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Là où s’échouent les destinées. Les prisons, dévoreuses de mémoires ?

Where destinies run aground. Do jails crush social memories?
Thibault Ducloux
p. 338-351

Résumés

À l’épreuve de l’enfermement pénitentiaire, la population pénale est traversée par une palette hétéroclite de difficultés (familiales, sociales, financières, professionnelles, judiciaires, administratives, etc.). Si pour la littérature d’aujourd’hui ces vecteurs de « vulnérabilité » sont frappés au coin du bon sens, un autre phénomène appelle, ici, à être renseigné. Parce qu’elle contredit ce que la vie sociale a fait des gens, la vie en prison s’attaque à l’économie réflexive et mnésique de prisonniers qui, les mois passant, « perdent » leurs mots et témoignent à loisir de « trous de mémoire ». Les souvenirs s’entremêlent, le rapport au temps se présentise, l’écart entre le passé et l’avenir se dilate déraisonnablement. Et pourtant. Tandis que tout laisse à penser que la prison constitue un point de l’espace où les mémoires dépérissent, d’autres y refont brutalement surface. Cet état de fait introduit l’idée que l’espace carcéral agirait – aussi – comme le révélateur d’une mémoire habituellement latente et diffuse dans le reste de la société. En l’occurrence, le religieux en est peut-être la plus belle illustration.

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Texte intégral

  • 1 La mémoire, l’histoire, l’oubli s’ouvre précisément sur « une phénoménologie du souvenir », ces ima (...)

1En se dérobant dans un même élan aux définitions précipitées ainsi qu’aux entreprises qui se donneraient pour but de la circonscrire, la mémoire acquiert sans aucun doute le statut de super objet. À ce titre, comme le religieux ou le politique avant elle, les analyses qui y ont été consacrées et celles qu’elle continue de susciter oscillent facilement entre une tentation au réductionnisme, d’une part, et à l’extentivisme, d’autre part. La première, Paul Ricœur la décrit [Ricœur 2000] et, d’une certaine manière, s’y laisse parfois prendre lui-même en se risquant à d’abord traiter la vaste question de la mémoire à travers son contenu : les souvenirs1. À l’inverse, Pierre Nora, considérant progressivement le polymorphisme et l’omniprésence des « lieux de mémoire », libère finalement cette notion devenue incroyablement plastique de sa dépendance à l’espace stricto sensu [Nora 1984-1992]. Mémoire partout ? Mémoire nulle part ? Au final, c’est – aussi – la question de sa localisation précise que posent ces travaux, balançant entre le hors-lieu (le souvenir comme manifestation cognitive) et le non-lieu (la mémoire qui s’affranchit des sanctuaires en se fixant sur d’innombrables supports).

2Il n’en reste pourtant pas moins que toute activité humaine se déroule nécessairement à la fois dans le temps et « en un lieu donné » [Becker 2002, p. 95]. Partant, arracher la mémoire à son contexte, social mais aussi physique sinon géographique, conduit à entretenir une abstraction intellectuelle alors que le fait mémoriel, entendu comme fait social comprenant tout à la fois le quoi, le qui, le quand, le comment et le où, demeure tout entier observable in vivo. Précurseur de cet effort de synthèse, Maurice Halbwachs a d’ailleurs introduit l’idée selon laquelle la mémoire et l’espace pouvaient chacun constituer une entrée pertinente dans leur étude réciproque [Halbwachs 1941, 1950]. Récemment redécouverte par les sciences sociales puis largement reprise, cette piste a rapidement fait florès.

3Il faut dire que, ces dernières décennies, les manifestations publiques liées à la commémoration, à la patrimonialisation, à la sanctuarisation, à la (ré)affirmation de traditions (re)trouvées, etc. n’ont cessé de se multiplier et de gagner en visibilité [Lavabre 1994]. Néanmoins, renvoyant la mémoire à son institutionnalisation sociale, ces phénomènes n’épuisent pas totalement la problématique de sa relation à l’espace. En effet, interroger les modalités selon lesquelles des lieux se voient de facto ou volontairement attachés à des mémoires expressément présentées comme collectives invite à formuler des questions positives où les usages du passé se laissent observer d’eux-mêmes. Or, dans la relation qui nous occupe, les lieux de mémoire comme lieux du souvenir (préservé ou découvert, transmis et enseigné – qu’il soit glorieux ou sinistre) côtoient aussi des lieux d’oubli [Augé 2001, pp. 76-78], voire d’anti-mémoire.

4Nettement moins populaire, cette partie immergée de l’iceberg est d’autant plus digne d’intérêt que, renvoyant ainsi dos-à-dos mémoire et oubli, les espaces concernés donnent à voir l’intrication de ce couple faussement antagonique. Ce texte entend justement montrer qu’ils renseignent, de manière très située, certains mécanismes de réminiscence d’une mémoire sociale habituellement latente. Hétérotopiques, rarement agréables et toujours étranges, ces lieux extra-ordinaires donnent effectivement à voir des mouvements d’inhibition et de régression au sein de la mémoire des « remémorants » eux-mêmes. Observable à l’occasion de certains rites américains et africains [Augé, Ibid.] et probablement des anciens « cultes négatifs » aborigènes [Durkheim 2008, p. 442], ce phénomène compte en outre parmi ses théâtres une ambassadrice des plus insolites : la prison.

