine des femmes et des enfants qui ne risquent pas d’y côtoyer des membres des autres communautés. La cohabitation entre les communautés ethno-religieuses au bazar est ordonnée par un ensemble de règles comportementales et de formules de politesse. Cette polyphonie harmonieuse peut être suspendue par une explosion de violence soudaine, l’émeute de bazar. En un instant, les règles de savoir-vivre se trouvent abolies et la ville est plongée dans l’anomie16.

  • 17 Hacisalihoglu Mehmet, Die Jungtürken und die Mazedonische Frage (1890-1918) [Les Jeunes-Turcs et la (...)

24L’attentat commis à Štip, le 4 décembre 1911, suit le schéma d’une émeute de bazar. Il commence par une provocation de la part du camp chrétien : une bombe est posée au centre de Štip, devant la mosquée centrale et le poids public. L’explosion en elle-même fait peu de victimes : deux morts musulmans et un chrétien. Mais on a choisi un jour de marché, d’affluence particulière. C’est un jour de fête de moyenne importance chez les chrétiens (Présentation de la Vierge) ; on nous dit que c’est simultanément jour de fête chez les musulmans17. L’explosion suscite la fureur des musulmans ; le lumpenprolétariat se sent autorisé à tuer et piller à cette occasion. A Štip, des Tsiganes et des Juifs (qui exercent le métier de portefaix) s’y sont aussi livrés. Les forces de l’ordre réagissent assez vite pour stabiliser la situation. On dénombre finalement 17 morts et plus de 200 blessés. Après l’émeute, la ville reste dans une phase de « gueule de bois » pendant plusieurs jours, puis le bazar rouvre et l’activité économique reprend, mais il faut plusieurs semaines pour que la crise soit surmontée.

25La présentation de l’attentat de Štip faite par le consul de Bulgarie à Skopje, Živko Dobrev, suit une évolution tout à fait révélatrice. Le 25 novembre / 8 décembre, il écrit :

  • 18 Georgiev Veličko, Trifonov Stajko, Istorija na Bălgarite 1878-1944 v dokumenti [Histoire documentai (...)

D’après les récits de la délégation [bulgare, venue rapporter au chef-lieu du vilayet], il semble que les autorités, surtout les militaires, se soient comportées tout à fait correctement et même de façon louable. Ainsi, en même temps que la gendarmerie et l’armée, on a envoyé dans la ville des crieurs publics, qui ont enjoint la population musulmane de se tenir tranquille et de ne pas céder à l’effusion de ses sentiments, car cela mettait en danger l’existence même de la patrie. Le kaymakam [sous-préfet] lui-même, dès qu’il eut vent du massacre, sortit dans le bazar, armé d’un fusil-revolver [?], et là où ses objurgations ne servaient à rien, il dispersa la foule par la force et la menace18.

26Trois jours plus tard, le même consul développe tous les clichés sur les Turcs massacreurs :

  • 19 Ibid., p. 551.

En échangeant des idées, les citoyens présents dirent à leurs invités que non seulement le gouvernement n’avait pas pris de mesures d’apaisement, mais que, par ses organes, il avait même encouragé les débordements de la foule musulmane, en énumérant les fonctionnaires qui avaient tiré sur les chrétiens et avaient ouvertement poussé au meurtre avec les mots « gjaur onlanlara vurunuz » [frappez ces infidèles]. Les prisonniers turcs de la maison gouvernementale avaient été libérés dans la confusion et avaient frappé des blessés et d’autres chrétiens qui se trouvaient là avec des fouets, des pierres, des gourdins, etc. tandis que les gendarmes, policiers et fonctionnaires de leur côté frappaient avec les crosses de leurs fusils ou ce qui leur tombait sous la main19.

27Dans cette seconde version, ce n’est plus la population musulmane de Štip ou son lumpenprolétariat qui est accusée, mais les autorités ottomanes, en tant que représentants du pouvoir (les témoins confondent la violence nécessaire au rétablissement de l’ordre avec l’anomie de l’émeute de bazar). La diabolisation de l’État ottoman est en cours.

