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Comptes rendus

Miladina Monova (dir.), Changing Economies and Changing Societies in the Age of Global Capitalism: Post-socialist Case Studies / Promenlivi ekonomii i promenlivi opchtestva vo erata na globalniot kapitalizam: postsotsialistitchki studii na slutchai

EthnoAnthropoZoom, no 17, 2018
Aliki Angelidou
Référence(s) :

Monova, Miladina (dir.), 2018, Changing Economies and Changing Societies in the Age of Global Capitalism: Post-socialist Case Studies / Promenlivi ekonomii i promenlivi opchtestva vo erata na globalniot kapitalizam: postsotsialistitchki studii na slutchai, EthnoAnthropoZoom, no 17, 275 pages.

Texte intégral

1Les mutations socioéconomiques dans l’est et le sud-est de l’Europe sont au cœur du numéro spécial de la revue bilingue (macédonien et anglais) EthnoAnthropoZoom, publiée par l’Institut d’ethnologie et anthropologie de l’Université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje, en Macédoine du Nord. Miladina Monova, directrice du numéro, rassemble six enquêtes anthropologiques qui explorent différents aspects du passage, souvent abrupte, au capitalisme néolibéral suite à la chute des régimes socialistes dans la région. Si des mesures néolibérales, telles la privatisation et le retrait de l’État providence, sont appliquées partout dans le monde depuis au moins quatre décennies, leurs contenus et leurs effets sont toujours ancrés (embedded) dans des contextes sociaux spécifiques. Ce sont ces ancrages particuliers qui font l’objet des recherches présentées dans ce numéro spécial. Partant d’une série d’enquêtes de terrain en Bulgarie, Macédoine du Nord, Grèce et Pologne, les contributions mettent l’accent sur les pratiques économiques des gens « ordinaires », sur les discours qu’ils tiennent à propos de leurs vies économiques, ainsi que sur l’échelle micro (individus, groupes domestiques, communautés locales).

  • 1 Monova Miladina, « Introduction. Changing Economies and Changing Societies in the Age of Global Cap (...)

2L’une des principales contributions du numéro est de centrer l’analyse sur l’économie domestique. Celle-ci est considérée comme partie intégrante du système économique actuel, servant souvent de soutien à la pénétration croissante du marché dans les campagnes et les villes du (sud-)est européen. Sont alors présentées les réponses variées des acteurs locaux, qui essaient de trouver leur place dans la nouvelle conjoncture. Les auteurs cherchent avant tout à explorer les façons dont les individus et les ménages intègrent la logique du marché en utilisant leurs ressources personnelles et familiales (terre, maison, argent, savoir-faire) pour les transformer en capital. Ils montrent que si les acteurs locaux s’engagent dans la neolibéralisation de la vie économique locale, c’est afin de gagner leur vie et, en même temps, de créer de nouvelles formes de « vivre ensemble » (togetherness). De ce point de vue, comme le suggère M. Monova, le cas de la Grèce, un « vieux » pays capitaliste, s’avère étonnamment proche de ceux de pays post-socialistes plus récemment convertis au capitalisme. Ainsi, « l’analyse de ces sociétés en transformation démontre l’enracinement de l’économie dans les relations sociales et permet simultanément de comprendre certaines trajectoires étonnamment proches de l’évolution des normes et des valeurs [en dépit de l’adoption plus ou moins ancienne du capitalisme]. Partout, la sphère économique interagit avec l’État, la parenté, la religion et la politique1 ».

3Certaines enquêtes s’inscrivent dans un contexte rural, telle l’étude de Detelina Tocheva, qui se concentre sur une famille des Rhodopes centrales en Bulgarie qui s’est lancée dans l’agritourisme, ses membres souhaitant se reconvertir en entrepreneurs et transformer leur maison en hôtel. Ce tournant vers une activité marchande a été réalisé afin de faire face à la disparition généralisée des revenus salariaux stables dans la région. Mais ce projet de reconversion s’avère plus complexe que prévu. La survie du groupe domestique nécessite, dans ce cas, de combiner l’accueil de touristes avec l’agriculture pour la vente et pour la consommation domestique, la production de produits artisanaux et l’utilisation d’une main d’œuvre non salariée. Lorsque la tentative d’obtenir un soutien financier d’un programme de l’Union européenne (UE) échoue, la famille se retrouve lourdement endettée. Par conséquent, plusieurs de ses membres émigrent pour travailler au Royaume-Uni. L’auteure montre comment l’idéal du soi taillé sur mesure pour répondre aux demandes du marché et celui de la maison commercialisable, tant chéris localement, se heurtent aux réalités socioéconomiques locales et aux perversités des mécanismes nationaux et internationaux d’attribution des aides.

