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Notes de lecture

Cathie CARMICHAEL, Ethnic cleansing in the Balkans. Nationalism and the destruction of community

London / New York : Routledge, 2002 [Bibliogr., Index], 192 p.
Patrick Michels
p. 234-236
Référence(s) :

Cathie CARMICHAEL, Ethnic cleansing in the Balkans. Nationalism and the destruction of community, London / New York : Routledge, 2002 [Bibliogr., Index], 192 p.

Texte intégral

1Pendant un temps, on a pu lire de ci de là, un nombre incroyable (et très certainement incalculable) de textes traitant ou évoquant le « nettoyage ethnique ». Plusieurs chercheurs ont tenté d'en poser une définition ; d'autres d'en tirer des leçons ; certains d'établir un parti politique ; d'autres de soutenir une cause,...

2Certains ont cherché à en démontrer les mécanismes, les invariants ; d'autres ont rattaché cette idéologie à une nation particulière, pratiquant un racisme autrement vilipendé. Certains, outrés, choqués, sous le poids de l'émotion, se sont tus ; d'autres encore ont conspué. Certains ont pris le temps d'analyser ; d'autres celui de réagir ;...

3À cette époque, le plus souvent dans la presse, les « analyses » rapides permettaient l'économie d'une réflexion sur ce phénomène ; les réactions vives, les bribes d'information nous parvenant pressaient les études. C'est à cela que nombre de chercheurs ont réagi. Cathie Carmichael fait partie de ceux qui ont objectivé leur sujet d'étude. Certains pourront regretter le manque de sentimentalité nécessaire à cette pratique, d'autres se féliciteront de cette démarche scientifique.

4La problématique de l'ouvrage est de « définir ce que ce terme signifie et placer les événements encadrant la pratique du nettoyage ethnique dans un contexte géographique et historique plus large ». Le nettoyage ethnique n'est pas tant un phénomène balkanique que lié au nationalisme, son présupposé étant que « les origines du nettoyage ethnique sont presqu'entièrement idéologiques », mais qu'« en tant que phénomène, il n'est certainement pas restreint à l'Europe du sud-est, ni n'en est issu », les origines religieuses et nationalistes de cette violence se trouvant dans la pensée et la pratique politique européennes. L'auteur s'intéresse aux actes symboliques de cruauté, ainsi qu'à la construction artificielle de la haine et de l'altérité.

5C. Carmichael rappelle comment s'est déroulée l'intégration du nationalisme dans les Balkans (destruction d'une bonne partie de la tradition, avec une reconceptualisation de l'histoire et la perception de son identité comme civilisée et « non musulmane » ; complication due à une différentiation axée sur la religion, langue et race étant identiques [Pomaks / Bulgares ; Serbes, Croates, Monténégrins / Musulmans] ; domination de la version centre-européenne du nationalisme ; transformation en doctrine de libération de l'oppression étrangère ;...). Elle passe en revue les discours anti-musulmans dans les Balkans, qui s'intègrent peu à peu dans la culture populaire, bénéficiant du soutien occidental, avant de devenir une pratique violente et meurtrière. Elle évoque la mobilisation de la tradition des bandits (rebelles prêts à se soulever pour venir en aide aux chrétiens contre les musulmans) dans les guerres de dissolution, ne manquant pas de relever que l'abus de drogues et d'alcools, et la pratique du viol sont en contradiction avec cette tradition.

6Elle revient sur nombre de fausses vérités qui ont été assénées. Le nettoyage ethnique a pris place là où les populations étaient profondément intégrées ; elle rappelle qu'il s'est déroulé des mini-guerres locales, que, parfois, les antipathies entre certains villages sont ressorties au grand jour (notamment en Macédoine), estimant que « les individus n'oublient pas ce qui s'est déroulé pendant la guerre et la crise et masquent leur hostilité jusqu'au moment où il leur est possible de se venger » (p. 78). Le passage à l'acte, même s'il se produit dans un sentiment de « juste vengeance », n'empêche pas pour autant le sentiment de culpabilité. C'est aussi ce qu'a constaté le psychiatre Frank Fanon chez les révolutionnaires algériens.

