1973, l’année du tournant environnemental dans l’Albanie communiste ?
Résumés
Cet article étudie l’émergence de la toute première politique publique environnementale en Albanie, en analysant le Décret sur la protection de l’environnement contre les pollutions, entré en vigueur à l’automne 1973. On y montre comment l’exécutif communiste construit et met à l’agenda institutionnel la question de la protection environnementale et quels outils administratifs lui sont alloués. Plus qu’une politique de conservation de la nature et des paysages, le régime entend gérer les risques que les pollutions industrielles et agricoles font peser sur la santé humaine, et ce au moyen de l’instauration d’une technocratie verte. Nous proposerons en conclusion une hypothèse pour expliquer l’oubli dans lequel est tombée la politique de protection de l’environnement communiste.
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- 1 Entretien avec l’auteure réalisé le 27 septembre 2019 à Tirana.
1M., une ingénieure en environnement d’âge mûr, nommée en 1994 inspectrice de l’environnement à l’Agence régionale de l’environnement [Agjencia Rajonale e Mjedisit], alors qu’elle venait d’achever ses études à la faculté de sciences naturelles de Tirana, croit se souvenir : « il n’y avait rien en place avant la chute du régime communiste, rien en écologie1 ».
- 2 Weinsbein Julien, « Les politiques de l’environnement », dans Academia.edu, 2016, en ligne : https: (...)
2Comme M., les acteurs publics et parapublics spécialisés dans la protection de l’environnement souscrivent à cette représentation des politiques environnementales et s’accordent à dire que la mise à l’agenda progressive du problème environnemental et l’instauration de politiques de protection de l’environnement sont le résultat de l’adhésion à de nouveaux référentiels cognitifs et normatifs diffusés par les organisations internationales compétentes et l’Union européenne (UE) à l’occasion de la réouverture du pays après la chute du régime communiste en 1991. Plus largement, d’un point de vue philosophique et historique, la question environnementale est souvent attribuée à la modernité politique2.
- 3 Abrahams Fred C., Modern Albania: From Dictatorship to Democracy in Europe, New York, NYU Press, 20 (...)
- 4 Shallari Anila, Les zones humides d’Albanie : transmission des normes internationales et européenne (...)
- 5 Dërvishi Kastriot, Historia e Shtetit Shqiptar 1912-2005. Organizimi shtetëror, jeta politike, ngja (...)
- 6 Bernard Claire, La biodiversité par projet : réflexivité engagée et dispositif stratégique en Alban (...)
- 7 Bernard Claire, La biodiversité par projet, op. cit., p. 414 ; Guevara-Braun Tibissaï, L’action pub (...)
- 8 Börzel Tanja, Risse Thomas, « Conceptualising the Domestic Impact of Europe », dans Kevin Featherst (...)
- 9 Signature de la Convention Espoo qui fixe le recours obligatoire aux évaluations d’impact environne (...)
- 10 Grabbe Heather, The EU’s Transformative Power. Europeanization Through Conditionality in Central an (...)
3Ces représentations vernaculaires trouvent un certain écho dans la littérature scientifique. En effet, l’historiographie de l’Albanie communiste encore largement majoritaire jusqu’à la moitié des années 2010 insiste sur l’isolement du pays sur la scène politique internationale pendant la période 1945-19913 et notamment sur l’interdiction stricte des échanges migratoires, économiques, politiques, culturels et artistiques avec le bloc de l’Ouest. La rupture des relations diplomatiques albanaises avec la Yougoslavie en 1948 puis avec l’URSS en 1961 et, enfin, avec la Chine communiste en 1978 conforte d’ailleurs l’image d’un pays totalement « insularisé » pendant la seconde moitié du xxe siècle et donc imperméable aux évolutions internationales du droit de l’environnement. Un autre champ de la littérature scientifique, consacré au rapport société-nature pendant la période communiste, semble également conforter la thèse de l’absence de politiques environnementales sous le régime hoxhien. De récents travaux font la lumière sur les effets destructeurs sur les écosystèmes et les paysages4 des politiques d’industrialisation et d’intensification de la production agricole menées à marche forcée5 par le Parti du travail d’Albanie [Partia e Punës së Shqipërisë, PPSH]. Les rares analyses du rapport culturel à la nature instauré par le régime communiste albanais, caractérisé par la prédation sur les ressources naturelles au moyen d’un « projet scientifique de rationalisation des savoirs et des pratiques6 », contribuent à infirmer l’existence d’une gestion de l’environnement respectueuse des limites écologiques. Par ailleurs, le champ dynamique de l’analyse des politiques publiques transnationales montre combien les institutions européennes jouent jusqu’à présent un rôle transformateur central et structurant en matière de politiques environnementales dans l’Albanie7 postcommuniste, comme dans l’ensemble de l’Europe centrale et orientale8. En effet, les exécutifs albanais successifs vont œuvrer à rattraper le retard du pays en intégrant de nombreuses conventions internationales environnementales établies avant le début de la transition démocratique9. Le démarrage du processus d’adhésion de l’Albanie à l’UE en 2014 accroît tout particulièrement la visibilité du problème public de la protection de l’environnement. En effet, le pays candidat est tenu de traduire et de transposer dans son propre ordre juridique national les quelques 700 textes juridiques (dont 300 directives européennes) regroupés dans le chapitre 27 de l’acquis communautaire consacré à l’environnement. En Albanie, le droit communautaire européen vient ainsi mettre en forme la loi centrale en matière de protection de l’environnement, la loi n° 8934 sur la protection de l’environnement [Ligji për mbrojtjën e mjedisit] du 5 septembre 2002, remaniée le 8 septembre 2008 [Ligj numr. 9983]. Après 2014, la transformation profonde des politiques publiques albanaises en matière d’environnement est donc clairement attribuable au pouvoir normatif10 de l’UE, c’est-à-dire à la capacité de l’UE à influencer la matrice idéelle et instrumentale des politiques publiques au sein des pays candidats et de ses voisins.
- 11 Dossier no 72 des archives (1944-) du Présidium de l’Assemblée populaire d’Albanie [Dosja n° 72], A (...)
4Pourtant, est-il exact d’affirmer que l’origine de la prise en compte de l’environnement dans l’action publique en Albanie remonte seulement à la réinsertion de ce pays au sein des arènes internationales et, plus précisément, à son engagement sur le chemin de l’intégration européenne ? L’Albanie n’a-t-elle pas réalisé son propre tournant environnemental (« environmental turn », selon l’expression de Roderick S. French) avant 1991 ? La découverte dans un carton d’archives11 des Archives centrales d’État de l’Albanie d’un décret pris par le Présidium de l’Assemblée populaire d’Albanie en 1973 pour protéger l’environnement contre les pollutions permet de faire émerger des pistes de réponse, mais suscite également de nouvelles interrogations. La protection de l’environnement devient-elle un problème public en Albanie dès la période communiste ? Quelles sont les spécificités de l’action du régime communiste albanais en faveur de l’environnement ? Comment expliquer l’effacement de ce décret de la mémoire des acteurs publics et parapublics de la sphère de la protection de l’environnement ? Est-il attribuable à un désintérêt constant du régime pour ces questions ? À l’ineffectivité de ces politiques, qui n’ont laissé aucun souvenir ? Ou encore à une représentation collective fondée sur la dévaluation et la condamnation morale systématiques de la période de la dictature et de ses vestiges, qui empêche d’évoquer des politiques à la fois communistes et protectrices de la nature ? C’est le mystère de cette généalogie oubliée, ou effacée, que nous voulons ici percer.
- 12 Robert André Désiré, Bouillaguet Annick, « Chapitre II. Méthodologie générale de l’analyse de conte (...)
- 13 Boudon Raymond, Fillieule Renaud, « Chapitre I. L’analyse causale », dans Raymond Boudon (dir.), Le (...)
- 14 Lelaj Olsi, « Le communisme et l’ethnologie albanaise contemporaine. Le point de vue d’un natif », (...)
- 15 Voir le volume Albanie : renaissance d’une discipline de la revue Ethnologie française sous la dire (...)
5Pour répondre à ces questionnements, nous avons adopté une méthode d’analyse historique de documents juridiques fondée sur le schéma de Lasswell et la catégorisation du « contenu sémantique global de la “base de texte”12 ». Les sources primaires sont au nombre de trois : un rapport [Relacioni] du président du Conseil des ministres, Mehmet Shehu, adressé au président du Présidium de l’Assemblée populaire de la République populaire d’Albanie, Haxhi Lleshi ; le projet de décret [Projektdekreti] ; et, enfin, le texte final du décret sur la protection de l’environnement contre les pollutions [Dekreti n° 5105 dt. 30.10.1973 mbi Mbrojtjen e Ambjentit nga Ndotjet]. Pour mettre en perspective les données issues de l’analyse archivistique, le corpus primaire est ensuite complété d’un corpus secondaire composé, d’une part, de littérature grise concernant les politiques environnementales albanaises et, d’autre part, de littérature académique spécialisée en langue française, anglaise et albanaise. La méthodologie choisie soulève plusieurs problèmes. Les premiers, classiques de l’analyse de documents13, ont à voir avec les enjeux de pertinence, d’exhaustivité et d’objectivité des catégorisations construites pour l’exploitation des données sémantiques du corpus. D’autres sont spécifiques au travail archivistique dans l’Albanie postcommuniste et s’imposent aux chercheurs en sciences sociales (histoire, sciences politiques, ethnologie), tant locaux14 qu’étrangers15 : incomplétude des sources, désorganisation des dépôts et/ou fermeture au public, pratique commune de la falsification des documents par le régime communiste… Ces nombreux obstacles méthodologiques contraignent le chercheur à interroger les biais épistémologiques d’une investigation reposant uniquement sur des sources archivistiques en Albanie. L’ethnologue albanais Olsi Lelaj expose avec clarté ce problème :
- 16 Ibid.
(…) en admettant que les documents dont disposent les chercheurs n’en contiennent pas [des falsifications], n’oublions pas que, dans le contexte d’un système totalitaire, les archives jouent un rôle important dans les relations de pouvoir dont elles sont le produit direct. Aussi, du fait de leur instrumentalisation par les régimes totalitaires d’hier, faut-il considérer d’un œil critique la « vérité » que l’on tente de révéler en s’appuyant sur les archives, et n’y voir qu’une « vérité partielle » pour l’histoire (ou les histoires) que nous désirons écrire aujourd’hui16.