  • 20 Le responsable de l’attentat de Štip est le voïvode Ivan Janev, dit Bărljo. Connu pour sa brutalité (...)
  • 21 Statelova Elena, Popov Radoslav, Tankova Vasilka, Istorija na bălgarskata diplomacija 1879-1913 [Hi (...)

28Nous ne saurons jamais ce qui s’est véritablement passé à Štip le 4 décembre 191120, ni quelle version des faits est la plus proche de la vérité. On peut noter que le pouvoir ottoman fit des efforts pour endiguer la violence, envoya une commission d’enquête, procéda à des mesures de désarmement, y compris des perquisitions (ce qui, dans le monde musulman très soucieux de l’intimité domestique, constitue une mesure impopulaire). On observe, d’autre part, que l’attentat de Štip suscita des réactions virulentes dans la presse turcophone de Macédoine, ainsi que dans la presse bulgare : le journal sofiote Prjaporec [Le mât de drapeau], au nationalisme exalté, n’hésita pas à parler de « nouveau Batak »21.

  • 22 Discuté dans Pandevski, Političkite partii i organizaciji, op. cit., p. 424.
  • 23 Sarafov Mihail, Diplomatičeski dnevnik 1909-1912 : Bălgarija i Turcija v navečerioto na Balkanskite (...)

29Le massacre de Kočani (1er août 1912), où deux explosions successives provoquent une émeute qui fait 38 morts et 466 blessés, est souvent mis en avant comme étant l’un des facteurs déclencheurs de la Première Guerre balkanique22. En fait, il ne semble avoir joué qu’un rôle d’accompagnement psychologique, d’une part pour renforcer la mobilisation patriotique en Bulgarie et, d’autre part, pour réactiver les réflexes occidentaux contre le « Turc massacreur ». Le ministre de Bulgarie à Constantinople, Mihail Sarafov, s’efforce ainsi d’exploiter l’affaire et s’agite auprès de ses collègues autrichien, russe, français et allemand, qui le reçoivent avec beaucoup de scepticisme. L’exarque bulgare fait aussi des démarches23.

  • 24 Un attentat à dos d’âne fut déjoué à Prilep, voir Kolarević Petar, Moji zapisi i sećanja na težak ž (...)

30Le dernier attentat de la série, celui de Dojran, fait 13 morts et 45 blessés (42 musulmans et 3 chrétiens). On le date du 28 août (probablement selon le calendrier julien, soit le 10 septembre selon le calendrier grégorien)24. Il est cependant curieusement escamoté dans les récits historiques au profit des deux autres.

31Que la Bulgarie ait eu besoin de massacres turcs dans cette phase préparatoire des Guerres balkaniques apparaît de façon éclatante dans l’appel à la nation bulgare que lance le tsar Ferdinand le 5/18 octobre 1912, jour de l’entrée en guerre :

  • 25 Georgiev, Trifonov, Istorija na Bălgarite, op. cit., p. 558.

[…] Au-delà du Rila et des Rhodopes, nos frères de sang et de religion n’ont à ce jour, trente-cinq ans après notre Libération, toujours pas le bonheur de mener une vie supportable et humaine.
Tous les efforts faits pour atteindre ce but, tant de la part des grandes Puissances, que des gouvernements de la Bulgarie, n’ont pu créer les conditions pour que ces chrétiens puissent jouir des droits et libertés humaines.
Les larmes de l’esclave bulgare, les gémissements d’une population de millions de chrétiens, ne pouvaient pas ne pas nous briser le cœur, des cœurs de même race et de même religion, qui doivent leur liberté et leurs jours paisibles à une grande libératrice chrétienne [la Russie]. Et le peuple bulgare se souvient des mots prophétiques du tsar-Libérateur [Alexandre II] : « L’œuvre sainte doit être menée à son terme ! »
Notre pacifisme a atteint ses limites… Pour venir en aide à la population chrétienne opprimée de Turquie, il ne nous reste plus d’autre moyen que de nous tourner vers les armes. C’est le seul moyen que nous voyions permettant d’obtenir la protection de la vie et des biens.
L’anarchie en Turquie menace même notre vie politique. Après les massacres de Štip et de Kočani, au lieu d’accorder aux victimes droits et satisfaction, comme nous l’avions réclamé, le gouvernement turc a ordonné la mobilisation de ses forces armées. Notre longue patience fut ainsi mise à rude épreuve25

