1Ce texte propose d’analyser les interactions existantes entre stratégies de qualité, développement territorial et agriculture familiale au sud du Brésil. Notre article s’appuie sur les résultats de plusieurs études sur les « produits coloniaux » de la région Ouest de Santa Catarina, située au sud du Brésil [Dorigon 2008, Dorigon & Cerdan 2010, Dorigon & Renk 2011, Dorigon & Renk 2014]. Par « produits coloniaux » nous entendons les aliments élaborés artisanalement par les descendants des familles italiennes et allemandes installées dans la région depuis le début du XXe siècle. Parmi ces produits, les plus importants sont les dérivés de viande porcine (charcuterie), du lait de vache (fromage colonial principalement), des fruits et des légumes (confitures, compotes, conserves), des pains et pâtisseries [Dorigon 2008]. Ce sont donc des produits qui mobilisent des savoir-faire anciens.
2Conformément à leur définition, l´image des produits coloniaux est liée aux descendants d´Européens qui ont migré dans la région et ont constitué les « colonies ». Dans la région, « colono » est aussi synonyme d´agriculteur. Ainsi, « colonial » fait référence à une certaine culture et tradition, attachée au savoir-faire des immigrés de l´Europe non ibérique, à leurs modes de vie, à leurs façons spécifiques d´occuper le territoire et de le cultiver, à des qualités appréciées par les consommateurs [Dorigon 2008, Dorigon & Cerdan 2010].
3La dénomination produits coloniaux s’étend pratiquement sur tout l’État du Santa Catarina et se retrouve également dans d’importantes régions de l’État de Rio Grande Do Sul et dans celui du Parana. Ces produits coloniaux sont ainsi fabriqués et consommés dans des régions comptant de nombreux descendants d’immigrés italiens et allemands. Néanmoins, la région ouest du Santa Catarina a une particularité qui la distingue des autres régions du sud du Brésil, c’est pourquoi nous centrerons notre analyse sur celle-ci.
4La région Ouest de l’État de Santa Catarina est connue pour avoir développé le plus important pôle de production-transformation de viandes de porcs et volailles de l’Amérique Latine. Elle accueille quelques-unes des principales entreprises productrices de protéines animales au monde. Une agriculture familiale diversifiée est à l’origine des matières premières de ces entreprises. Leur présence dans la région lui apporte une reconnaissance nationale et internationale en tant que productrice de protéines animales (dérivés de viande de volaille et de porc). L’image de cette région au Brésil est étroitement associée à la production d’aliments transformés. Pourtant, à partir des années 1980, ces entreprises agro-alimentaires de grande échelle ont entamé un intense processus de concentration de la production agricole, en particulier dans l’élevage porcin, ce qui a abouti à l’exclusion de milliers de producteurs. Cette exclusion a engendré l’effondrement des systèmes de production des petites propriétés rurales. Ces petites exploitations, dont 70 % avaient moins de 20 ha, produisaient elles-mêmes l’alimentation animale et le lisier permettait de fertiliser les sols cultivés, cela constituait ainsi un cycle de production durable.
5Une part significative des agriculteurs familiaux exclue de la production de porc et de volaille s’est réorientée vers la production laitière. A partir de la moitié des années 1990, l’ouest de l’État de Santa Catarina est devenu un des principaux bassins laitiers du pays. C’est autour de la production de lait pour l’autoconsommation et de fromage colonial, dont l’excédent était vendu, que s’est constitué ce bassin laitier. A partir du développement de ces petites exploitations d’élevage, en moins de deux décennies, l’élevage bovin laitier est devenu la principale vocation économique des agriculteurs. Cela s’explique tout d’abord parce que la production de lait fait partie des activités de subsistance de toutes les exploitations agricoles, qu’elle implique un investissement moindre, si on la compare aux élevages porcins et avicoles, et qu’elle permet un développement par étapes de la production. Elle est aussi adaptée au travail familial et à sa tradition historico-culturelle. Par ailleurs, elle rend possible un usage raisonnable et respectueux des ressources naturelles. La production laitière revêt également une grande importance économique et sociale étant donné sa capacité à absorber la main-d’oeuvre et à donner de la valeur aux exploitations, à utiliser des terres non nobles et à occuper une main-d’oeuvre qui, autrement, serait oisive. Ainsi, les agriculteurs dont la production de lait n’était pas suffisante pour la vente aux industriels laitiers ont transformé ces petits volumes de lait en fromage colonial. Ce fromage au lait cru est un des produits les plus emblématiques des produits coloniaux.