- 17 Lelaj, « Le communisme et l’ethnologie albanaise contemporaine. », art. cit.
- 18 Mëhilli Elidor, « Documents as Weapons: The Uses of a Dictatorship’s Archives », Contemporary Europ (...)
- 19 Lelaj, « Le communisme et l’ethnologie albanaise contemporaine. », art. cit.
6En dépit des promesses heuristiques d’un research model mixte, croisant les données extraites du corpus avec des entretiens sociologiques conduits auprès d’anciens employés travaillant sur les questions environnementales au sein des administrations centrales ou de l’université publique (enseignants, administrateurs, ministre) pendant la période communiste et jusqu’à la chute de la dictature, il n’a pas été possible de réaliser ce projet. Le très faible taux de réponse et les refus reçus des acteurs peuvent être interprétés comme révélateurs de la persistance d’un tabou moral à aborder leur expérience dans la fonction publique sous le régime dictatorial du PPSH17 ou bien comme traduisant la crainte de voir leur témoignage instrumentalisé (« weaponized18 ») à leur encontre par les détracteurs du communisme en tant qu’« ordre social totalement mauvais19 ».
7Aussi, notre démarche s’est limitée à l’étude des documents archivés pour analyser la phase de mise à l’agenda (agenda-setting) et celle de prise de décision (decision-making) tout en proposant une hypothèse concernant la phase de mise en œuvre (implementation phase), qu’il conviendra de tester ultérieurement.
8Nous resituerons d’abord le décret de 1973 dans l’histoire internationale du tournant environnemental à l’Est (1), avant d’éclairer le contexte national du texte, au plan politique, économique et juridique (2). Nous analyserons ensuite la construction et la mise en problème institutionnel de la protection de l’environnement dans l’Albanie communiste en montrant comment le régime légitime son intervention par son souci de préservation de la santé publique via la gestion des risques industriels (4). Nous examinerons ensuite les aspects institutionnels et administratifs du décret (5) et identifierons les influences internationales discernables dans la facture de la loi (6). Enfin, nous proposerons une hypothèse pour expliquer la disparition de cette politique de protection des mémoires collectives et individuelles, à travers la comparaison avec la mise en œuvre de la politique de gestion et de protection des forêts (7).
Un intérêt récent pour les politiques environnementales du bloc de l’Est
- 20 Déléage Jean-Paul, Histoire de l’écologie. Une science de l’homme et de la nature, Paris, La Découv (...)
9Il faut attendre 1991 pour que l’historiographie des politiques publiques environnementales se tourne de l’autre côté du rideau de fer et interroge l’existence d’un tournant environnemental à l’Est. Si la mise à l’agenda des problèmes environnementaux est étudiée dans les pays industrialisés à partir des années 1980, c’est seulement avec l’ouvrage de Jean-Paul Déléage, Histoire de l’écologie, une histoire de l’homme et de la nature20, que la littérature scientifique aborde la « contribution de l’Europe de l’Est » à la pensée de l’écologie. Avant lui, les études diachroniques consacrées au problème des dégradations de l’environnement postulaient que la prise de conscience écologique trouvait son origine dans le bloc de l’Ouest, d’où elle s’internationalisait ensuite à l’occasion d’échanges intellectuels, scientifiques et politiques, notamment en direction de l’Europe de l’Est :
- 21 Coumel Laurent, Dupuy Michel, « Les trois écologies à l’Est. Quel tournant environnemental en RDA e (...)
L’étude de la prise de conscience écologique […] a mis l’accent sur des courants scientifiques, des mouvements sociaux et des processus d’institutionnalisation dans les seuls pays capitalistes. […] Ainsi, toute la réflexion sur les enjeux environnementaux à l’Est de l’Europe, dans les pays dits « communistes », a été au mieux considérée comme une simple imitation des discours vertueux occidentaux, au pire purement et simplement négligée. Cette lacune s’est répercutée dans l’histoire, surtout dans sa production francophone [...]21.
- 22 Ibid., p. 236.
10Pourtant, plusieurs sociologues et historiens de l’écologie montrent, à partir du milieu des années 1990 mais surtout à partir de 2000, combien l’écologie était également présente à l’Est. En témoigne l’adoption d’un décret général par le Parti-État soviétique en 1972 pour la protection de l’environnement à l’échelle du territoire de l’URSS, après sept années de réflexions et de discussions préparatoires22. L’écologie existe à l’Est en tant que discours savant, gestionnaire et politique sur les rapports homme-nature. Des mobilisations savantes récurrentes, autour des Académies des sciences, nourrissent la réflexion écologique en bâtissant concepts et modèles de gouvernement de la nature, dans une continuité contre-intuitive avec la période de la Russie impériale. Les scientifiques soviétiques sont notamment à l’origine de la création du concept de biosphère, élaboré par le géochimiste Vladimir Vernadski dans les années 1920, ou de la notion d’usage intégré des ressources naturelles, développée par le géochimiste et minéralogiste russe Aleksander Fersman dans l’après-guerre. Mais, plus encore, les auteurs insistent sur la progressive construction d’administrations sectorielles, dès le milieu du xxe siècle. L’écologie s’institutionnalise à l’Est :
- 23 Ibid., p. 228
la question environnementale n’est pas absente de cette partie du continent, comme le montre la constitution, dès les années 1950, de ministères et de comités de « protection de la nature », et l’adoption d’une loi du même nom en 1960 en Russie et en 1954 en RDA23.
11La prise en charge des problèmes environnementaux par l’État passe également par le recours progressif à une expertise publique, dont la fonction est d’orchestrer les projets étatiques de développement intensif de l’appareil productif en générant données, connaissances et outils techniques. Les élites savantes communistes répondent alors au besoin d’expertise et, en retour, parviennent progressivement à participer au gouvernement de la nature :
- 24 Ibid., p. 228.
Le collectivisme d’État n’a pas épargné les ressources naturelles, mais il a aussi suscité un courant technocratique alternatif visant l’avènement d’un nouvel ordre écologique régi par les savants – au sens d’une oligarchie de chercheurs sélectionnés pour leurs compétences ad hoc24.
- 25 Lascoumes Pierre, L’éco-pouvoir, environnements et politiques, Paris, La Découverte, 1994.
- 26 Ibid., p. 236.
- 27 Mandrillon Marie-Hélène, « L’expertise d’État, creuset de l’environnement en URSS », Vingtième Sièc (...)
12Les savants deviennent le bras armé de l’éco-pouvoir25 soviétique, concept qui renvoie à la velléité rationnelle de contrôle de tous les systèmes vivants, forgé par Pierre Lascoume en 1994 dans son ouvrage éponyme. Pourtant, la littérature académique insiste sur la capacité limitée des acteurs de la « technocratie verte26 » à construire et mettre en œuvre de véritables politiques publiques environnementales : loyaux au pouvoir, les tenants de l’écologie politique ne parviennent pas à s’imposer face aux acteurs administratifs de l’économie soviétique et échouent bien souvent à faire entendre leurs positions concernant la question de la limite des ressources naturelles et les effets néfastes du développement industriel sur l’environnement. Ainsi, les savants technocrates ont-ils pu, tout au plus, ouvrir des arènes de communication avec les acteurs traditionnels de l’action publique, administrateurs et responsables politiques, et « renforc[er leurs] positions dans les instances de planification27 ».
- 28 Coumel, Dupuy, « Les trois écologies à l’Est », art. cit.
- 29 Ibid., p. 233.
- 30 Carmin Jo Ann, Fagan Adam, « Environmental Mobilisation and Organisations in Post-socialist Europe (...)
13Néanmoins, la littérature consacrée aux mouvements écologistes de la période soviétique met en relief la relative liberté d’expression dont ont joui les acteurs experts et savants, à partir de la mort de Staline jusqu’à la chute du régime soviétique, en grand contraste avec l’histoire bien documentée de la répression violente et systématique des voix dissidentes. Coumel et Dupuy28 prennent l’exemple des travaux critiques du physicien Piotr Kapitsa qui dénonce dans La Pravda en 1973 le « coût économique des dégâts environnementaux [et] évoque les déboires des Grands Lacs en Amérique du Nord29 ». Pour Kapitsa, le modèle économique soviétique, en se rapprochant du modèle capitaliste fondé sur la société de consommation, ne manque pas d’engendrer les mêmes impacts négatifs sur la nature. L’expression aussi assumée que sévère de réserves à l’égard de la gouvernance de l’économie soviétique est pourtant tolérée par le pouvoir dans la mesure où ces prises de position expertes et savantes n’ont qu’un écho limité, circonscrit aux arènes scientifiques et techniques spécialisées. Les aléas politiques liés à l’exercice dictatorial du pouvoir empêchent les acteurs écologiques de s’organiser politiquement et de briser les frontières de leurs fora technocratiques pour atteindre des publics plus larges et ainsi donner à la protection de l’environnement l’étoffe d’un véritable problème public. Tant que les critiques des écologistes n’ont pas vocation à se transformer en discours politique contestataire, ni ne le peuvent, elles demeurent dicibles. La liberté et la protection dont ont profité les technocrates verts, techniciens et savants, sous le régime communiste expliquent comment les savants et experts en écologie sont devenus, à partir des années 1990, des acteurs tout trouvés de la transition démocratique30, capables de s’organiser et de porter publiquement la critique du gouvernement et de ses politiques publiques.
- 31 Coumel, Dupuy, « Les trois écologies à l’Est », art. cit., p. 228.
14Ayant établi l’existence effective d’« un tournant environnemental de l’autre côté du rideau de fer, autrement dit une prise de conscience des dégâts du progrès31 », la littérature consacrée aux politiques environnementales de la période soviétique s’interroge enfin sur la spécificité et l’originalité de ce tournant, tentant de proposer une analyse comparative Ouest-Est des politiques environnementales. Ces travaux spécialisés font émerger deux résultats principaux : l’antériorité chronologique des mesures législatives visant la protection de l’environnement, d’une part et, d’autre part, leur ambition plus grande que celles prises en Occident :
- 32 Mandrillon, « L’expertise d’État, creuset de l’environnement en URSS », art. cit., p. 107.
[…] dès les années 1940, le régime soviétique a édicté une législation environnementale sous la forme de normes plus sévères que celles en vigueur en Occident concernant les « concentrations maximales admissibles » de substances toxiques dans l’eau, l’air et les sols. Cette capacité d’adaptation du régime a trouvé une traduction dans l’adoption précoce d’une législation de protection de l’environnement dans la république d’Estonie dès 1957, suivie d’une loi fédérale en 1974 et confirmée par l’inscription du droit des citoyens à un environnement sain dans la Constitution soviétique de 197832.