32Cette rhétorique patriotique a pour but unique de galvaniser la population et de s’assurer à l’avance de son consentement aux terribles souffrances qu’entraînera la guerre. Tous les poncifs sont convoqués : le Turc s’est montré massacreur en Macédoine, par conséquent la guerre est légitime…

La rationalité terroriste

33L’histoire du terrorisme balkanique mérite d’être approfondie. C’est en effet un terrorisme étonnamment bavard, qui a laissé beaucoup de documents écrits, tant sous la forme d’archives des organisations révolutionnaires que sous celle de mémoires. Ses protagonistes parlent de leurs exploits avec la tranquille assurance de leur bon droit. Ces écrits sont publiés et proposés à la lecture du grand public. Ils sont considérés comme patriotiques, donc internes à l’histoire de la communauté nationale. Qu’il puisse exister une histoire internationale du terrorisme dans laquelle ils s’inscrivent n’effleure pas l’esprit des lecteurs balkaniques. Cette impudeur ingénue est précieuse, car elle donne au chercheur accès à l’univers mental de ceux qui commirent ces actions violentes.

34Très loin de la folie terroriste qu’évoquent si facilement les médias actuels (ce qui est une manière de se dispenser de réfléchir), on trouve une froide rationalité dans les opérations de 1911-1912. Todor Aleksandrov, membre du comité central de l’ORIM, désormais scindée entre une aile droite et une aile gauche antagonistes, en fait l’analyse, pesant le pour et le contre de deux stratégies, et optant lucidement pour le terrorisme comme ayant le meilleur « rapport qualité-prix ». Dans une circulaire datée du 16 septembre 1912 adressée aux responsables révolutionnaires locaux, il expose :

  • 26 Georgiev, Trifonov, Istorija na Bălgarite, op. cit., p. 558.

[…] Les expériences réalisées par des actions de guérilla [partizanski dejstvija] et par des attentats à la dynamite ont montré à tous, de façon évidente, que, dans les conditions actuelles, les attentats à la dynamite sont préférables à tout point de vue par rapport aux actions de guérilla.
a) Nous n’avons maintenant ni le temps, ni les moyens (financiers), ni la possibilité de nous procurer suffisamment d’armes pour toutes les circonscriptions, pour entreprendre dans un avenir proche des actions de guérilla puissantes et impressionnantes. Alors que quatre hommes hardis et expérimentés peuvent avec 30-40 kg de dynamite entreprendre très rapidement plusieurs attentats à la dynamite contre des trains, des ponts, des gares et dans des villes et ainsi effrayer les Turcs, augmenter l’anarchie dans le pays, accélérer et peut-être même imposer une intervention européenne.
b) Les conditions chez nous ne sont pas comme en Albanie, au Yémen ou ailleurs, pour se prêter à des mouvements de masse.
c) Le moral de la population a considérablement baissé, pour que l’on puisse mener à bien des actions de guérilla puissantes.
d) Les actions de guérilla exigent plus de moyens, font courir plus de risques, provoquent plus de victimes, plus de sang et plus de dévastations pour la population bulgare que les attentats à la dynamite.
e) Les actions de guérilla effraient moins les Turcs et n’agissent presque pas sur le commerce et les intérêts des Européens, parce que c’est dans les régions les plus montagneuses et proches de la frontière, c’est-à-dire loin des grands centres habités, des voies ferrées et des routes principales, qu’elles sont le plus faciles à mener et à faire durer. En conséquence de quoi, il est moins sûr qu’elles débouchent sur une intervention européenne et [le processus est] plus lent. Alors que les attentats à la dynamite contre des trains, des ponts, des gares et dans des villes affectent de façon plus sensible les intérêts européens et forcent les puissances à une intervention rapide et efficace, etc. etc.
Bien que l’acheminement d’armes s’accompagne de grandes difficultés et de risques, il faut malgré tout nous efforcer dans la mesure du possible d’armer la population, principalement pour son auto-défense et pour faciliter [l’action des] groupes d’illégaux ou d’exécuteurs d’attentats [atentatori] dans les villages et les villes (ces groupes d’exécuteurs d’attentats dans les villes et les villages, surtout près des voies de chemin de fer remplaceront complètement les četas légales du passé) et dans certains cas pour des actions de guérilla, qui renforceront l’impact des attentats à la dynamites commis simultanément […]
Salutations cordiales,
Responsable régional illégal pour Skopje et membre du Comité central
Todor Aleksandrov26