4Dans sa recherche, Dimitris Gianakopoulos examine le retour de plusieurs familles de la région d’Agrinio, en Grèce centrale, à la production (illégale) du tabac durant la crise économique des années 2010. La région en question a une longue tradition de production de tabac depuis la fin du xixe siècle, tradition qui a été violemment interrompue en 2006, lorsqu’ont été mises en œuvre les politiques anti-tabac nationales et européennes. Cependant, afin de faire face au manque de revenus fixes et d’opportunités de travail durant la crise, plusieurs ménages ont repris cette activité agricole qui leur est familière et ont commencé à vendre leur produit en activant des réseaux de parenté ou d’amitié. La production et la vente du tabac s’effectuent loin de toute intervention de l’État, dans le but d’éviter l’imposition et des marchands intermédiaires qui, auparavant, imposaient les prix de vente aux producteurs. Dans ce processus, les petits cultivateurs adoptent la rhétorique néolibérale du « moi entrepreneurial ». Mais ils ne se contentent pas de chercher à maximiser leurs profits ; ils justifient également leurs actes en termes de résistance indispensable face à une conjoncture socioéconomique qui leur est défavorable. En revendiquant cette double logique, à la fois d’adaptation et de résistance, les petits producteurs de tabac font émerger de nouvelles perceptions locales de la légalité et de la moralité.

5Atanaska Stancheva explore comment le Slow Food, un mouvement international qui soutient la durabilité et la préservation de la biodiversité alimentaire, est perçu dans trois localités agricoles bulgares. Chacune d’entre elles s’est investie dans des activités entrepreneuriales autour de la production d’aliments « traditionnels » faits maison (haricots de Smilyan, fromage vert de Cherni Vit et viande de porc « Meurche » de Gorno Draglishte), initiées ou soutenues par des experts occidentaux du Slow Food ou par l’UE. Ces activités promeuvent une vision entrepreneuriale des ménages en même temps qu’elles représentent de nouvelles stratégies de subsistance pour faire face aux défis de la libéralisation de l’économie. Comme dans les ethnographies précédentes, les individus ont recours à des ressources domestiques et à un savoir-faire qui a été préservé par les familles et qui se transmet d’une génération à l’autre. Parfois, néanmoins, ce savoir-faire est perdu et il faut le réinventer. De plus en plus, les réglementations gouvernementales s’avèrent essentielles, l’État étant souvent perçu comme un ennemi ou un frein aux activités des petites entreprises.

6Située entre ville et campagne, l’étude de Petya  Dimitrova analyse un mode particulier de déplacement, que l’auteure qualifie de lifestyle migration (« migration visant à changer de mode de vie »). L’auteure suit un groupe de migrants potentiels, des activistes environnementaux polonais qui souhaitent quitter la ville afin de débuter, avec leur famille, « une vie meilleure » à la campagne. Ces personnes rejettent leur mode de vie, structuré par les rythmes de la vie urbaine, et souhaitent s’orienter vers de nouvelles activités économiques, pas forcément liées à l’agriculture. L’auteure utilise le concept d’« idylle rurale » afin d’explorer les idéaux avec lesquels ils investissent cette relocalisation à la recherche d’une « vie durable », idéaux qui mettent l’accent sur la recherche de tranquillité, la proximité avec la nature, la vie en petits groupes, un environnent non pollué et le ralentissement du rythme de travail. Ces images, imprégnées de romantisme, représentent certes une perspective urbaine sur la campagne. Elles n’en demeurent pas moins une force motrice importante à l’origine de la décision de s’installer à la campagne. Mais elles se heurtent souvent à la mise en œuvre concrète de cette migration, qui s’avère être un processus de longue haleine, suivi par des problèmes inattendus à la campagne, telles les infrastructures mal développées et les insuffisances des services sociaux.

7Ines Crvenkovska Risteska étudie, en contexte urbain, les négociations identitaires ainsi que les dimensions économiques et sociales de la vie des personnes rom nées hommes qui exercent un travail sexuel en tant que femmes. Si ces personnes se travestissent uniquement à huis clos à Skopje (ou ailleurs en Macédoine du Nord), elles se montrent en public quand elles travaillent ailleurs en Europe. En tant qu’hommes, ils ont des familles qu’ils soutiennent financièrement et mènent leur vie dans le quartier rom de la capitale. En tant que femmes, elles instaurent un système symbolique de « sœurs », vivent sous le même toit et partagent un budget commun. Au sein de cette « communauté de sœurs », il est interdit d’avoir des rapports sexuels. Elles gèrent ensemble leurs activités sur le marché du sexe et construisent un modèle économique basé sur la mutualité et le partage des frais et des ressources du « ménage ». Cette identité transgenre apparaît globalement comme un moyen pour lequel optent plusieurs hommes rom, notamment homosexuels, afin de faire face aux conditions économiques particulièrement défavorables pour leur groupe ethnique à l’ère post-socialiste.