- 33 Coumel, Dupuy, « Les trois écologies à l’Est », art. cit., p. 234.
15D’autres perspectives analytiques montrent combien le tournant environnemental à l’Est est façonné par la « nature non démocratique des régimes dits “socialistes”33 ». Les politiques publiques environnementales de l’espace soviétique se caractérisent ainsi par leur élitisme savant et par leur marginalité qui, paradoxalement, leur a permis une certaine longévité, des années 1920 jusqu’après la transition postcommuniste. C’est ce qui fait dire à Coumel et Dupuy que
- 34 Ibid., p. 244.
s’il y a une spécificité de la question environnementale à l’Est, celle-ci procède plutôt de savoirs, de discours et de pratiques antérieurs ou parallèles à l’expérience du « socialisme » étatique, caractérisé par une idéologie scientiste prométhéenne et par une centralisation économique et politique extrême34.
16L’étude du cas albanais vient contribuer à ce renouveau historiographique en éclairant les formes du tournant environnemental dans l’espace communiste du sud-est de l’Europe.
Le tournant environnemental albanais et ses contextes
17Resituons d’abord ce travail législatif dans son contexte politique et économique.
Contexte politique : le régime hoxhien, entre consolidation et vacillement
18Les années 1970 sont une période charnière de l’histoire politique de l’État albanais : le secrétaire général du PPSH, Enver Hoxha, dispose alors d’un pouvoir total. Il conduit une « révolution culturelle et idéologique » entre 1965 et 1969, fondée sur les notions d’abolition des classes et de la propriété privée, de fraternité-union [vëllazëri-bashkimi] et d’athéisme. Cette révolution s’appuie sur une répression violente des dissidents politiques et de certaines catégories de la population albanaise (intellectuels, artistes, clergé, tziganes, etc.). Hoxha a approfondi les relations diplomatiques avec la Chine maoïste après avoir rompu avec la Yougoslavie en 1948 et avec l’URSS de Khrouchtchev en 1960. Ainsi, alors que le monde communiste fête en 1970 le centenaire de la naissance de Lénine, les Albanais s’apprêtent à réélire unanimement le parti unique, le Front démocratique, aux élections législatives de septembre 1974, avec près de 100 % des suffrages.
- 35 Dërvishi Kastriot, Historia e Shtetit Shqiptar 1912-2005. Organizimi shtetëror, jeta politike, ngja (...)
19Sous la gouverne absolue d’Hoxha, les institutions du pouvoir sont alors contrôlées, d’une part, par le premier ministre et président du Conseil des ministres Mehmet Shehu – grand résistant communiste, homme d’État incontournable et fidèle soutien du dictateur, qu’il remplace au poste de premier ministre en 195435 – et, d’autre part, par Haxhi Lleshi – ancien chef militaire de la guerre de libération antifasciste, ministre d’Hoxha à partir de 1944 et président du Présidium de l’Assemblée populaire [Presidiumi i Kuvendit Popullor], l’organe collégial servant de comité exécutif à l’instance législative de l’État albanais, de 1953 à 1982. Ces deux hommes apparaissent dans le dossier d’archives étudié, Shehu en tant qu’auteur de la relation et du projet de décret ; Haxhi en tant que destinataire et responsable de l’adoption du texte.
20Au cours de la période étudiée, le régime hoxhien traverse également une crise grave : le dictateur est victime d’une crise cardiaque en 1973, qui entame définitivement ses capacités à exercer le pouvoir. S’ensuivent, à partir de 1974 puis tout au long de la décennie, de vastes purges d’intellectuels, du commandement militaire et d’administrateurs.
Contexte économique : industrialisation et collectivisation de l’agriculture
- 36 Mandrillon, « L’expertise d’État, creuset de l’environnement en URSS », art. cit., p. 111.
21Comme pour l’espace soviétique, où l’ « on a longtemps pensé que seul un nihilisme environnemental avait pu accompagner un mode de développement extensif “à tout prix”36 », l’histoire de la politique de protection environnementale albanaise ne paraît pas compatible avec le modèle de gouvernance économique du PPSH, fondé sur l’industrialisation massive de l’économie, la collectivisation de la production agricole, l’augmentation de la productivité et l’exploitation systématisée des ressources naturelles pour les besoins du développement économique du pays.
- 37 Mëhilli Elidor, From Stalin to Mao. Albania and the Socialist World, Ithaca, Cornell University Pre (...)
22L’Albanie sort alors d’une décennie de croissance économique soutenue, portée par la politique d’industrialisation (cf. tableau 1) et d’urbanisation menée par Hoxha et Shehu, avec l’aide matérielle de l’URSS et de la Chine37. En septembre 1966, à l’occasion de l’approbation du quatrième plan quinquennal pour le développement économique et culturel, Shehu fixe le cap de la politique industrielle :
- 38 Dërvishi, Historia e Shtetit Shqiptar 1912-2005, op. cit., p. 687.
[les quatre dernières années ont été] une étape importante dans la construction du socialisme en Albanie, à partir desquelles le troisième plan quinquennal a été approuvé, amorçant la transformation d’un pays agro-industriel en un pays industriel et agricole [nga një vend agraro-industrial në një vend industrialo-agrar]38.
- 39 Civici Adrian, « 100 vjet: Ekonomia shqiptare gjatë regjimit komunist (1945-1990) » [100 ans : l’éc (...)
23Entre 1960 et 1970, la production industrielle et agricole augmente jusqu’à permettre de satisfaire la majorité des besoins de la consommation nationale. L’Albanie exporte certains types de denrées sur les marchés étrangers (hydrocarbures, produits agricoles, bois, cigarettes, etc.). Ces résultats se traduisent par une multiplication par quatre du PIB national par rapport à l’entre-deux guerres39. Pourtant, l’Albanie s’aliène progressivement le soutien stratégique de la Chine, suite aux réactions furieuses d’Hoxha déclenchées par la réception de Nixon à Pékin en 1971. Alors que Mao annonce la fin du partenariat économique privilégié sino-albanais en 1979, l’Albanie perd son dernier grand allié international et peinera dès lors à s’arracher au sous-développement.
Tableau 1. Les grands projets industriels de la période communiste en Albanie
Grand projet industriel |
Date de mise en œuvre |
Type d’environnement naturel |
Mine de chrome de Bulqizë |
1948 |
Zone montagneuse et vallonnée, à proximité d’un affluent du Drin, le plus long fleuve d’Albanie |
Fabrique de transformation du sucre de Maliq |
1951 |
Zone montagneuse et vallonnée, en bordure de la réserve naturelle de Krastafillak instituée en 1977 |
Kombinat Stalin de Tirana (textile) |
Novembre 1951 |
Zone humide bonifiée |
Fabrique de ciment de Vlora |
1955 |
Proximité d’une zone humide |
Raffinerie de pétrole de Çërrik |
1956 |
Vallée du fleuve Shkumbin (qui se jette dans la mer Adriatique en bordure d’une zone humide) |
Usine de fertilisants chimiques [Azotiku] de Fier |
1967 |
Plaine littorale |
Combinat métallurgique d’Elbasan |
Octobre 1971 |
Vallée du fleuve Shkumbin |
Usine de polychlorure de vinyle (PVC) de Narta |
1978 |
Zone humide (actuellement protégée par la convention Ramsar) |
Source : Dictionnaire encyclopédique [Fjalor Enciklopedik], Académie des Sciences d’Albanie, sous la direction d’Aleks Buda [Akademia e Shkencave të Shqipërisë], 1985.
Contexte juridique : les antécédents du décret de 1973
24Les traces d’une politique environnementale sont discernables dès les années 1950 en Albanie, notamment avec l’entrée en vigueur du décret n° 2340 du 1er octobre 1956 sur la pêche [mbi peshkimin] qui interdit le déversement de substances toxiques et de déchets industriels ou miniers quand ces dépôts représentent un danger pour la vie sous-marine et pour les activités de pêcherie. La préoccupation environnementale de la République populaire d’Albanie est également visible dans les années 1960 avec la mise en œuvre du décret n° 3877 du 10 août 1964 « sur l’interdiction de la pollution des eaux marines » [« Mbi ndalimin e të ndoturit të ujrave detare të Republikës Popullore të Shqipërisë »] qui interdit le déversement d’hydrocarbures ou de tout autre déchet polluant [hedhja plehrave ose mbeturinave ndotëse të çdo lloji] depuis les bateaux-citernes et les bateaux de commerce maritime dans les eaux territoriales et intérieures de la République populaire d’Albanie.
Politique de protection de l’environnement ou politique de gestion des pollutions ?
25Le « Décret sur la protection de l’environnement contre les pollutions » constitue la genèse d’un droit de l’environnement albanais et permet de saisir la manière dont la question environnementale est mise à l’agenda (framing) dans l’Albanie communiste.
- 40 Bernhardt Christoph, Massard-Guilbaud Geneviève, Le démon moderne. La pollution dans les sociétés u (...)
- 41 Ibid., p. 16.
26Dans le décret, la question environnementale est construite au moyen du concept de pollution [ndotja]. En effet, la protection de l’environnement y est envisagée à partir des effets délétères causés par les activités humaines : « Les entreprises, les institutions et les organisations ont l’interdiction de polluer les eaux, l’air et le sol dans la mesure où elles font courir un risque à la santé des hommes ou mettent en danger la flore et la faune » (article 2). La notion de pollution est caractérisée de manière extensive et exhaustive : « la pollution issue des matières gazeuses, des substances liquides, des solides et des matières radioactives qui provient des installations industrielles, agricoles, communales, socioculturelles, militaires ou des moyens de transport » (article 1). Ce décret repose sur une conception holistique de la pollution en ce qu’il englobe les « trois environnements40 », l’air, l’eau et le sol, dans la notion de pollution. Cette conception s’oppose à la conception restrictive de la pollution, « largement majoritaire dans l’histoire de la pollution urbaine41 », qui ne prend en compte que l’un des trois éléments, l’eau, écartant les problèmes de pollution atmosphérique ou de pollution des sols. L’analyse lexicométrique du corpus (cf. tableau 2) montre d’ailleurs que les enjeux industriels sont au moins aussi importants que les enjeux de protection de l’environnement : le thème de l’industrie et de ses risques, saisi à partir des catégories « pollution », « polluant·e·s », « pollué·e » et « industrie », est aussi fréquent (50 occurrences) que le thème de l’environnement, saisi à partir des catégories « environnement », « vie », « santé », « faune » et « flore » (51 occurrences).
