Se partager en trois temps : pouvoirs et générations historiques de la mine de Stari Trg/Stan Tërg (Kosovo)
Résumés
La désagrégation de la Yougoslavie à partir du début des années 1990, l’éclatement de la guerre au Kosovo en 1999 puis l’indépendance de celui-ci ont reconfiguré les relations politiques, sociales et humaines entre les habitants. Le combinat de Trepča/Trepça, conglomérat industriel dans le nord du Kosovo, garde les traces d’une histoire complexe. S’appuyant sur une enquête ethnographique menée de 2015 à 2017 dans la ville de Mitrovica et le combinat de Trepča/Trepça, cet article explore les relations de pouvoir entre les travailleurs des souterrains et les institutions de la surface.
Les expériences vécues – de partage et de mise en commun, de discontinuité politique, de guerre et de violence, de vie quotidienne entre deux systèmes politiques conflictuels – témoignent des enjeux du monde du travail dans le post-conflit yougoslave et kosovar et jettent une lumière sur la coexistence entre plusieurs passés et plusieurs histoires.
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- 1 Dans cet article, j’emploie la double forme serbe/albanaise des toponymes.
- 2 Le plomb et le zinc sont les minéraux principalement exploités dans la mine. Cependant, il y a égal (...)
- 3 Parmi les neuf mines, quatre sont actives (Crnac/Cërnac, Belo Brdo/Bello Bërdo, Stan Trg/ Stan Tërg (...)
1La mine de Stari Trg/Stan Tërg1 se situe à neuf kilomètres au sud-est de la ville de Mitrovica, au nord du Kosovo, au milieu des collines arrondies par la forte présence de plomb et de zinc2. Le combinat minier, métallurgique et chimique de Trepča/Trepça – dont la mine de Stari Trg/Stan Tërg fait partie – a été la première source d’emploi dans la municipalité de Mitrovica pendant l’époque socialiste yougoslave (1945-1990). Sa ceinture minière, longue de 80 kilomètres et large de plus de 40 kilomètres – du nord du Kosovo jusqu’à la frontière sud-est avec la Macédoine – est composée de neuf mines, dont quatre, encore actives en 2021, se situent dans les alentours de la ville de Mitrovica/Mitrovicë3.
- 4 Troch Pieter, « Social Dynamics and Nationhood in Employment Politics in the Trepça Mining Complex (...)
2L’aménagement de Stari Trg/Stan Tërg, son évolution et ses avancées techniques résultent des différentes gestions locales et étrangères qui ont gouverné la mine au fil des années. L’exploitation commence en 1927 lorsque la compagnie britannique Selection Trust Ltd. achète le site, en entamant aussitôt l’extraction des minéraux et, ensuite, la production des métaux dans des structures métallurgiques édifiées à la fin des années 1930. L’éclatement de la Seconde Guerre mondiale ne ralentit pas la production, mais il impose un nouveau patron aux travailleurs de Stari Trg/Stan Tërg : l’Allemagne nazie. La libération de la ville de Mitrovica par les partisans en 1944 change encore la configuration politique de la mine. Avec l’instauration de la Yougoslavie socialiste, le combinat est nationalisé et il devient le centre d’investissements importants de la part de l’État. Les réformes économiques socialistes au début des années 1960 rassemblent alors toutes les mines du territoire en conglomérat4 et distribuent des subventions importantes aux sites de transformation des matières premières (fonderies, raffineries) ainsi qu’aux usines de production de batteries, de céramiques, porcelaines, verres.
- 5 Pendant la période de la Yougoslavie socialiste, le Kosovo et la Voïvodine sont deux provinces auto (...)
- 6 Palairet Michael, « Trepča, 1965–2000 », Report to Lessons Learned and Analysis Unit to the EU Pill (...)
- 7 Voir « The Ottoman Dilemma. Power and Property Relations under the United Nations Mission in Kosovo (...)
3Lors de cette période, le combinat de Trepča/Trepça devient le cœur ouvrier de la région de Mitrovica. De nombreux citoyens yougoslaves venant d’autres républiques (Serbie, Monténégro, Macédoine) s’installent dans la Province autonome du Kosovo5 pour travailler dans les mines et dans les usines du combinat. L’augmentation du nombre d’employés de Trepča/Trepça – 8 000 en 19606, presque 23 000 en 19857 – montre la capacité d’attraction industrielle du combinat, faisant de la ville de Mitrovica un important pôle industriel, politique et culturel.
4Aujourd’hui, la mine de Stari Trg/Stan Tërg ainsi que la ville de Mitrovica ont perdu tout dynamisme industriel. L’éclatement de la Fédération socialiste yougoslave puis la guerre du Kosovo (1998-1999) ont dégradé le fonctionnement de la mine et profondément affecté les relations entre les acteurs de l’espace souterrain. Depuis les années 2000, le combinat de Trepča/Trepça est rentré dans un nouvel ordre institutionnel : celui du protectorat international (instauré à la fin de la guerre) en coordination avec le gouvernement du Kosovo, qui a déclaré son indépendance de la Serbie en 2008.
Méthodologie, terrain et données ethnographiques
- 8 Niveau de la mine. La mine de Trepča/Trepça se compose de 11 horizons : le 10e et le 11e sont les h (...)
5Le 15 septembre 2016, à la suite d’un long périple administratif, j’obtiens une autorisation pour descendre dans le ventre de la mine de Stari Trg/Stan Tërg. Dans un monde fait d’obscurité et de minéraux qui brillent sur le plafond des galeries, les mineurs travaillent dans une chaleur constante de 27 degrés et 90 % d’humidité. Le travail souterrain est varié : il y a l’ingénieur responsable de l’horizon8, le géologue expert des minéraux, les garants du bon fonctionnement de l’ascenseur ; mais il y a aussi celui qui s’occupe des aspects techniques des machines d’extraction, qui doit trouver les lieux où creuser des nouveaux tunnels, qui sélectionne les minéraux, les collecte, les transporte.
6La cabine de l’ascenseur qui nous conduit dans les souterrains est métallique. Solide, elle garde sur ses parois les marques profondes des passages réguliers des mineurs. J’entends le bruit grinçant de l’ascenseur qui avance. « Tu n’as pas peur de la descente ? », m’interrogent à plusieurs reprises les travailleurs lorsque nous plongeons plus loin sous terre. Le 10e horizon se trouve à plus de 600 mètres de la surface. Un casque blanc sur la tête, je suis dans une combinaison de travail bleu foncé et des bottes trois pointures trop grandes. Je suis habillée comme eux, mais je ne suis qu’une passagère en transit.
7La descente dans les souterrains de la mine de Stari Trg/Stan Tërg n’est qu’un moment – singulier et précieux – dans un travail de recherche plus large portant sur les pratiques urbaines de déplacement des habitants de Mitrovica. Ainsi, les observations et les analyses découlant de deux ans d’enquête ethnographique auprès des habitants de Mitrovica – dont certains anciens travailleurs du combinat – complètent les données recueillies dans la mine. Néanmoins, les rencontres à la surface avec des employés (anciens et actuels) dans les jours précédant la descente ainsi que les échanges avec les travailleurs durant les heures passées dans les tunnels constituent les principaux matériaux d’enquête mobilisés dans cet article.
- 9 Par respect de l’anonymat, les prénoms des interlocuteurs ne sont pas dévoilés.
- 10 Le bruit des machines souterraines et de l’eau aux bords des tunnels ainsi que leur conformation ac (...)
