1La transition écologique est à la mode et concentre l’attention de tous. Au sommet de l’agenda politique européen et français, le concept embarque médias et universitaires, les uns fascinés, les autres intrigués. Aux académiques de refroidir un débat devenu brûlant, d’autant plus qu’il confond pêle-mêle les incendies du bout du monde avec la crise sanitaire, l’étalement urbain et la fonte des glaciers. Le terme de transition plaît sans doute parce qu’il évoque le mouvement, l’avenir qui se construit. C’est aussi tellement plus commode de parler du futur pour mieux se détourner des contraintes du présent et du poids de nos héritages. L’écologie séduit quant à elle, presque par nature, en particulier des citadins en mal d’espace, en particulier d’espaces verts et d’air pur.
2Certes, mais il y a quelques forces d’inertie à prendre en compte face au mouvement ; les permanences sont à considérer tout aussi bien que les ruptures pour apprécier la réalité du monde contemporain. Et puis, l’écologie, surtout dans son acception la plus radicale qui tendrait presque à réduire l’Homme à un simple facteur d’entropie, ne peut faire l’impasse de l’économie et de facteurs sociaux. Les espaces urbains ne sont pas les seuls en jeu et les populations périurbaines, rurbaines ou rurales méritent également attention. Dans une vision humaniste de l’écologie, il faut apprendre à concilier les termes d’un développement durable [Libaert & Guérin 2008] qui, pour le coup, tente d’intégrer toute la complexité de la société dans son environnement. Le climat de la fin du siècle est source de préoccupation [Degron 2012, 2020]. Le climat économique et social d’aujourd’hui n’est-il pas source de plus d’inquiétudes encore ?
3Comme le soulignait déjà Alexander Von Humboldt, « la Géographie est la science du tout » [Gayet 2006] et c’est sans doute notre responsabilité à la fois scientifique et sociétale de géographe que de resituer le débat sur la transition écologique, en particulier dans sa dimension énergétique et climatique dans une perspective plus vaste que celle dans laquelle on souhaiterait nous enfermer. Reste à fixer l’échelle où commencer de situer le débat. Nous procéderons avec mesure en partant de notre espace de référence le plus commun : l’Union européenne.
4Il y a une cohérence à la fois géographique et juridique à parler non pas d’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, mais d’Union européenne et de ses 27 États membres. L’Union est à la fois un espace géographique de référence, au périmètre d’ailleurs non stabilisé, et un espace de régulation de certaines politiques publiques. Depuis les années cinquante, nous sommes embarqués dans une construction communautaire qui s’est emparée des questions environnementales en 1986, avec l’Acte Unique. Depuis lors, elle n’a cessé de s’affirmer comme le rempart aux dérèglements climatiques, championne de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. La vie des sociétés européennes, de ses États membres pour être plus précis, ne se réduit pas cependant à une course au mieux-disant climatique. Les Européens travaillent, nouent des solidarités, occupent un territoire qui ne se résume pas aux seuls métropoles suréquipées en moyens de transports en commun rendant ainsi possible, pour ceux qui y vivent, l’abandon des véhicules individuels à combustion fossile. En France par exemple, l’État conserve les compétences d’assurer la cohésion sociale et territoriale, de lever l’impôt et les taxes. Dans cet édifice institutionnel multiscalaire qui renvoie aux réflexions sur la gouvernance multi-niveau et ses dysfonctionnements, il est sans doute bon d’examiner la cohérence de l’ensemble en termes de développement durable. Un risque est en effet que la disruption écologique en faveur d’une transition toujours plus rapide vers un état futur idéalisé des milieux se heurte à la permanence des territoires, de leur économie, de leur population qui gèrent le quotidien au présent de l’indicatif.
5Partant d’une analyse de ce que pèsent les émissions de GES de l’Union à l’échelle du Monde, assez peu au demeurant, il nous faudra questionner une inflation normative galopante en matière de lutte contre le réchauffement climatique global (1). Car à l’ambition communautaire de toujours faire plus et plus vite en matière d’environnement, répond la permanence d’un système de gouvernance européen qui laisse de côté la dimension sociale et la diversité des échelles territoriales d’un développement durable finalement mis à mal. En France, la crise des gilets jaunes nous a rappelé l’importance de considérer « le tout », faute de quoi, c’est l’unité politique d’un pays, et demain, peut-être, d’un continent politique que l’on pourrait briser. Le nouveau Pacte vert européen (European Green Deal) appelle ainsi un effort de réflexion globale sur l’avenir de notre société, notamment dans sa dimension écologique mais pas uniquement (2).