Tableau 2. Analyse lexicométrique du corpus
Catégorie sémantique |
Nombre d’occurrences dans le corpus |
« Environnement » |
25 |
« Vie » |
8 |
« Santé » |
10 |
« Faune » ou « animaux » |
4 / 3 |
« Flore » ou « plantes » |
4 / 2 |
« Pollution » |
30 |
« Pollué·e » |
4 |
« Polluant·e·s » |
8 |
« Industrie » |
8 |
27L’analyse des champs sémantiques permet ainsi d’établir que la finalité du décret ne consiste pas tant à assurer la conservation d’un environnement sanctuarisé par le droit mais plutôt à atténuer les dommages excessifs causés par les activités humaines, comme l’analyse Julien Weinsbein à propos du droit de l’environnement français :
- 42 Weinsbein, « Les politiques de l’environnement », art. cit., p. 21-22.
(…) le droit de l’environnement mélange des considérations relatives à la nature et les concilie avec des enjeux sociaux et économiques, donc humains (défense de la propriété individuelle, développement industriel ou agricole, aménagement de l’espace, etc.). […] Il faut se départir de l’idée qu’il s’agirait d’un droit qui protègerait unilatéralement la nature, la qualité des milieux de vie, les grands équilibres écologiques contre les agressions d’origine humaine42.
- 43 Steta Annick, « Quels concepts économiques pour analyser la pollution ? », Revue des deux mondes, 2 (...)
- 44 Weinsbein, « Les politiques de l’environnement », art. cit., p. 12.
- 45 Ibid., p. 13.
- 46 Bourg Dominique, Whiteside Kerry, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le polit (...)
28Ainsi, dans le cas albanais, la protection de l’environnement et la répression des pollutions sont a posteriori et conditionnelles. L’expression « dans la mesure où » [në masën që] de l’article 2 cité plus haut véhicule l’idée d’une certaine légitimité et acceptabilité sociale des activités polluantes, pourvu qu’elles soient discrètes, éloignées des regards. La pollution est donc acceptée comme un sous-produit inévitable de la vie humaine, dont il convient pourtant de gérer les externalités négatives43. La gestion du risque pour la collectivité devient alors la finalité de la politique environnementale et des institutions chargées de la mise en œuvre du décret. Le prisme du risque [rezik] permet ainsi de saisir le fond anthropocentrique de la première politique environnementale albanaise : l’environnement y est pensé comme ce qui entoure les hommes, ce qui influence la qualité de leur santé, comme une « nature socialisée, anthropologisée44 ». Le rapport anthropocentrique à l’environnement se double d’« une conception fonctionnaliste de la nature, ramenée à l’état de ressources ou de services45 ». Si ce décret souligne l’ambition législatrice du Conseil des ministres, qui entend s’attaquer à la pollution comme à un phénomène protéiforme et complexe, il n’en est pas moins le degré zéro de la mise à l’agenda public de la question environnementale. En effet, les historiens de la politique environnementale montrent que, dans l’économie générale des politiques publiques écologistes, l’approche environnementale centrée sur la notion de pollution constitue seulement la première étape de la construction de l’environnement comme problème public : « on a aujourd’hui dépassé ce stade de la pollution pour penser l’environnement46 ».
- 47 Lascoumes Pierre, Action publique et environnement, Paris, Presses universitaires de France, 2012, (...)
- 48 Ibid.
29En liant gestion des risques liés aux pollutions et soin de la vie humaine et naturelle, le législateur opère une nouvelle problématisation de la question de la pollution, qui passe du statut de « nuisance industrielle47 » à celui de « problème sanitaire48 » :
Le problème de la protection de l’environnement (de l’eau, de l’air, de la terre) contre la pollution, en tant que dossier vital qui a à voir avec la santé et la vie des hommes, des animaux et des plantes, a continuellement préoccupé le Conseil des ministres. (Relacioni)
30Cette constatation soulève la question des modalités de la mise sur agenda institutionnel de cette politique de gestion des pollutions. Quelles mobilisations d’acteurs, quels faits socio-économiques, quels évènements catastrophiques ont contraint ou suscité l’attention des autorités publiques ? La relation gouvernementale qui sert d’introduction au décret suggère étrangement que le décret en faveur de la protection de l’environnement serait anhistorique, sans lien avec un réel problème social :
Dans notre pays, depuis la libération, l’industrie, l’agriculture etc. se sont développées à un rythme rapide, les villes et les centres habités se sont agrandis. Toutefois, c’est un fait indéniable que l’Albanie, du point de vue de la propreté, est le pays le plus propre d’Europe. (Relacioni)
- 49 Mandrillon, « L’expertise d’État, creuset de l’environnement en URSS », art. cit., p. 107.
- 50 Hassenteufel Patrick, Sociologie politique : l’action publique, Armand Colin, coll. « U Sociologie (...)
- 51 Ibid., III, I, encadré 6.
31Pourtant, comment expliquer le recours à la régulation publique en l’absence d’un problème qui la justifie et qu’elle doit résoudre ? L’incohérence logique de la propagande du régime peut trouver une explication dans les pratiques courantes de censure et de falsification qui exaltent, au prix de la vérité, la « prouesse technologique49 » de l’État. Les modalités historiques de la mise à l’agenda des pollutions demeurent floues, mais ce problème apparaît néanmoins en creux dans la trame du dossier d’archives. Nous suggérons trois hypothèses possibles pour expliciter le processus de mise à l’agenda institutionnel. Premièrement, l’intérêt du régime hoxhien pour l’environnement peut être interprété comme l’expression d’un souci paternaliste et hygiéniste pour la santé du Peuple. Deuxièmement, le régime hoxhien a pu se préoccuper de manière pragmatique des pollutions en tant qu’elles mettent en danger le rendement des facteurs productifs, notamment la santé de la main d’œuvre ouvrière et agricole sur laquelle repose l’avenir du développement de la République populaire d’Albanie, isolée de ses soutiens économiques internationaux. On peut enfin émettre une hypothèse de type providentialiste50, selon laquelle le décret albanais de 1973 ferait suite à une catastrophe industrielle ou à une crise sanitaire due à l’augmentation de la concentration de certaines pollutions. Cette hypothèse est étayée par la comparaison avec d’autres pays industriels occidentaux (France, Royaume-Uni, États-Unis) qui, dans l’après-guerre, en sont venus à instaurer des seuils d’émission de substances polluantes et à délimiter des zones de protection spéciale, après la survenue de crises sanitaires d’origine industrielle. C’est le cas à Londres où, en 1952, « une crise liée au fog londonien provoque de l’ordre de 4 000 morts. Ces crises suscitent une forte mobilisation médicale, puis politique, sur les effets sanitaires de la pollution atmosphérique d’origine industrielle51 ». Aussi, peut-on supputer que le décret de 1973 est une réaction législative à un événement catalyseur, tout comme le Clean Air Act britannique de 1956 ou la loi française sur l’air de 1961 constituent des réponses législatives aux concentrations critiques de certains polluants industriels dans l’atmosphère pendant les Trente Glorieuses. Pour expliquer l’oubli de cet évènement, à la fois possible déclencheur du décret mais absent de la mémoire collective, on peut s’appuyer sur les processus de rejet et de refoulement traversant les sociétés en transition postsocialistes que décrivent des auteurs comme Marie-Claire Lavabre, Georges Mink, Antony Todorov ou Laure Neumayer dans leurs travaux consacrés aux enjeux idéologiques et sociologiques de la mémoire du communisme.
L’appareil institutionnel du tournant environnemental à l’albanaise
Les responsabilités administratives en matière de lutte contre les pollutions
32Après la mise à l’agenda du problème de la pollution, le décret n° 5105 distribue les rôles et les responsabilités aux différents acteurs institutionnels, administratifs et individuels.
33D’abord, le décret établit une responsabilité collective, le devoir de protection de l’environnement, devoir qui doit être endossé tant par les individus que par les institutions et les collectifs :
La protection de l’environnement [ambjentit] contre la pollution [...] est le devoir de tous les organes étatiques et publics, des entreprises, des institutions, des organisations et de tous les citoyens [është detyra e të gjitha organeve shtetërore, ndërmarrjeve, institucioneve, organizatave e shtetasve]. (Article 1)
- 52 Lascoumes, Action publique et environnement, op. cit., III, I, § 12.
- 53 Shala Xhavit, « Krimi dhe siguria mjedisore në Shqipëri, mes realitetit dhe perceptimit » [« Le cri (...)
34À la différence du cas français de politique de lutte contre la pollution, où la responsabilité est d’abord attribuée aux industriels avant de devenir « un problème de contrôle public52 », ce sont tous les acteurs albanais qui sont impliqués dans la réduction de la pollution, sans distinction de situation professionnelle, reflet des effets de la collectivisation et de l’abolition de la propriété privée sur le périmètre de l’action publique. Les éléments naturels sont d’ailleurs nationalisés [Mjedisi « i shtetëzuar »] à partir de 1945 avec l’installation du Parti communiste au pouvoir : la propriété intégrale des sols et des sous-sols, des ressources minières, des cours d’eau, des pâturages, des forêts et des sources naturelles d’énergie revient intégralement à l’État53. Le décret fixe ensuite quatre responsabilités spécifiques aux acteurs administratifs. Premièrement, les acteurs institutionnels centraux sont chargés de fixer les seuils légaux d’émissions polluantes :
Les limites légales des substances polluantes gazeuses, liquides, solides et radioactives qui sont relâchées dans l’eau, l’air et la terre sont fixées par les ministères et les autres institutions centrales et sont approuvées par le ministère de la Santé. (Article 2)
35Deuxièmement, la gestion des déchets polluants est attribuée aux représentants locaux de l’Assemblée populaire, les comités exécutifs des conseils populaires de chaque quartier [komitetet eksekutive të këshillave popullore të rretheve]. Cette nouvelle compétence relève de l’aménagement du territoire puisque les acteurs locaux ont désormais pour mission de décider de la localisation des décharges, à partir d’une série de critères :
loin des villes et des centres habités, loin du bord de mer, des ports, des fleuves, des lacs et des réservoirs, dans une zone circonscrite à la plus petite superficie possible et qui ne soit pas utilisable pour un usage agricole. (Article 3)
36Découle du décret une troisième responsabilité administrative, le devoir de maintenance et de surveillance des installations industrielles de nettoyage [impjante pastrimi] destinées à réduire ou à éliminer les concentrations de polluants des rejets industriels. La construction de ces installations de dépollution est en effet rendue obligatoire par le décret dès que les activités productives sont susceptibles de polluer :
Les installations qui sont construites ou reconstruites et qui relâchent des substances polluantes gazeuses, liquides, solides au-delà des limites légales ne peuvent pas être mises en service sans être équipées d’une installation de nettoyage qui vise l’abaissement des pollutions sous le seuil légal ou leur complète élimination. (Article 4)
37La responsabilité en matière de maintenance, surveillance et réfection des installations de dépollution est partagée par les agents économiques, institutionnels et industriels, catégories aux contours flous dans une société dépourvue de propriété privée :
Les entreprises, institutions et les organisations ont pour devoir d’assurer la maintenance et la surveillance du fonctionnement correct des installations de nettoyage de la pollution. (Article 5).