8Dans les souterrains de Stari Trg/Stan Tërg, les mouvements sont précis. Les miens ont suivi les pas et les directives de deux guides, F. et A.9. Les risques et les contraintes souterraines empêchent, en effet, toute forme d’autonomie de mouvement aux visiteurs extérieurs. Les choix des directions prises par F. et A. m’ont donné accès à des espaces, ils m’ont exclue d’autres et ils ont ainsi défini les interactions possibles avec les travailleurs des tunnels. Les échanges avec ces derniers se sont parfois réalisés en groupe, d’autres individuellement. Les notes reportant les rencontres et les récits des travailleurs ont été, dans un premier temps, prises à la main dans la mine et ensuite précisées, une fois à la surface. Un certain nombre de conversations avec les mineurs – notamment les échanges individuels – ont été enregistrées10.
- 11 À ce sujet, voir Archer Rory, Duda Igor, Stubbs Paul (dir.), Social Inequalities and Discontent in (...)
9Ce travail ethnographique reste, pourtant, non exhaustif. Pour cette raison, les données mobilisées dans cet article font également appel au domaine de l’histoire du travail yougoslave. Des études sur les rapports de travail au sein des entreprises yougoslaves – dont le combinat minier de Trepča/Trepça – ont contribué à briser la vision monolithique du socialisme en tenant compte de la spécificité de chaque entreprise autogérée dans son contexte local11. Ils peuvent ainsi se révéler utiles pour mieux comprendre les relations entre les travailleurs au sein de la mine de Stari Trg/Stan Tërg.
10Diverses générations d’hommes se sont partagé l’espace de travail de la mine. Bien que leurs tâches soient différentes, dans l’obscurité des tunnels, chacun dépend des autres. Cet article propose d’interroger la façon dont trois générations de travailleurs se rapportent aux pouvoirs qui les gouvernent et transforment leur sens de partage de l’espace minier.
11Le terme de partage en langue française a une double acception. D’une part, il indique la mise en commun de quelque chose – un bien, un espace, des sentiments – avec quelqu’un. D’autre part, le partage fait aussi référence à la répartition, à la division d’un tout en parties. Dans un premier temps, j’interrogerai la première acception du terme en m’arrêtant sur les liens que les travailleurs tissent dans le système socialiste de partage, entendu en tant que mise en commun du lieu de travail et du territoire dans lequel ils habitent. Cette démarche permettra de saisir, dans un deuxième temps, les manières dont la mine devient, dans la conjoncture de la désagrégation socialiste yougoslave, un espace de division entre les travailleurs. Aujourd’hui, dans la mine de Stari Trg/Stan Tërg, coexistent trois générations historiques de travailleurs, protagonistes, respectivement, de l’autogestion yougoslave, de la discontinuité politique à cheval entre les années 1980 et 1990 et de l’indépendance du Kosovo. À partir de ces analyses, je proposerai un bilan, dans la troisième et dernière partie, sur l’état actuel de la mine, partitionnée à la suite de la guerre.
L’espace partagé de la mine dans la période socialiste
Citoyenneté et autogestion : les liens du partage
12Dès 1945, la Fédération yougoslave fait de bratstvo i jedinstvo (fraternité et unité) sa devise et donne aux travailleurs une place privilégiée dans la structuration idéologique de la société socialiste. Pendant cette période, deux principes fondent et organisent les liens de partage entre les habitants de ce monde social : la citoyenneté et l’autogestion. Si le deuxième fait directement référence au monde du travail, le premier inclut l’espace en dehors de la mine et une appartenance commune à la Fédération socialiste à laquelle le travailleur participe activement en tant que citoyen. En ce sens, les mineurs ne sont pas qu’une catégorie de travailleurs, mais aussi des citoyens qui partagent la mise en commun d’un territoire.
- 12 Josip Broz Tito (1892-1980) est nommé Premier ministre de Yougoslavie en 1945. Il sera, à partir de (...)
- 13 Les habitants recensés en tant que Serbes sont les plus nombreux mais ils sont loin de détenir la m (...)
- 14 Article 1 de la Constitution fédérale de 1974.
13La République fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY) naît du mouvement de résistance des partisans de la Seconde Guerre mondiale guidés par Josip Broz Tito12. L’engagement des volontaires de toutes nationalités dans le combat antifasciste pour la libération du territoire a été la source du principe unificateur qui aurait caractérisé la fondation idéologique du pays. Cependant, la création de la RFSY en tant qu’entité fédérative et plurinationale ne correspond pas seulement à un projet idéologique, mais aussi à une manière d’organiser politiquement un territoire où aucun groupe national n’est majoritaire13. Dans ce cadre, être Yougoslave signifie participer idéologiquement et habiter dans un espace commun de partage fondé sur un projet de communauté étatique de nations librement unies14, sur les luttes de la résistance partisane yougoslave contre le fascisme, sur l’indépendance du bloc soviétique et sur l’autogestion des travailleurs dans la production industrielle et dans les services.
- 15 Štiks Igor, Nations and Citizens in Yugoslavia and the Post-Yugoslav States: One Hundred Years of C (...)
- 16 Neveu Catherine, « Les enjeux d’une approche anthropologique de la citoyenneté », Revue européenne (...)
14La période socialiste yougoslave montre en effet que la citoyenneté n’est pas un simple statut juridique, mais qu’elle demeure profondément ancrée dans le social et dans le politique par le fait qu’il est nécessaire de se conformer aux principes du yougoslavisme pour y avoir accès. L’inclusion dans la Yougoslavie était une prérogative de tous les habitants partageant cet espace en tant que participants au projet yougoslave : « Finalement, ce ne sont pas des règles qui définissent les régimes de citoyenneté mais aussi des idéologies formelles et informelles, des récits personnels et collectifs, des croyances individuelles et de groupes, des pratiques et des rites sociaux et des expériences quotidiennes »15. « Être citoyen », explique l’anthropologue Catherine Neveu, « c’est en effet non seulement être dans une relation avec un État, mais c’est aussi être membre d’une collectivité, à la fois juridiquement constituée, et socialement construite »16.
- 17 En distinguant entre narod (les peuples constitutifs de chaque république) et narodnost (nationalit (...)
15Cette conception de la citoyenneté passe, en Yougoslavie, par le partage d’un espace, plus précisément, d’un territoire. Le travailleur de la mine de Stari Trg/Stan Tërg est alors un citoyen yougoslave, habitant de la Province autonome socialiste du Kosovo, citadin de la ville de Mitrovica ou de ses alentours, identifié par les institutions comme appartenant à des ensembles juridiquement définis comme narod ou narodnost17.
- 18 Le langage de la Ligue des communistes de Yougoslavie s’appuie sur la terminologie du Capital de Ka (...)
- 19 Štiks, Nations and Citizens in Yugoslavia, op. cit.
16Le fonctionnement de la mine s’organise sur le principe de l’autogestion, qui fonde les liens de partage entre les travailleurs. Basée sur la mise en commun du lieu de travail, des produits de l’entreprise et des gains liés à la production, l’autogestion des travailleurs (radničko samoupravljanje) est un principe d’ordre politico-économique visant à la gestion par le bas de la production et des services dans la Fédération. En 1950, une loi introduit les conseils ouvriers dans les usines, le premier acte concret d’instauration effective du système autogestionnaire. Si, en URSS, les entreprises sont gérées par l’État et encadrées dans un modèle d’économie planifiée, la doctrine yougoslave propose un modèle alternatif se fondant sur la « socialisation des moyens de production »18, accompagnée par une économie de marché, ainsi que sur la disparition progressive de l’État dans la gestion de l’économie et, successivement, des corps politiques. Dans ce cadre, la production et les services sont dans les mains des travailleurs associés et l’État vise à ne posséder aucune entreprise. En 1951, en effet, seuls le service postal, les chemins de fer et les transports fluviaux et aériens restent sous contrôle central19.
- 20 Woodward Susan, « The Political Economy of Ethno-nationalism in Yugoslavia », Fighting Identities: (...)
- 21 Archer Rory, Musić Goran, « Approaching the Socialist Factory and its Workforce: Considerations fro (...)