35L’histoire ne montre pas que ces attentats aveugles aient eu un grand impact sur le cours des événements. La Première Guerre balkanique était décidée bien avant qu’ils n’aient été exécutés. En août 1912, les récoltes terminées, on en était à chercher le moment opportun sur le plan international. Somme toute, nous aurions là un épisode sans grande importance, que l’historiographie pourrait se dispenser d’aborder. La confrontation entre l’emphase patriotique du tsar Ferdinand et le froid calcul de rentabilité terroriste de Todor Aleksandrov fait ressortir toute l’obscénité d’une propagande qui recourt au sang humain comme à un argument parmi d’autres.

  • 27 Bulatović Miodrag, Le héros à dos d’âne, trad. Claude Bailly [pseudonyme de Janine Matillon-Lasić], (...)

36Les « attentats à dos d’âne » de Macédoine font irrésistiblement penser au Héros à dos d’âne, roman du Monténégrin Miodrag Bulatović27, qui utilisa la dérision comme outil littéraire afin de démolir le discours héroïque sur la résistance tenu dans la Yougoslavie titiste. À part l’animal éponyme, modeste et prosaïque, nous y voyons un autre point commun : la trivialité.

  • 28 Sur la propagande de guerre dans les Balkans en 1912-1913, voir la bonne synthèse de Höpken Wolfgan (...)

37La trivialité, c’est l’antipode de l’héroïsme, posture dont les Balkaniques ont usé et abusé. La posture héroïque associée à l’action terroriste est particulièrement ambigüe, car elle permet de légitimer l’intolérable. Or la réalité de 1912 est d’une absolue trivialité. On recourt à des arguments usés, vidés de leur sens réel en recyclant des clichés vieux de cent ans sur d’hypothétiques massacres à venir ; simultanément, on se prépare à la guerre, une guerre moderne qui recourt à tous les raffinements technologiques de l’époque. Les Guerres balkaniques sont froides et rationnelles, ce sont des guerres de prédation territoriale. En guise de préparation psychologique, elles bâclent quelques opérations terroristes d’un froid cynisme, qu’on s’empressera d’oublier et de bannir des ouvrages historiques28.

  • 29 Cette chronologie compile des dates collectées dans des sources secondaires. Elles sont fournies se (...)

De la Révolution jeune-turque aux Guerres balkaniques : éléments de chronologie29

1908
23 juillet : révolution jeune-turque ; rétablissement de la Constitution de 1876
5 octobre : proclamation de l’indépendance de la Bulgarie
6 octobre : annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie
17 novembre : ouverture du parlement ottoman

1909
13 avril : tentative de contre-coup d’État à Constantinople
27 avril : destitution d’Abdülhamid II ; avènement de Mehmed V Reşad
27 septembre : loi sur les četas
novembre : le service militaire devient obligatoire pour tous ; entrée en vigueur de la loi sur les associations ; dissolution des clubs constitutionnels

1910
printemps : soulèvement en Albanie du Nord
3 juillet : loi sur les églises et les écoles en Roumélie
juillet-septembre : campagne de désarmement des populations en Albanie et Macédoine menée par Turgut pacha
15 août : proclamation du royaume du Monténégro

