1L’étude du problème de la tolérance ethnique de la population de l’oblast d’Irkoutsk est un sujet d’actualité pour les raisons suivantes : premièrement, la région est un récepteur de flux migratoires en provenance d’Asie Centrale, du Caucase, de la Transcaucasie, et dans une moindre mesure de la République Populaire de Chine. L’arrivée de migrants dans la région se caractérise par la création et le développement de communautés ethniques. Deuxièmement, on enregistre ces dernières années une hausse du nombre de touristes chinois dans le pays, et en particulier dans la région d’Irkoutsk. L’identification des particularités de l’attitude de la population locale envers ces catégories d’étrangers a non seulement un intérêt analytique mais a aussi un intérêt géopolitique afin de prévenir une instabilité sociale et d’éventuels conflits interethniques. L’objectif de notre étude est d’analyser comment la population de la région d’Irkoutsk perçoit les immigrants et les touristes. Il s’agit d’estimer le niveau de tolérance à l’égard de l’origine géographique des différents groupes d’immigrants et de touristes et de trouver des explications à l’attitude différenciée envers ces populations étrangères.
2Le problème de la tolérance ethnique est d’actualité en Russie avant tout en raison de la croissance du nombre d’immigrants et de la montée des tensions interethniques. La présence sur l’ensemble du territoire russe d’immigrants venus des ex-républiques soviétiques et d’autres pays est source d’importantes tensions sociales depuis la dernière décennie [Badishtova 2003]. L’analyse de ces tensions est faite dans les travaux de Drobizheva L., Filippova E., Lebedeva N., Kosmarskaya G., Vitkovskaya G. Certains auteurs attestent de la propagation de la phobie des immigrants parmi les populations locales. Dans ce contexte, les analyses de l’attitude envers les immigrants sont au centre de l’attention de sociologues russes. Parmi les travaux les plus connus sur la tolérance de la population de la Russie, on peut citer ceux de Ribakovskiy L., Zayonchkovskaya Zh., Asmolov A. et Soldatov G. Les résultats de leur étude montrent que la tolérance générale des Russes, y compris la tolérance ethnique, est d’un niveau assez bas. La problématique des relations interethniques est largement étudiée dans les analyses psychologiques, dont la grande majorité se concentre sur la tolérance ethnique des jeunes, y compris des étudiants [Pouzanova & Demidova 2012, Trofimova 2012, Milyukova & Botalova 2016]. Les problèmes des étudiants migrants [Boulatova & Gloukhov 2018] ainsi que l’apparition de la xénophobie parmi les jeunes sont étudiés [Sakaev 2017].
3Des travaux relatifs à l’attitude envers les immigrants existent à l’échelle du pays [Magomedov 2016] mais aussi dans les régions [Badishtova 2003, Troufanov & Rafikov 2018]. Parmi ces études, certaines analysent l’attitude de la société réceptrice envers les travailleurs et étudiants migrants à la lumière de leur adaptabilité [Ochirova & al. 2015, Shitova & al. 2016, Nam & Rasskazchikova 2018,]. D’autres étudient l’influence de différents facteurs sur le niveau de tolérance envers les immigrants [Martinov & Pourtova 2017, Moukomel & Rizhova 2017, Nesterova & Souslova 2017]. La relation entre l’identification ethnique et la tolérance interethnique est aussi activement étudiée [Samsonkina 2013, Berberyan & Naydenov 2016]. En revanche, la problématique de la différenciation du niveau de tolérance ethnique selon les différents groupes socio-démographiques de la population demeure faiblement étudiée.
4Les problèmes de l’attitude de la population russe envers les touristes étrangers sont moins étudiés, tant en psychologie qu’en sociologie. Le plus souvent, l’attitude envers les touristes est considérée dans le contexte de la problématique du développement de l’économie du tourisme et de l’hospitalité [Danilenko & Roubtsova 2014, Krivosheeva 2014, Roubtsova 2014, Ponedelnik & al. 2017].
5Dans ce contexte, l’analyse globale de l’attitude de la population de l’oblast d’Irkoutsk envers les immigrants et les touristes étrangers, en relation avec leur niveau de tolérance ethnique, représente un intérêt indéniable.
- 1 Désignées, dans ce qui suit, comme les répondants, ou les interrogés.