17Ainsi, le lieu de travail est un site de production, mais il est aussi pensé comme un espace de sociabilité et d’émancipation politique. La mine de Stari Trg/Stan Tërg est également le « centre d’un univers social »20 qui fédère les travailleurs et renforce leur identification à l’entreprise d’appartenance21. Les travailleurs circulent dans la Fédération, se rencontrent et socialisent dans les villages touristiques qui leur sont réservés, ou encore lors des soirées de musique et de danse dans les centres culturels et récréatifs. Ce paysage d’options visait à renforcer idéologiquement l’idée de communauté des travailleurs yougoslaves. En suivant le principe autogestionnaire, le travailleur devenait garant du progrès socialiste.
Les conflits sociaux au sein du système
- 22 Toute entreprise socialiste est gérée par un conseil ouvrier de travailleurs qui compte de 15 à 120 (...)
18Cependant, la position idéologique de commande donnée à la figure du travailleur par le système de l’autogestion socialiste ne fait pas disparaître les hiérarchies et les conflits au sein de Stari Trg/Stan Tërg. La Yougoslavie socialiste essaie d’éviter les divisions internes par le principe autogestionnaire, qui donne aux cols bleus une position de parole, de pouvoir et de décision au sein de l’entreprise. Selon l’idéologie égalitaire de la Ligue des communistes de Yougoslavie (LCY), tout mineur, quelle que soit sa qualification, peut représenter le groupe des travailleurs de Stari Trg/Stan Tërg au sein du conseil ouvrier22. La réalité, toutefois, est différente. Les travailleurs qui constituent le conseil sont rarement des mineurs sans spécialisation et presque jamais des femmes. Ainsi, l’égalité des chances se heurte à l’inégalité sociale existante, au sein de laquelle le véritable pouvoir de décision est souvent dans les mains du directeur général et, plus largement, des cadres dirigeants du combinat.
- 23 Troch, « Social Dynamics and Nationhood », art. cit., p. 10.
19Ce point est fondamental non seulement pour comprendre les conflits au sein de la mine dans leur dimension de l’époque mais aussi pour apercevoir, comme je le détaillerai dans la deuxième partie de ce texte, la déformation des conflits sociaux de la période de l’autogestion yougoslave en conflits dits « ethno-nationaux ». Or, bien que les cadres dirigeants s’identifient comme étant d’origine serbe et monténégrine et que les mineurs non spécialisés se disent surtout Albanais, Rom ou Turcs, la question d’un conflit entre nationalités n’émerge pas dans les rapports et les enquêtes internes à la mine avant les années 198023.
- 24 Archer Rory, « “It was better when it was worse”: Blue-collar Narratives of the Recent Past in Belg (...)
20Dans le cadre général de l’autogestion dans les différentes républiques de la Fédération, donc, même si les conflits existent, ils sont contenus, remis en discussion et nuancés par un système qui permet aussi une mobilité sociale des travailleurs. À ce propos, Rory Archer, historien travaillant sur la classe ouvrière de la période socialiste yougoslave, met en évidence la difficulté d’un groupe d’anciens travailleurs résidant à Belgrade à faire une distinction claire entre les cols blancs et les cols bleus en raison du fait que « de nombreux individus passaient de l’une à l’autre de ces positions au cours de leur vie professionnelle24 ». Un ouvrier spécialisé pouvait en effet changer de position et arriver à obtenir un poste de cadre. Les raisons de ce choix pouvaient être multiples : le risque de blessure ou d’incident physique, les variations du salaire dépendant des fluctuations du marché ou des rééquilibres économiques à l’échelle fédérative. Cela montre la possibilité d’une mobilité sociale, qui n’était pas forcement motivée par l’idée d’une position de prestige, mais par le désir d’une condition de travail meilleure.
21Cependant, les dynamiques internes du travail, les équilibres et les conflits dans la gestion des entreprises peuvent varier selon les villes, les localités et les différents territoires de la Fédération. Dans le cas de la mine de Stari Trg/Stan Tërg, la distinction sociale entre les cols blancs et les cols bleus ne perd pas véritablement son importance, mais elle se transforme dans la configuration singulière des relations entre les travailleurs s’identifiant comme Serbes et comme Albanais du territoire kosovar à partir de la fin des années 1980.
22Le cadre politique et idéologique du partage dans la période socialiste marque le vécu et les références de ce que j’appelle « la génération de l’autogestion » en raison du poids que ce système a eu sur les façons de travailler avec les autres et de concevoir un lieu et un monde communs. En allant au-delà d’une réification possible des collectivités des travailleurs, aujourd’hui les acteurs de la génération de l’autogestion permettent de comprendre que le sens du partage au quotidien se fonde sur la confiance. À ce propos, l’un des mineurs rencontrés dans les souterrains, témoin de la période yougoslave, affirme que la seule manière de sortir vivant de la mine a toujours été la solidarité entre mineurs, sans distinction nationale.
23Dans les tunnels de Stari Trg/Stan Tërg, jeunes et plus âgés, occupés à des tâches de travail différentes, font l’expérience de la mine et sont conscients des dangers souterrains. Pour combattre l’angoisse de la profondeur des tunnels et les risques d’incidents physiques, ils sont tenus ensemble non simplement par une appartenance collective idéologique partagée, mais aussi par la confiance : entre eux, ils s’appellent « frères », non pas par des liens de consanguinité, mais d’alliance. Ainsi, les dangers et le travail dans la mine façonnent la solidarité et la confiance, en faisant des mineurs un excellent modèle pour l’idéologie yougoslave. Le système socialiste et le quotidien dans les souterrains font de la mine un espace de partage, jusqu’au moment où la Fédération commence à vaciller.
Faire de la mine un espace de division dans la conjoncture de la désagrégation
La fragilisation de la confiance à l’heure de la crise
- 25 Rutar Sabine, « Towards a Southeast European History of Labour: Examples from Yugoslavia », dans Sa (...)
24À partir de la fin des années 1980, les logiques d’affiliation dite « ethno-nationale » commencent à remplacer les modèles sociaux25 des travailleurs de Stari Trg/Stan Tërg, en transformant le sens du partage – auparavant entendu comme mise en commun – en division. Plusieurs chercheurs et chercheuses ont réfléchi aux crises qui ont mené à la fin du modèle fédératif et à l’éclatement des guerres et des violences en Yougoslavie. En privilégiant souvent une cause à une autre – la crise du système politique à la suite de la mort de Tito, l’émergence des nationalismes et des politiques identitaires, les responsabilités des dirigeants politiques, leur discours de manipulation de la mémoire historique, l’ingérence internationale après la chute du mur de Berlin en 1989 ou encore la crise économique –, ces travaux partagent la même approche : la crise yougoslave ne résulte pas d’un réveil de haines « ethniques » longtemps étouffées par le pouvoir socialiste.
25Partageant cette approche, cette analyse émet l’hypothèse que la fragilisation de la solidarité entre les travailleurs de Stari Trg/Stan Tërg réside dans les évènements de la crise économique et politique de la Fédération socialiste et du Kosovo yougoslave. Pendant la période 1980-1990, la Province autonome du Kosovo se trouve dans une conjoncture qui lui est spécifique tout en étant imbriquée aux politiques de la Fédération et, donc, au contexte de sa désagrégation. En d’autres termes, le Kosovo de la fin des années 1980 est traversé par des phénomènes politiques, sociaux et économiques spécifiques, même si pas entièrement isolés de l’ensemble fédératif.
- 26 Vickers Miranda, Between Serb and Albanian: A History of Kosovo, Londres, Hurst & Co, 1998, p. 191.
- 27 Roux, Les Albanais en Yougoslavie, op. cit., p. 328.