  • 2 Un peu hasardeuse, la méthode consistait donc à rencontrer en entretien biographique des individus (...)

5Paradoxalement, le propos s’appuie ici sur un travail de recherche qui ne s’est guère préoccupé d’espace ou de mémoire. En fait, les résultats présentés proviennent d’une étude de sociologie générale visant à décrire la genèse des comportements religieux chez des individus incarcérés dans une grande Maison d’arrêt française. Le caractère indéniablement circonstancié de ces « déclics » spirituels et leur récurrence dans la population pénale laissaient à penser que la survenance du religieux – chez des individus qui extramuros n’y étaient pas affiliés – représentait bel et bien l’un des produits du processus d’intériorisation de la vie en prison. Aussi, selon une approche sémiotique voire symptomatologique [Ginzburg 1980], le recours au religieux a-t-il été constitué en marqueur sociologique capable de renseigner cette socialisation carcérale2. Or, ce processus met en lumière certains des ressorts mémoriels à l’œuvre dans la population pénale et participant de ces religiosités circonstanciées. Plus précisément, l’expérience carcérale interroge le rôle de la remémoration non-consciente d’expériences sociales infantiles dans « le maintien des identités » [Pollak 1990] dont la continuité historique est contredite par un contexte à la fois localisé et déconcertant. Le texte dépeint donc une situation de crise et la manière dont la mémoire peut constituer un vecteur de distanciation.

1. La prison, un « trou » de mémoire 

1.1. Une inquiétante étrangeté : L’espace pour peine

  • 3 Au 1er janvier 2020. Cf. « Statistique trimestrielle des personnes écrouées en France », Ministère (...)
  • 4 Par souci d’anonymat, la localité exacte ne sera pas renseignée. De la même manière, les documents (...)
  • 5 En 2011, l’établissement déplorait un taux de suicide de 7,4 pour 1000 alors qu’en milieu carcéral (...)

6En France, près de 70 650 personnes3 sont aujourd’hui enfermées dans quelques 185 établissements pénitentiaires. Les plus vétustes d’entre eux, gloire oubliée de l’ingéniosité et de l’humanisme hygiéniste du XIXe siècle, sont progressivement abandonnés au profit de constructions qui ne témoignent plus que de la double injonction au gain d’efficacité et à l’économie de moyens. Assemblées en quelques mois selon des standards de béton et d’électronique, ces prisons contemporaines partagent une morphologie générique. De moins en moins visibles malgré leur tendance à l’hypertrophie, ces complexes sont dorénavant installés à la limite des centres urbains [Milhaud 2009, p. 206]. C’est au milieu d’un terrain vague en lisière duquel gisent de vieux entrepôts de fret que trône la Maison d’arrêt de l’enquête4. Une termitière. Cachés par un mur d’enceinte de plus d’un kilomètre, les 33 000 m2 de boyaux abritent quelques 900 âmes dont l’encellulement atteint parfois 22 heures par jour. Selon un sordide classement, cet établissement dont le taux de surpopulation atteignait les 133 % au moment de l’enquête serait le plus suicidogène de France5.

7Bien que l’étanchéité réelle des institutions fermées soit relative [Moran 2013], ceux qui s’y aventurent malgré eux se trouvent néanmoins tous confrontés à leur étrangeté. Que l’univers carcéral soit plus ou moins éloigné de leur monde social, vivre la prison reste globalement contre-intuitif.

  • 6 Cinq profils sont attribuables. Le P1 : « détenu ordinaire », le P2 : « vulnérable ou manipulable » (...)

8En premier lieu, suivant un rituel de dépouillement, les gens sont « transformés » en prisonniers dès leur arrivée. Dans le couloir du greffe, on dresse leur fiche pénale, on leur attribue un numéro d’écrou, on les mesure, leur tire le portrait, enregistre leurs empreintes biométriques. On leur confisque leurs effets personnels. « Papiers, argent, téléphone, bijoux, cigarettes », répète l’officier au guichet avant de préciser « vous pouvez garder votre alliance ». Après un passage « à la fouille », les arrivants sont conduits au quartier éponyme où ils sont enfermés après avoir reçu un paquetage de literie et de première nécessité. Dans les jours qui suivent, des entretiens avec le gradé du quartier, un médecin et un conseiller d’insertion et de probation sont expédiés afin, notamment, de déterminer un profil comportemental parmi les cinq préétablis6 à chacun des arrivants.