6Bien que les questions de lutte contre le changement climatique soient devenues centrales dans le débat public européen, force est de constater que l’Union pèse relativement peu à l’échelle mondiale en matière d’émission de gaz à effet de serre (GES). Selon les dernières données disponibles de 2012 de la Banque mondiale, l’UE émet 8,9 % de l’ensemble des GES, derrière l’Afrique (10,8 %), l’Amérique du Nord (13,9 %) et très loin derrière la Chine qui représente à elle seule près du quart des émissions mondiales (24,3 %).
7Assez loin derrière l’Union européenne, le cas de l’Inde et des autres pays d’Asie (hors Chine, Japon et Corée du Sud) alerte non par le niveau actuel des émissions (5,7 % pour l’Inde et 6,9 % pour les autres pays du champ) que par les dynamiques qui sont à l’œuvre. En pleine phase de croissance démographique et économique, ces pays ainsi que la Chine n’ont pas fini de rehausser leur contribution à l’augmentation de l’effet de serre. Globalement, ces émissions ont crû de 63,5 % sur la période. Concernant la Chine tout d’abord, on constate une progression de 350 % des émissions en une cinquantaine d’années. La hausse est de 310 % pour l’Inde. En vis-à-vis, le cas des États-Unis révèle une quasi stabilité des émissions de dioxyde de carbone. Au sein de l’Union, les rejets de CO2 ont baissé de 19,4 %, près d’un cinquième, en cinquante ans. Cette évolution n’est d’ailleurs pas seulement dû à des initiatives de nature politique mais à la profonde mutation de l’appareil industriel dans les PECO, suite à l’effondrement du bloc soviétique, ainsi que, plus récemment, aux effets de la grande crise économique des années 2008-2012 qui a non seulement altéré les niveaux de production et donc d’émission de manière instantanée mais également provoqué un courant de délocalisation hors UE.
8Préoccupante par sa dynamique, la hausse des émissions de GES, en particulier de CO2, renvoie l’image d’une politique internationale de lutte contre le changement climatique dépassée. Certes, les pays dit développés mettent en place des systèmes de limitation, voire de réduction, mais l’essentiel est ailleurs, dans les pays nouvellement industrialisés ou en développement qui ne sont pas couverts par des objectifs de régulation au titre de l’annexe II de la Convention cadre des Nations Unies contre le changement climatique du 9 mai 1992. Conciliant les principes de précaution, de responsabilité commune mais différenciée et de droit au développement, la CCNUCC et ses principaux protocoles d’application, en particulier le Protocole de Kyoto du 11 décembre 1997, ne soumettent que les pays développés à des objectifs contraignants de réduction des émissions de GES. L’Accord de Paris de 2015 a prolongé cette différenciation pour la période 2021-2030 dans le cadre du mécanisme des contributions déterminées au niveau national (CDN ou NDC en anglais).
- 1 Rapport dit Brundtland ou plus exactement Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et (...)
9Le développement durable dont l’Union se réclame (cf. Article 6 du TUE) implique de gérer de manière intégrée des compétences dans les domaines de l’économie, du social et de l’environnement. Il oblige, par définition, à réfléchir et à travailler de manière transversale et inter institutionnelle [Brundtland 19871, Veyret & Arnould 2019, Degron 2020]. Portée par un projet économique au sein duquel la protection de l’environnement est perçue comme un moteur de croissance, l’Europe bâtit en réalité une politique écologique compatible à la recherche de la croissance économique plus que de développement durable et de solidarité. La dimension sociale, y compris dans sa dimension sanitaire, apparaît négligée. La gouvernance européenne ne suit pas, en effet, les mêmes règles dans les différents champs d’action publique. Elle va vite sur certains champs de politiques mais reste bloquée sur d’autres.