26En 1981, le chômage touche 12 % de la population active yougoslave et la Province autonome kosovare, soit le plus fort taux de chômage de toute la Fédération26. La gravité de la crise économique à l’échelle fédérale implique une diminution des montants des fonds destinés au Kosovo, surtout à ses branches industrielles27, ce qui contribue à accentuer la crise sociale. Le poids de la crise économique sur le secteur industriel kosovar a des répercussions importantes sur l’aggravation des conditions de vie des habitants de la Province, notamment ceux du nord du Kosovo. La crise sociale conduit à la montée de Slobodan Milošević sur la scène politique dans le cadre du gouvernement de la République de Serbie, avec des conséquences lourdes sur la Province kosovare, telles que la révision constitutionnelle de son autonomie.
Les voix de la dissension
27Dans un tel climat politique et social, nombreuses sont les manifestations, notamment des étudiants et des travailleurs, qui demandent de meilleures conditions de vie et de travail. Ces mouvements sociaux sont rapidement regardés avec appréhension par la République de Serbie qui craint de perdre le contrôle sur une portion de son territoire déjà autonome. Les médias se détournent progressivement de la crise économico-sociale kosovare. Les conservateurs réunis autour de Slobodan Milošević dénoncent le fait que les citoyens recensés en tant que Serbes et Monténégrins quittent le territoire kosovar en raison de la répression albanaise à leur égard et de l’insécurité régnant dans la Province. Il s’agit d’un moment historique fondamental pour comprendre le début de l’exploitation de la question « ethno-nationale » dans l’interprétation des relations entre les habitants du Kosovo. Le combinat de Trepča/Trepça et la mine de Stari Trg/Stan Tërg offrent quelques pistes pour comprendre le phénomène d’émigration de certaines populations dans ce contexte.
- 28 Les citoyens yougoslaves peuvent se déplacer librement à l’intérieur de la Fédération sans devoir e (...)
- 29 La présence majoritaire de travailleurs recensés comme Serbes et Monténégrins aux postes de travail (...)
- 30 Troch, « Social Dynamics and Nationhood », art. cit.
28Il est vrai que les habitants identifiés par les institutions comme Serbes et Monténégrins quittent la Province et que, souvent, ceux qui sont recensés comme Albanais restent28, mais quelles en sont les raisons ? Un ouvrier qualifié, albanophone de naissance et ayant reçu une formation au Kosovo est, souvent, en comparaison de la réalité économique et sociale des autres républiques, désavantagé et moins qualifié. La Province du Kosovo se présente pour ces habitants comme le cadre adéquat où ils peuvent exercer des formes d’autonomie institutionnelle, être représentés, parler leur langue maternelle et rester connectés au réseau familial. D’ailleurs, ces circulations ne sont pas un phénomène nouveau. Déjà, au cours des années 1960, les travailleurs les plus qualifiés du combinat de Trepča/Trepça – souvent d’origine serbe et monténégrine jusqu’à la moitié des années 197029 – font le choix de partir pour aller travailler dans les républiques les plus riches de la Fédération. En raison de ces départs de spécialistes et d’ouvriers qualifiés, le combinat tente d’attirer de nouvelles recrues, en particulier en augmentant les salaires des spécialistes (de 4 à 5 %), avec pour conséquence des économies faites sur des droits sociaux des travailleurs de base, comme par exemple les vacances payées par l’entreprise30.
29Les vagues d’émigration « serbe-monténégrine », la croissance de la natalité albanaise et les déséquilibres sociaux du territoire kosovar sont instrumentalisés et deviennent le support idéal à la lutte de pouvoir au sein du gouvernement serbe dans la perspective d’une nouvelle vision nationale des rapports entre la Province et la République de Serbie. Dans ce contexte, Slobodan Milošević, devenu le nouveau visage de rupture par rapport à la politique précédente, s’affirme en Serbie en faisant de la crise kosovare un problème à résoudre, dont la résolution passerait par une solution menant à l’exacerbation du conflit social : la fin de l’autonomie de la Province du Kosovo.
- 31 Bien que de telles revendications puissent exister au Kosovo et qu’elles puissent avoir joué un rôl (...)
30Les premières réponses des travailleurs de Stari Trg/Stan Tërg montrent que ceux-ci ne méconnaissent pas les événements politiques de cette période. La remise en question de l’autonomie de la Province pousse en effet une partie des travailleurs du Kosovo à la mobilisation politique. Le 17 novembre 1988, à la fin du roulement de travail dans la mine, les mineurs de Stari Trg/Stan Tërg se mettent en marche vers la capitale, Priština, à 40 kilomètres de la ville de Mitrovica. Le mouvement de protestation est ainsi déclenché par l’action de 3 000 mineurs du combinat de Trepča/Trepça. Au cours des cinq jours de manifestations, les premiers manifestants sont rejoints par un plus grand nombre de travailleurs et d’étudiants ; leur nombre total atteint 100 000 personnes. Tandis que les critiques accusent les manifestants de sécessionnisme, les chroniques de l’époque et les retours d’enquêtes ethnographiques d’aujourd’hui témoignent de l’absence de revendications concernant l’indépendance du Kosovo ou de volonté de rattachement territorial à l’Albanie31.
31D’un côté, leur engagement renvoie à la peur de perte d’une autonomie qui a permis, notamment aux travailleurs et habitants kosovars-albanais, de s’émanciper socialement et d’être ainsi reconnus en tant que population légitime de l’ensemble yougoslave. De l’autre, la politisation de Stari Trg/Stan Tërg est l’héritage du système autogestionnaire qui a encouragé le travailleur à être un citoyen engagé, conscient et habitué à avoir une voix et une volonté politiques. De ce fait, les travailleurs sont réactifs : ils s’organisent, ils prennent la parole. Le combat des mineurs est politique.
32En 1989, mille mineurs s’enferment dans les tunnels de la mine de Stari Trg/Stan Tërg pendant huit jours. Ils réclament une discussion démocratique sur la limitation de l’autonomie du Kosovo. Outre le fait de s’opposer aux politiques de Milošević vis-à-vis du Kosovo, les travailleurs demandent une amélioration des conditions de travail : une meilleure ventilation dans les souterrains de la mine et une augmentation des payes des mineurs.
33Pourtant, bien que le combat des mineurs soit politique et social, les alliances au sein du combinat ont changé. Au cours des deux dernières années de protestations, en effet, les travailleurs qui ne se sont pas opposés au contrôle de la République de Serbie sur la Province ont continué de travailler. C’est le symptôme d’une crise plus profonde : la mine est devenue un espace de division. S’identifiant souvent en tant que Serbes, ces travailleurs justifient leur manque d’engagement contre les mesures prises par le gouvernement républicain sur la Province par la crainte de perdre leur emploi, mais aussi par leur attachement à la mine et la volonté ne pas arrêter son fonctionnement.
34Il serait toutefois trompeur de présumer que des actes de résistance au régime de Milošević de la part d’habitants se déclarant Serbes n’ont pas existé ; il y en a eu, même s’ils ont été minoritaires. Malgré cela, les évènements de l’époque – y compris le choix de ne pas se positionner dans cette conjoncture – brisent le principe de partage fondé sur la confiance entre travailleurs. Ceux qui sont mobilisés et opposés à la reconnaissance de l’autorité de Belgrade sur la Province ainsi qu’à la perte du statut d’autonomie sont considérés comme irrédentistes par le gouvernement : licenciés, mais aussi emprisonnés, ils sont remplacés dans l’entreprise.
- 32 Données issues d’un document interne de Trepča/Trepça produit par Tiosav Lazarević et repris par Pa (...)
35Dans la mine de Stari Trg/Stan Tërg, des 2 588 travailleurs recensés comme Albanais en 1989, il n’en reste que 40 en 1990, alors que le nombre de travailleurs réunis sous la catégorie de « Serbes » augmentent de 368 à 564. En comparant les deux années, on peut aussi constater un affaiblissement général du nombre de travailleurs de Stari Trg/Stan Tërg (3 061 en 1989 contre 717 en 1990) à cause de la crise économique qui pèse sur la mine et, plus largement, sur le combinat de Trepča/Trepça (13 261 travailleurs en 1989 contre 5 720 en 1990)32.