  • 1 « En dépit de ces explosions occasionnelles de nationalisme, les relations entre les nationalités s (...)

7S'il est légitime de se demander pourquoi les appels à la haine ont connu une telle réponse, il ne faut pour autant oublier que nombreux sont ceux qui ont refusé d'y succomber. On constatait le même travers dans les études sur les problèmes de cohabitation multinationale, qui, marquant les manifestations de nationalisme, effaçaient celle qui existait1. Si les bourreaux sont des voisins, ceux qui viennent en aide le sont également (p. 79). En fait, seulement quelques milliers d'individus ont été impliqués dans les combats (p. 106).

8C. Carmichael critique les thèses ethno-psychiatriques mises en avant : le type dinarique violent et barbare (J. Cvijić a repris les stéréotypes émis par les voyageurs italiens, allemands, français, anglais ; ses thèses ont été réitérées par D. Tomašić, M. Djilas, A. Ciliga,...), les montagnards contre les citadins. Il s'agit, en fait, d'une tentative de délocaliser la responsabilité de la violence et des combats. Même l'opposition belgradoise voulait situer le mal dans les zones rurales afin de pouvoir croire en sa propre innocence

  • 2 Un Bosniaque croate à Tone Bringa, rapporté in Bell (Martin), In Harm's Way. Reflections of a War-Z (...)

9Elle revient sur l'harmonie inter-ethnique et la tolérance durant la Yougoslavie d'après guerre et la perception qu'en avait la population : « oui, nous vivions en paix et en harmonie [durant la période titiste], parce que chaque 100 mètres, il y avait un policier pour s'assurer que nous nous aimions les uns les autres »2. Toutefois, elle estime que la Yougoslavie n'a pas survécu assez longtemps pour devenir l'équivalent d'une identité britannique ou américaine unissant différents peuples avec une expérience historique commune. Mais, l'idéologie des Partisans n'en était liée qu'à une seule qui ne pouvait pas être continuellement réinventée.

  • 3 Parmi ceux qui ont avancé cette thèse, cf. Girard (Claude), « Une guerre “tribale” en Yougoslavie ? (...)

10Il faut regarder les guerres de dissolution yougoslave non pas comme faisant partie d'une spirale de violence, mais comme un ensemble de conditions historiques singulières, avec des causes, des effets et une finalité. Si l'on adopte cette perspective, on constate alors de fortes similitudes avec la formation des États, telle qu'elle s'est déroulée sur le sol européen. Si les Balkans ont connu une telle effervescence ethnique, cela est largement dû à l'impact des idéologies européennes (nationalisme, fascisme, communisme) mélangées aux pratiques religieuses et cultures traditionnelles autochtones. On assisterait donc à une européanisation des Balkans (p. 109)3 ; des idéologues ont encouragé l'imposition de frontières par des extrémistes en utilisant la crise pour forcer des personnes normales et équilibrées à accomplir des actes dont elles n'auraient même pas rêvé en temps normal (p. 110). Il ne faut donc pas oublier que la construction de la haine de l'autre et de l'exclusion n'est pas normale et, souvent, est en contradiction avec l'expérience vécue. Toutefois, les sociétés multiethniques ne peuvent pas survivre s'il n'y a pas d'éducation ni d'autres formes de soutien idéologique, ni, non plus, si la prospérité n'est pas au rendez-vous.

  • 4 Par exemple, Bell-Fialkoff (Andrew), Ethnic cleansing, New York : St Martin Press, 1996 (ou synthès (...)