1911
14 mai : incident à la frontière bulgaro-ottomane, où est tué le capitaine Georgiev
5-25 juin : le sultan Mehmed V fait une tournée en Macédoine et au Kosovo
printemps-été : nouveau mouvement insurrectionnel albanais, appuyé par le Monténégro
29 septembre : l’Italie déclare la guerre à l’Empire ottoman
4 octobre : débarquement italien en Tripolitaine
27 octobre : attentat au passage d’un train entre Kumanovo et Adžarlare près de Kumanovo
13 novembre : Todor Aleksandrov, au nom de l’ORIM, adresse un mémorandum aux consuls des grandes puissances, dans lequel il justifie la reprise des actions armées
3 décembre : attentat sur la voie ferrée près de Veles
3 décembre : attentat sur la voie ferrée entre Serrès et Salonique
4 décembre : attentat à la bombe à Štip ; massacre (17 morts, plus de 200 blessés)
décembre : attentat à la bombe en gare de Kumanovo ; un hangar détruit, quelques morts
15 décembre : des bombes sont découvertes à Salonique

1912
18 janvier : dissolution du parlement ottoman
24 janvier : pogrom au monastère de Gjureš (région de Skopje)
30 janvier : double attentat à la bombe à Bitola, sans conséquences majeures
9 février : attentat à la bombe à Kruševo
17 février : attentat à la bombe à Kičevo
mars : élections « du gros bâton » [sopalı seçim]
5 avril : l’Italie bombarde les forts à l’entrée des Dardanelles
18 avril : ouverture du deuxième parlement ottoman
21 avril : l’Italie occupe le Dodécanèse
25 avril : attentat à la bombe à Ohrid
printemps-été : insurrection albanaise
juin : mutineries dans les garnisons de Bitola, Prilep, Kičevo et au Kosovo
9 juillet : gouvernement de Gazi Ahmed Muhtar pacha, hostile aux Jeunes-Turcs
30 juillet : attentat à la bombe à Ohrid
31 juillet : attentat à la bombe à Resen
1er août : deux bombes explosent à Kočani ; massacre (38 morts, 466 blessés)
5 août : le parlement ottoman est dissous (élections prévues en novembre)
9 août : programme de revendications albanaises en 14 points
12-20 août : les insurgés albanais occupent Skopje
28 août : attentat à la bombe à Dojran (13 morts, 45 blessés)
2 septembre : attentat à la bombe à Prilep
4 septembre : l’Empire ottoman consent à toutes les revendications albanaises
6 septembre : attentat à la bombe à Kruševo
24 septembre : attentat à la bombe à Bitola
30 septembre : les États balkaniques mobilisent
1er octobre : l’Empire ottoman mobilise
8 octobre : le Monténégro déclare la guerre à l’Empire ottoman
15 octobre : traité d’Ouchy mettant fin à la guerre italo-ottomane
17 octobre : l’Empire ottoman déclare la guerre aux États balkaniques
18 octobre : les États balkaniques déclarent la guerre à l’Empire ottoman

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Notes

1 Sur les spécificités de cette violence urbaine, voir Lory Bernard, La ville balkanissime, Bitola 1800-1918, Istanbul, Isis, 2011, p. 453-660.

2 Voir, par exemple, Georgeon François (dir.), « L’ivresse de la liberté ». La révolution de 1908 dans l’Empire ottoman, Paris-Louvain, Peeters, 2012.

3 L’un des rares historiens balkaniques à avoir approfondi les années 1908-1912 est Manol Pandevski, en particulier dans Političkite partii i organizaciji vo Makedonija 1908-1912 [Les partis et les organisations politiques en Macédoine, 1908-1912], Skopje, Kultura, 1965.

4 Il est frappant de constater que les gravures horrifiques de cette littérature de propagande sont toujours utilisées de nos jours comme illustration des ouvrages sur la présence ottomane dans les Balkans, à titre de « documents historiques ».

5 François Georgeon montre bien la marge de manœuvre toujours plus réduite de ce souverain difficile à cerner : Abdülhamid II, 1876-1909 : le crépuscule de l’Empire ottoman, Paris, CNRS Éditions, 2003.

