1Saint-Denis, troisième ville la plus peuplée d’Ile-de-France plus de 110 000 habitants, est en pleine mutation. Fortement touchée par la désindustrialisation des années 1970 aux années 1990, Saint-Denis a amorcé une transformation vers l’économie tertiaire qui s’est traduit dans le bâti et le paysage notamment dans le quartier de la Plaine [Vieillard Baron 2011] et par un gain démographique depuis le plus bas des années 1990 (tabl.1)
Tableau 1 – Évolution de la population de Saint-Denis entre 1968 et 2017
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1968
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1975
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1982
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1990
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1999
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2007
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2012
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2017
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Population
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99 268
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96 132
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90 829
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89 988
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85 832
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100 800
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108 274
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111 135
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Source :INSEE
2La métropolisation de cet espace s’accélère aujourd’hui et se traduit par une multiplication de grands projets urbains qui doivent sortir de terre à l’horizon 2030. Dans le même temps, on assiste à une réorientation des politiques publiques vers une transition écologique, qui répond à une forte attente sociale à l’échelle nationale comme locale.
3Les contestations de ces projets par des collectifs et habitants révèlent des contradictions entre les engagements pris et la possibilité d’une véritable transition écologique.
4Saint-Denis va connaître dans les dix prochaines années une multiplication des grands métropolitains : Gare du Grand Paris Express, Campus Condorcet, Village des Athlètes, Centre Aquatique Olympique, quartier d’affaires Lumière, chacun de ces projets correspondant à une Z.A.C, une zone d’aménagement concertée (Fig.1)
5Pour prendre la mesure de ce qui est en train de se produire sur le territoire de Plaine commune (l’établissement public qui regroupe neuf villes), il faut rappeler qu’il est prévu la construction d’environ 4 200 logements par an jusqu’en 2021 et de 1,7 millions de m² de bureaux (soit l’équivalent de la moitié de La Défense) à l’horizon 2030 [DRIEA 2019]. C’est donc près de 40 % de l’espace bâti est ainsi amené à muter dans les trente prochaines années sur Plaine commune - et en particulier à Saint-Denis.
Figure 1 – Les projets d’aménagement sur le territoire de Paine Commune et les zones d’aménagement concertées
Source : Étude d’impact du projet d’aménagement du Village Olympique et Paralympique, Soberco Environnement, 2018
6Ce processus bien identifié de l’urbanisation néolibérale et de la ville entrepreneuriale a été décrit par Erik Swyngedouw, Frank Moulaert et Arantxa Rodriguez [2014]. Ces trois auteurs ont comparé 13 grands projets en Europe.
7Depuis les années 1990, les villes européennes ont adopté des stratégies de renouvellement urbain articulées autour de projets de grande ampleur (« large-scale urban development projects »). Souvent localisés sur d’anciens sites industriels en marge, ces grands projets constituent des vitrines grâce auxquelles les villes concernées cherchent à mettre en scène une nouvelle identité, tout en créant une source de plus-value foncière, la puissance publique finançant l’essentiel des grandes infrastructure nécessaires à cette régénération.
8À Saint-Denis comme ailleurs, la transition métropolitaine, comprise ici comme la mutation du tissu urbain, pour une finalité métropolitaine, se traduit par trois dimensions.
9C’est d’abord une transition fonctionnelle : de l’industriel au tertiaire, et plus précisément au tertiaire de bureau. C’est aussi une transition paysagère : de la friche industrielle ou du site productif et / ou logistique au modèle de la ville verticale et des projets emblématiques. Enfin, la transition est institutionnelle, avec une prise en main des institutions supra-communale et supra-territoriale sur des parties entières du territoire de Saint-Denis par le biais des maîtrises d’ouvrages. La Métropole du Grand Paris est ainsi en charge de l’aménagement du Centre Aquatique Olympique et du quartier attenant de la Plaine Saulnier, la Société du Grand Paris de la gare du Grand Paris Express, la SOLIDEO (Société de Livraison des Ouvrages Olympiques) du Village olympique et Paralympique.