9Le séjour d’adaptation se déroule dans un quartier bondé et électrique. Marqué par le dénuement, l’« accueil » désigne la concentration de détresses individuelles, d’amertumes, de peurs et de désaveux. Ici, la fréquence des suicides, des incidents et des bagarres est plus élevée que dans le reste de la détention. Même les « habitués » restent sur le qui-vive :

« J’ai fait des taules où tu t’battais le premier jour. En promenade, on va voir ce qu’t’as dans le ventre […]. J’me suis dit : ça va être la guerre. J’m’attendais à en découdre alors… j’suis rentré en mode guerrier » [Vincent, 40 ans, marin pêcheur, incarcéré pour trafic de drogue].

10Tandis qu’ils sont soumis à leur propre préoccupation, les gens découvrent le rythme de l’établissement (les horaires des promenades, des repas et du couvre-feu, ceux du téléphone, du travail, des formations, des parloirs, des auditions administratives…). Ils découvrent aussi les horaires des rondes à l’occasion desquelles on pénètre leur intimité en les observant à l’œilleton de la porte. On leur expose brièvement les services internes et leur avalanche d’acronymes :

« Je veux pas rester ici [sanglots] !... Je connais pas bien les procédures. Il y a des codes, un langage… On me parle de SPIP, de GENEPI, tout ça… [soupir]… J’suis un petit peu en manque de repères. Comme dans un pays étranger… je connais pas du tout la langue » [Thierry, 40 ans, chef de PME, incarcéré pour fraude fiscale].

11Une fois placés dans les quartiers d’hébergement, les nouveaux sont alors plongés dans le grand bain de la détention. Louis, un notaire de soixante ans incarcéré pour détournement de fonds, assure qu’il se rappellera toute sa vie de son premier jour :

« Il faut venir ici pour faire une expérience inattendue. C’est quand même un monde à part, un monde très hostile. Le bruit… les gens qui hurlent […], la cohabitation de gens bêtes […] la médiocrité des repas [et] le côté olfactif : Le tabac, les odeurs des gens […]. Ça pue ! Tout pue ! Là j’ai désespéré : Oh putain ! Combien de temps comme ça ? Je vais jamais supporter… ».

12Évoluer et se repérer dans la vie en prison suppose également de se familiariser aux normes intramuros, d’autant que le règlement intérieur et le règlement à l’intérieur ne sont pas à confondre. En la matière, l’administration elle-même fait preuve d’une labilité qui la rend peu prévisible [Goffman 1968, p. 92-98]. Quant à elles, les sociabilités interdétenus se déploient selon une hiérarchie sociale spécifique qui ne peut en aucun cas être ignorée [Le Caisne 2004]. Cette dernière répond, sans aucun doute, au mouvement continu de brassage de centaines de gens arrachés à leur ordinaire. Certains jouent le jeu. Certains s’y résignent. Dès son premier jour, Sharif, jeune dealer à peine majeur très au fait de ces règles, envoie une « droite dans [la] cramouille [figure] » du « pointeur » désigné de sa cour de promenade : « Salope ! T’es un violeur, tu vas pas en promenade, c’est la règle ! ». Qu’il le veuille ou non, le nouvel arrivant intègre des rapports de domination qui déterminent sa capacité à se déplacer et à accéder à certains lieux. S’il se déniaise, il pourra les mobiliser ou s’en prémunir. Dans le cas contraire, il risque de les essuyer et d’être isolé :

« Quand j’suis arrivé, j’ai fait un truc que j’aurais pas dû faire… On m’a demandé pourquoi j’étais là et j’ai dit que j’étais là pour tentative de viol… Et là, ils m’ont frappé la tête. Moi j’aime pas la violence, ça m’a fait pleurer… Ils m’ont traité de fiotte » [Lionel, 30 ans, vendeur de modélisme, incarcéré pour tentative de viol].

13Régie par des règles propres à l’application aussi variable qu’arbitraire et traversée par des normes souterraines, la prison n’est pas seulement un lieu que l’on peine à arpenter et auquel on ne peut se soustraire. C’est aussi une peine intime. La nature déconcertante de cette expérience personnelle tient moins à son exotisme hétérotopique qu’au fait que la vie que les gens y mènent n’est pas celle qu’ils ont vécue. Leurs relations structurantes, leurs habitudes et repères ordinaires, leurs projets, les expériences, les modèles sociaux qu’ils ont incorporés – et gardés en mémoire – n’y ont globalement plus cours. Ce point est important car, ici, le présent et le passé affichent un rapport de discontinuité biographique que l’on sait être à l’origine de certaines fluctuations proprement mémorielles [Hartog 2012, p. 141, Balandier 1988, p. 221].