6 L’historien Justin Mc Carthy s’est fait le chantre d’une révision du regard historique sur cette question. De façon analogue, une nouvelle appréciation de la violence coloniale commence à se faire jour : les atrocités de l’ouverture du Congo à la « civilisation » ou le génocide des Hereros en Namibie ne sont plus des tabous historiques. La Belle Époque a aussi son versant de barbarie sanglante…

7 Le roman de Pierre d’Espagnat, Avant le massacre, roman de la Macédoine actuelle (Paris, Fasquelle, 1902), auteur mineur qui n’a pas eu la chance de vivre longtemps, s’appuie largement sur la biographie de Hristo Matov (1872-1922).

8 Stojanovski Aleksandar (dir.), Turski dokumenti za ilindenskoto vostanie [Documents turcs sur l’insurrection d’Ilinden], Skopje, Arhiv na Makedonija, 1993 ; G’org’iev Dragi, Blagaduša Lili (dir.), Turski dokumenti za ilindenskoto vostanie od sultanskiot fond « Jild’z » [Documents turcs sur l’insurrection d’Ilinden issus du fonds du sultan « Yıldız »], Skopje, Arhiv na Makedonija / Matica makedonska, 1997.

9 Par exemple, Grebenarov Aleksandăr, 100 godini ot Ilindensko-Preobraženskoto văstanie (1903. g.) [100 ans après l’insurrection d’Ilinden-Préobrajénié (1903)], Sofia, Paradigma, 2005.

10 La situation dans le Sandjak de Novi Pazar présente des analogies intéressantes, cf. Destani Bejtullah, Tomes Jason (dir.), Albania’s Greatest Friend. Aubrey Herbert and the Making of Modern Albania: Diaries and Papers, 1904-1923, Londres-New York, I.B. Tauris, 2011, p. 50.

11 Siljanov Hristo, Osvoboditelnite borbi na Makedonija [Les luttes de libération en Macédoine], t. 1, Ilindenskoto văzstanie [L’insurrection d’Ilinden], Sofia, Nauka i izkustvo, 1983, p. 177-183 ; Lange-Akhund Nadine, The Macedonian Question 1893-1903 from Western Sources, New York, Columbia University Press, 1998, p. 113-115.

12 Le programme de réformes dit de Mürzsteg, établi en octobre 1903 par les empereurs François-Joseph et Nicolas Ier, a laissé une documentation abondante, en langues internationales, ce qui fait que certains historiens lui accordent une grande importance. À nos yeux, il s’agit d’une gesticulation diplomatique, dont l’impact sur le terrain est resté minime.

13 Lory Bernard, « Archaïsme et modernité des formes de violence politique dans les Balkans au tournant du xxe siècle », Balkan Studies, vol. 45, no 1-2, 2007, p. 191-207.

14 Il s’agit donc bien d’attentats terroristes et non d’opérations armées dans une guerre asymétrique qui viseraient les forces armées du camp adverse. Notre époque use et abuse du terme « terroriste », ce qui lui fait perdre son sens exact.

15 Il est connu comme nefra au Maroc, voir Geertz Clifford, Le souk de Sefrou. Sur l’économie du bazar, traduit de l’anglais par Daniel Cefaï, Saint-Denis, Bouchène, 2003, p. 155.

16 On en trouve une évocation très vivante dans le roman d’Ivo Andrić, La chronique de Travnik (1945), au chapitre 8. Exemple à Bitola en 1903, voir LORY, La ville balkanissime, op. cit., p. 485-488.

17 Hacisalihoglu Mehmet, Die Jungtürken und die Mazedonische Frage (1890-1918) [Les Jeunes-Turcs et la question macédonienne (1890-1918)], Munich, Oldenbourg, 2003, p. 309.

18 Georgiev Veličko, Trifonov Stajko, Istorija na Bălgarite 1878-1944 v dokumenti [Histoire documentaire des Bulgares, 1878-1944], t. I, vol. 2, Sofia, Prosveta, 1996, p. 549.

19 Ibid., p. 551.

20 Le responsable de l’attentat de Štip est le voïvode Ivan Janev, dit Bărljo. Connu pour sa brutalité, il assassine le ministre de la Défense Aleksandăr Dimitrov le 2 octobre 1921, avant d’être lui-même liquidé en 1925, lors de règlements de compte au sein de l’ORIM. Markov Georgi, Pokušenija, nasilie i politika v Bălgarija 1878-1947 [Attentats, violence et politique en Bulgarie, 1878-1947], Sofia, Voenno izdatelstvo, 2003, p. 159, 234, 238.

