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AccueilNuméros92-3L’agriculture familiale

L’agriculture familiale

Family farming
Claire Delfosse
p. 283-287

Texte intégral

1Si l’intérêt pour l’agriculture familiale remonte à plus d’un siècle, en France notamment, plus récemment, l’année 2014 a été déclarée par l’ONU année internationale de l’agriculture familiale.

2Cette consécration s’inscrit dans un contexte de renouveau des questions agricoles et alimentaires tant dans les pays du Sud (“émeutes de la faim” en 2008), que dans les pays du Nord (accès de tous à une “bonne” alimentation…). Si l’agriculture familiale a été choisie, c’est qu’elle représente une bonne partie des exploitations à l’échelle mondiale, tout en demeurant très modeste économiquement, et surtout parce que les modèles agricoles sont re-questionnés. Ils le sont au nom de la quantité des aliments à fournir pour nourrir la planète, mais aussi de la qualité de ces aliments. Ils le sont également au nom de l’environnement, des enjeux sociaux, et plus généralement du développement et de l’aménagement des territoires.

  • 1 Argumentaire FAO sur la page d’accès du site de la FAO consacré à l’année internationale de l’agric (...)

3Pour la FAO, préserver et promouvoir l’agriculture familiale permet de répondre à ces enjeux : “L’agriculture familiale et la petite agriculture sont liées de façon indissociable à la sécurité alimentaire mondiale. L’agriculture familiale préserve les produits dits traditionnels, tout en contribuant à une alimentation saine et équilibrée, à la conservation de la biodiversité agricole mondiale et à l’utilisation durable des ressources naturelles. L’agriculture familiale peut être un moyen de stimuler les économies locales surtout si elle est associée à des politiques spécifiques axées sur la protection sociale et le bien-être des communautés”1. L’agriculture familiale tend à devenir un modèle de développement durable dans toutes ses composantes, y compris culturelles. Depuis plusieurs années des rapports de la FAO insistent sur la nécessité de valoriser et préserver les produits traditionnels issus de l’agriculture familiale.

4Mais qu’entend-on par agriculture familiale ? La définition du site Internet de la FAO (“L’agriculture familiale englobe toutes les activités agricoles reposant sur la famille, en relation avec de nombreux aspects du développement rural. L’agriculture familiale permet d’organiser la production agricole, forestière, halieutique, pastorale ou aquacole qui, sous la gestion d’une famille, repose essentiellement sur de la main-d’œuvre familiale, aussi bien les hommes que les femmes”)2 est parlante, efficace, et d’une certaine façon suffisamment vague pour décrire une grande variété de situations.

5En effet, dès que l’on essaie d’être plus précis, les difficultés commencent, car la réalité est complexe, et tenter de la cerner est un véritable défi à relever par les chercheurs dont l’agriculture familiale est l’objet d’étude, et par les politiques publiques qui visent à la promouvoir. L’agriculture familiale revêt des enjeux différents suivant l’échelle à laquelle nous nous plaçons et l’espace où nous nous situons parce que les situations économiques et sociales et même les conditions de production agricole et les marchés diffèrent. La famille, elle-même, revêt des formes différentes, y compris dans ses logiques de mobilité spatiale.

6Ce numéro apporte une contribution importante au débat dans la mesure où il analyse les enjeux politiques qui se cristallisent autour de l’agriculture familiale, sur le temps long, aux échelles nationales, infranationales, internationales. Il montre la circulation des savoirs et des modèles, la prégnance des idéologies dans la perception de l’agriculture familiale et dans l’élaboration des politiques. Il analyse les tensions entre tradition et innovations agricoles et sociales autour de l’agriculture familiale. Il interroge la place des femmes dans le maintien et la valorisation de cette agriculture. Enfin, il montre le nécessaire lien entre politiques agricoles et politiques de développement rural.