6Une étude sociologique de l’attitude de la population de la région envers les immigrants et les touristes étrangers a été réalisée en mai - juin 2018. Le traitement des données recueillies à partir de 500 questionnaires a été réalisé en utilisant la méthode de Davidov et Krishtanovskiy [Krishtanovskiy 2007] selon laquelle la structure de l’échantillon est corrigée en fonction des quotas (proportionnellement à la distribution par sexe et par âge de la population de la région). Après élimination des questionnaires mal remplis, il en a résulté un échantillon de 488 personnes1. L’erreur d’échantillonnage est inférieure à 5 %, ce qui garantit la représentativité de l’étude [Yadov 1998]. L’évaluation de l’intensité et de la structure des flux migratoire et touristique par les répondants a été mise en relation avec les données de l’Autorité Territoriale du Service Fédéral de la Statistique Publique de l’oblast d’Irkoutsk, ce qui a permis de tirer des conclusions quant à l’adéquation de la perception des répondants avec les chiffres objectifs du nombre et de la structure de l’immigration et du tourisme international.
7Le terme « tolérance » provient d’un mot latin « tolerantia » qui signifie patience, acceptation. La tolérance ethnique caractérise l’attitude d’un groupe local envers les représentants d’autres communautés ethniques. Elle est comprise comme une forme particulière d’interaction sociale, de valeurs et de vision du monde [Mendus 1989, Dilhac 2014], c’est la volonté d’accepter les différences socioculturelles d’autres groupes ethniques. La tolérance ethnique est une caractéristique de l’intégration interethnique qui se caractérise par « l’acceptation » et l’attitude positive envers sa propre culture et les cultures d’autres groupes ethniques avec lesquels ce groupe entre en contact [Pouzanova & Demidova 2012].
-
Pour estimer la tolérance des habitants de l’oblast d’Irkoutsk vis-à-vis des étrangers, nous avons utilisé le questionnaire « Indice de tolérance » [Soldatova & Shaygerova 2008]. Le contenu du questionnaire est constitué des affirmations qui reflètent les valeurs sociales des répondants dans différents domaines d’interaction où la tolérance ou l’intolérance peuvent se manifester. On a demandé aux personnes interrogées d’estimer le degré de leur accord avec dix affirmations dont chacune d’entre elles caractérise l’attitude envers les représentants d’autres peuples et d’autres nationalités. La réponse suggère six niveaux d’acceptation : deux variantes expriment à des degrés différents une attitude positive ; deux variantes sont proches d’une réponse neutre ; deux variantes ont une consonance négative qui reflètent différents degrés d’intolérance. Chaque variante de réponse reçoit un score allant de un à six points, le plus petit score étant associé à la plus haute tolérance. Tous les scores de toutes les questions sont additionnés de sorte que le score cumulé donne l’indice de tolérance final.
8La valeur de l’indice final de tolérance peut varier de 10 à 60 points, échelle dans laquelle le niveau de 10 points désigne l’attitude la plus tolérante, et celui de 60, la plus forte intolérance. Afin de traiter les données et d’interpréter les résultats de l’analyse, on distingue les intervalles suivants d’estimation sur l’échelle de l’indice de tolérance :
-
de 10 à 20 points – niveau de tolérance élevé ;
-
de 21 à 30 points – niveau de tolérance plus haut que le niveau moyen ;
-
de 31 à 40 points – niveau de tolérance moyen ;
-
de 41 à 50 points – niveau de tolérance plus bas que le niveau moyen ;
-
de 51 à 60 points – niveau de tolérance bas.
9Le traitement statistique des indices individuels a montré que l’indice varie de 10 à 56 points. Les valeurs moyennes de l’indice de tolérance ethnique se concentrent dans l’intervalle moyen (la valeur moyenne est de 31,7 points, 32 pour la médiane).
10Les attitudes de la population de l’oblast d’Irkoutsk dans la sphère de l’interaction interethnique se différencient en fonction du statut sociodémographique des répondants (âge, profession, niveau d’éducation), ainsi qu’en fonction de l’existence de contacts interethniques personnels.
11L’attitude vis-à-vis des immigrants et des touristes varie en fonction des classes d’âge. Le plus haut niveau d’indice de tolérance est propre aux personnes de moins de 30 ans (32,4 points) tandis qu’un score de plus faible tolérance (33,5) est observé dans la catégorie de personnes ayant l’âge de la retraite, ou proches de cet âge. Le niveau d’étude influence aussi directement le degré de tolérance envers les personnes étrangères. Les valeurs les plus hautes de l’indice de tolérance caractérisent les personnes ayant terminé leurs études supérieures (32,6) et celles qui poursuivent leurs études dans un établissement d’enseignement supérieur (32,4). Les personnes sans formation professionnelle sont celles qui expriment le plus bas niveau de tolérance envers les étrangers (33,7). Le groupe sociodémographique le plus favorable aux étrangers est donc celui des étudiants, ce qui est également confirmé par d’autres études [Korobkova & al. 2015].