36Les évènements de ces années font des travailleurs qui ont vécu cette conjoncture historique une « génération de la rupture », rupture à la fois du système politique autogestionnaire et de la confiance. À la différence de la génération de l’autogestion, les acteurs de la rupture tendent à privilégier le récit de l’oppression du gouvernement serbe ainsi que de la résistance albanaise construite autour de la grève des huit jours en tant que mythe fondateur d’une autodétermination aujourd’hui proclamée nationale.
- 33 Au cours de ma recherche ethnographique, j’ai eu accès aux récits de ceux qui travaillent dans le n (...)
37L’instabilité politique et la division sociale de l’époque influent aussi sur la vision qu’ont les travailleurs du travail souterrain. Le sens de la collectivité s’en trouve transformé et la confiance se fonde, désormais, sur une identification nationale du soi. Aujourd’hui, le travail souterrain se réalise dans un espace vidé de la présence de l’autre. À la suite de la guerre de 1999, et avec l’instauration du protectorat international au Kosovo, les travailleurs albanais ont réintégré la mine de Stari Trg/Stan Tërg33.
38Par-delà les divisions ethno-nationales, la condition commune à tous les travailleurs du combinat de Trepča/Trepça reste la précarité. Le travail dans la mine s’est transformé avec la fin du système autogestionnaire, les conflits de gestion et suite à la privatisation du combinat. La décroissance économique commence pendant les années de grèves et d’arrestations politiques. À présent, le combinat a cessé d’être la première source de richesse des travailleurs du Kosovo. Les nouvelles générations de travailleurs font l’expérience de nouvelles formes de marginalisation, de subordination et d’invisibilisation. Poussé à sortir de son espace de travail pour mettre en place des stratégies de survie économique, le travailleur est entré dans une nouvelle condition postsocialiste.
La partition des espaces à l’heure d’un futur incertain
Postsocialiste et postindustriel : la nouvelle réalité politique du combinat minier
39La mine est aujourd’hui un espace albanophone. En 2016, les acteurs qui s’identifient comme Serbes ne travaillent plus ni dans les souterrains, ni à la surface de Stari Trg/Stan Tërg. Un certain nombre d’entre eux, auparavant employés dans la mine d’avant-1999, sont, en effet, aujourd’hui installés ailleurs, en particulier à la frontière avec la Serbie, dans la mine de Cicavica et sur le site de flottation de Leposavić, faisant tout de même partie du combinat de Trepča/Trepça.
40Aujourd’hui, l’absence et le « délogement » des travailleurs de Stari Trg/Stan Tërg constituent une donnée importante pour saisir la reconfiguration des dynamiques relationnelles qui a suivi les évènements que sont la disparition du système autogéré yougoslave, l’éclatement de la guerre de 1999, la proclamation d’indépendance du Kosovo en 2008 et les disputes territoriales actuelles avec la République de Serbie. Ils ont provoqué des bouleversements politiques et administratifs importants au sein du combinat, redéfinissant les présences et les absences dans la mine.
- 34 La mine de Artana à Novobërdo (Novo Brdo) est remise en fonction au même moment. Elle se situe plus (...)
41La configuration politico-administrative dans laquelle s’inscrivent les vies et le travail des mineurs de Stari Trg/Stan Tërg après 1999 est strictement liée aux conflits de souveraineté au Kosovo. Un certain nombre de sites miniers du combinat de Trepča/Trepça réouvrent leurs portes en 2005 : les mines de Crnac/Cërnac et de Belo Brdo/Bellobërdë dans la commune de Leposavić au nord de Mitrovica ainsi que la mine de Stari Trg/Stan Tërg à Mitrovica-sud34.
42Or, ces sites d’exploitation minière sont gérés selon une nouvelle logique spatiale qui s’est affirmée en cours de guerre : les mines du nord sont gérées par des responsables s’identifiant comme Serbes, tandis que dans les mines du sud les travailleurs se disent majoritairement Albanais. En effet, suite à l’arrivée des forces internationales (Kosovo Force – KFOR) en 1999, les travailleurs précédemment licenciés ou emprisonnés ont repris leurs anciens postes dans la mine de Stari Trg/Stan Tërg. Ceux qui s’identifient comme Serbes, partis suite à la fermeture de la mine pendant la guerre, vont travailler dans les mines du combinat au nord du pays.
- 35 Povrzanović Frykman Maja, « Etnologija rata - pisanje bez suza? » [Une ethnologie de guerre - écrit (...)
43La séparation des travailleurs est rendue possible par les nouvelles configurations spatiales et politiques de la ville de Mitrovica – et du territoire kosovar – après la guerre. Les mouvements, les départs temporaires et les migrations sans retour des habitants de Mitrovica pendant la guerre séparent les deux rives de l’Ibar entre un nord contrôlé par les autorités serbes et un sud sous administration kosovare-albanaise. Les lignes de division qui s’affirment en temps de guerre pour survivre, se sentir en sécurité, protéger les siens35 sont pourtant maintenues après 1999. La mine de Stari Trg/Stan Tërg se situe dans la partie sud-est de Mitrovica, aujourd’hui habitée par une population sous administration de la République du Kosovo depuis la fin de la guerre.
44Le postsocialisme kosovar est un paysage, un cadre temporel et une condition de vie dans lesquels coexistent la recomposition sociale dans le post-conflit et la survie dans un nouveau système économique et politique. À la sortie de la guerre, le Kosovo sous protectorat international est poussé vers une économie de marché comportant des réformes radicales, y compris l’ouverture aux investissements étrangers et aux privatisations sur le territoire. Parallèlement, la ville de Mitrovica se morcèle, tout au long des années 2000, suivant des mouvements de population guidés par une logique d’affiliation « ethno-nationale ».
45Dans ce contexte, les catégories de « postsocialiste » et de « postconflictuel » fonctionnent en binôme. Elles constituent, ensemble, les repères temporels des acteurs qui en ont vécu l’expérience et qui continuent à en vivre la condition ; elles sont mobilisées par les acteurs pour parler et faire face à cette période historique, donnant ainsi au chercheur les moyens de comprendre la façon dont ces acteurs se transforment et vivent dans cette conjoncture historique nouvelle. La logique temporelle de mes interlocuteurs ne suit ni un ordre chronologique, ni un ordre linéaire d’événements. Elle suit les évolutions d’un ressenti intime de la rupture de la confiance, des pertes et de la fin d’un monde basé sur des principes différents. Cette histoire vécue s’exprime par des récits fragmentés, qui passent souvent des conditions de vie actuelles au monde qui les a précédées.
Diviser pour mieux régner : les acteurs institutionnels du combinat
46Depuis la fin de la guerre, les Nations unies sont devenues un acteur de premier plan dans la gestion de Trepča/Trepça. Aujourd’hui, la Privatization Agency of Kosovo (PAK) est un organisme international qui gouverne le combinat en collaboration avec des entités gouvernementales locales. La mission principale de la PAK est de réorganiser les entreprises publiques sur le territoire kosovar – anciennement « entreprises de propriété sociale ». La « réorganisation » mise en œuvre par cet organisme signifie, concrètement, le démantèlement et la fermeture de certaines entreprises et la privatisation d’autres dans le but d’attirer des investisseurs étrangers.
- 36 L’un des problèmes les plus urgents soulevé par les forces internationales concerne la pollution pr (...)