7L’agriculture familiale participe de constructions idéologiques ou de mythes nationaux. Pierre Cornu analyse le mythe de la petite agriculture en France et il montre le poids de l’agrarisme dans ces débats depuis le 19ème siècle. Il démonte les mécanismes idéologiques qui structurent les questionnements scientifiques et politiques sur plus d’un siècle. L’article de Perrine Vandenbroucke poursuit cette réflexion depuis les années 1960 notamment autour des liens entre agriculture, famille et territoire. Il montre comment l’agriculture familiale participe de la construction d’un discours sur les liens entre agriculture et espace rural, sur la multifonctionnalité de l’agriculture et des espaces ruraux. Clara Craviotti et Claire Cerdan soulignent l’importance de l’adhésion ou du refus des politiques libérales et néo-libérales pour le refus ou l’adoption de politiques favorables à l’agriculture familiale. Elles analysent également comment la reconnaissance de cette agriculture participe du processus de démocratisation à l’œuvre depuis les années 1990 en Argentine et au Brésil. Les ONG elles-mêmes véhiculent des idéologies à l’échelle internationale en intervenant en faveur de l’agriculture familiale autour des rapports de genre et de préservation de la diversité des cultures et des milieux (Lacombe, Cerdan).

8Dans un grand nombre d’articles de ce numéro il apparaît que le déploiement de l’agriculture familiale est lié à l’instauration d’un modèle. On voit ainsi que la France et ses lois d’orientation agricole de 1960 et 1962 inspirent fortement les pays du sud de l’Amérique latine quand il s’agit de promouvoir l’agriculture familiale. Les modèles de développement circulent entre le Brésil et l’Argentine dans le cadre des accords du Mercosur. Clara Craviotti montre comment dans ces pays le modèle peut déboucher sur la reconnaissance et l’établissement d’un statut, comment il inspire une définition statistique et permet la création d’un ministère, en Argentine et au Brésil, spécialement consacré à l’agriculture familiale. La mise au jour d’un ou de plusieurs modèles susceptibles d’agir sur les politiques en faveur de l’agriculture familiale est cependant toujours nuancée par les auteurs. Ainsi Perrine Vandenbroucke rappelle qu’en France le modèle agrariste va à l’encontre de ce que l’on pourrait considérer comme une agriculture familiale guidée par un projet familial. Claire Cerdan souligne la faiblesse du budget du ministère en charge de l’agriculture familiale au Brésil en regard du budget alloué au ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de l’Approvisionnement (MAPA). Le modèle politique de l’agriculture familiale ne semble pas encore avoir concerné les politiques agricoles de l’Afrique de l’Ouest décrite par Roland Pourtier. Les Indications géographiques (IG) et les circuits courts constituent aujourd’hui des voies de développement de l’agriculture familiale et par voie de conséquence en promeuvent une nouvelle forme, et Nicolas Lacombe souligne combien les IG, modèle de développement imposé d’une certaine façon, peuvent déstructurer les équilibres sociaux et environnementaux. Claire Cerdan rappelle par ailleurs que c’est le grand ministère de l’agriculture (MAPA) qui au Brésil gère les IG, et non pas celui de l’agriculture familiale. Si dans les pays du Nord, la promotion de l’agriculture familiale passe pour beaucoup par celle des circuits courts, et la figure du citoyen-consommateur associé au paysan, dans les pays du Sud, les circuits courts permettent de qualifier aux yeux des développeurs l’agriculture familiale des espaces périurbains et urbains. Enfin les débats politiques et économiques internationaux autour du mot d’ordre “nourrir la planète” tendent à revaloriser l’agriculture paysanne au nom de l’agro-écologie, c’est ce qu’analyse l’article de Marc Dufumier.

9La complexité de l’agriculture familiale doit être considérée dans ses rapports à la tradition et à l’innovation. Clovis Dorigon notamment, ainsi que Claire Cerdan, montrent comment des “traditions” à des fins d’autoconsommation donnant des produits “spécifiques locaux ou de terroir” trouvent une nouvelle vocation dans une économie de marché, requalifient des savoir-faire et suscitent des innovations comme celles la création de coopératives agricoles familiales. On peut également citer les coopératives marocaines valorisant les produits de terroir de l’Arganeraie. Ces innovations remettent en cause la répartition des tâches au sein de la famille.