10Depuis l’Acte unique (1986), la construction du Marché unique et les politiques environnementales de l’Union bénéficient de la souplesse d’un vote à la majorité qualifiée des États membres du Conseil dans le cadre de la procédure de codécision avec le Parlement européen. C’est la Commission qui a la main pour proposer des textes et rallier une majorité des États à sa cause. Il n’en va pas de même pour les politiques sociales et sanitaires où c’est la décision à l’unanimité des États membres du Conseil de l’UE qui s’applique pour l’essentiel. C’est également le cas pour la fiscalité dont les orientations nationales pèsent pourtant lourdement dans les capacités d’action de la puissance publique : chaque État décide librement de son taux d’imposition des entreprises qui profitent de leur côté de la libre circulation des capitaux. En matière budgétaire, le Traité de Maastricht de 1992 et le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) de 1997, durci suite à la crise de la dette souveraine des années 2008-2012, tendent à limiter l’endettement et le déficit public qui demeurent cependant fort hétérogènes d’un État-membre à l’autre [Degron 2018].
11Le risque, malheureusement largement vérifié, est que les États membres jouent de cette imparfaite intégration communautaire pour ajuster à la baisse leurs dispositifs sociaux et sanitaires, ainsi que leur politique fiscale et par voie de conséquence leur marge de manœuvre financière, afin d’améliorer la compétitivité-coût de leur économie. Pouvant être perçue comme un facteur de régression sociale, la construction européenne se trouve de fait rejetée par une fraction de moins en moins négligeable des opinions publiques. Le cas du Brexit illustre, à l’extrême, le rejet que peut susciter l’Union auprès des franges les plus exposées aux conséquences socio-économiques de la mondialisation [Degron 2019]. Faute d’être équitable et effectivement durable, le projet européen devient indésirable, même s’il se veut économiquement viable et écologiquement soutenable.
12Hyperactive en matière de législation environnementale [Petit 2009], l’Union n’en finit pas de produire règlements et directives dans ce champ pluriel qui va de la protection de l’avifaune (ex. Directive 79/409/CEE dite Directive Oiseaux) à la mise en place d’un marché de quotas d’émissions de GES (cf. Directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre) sur la base des articles 191 à 193 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Le Traité de Lisbonne (2007) a renforcé les compétences de l’Union en matière d’énergie (cf. Article 194 du TFUE) lui permettant de déployer une réglementation très allante en matière d’efficience énergétique, de promotion des énergies renouvelables et de limitation des émissions de GES.
13L’affirmation de l’Union européenne sur la scène internationale depuis le début des années 90 suit la volonté affichée par cette dernière de se placer aux avant-postes de la lutte contre le changement climatique [Degron 2012]. Marqueur géopolitique de l’UE, qui trouve d’ailleurs dans ce volontarisme le moyen de réduire sa dépendance aux importations de combustibles fossiles dont elle manque cruellement, l’expression sans cesse renouvelée et amplifiée de réduction de l’empreinte carbone communautaire interroge non seulement sur la faisabilité d’une baisse effective des émissions de GES mais plus encore sur la capacité politique de préserver les équilibres socio-économiques au sein des États membres.
14La séquence d’évolution du droit communautaire en matière de lutte contre le changement climatique sur la période 2000-2020 renvoie l’image d’une Union européenne dératée, entraînée dans une surenchère perpétuelle de mieux disant climatique. Dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne +, produit de la Stratégie de Lisbonne (1999) complétée par les conclusions du Sommet européen de Göteborg de juin 2001, l’Union s’est engagée, dès le début des années 2000, à se conformer aux objectifs du Protocole de Kyoto (1997) et à « réaliser d’ici 2005 des progrès tangibles dans ce sens ». Le projet « Union 2020 » adopté par le Conseil européen de juin 2010 fixe une nouvelle stratégie globale pour l’UE qui rappelle une série d’objectifs environnementaux quantifiés dits Objectifs 3*20 comprenant notamment la réduction de 20 % des émissions de GES par rapport à 1990. Dans la foulée de l’Accord de Paris de 2015, à l’occasion de la COP21 de la Convention cadre des Nations Unies contre le changement climatique, l’UE va encore aller plus loin en s’engageant à baisser de 40 % ses émissions de GES d’ici 2030. Avec la nouvelle Commission Von der Leyen installée à l’été 2019, le lancement du Pacte vert ou European Green Deal marque un nouveau rehaussement des ambitions européenne qui vise désormais, à l’échéance 2050, la neutralité carbone, à savoir la réduction de 100 % des émissions nettes de GES par rapport à 1990. Pour atteindre cet objectif, la cible intermédiaire de réduction des émissions est fixée à 50 % en 2030.