38Enfin, le décret pour la protection de l’environnement contre les pollutions attribue également la responsabilité du contrôle technico-chimique du fonctionnement effectif des installations de dépollution aux acteurs impliqués dans les activités polluantes :
Les entreprises, les institutions et les organisations qui rejettent des substances polluantes gazeuses, liquides ou solides ont pour devoir d’organiser un service de contrôle en laboratoire de ces pollutions à l’entrée et à la sortie de l’installation de dépollution. (Article 6)
L’exécution du décret de jure
39Pour assurer la mise en œuvre de ces quatre responsabilités, le décret établit une nouvelle coopération inter-institutionnelle spécifique à la prise en charge des pollutions, dont le travail ministériel et institutionnel est supervisé par le ministère de la Santé : « Les limites légales […] sont approuvées par le Ministère de la Santé » (article 2). Mais, en réalité, l’effort de réduction des pollutions apparaît plus clairement comme une mission collective, englobant et impliquant l’ensemble des acteurs de la vie politique, économique et administrative de la République populaire albanaise :
Les ministères et les autres institutions centrales ont pour devoir d’exercer un contrôle constant sur les entreprises, les institutions et les organisations et leur système ainsi que les comités exécutifs des conseils populaires des quartiers sur les entreprises, les institutions et les organisations qui se trouvent sur leur territoire, dans le but de mettre en œuvre minutieusement les dispositions relatives à la protection de l’environnement contre la pollution. (Article 7)
40Pourtant, loin de produire la dissolution des responsabilités individuelles dans le tout vague de la société albanaise, l’étatisation du contrôle de la production industrielle donne un poids considérable aux acteurs administratifs qui, de fait, deviennent les parties prenantes principales de la protection de l’environnement. En témoigne l’instauration d’un service administratif spécifique, « l’inspection en charge de la protection de l’environnement contre la pollution » (article 8). Dépendante du ministère de la Santé, l’Inspection est pourvue d’un pouvoir de contrainte qui s’exerce potentiellement sur « toutes les entreprises, institutions et organisations » (article 8). Ce service dispose de la capacité de délivrer les permis de construction et de mise en service aux infrastructures industrielles susceptibles de générer des pollutions. En cas d’émissions de substances polluantes en quantité supérieure aux seuils légaux, l’Inspection est également en mesure de stopper la production industrielle, d’enclencher des sanctions économiques (« elle notifie la Banque de l’État pour suspendre le financement des travaux », article 8) ou des poursuites pénales (« elle dénonce les personnes coupables devant les organes de justice », article 8). Le décret dote enfin l’inspecteur et l’inspecteur adjoint d’un ultime instrument, le pouvoir de contravention :
[…] les personnes coupables sont punies pour leur infraction par une amende allant jusqu’à 500 leks, infligée par l’Inspection pour la protection de l’environnement contre la pollution et par les inspecteurs et les inspecteurs adjoints à la santé dans les districts. (Article 9)
- 54 Lascoumes, Action publique et environnement, op. cit., III, I, § 9.
41La valeur de cette amende représentait, dans les années 1970, une somme d’argent conséquente pour un individu, pouvant permettre d’organiser un mariage ou de meubler son logement. Avec l’usage de la contrainte financière, le décret donne à l’Inspection et plus largement à l’État albanais le rôle de « gendarme des pollutions54 ». À la différence d’une politique de réduction des pollutions reposant sur des mécanismes incitatifs, le décret organise la prévention mais adopte une approche résolument répressive des activités productives polluantes : obligation d’arrêt immédiat de la production, immobilisation des infrastructures, acquittement d’une contravention et poursuites pénales. Néanmoins, le décret ne fait pas mention d’une possible adaptation de l’amende à la gravité de la pollution : théoriquement, un dépôt d’ordures ménagères et un relâchement de plusieurs tonnes de solvants chimiques dans un lac sont punis de la même façon. Le traitement expéditif de la question de l’amende dans le décret peut alors s’interpréter comme une clémence de l’État à l’égard des acteurs économiques et pollueurs qui sont de fait moins pénalisés par une contravention forfaitaire que par une contravention au prorata des pollutions. Autre hypothèse concurrente, le traitement bâclé de la contravention dans le décret pourrait être le reflet de sa nature seulement formelle, le législateur reconnaissant implicitement la faible probabilité de son application effective.
- 55 Weinsbein, « Les politiques de l’environnement », art. cit., p. 23.
42La politique de protection de l’environnement, dont la mise en œuvre passe par la gestion et le contrôle quantitatif technico-chimique des pollutions, repose également sur un rapport scientiste et positiviste à l’environnement, en ce sens que le problème des pollutions dépend de l’usage d’instruments de mesure, de l’organisation de prélèvements en laboratoire. C’est ce que montre J. Weinsbein lorsqu’il parle de l’environnement comme d’un « construit sociotechnique 55». En effet, l’environnement et ses atteintes ne sont pas rendus visibles sans des « médiations techniques et scientifiques » qui, seules, permettent de les objectiver :
- 56 Ibid., p. 23.
l’environnement n’est devenu un enjeu social et une préoccupation politique qu’au prix d’une objectivation scientifique et de la médiation d’équipements techniques. Celle-ci a permis non seulement de mieux le connaître, de déterminer les lois qui le gouvernent, mais surtout de révéler les dangers qui le guettent et le fait que les ressources naturelles ne soient pas illimitées. […] l’environnement est avant tout une construction savante56.
43Ce décret aurait donc nécessité l’utilisation de technologies et de réactifs au moyen de protocoles dans des laboratoires, mais aucun de ces éléments techniques de la politique ne sont mentionnés ni budgétés dans le décret. De fait, on peut se demander si les moyens d’analyses physico-chimiques sont suffisamment développés dans l’Albanie communiste des années 1970 pour devenir la clé de voûte d’une politique publique.
- 57 Coumel Laurent, Dupuy Michel, « Écologie et dictature communiste : quelles différences avec l’Occid (...)
- 58 Lascoumes Pierre, « La technocratie comme extension, cumul et différenciation continus des pouvoirs (...)
44La concession quasi totale de la gestion de la politique de lutte contre la pollution aux acteurs administratifs organisée par ce décret traduit en outre l’adoption d’un « modèle de gestion technocratique de la nature57 ». En effet, dans le texte du décret, les fonctionnaires et administrateurs (inspecteurs et inspecteurs sanitaires, administrateurs du ministère de la Santé) sont en mesure de s’en octroyer le contrôle exclusif. Le phénomène de « captation bureaucratique de l’environnement58 » par les acteurs administratifs est d’ailleurs également observé en URSS, comme dans les pays occidentaux disposant d’une administration dédiée à l’environnement. Le décret de 1973 semble donner à voir les premiers balbutiements d’une technocratie verte, fondée sur la mainmise d’experts-administrateurs sur la gestion de la nature.
- 59 Raviot Jean-Robert, « L’écologie aux frontières de la raison d’État en Russie », Revue d’études com (...)
45La politique de protection de l’environnement albanaise se distingue donc clairement de la conception romantique et esthétisante de l’environnement majoritaire au xixe siècle, et se différencie également de la conception patrimoniale59 et patriotique de l’environnement qui a nettement influencé la politique environnementale de la Russie soviétique.
L’influence sous-estimée du contexte international
46L’analyse comparative du décret de 1973 fait pourtant apparaître des structures communes aux politiques environnementales, en dépit de leurs contextes locaux et nationaux bien distincts. L’Albanie s’inscrit dans la tendance internationale des années 1970 de mise à l’agenda de la protection de l’environnement :
- 60 Kingdon John W., Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston, Harper Collins, 1984, p. 240.
- 61 Flonneau Matthieu, « Entre morale et politique, l’invention du “Ministère de l’Impossible », Christ (...)
le tournant des années 1970 avait créé « une fenêtre d’opportunité60 politique » donnant aux États industrialisés l’occasion de définir une politique de développement non pas alternative, mais plutôt consciente d’elle-même et des enjeux posés par un monde désormais perçu comme fini61.
47Le décret sur la protection de l’environnement contre les pollutions survient en effet très rapidement après l’adoption par Washington d’une loi sur l’environnement en 1970 et la création la même année de l’Agence fédérale de protection environnementale. Il suit également de près l’adoption de la loi sur l’environnement par l’URSS en 1972. La République populaire d’Albanie n’aurait ainsi rien à envier aux États occidentaux puisqu’elle leur emboîte le pas, au moins formellement, à la même période. L’inscription de l’Albanie dans l’environmental turn international laisse à penser que ce contexte juridique international a bien eu un effet, discret mais discernable, sur la fabrique de la loi albanaise, à rebours des représentations courantes qui dépeignent l’isolement extrême de l’Albanie entre 1945 et 1991. Le contexte international constituerait alors une variable causale à part entière.
