Roberts (Elizabeth), Realm of the Black Mountain. A History of Montenegro
Roberts (Elizabeth), Realm of the Black Mountain. A History of Montenegro, London : Hurst & Co, 2007, 521 p.
Texte intégral
1L’auteure est une ancienne diplomate qui a enseigné l’histoire balkanique. Comme de nombreux historiens s’intéressant à la région, elle regrette de devoir s’appuyer sur des sources secondaires, mais les sources primaires ne sont accessibles qu’à partir du XIXème siècle.
- 1 La lutte entre l’Autriche-Hongrie, Venise et Napoléon incite le Monténégro à impliquer la Russie d (...)
- 2 La fuite du Roi Nikola, après la prise de Cetinje en janvier 1916 représente un trauma national, s (...)
- 3 La révolte des Verts (indépendantistes) est soutenue par Victor Emmanuel III qui a épousé Jelena, (...)
2Après avoir critiqué l’école du primo-occupant (qui stipule que les groupes nationaux sont restés purs dans une région de croisement de routes commerciales et à la frontière d’empires plurinationaux), l’auteure revient sur les premiers siècles de la péninsule balkanique, avec les différentes invasions jusqu’à l’installation des Slaves dans la région (fondation de la Raška au IXème siècle [cœur de l’empire médiéval serbe], et de la Duklja/Zeta au Xème). Puis elle passe en revue les évolutions historiques du Monténégro et ses interactions avec l’identité nationale. Elle met en exergue les possibles vecteurs d’identité distincte sans oublier que les populations sont attachées à une identité locale ; et elle souligne les combats dynastiques, notant que, jusqu’au XVIIIème siècle, le seul concept identitaire existant est l’opposition aux Ottomans. Elle montre comment les dirigeants de l’État hésitent, sans suite chronologique, et sans lien avec les accroissements territoriaux successifs, entre hégémonie du Monténégro1 et union de deux États -Serbie-Monténégro- sans ou avec choix de la dynastie dominante, jouant avec les Grandes Puissances tout en étant leur jouet. Nikola hésite entre ces deux « courants », passant du deuxième au premier au gré des relations avec la Serbie. La Première Guerre mondiale accélère l’unification souhaitée par l’opposition, jusqu’à la proclamation de l’union du Monténégro en 1918, autre vecteur de guerre civile2 qui s’éteint avec le Traité de Rapallo3.
3Le traitement octroyé par le centre politique durant l’entre-deux-guerres au Monténégro est vecteur de césures dans l’identification nationale (unification imposée, non-respect de la tradition monténégrine et de l’identité historique du Monténégro [pourtant proclamé « Piémont serbe »], suppression de l’Église autocéphale, aucun support économique : entré dans la guerre en tant qu’État indépendant aux côtés des victorieux, il est le seul à ressortir sans restauration d’indépendance). Ces scissions politico-identitaires se retrouvent durant la Deuxième Guerre mondiale, les séparatistes (verts) soutenant les fascistes italiens dans l’établissement d’un État fantoche, tandis que les unionistes (blancs) intègrent les troupes četnik.
- 4 Cf. Ramet (Sabrina P.), Nationalism and Federalism in Yugoslavia, Bloomington : Indiana UP, 1992.
- 5 Le CC PCM a demandé l’intégration du Sandžak, la plaine de Sutorina, Dubrovnik, l’Herzégovine, la (...)
- 6 Qui est liée au statut politique et au faible travail associé, vecteur d’une image de fainéantise, (...)
4La propagande communiste de reconnaissance de l’identité monténégrine rallie une bonne partie des verts. Cette reconnaissance a une limite (celle de l’équilibre des pouvoirs4), et les frontières fixées en 1946 ne répondent pas pleinement aux demandes formulées par le Comité Central du Parti Communiste du Monténégro5. À l’instar des autres Républiques, les sentiments nationaux n’ont pas été annihilés et la Fédération représente un moindre mal. La sur-représentation monténégrine dans les organes du Parti, dans l’armée suscitent notamment la jalousie des Serbes et est vecteur de la caractérologie nationale6 ; élément auquel il faut associer la politique fédérale d’aide aux Républiques “moins développées”, dont le Monténégro profite largement, sans résultat probant.
5“Communisées”, les élites monténégrines soutiennent Slobodan Milošević. Cependant, trois courants sont à distinguer : soutien aux Slaves du Kosovo, lutte contre la crise économique, soutien à une vraie réforme politique et économique (à diviser entre pluralisme socialiste et pluralisme multipartite). Ce soutien se traduit notamment par la participation du Monténégro aux attaques contre Dubrovnik et au plébiscite pour rester avec la Serbie en 1992.
- 7 Le mécontentement de la politique menée expliquerait le bond lors du recensement 2003 du nombre de (...)