8Dans son article, Nikola Venkov retrace l’histoire sociale du Jenski Pazar (Marché des femmes), un marché de plein air emblématique du centre-ville de Sofia. L’auteur suit la trajectoire du marché depuis les années 1970, en démontrant le caractère ambivalent de ses transformations : durant la période socialiste, bien que la distribution des marchandises fût organisée par l’État central, le marché était consciemment structuré comme un mélange complexe d’acteurs publics et privés. Ainsi, le développement d’une activité entrepreneuriale par des villageois qui y vendaient directement leur production a commencé à gagner du terrain bien avant 1989. Paradoxalement, à présent, pour la plupart des informateurs, le « vrai marché » était bien celui de la période du socialisme tardif. Le marché a connu une grande effervescence pendant les années 1990, une période caractérisée par la montée du petit commerce local et transfrontalier, ainsi que par la croissance explosive du commerce de rue. Au cours de cette même période, le marché est également devenu pluriethnique, avec l’arrivée de marchands chinois, vietnamiens et arabes, puis rom. Ce n’est qu’à partir de 2005, environ, que le marché commence à être considéré par les autorités locales – mais aussi par beaucoup de Sofiotes – comme un lieu qui a perdu son caractère, s’est dégradé et qui nécessite d’être réaménagé afin de suivre le processus de gentrification du centre-ville ; c’est précisément le moment où s’implantent massivement les grandes chaînes de supermarchés et les centres commerciaux. De nos jours, le Marché des femmes n’est plus un espace urbain répondant aux besoins de la majorité des habitants de la capitale. Son image de fenêtre sur la vie quotidienne de Sofia a été supplantée, soit par celle d’un lieu de danger, de crime et de misère, soit par celle d’un décor d’expériences exotiques pour touristes.

  • 2 Hart Keith, Laville Jean-Louis, Cattani Antonio David (dir.), The Human Economy: A Citizen’s Guide, (...)
  • 3 Creed Gerald, Domesticating Revolution: From Socialist Reform to Ambivalent Transition in a Bulgari (...)

9Si certains textes du numéro paraissent moins liés que d’autres à la problématique principale, celle-ci demeure, sans aucun doute, fort intéressante et originale. Malgré ce manque de cohésion, les six ethnographies montrent, chacune à sa manière, que dans le vécu des individus et des familles, l’économie reste une « économie humaine2 », bien loin d’une vision économiste définissant l’économie comme l’effort constant consistant à maximiser des gains à partir de ressources limitées, qui implique un ensemble complexe de relations sociales et politiques. Les articles de ce numéro soulignent également la « domestication3 » du capitalisme néolibéral dans le (sud-)est de l’Europe, à savoir l’inscription dans des processus globaux d’acteurs locaux, mais une inscription qui passe par des réappropriations et des ajustements variables de la part de ces acteurs. Ces derniers n’adoptent pas telles quelles les doctrines néolibérales, mais ne les rejettent pas non plus. Ils essaient de faire de leur mieux, dans un contexte dégradé, afin de tourner à leur avantage certains aspects de l’« économie libre ». En résultent des solutions créatives qui, au mieux, leur permettent d’accéder à un équilibre précaire.

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Notes

1 Monova Miladina, « Introduction. Changing Economies and Changing Societies in the Age of Global Capitalism: Post-socialist Case Studies », EthnoAnthropoZoom/ЕтноАнтропоЗум, no 17, 2019, p. 9-15 (11), en ligne: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.37620/EAZ1817009m.

2 Hart Keith, Laville Jean-Louis, Cattani Antonio David (dir.), The Human Economy: A Citizen’s Guide, Cambridge, Polity Press, 2010.

3 Creed Gerald, Domesticating Revolution: From Socialist Reform to Ambivalent Transition in a Bulgarian Village, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1998; Tocheva Detelina, « What It Takes to Become a Self-Enterprising Household in the Rhodope Mountain, Bulgaria », EthnoAnthropoZoom/ЕтноАнтропоЗум, no 17, 2019, p. 61-99, en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.37620/0061t.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aliki Angelidou, « Miladina Monova (dir.), Changing Economies and Changing Societies in the Age of Global Capitalism: Post-socialist Case Studies / Promenlivi ekonomii i promenlivi opchtestva vo erata na globalniot kapitalizam: postsotsialistitchki studii na slutchai »Balkanologie [En ligne], Vol. 16 n° 2 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/3453 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/balkanologie.3453

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Auteur

Aliki Angelidou

Université Panteion des sciences sociales et politiques, Athènes
alangel[at]panteion.gr

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