1.2. Prisonniers du présent : Le temps en châtiment

14À l’échelle des biographies, une peine de prison est régulièrement vécue sous le signe de l’impasse. « On a mis un stop à ma vie », sanglote Thierry. Ne pouvant plus continuer à être ce qu’ils étaient, les prisonniers changent, parfois jusqu’à ne plus se reconnaître eux-mêmes. Demba, un jeune sportif incarcéré pour violences, pense à haute voix : « Ma vie d’avant… tout ça… avec la détention, j’ai l’impression de plus être le même homme… La prison, elle te compresse… Elle t’attaque de tous les côtés et t’es plus vraiment toi ». Ce changement n’est pas maîtrisé. Il n’a pas de sens bien défini – entendu dans la double acception de direction et de signification. Extraites de leur univers familier, les individualités enfermées s’engagent plus ou moins brutalement dans un goulot d’étranglement identitaire qui s’accompagne d’une dérégulation des réflexivités, d’états de désorientation et de confusion :

15Quelques mois plus tôt, Louis s’épanouit dans son activité de notaire. Issu d’une vieille famille de notables catholiques, docteur en droit, il est aussi avocat d’affaire international à la tête d’un prestigieux cabinet. Ni femme, ni enfant, ce grand bourgeois malheureux en amour cultive son goût pour la gestion de ses domaines, de ses montages financiers et pour « la grande vie », celle « du grand monde » : « Je paye un million trois d’impôts par an, je peux bien débourser cent mille pour vingt jours à l’hôtel ! ». Voilà « trente-huit ans qu[‘il] rédige des actes » lorsqu’il est accusé d’avoir détourné six millions d’euros. « Cinq ans. Trois ans de prison ferme et deux avec sursis, assortis d’une interdiction perpétuelle d’exercer et de gérer une entreprise ». Après un an d’instruction, Louis est « détruit ». Éclaboussé par le scandale, l’ordre des notaires le radie. Le prestigieux cabinet est placé sous tutelle. Louis sait que c’est la fin de l’étude.

16Incarcéré un soir d’hiver, il se retrouve avec des « pousse-mégots », des « bons à rien », des « êtres vulgaires », « irrécupérables », eux-mêmes gardés par « des tâches en uniforme », des « gogols ». Effrayé par les autres prisonniers, le sexagénaire se « clochardise » et se rase le crâne pour passer inaperçu. Il ne s’aventure presque jamais hors de sa cellule.

17Le bilan est tragique. Plus de métier, plus de cabinet. Plus de client ni d’ami. Pas de parloir… Louis est « souillé », il est devenu le « pestiféré » de ses pairs et du « grand monde ». Physiquement, il ne se ressemble plus non plus. Il ne lui reste plus que sa mère, âgée et non moins déboussolée par le sort de son fils :

« Pour l’aider, moi, à distance c’est très difficile […] Recevoir des appels de dehors, des appels au secours et que je ne peux pas faire face, parce que je suis pas là. Ça me démoralise… Quand on a besoin de moi, je peux pas… Je peux pas. Ça, ça me tue ».

  • 7 Pour le moment et les besoins de la démonstration, les enquêtés présentés jusqu’ici ne figurent pas (...)

18Les semaines passant, le notaire s’alimente de moins en moins. « Dans le vide », il reste « assis sur une chaise, à regarder le mur toute la journée ». Il ne cesse de « penser à la corde » : « Je passais mon temps à me demander si je le faisais aux barreaux, dans la douche, est-ce que je le faisais avec des cachets… ». Louis est « fini ». Au regard de son existence, la prison constitue une contradiction presque totale. Ce n’est pas le cas de tous ses codétenus. Louis est un cas limite. Certains, plus représentatifs de la population pénale, s’en sortent mieux7, mais pour un temps seulement :

19À vingt-deux ans, Sharif, fils d’une mère célibataire travaillant comme femme de ménage, est bien plus familier de l’institution. De foyers en condamnations, ce jeune braqueur reconverti dans le deal et incarcéré suite à une série de règlements de compte sanglants n’est guère impressionné : « La prison… si t’es un homme, c’est pas dur […]. J’prends soin de moi, tu vois. J’fais plein d’trucs ». Survivant inespéré d’une violente vendetta, il y trouve même un refuge : « J’avais toujours peur de sortir et d’me prendre une balle ». Ancien membre du célèbre « gang des microbes », ce gros bonhomme hilare cultive une popularité légitimée par son profil criminel. En promenade, Sharif n’est pas un « petit ». Il peut se « balader », « bronzer », négocier avec les personnels de surveillance et intégrer les solidarités intramuros. Il martyrise les « pointus » et, « vrai » parmi les « vrais », noue des relations : « En vérité, j’suis bien. C’est une belle prison. Le temps il passe. […] J’me suis fait des potes ici ».

  • 8 Le cas en question relativise l’idée répandue que les classes populaires seraient plus adaptées et (...)