48Les échanges internationaux de normes, de référentiels et d’instruments de politiques publiques ont pu jouer un rôle de catalyseur d’une part, et d’autre part d’accélérateur du tournant environnemental pour les tenants d’une écologie politique en Albanie, par le biais d’un phénomène de contagion internationale. D’ailleurs, l’influence sur les législations environnementales de la socialisation des élites politiques et académiques aux normes et référentiels environnementaux internationaux en construction est largement acceptée dans la littérature :
- 62 Weinsbein, « Les politiques de l’environnement », art. cit., p. 30-31.
la création du ministère de l’environnement [français] doit beaucoup à des dynamiques de circulation de principes et de règles ayant leur origine dans l’espace des organisations internationales (Communautés européennes, OCDE, Unesco, Union mondiale pour la nature, etc.) mais également à l’exemple de certains pays (États-Unis, Grande-Bretagne) qui créent des institutions de protection de l’environnement. Ce qui deviendra le développement durable germe en effet au sein de nombreux forums scientifiques (l’Union internationale pour la protection de la nature qui deviendra en 1956 l’Union internationale pour la conservation de la nature, le Club de Rome, etc.). L’impulsion est néanmoins d’abord essentiellement européenne dans les années 197062.
- 63 Busch Per-Olof, Jörgens Helge, « The International Sources of Policy Convergence: Explaining the Sp (...)
49Le cas albanais fournit un exemple de « convergence internationale63 » en matière de politique publique environnementale. En août 1979, lors de la troisième session du Comité du patrimoine mondial à Louksor en Égypte, l’Unesco accède enfin à la demande de la Yougoslavie et inscrit à la liste des monuments du patrimoine mondial le « Patrimoine naturel et culturel de la région d’Ohrid ». Or, la région d’Ohrid est transfrontalière : la côte ouest du lac glaciaire appartient au territoire albanais. Ainsi, pour la première fois en 1979, en pleine guerre froide, une partie du territoire national se trouve protégée par une organisation internationale spécialisée, qui est par ailleurs partie prenante du système multilatéral occidental des Nations Unies et une arène où se développe l’influence des intérêts américains. Cette situation est d’autant plus surprenante que la République populaire d’Albanie, en 1979, n’est pas encore signataire de la Convention du patrimoine mondial et que le régime s’emploie à rigoureusement intercepter toute forme d’importation de contenus culturels venus de l’Occident. Pourtant, entre 1979 et 1989, date à laquelle l’Albanie ratifie la Convention et devient partie prenante de l’Unesco, une région albanaise est bel et bien intégrée à un programme culturel international, ce qui a inévitablement engendré des rencontres internationales entre fonctionnaires, des transferts de normes, des activités de coopération administrative (rédaction de rapports financiers, rapport sur l’état de conservation) et, plus largement, a permis des échanges et des confrontations entre plusieurs représentations et des conceptions concurrentes de l’environnement. Dans cet exemple, ce sont les fonctionnaires yougoslaves, parce qu’ils disposent d’une liberté d’action supplémentaire, qui vont jouer le rôle discret de passeurs, de courtiers de normes et de représentations au profit de la protection de l’environnement albanais.
50Ajoutons qu’à partir de 1971 l’ouverture progressive des relations commerciales de l’Albanie à ses voisins européens (France, Italie, Yougoslavie, Grèce) et aux continents africain et asiatique, sur fond de rupture des relations diplomatiques sino-albanaises, facilite l’acceptation progressive des transferts internationaux de normes et de représentations d’un côté à l’autre du Rideau de fer. La réorientation des relations diplomatiques vers l’Europe de l’Ouest agit comme une fenêtre d’opportunité pour les passeurs et courtiers et accélère la convergence des politiques publiques. Ce constat ne manque pas de mettre en question la thèse de l’isolement intégral du pays pendant la période communiste.
Lost in implementation : hypothèses sur la mise en œuvre du décret
51À ce point de l’analyse, une dernière question est restée en suspens : qu’est-il advenu de la mise en œuvre du décret pour la protection de l’environnement contre les pollutions de 1973 en Albanie ? Les acteurs spécialisés dans la gestion de la biodiversité, qu’ils soient administrateurs, scientifiques ou experts, mettent tous en question l’existence d’une politique de protection de l’environnement avant 1991. C’est le cas de Drita Dade, spécialiste senior de la gestion des ressources naturelles pour le bureau albanais de la Banque mondiale et ancienne membre du Comité pour la protection de l’environnement (organe spécialisé créé à la chute du régime en 1991) que Claire Bernard interroge en 2013 :
- 64 Bernard, La biodiversité par projet, op. cit., p. 206
In the communist time we did not have any institution in charge of the environment. Nothing. We had few ministries, research institutes that were dealing mainly with chemical engineering, but not consideration on environmental per se. No laws, no institutions64.
52Comment expliquer les dissonances entre l’analyse archivistique du décret de 1973 et le recueil de ces témoignages individuels et collectifs ?
53Nous avançons l’hypothèse de l’infertilité de la politique de protection de l’environnement de 1973 et l’expliquons par l’irréconciliable conflit entre l’objectif de contrôle des émissions polluantes affiché dans le décret et l’objectif urgent et prioritaire de développement des forces productives, lequel suscita des pressions intenses sur les espaces et les ressources naturelles du pays. Dans le contexte de l’économie communiste albanaise planifiée et centralisée, les enjeux d’indépendance et de décollement industriel se sont fort probablement avérés trop saillants pour que régime hoxhien envisage véritablement de maîtriser les externalités négatives de la croissance économique forcée. Le conflit, à la source du problème que le décret de 1973 entendait résoudre, n’a donc probablement pas pu être tranché : voilà peut-être ce qui a signé l’arrêt de la mise en œuvre du texte et ce qui explique son oubli.
54Les pollutions héritées de la période communiste attestent notamment de l’échec de cette politique :
- 65 Shallari, Les zones humides d’Albanie, op. cit., p. 175.
Le pays a fait le choix de développer les activités minières et industrielles pour la production manufacturière. Deux complexes ont contribué aux importantes pollutions des zones humides côtières par des rejets en métaux lourds : le Kombinati Metallurgjik i Elbasanit (usine métallurgique d’Elbasan dans le centre du pays) par le biais du fleuve Shkumbin, et une usine de polychlorure de vinyle (PVC) près de la lagune de Narta (rejets de mercure) avec des effets dévastateurs sur l’écosystème de lagune mais aussi sur la baie de Vlora. Les activités d’extraction pétrolière dans les champs de Kuçova, Visoke, Patos-Marinza, Ballsh-Hekal et Sqepur dans le bassin versant de la Seman et de plusieurs de ses affluents, ont fait de cette rivière située au centre du complexe de zone humide le plus important, celui englobant les secteurs de Karavasta et Narta, une des plus polluées d’Albanie. Un autre site critique dans la plaine de la Myzeqeja est l’ancienne usine de fertilisants chimiques Azotiku i Fierit (entrée en service en 1967). D’autres activités industrielles comme la fabrication de peintures et de solvants, de ciment et de papier ont également eu des effets néfastes [...]65. (cf. illustrations 1 et 2).
55Les installations de traitement des déchets prévues par l’article 3 du décret de 1973 ne semblent pas avoir vu le jour :
- 66 Ibid., p. 122 et 174.
Aucun système de traitement des effluents n’a été mise en œuvre, même pour les grandes villes (Dedej, 2010, comm. pers). Les décharges de déchets solides n’étaient pas organisées et elles se faisaient dans la nature à quelques kilomètres des centres urbains (REC, 2000, a). […] Les effluents étant généralement déversés directement dans les cours d’eau considérés comme des exutoires naturels66.
56Enfin, les moyens matériels et organisationnels (laboratoires, matériel de métrique, formations techniques et protocoles) nécessaires à la mise en œuvre concrète de la politique de protection de l’environnement n’apparaissent ni dans la littérature grise ni dans la littérature scientifique spécialisée, ce qui permettrait d’expliquer alternativement l’inefficience probable de ce décret et le peu de souvenirs qu’il a laissé.
57Par ailleurs, l’hypothèse d’une politique publique restée lettre morte, incapable de produire les effets escomptés, est confortée par la comparaison avec d’autres politiques publiques proches et aux destins tout aussi malheureux. Par exemple, la ratification de la convention relative à la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (Unesco) par l’Albanie en 1979 ne déclenche la protection de la lagune de Butrint qu’après la chute du régime hoxhien en 1992.
- 67 Dragoti Nihat, Forêts et prairies en Albanie, Résumé 1912-1990 [Pyjet dhe kullotat në Shqipëri. Për (...)
- 68 République Populaire d’Albanie, Loi sur les forêts, n° 4407, datant du 25 juin 1968 [Ligji « Mbi py (...)
58De la même manière, l’histoire de la politique de gestion et de protection des forêts reflète l’histoire contrastée du décret de 1973 et offre, par le biais de la comparaison, des pistes interprétatives sur son devenir. À l’image de la protection de l’environnement contre les pollutions, la préservation des forêts a également été encadrée par des actes juridiques : le décret n° 1482, « sur les forêts » du 12 juin 1952 qui, au chapitre II, définit deux types de forêts protégées : « a) celles qui présentent un intérêt hygiénique ou esthétique ; et b) celles qui servent comme parc national pour la protection des plantes et des animaux » [« përcaktohen masa të veçanta edhe në drejtim të zonave të mbrojtura pyjore: pika: a) paraqesin interes nga ana higjenike ose estetike, b) shërbejnë si park kombëtar për ruajtjen e bimëve dhe të kafshëve. Në këto zona ndalohet prerja me qëllim shfrytëzimi »]67. Ce décret est révisé en 1968 pour préciser que la protection des forêts, comme celle de l’environnement dans le décret de 1973, relève de la responsabilité des « institutions forestières, des organes d’État, des organisations sociales et de chaque citoyen68 ». Ces deux textes sont complétés par la loi n° 4874 du 23 septembre 1971 « sur la protection des monuments culturels et historiques et des richesses naturelles rares ».
- 69 Dragoti, Forêts et prairies en Albanie, op. cit., p. 11.
59Comme pour le décret de 1973, la politique de gestion et de protection des forêts s’appuie sur un appareil administratif multiniveaux, d’abord placé sous l’autorité du ministère de l’Agriculture en 1946 puis, éphémèrement, sous le contrôle du ministère des Forêts et des Eaux en 1965. L’administration forestière compétente forme une pyramide au sommet de laquelle la direction générale des Forêts et des Scieries dirige, à partir de 1955, cinq directions régionales des forêts (Tiranë, Elbasan, Shkodër, Korçë, Vlorë) et des offices forestiers [Zyrat Pyjore] à partir de l’année suivante. L’appareil institutionnel s’appuie sur les organes de Police populaire, les gardes forestiers portent des armes à feu et doivent s’astreindre à une discipline militaire69.
- 70 Ibid., p. 15.