47Or, les mines du combinat contiennent les plus importants gisements miniers de plomb, de zinc et d’argent d’Europe. En ce sens, malgré le besoin urgent d’investissements et de réajustements structurels36, l’option de liquidation de l’entreprise est exclue a priori par les autorités locales. Trepča/Trepça est considérée comme une source de travail inaliénable pour les habitants du territoire, ainsi qu’une ressource encore exploitable pour les institutions gouvernementales kosovares. De ce fait, le combinat constitue un enjeu politique important, à la croisée d’un ensemble complexe d’intérêts et de tensions intra-institutionnelles. La République de Serbie réclame la propriété du combinat à partir du droit de souveraineté qu’elle prétend avoir sur le territoire kosovar.
- 37 Les institutions serbes du nord du Kosovo sont dites « parallèles » parce qu’elles continuent d’opé (...)
48Une première loi voit le jour en 2016, votée par le parlement du Kosovo : le combinat devient une entreprise publique dont 80 % des actions appartiennent à l’État et 20 % restent la propriété des travailleurs. Le 2 février 2019, une nouvelle loi réajustant le statut de Trepča/Trepça est adoptée : les unités de l’entreprise dans son ensemble (nord et sud) sont transformées en société par actions, avec une ouverture importante aux partenariats public-privé. La loi sur la nationalisation de Trepča/Trepça ne change pas les règles actuelles de gestion des parties du combinat : les mines du nord autour de Leposavić sont administrées par des responsables d’origine serbe répondant à l’autorité des institutions parallèles du nord du Kosovo37, ce qui entraîne aussi une participation importante de la République de Serbie dans le paiement des salaires et des retraites des travailleurs des mines du nord. Cependant, malgré ce cadre politique particulier et la relocalisation des employés des différentes mines du combinat suite à la guerre, ce dernier reste une entreprise indivisible, avec un seul numéro fiscal de référence.
49La reconfiguration spatiale de la population des tunnels de Stari Trg/Stan Tërg ne peut pas être interprétée uniquement en tant que conséquence de l’application verticale des politiques institutionnelles dans les tunnels : elle est aussi une réponse des travailleurs à la crise politico-sociale, selon une logique propre aux dynamiques souterraines. Aujourd’hui, Trepča/Trepça est administré par un responsable et par un conseiller international ainsi que par deux directeurs locaux, l’un en charge du secteur nord, l’autre du secteur sud. Les autorités en conflit continuent néanmoins de coopérer dans la gestion du combinat. L’appartenance au même combinat implique la nécessité de réunions conjointes pour discuter des questions techniques. Les contacts entre les travailleurs des deux secteurs sont sporadiques et, quand ils se font – toujours par nécessité –, restent très formels. Les mines et les structures de Trepča/Trepça sont alors dans une relation de codépendance technique, même si elles opèrent leurs activités de production indépendamment l’une de l’autre, sans se consulter au quotidien, mais seulement en cas de besoin. La mine de Stari Trg/Stan Tërg continue à fonctionner au minimum, avec environ 900 travailleurs, répartis en six roulements par jour, chargés d’extraire les minéraux, mais pas de les traiter ou de les transformer.
- 38 Buden Boris, « The Children of Postcommunism », Radical Philosophy, vol. 159, 2010, p. 18-25.
50Si la conduite, les actions et la présence des institutions ouest-européennes continuent d’attester d’une vision des habitants et des travailleurs des anciens mondes socialistes en tant qu’enfants à accompagner38, ces derniers sont tiraillés entre des vies passées moins incertaines mais brisées et appartenant définitivement au passé, et une condition actuelle qui dilate le présent et suspend le futur dans l’attente de conditions meilleures.
Les générations historiques de la mine
- 39 Il s’agit des travailleurs qui avaient perdu leur poste à l’époque où le gouvernement de Slobodan M (...)
- 40 Il est important de noter que les groupes générationnels ne sont pas définis ici en fonction de l’a (...)
51Les personnes que je retrouve dans la mine de Stari Trg/Stan Tërg en 2016 sont les anciens travailleurs de l’époque socialiste réembauchés dans les années 200039 et les nouveaux jeunes travailleurs. La majorité d’entre eux partage une expérience de la période de discontinuité et de rupture sociale et un vécu à cheval sur deux systèmes politiques. Pourtant, les acteurs souterrains portent des regards très variés et se réfèrent à des repères temporels tout aussi divers ; leurs récits pluriels mettent l’accent sur la rupture, la continuité, le conflit, la réappropriation ou encore la mise en valeur du passé. Ils dépendent certainement de la trajectoire biographique, sociale et familiale singulière de chacun. Néanmoins, le temps de vie et de travail passé dans l’un ou l’autre système politique ainsi que l’importance qui lui est attribuée permettent de distinguer les générations historiques déjà mentionnées précédemment40.
52La génération de l’autogestion est constituée des travailleurs les plus âgés, qui ont eu une longue expérience de la mine dans le système socialiste ; ce dernier a marqué cette génération et la façon de travailler. Il continue de résonner dans leurs discours par les souvenirs, la nostalgie, le regret, le rejet ou le blâme. La génération de la rupture a fait l’expérience d’un travail discontinu au moment où le système socialiste était déjà en fin de vie. Les représentants de cette génération mettent souvent de côté l’expérience de l’autogestion au profit d’une dénonciation des discriminations nationales au sein de la mine, des grèves et de l’oppression du gouvernement serbe. Une troisième génération – la génération de l’attente –, plus jeune, n’a pas une véritable expérience du système socialiste autogestionnaire et elle porte le plus souvent son attention sur l’état présent des choses, sur la précarité et le chômage, sur les altérités à reprocher, sur les blessures de la guerre. Cela ne veut cependant pas dire que la première génération est tournée vers le passé socialiste, alors que les deux autres demeurent ancrées au temps de la guerre ou dans le présent de l’incertitude et de la fragilité économique et politique.
53Les récits des travailleurs de Stari Trg/Stan Tërg témoignent des changements du présent dans lequel ils s’inscrivent et s’expriment. Mais ils puisent aussi dans un corpus temporel plus complexe, notamment lorsque les acteurs choisissent de mobiliser certains éléments du passé. En effet, ce n’est pas tant le critère de l’âge qui compte, mais plutôt le système politique dans lequel s’inscrit le travail dans la mine. Les trois générations historiques sont ici délimitées en fonction des expériences et des repères temporels énoncés par les acteurs. Cependant, face à l’éventail de récits des interlocuteurs, choisir de mettre en avant une expérience plutôt qu’une autre implique qu’il puisse y avoir des variations possibles dans les regroupements générationnels.
54Or, dans le cas de la mine de Stari Trg/Stan Tërg, l’expérience du système socialiste autogestionnaire rassemble les travailleurs d’une génération qui a connu la mine en tant que foyer politique et qui voit aujourd’hui ce lieu comme largement dépourvu de cette fonction politique d’union et d’émancipation de soi. Le vécu autogestionnaire est paradoxalement mobilisé pour expliquer cette absence et admettre la résignation face à la précarité du présent. D’une manière différente, avoir commencé à travailler dans la mine pendant les années charnière de bataille pour préserver l’autonomie kosovare, au moment où le système autogestionnaire avait perdu son sens social de partage, fait des travailleurs de l’entre-deux systèmes une génération très attachée au nationalisme indépendantiste kosovar.
55C’est un point en commun avec la nouvelle génération de travailleurs qui n’a pas vécu l’autogestion socialiste mais qui, à la différence de la première génération, se montre moins tolérante face aux réformes de privatisation et de restructuration économique. En raison d’une aggravation radicale du bien-être social et économique, le champ d’expérience des travailleurs les plus âgés est entaillé de nombreuses déceptions vis-à-vis des différents systèmes politiques et des tutelles qu’ils imposent aux travailleurs. Cela conduit les travailleurs les plus âgés, ceux de la première génération, à être sceptiques quant à la portée salvatrice d’un horizon d’attente, bien maintenu en vie par les plus jeunes.
- 41 Kobelinsky Carolina, « Le temps dilaté, l’espace rétréci. Le quotidien des demandeurs d’asile », Te (...)