12Le fait d’avoir des relations directes avec les immigrants (relations amicales proches, contacts professionnels plus formels, au domicile, à l’école etc.) détermine aussi le développement d’une attitude plus tolérante. Ainsi, pour les personnes ayant des contacts avec les étrangers, le niveau de tolérance est de 32,1 tandis qu’il est de 33,9 pour les personnes qui n’ont pas de contacts. Il est évident que la communication directe avec d’autres groupes ethniques aide la personne à créer sa propre opinion à leur égard et non pas à suivre aveuglement les stéréotypes établis qui, souvent, déforment l’image réelle des cultures étrangères. L’expérience d’interactions personnelles, même superficielles, permet de former une vision plus objective des « autres », de leurs caractéristiques personnelles et professionnelles, des particularités de leur comportement en lien avec leurs traditions nationales et culturelles.
13Regardons maintenant comment se manifeste le niveau de tolérance ethnique envers les immigrants.
14L’estimation subjective par les répondants de leur attitude envers les immigrants a révélé une situation contrastée. Une attitude amicale et compatissante domine chez 17,2 % des personnes interrogées tandis que 65 % estiment que leur attitude envers les immigrants est neutre, indifférente. 16,4 % des répondants ont une attitude inamicale, hostile envers les immigrants. On doit noter que l’estimation la plus négative est propre aux habitants de la ville d’Irkoutsk, alors que les habitants des villes et des communes de l’oblast d’Irkoutsk se caractérisent par une attitude plus positive envers les immigrants.
15La distance sociale entre la population et les immigrants s’observe pratiquement dans la moitié des cas : 45,7 % de répondants ont indiqué qu’ils ne connaissaient personnellement aucun immigrant (Figure 1). La part des répondants qui n’avaient pas de contacts personnels avec les immigrants est plus importante parmi les habitants de l’oblast d’Irkoutsk que pour les habitants de la ville d’Irkoutsk.
Figure 1 – Caractéristiques des interactions des répondants avec les immigrants(en % du nombre des répondants)
16Le développement de la tolérance interethnique est communément lié à la prise de conscience des processus migratoires comme une caractéristique de la société moderne [Nekludova 2017]. Pour analyser la compréhension par les répondants du volume et de la structure des migrations dans la région, la question suivante leur a été posée : « D’où viennent le plus souvent les immigrants dans votre ville ? ». 364 personnes (70,9 % des personnes interrogées) ont répondu à cette question. Le plus grand nombre de répondants a désigné les pays d’Asie Centrale : Tadjikistan (27,2 %), Ouzbékistan (23,4 %), Kirghizstan (6,1 %), Kazakhstan (1,2 %) et aussi 23,4 % des personnes interrogées ont évoqué les pays de l’Asie Centrale sans préciser de pays particulier. Selon les répondants, la deuxième place en terme d’importance des flux, revient aux immigrants de Chine (37,6 %). Les pays de la Transcaucasie et du Caucase du Sud ont été mentionnés par 3,8 % des interrogés ; en même temps, 8,1 % de ces personnes ont signalé des flux de migrants venant d’Azerbaïdjan, 4,9 % des flux venant d’Arménie et 1,2 % des flux venant de Géorgie. Et 5,5 % de répondants ont mentionné le flux de migrants venant d’Ukraine ; enfin, 1 % ont répondu en termes généraux signalant des flux migratoires en provenance des pays du voisinage proche (ex-URSS).
- 2 Les registres statistiques enregistrent les données concernant le nombre de migrants sur la base de (...)
17Les avis des répondants sont généralement plus ou moins proches de la réalité. Ainsi, selon les données de l’Autorité Territoriale du Service Fédéral de la Statistique Publique de l’Oblast d’Irkoutsk2, les plus grands flux migratoires vers l’oblast en 2011-2017 proviennent des pays du voisinage proche de l’Asie Centrale et de la Transcaucasie et, surtout après 2014, de la partie européenne de la CEI (Tabl. 1).