60Seule différence avec la politique de gestion des pollutions, la gestion politique des forêts s’appuie sur des outils scientifiques : inventaires et expéditions d’étude ont été réalisés pour la première fois entre 1949 et 1953, puis une seconde fois entre 1967 et 1968 par les ingénieurs et techniciens de la direction générale des Forêts. Ces campagnes de collecte de données alimentent le travail du Bureau des études et des projets Forestiers [Byros e Studimeve dhe Projektimeve Pyjore] créé en 1969 pour informer les décideurs publics au sujet du boisement et de l’amélioration forestière, du phénomène d’érosion et de la gestion des réserves de chasse70.
- 71 Shallari, Les zones humides d’Albanie, op. cit., p. 122 et p. 188 ; Regional Environmental Center, (...)
- 72 Rogo Niko, Ruspi Gentian, Geography Contribution in Rapports Between Natural Heritage and the Socie (...)
- 73 Dollma Merita, « Geotourism Potential of Thethi National Park (Albania) », International Journal of (...)
61La politique de protection des forêts laissera quelques traces dans l’histoire de l’action publique environnementale en Albanie, à travers notamment l’institution d’espaces naturels protégés cartographiés par le régime hoxhien à partir de 1960 (cf. tableau 3). Ces espaces se répartissent en plusieurs catégories71 : les parcs forestiers nationaux ; les réserves de chasse et les « réserves naturelles gérées » [Rezervat Natyror i Menaxhuara] ; et les monuments naturels. Cette dernière catégorie recouvre des monuments biologiques (« bio-monuments »), principalement des essences d’arbres endémiques, remarquables par leur dimension ou leur âge ; mais aussi des monuments géologiques (« géo-monuments ») comme des grottes ou des roches singulières, ou encore des monuments hydrologiques (« hydro-monuments ») qui se distinguent par leur valeur esthétique ou touristique72. Pendant la période communiste, certains parcs naturels, à l’image du parc de Tethi situé dans les Alpes albanaises, fournissaient des services récréatifs ou thérapeutiques aux populations urbaines nécessitant un accès à l’air pur73.
Tableau 3. Protection des espaces naturels pendant la période communiste en Albanie
Nom du site protégé |
Date d’établissement |
Type d’espace |
Dajti |
1960 |
Parc national |
Tethi |
1966 |
Parc national |
Llogaraja |
1966 |
Parc national |
Bredhi i Drenovës |
1966 |
Parc national |
Pisha e Divjakës |
1966 |
Parc national |
Lura |
1966 |
Parc national |
Karaburun |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Cangonj |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Bogovë |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Krastafillak |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Kuturman |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Pishë Poro |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Berzanë |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Levan |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Balloll |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Qafë Bushi |
1977 |
Réserve naturelle gérée |
Source : Administration nationale des zones protégées [Administrata Kombëtare të Zonave të Mrojtura, AKZM], Étude pour la réévaluation du système des zones protégées environnementales en Albanie [Studim për Rivlerësimin e Sistemit të Rrjetit të Zonave të Mbrojtura Mjedisore në Shqipëri] (1990-2019), Tiranë, 2020.
- 74 Dragoti, Forêts et prairies en Albanie, op. cit., p. 15.
- 75 Ibid, p. 15.
62Selon les sources, la superficie totale des zones protégées instituées pendant la période communiste représente tout juste 0,5 % à 3 % du territoire national. Politique étriquée, résultats sous-dimensionnés au regard des objectifs ambitieux des décrets, la politique de gestion des forêts présente un bilan mitigé. En effet, si entre 1945 et 1960, 57 000 hectares de forêts sont améliorés et 17 000 hectares sont plantés74, l’ingénieur forestier Dragoti n’en observe pas moins qu’il ne restait plus que la moitié de ces surfaces boisées en 1959 à cause « de l’insuffisant souci pour le développement de l’économie forestière ; de l’exploitation de la forêt sans l’application d’aucune technique forestière ; de l’absence de la planification de l’élevage ; des incendies ; du pâturage incontrôlé, […], de l’exploitation forestière illégale et de la mauvaise organisation du service forestier75 ».
- 76 Ibid., p. 10.
63Face à ces constats, inquiet de voir les capacités productives des forêts décroître dangereusement et mettre en danger la fourniture énergétique des ménages et des industries, le régime a tenté de corriger le cours de cette politique dès 1958. Le gouvernement prend la décision de faire dépendre le prélèvement de ressources forestières du rythme biologique de la croissance annuelle des forêts. Signe de l’importance politique de cette question, la dégradation des forêts albanaises est mise à l’ordre du jour du plénum du Parti communiste albanais [Plenum i Partit76] qui se réunit en 1959. Pourtant, l’exécutif n’est pas capable d’enrayer le processus de déforestation intensive des années 1960-1980 ni la transformation effrénée des zones boisées en zones agricoles, au prix de la disparition d’écosystèmes rares.
64L’historiographie de la mise en œuvre de la politique de gestion des forêts permet de saisir la force du choc entre des intérêts socio-économiques et des projets politiques divergents, mettant aux prises d’un conflit irrésoluble les tenants d’une exploitation durable et rationalisée des ressources naturelles et les partisans de l’exploitation intensive des forêts. Au fond, l’échec de la phase de mise en œuvre de la politique de protection des forêts permet de saisir l’impossibilité radicale de la stratégie politique que les décrets entendaient porter. En ce sens, la mise en perspective des lois visant à protéger l’environnement contre les pollutions avec celles qui régissent l’exploitation forestière permet d’apporter des pistes de réponse à l’oubli assourdissant dans lequel le décret de 1973 est tombé. L’incompatibilité entre les objectifs sectoriels et les objectifs de politique économique explique vraisemblablement que le rapport à la faune, à la flore et aux ressources naturelles du régime hoxhien n’ait pu se concevoir et se concrétiser que sous la forme d’une consommation incontrôlée et que le décret n’ait pas eu d’effets concrets.
*
**
65Grâce à l’analyse textuelle d’un corpus d’archives, cet article a posé la question de la place de l’Albanie communiste dans l’histoire internationale du « tournant environnemental », moment initiateur d’une réflexion sur les effets négatifs de la croissance économique sur la qualité de la vie des hommes et des êtres vivants. Contre toutes attentes, le régime de Enver Hoxha prend part à la dynamique mondiale de régulation des pollutions et des destructions de la nature causées par le développement à marche forcée des facteurs productifs. Armature juridique et administrative, attribution des responsabilités et choix instrumentaux de politique publique, le décret sur la protection de l’environnement contre les pollutions d’octobre 1973 a tout l’apparence d’une première politique de protection de l’environnement. L’analyse de ce texte a permis de montrer de quelle manière ce problème public est construit, légitimité et outillé dans un contexte dictatorial et communiste, et comment il intègre les influences des courtiers et acteurs du champ international de la réglementation environnementale. Se dessine alors l’histoire paradoxale d’un pays isolé, pourtant poreux aux mutations du contexte juridique international. Cet article permet enfin de mettre en question la représentation collective de la chute du régime hoxhien en tant qu’année zéro de l’écologie en Albanie et de battre en brèche la croyance encore trop répandue d’un espace balkanique archaïque, imperméable à l’avènement de la modernité écologique. Par une approche hypothético-déductive et comparative, dictée par les contraintes et aspérités du terrain, nous avons tenté d’expliquer l’effacement mémoriel de l’embryon communiste du droit environnemental albanais.
Notes
1 Entretien avec l’auteure réalisé le 27 septembre 2019 à Tirana.
2 Weinsbein Julien, « Les politiques de l’environnement », dans Academia.edu, 2016, en ligne : https://www.academia.edu/5287452/Les_politiques_de_lenvironnement (consulté en février 2021), p. 12.
3 Abrahams Fred C., Modern Albania: From Dictatorship to Democracy in Europe, New York, NYU Press, 2016, p. xi.
4 Shallari Anila, Les zones humides d’Albanie : transmission des normes internationales et européennes en matière environnementale en Albanie et dans les Balkans occidentaux. Le cas de cinq zones humides : Shkodra, Karavasta, Narta, Butrinti et Prespa, Montpellier, HAL thèse, Université Paul Valéry, 2013 ; Shallari Anila et Maughan Nicolas, « Les zones humides littorales de la plaine albanaise », Méditerranée, no 125, 2015.
5 Dërvishi Kastriot, Historia e Shtetit Shqiptar 1912-2005. Organizimi shtetëror, jeta politike, ngjarjet kryesore, të gjithë ligjvënësit, ministrat dhe kryetarët e shtetit shqiptar [Histoire de l’État Albanais 1912-2005. Organisation étatique, vie politique, événements principaux, tous les législateurs, ministres et chefs d’État albanais], Tiranë, Shtëpia botuese 55, 2006, p. 578 et p. 663.
6 Bernard Claire, La biodiversité par projet : réflexivité engagée et dispositif stratégique en Albanie, thèse de doctorat en sciences de gestion, Université de Montpellier, 2016, p. 204. Voir aussi Shallari Anila, L’application des normes internationales environnementales dans les zones humides en Albanie. Le cas de la Convention Ramsar dans la lagune de Karavasta, Master of Science, Ciheam-Iamm, Montpellier, 2007, p. 136.
7 Bernard Claire, La biodiversité par projet, op. cit., p. 414 ; Guevara-Braun Tibissaï, L’action publique environnementale en Albanie dans un contexte de pré-adhésion, mémoire de master, ENS de Lyon, 2017.
8 Börzel Tanja, Risse Thomas, « Conceptualising the Domestic Impact of Europe », dans Kevin Featherstone, Claudio Radaelli (dit.), The Politics of Europeanisation, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 57-80 ; Buzogány Aron, Cotta Benedetta, « Post-accession Backsliding and European Union Environmental Policies », Post-Communist Economies, 2021, p. 1-19.
9 Signature de la Convention Espoo qui fixe le recours obligatoire aux évaluations d’impact environnemental pour tout projet d’envergure ; signature de la Convention-cadre sur le changement climatique par l’Albanie en 1994 ; signature de la Convention d’Aarhus qui consacre le droit d’accès à l’information, de participation du public et d’accès à la justice en matière d’environnement pour tous les citoyens et leurs représentants en 1998 ; signature de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite Convention de Berne, qui permet de protéger les espèces sauvages et leurs milieux en1999 ; signature du Protocole de Kyoto fixant des limites aux émissions de gaz à effet de serre en 2005…
10 Grabbe Heather, The EU’s Transformative Power. Europeanization Through Conditionality in Central and Eastern Europe, Londres, Palgrave Macmillan, 2006 ; Börzel Tanja, Fagan Adam, « Environmental Governance in South East Europe/Western Balkans: Reassessing the Transformative Power of Europe », Environment and Planning C: Government and Policy, vol. 47, 2015, p. 1-16.