15Ainsi, en l’espace d’une vingtaine d’années, l’Union européenne s’est engagée à baisser de 20 %, puis 30 % et enfin 50 % ses émissions de GES d’ici 2030 en visant son « effacement » carbone à 2050. Sachant que de 1970 à 2017, soit près de cinquante ans, l’UE a réduit d’environ 20 % ses émissions de CO2, il est permis de douter du réalisme des ambitions juridiques affichées. Sans attendre cependant l’effectivité des réductions annoncées, force est de constater que le système normatif a été mis sous tension et que la transmission du signal prix du carbone a commencé d’être perçue par les citoyens européens.
16À l’origine de la crise des « gilets jaunes » en France, le rehaussement brutal du prix de l’essence renvoie fondamentalement à une décision de politique fiscale nationale d’inspiration environnementale portée par la volonté européenne de réduire la consommation des produits pétroliers et, par voie de conséquence, ses émissions de GES ainsi que sa dépendance aux combustibles d’origine fossile. Il est intéressant de remonter précisément la séquence des évènements ayant abouti à une situation quasi insurrectionnelle pendant plusieurs mois.
17Lors du Sommet européen de Bruxelles des 11 et 12 décembre 2008, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union se sont accordés sur un Paquet Climat-Énergie dit 3 fois 20 visant trois objectifs d’ici 2020 pour l’UE : amélioration de l’efficacité énergétique de 20 % ; 20 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique ; réduction de 20 % par rapport à 1990 des émissions de gaz à effet de serre. Adoptées sous la Commission Barroso, ces décisions vont se traduire par trois directives et une décision en date du 23 avril 2009 qui vont dès lors s’imposer aux États-Membres par le jeu de transcription dans leur droit interne. La stratégie « Union 2020 » reprendra cette nouvelle ambition environnementale de l’UE dans le cadre plus global d’une stratégie en faveur d’une « croissance intelligente, durable et inclusive ».
18En France, l’article 2 de la loi dite Grenelle 1 du 3 août 2009, loi de programmation pour la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, intègre l’objectif général de réduire d’au moins 20 % les émissions de GES à échéance 2020. L’article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) du 17 août 2015 ajoute quant à elle la définition d’une stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Cette stratégie établie en 2015 et révisée entre 2018 et 2020 se fixe désormais comme objectif une réduction de 40 % des émissions de GES par rapport à 1990 d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2050. L’un des principaux instruments mobilisés pour atteindre la cible est l’augmentation de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE).
19En cohérence avec la nouvelle SNBC, l’article 9 du projet de loi de finances pour 2019 (PLF) rappelle que, depuis 2014, les tarifs de la TICPE comprennent une part dite carbone, fonction du contenu en carbone des produits énergétiques. Il dispose d’une trajectoire de la valeur de la tonne de carbone pour la période 2018-2022. Celle-ci fixe ladite valeur à 44,60 € en 2018, 55 € en 2019, 65,40 € en 2020, 75,80 € en 2021 et 86,20 € en 2022. Afin de réaliser le rapprochement de la fiscalité applicable au gazole et à l’essence, le même article fixe par ailleurs une trajectoire de convergence en quatre ans des tarifs de ces deux produits, de 2018 à 2021.
20On connaît la suite et la réaction d’automobilistes périurbains ou ruraux prisonniers de l’usage quotidien de leur voiture avec, le plus souvent, au moins deux véhicules par foyer, et qui ne peuvent accepter un relèvement aussi brutal du prix des carburants et la suppression de fait de la prime dont bénéficiait jusque-là la motorisation diesel qui domine alors largement le parc automobile français [Conseil des prélèvements obligatoires 2019].
21Finalement, à travers cet exemple, nous pouvons apprécier le poids de la transmission nationale de directives européennes pensées dans un seul but écologique et sans prise en compte des effets sociaux de mesure certes positives pour le bilan carbone de l’UE mais pénalisantes pour la vie quotidienne de populations, prisonnières de leurs voitures, qui n’ont que faire de la complexité de la répartition des compétences entre niveau communautaire et États membres. Les gens vivent une vie faite à la fois de contrainte économique, sociale et écologique. Ils jugent l’action publique dans sa globalité, qu’ils espèrent cohérente.