20Si malgré l’incarcération la continuité biographique est réelle, elle est aussi très incomplète : « Moi, j’assume la prison !... mais le soir, ça laisse gamberger ... ». Et pour cause, le jeune homme n’est pas si serein. Il est « la honte » de sa famille. Risquant de surcroît plus d’années de prison qu’il n’en a lui-même vécues, il est « le dernier » de sa bande. Trois de ses amis d’enfance ont été abattus dans l’année : « J’ai plus de collègue. Mes collègues à moi, ils sont morts... J’ai plus d’ami. Personne m’a envoyé de message : Ça va ? Tu tiens la route ? ». Or très vite, la route, Sharif ne la tient plus. « Largué » par sa copine, il persiste à investir une gloriole délinquante de plus en plus illusoire jusqu’à finalement tomber dans un quasi-anonymat au bout de quelques mois. Il a « tout perdu » : « J’ai voulu faire le voyou toute ma vie, j’ai pas réussi… […] j’ai pas envie d’pleurer, j’ai pas envie ! J’ai pas envie ! J’me dis, j’peux pas être faible d’esprit. J’suis fort ! J’suis fort ! [Mais] des fois, j’me dis qu’ça aurait été mieux qu’j’sois mort »8.

  • 9 Loin du sociologisme souvent accolé à ce terme, la représentativité est ici celle d’un processus si (...)
  • 10 Selon l’Observation International des Prisons, la durée moyenne des incarcérations était de 9,8 moi (...)

21S’il décrit en instantané l’adaptation des gens à la prison, l’ethnographe est logiquement enclin à distinguer les prisonniers abattus et hagards de leurs codétenus volontaires ou bravaches [Rostaing 1997]. Cependant, s’il prend, à l’inverse, le parti d’en rendre compte de manière diachronique, alors il constate qu’en réalité l’ensemble des postures individuelles évolue dans le temps de la peine [Venel & Ducloux 2016]. Ainsi, en dépit de l’évidente distance sociale qui sépare leurs profils, Louis et Sharif restent représentatifs9. En effet, hormis ceux qui n’écopent que de quelques semaines d’incarcération10, la totalité des 32 enquêtés se trouve plus ou moins rapidement démunie face à une situation que la violence des affects et ressentis rend difficilement intelligible. L’urgence de ce présent à la fois mal compris et mal maîtrisé renvoie le passé et l’avenir à d’obscurs horizons qu’aucune synthèse ne parvient plus à articuler [Elias 1984, p. 54]. Sharif ne le formule pas moins bien :

« Des fois, j’ai envie d’enlever mon cerveau et de l’ouvrir sur une table, de tout mettre les idées à plat : Le bon côté des choses, mon passé, mon avenir, ce qui va m’arriver. Mais c’est impossible… J’arrive pas… ».

22« Moi… je sais pas comment j’en suis arrivé-là », se demande un enquêté. Un autre réplique : « J’arrive plus à voir où je vais ». En attendant, la peine de prison représente un espace-temps caractérisé par l’inhibition des manières habituels de se percevoir, de se projeter, de se raconter soi-même à soi et aux autres [Bourdieu 1986]. « Ça devient un peu des grognements. Ça devient un peu des animaux au bout d’un moment », confie l’un des adjoints à la direction de l’établissement. « Trop de trucs en tête », « trop de problèmes », « trop de choses à régler », déplorent de leur côté les détenus, non plus seulement prisonniers de la prison mais aussi d’un état d’encombrement intellectuel commun aux situations de crise où le probable et le pensable sont désaccordés [Balandier 1988, op. cit., p. 220-221]. En somme, contrariant durablement l’allant de soi, la vie en prison entrave la tendance des habitus à se perpétuer [Bourdieu 2003, p. 318]. Laissés à eux-mêmes, les enquêtés sont peu à peu oubliés en s’oubliant eux-mêmes peu à peu. Sur le terrain, les entretiens biographiques ne suivent aucune chronologie.

« J’en ai marre de la détention, j’en ai marre de ma vie, j’comprends rien à ma vie […]. J’ai plus la même facilité d’expression que dehors. Des fois, je bugue... Et la mémoire aussi ! En prison, tu perds grave la mémoire... T’as la tête trop pleine… […]. Les émotions, elles prennent le dessus. J’arrive plus à trouver les mots, à parler… » [Demba, 30 ans, sportif, mandat de dépôt pour violences].

2. Trouver Dieu au « Royaume de l’absurde »

2.1. Nécessités, ressources sociales et alternative religieuse

  • 11 France Inter, le 24/04/09.
  • 12 Selon l’Observatoire International des prisons, 2011 [en ligne].
  • 13 Selon les sources du Ministère de la Santé et de l’Administration pénitentiaire, le taux national d (...)
  • 14  Selon les mêmes sources, le taux national de suicide est de 0,17 pour 1000 personnes, en détention (...)