10Il est un autre point mis en avant par les articles de Nicolas Lacombe, Roland Pourtier et Hélène Chauveau, celui de la place des femmes dans l’agriculture familiale. Pour que l’agriculture familiale se maintienne, il faut que les filles restent, que les conditions de vie des femmes et des jeunes filles s’améliorent. Ainsi, au Maroc, les coopératives féminines transformant l’huile d’argan visent à valoriser les femmes, à leur donner une place dans l’économie marchande, et à essayer de les rendre plus indépendantes. Certaines coopératives offrent même des cours d’alphabétisation, des crèches pour les enfants (c’est là une des principales interventions des ONG). Le système familial au sud du Brésil revalorise les femmes et permet le retour des filles qui sont allées à la ville pour s’instruire. Toutefois l’évolution n’est pas toujours favorable aux femmes. On peut déprécier leur rôle, détruire leurs savoir-faire (Nicolas Lacombe) ou redistribuer les tâches entre hommes et femmes (Roland Pourtier).

11Maintenir, valoriser l’agriculture familiale passe par des politiques d’aménagement et de développement rural. Roland Pourtier qualifie l’agriculture d’autoconsommation traditionnelle de l’Afrique de l’Ouest de “production dormante qui ne demande qu’à se réveiller” si les conditions de commercialisation s’améliorent. Il montre le poids de la contrainte dans le maintien de certaines pratiques et l’importance de l’aménagement et de l’amélioration des voies de communication. Maintenir les filles comme les jeunes sur les exploitations familiales suppose de leur offrir des loisirs et des perspectives de vie meilleures comme l’analyse Hélène Chauveau. La diversification de l’économie rurale constitue également une chance pour l’agriculture familiale. La multifonctionnalité des espaces ruraux qui ne cesse de s’affirmer dans les pays du Nord commence à apparaître dans les pays émergents (Brésil, Argentine, Maroc à peine). La valorisation des produits identitaires issus de l’agriculture familiale contribue à requalifier les espaces ruraux : les produits coloniaux sont une chance pour le sud du Brésil, et les coopératives de production d’huile d’argan deviennent des outils de développement du tourisme rural au Maroc. Finalement, la valorisation de l’agriculture familiale s’inscrit nécessairement dans le regard porté à l’espace rural par des sociétés de plus en plus urbanisées.

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Bibliographie

Anthopoulou, T. (2008) – « Savoir-faire alimentaires et création d’entreprises par les femmes en milieu rural. Étude locale dans le Péloponnèse. Grèce », Cahiers Agricultures, vol. 17, n° 6, pp. 577-581.

Granie, AM., Guetat-Bernard, H., Plan, O. & Terrieux, A. (2014) – « Similitudes des questions entre Nord et Sud. Diversité des contextes », Pour, n° 222 (2014/2), pp. 25-31.

Gasselin. P. & al. (dir.) (2014) – L’agriculture en famille, travailler, réinventer, transmettre, INRA-SAD, ouvrage en ligne, 382 p., http://www.edp-open.org/lagriculture-en-famille-travailler-reinventer-transmettre

Petit, M. (2006) – « L’exploitation agricole familiale : leçons actuelles et débats anciens », Cahiers Agricultures, vol. 15, n° 6, pp. 486-490.

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Notes

1 Argumentaire FAO sur la page d’accès du site de la FAO consacré à l’année internationale de l’agriculture familiale (www.fao.org/family-farming-2014/fr).

2 Qu’est-ce que l’agriculture familiale : www.fao.org/family-farming-2014/fr/

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Pour citer cet article

Référence papier

Claire Delfosse, « L’agriculture familiale »Bulletin de l’association de géographes français, 92-3 | 2015, 283-287.

Référence électronique

Claire Delfosse, « L’agriculture familiale »Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 92-3 | 2015, mis en ligne le 22 janvier 2018, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/661 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.661

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Auteur

Claire Delfosse

Professeur à l’Université Lyon 2 – Courriel : Claire.delfosse[at]wanadoo.fr

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