6Parallèlement à cette reconversion, une partie des agriculteurs familiaux se sont orientés vers la production d’aliments transformés, grâce à leurs savoir-faire traditionnels et se sont consacrés progressivement à la construction d’un marché différencié “nos produits coloniaux”. Ces savoir-faire sont même à l’origine de l’émergence des premières industries agro-alimentaires qui sont actuellement présentes sur les marchés mondiaux des dérivés de la viande.
7Ainsi les produits coloniaux que l’on destinait avant à l’autoconsommation et dont les excédents étaient commercialisés sur un marché informel, reposant sur la confiance entre producteurs et consommateurs, ont peu à peu conquis le marché régional. Parce que ces produits coloniaux ont été consommés depuis l’enfance par les habitants de cette région, ils renvoient à la campagne, à la nature ; ils sont associés à des souvenirs heureux, en particulier pour des populations qui vivent en ville et qui ont gardé un lien avec le milieu rural [Dorigon 2008].
8Actuellement, ces produits coloniaux constituent une orientation importante pour une grande partie des agriculteurs familiaux de la région ouest de Santa Catarina. Ils s’insèrent de façon autonome dans les marchés agro-alimentaires, après que le modèle d’intégration agro industriel ait rompu avec l’agriculture familiale [Wilkinson 2008]. De plus ces produits coloniaux qui adoptent des techniques de production à petite échelle, et qui utilisent peu de produits chimiques (conservateurs, colorants, etc.) sont perçus comme des produits naturels, proches de ce qu’on appelle biologique ou agro-écologique [Dorigon 2008]. On assiste ici à un phénomène que Portilho [2008], s’appuyant sur Miller, a appelé la « politisation du consommateur », et « l’écologisation de la consommation » [Dorigon & Renk 2011].
9Même s’il est audacieux d’établir une comparaison entre la réalité brésilienne et la réalité française, ces produits coloniaux, se rapprochent de ce qu’en France on appelle produits fermiers. Conformément à l’analyse du cas français faite par Sylvander [1995], il y a plusieurs années, la concurrence de la grande industrie a poussé les artisans et les petites industries à développer des stratégies institutionnelles de résistance fondées en partie sur la défense de la qualité des produits. De là sont nés des dispositifs réglementaires qui ont spécifié des qualités non obligatoires, que Sylvander [1995] appelle “qualité spécifique” ou “qualité relative”, qui définissent des produits différents de la qualité standard. Cela est à l’origine de ce qu’on appelle actuellement les produits de qualité.
10Les attitudes des consommateurs contemporains, marquées par une tendance à la méfiance envers l’industrie, une forte incertitude sur les qualités, la nostalgie des « produits d’autrefois », le regret du naturel, confortent l’apparition d’un véritable marché pour les PQS (Produits de Qualité Spécifique). Ils se trouvent ainsi à la conjonction de phénomènes qui affectent l’agriculture, l’environnement, la politique agricole, l’artisanat, la consommation, et vont tous dans le même sens. [Sylvander 1995]. Cependant, dans le cas des produits coloniaux, il faut souligner une importante composante ethnique, car leur image et leurs savoir-faire sont associés aux colons.
11La région ouest de l’État de Santa Catarina – abrite environ 1,15 millions d´habitants distribués dans 118 villes (40 % des villes du Brésil), dont environ 30 % vivent en milieu rural. Elle contribue pour plus de 50 % de la production agricole de l’État brésilien. Plus de 51 % de la population économiquement active est impliquée dans les activités primaires [IBGE 2007].
12La région a été colonisée par des immigrés européens d´origine italienne et allemande qui se sont installés, à la fin du XIXe siècle, dans une région de montagne de l’État voisin plus au Sud, région connue pour son dynamisme économique et sa meilleure qualité de vie et équité sociale au Brésil. À partir du début du XXe siècle, leurs descendants, en quête de nouvelles terres, ont commencé à coloniser l´ouest de Santa Catarina et, postérieurement, d’autres régions vers le Nord, créant un des courants migratoires le plus caractéristiques du Brésil. Actuellement, ces descendants d´immigrés sont parmi les principaux responsables de la grande production de grains dans ces régions [Dorigon & Cerdan 2010].
13La colonisation de la région ouest de Santa Catarina a été organisée par des entreprises privées, qui ont acquis des grandes portions de terres de l’État et les ont subdivisées en petits lots, en général d’environ 22,5 hectares, désignés par le terme de « colonies ». Aujourd’hui, la région possède à peu près 80 000 exploitations agricoles, dont 95 % appartiennent à des agriculteurs familiaux, et présentent une taille inférieure à 50 hectares. La polyculture est une autre caractéristique des propriétés rurales, où prédomine l´agriculture familiale diversifiée tournée vers le marché et intégrée à l´industrie agro-alimentaire.