Tableau 1 – Nombre d’arrivants des pays du voisinage proche et d’autres pays dans l’Oblast d’Irkoutsk (en nombre de personnes)
Pays de provenance
|
2011
|
2012
|
2013
|
2014
|
2015
|
2016
|
2017
|
Pays du voisinage proche : total
|
3 410
|
3 057
|
3 287
|
3 823
|
4 120
|
3 689
|
3 765
|
y compris :
pays d’Europe de la CEI
|
307
|
308
|
385
|
892
|
1 184
|
1214
|
900
|
Biélorussie
|
46
|
42
|
43
|
31
|
34
|
46
|
47
|
Moldavie
|
47
|
39
|
58
|
69
|
80
|
60
|
33
|
Ukraine
|
214
|
227
|
284
|
792
|
1 070
|
1 108
|
820
|
Pays d’Asie centrale
|
2 365
|
2 118
|
2 201
|
2 296
|
2 340
|
2 033
|
2 352
|
Kazakhstan
|
162
|
202
|
212
|
247
|
288
|
239
|
294
|
Kirghizstan
|
801
|
598
|
571
|
441
|
404
|
433
|
354
|
Tadjikistan
|
762
|
761
|
857
|
903
|
937
|
916
|
1 122
|
Turkménistan
|
8
|
3
|
7
|
8
|
2
|
2
|
2
|
Ouzbékistan
|
632
|
554
|
560
|
697
|
709
|
443
|
580
|
Pays de la Transcaucasie
|
727
|
625
|
696
|
626
|
584
|
438
|
510
|
Azerbaïdjan
|
296
|
207
|
226
|
199
|
228
|
162
|
175
|
Arménie
|
391
|
384
|
413
|
381
|
316
|
240
|
270
|
Géorgie
|
40
|
34
|
57
|
46
|
40
|
36
|
65
|
Autres pays : total
|
128
|
91
|
143
|
126
|
97
|
82
|
171
|
y compris Chine
|
22
|
18
|
35
|
38
|
28
|
31
|
103
|
Source : Autorité Territoriale du Service Fédéral de la Statistique Publique de l’Oblast d’Irkoutsk
18Dans la structure de l’immigration vers l’oblast d’Irkoutsk, la part des migrants des pays d’Asie Centrale est élevée et stable ; elle compte en 2017 pour 62,5 % des flux migratoires, ce qui représente plus de 2 000 personnes par an. Parmi ces flux, la plus grande part est représentée en 2017 par les ressortissants du Tadjikistan (47,7 % du nombre des migrants en provenance d’Asie Centrale), de l’Ouzbékistan (24,7 %), du Kirghizstan (15,1 %) et du Kazakhstan (12,5 %). Ainsi, les opinions des répondants concernant l’importance du flux migratoire en provenance d’Asie Centrale, y compris par pays, sont assez conformes aux données statistiques.
19Au deuxième rang par ordre d’importance dans les statistiques officielles, on trouve les flux migratoires des pays de la Transcaucasie et du Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie). La structure de ces flux est dominée par les migrants venus d’Arménie ; un peu moins importante est la part des migrants de l’Azerbaïdjan, et la plus faible part est celle des migrants venant de la Géorgie. D’après les avis des répondants, ces flux migratoires sont au troisième rang en termes d’importance et, en même temps, la vision de sa structure est déformée : selon les personnes interrogées, la plus grande part revient aux migrants venant d’Azerbaïdjan alors que, selon les données statistiques, le plus grand flux provient d’Arménie.
20La plus grande partie des flux migratoires en provenance de la partie européenne de la CEI (troisième, en termes d’importance, selon les données statistiques) est représentée par les migrants venant d’Ukraine dont les effectifs sont en croissance depuis 2014. Placée seulement au quatrième rang par les répondants, l’importance de ce flux est sous-estimée dans l’opinion. Ainsi, l’immigration accrue en provenance d’Ukraine est mal appréhendée par la population locale car elle s’apparente à un flux de rapatriement de population russe.
21La part d’immigrants non ressortissants de l’étranger proche est relativement faible et concerne pour l’essentiel des Chinois. Cependant, en 2017, le nombre maximal de migrants chinois (103 personnes) est incomparablement inférieur au nombre d’arrivants des pays du voisinage proche (1 122 personnes venues du Tadjikistan, 820 d’Ukraine, 580 d’Ouzbékistan, 354 du Kirghizstan, 294 du Kazakhstan et 270 d’Arménie). Ainsi, l’opinion concernant le nombre de migrants chinois est fortement erronée, ce flux étant surreprésenté, car perçu au second rang d’importance après celui en provenance d’Asie centrale. On peut donc en déduire que, plus les caractéristiques ethniques et culturelles des immigrants sont proches des caractéristiques de la population locale, moins leur présence est ressentie dans la région.