10La transition décrite a débuté avec le quartier de la Plaine dans les années 1990 [Vieillard Baron 2011], à la faveur de l’édification du Stade de France pour la Coupe du Monde 1998, s’intensifie aujourd’hui. Son épicentre se déplace vers le quartier Pleyel qui va être complètement remanié en l’espace de 10 ans.
11Dans un périmètre de quelques centaines de mètres vont donc émerger pas moins de sept projets d’envergure métropolitaine (fig. 2) :
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La Gare du Grand Paris Express, censée être le 2e hub après les Halles avec les lignes 16 17
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Le Village Olympique et Paralympique sur une cinquantaine d’hectares, devant laisser place à 2200 logements en phase héritage
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Le centre aquatique olympique (CAO) et une ZAC attenante, la ZAC Saulnier
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Un nouveau quartier d’affaires les Lumières Pleyel issu de l’appel à projet Inventons la métropole [Béhar & Delpirou 2018]
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Le Franchissement Urbain Pleyel (FUP), pont multimodal d’un coût de 222 millions d’euros doit enjamber la voie ferrée qui sépare la gare RER D du Stade de France-Saint Denis de la future gare du Grand Paris Express (GPE)
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Un nouvel échangeur autoroutier entre les autoroutes A1 et A86
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Sans compter la rénovation de la tour Pleyel en hôtel de luxe et centre d’affaires
Figure 2 – Les futurs aménagements du quartier Pleyel
Source : Documents Plaine Commune
12Cette frénésie en fait certainement l’un des quartiers européens avec une des plus fortes densités de grands projets métropolitains. C’est du reste cette exceptionnelle « compacité » qui a fourni un solide argument dans pour la candidature et le succès de Paris 2024 [Gintrac & Kloeckner 2019]
13En parallèle de cette refonte métropolitaine du sud de Saint-Denis, le discours de la transition écologique s’est imposé dans les années 2010 répondant à une véritable demande de la part de la population dionysienne.
14Si l’on analyse les discours et les documents institutionnels, « transition écologique », « ville durable », « ville soutenable », « excellence environnementale » sont des expression désormais omniprésentes et font figure d’incontournables de la communication territoriale.
15L’ensemble des politiques publiques mettent en place depuis une dizaine d’années des politiques de transition écologique en parallèle de la promotion des grands projets. Cela se traduit par des plans d’action aux différentes échelles institutionnelles. Le département de la Seine-Saint-Denis a adopté un Plan d’Action pour la Transition Écologique (2017-2020) tandis que l’EPCI Plaine Commune, en charge de l’aménagement, a développé un référentiel d’aménagement soutenable.
16À l’échelle communale, la transition écologique s’est imposée comme un incontournable des politiques municipales. Une maison de l’écologie a été inaugurée en 2019 et la campagne électorale municipale de 2020 a aussi mis au cœur des propositions la question de la transition écologique. Dès l’élection de la nouvelle majorité, une des premières décisions fut, dans cette logique, de voter symboliquement l’état d’urgence climatique et l’intégration dans la Zone à Faible Émission (ZFE).
17Dans les faits, ces politiques concernent sans surprise le développement des mobilités douces, de la réhabilitation de l’habitat, du recyclage des déchets ménagers, de la transition énergétique, du maintien de l’agriculture urbaine, mais sans que la question des grands projets d’aménagement et la logique de polarisation de l’espace ne soient réellement questionnées.
18L’ensemble des maîtres d’ouvrage des futurs grands projets mettent désormais en avant « l’excellence environnementale ». C’est notamment le cas du Village olympique ou du centre Aquatique Olympique (fig.3), qui ont l’ambition de viser le zéro carbone.
19Pour le village olympique, cela se traduit par le choix des matériaux de construction avec une préférence pour le bois, y compris pour les structures des bâtiments inférieurs à 28 m de hauteur, et quand cela est nécessaire un béton bas carbone.
20Un forage de 11 puits doit permettre d’alimenter le village à 68 % par la géothermie. Un effort est également fait sur le traitement des déchets de construction. Ceux-ci sont prioritairement évacués par transport fluvial à partir des ports de Saint-Ouen et de Saint-Denis. Un haut niveau de réemploi des matériaux est recherché.