- 42 Crapanzano Vincent, Waiting: The Whites of South Africa, New York, Random House, 1985.
56Ainsi, si la génération de l’autogestion rassemble plutôt les résignés, la génération de la discontinuité politique et la génération du Kosovo indépendant voient encore une lumière au bout du tunnel. La déception face à l’échec des systèmes politiques qui ont gouverné la mine, la ville et, plus largement, le territoire n’a pas encore supplanté leurs espoirs d’amélioration des conditions de vie et de travail. L’attente et l’espérance deviennent, surtout pour la troisième génération historique, deux facettes d’une même temporalité41. L’attente est, dans ce contexte, une activité passive42, qui fait coexister l’espoir de changement de la situation présente – une augmentation des salaires, des retraites et du nombre des postes de travail, la résolution des dettes du combinat minier par l’intervention du gouvernement, un retour à la production des années 1970 – et la capacité à subsister dans le contexte actuel de précarité économique, la plupart du temps par le biais d’activités informelles en dehors de la mine. Les attentes ouvrent alors un espace d’incertitudes au sein duquel les travailleurs naviguent entre condition présente et attente d’un futur qu’ils ne voient pas encore se concrétiser.
Conclusions
57Si les contraintes souterraines de Stari Trg/Stan Tërg restent presque les mêmes, la population de la mine a changé dans le temps, tout comme la manière dont elle est prise en considération et gérée par les pouvoirs institutionnels qui la gouvernent. Les travailleurs ont vécu le passé autogestionnaire, la discontinuité politique des années 1990 mais aussi l’indépendance kosovare. Ils ont été acteurs et témoins de ces diverses époques accélérées. Les changements de système politique, les mécanismes de domination, de contrôle et de conflit ont modifié les formes d’entraide et de confiance collective dans les espaces souterrains.
- 43 Humphrey Caroline, « Does the Category ‘Postsocialist’ Still Make Sense? », dans Chris M. Hann (dir (...)
- 44 Sabel Charles F., Work and Politics: The Division of Labor in Industry, Cambridge, New York, Cambri (...)
- 45 Müller Birgit, « Du travailleur socialiste à “l’homme nouveau” dans l’économie de marché », Ethnolo (...)
58Les histoires et les visions formulées par des membres des différentes générations permettent d’analyser la façon dont les pouvoirs ont agi sur la mine ainsi que les façons dont les travailleurs ont articulé et exprimé leurs relations souterraines au fil du temps. Les générations historiques existeront tant que les événements qui les ont façonnées continuent à modeler leur perception du monde43. Chaque génération historique a une vision du monde, entendue au sens de Charles F. Sabel44 comme les espoirs, les attentes, les peurs « ainsi que la carte du monde social qui pour chaque individu en résulte »45. Être né dans le Kosovo indépendant, avoir vécu sa jeunesse en pleine discontinuité politique ou avoir passé les deux tiers de sa vie dans le système socialiste peut changer les façons de voir, d’agir et de s’exprimer sur le monde.
59Avoir eu accès à un espace spécifique, cloisonné et souterrain pendant quelques heures m’a donné l’occasion de jeter une lumière sur une histoire complexe à partir de la figure du travailleur de la mine. Les rencontres et les entretiens également réalisés à la surface ont permis de faire de l’ethnographie une porte d’entrée dans la matière historique et une occasion pour revenir sur une histoire oubliée ou trop souvent invisible dans les analyses portant sur la ville de Mitrovica, « divisée » par les événements de la rupture de la Fédération socialiste yougoslave et de la guerre.
60Les dynamiques et les contextes restitués dans cet article permettent d’aborder le nord du Kosovo et les relations entre les habitants de Mitrovica (et des localités qui l’environnent) à partir d’une perspective sur le monde du travail et ses règles. En dépit de cette singularité, un certain nombre de questionnements soulevés dans cette analyse résonnent avec d’autres réalités minières – d’Amérique du Sud, d’Afrique – touchées par les discontinuités politiques. En cela, le cas de Stari Trg/Stan Tërg constitue un exemple qui ne doit pas être enfermé dans une spécificité sud-est-européenne ; au contraire, il peut devenir le point de départ d’une réflexion plus large, incluant des terrains dans des contextes étatiques et géographiques différents, où les relations interpersonnelles et intercommunautaires restent à explorer.
Notes
1 Dans cet article, j’emploie la double forme serbe/albanaise des toponymes.
2 Le plomb et le zinc sont les minéraux principalement exploités dans la mine. Cependant, il y a également des quantités mineures d’or et d’argent mélangées à d’autres minéraux.
3 Parmi les neuf mines, quatre sont actives (Crnac/Cërnac, Belo Brdo/Bello Bërdo, Stan Trg/ Stan Tërg, Novo Brdo/Artana) et les cinq restantes ne sont plus exploitées.
4 Troch Pieter, « Social Dynamics and Nationhood in Employment Politics in the Trepça Mining Complex in Socialist Kosovo (1960s) », Labor History, 2018, vol. 60, no 3, p. 217-234.
5 Pendant la période de la Yougoslavie socialiste, le Kosovo et la Voïvodine sont deux provinces autonomes de la République de Serbie.
6 Palairet Michael, « Trepča, 1965–2000 », Report to Lessons Learned and Analysis Unit to the EU Pillar of UNMIK in Kosovo, 2003, en ligne : https://www.esiweb.org/pdf/esi_bridges_id_2_a.pdf (consulté en septembre 2021).
7 Voir « The Ottoman Dilemma. Power and Property Relations under the United Nations Mission in Kosovo », Report to Lessons Learned and Analysis Unit of the EU Pillar and ESI, 2002, en ligne : https://www.esiweb.org/pdf/esi_bridges_id_2_a.pdf (consulté en septembre 2021).
8 Niveau de la mine. La mine de Trepča/Trepça se compose de 11 horizons : le 10e et le 11e sont les horizons en cours d’exploitation. Le 12e horizon n’est pas encore accessible en raison du manque d’investissements nécessaires pour le creuser.
9 Par respect de l’anonymat, les prénoms des interlocuteurs ne sont pas dévoilés.
10 Le bruit des machines souterraines et de l’eau aux bords des tunnels ainsi que leur conformation acoustique ont rendu l’exploitation de ces enregistrements particulièrement difficile, mais pas impossible.
11 À ce sujet, voir Archer Rory, Duda Igor, Stubbs Paul (dir.), Social Inequalities and Discontent in Yugoslav Socialism, Londres et New York, Routledge, 2016 ; Bonfiglioli Chiara, Women and Industry in the Balkans: The Rise and Fall of the Yugoslav Textile Sector, Londres, I.B. Tauris, 2020.
12 Josip Broz Tito (1892-1980) est nommé Premier ministre de Yougoslavie en 1945. Il sera, à partir de 1953, Président du Conseil exécutif fédéral de Yougoslavie jusqu’en 1980, année de sa mort.
13 Les habitants recensés en tant que Serbes sont les plus nombreux mais ils sont loin de détenir la majorité absolue (36,3 % de la population totale en 1981). L’ensemble des Slaves du Sud (Slovènes, Croates, Musulmans, Serbes, Monténégrins et Macédoniens) constituent 81,3 % de la population en 1981). Roux Michel, Les Albanais en Yougoslavie, Minorité nationale, territoire et développement, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1992, p. 30-31.
14 Article 1 de la Constitution fédérale de 1974.
15 Štiks Igor, Nations and Citizens in Yugoslavia and the Post-Yugoslav States: One Hundred Years of Citizenship, Londres, Bloomsbury Academy, 2015, p. 11 (traduction de l’éditeur).
16 Neveu Catherine, « Les enjeux d’une approche anthropologique de la citoyenneté », Revue européenne des migrations internationales, 2004, vol. 20, no 3, p. 89-101.