23On le voit, cette suspension des repères spatiaux, temporels et sociaux entretient de rudes effets sur les pensionnaires. La prison est, certes, une impasse physique, mais aussi familiale, amoureuse, professionnelle, sociale et intellectuelle. Partant, la vie en prison vaut déni partiel des individualités et dérégulation des états réflexifs empêtrés dans un « présentisme » toxique [Hartog 2012]. Sans surprise, la singularité de l’espace carcéral dans la société française tient aussi à la surreprésentation localisée de diagnostics divers. La tension a fait de la constipation « le grand mal » de la détention11, selon l’ancien Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGPL). Mais le mal le plus répandu n’est pas le pire. Les états dépressifs, banalités s’il en est du paysage carcéral, relèvent d’une épidémiologie significative au point d’avoir été constitués en véritable question médicale [Gueniche 2004] : 66 % des prisonniers diagnostiqués dépressifs, 33 % des angoissés chroniques et 17 % des phobiques en tout genre développent leur pathologie en prison12 ; sinistre terreau sur lequel germe la violence à l’encontre d’autrui ou de soi-même. Ainsi, la vie d’un établissement pénitentiaire est hebdomadairement marquée par les agressions interdétenus, plus rarement par les pratiques d’automutilation, les tentatives de suicide (proportionnellement huit fois plus nombreuses qu’ailleurs13) et les suicides effectifs (au moins sept fois plus nombreux que dans le reste de la société14) :

« J’y avais jamais pensé de ma vie mais là, j’avais envie de mourir. De mettre fin à mes jours […]. J’me suis mis un sac poubelle sur la tête et j’me suis laissé partir. Mais j’l’ai enlevé par réflexe au dernier moment » [Demba].

24Confrontés à cette concentration de maux, non spécifiques à la prison mais spécifiquement suscités par elle de génération en génération de détenus, ces derniers recourent à plusieurs registres de pratiques constitués en ressources sociales. À l’échelle de la population pénale tout entière, la palette de comportements est étonnement variée. Tandis que certains détenus obtiennent la chance de reprendre des études ou celle d’avoir un poste de travailleur au service général ou aux ateliers, d’autres s’engagent dans l’économie intramuros du trafic et de la débrouille ou se saisissent de la référence au religieux. Quoiqu’il en soit, les usages sociaux de chacun de ces registres poursuivent une pluralité de finalités [Ducloux 2018].

  • 15 L’article ne traite pas de « la religion » comme d’une « entité » relevant d’une ontologie sociale (...)

25Unique registre disponible à ne pas supposer de qualité ou de compétence particulière, le religieux fait quant à lui office de ressource des sans-ressource. Sans incidence aucune sur les possibles remises de peine, visible, légitime et largement mobilisée, sa référence donne là aussi lieu à plusieurs types d’usages15. Toutes obédiences confondues, les détenus s’efforcent par son truchement de structurer leur quotidien, de se cultiver, d’intégrer des réseaux de sociabilités – et donc, de se protéger et d’accéder aux solidarités interdétenus ainsi qu’à certains lieux réservés ou peu accessibles [Sarg & Lamine 2011]. Enfin et surtout, le religieux se pose invariablement en alternative à l’équivoque à travers une syntaxe d’intelligibilité capable d’en rendre compte [De Certeau 1987]. En attendant, les usages in situ captiva du religieux ne renseignent pas la genèse de son recours, or celle-ci relève d’un fait mémoriel de grande envergure.

2.2. Les ressorts de « l’illumination »

26Ce n’est que récemment qu’une large enquête dédiée à « la religion en prison » a contribué à éclaircir l’énigme redoutable de « la conversion » intramuros [Rostaing & al. 2016]. Les auteures en distinguent plusieurs types en reprenant la taxinomie classique du pèlerin et du converti dressée par Danièle Hervieu-Léger [Hervieu-Léger 1999]. La conversion en prison se diviserait en trois types. Le premier rassemble les individus non religieux qui embrassent ex nihilo une obédience. Le second fait état de ceux qui abandonnent une religion instituée pour une autre. Le troisième et dernier type, quant à lui, se compose des prisonniers qui réinvestissent de manière circonstanciée la tradition religieuse de leur milieu familial.

27Classer pour classer reste toutefois peu intéressant, d’autant que cette modélisation se révèle aussi être un outil de mesure insoupçonné. En effet, alors que les recours au religieux constituent un véritable fait social tant ils se révèlent fréquents en milieu carcéral, les auteures indiquent que les conversions pures et simples ou interconfessionnelles demeurent exceptionnelles [Rostaing & al. 2016, p. 165]. Ainsi le troisième et dernier type acquiert-il le statut de généralité absolue !

28L’enquête le vérifie. L’ensemble des enquêtés ayant adopté des comportements religieux au cours de leur peine témoigne effectivement de religiosités similaires à celles de leurs parents. Ce résultat inédit n’est pas anodin car les confessions et les manières d’être religieux n’appartiennent pas davantage aux aînés croyants et pratiquants qu’aux enfants qu’ils ont éduqués et qui en ont été les témoins familiers, voire les acteurs précoces. Dès lors, il s’agit moins de penser cette reprise à l’échelle d’une généalogie plutôt qu’à l’échelle de l’histoire de l’individu, certes habituellement détaché du religieux mais dont l’enfance reste marquée par sa référence. Partant, tout porte à croire que le recours au religieux se fait, ici, l’indicateur d’un plus vaste mouvement.