21Ce dernier point est stratégique. En effet, en France, la quantité de déchets générés par les chantiers est huit fois supérieure à la quantité de déchets ménagers [Bastin 2019]. Le réemploi s’inscrit dans la perspective du métabolisme urbain qui désigne « l’ensemble des processus par lesquels les villes mobilisent, consomment et transforment ces ressources naturelles » [Barles 2008].
22Depuis plusieurs années, Plaine commune a mis en place une démarche innovante de réemploi des déchets de construction [Bastin 2011] en favorisant la mise en réseau d’entreprises spécialisées dans le traitement et le recyclage des déchets : des démolisseurs comme Prodemo, des constructeurs pratiquant l’écoconstruction comme Apij bat, des trieurs et recycleurs de déchets, dont ceux du BTP comme Paprec.
Figure 3 – Panneau de Paris 2024 présenté au Forum des sports de Saint-Denis le 5 septembre 2020
Source : Photo Cécile Gintrac
23Ces engagements ambitieux sur le papier ne sont pas exempts d’un certain nombre de contradictions soulevées par les collectifs d’habitants.
24La transition écologique, nous l’avons vu, est considérée comme le produit des aménageurs et des collectivités. Les modalités de concertation se révèlent souvent insatisfaisantes [Gilli 2018] et ne correspondent pas nécessairement aux demandes des habitants si l’on en croit les registres d’enquête publique et autres participations du public. La plupart des grands projets sont contestés, notamment pour des raisons environnementales. C’est notamment le cas sur la question des circulations et des pollutions et sur la question des démolitions.
25Alors que le tissu urbain mute avec une rapidité sans précédent, les infrastructures routières continuent à morceler le tissu urbain dionysien. Rappelons que Saint-Denis est traversée par l’autoroute A1 et l’autoroute A86. C’est également ce qui en fait un des espaces les pollués de France, notamment au croisement des deux autoroutes, au niveau de la Plaine Saulnier notamment. La station Airparif de l’A1 est celle qui enregistre le plus grand nombre de jours de dépassement de la valeur journalière limite pour les particules PM10 (10 micromètres). C’est là qu’on relève les niveaux de particules les plus importants en Île-de-France, supérieurs à ceux constatés sur le périphérique.
26À grande échelle, le quartier Pleyel est amené à voir arriver une reconfiguration de l’échangeur de l’autoroute A86, ce qui a déclenché une mobilisation locale et un recours juridique qui à ce jour a abouti à une suspension des travaux. À l’échelle de ce quartier, on voit donc apparaître un véritable paradoxe urbain entre un village olympique qui prône « l’excellence environnementale » et l’intensification à son immédiate périphérie d’un nouvel afflux de trafic routier aux franges du village olympique, dans la zone déjà habitée du quartier et notamment aux abords du groupe scolaire Anatole France.
27En l’état, les projets tels qu’ils sont conçus, ne sont pas à la hauteur de la demande de justice et de réparation environnementale induite par les autoroutes et la pollution urbaines. Les grands projets créent de nouveaux axes routiers qui viendront traverser le quartier Pleyel ou se concentrer sur quelques axes, sans qu’un plan global réellement cohérent n’ait été pensé. Non seulement les projets ne règlent pas à court terme la question de la pollution, mais ils ont tendance à l’accroître selon les évaluations réalisées de l’Autorité environnementale. De ce point de vue, il est difficile d’appliquer le terme d’excellence environnementale à l’échelle de Saint-Denis.
28Au-delà des affichages bas carbone, il convient de considérer le modèle d’aménagement dans sa globalité.