22Au-delà de l’évocation de ce grave dysfonctionnement du système de prise de décision intégrée des instances européennes et nationales françaises, le problème qui demeure pour l’avenir est que le cadre de la gouvernance européenne n’a pas évolué. La récente adoption du Pacte vert par le Conseil européen du 13 décembre 2019 va donc prolonger le trait des tensions socio-économiques en touchant cette fois-ci tous les États et tous les secteurs d’activités du « vieux continent », en particulier l’appareil industriel de la Mitteleuropa. Il est d’ailleurs à noter que la Pologne a d’ores et déjà obtenu un opting out au Pacte, dérogation qui révèle en réalité les fortes réticences de nombreux PECO et dans une certaine mesure de l’Allemagne à une décarbonatation de l’Europe qui conduit à sa désindustrialisation. Rappelons que lors de la campagne des élections parlementaires européennes de 2019, dix États seulement avaient signé l’engagement de tendre avec une Union « zéro émission de GES en 2050 » (Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suède). Les autres États membres, en particulier l’Allemagne, la Pologne et la plupart des PECO ne soutenaient pas cet objectif. Ces positions divergentes au sein de l’Union renvoient pour l’essentiel à des différences de fond du mix énergétique et de l’appareil industriel : à l’Est de l’Europe où le charbon demeure une source d’énergie fondamentale, la transition bas-carbone est forcément plus difficile qu’en France où près de 80 % de l’électricité est d’origine nucléaire ; la forte industrialisation des PECOs et de l’Allemagne de l’Est joue également en défaveur, structurellement, d’une transition énergétique rapide par rapport à des économies plus tournées vers le secteur tertiaire.
23Dans le contexte de la crise sanitaire du Covid19 avec les limites de la dépendance communautaire aux importations de produits de première nécessité, l’appel à la réindustrialisation de l’Union européenne, notamment en France, se heurte de fait à la réalité d’exigences environnementales de plus en plus fortes qui aggravent les coûts de production de l’Union. Le secteur agricole n’est pas épargné non plus par une forme d’aggiornamento écologique qui tend à réduire les intrants et à valoriser l’agriculture biologique au détriment des rendements. L’Europe rentre ainsi dans une période de tension durable entre aspiration écologique et réalisme socio-économique alors que son système de gouvernance n’est pas capable d’équilibrer la gestion optimale des facteurs concourant au développement durable de sa population et de ses territoires.
24Le système de gouvernance de l’Union européenne est, pour des raisons historiques et juridiques, très dynamique en matière de production normative environnementale. Le Pacte vert est le dernier avatar d’une législation communautaire devenue pléthorique et en perpétuel renouvellement. Il n’en va pas de même sur les plans fiscaux, sociaux et territoriaux où l’Union laisse la main aux États membres faute de pouvoir avancer, en mode communautaire, à la majorité qualifiée du Conseil, et ainsi tenter de définir une authentique stratégie de développement durable territorialisée.
25L’inflation permanente en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui pousse, en moins de cinq ans, à passer de l’objectif déjà ambitieux de -40 % à -55 %, voire -60 % de baisse entre 1990 et 2030, interroge sur la crédibilité des politiques de l’UE et surtout sur la capacité d’adaptation des populations et de l’appareil économique, en particulier industriel européen, aujourd’hui concentré dans la Mitteleuropa. En France, la crise des gilets jaunes, qui couve toujours, illustre la sensibilité de prise de décisions communautaires transposées brutalement, sans compensation adéquate, à des réalités socio-territoriales fragiles car encore largement dépendantes de l’usage de véhicules thermiques.
26La prise de risque d’un système de gouvernance communautaire qui ne peut pas prendre en compte toutes les dimensions du développement durable, écologiques, économiques et sociales, est d’autant plus regrettable que les émissions de GES européennes pèsent peu à l’échelle Monde, en particulier celle générées depuis 1990 qui seules sont prises en compte dans les accords internationaux d’atténuation du changement climatique. C’est en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, que situent aujourd’hui les vrais enjeux en matière de climat. Les tensions qui pèsent sur la cohésion européenne sont à mettre en vis-à-vis de l’efficacité d’une politique bas-carbone qui n’a en réalité de sens que si elle cible les principales sources d’émission à l’échelle mondiale.