6En 1993, le débat identitaire refait surface avec la question de l’Église (et en réaction au grand-serbisme de S. Milošević). Mais ce n’est qu’aux fêtes de Pâques de 2000 que le DPS (Demokratska Partija Socijalista – Parti Démocratique des Socialistes) reconnaît l’Église orthodoxe monténégrine. Dans sa volonté de s’isoler de S. Milošević (et de faire oublier l’association Serbie-Monténégro dans la guerre contre la Croatie vis-à-vis de l’“opinion internationale”), M. Djukanović, après s’être emparé du DPS en 1997, s’oriente de plus en plus vers l’indépendance (et non plus une simple autonomie fédérale). La chute de S. Milošević en octobre 2000 remet en cause le soutien occidental au Monténégro (qui n’a jamais été un soutien à l’indépendance) : M. Djukanović est prié de soutenir Vojislav Koštunica dans la recherche d’une solution commune au statut du Monténégro (du fait d’un éventuel risque de répercussion sur le Kosovo) ; dans le même temps des rumeurs courent sur l’implication du jeune président du Monténégro dans des affaires mafieuses. Finalement, en février 2003, les accords de Belgrade aboutissent à une union Serbie-Monténégro bancale (péjorativement appelé “Solania”). Mais on parle de plus en plus d’indépendance du Kosovo, et l’effet domino théorique de la séparation du Monténégro n’a plus lieu d’être. L’État fait face à des problèmes lourds de pauvreté, de chômage et de corruption7. Tous les arguments politiques et nationaux sont évoqués dans le cadre de la campagne du référendum qui, le 21 mai 2006, aboutit à la restauration de l’indépendance du Monténégro. Finalement, le choix est pris par les Monténégrins et non plus par les Grandes Puissances. L’auteure conclut par le fait que ce résultat doit être accompagné d’une politique nationale qui ne met pas en exergue les différences, afin de ne pas aliéner une partie de la population, d’apaiser les éventuelles tensions nationales, et d’instaurer une prospérité économique (qui, à ce jour, est loin d’être survenue).
- 8 Les Monténégrins ne s’identifient pas au Monténégro (au contraire des autres groupes nationaux, se (...)
7Elle met en avant le jeu des Grandes Puissances autour du Monténégro, qui est au croisement de deux mondes, catholique et orthodoxe, en recherche constante d’alliances (vénitiennes, autrichiennes, russes, herzégoviniennes, albanaises, serbes). Peut-être attribue-t-elle une surdétermination au rôle de ce petit État dans les luttes des Grandes Puissances (mais son débouché maritime a été vecteur de nombreuses tractations). Elle présente les différentes versions disponibles pour l’interprétation des événements, expliquant quand ils ne sont pas élucidés que chaque camp reste figé sur ses affirmations sans pouvoir les prouver (les origines des Illyriens, de Nemanja, des Balšići, les historiographies de la bataille de Kosovo Polje, la Couronne des Montagnes et le supposé massacre de 1702, la conspiration de destitution de Nikola, ...). Ayant annoncé vouloir détacher l’histoire du Monténégro de la « monténégritude »8, elle dresse habilement l’histoire de cet État avec, en filigrane, des clefs pour comprendre la question nationale monténégrine.
Notes
1 La lutte entre l’Autriche-Hongrie, Venise et Napoléon incite le Monténégro à impliquer la Russie dans la création d’un État sud-slave, dont la place centrale reviendrait au Monténégro, sous l’égide de Petar. C’est dans cette tentative que se fonde l’histoire politique du Monténégro comme centre d’un État sud-slave étendu avec le soutien de la Russie, même quand le Tsar abandonne son soutien et que le Monténégro continue le combat contre Napoléon.
2 La fuite du Roi Nikola, après la prise de Cetinje en janvier 1916 représente un trauma national, sans que le soutien aux Petrović cesse pour autant. L’entrée des armées serbes après la chute de l’Autriche-Hongrie est le premier vecteur de la guerre civile. Quant aux raisons de cette révolte, elles sont multiples : opposition à l’intégration à la Serbie, loyauté au roi, préservation de l’identité monténégrine ; sans qu’on puisse réellement déterminer laquelle prédomine.
3 La révolte des Verts (indépendantistes) est soutenue par Victor Emmanuel III qui a épousé Jelena, une des filles de Nikola. Le traité de Rapallo met un terme à la dispute sur Trieste, et au soutien du Roi d’Italie.
4 Cf. Ramet (Sabrina P.), Nationalism and Federalism in Yugoslavia, Bloomington : Indiana UP, 1992.
5 Le CC PCM a demandé l’intégration du Sandžak, la plaine de Sutorina, Dubrovnik, l’Herzégovine, la Metohija. Les Bouches de Kotor sont intégrées dans le territoire en échange de régions kosovares attribuées à la Serbie.
6 Qui est liée au statut politique et au faible travail associé, vecteur d’une image de fainéantise, de vanité, de misogynie (perception exogène) ; à opposer à la bravoure, l’intelligence, l’éducation et la fierté (perception endogène).
7 Le mécontentement de la politique menée expliquerait le bond lors du recensement 2003 du nombre de Serbes, passant de 10% en 1991 à 30% en 2003.
8 Les Monténégrins ne s’identifient pas au Monténégro (au contraire des autres groupes nationaux, serbes, croates…), tiraillés qu’ils sont entre la monténégritude et la serbité, les intérêts de l’État monténégrin et celui des Serbes.
En outre, l’ambivalence nationale n’est pas homogène (monténégrin aux alentours de la vieille capitale Cetinje ; serbe dans les régions proches de la Serbie ; mixte dans l’actuelle capitale et sur la côte où l’affinité clanique est atténuée et l’influence méditerranéenne se ressent, exception faite d’Herceg Novi, dont la population est herzégovinienne ou serbe, rattachée au Monténégro après la Deuxième Guerre mondiale).
Pour citer cet article
Référence électronique
Patrick Michels, « Roberts (Elizabeth), Realm of the Black Mountain. A History of Montenegro », Balkanologie [En ligne], Vol. XIII, n° 1-2 | 2011, mis en ligne le 16 décembre 2011, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/2323 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/balkanologie.2323
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