29Avec ces grands projets, on assiste à une frénésie de constructions guidées par une logique de rentabilité (qui s’explique du reste par la volonté d’éviter les excès financiers) qui s’exprime concrètement par la présence insuffisante de « nature en ville ». La plupart des projets comportent des espaces finalement réduits et largement insuffisant au regard de préconisations de l’OMS (12m²/hab.), a fortiori dans un quartier déficitaire comme l’est Pleyel. A ce titre, le projet des Lumières Pleyel avec ses 7000m2 de parc pour 519 logements et des milliers de m² de bureaux est représentatif. Dans la même logique, la superficie du futur parc central du village olympique a été réduite, sans concertation, au fur et à mesure des enquêtes publiques. Alors que le parc Ampère devait avoir une superficie de 2,5 ha, il dépasse à peine les 1,5 ha dans les dernières versions du projet, ce qui a permis d’édifier 5 immeubles supplémentaires. C’est donc autant d’espaces verts en moins pour les futurs habitants et potentiellement la tendance au renforcement de l’îlot de chaleur urbain. Localement, un collectif d’habitants du quartier Pleyel se mobilise pour maintenir le parc dans sa plus grande extension et pour qu’il devienne une ferme urbaine à destination des cantines, ce qui répondrait tout à fait à l’exigence de transition écologique et de circuits courts. Ce projet n’a pas trouvé d’écho auprès de la SOLIDEO. Il a peu de chances d’aboutir au regard de l’exigence de retour sur investissement.
30De même, sur la ZAC de la Plaine Saulnier, le futur quartier de centre aquatique olympique doit être essentiellement un quartier de bureaux (56 % des surfaces) pour permettre à la Métropole du Grand Paris de financer l’infrastructure sportive. La question financière fait donc régulièrement passer au second plan l’excellence environnementale.
31Enfin, l’ampleur des démolitions / reconstructions interroge le métabolisme urbain dionysien dans sa globalité et sa capacité à absorber la mutation du bâti. Le NPNRU du Franc-Moisin (Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain), ce quartier prioritaire de près de 9000 habitants à l’est de Saint-Denis, doit ainsi se traduire par la destruction de près de 500 logements. Or, une conception plus sobre de la ville commence à faire son chemin dans les bureaux d’étude, les cabinets d’urbanisme ou d’architecture. L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) s’est récemment positionnée en faveur de la réhabilitation et de « la limitation autant que possible de la construction neuve au strict nécessaire ». L’agence estime que détruire et reconstruire des logements collectifs produit jusqu’à 80 fois plus de déchets que d’améliorer le même bâti. De ce point de vue, le souci du métabolisme urbain pourrait aussi bien être de reconsidérer la logique de démolition / reconstruction.
32Enfin, le territoire de Saint-Denis et de Plaine commune n’a pas la capacité de stocker ni de traiter la masse des déchets de construction à venir, ce qui suppose de trouver des débouchés notamment dans la couronne périurbaine. De nouveaux territoires servants de la couronne périurbaine parisienne émergent dans le Val d’Oise ou dans l’Oise (par exemple vers Bruyères-sur-Oise pour les terres polluées) pour traiter la masse de déchets produits sur Saint-Denis et Plaine Commune.
33Au final, à Saint-Denis, la transition métropolitaine semble prendre de court la transition écologique, si on considère que celle-ci ne se limite pas aux engagements « bas carbone » superposés des seules ZAC mais qu’elle doit être une transformation globale. Le modèle d’aménagement reste basé sur une frénésie de démolition / reconstruction induite par les objectifs de rentabilité et l’absence de remise en cause suffisante de la circulation automobile. Les contestations des habitants sont l’expression d’une réelle attente de la transition écologique, par le bas : ils demandent une amélioration du cadre de vie, voire une réparation des préjudices environnementaux dans une logique de justice environnementale. Cela s’oppose à une transition par le haut, fruit de la décision des seules collectivités et institutions territoriales. La transition écologique gagnerait aussi à être envisagée spatialement et aux différentes échelles, pour éviter de déplacer les pollutions et les nuisances vers d’autres espaces de Saint-Denis et de la métropole parisienne. Cette hypothèse pointe plus que jamais la nécessité d’une planification environnementale et d’aménagement en considérant les jeux d’échelles et en faisant de la Métropole du Grand Paris notamment un organe véritablement transparent, démocratique et accessible pour les habitants.