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Notes de lecture

Livanios (Dimitris), The Macedonian Question. Britain and the southern Balkans. 1939-1949

Oxford : Oxford University Press, 2007, xv + 274 p. (Oxford historical monographs).
Joseph Krulic
Référence(s) :

Dimitris Livanios, The Macedonian Question. Britain and the southern Balkans. 1939-1949, Oxford : Oxford University Press, 2007, xv + 274 p.

Texte intégral

1Sur une question réputée pour son caractère complexe ou “intraitable”, l’auteur apporte une synthèse rénovée, nuancée, évitant les anachronismes. L’ouvrage se situe au carrefour de l’histoire des relations internationales et d’une étude de cas de sociologie historique d’un processus de “nationalisaion” d’une société paysanne, ou, si l’on préfère, à la croisée de Jean-Baptiste Duroselle et d’Ernst Gellner. L’auteur se fonde sur une étude très minutieuse des archives du Foreign Office sur plusieurs décennies et la synthèse d’une très vaste bibliographie.

2Certes, la question macédonienne a déjà suscité beaucoup de travaux, et le rôle du Royaume-Uni dans cette région suscite l’attention des observateurs et des chercheurs depuis plus d’un siècle. Les relations entre les affaires bulgares, l’évolution de la Yougoslavie ou les guerres balkaniques ont déjà été explorées. Mais le rentrage sur le rôle du Royaume-Uni vu à travers le prisme des archives britanniques constitue l’originalité de l’ouvrage.

3La question macédonienne n’est pas éternelle, comme le remarque l’auteur après bien d’autres. Elle naît au carrefour d’une certaine conjoncture des relations internationales en 1878-1918, connaît d’importants prolongements en 1918-1941, un paroxysme en 1941-1949, avant de connaître un relatif apaisement. La Grande-Bretagne exerce son influence entre le traité de San Stefano (1878) et jusqu’à la fin de la guerre civile grecque (1949), jonglant entre les influences allemandes, russes et celles des diverses puissances ou entités balkaniques.

  • 1 Weber (Eugen), From Peasants into Frenchmen : the modernization of rural France 1870-1914, Stanford (...)

4L’auteur se réfère explicitement aux théories d’Ernst Gellner (cf. p. 8) qui trouve, en effet, en la Macédoine un cas emblématique. Quand un chef local demandait aux villageois, pendant la période 1870-1908, s’ils étaient “Grecs” ou “Bulgares”, il obtenait la réponse qu’il désirait (p. 12), mais l’allégeance changeait en une nuit. Les Grecs essayaient de capitaliser les loyautés religieuses au patriarcat, tandis que les Bulgares ont tenté de susciter un attachement à la langue, même si les motivations s’efforçaient de créer un nationalisme linguistique. L’auteur suggère un parallèle intéressant entre la « nationalisation » des Macédoniens, qui fut d’abord une “bulgarisation”, et le processus de “nationalisation” des paysans français à la fin du XIXème siècle, en suivant les analyses d’Eugen Weber1.

5Dans le cadre de cette méthodologie clairement assumée, le plan chronologique permet de faire une relecture qui mène la Macédoine de l’empire ottoman à la constitution d’une République de Macédoine, adhérant à la fédération populaire de Yougoslavie, au travers de trois guerres, d’une révolution fondatrice en 1903, de phénomènes terroristes divers et de retournements idéologiques notables. Dans cette évolution, la puissance britannique a joué un rôle variable, sans doute moins décisif qu’on ne l’imagine, sauf au début et à la fin de la période concernée. Certes, le rôle de la Grande-Bretagne dans le jeu des Grandes puissances, des nationalistes et des communistes locaux a sa logique propre. En 1913, à la Conférence de Londres, le Royaume-Uni prend acte de la défaite de l’empire ottoman ; pour l’essentiel, la Macédoine est rattachée à la Serbie et la Grèce, sous réserve de la Macédoine de Pirin, rattachée quant à elle à la Bulgarie. En 1944-1948, une république de Macédoine est constituée dans la Yougoslavie titiste, ce que les Anglais acceptent dans le cadre d’un appui militaire à Tito, puis d’un partage des sphères d’influence avec Staline, compliqué par la rupture du 28 juin entre Tito et le Kominform.

6Cette rupture facilite la défaite des communistes en Grèce. Or, l’armée communiste grecque avait une forte composante “Slavo-Macédonienne”, et beaucoup pouvaient rêver à une intégration des trois parties de la Macédoine dans une “fédération balkanique” communiste. Cette rupture Tito-Staline aboutit, par un effet induit non prévu, au respect du fameux accord informel du 13 octobre 1944 sur les “pourcentages” entre Churchill et Staline (Yougoslavie relevant d’un partage d’influences, la Grèce à 90% sous l’influence britannique). Mais le chemin pour aboutir à cette stabilisation fut sinueux et semé d’embûches. Les deux vagues successives de négociations entre Yougoslaves et Bulgares sur la fédération balkanique (décembre 1944-février 1945, et février 1948) ont montré les divergences entre les deux États — les Yougoslaves tendant à considérer la Bulgarie comme la septième république yougoslave, tandis que la Bulgarie se concevait comme la deuxième composante de la fédération). Ces dissensions ont été manipulées par Staline qui, tour à tour, a pris le parti de l’une et de l’autre pour finalement se ranger avec la Bulgarie en février 1948. La condamnation de Tito par le Kremlin, le 28 juin 1948, trouve ici une de ses racines.

7Les Britanniques étaient traditionnellement hostiles à ce type de fédération, comme le montre, par exemple, une note de Neville Henderson, ambassadeur à Belgrade en 1934. La simple circonstance que les Russes, après 1944, soutiendraient probablement cette fédération, la rendait suspecte. Ce qui était apparaissait dangereux pour Londres était la constitution d’un ensemble slave contre une Grèce que les Britanniques voulaient garder sous leur influence, dans ses frontières d’avant 1941, et en tous cas sous influence occidentale. Les aspirations irrédentistes de la Macédoine communiste les inquiétaient et ils n’étaient pas les seuls. Les Grecs, même communistes, et, plus discrètement, les Bulgares, n’admettaient pas réellement une “réunification” à la Yougoslavie de la Macédoine. La position britannique a été officiellement communiquée « aux États intéressés » le 28 janvier 1945 (p. 168), à la veille de la conférence de Yalta. Les projets de fédération ont été bloqués en mars 1945, jusqu’à la querelle suivante entre Bulgares et Yougoslaves dans la dernière rencontre où les dirigeants titistes (Kardelj, mais pas Tito) ont vu Staline ( à la fin de février 1948).

8La consolidation d’une république yougoslave de Macédoine et la rupture soviéto-yougoslave de 1948 ont satisfait les objectifs immédiats de Londres. Ces événements étaient restés imprévus, du moins si l’on postule comme les diplomates britanniques de l’époque que l’URSS avait un contrôle complet des acteurs communistes, ce qui s’est avéré exagéré, malgré le rôle régulateur du Komintern avant 1943 et le rôle plus déclaratif du Kominform comme l’a montré la thèse de Lily Marcou sur Le Kominform.

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Notes

1 Weber (Eugen), From Peasants into Frenchmen : the modernization of rural France 1870-1914, Stanford University Presss, 1976.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Joseph Krulic, « Livanios (Dimitris), The Macedonian Question. Britain and the southern Balkans. 1939-1949 »Balkanologie [En ligne], Vol. XII, n° 1 | 2010, mis en ligne le 02 avril 2010, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/2149 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/balkanologie.2149

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Auteur

Joseph Krulic

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