21 Statelova Elena, Popov Radoslav, Tankova Vasilka, Istorija na bălgarskata diplomacija 1879-1913 [Histoire de la diplomatie bulgare, 1879-1913], Sofia, Fondacija Otvoreno Obštestvo, 1994, p. 441.

22 Discuté dans Pandevski, Političkite partii i organizaciji, op. cit., p. 424.

23 Sarafov Mihail, Diplomatičeski dnevnik 1909-1912 : Bălgarija i Turcija v navečerioto na Balkanskite vojni [Journal diplomatique 1909-1912 : la Bulgarie et la Turquie à la veille des Guerres balkaniques], Sofia, Voenno izdatelstvo, 2008, p. 286-296 ; Josif I. Ekzarh [l’exarque Joseph 1er], Dnevnik [Journal] (1868-1915), Sofia, Sv. Georgi Pobedonosec, Sv. Kliment Ohridski, 1992, p. 781-783. L’exarque cède peu à peu à l’hystérie collective et parle successivement de kočanskata afera [l’affaire de Kočani], kočanskite raboti [les affaires de Kočani], kočanskite klaneta [Les tueries de Kočani], kočanskata kasapnica [la boucherie de Kočani]. Voir aussi Pandevski, Političkite partii i organizaciji, op. cit., p. 424, note 700.

24 Un attentat à dos d’âne fut déjoué à Prilep, voir Kolarević Petar, Moji zapisi i sećanja na težak život u Makedoniji [Mes notes et souvenirs sur la vie difficile en Macédoine], Belgrade, SANU, 2015, p. 174-175, lequel donne des détails mais n’indique pas de date. L’expression « attentat à dos d’âne » n’apparaît pas dans l’étude de Manol Pandevski de 1965. En revanche, le même auteur évoque dans Apostolski Mihailo (dir.), Istorija na makedonskiot narod [Histoire du peuple macédonien], t. II, Skopje, Nova Makedonija, 1969, « quelques dizaines d’attentats connus comme magareški atentati » (p. 329). Il est clair qu’il réunit alors dans la même catégorie des attentats ciblés et des actes de terrorisme aveugle.

25 Georgiev, Trifonov, Istorija na Bălgarite, op. cit., p. 558.

26 Georgiev, Trifonov, Istorija na Bălgarite, op. cit., p. 558.

27 Bulatović Miodrag, Le héros à dos d’âne, trad. Claude Bailly [pseudonyme de Janine Matillon-Lasić], Paris, Seuil, 1965. Édition originale : Heroj na magarcu, Rijeka, Otokar Keršovani, 1967 (version remaniée 1981). La parution de l’œuvre d’abord traduite puis dans sa version originale, non pas à Belgrade mais en Croatie, s’explique par le traitement subversif d’une thématique historique.

28 Sur la propagande de guerre dans les Balkans en 1912-1913, voir la bonne synthèse de Höpken Wolfgang, « “Modern Wars” and “Backward Societies”. The Balkan Wars in the History of Twentieth-Century European Warfare », dans Katrin Boeckh, Sabine Rutar (dir.), The Wars of Yesterday. The Balkan Wars and the Emergence of Modern Military Conflict 1912-1913, New York-Oxford, Berghahn, 2018, surtout p. 34-40 (comprenant une riche bibliographie).

29 Cette chronologie compile des dates collectées dans des sources secondaires. Elles sont fournies selon le calendrier grégorien, mais des erreurs restent possibles. Une collecte systématique à partir des sources d’époque (presse, correspondances consulaires) reste à faire. En histoire balkanique, il n’est pas rare de constater que le socle factuel demeure précaire.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bernard Lory, « Les attentats à dos d’âne (Macédoine, 1911-1912) : une page de l’histoire du terrorisme mondial »Balkanologie [En ligne], Vol. 17 n° 1 | 2022, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/3930 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/balkanologie.3930

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Auteur

Bernard Lory

INALCO, Paris

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Droits d’auteur

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