14Cependant, la crise causée par l’exclusion des agriculteurs dans les chaînes de production de matières premières a engendré des effets graves non seulement sur le milieu rural, mais aussi sur l’ensemble d’une région où les petites villes sont fortement dépendantes de l’agriculture. Cette crise a eu des incidences sur la démographie de la région. Dans l’ouest du Santa Catarina, la croissance de la population est demeurée inférieure à la moyenne brésilienne, ce qui a signifié moins d’enfants par famille et moins de main d’œuvre pour les activités agricoles. Tout cela s’est traduit par le vieillissement de la population rurale
15Selon ce que l’on peut observer sur le tableau n° 1 pour la période 1991-2000, la population totale de la région a crû d’à peine 5,4 % (soit 0,54 % par an) et la population rurale de la région a diminué de 20 % (- 2,49 % par an). Pour la même période l’État de Santa Catarina a connu un taux de croissance démographique de 17,8 % (1,83 % par an). Si on observe la période 2000-2007 on remarque que la population totale a crû d’à peine 8,4 % (1,2 % par an), un taux inférieur cependant à celui du Brésil qui a été de 9,7 % (1,3 % par an). Ainsi l’exode rural se poursuit vers les villes de la région, mais aussi vers celles des autres états.
Tableau 1 – Évolution de la population de l’Ouest de Santa Catarina par rapport à celle du Brésil
Source : IBGE. Recensement démographique 1970/80/91/00 et estimation de la population en 2007.
16Par ailleurs, la population, qui migre vers d’autres régions, est majoritairement composée de jeunes et notamment ceux qui ont un niveau scolaire élevé, comme le montre l’enquête de Silvestro et al. [2001]. Ce phénomène migratoire, par la perte d’une main d’œuvre qualifiée, accélère l’appauvrissement et limite les possibilités de choix de développement régional. Dans ce contexte d’exode rural et régional le marché des produits coloniaux est fondamental.
17Ces produits étaient déjà commercialisés par les femmes sur le marché local dès le début de la colonisation – essentiellement du fromage, des œufs et du poulet, des produits transformés et préparés dans leur cuisine. Mais c’est à partir des années 1990, que les agriculteurs familiaux, individuellement ou organisés dans des petits groupes (de 3 à 5 familles de voisins ou de connaissances) et avec le soutien des mairies, de l’Epagri et des ONGs ont formalisé leur production en construisant les « agro-industries familiales rurales ».
18Grâce à l´image positive et à la valeur des produits coloniaux, s’est construit un marché de produits avec des attributs de qualité spécifiques qui se distinguent, par conséquent, de ceux de la grande industrie agroalimentaire.
19Le marché des produits coloniaux est caractérisé par la présence de nombreux circuits courts avec la prédominance de la vente directe ou sur les marchés (foires). Une telle forme de commercialisation repose sur les relations de confiance entre les agriculteurs et les consommateurs [Dorigon 2008, Dorigon & Cerdan, 2010]. L’existence d’un marché et d’une demande stabilisée ont permis aux agriculteurs de viabiliser leur entreprise d’un point de vue technique et économique. Cela peut expliquer le très faible taux d´échec de ce type d’entreprise comparativement à d’autres expériences conduites dans d’autres régions.
20La valorisation récente et la mobilisation autour des produits coloniaux peuvent être comprises comme une réaction d’un territoire face à de sérieuses menaces, car l´exclusion des activités traditionnelles, l´appauvrissement, l´exode rural et même le déchirement du tissu social menacent l’avenir de la région dans son ensemble. Ainsi, ces produits sont déjà commercialisés en dehors de la région, par le biais du courant migratoire, vers les États du Centre-Ouest ou même du Nord et du Nord-Est.
21Une autre voie de commercialisation se fait par le biais des restaurants situés dans les principales villes du pays. Plusieurs de ces restaurants-grill appartiennent à des personnes du sud du Brésil, en particulier des villes de la région ouest de Santa Catarina, ce qui montre une forte relation entre les descendants d´immigrés – surtout ceux d´origine italienne – et la cuisine [Dorigon 2008]. Ainsi prend forme l’image d’une région liée à la production alimentaire et à la gastronomie, avec des effets importants sur son économie régionale [Dorigon & Cerdan 2010].