11 Dossier no 72 des archives (1944-) du Présidium de l’Assemblée populaire d’Albanie [Dosja n° 72], Archives centrales de l’État [Arkivi Qendror Shtetëror], Direction générale des Archives [Drejtoria e Përgjithshme e Arkivave, DPA], Rruga Asim Vokshi 14, 1016 Tiranë.
12 Robert André Désiré, Bouillaguet Annick, « Chapitre II. Méthodologie générale de l’analyse de contenu et application à un exemple », dans André Désiré Robert (dir.), L’analyse de contenu, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, p. 24-46.
13 Boudon Raymond, Fillieule Renaud, « Chapitre I. L’analyse causale », dans Raymond Boudon (dir.), Les méthodes en sociologie, Presses Universitaires de France, 2018, p. 5-40.
14 Lelaj Olsi, « Le communisme et l’ethnologie albanaise contemporaine. Le point de vue d’un natif », Ethnologie française, vol. 47, no 2, 2017, p. 229-240.
15 Voir le volume Albanie : renaissance d’une discipline de la revue Ethnologie française sous la direction de Gilles de Rapper, vol. 47, no 2, 2017 ; Mëhilli Elidor, From Stalin to Mao. Albania and the socialist world, Ithaca, Cornell University Press 2017, p. 233-236.
16 Ibid.
17 Lelaj, « Le communisme et l’ethnologie albanaise contemporaine. », art. cit.
18 Mëhilli Elidor, « Documents as Weapons: The Uses of a Dictatorship’s Archives », Contemporary European History, vol. 28, no 1, 2019, p. 82‑95.
19 Lelaj, « Le communisme et l’ethnologie albanaise contemporaine. », art. cit.
20 Déléage Jean-Paul, Histoire de l’écologie. Une science de l’homme et de la nature, Paris, La Découverte, 1991.
21 Coumel Laurent, Dupuy Michel, « Les trois écologies à l’Est. Quel tournant environnemental en RDA et en URSS ? », dans Anahita Grisoni, Rosa Sierra (dir.), Nachhaltigkeit und Transition: Politik und Akteure [Transition écologique et durabilité : politiques et acteurs], Frankfurt am Main, Campus Verlag GmbH, 2018, p. 227-250 (227).
22 Ibid., p. 236.
23 Ibid., p. 228
24 Ibid., p. 228.
25 Lascoumes Pierre, L’éco-pouvoir, environnements et politiques, Paris, La Découverte, 1994.
26 Ibid., p. 236.
27 Mandrillon Marie-Hélène, « L’expertise d’État, creuset de l’environnement en URSS », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 113, 2012, p. 110.
28 Coumel, Dupuy, « Les trois écologies à l’Est », art. cit.
29 Ibid., p. 233.
30 Carmin Jo Ann, Fagan Adam, « Environmental Mobilisation and Organisations in Post-socialist Europe and the Former Soviet Union », Environmental Politics, vol. 19, no 5, 2010, p. 689-707 ; Henry Laura A., « Between Transnationalism and State Power: The Development of Russia’s Post-soviet Environmental Movement », Environmental Politics, vol. 19, no 5, 2010, p. 756-781.
31 Coumel, Dupuy, « Les trois écologies à l’Est », art. cit., p. 228.
32 Mandrillon, « L’expertise d’État, creuset de l’environnement en URSS », art. cit., p. 107.
33 Coumel, Dupuy, « Les trois écologies à l’Est », art. cit., p. 234.
34 Ibid., p. 244.
35 Dërvishi Kastriot, Historia e Shtetit Shqiptar 1912-2005. Organizimi shtetëror, jeta politike, ngjarjet kryesore, të gjithë ligjvënësit, ministrat dhe kryetarët e shtetit shqiptar [Histoire de l’État Albanais 1912-2005. Organisation étatique, vie politique, événements principaux, législateurs, ministres et chefs d’État albanais], Tiranë, Shtëpia botuese 55, 2006.
36 Mandrillon, « L’expertise d’État, creuset de l’environnement en URSS », art. cit., p. 111.
37 Mëhilli Elidor, From Stalin to Mao. Albania and the Socialist World, Ithaca, Cornell University Press, 2017.
38 Dërvishi, Historia e Shtetit Shqiptar 1912-2005, op. cit., p. 687.
39 Civici Adrian, « 100 vjet: Ekonomia shqiptare gjatë regjimit komunist (1945-1990) » [100 ans : l’économie albanaise pendant le régime communiste (1945-1990)], Monitor.al, 2012, en ligne : https://www.monitor.al/100-vjet-ekonomia-shqiptare-gjate-regjimit-komunist-1945-1990/ (consulté en septembre 2021).
40 Bernhardt Christoph, Massard-Guilbaud Geneviève, Le démon moderne. La pollution dans les sociétés urbaines et industrielles d’Europe, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2002, p. 16.
41 Ibid., p. 16.
42 Weinsbein, « Les politiques de l’environnement », art. cit., p. 21-22.
43 Steta Annick, « Quels concepts économiques pour analyser la pollution ? », Revue des deux mondes, 2008, p. 77.
44 Weinsbein, « Les politiques de l’environnement », art. cit., p. 12.
45 Ibid., p. 13.
46 Bourg Dominique, Whiteside Kerry, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, Paris, Seuil, 2009, p. 17.
47 Lascoumes Pierre, Action publique et environnement, Paris, Presses universitaires de France, 2012, III, I, § 10.
48 Ibid.
49 Mandrillon, « L’expertise d’État, creuset de l’environnement en URSS », art. cit., p. 107.
50 Hassenteufel Patrick, Sociologie politique : l’action publique, Armand Colin, coll. « U Sociologie », 2008, p. 44.
51 Ibid., III, I, encadré 6.
52 Lascoumes, Action publique et environnement, op. cit., III, I, § 12.
53 Shala Xhavit, « Krimi dhe siguria mjedisore në Shqipëri, mes realitetit dhe perceptimit » [« Le crime et la sécurité environnementale en Albanie, entre réalité et perception »], dans Policimi e Siguria, Krimi mjedisor, siguria mjedisore dhe siguria kombëtare [La police et la sécurité, le crime environnemental, la sécurité environnementale et la sécurité nationale], Tiranë, Botimi i Akademisë së Sigurisë, 2020, p. 45.
54 Lascoumes, Action publique et environnement, op. cit., III, I, § 9.
55 Weinsbein, « Les politiques de l’environnement », art. cit., p. 23.
56 Ibid., p. 23.
57 Coumel Laurent, Dupuy Michel, « Écologie et dictature communiste : quelles différences avec l’Occident ? », Séminaire Écologie et Politique, 2016, p. 1-4 (2).
58 Lascoumes Pierre, « La technocratie comme extension, cumul et différenciation continus des pouvoirs. Le cas des politiques d’environnement », dans Vincent Dubois, Delphine Dulong (dir.), La question technocratique. De l’invention d’une figure aux transformations de l’action publique, Strasbourg, PUS, 1999, p. 187-198 (194).
59 Raviot Jean-Robert, « L’écologie aux frontières de la raison d’État en Russie », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 36, no 1, 2005, p. 155-177.
60 Kingdon John W., Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston, Harper Collins, 1984, p. 240.
61 Flonneau Matthieu, « Entre morale et politique, l’invention du “Ministère de l’Impossible », Christoph Bernhardt et Geneviève Massard-Guilbaud (dir.), Le démon moderne, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2002, p. 109-125 (113).
62 Weinsbein, « Les politiques de l’environnement », art. cit., p. 30-31.
63 Busch Per-Olof, Jörgens Helge, « The International Sources of Policy Convergence: Explaining the Spread of Environmental Policy Innovations », Journal of European Public Policy, 2005, p. 860-884 ; Busch Per-Olof, Jörgens Helge, « International Patterns of Environmental Policy Change and Convergence », European Environment, vol. 15, 2005, p. 80-101.
64 Bernard, La biodiversité par projet, op. cit., p. 206
65 Shallari, Les zones humides d’Albanie, op. cit., p. 175.
66 Ibid., p. 122 et 174.
67 Dragoti Nihat, Forêts et prairies en Albanie, Résumé 1912-1990 [Pyjet dhe kullotat në Shqipëri. Përmbledhje 1912-1990], 2021, p. 9.
68 République Populaire d’Albanie, Loi sur les forêts, n° 4407, datant du 25 juin 1968 [Ligji « Mbi pyjet »].
69 Dragoti, Forêts et prairies en Albanie, op. cit., p. 11.
70 Ibid., p. 15.
71 Shallari, Les zones humides d’Albanie, op. cit., p. 122 et p. 188 ; Regional Environmental Center, Albania Office, Annex 1. Country Report. Albania Within Strategic Environmental Analysis of Albania, Bosnia & Herzegovina, Kosovo and Macedonia, juin 2000, Tiranë.
72 Rogo Niko, Ruspi Gentian, Geography Contribution in Rapports Between Natural Heritage and the Society (Case of Southern Region in Albania), Ψηφιακή Βιβλιοθήκη Θεόφραστος - Τμήμα Γεωλογίας. Α.Π.Θ, Bibliothèque numérique Théophrastos, Université Aristote de Thessalonique, p. 1.
73 Dollma Merita, « Geotourism Potential of Thethi National Park (Albania) », International Journal of Geoheritage and Parks, vol. 7, no 2, 2019, p. 85‑90.
74 Dragoti, Forêts et prairies en Albanie, op. cit., p. 15.
75 Ibid, p. 15.
76 Ibid., p. 10.
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Titre | Illustration 1. Timbre représentant la raffinerie de pétrole de Çërrik |
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Crédits | Poste albanaise, 1963 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/docannexe/image/3405/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 31k |
Titre | Illustration 2. Timbre représentant la fabrique de ciment d’Elbasan |
Crédits | Poste albanaise, 1971 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/docannexe/image/3405/img-2.jpg |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Tibissaï Guevara-Braun, « 1973, l’année du tournant environnemental dans l’Albanie communiste ? », Balkanologie [En ligne], Vol. 16 n° 2 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/3405 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/balkanologie.3405
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