  • 16 Ici, le religieux fait office de révélateur privilégié de ces effets de cheminée dans les mémoires, (...)

29In situ captiva, la suspension de l’être au monde adulte et ordinaire entraînerait une « régression » vers des repères et des acquis plus anciens qui, elle-même, se traduirait par la réminiscence observable de modèles sociaux intériorisés par les prisonniers au cours de l’enfance [Ducloux 2018]. Les intéressés n’en ont pas conscience. Ici, la remémoration n’est pas souvenir mais réactualisation d’une disposition incorporée de longue date16. En réalité, dans l’urgence néfaste de la vie en prison, ils ne se saisissent pas tant du religieux qu’ils ne sont saisis par lui. Interpellés sans logique apparente par de subites angoisses, les détenus concernés se voient soudain entourés de « signes » et de « coïncidences » indiquant une céleste mise en demeure. Ils reçoivent d’ailleurs « les clefs pour comprendre » l’ici. Louis a « compris la leçon ». Et tandis qu’il se repent d’une vie « superfétatoire », « souillée » et « emportée par le vice », Sharif « ouvre [son] cœur » au « bon Dieu » qui le destine à « l’enfer ». Parmi leurs codétenus, certains « profanes » se sentent « possédés » par des « djinns », « punis » ou « appelés » par Dieu après avoir vécu « éloignés » de Lui, etc.

Conclusion : Prison et mémoire sociale

30Les résultats de cette enquête contribuent à trois chantiers distincts. Le premier, le plus évident et le plus récent – le plus restreint aussi –, est bien sûr celui des études du fait religieux en milieu carcéral. Relativisant le pesant mystère de « la conversion » et les fantasmes de contamination religieuse notamment entretenus par le traitement médiatique contemporain, le recours de certains prisonniers au religieux semble bel et bien relever quasi exclusivement d’une réaffiliation à la religiosité de leurs parents.

31D’autre part, les ressorts sociaux de ce phénomène massif réinterrogent à nouveaux frais ce que l’on sait de l’expérience des individus évoluant au sein des institutions totales. Il faut dire que, dans la lignée d’une longue tradition académique postulant tantôt la mutilation [Foucault 1975, Pollak 1990], tantôt l’annulation pure et simple des histoires vécues et incorporées par les individus en situation d’internement [Goffman 1968], l’épreuve de la prison est encore largement considérée comme un exemple paradigmatique de rupture biographique. Ce n’est que partiellement vrai. En effet, manipulés en qualité de « symptômes » dûment circonstanciés, les nombreux « déclics » religieux trahissent en surface la poussée de processus travaillant plus profondément les individualités. À l’échelle d’une vie, si l’enfant et l’adulte emprisonné représentent bien les deux seuls âges religieux, alors la réaffiliation du second au premier (du désordre à l’ordre premier) témoigne d’une fulgurante incursion du mort dans le vif. Mettant ainsi en évidence une plasticité historique se posant en garantie face à la rupture totale, les individualités éprouvées retombent finalement dans leurs « filets biographiques » ; d’ailleurs, ceux qui en sont dépourvus sont plus susceptibles de payer ce séjour de leur vie ou de leur raison [Ducloux 2018]. C’est ainsi que la variable de l’habitus se rappelle à une littérature désormais accoutumée à l’écarter et à ne plus véritablement questionner les institutions totales à travers leurs effets de socialisation.

32Plus globalement enfin, cet état de fait convoque les dimensions spatiale et mémorielle. Leur configuration s’y montre peu commune. Lieux d’oubli(s) et d’angoisse, les établissements pénitentiaires sont pourtant le théâtre d’une dynamique mémorielle. On y observe des mouvements de régression et de réminiscence au sein des passés incorporés. À la fois trou et cadre de mémoire, l’espace carcéral rappelle la nécessité de penser la mémoire et l’oubli telles des conditions réciproques, ainsi que le danger de réduire la mémoire à ses contenus. Ici, l’espace permet de formuler l’idée que la remémoration ne suppose ni souvenir ni encore moins anamnèse – la névrose est d’ailleurs le pendant pathologique de ce processus. Au contraire, comme le montre les cas d’« illuminations spirituelles », l’efficacité heuristique de la remémoration semble pour partie suspendue à l’ignorance de ses origines. En somme, le passé « tombe » sur ceux qui se remémorent sans le savoir. Et c’est une part des individus qui, malgré eux, fait mémoire.

33Enfin, si par effet de cloisonnement disciplinaire, le couple mémoire/prison apparaît mal assorti, il permet pourtant d’identifier et de pister une mémoire ignorée en tant que telle. La mémoire religieuse ne survit pas à l’incarcération. Elle s’y révèle. Par conséquent, les prisons acquièrent elles-mêmes le statut de révélateurs localisés d’une mémoire religieuse qui, en réalité, continue de traverser sous un état de latence une société dite « sécularisée » [Bréchon 2018].

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Notes

1 La mémoire, l’histoire, l’oubli s’ouvre précisément sur « une phénoménologie du souvenir », ces images « que l’on a devant l’esprit », p. II.