22Les agriculteurs de la région et leurs organisations commencent à faire partie du réseau international de Slow Food et à participer à des évènements nationaux et internationaux, à nouer des liens importants avec les dirigeants du mouvement, comme avec des académiciens et en particulier avec des chefs cuisiniers. Ces liens apportent des connaissances appréciables sur le marché et offrent des perspectives prometteuses pour l’accès au marché de produits de qualité des grandes villes du Brésil.
- 1 Les agriculteurs au Brésil ont droit à un régime spécial de retraite garanti par la constitution fé (...)
23Autour des marchés des produits coloniaux, un important réseau de petites coopératives prend forme. Une étude réalisée par Epagri a identifié dans tout l’État 140 coopératives et 263 associations qui comptent 21 000 adhérents. Ces coopératives et associations offrent un support technique et organisationnel à 1894 exploitations familiales rurales, dont 836 sont localisées dans la région ouest de Santa Catarina [Marcondes et al. 2012] et visent à maintenir les avantages de l’agriculteur individuel (droit à la retraite)1 ainsi que l’accès à un marché formel et à la commercialisation [Wilkinson, 2014].
24Comme, on le voit dans le tableau numéro 2, sur les 1891 exploitations familiales, 1647 (87,1 %) sont le fait de propriétés individuelles, qui regroupent 4333 personnes, 244 sont des entreprises collectives (12,9 %), qui regroupent 2768 personnes. La plupart de ces propriétaires travaillent eux-mêmes sur l’exploitation et 80 % de la main d’œuvre provient de la famille des propriétaires.
Tableau 2 – Nombre de propriétaires et d’associés coopérateurs des entreprises agricoles - 2009
Nombre d’entreprises agricoles
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( %)
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Nº de personnes (1)
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( %)
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1.647
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87,1
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4.333
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61,0
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244
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12,9
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2.768
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39,0
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1.891
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100
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7.101
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100
|
(1) Nombre d’adhérents ou de coopérateurs pour les entreprises coopératives ou de membres de la famille pour les exploitations individuelles.
(2). Ces données manquent pour 3 entreprises
Source : Marcondes et al. (2012).
25Il convient d’observer également que les propriétaires des entreprises agricoles sont plus jeunes que ceux des exploitations agricoles traditionnelles et que 25 % des entreprises agricoles se trouvent sous la responsabilité de femmes alors que pour les exploitations agricoles traditionnelles, ce pourcentage atteint à peine 7,5 %. Ainsi, le choix des produits coloniaux attire davantage les jeunes et les femmes que la production de matière première pour les grandes industries agro-alimentaires (production de porc, volaille, lait, céréales et tabac).
2681 % des entreprises agricoles organisées en coopératives familiales comptent un maximum de 9 associés, 51,6 % d’entre elles ont 3 à 5 membres. Par ailleurs, bien que 87,1 % de ces industries agricoles soient individuelles, 595 (36,1 %) d’entre elles font partie de formes d’organisation collectives, comme une coopérative ou une association. Il est intéressant de noter le rôle important des jeunes et des femmes dans ces réseaux de coopération : 19 % de ces organisations sont dirigées par des femmes et la moitié d’entre elles sont dirigées par des personnes de moins de 45 ans [Marcondes & al. 2012].
27Ainsi, le marché des produits coloniaux stimule l’organisation des agriculteurs et en particulier la formation de réseaux coopératifs. Selon l’analyse de C. Dorigon et C. Cerdan [2010], ce modèle de petites coopératives, plus flexible et décentralisé, offre un important potentiel pour rompre l’isolement et revitaliser le tissu social des communautés rurales et des petites villes de la région. Cela ne signifie pas que les coopératives traditionnelles ont une importance réduite, mais ces formes décentralisées d’organisation et de production intègrent généralement des agriculteurs qui ne sont pas connectés aux grandes entreprises agricoles ou à de grandes coopératives.
28L’analyse des marchés des produits coloniaux dans la région ouest de Santa Catarina indique qu’il ne s’agit pas de simples marchés, mais d’un ensemble de valeurs profondément enracinées dans la culture des migrants qui sont venus du nord de l’Italie et d’Allemagne. La qualité de ces produits coloniaux repose sur les valeurs héritées des immigrés et partagées par leurs descendants, aussi font-elles partie de leur patrimoine historique et collectif. La consommation de produits coloniaux participe également de la valorisation par la société de cette agriculture familiale. Bien que le volume produit et la valeur dégagée soient modestes et que seul un petit nombre d’agriculteurs soient concernés, les produits coloniaux contribuent à changer l’image de la région : qui n’apparaît plus comme productrice d’aliments de consommation de masse, mais de produits de qualité. La production de produits coloniaux, des fromages, charcuteries, confitures, gelées et conserve constituent ainsi une ressource pour l’ensemble de la région [Storper 1997].