11Le travail de C. Carmichael n'est pas une histoire du nettoyage ethnique, comme on a pu en lire par ailleurs4. Il s'agit d'une étude de ce phénomène dans les Balkans. Le sujet est remis en perspective, de nombreuses comparaisons infra et extra balkaniques (les Grecs à Istanbul en 1823, les Croates par rapport aux Musulmans, les Turcs vs les Arméniens, la Macédoine égéenne, la Bulgarie dans les années 1980 ; le Rwanda, Shakespeare [francophobe, antisémite] par rapport à Njegoš [antimusulman], le Kosovo par rapport au “joug normand” des Anglais, la politique de Mussolini en Istrie et en Dalmatie dans l'entre deux guerres, Vukovar par rapport à Drogheda, l'Algérie), malheureusement très brèves, un recadrage des éléments disponibles (discours, entretiens) font que si les Balkans sont le point central de cette étude, l'auteur s'en sert pour délégitimer l'autochtonéité du phénomène de nettoyage ethnique. C. Carmichael n'insiste pas sur les leviers de mobilisation, mais passe en revue les divers éléments qui peuvent être mis en exergue pour “réveiller” les haines. Toutefois, malgré tout l'intérêt de ce travail, on ne peut s'empêcher de penser qu'il s'agit d'une introduction d'un ouvrage plus vaste, que les bases sont posées et qu'il reste à y asseoir un appareil critique plus consistant et développer les exemples cités. Cela tient peut-être à une directive de l'éditeur ? Mais, bien que synthétique, la problématique est posée d'une façon qui mérite attention.

12Bien évidemment, l'ouvrage n'est pas exempt de coquilles, même si elles sont rares. Nous en retiendrons deux : d'abord, sur la carte figurant page iii, le Monténégro fait partie, au même titre que le Kosovo, de la Serbie, tandis que la Voïvodine a disparu, devenant la deuxième province de cette république ; ensuite, c'est en vain qu'on cherchera la note 78 de l'introduction (« The destruction of tradition »), on passe directement de la 77 à 79.

13Cathie Carmichael s'intéresse à l'histoire européenne, notamment aux idéologies du nationalisme et du communisme, à l'ancienne Yougoslavie et la Russie, aux processus d'édification étatique et travaille actuellement sur l'impact de la question arménienne dans l'entre-deux-guerres en Europe. Elle a par ailleurs publié une bibliographie commentée sur la Slovénie (1996) et une autre sur la Croatie (1999) et co-édité de nombreux ouvrages (dont Language and Nationalism in Europe, 2001).

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Notes

1 « En dépit de ces explosions occasionnelles de nationalisme, les relations entre les nationalités se sont signifiquement améliorées pendant la phase “socialiste” de l'histoire yougoslave, exception faite du Kosovo ». Hashi (Iraj), « The disintegration of Yugoslavia », Capital and class, (48), 1992, p. 70.

2 Un Bosniaque croate à Tone Bringa, rapporté in Bell (Martin), In Harm's Way. Reflections of a War-Zone Thug, Harmondsworth : Penguin, 1996, p. 123, cité p. 81.

3 Parmi ceux qui ont avancé cette thèse, cf. Girard (Claude), « Une guerre “tribale” en Yougoslavie ? Un éclairage comparativiste entre Afrique et Balkans », Afrique 2000, (9), mai 1992

4 Par exemple, Bell-Fialkoff (Andrew), Ethnic cleansing, New York : St Martin Press, 1996 (ou synthèse dans « A brief history of ethnic cleansing », Foreign Affairs, 72 (3), summer 1993).

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Pour citer cet article

Référence papier

Patrick Michels, « Cathie CARMICHAEL, Ethnic cleansing in the Balkans. Nationalism and the destruction of community »Balkanologie, Vol. VII, n° 2 | 2003, 234-236.

Référence électronique

Patrick Michels, « Cathie CARMICHAEL, Ethnic cleansing in the Balkans. Nationalism and the destruction of community »Balkanologie [En ligne], Vol. VII, n° 2 | 2003, mis en ligne le 19 février 2009, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/balkanologie/1973 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/balkanologie.1973

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Auteur

Patrick Michels

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