2 Un peu hasardeuse, la méthode consistait donc à rencontrer en entretien biographique des individus aux profils sociaux diversifiés, récemment incarcérés et à les suivre à intervalle régulier tout au long de leur peine de prison en attendant « l’illumination » de certains d’entre eux. En somme, il s’est agi de conduire une sociologie de la « conversion » religieuse en enquêtant des futurs convertis qui s’ignoraient en tant que tels. En tout état de cause, après quelques 88 entretiens biographiques courant sur 26 mois d’enquête quotidienne en détention (de juillet 2014 à septembre 2016), 15 des 32 enquêtés suivis avaient effectivement adopté des comportements religieux.

3 Au 1er janvier 2020. Cf. « Statistique trimestrielle des personnes écrouées en France », Ministère de la justice [en ligne].

4 Par souci d’anonymat, la localité exacte ne sera pas renseignée. De la même manière, les documents cités qui seraient explicitement en lien avec l’établissement ne seront pas référencés.

5 En 2011, l’établissement déplorait un taux de suicide de 7,4 pour 1000 alors qu’en milieu carcéral la moyenne nationale est de 2 pour 1000 (0,17 pour l’ensemble de la société).

6 Cinq profils sont attribuables. Le P1 : « détenu ordinaire », le P2 : « vulnérable ou manipulable », le P3 : « suicidaire », qui implique un régime spécifique de surveillance, le P4 : « agité » et pour finir le P5 : « DPS » (Détenu particulièrement surveillé). Une fois le profil établi, celui-ci est directement enregistré dans l’ordinateur et figurera dans la base de données informatique accessible à tout le personnel pénitentiaire.

7 Pour le moment et les besoins de la démonstration, les enquêtés présentés jusqu’ici ne figurent pas parmi les moins dotés en termes de capitaux sociaux. Certes, parmi les populations désaffiliées qui y sont les plus exposées, certains intériorisent et transmettent une certaine connaissance sociale de l’institution (cf. Bony 2014), Néanmoins, ce texte s’inscrit en faux contre l’évidence que ces prisonniers incarneraient des types opposables. Voir infra.

8 Le cas en question relativise l’idée répandue que les classes populaires seraient plus adaptées et donc plus épargnées par les affres d’une vie en prison qui, par ailleurs constitue le pire châtiment actuellement infligé par les sociétés occidentales. Aucun des enquêtés de l’échantillon, si bravache et pauvre soit-il, n’a été en mesure de perpétuellement se prémunir des difficultés posées par la prison. « Faut pas croire, ici, tout le monde pleure », assure l’un d’eux.

9 Loin du sociologisme souvent accolé à ce terme, la représentativité est ici celle d’un processus si répandu qu’il est empiriquement observable chez des individus aux origines et aux profils sociaux extrêmement distants (statistiquement « incomparables »). La diversité sociale fait aussi partie de la réalité carcérale. L’appréhender au travers de certains « groupes » statistiquement harmonieux revient à découper une complexité humaine qui reste pourtant observable in vivo.

10 Selon l’Observation International des Prisons, la durée moyenne des incarcérations était de 9,8 mois en 2018 [en ligne].

11 France Inter, le 24/04/09.

12 Selon l’Observatoire International des prisons, 2011 [en ligne].

13 Selon les sources du Ministère de la Santé et de l’Administration pénitentiaire, le taux national de tentative de suicide est de 0,3, en détention il atteint 2,5.

14  Selon les mêmes sources, le taux national de suicide est de 0,17 pour 1000 personnes, en détention il atteint 2 pour 1000.

15 L’article ne traite pas de « la religion » comme d’une « entité » relevant d’une ontologie sociale spécifique. Abordé selon la tradition de la sociologie générale, ce registre de pratique n’est pas analysé à la manière des sciences religieuses traitant de spécificités dogmatiques ou des habituelles approches littéralistes (prétendant expliquer les pratiques des gens du commun à partir de savants commentaires des textes saints). Ici, seuls comptent les faits empiriquement constatables. Cf. Michel 2003.

16 Ici, le religieux fait office de révélateur privilégié de ces effets de cheminée dans les mémoires, mais le propos peut tout aussi bien être démontré à partir des analyses dédiées aux détenus-étudiants. cf Salane 2010, p. 79.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thibault Ducloux, « Là où s’échouent les destinées. Les prisons, dévoreuses de mémoires ? »Bulletin de l’association de géographes français, 97-3 | 2021, 338-351.

Référence électronique

Thibault Ducloux, « Là où s’échouent les destinées. Les prisons, dévoreuses de mémoires ? »Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 97-3 | 2020, mis en ligne le 31 décembre 2021, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/7009 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.7009

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Auteur

Thibault Ducloux

Docteur en sociologie, Centre Maurice Halbwachs/EHESS – Courriel : thibault.ducloux[at]ehess.fr

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Droits d’auteur

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