29La valorisation des produits coloniaux peut être analysée comme un processus d’innovation à partir de la mobilisation de la tradition [Callon 2004]. Elle a permis la réappropriation de savoirs traditionnels et de savoir-faire des colons. Elle a favorisé l’innovation organisationnelle, en particulier la formation de petites entreprises organisées en réseaux. Cette valorisation des connaissances traditionnelles a des effets considérables sur la valorisation de ces populations rurales. Ainsi, elles contribuent à l’amélioration de l’estime de soi et de la citoyenneté de ces colons. C’est peut-être là une des explications de l’importante présence des jeunes dans les entreprises agricoles familiales et notamment des jeunes filles. Contrairement à ce qui apparaissait dans des recherches antérieures, à savoir que les jeunes qui restaient dans le milieu rural étaient ceux qui avait le moindre niveau d’instruction, on observe ici que dans la majeure partie des cas, les jeunes qui travaillent dans les exploitations agricoles familiales rurales ont un niveau d’éducation supérieur à la moyenne régionale, la plupart ayant atteint un niveau d’étude supérieur, en ingénierie alimentaire ou en administration des entreprises. On remarque également que de nombreux jeunes qui travaillent dans la fabrication de produits coloniaux ont travaillé dans des réseaux de restaurants des grandes villes du Brésil. A leur retour, ils se sont impliqués dans l’organisation et la création de petites entreprises agricoles, portés par leur expérience acquise et surtout ils ont pris conscience de la valeur que les consommateurs attachaient aux produits coloniaux. Par ailleurs, ce qui éveille l’intérêt des jeunes c’est que ce type d’activité est moins pénible que les activités traditionnelles agricoles comme les travaux des champs ou l’élevage. Ces jeunes ne sont plus disposés à pratiquer des activités qui valorisent peu leurs connaissances comme l’élevage de porcs, la culture des céréales et du tabac.
30La croissance des marchés des produits coloniaux coïncide aussi avec la valorisation et la sauvegarde des spécialités culinaires du Brésil représentatives de la diversité culturelle brésilienne. On observe ce phénomène à travers divers évènements associés à la gastronomie dans les grandes villes du Brésil comme Sao-Paulo et Rio-de-Janeiro qui associent les produits coloniaux à l’immense diversité des produits issus de la diversité brésilienne. Dans ces évènements les produits coloniaux commencent à être associés par les consommateurs à la manifestation de cette diversité, à la contribution des immigrés et à celle de leurs descendants à la formation du pays. Les produits coloniaux sont perçus comme porteurs de valeurs présentes au cœur de l’agriculture familiale brésilienne incarnées par les descendants d’immigrés qui sont venus au Brésil. Les valeurs de cette agriculture familiale sont présentes dans ces produits que les Brésiliens commencent à reconnaître et à valoriser. Ces produits coloniaux esquissent une voie d’accès à d’autres marchés que ceux des réseaux de proximité. S’il s’agit d’un mouvement modeste, celui-ci constitue un phénomène prometteur. Les consommateurs, poussés par l’inquiétude croissante des problèmes de santé liés à l’industrialisation du système alimentaire, au bien-être des animaux et les questions environnementales et sociales, commencent à reconnaître les valeurs venant du monde agroalimentaire artisanal. Les chefs jouent également un rôle dans la reconnaissance de ces produits par les consommateurs des grands centres urbains brésiliens.
31Il n’en demeure pas moins que la production de matière première agricole, en particulier le lait, a et continue à avoir pour l’économie de la région une importance considérable. Néanmoins, la région commence à s’orienter vers la production de produits de qualité, des produits régionaux : « Bons, propres et justes ». Le défi que la région doit relever désormais, consiste à maintenir vivant ce monde rural fortement menacé de disparaître en raison d’un exode rural important surtout parmi les jeunes, alors qu’elle entame la transition d’une région uniquement productrice de matières premières vers une région productrice de produits de qualité, ce qui n’est pas un processus facile, et requiert une énorme capacité de mobilisation et de construction de consensus. La reconnaissance et la valorisation des savoirs traditionnels des agriculteurs familiaux et leur contribution à la valorisation du territoire est un préalable à cette évolution.