17 En distinguant entre narod (les peuples constitutifs de chaque république) et narodnost (nationalité, les minorités nationales habitant la Fédération), la constitution yougoslave façonne une distinction juridico-politique entre ces deux catégories pour désigner les groupes nationaux de la Fédération. Le deuxième terme indique les groupes qui ont déjà un État en dehors des frontières yougoslaves.
18 Le langage de la Ligue des communistes de Yougoslavie s’appuie sur la terminologie du Capital de Karl Marx. Dans la théorie marxiste, les moyens de production comprennent les instruments du travail (les outils, les machines) et les sujets du travail (les matériaux bruts).
19 Štiks, Nations and Citizens in Yugoslavia, op. cit.
20 Woodward Susan, « The Political Economy of Ethno-nationalism in Yugoslavia », Fighting Identities: Race, Religion and Ethno-Nationalism, vol. 39, (coll. « Socialist Register »), 2003, p. 73-92 (76).
21 Archer Rory, Musić Goran, « Approaching the Socialist Factory and its Workforce: Considerations from Fieldwork in (former) Yugoslavia », Labor History, vol. 58, no 1, 2017, p. 44-66 (48-49).
22 Toute entreprise socialiste est gérée par un conseil ouvrier de travailleurs qui compte de 15 à 120 membres selon les dimensions de l’établissement. Élu une fois par an, le conseil ouvrier nomme à son tour un autre organe : le comité de gestion, chargé de l’élaboration des statuts de l’entreprise et des plans de développement économique, de l’emploi du temps, de l’organisation du travail et des critères sur la base desquels diviser le gain net des travailleurs. Ces tâches sont toujours soumises à l’approbation du conseil ouvrier. Enfin, le directeur général de la mine, bien qu’il puisse faire des propositions, embaucher ou licencier quelqu’un à partir des critères institués par le conseil ouvrier, n’a qu’un pouvoir exécutif. Le conseil ouvrier des travailleurs occupe de ce fait la fonction d’organe suprême de prise de décision au sein de l’entreprise autogérée. Bianchini Stefano, La questione jugoslava, Milan, Giunti Editore, 1999.
23 Troch, « Social Dynamics and Nationhood », art. cit., p. 10.
24 Archer Rory, « “It was better when it was worse”: Blue-collar Narratives of the Recent Past in Belgrade », Social History, 2018, vol. 43, no 1, p. 30-55 (39) (traduction de l’éditeur).
25 Rutar Sabine, « Towards a Southeast European History of Labour: Examples from Yugoslavia », dans Sabine Rutar (dir.), Beyond the Balkans: Towards an Inclusive History of Southeastern Europe, Zürich, Berlin, LIT, 2014, p. 325-356 (328).
26 Vickers Miranda, Between Serb and Albanian: A History of Kosovo, Londres, Hurst & Co, 1998, p. 191.
27 Roux, Les Albanais en Yougoslavie, op. cit., p. 328.
28 Les citoyens yougoslaves peuvent se déplacer librement à l’intérieur de la Fédération sans devoir entamer des demandes d’autorisation de départ dans une autre république ou province autonome.
29 La présence majoritaire de travailleurs recensés comme Serbes et Monténégrins aux postes de travail les plus qualifiés est en partie expliquée par le défaut de bilinguisme jusqu’au début des années 1970, qui empêche les Albanais d’avoir accès à une scolarisation technique et universitaire. Souvent, les Serbes et les Monténégrins se formaient dans les autres républiques de la Fédération à cause du sous-développement régional kosovar, impliquant des apprentissages techniques et universitaires moins solides par rapport aux autres territoires de la Fédération. Cela a certainement impliqué une domination linguistique, culturelle et politique serbe en territoire kosovar. Par conséquent, les Serbes bénéficiaient d’un statut social et économique privilégié par rapport à la population albanaise du territoire.
30 Troch, « Social Dynamics and Nationhood », art. cit.
31 Bien que de telles revendications puissent exister au Kosovo et qu’elles puissent avoir joué un rôle important dans les alliances et le cadre politique kosovar-albanais des années 1990 jusqu’aujourd’hui (Duclos Nathalie, Courtiers de la paix : les vétérans au cœur du statebuilding international au Kosovo, Paris, CNRS Éditions, 2018), elles ne sont pas mises en avant par les mineurs engagés de Stari Trg/Stan Tërg.
32 Données issues d’un document interne de Trepča/Trepça produit par Tiosav Lazarević et repris par Palairet, « Trepča, 1965-2000 », op. cit., p. 16.
33 Au cours de ma recherche ethnographique, j’ai eu accès aux récits de ceux qui travaillent dans le nouvel espace reconfiguré de la mine, où la grande majorité s’identifie, donc, comme Albanais.
34 La mine de Artana à Novobërdo (Novo Brdo) est remise en fonction au même moment. Elle se situe plus au sud, dans le district de Prishtina/Priština. Sur ce sujet, voir le rapport « The Future of the Property Status of Trepça and its Development (revitalisation) Perspective », dans Delfinë Elshani, Erëza Pula (dir.), The Future of the Property Status of Trepça and its Development (revitalisation) Perspective, Prishtina, Group for Legal and Political Studies, 2015.
35 Povrzanović Frykman Maja, « Etnologija rata - pisanje bez suza? » [Une ethnologie de guerre - écriture sans larme ?], Etnološka tribina, vol. 15, 1992, p. 61-80.
36 L’un des problèmes les plus urgents soulevé par les forces internationales concerne la pollution produite par les sites métallurgiques et miniers, notamment la concentration excessive de métaux lourds présents dans les sols et les eaux.
37 Les institutions serbes du nord du Kosovo sont dites « parallèles » parce qu’elles continuent d’opérer – en opposition aux institutions kosovares – sur un territoire dont elles ne reconnaissent ni l’indépendance ni la souveraineté nationale.
38 Buden Boris, « The Children of Postcommunism », Radical Philosophy, vol. 159, 2010, p. 18-25.
39 Il s’agit des travailleurs qui avaient perdu leur poste à l’époque où le gouvernement de Slobodan Milošević avait imposé la reconnaissance de la fin de l’autonomie kosovare.
40 Il est important de noter que les groupes générationnels ne sont pas définis ici en fonction de l’année où ils ont obtenu leur poste à la mine. Il y a des travailleurs qui ont été embauchés au cours des années 1980 pour être licenciés dans les années 1990 et qui n’ont donc pas une expérience suffisamment longue du système autogestionnaire pour lui accorder une importance particulière.
41 Kobelinsky Carolina, « Le temps dilaté, l’espace rétréci. Le quotidien des demandeurs d’asile », Terrain. Anthropologie & sciences humaines, no 63, 2014, p. 22-37.
42 Crapanzano Vincent, Waiting: The Whites of South Africa, New York, Random House, 1985.
43 Humphrey Caroline, « Does the Category ‘Postsocialist’ Still Make Sense? », dans Chris M. Hann (dir.), Postsocialism: Ideals, Ideologies, and Practices in Eurasia, Londres, New York, Routledge, 2002, p. 12‑28 ; Heintz Monica, « Histoire accélérée et générations historiques. Le cas contrasté de la Moldavie et de la Roumanie (années 2000) », Ethnologie française, vol. 44, no 3, 2014, p. 399‑407.
44 Sabel Charles F., Work and Politics: The Division of Labor in Industry, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1982, p. 304.
45 Müller Birgit, « Du travailleur socialiste à “l’homme nouveau” dans l’économie de marché », Ethnologie française, vol. 27, no 4, 1997, p. 543-551.
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Référence électronique
Milena Pavlović, « Se partager en trois temps : pouvoirs et générations historiques de la mine de Stari Trg/Stan Tërg (Kosovo) », Balkanologie [En ligne], Vol. 16 n° 1 | 2021, mis en ligne le 01 juin 2021, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/2964 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/balkanologie.2964
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