22Afin d’étudier l’attitude de la population de la région envers les différentes catégories ethniques de migrants, on a posé la question ouverte suivante : « Envers quels immigrants (selon leur nationalité) éprouvez-vous une attitude plutôt négative que positive ? » ; 252 personnes (51,6 % du nombre total des interrogés) ont donné une réponse à cette question.
23Parmi les migrants qui suscitent une attitude négative, la « première place » est attribuée aux ressortissants d’Asie centrale (31,7 % du nombre des personnes interrogées qui ont répondu à cette question). Il faut souligner que 10,3 % d’entre eux ont donné comme réponse les migrants de l’Asie Centrale en général, 9,1 % ont parlé des Ouzbeks, 9,1 % des Tadjiks, 2,0 % des Kirghiz, 0,8 % des Turkmènes et 0,4 % des Kazakhs.
24La « deuxième place » revient aux migrants du Caucase et de la Transcaucasie, mentionnés par 25,4 % d’interrogés : 7,5 % d’entre eux ont nommé les migrants d’Azerbaïdjan, 4,8 % ceux venant d’Arménie, 1,2 % ceux de Géorgie, et 11,9 % ont cité les ressortissants du Caucase en général.
25Les migrants chinois ont été nommés en « troisième place », par 10,3 % des personnes interrogées.
26On peut donc conclure que les répondants ont désigné les groupes de ressortissants de l’Asie Centrale, du Caucase et de la Transcaucasie, les plus nombreux numériquement, comme ceux suscitant le plus d’attitudes négatives. Quant au flux important de migrants en provenance d’Ukraine, il ne provoque pas d’attitude négative (c’est seulement le cas pour 2,8 % des personnes interrogées).
27Pour déterminer l’attitude positive vis-à-vis des migrants des différents pays, on a posé la question ouverte suivante : « Quels immigrants méritent de l’aide, de la compassion ? ». Moins d’un tiers de répondants ont répondu à cette question (139 personnes soit 28,5 % du nombre total des personnes interrogées). En « première place », parmi les migrants qui suscitent de la sympathie, on trouve les migrants d’Ukraine (38,8 % du nombre des personnes qui ont répondu) et 8,6 % ont nommé les migrants de la République de Biélorussie et de la Moldavie (alors que les flux de migrants de ces pays est très faible) ; 2,2 % ont donné comme réponse « les Russes, les Slaves ». Ainsi la part des personnes qui ont mentionné les migrants d’origine slave représente presque la moitié des personnes qui ont répondu à cette question (49,6 %).
28En « deuxième place », on trouve les migrants qui ont été contraints d’immigrer et ceux qui ont une situation de vie difficile ; ce sont les réponses données par 16,6 % des personnes qui ont répondu à cette question. En outre, 5,0 % considèrent que ce sont les enfants des migrants qui méritent de la sympathie et de l’aide, 2,2 % que ce sont les personnes âgées et 0,7 % les femmes.
29Un dixième des répondants (10,1 %) a désigné les migrants d’Asie Centrale comme méritant de la sympathie, 3,6 % ont nommé les Kazakhs, 2,9 % les Ouzbeks, 2,9 % les Tadjiks et 1,4 % les Kirghiz. Parmi les ressortissants du Caucase et de la Transcaucasie, seuls les migrants venant d’Azerbaïdjan ont été mentionnés (7,9 %).
30Considérons maintenant l’attitude des répondants à l’égard de la situation des migrants dans le pays et la région (Figure 2).
Figure 2 – Estimation du niveau de tolérance en fonction de différentes situations d’immigration vers la Russie (en % des réponses)
31Plus de la moitié des personnes interrogées (52,9 %) sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « moins il y a de migrants, mieux c’est ». Seulement 12 % des personnes interrogées sont en accord avec l’affirmation « la Russie doit accueillir tout le monde souhaitant y vivre et travailler indépendamment de leur nationalité et du pays d’origine », c’est-à-dire une tolérance complète envers les immigrants. Parmi ceux qui ont eu des contacts avec les immigrants, 14,2 % partagent cette vision contre 10,5 % parmi ceux qui n’ont pas de contacts personnels avec les migrants. 23,3 % des personnes interrogées pensent que « la Russie peut accepter tout le monde, sauf les personnes ayant un passé criminel ». Parmi ceux qui ont eu des contacts avec les immigrants, 24,4 % sont d’accord avec cette affirmation contre 21,9 % parmi ceux qui n’ont pas eu de contacts. Ainsi, on peut affirmer que l’existence de liens personnels avec les immigrants permet non seulement de différencier leur attitude envers les migrants, mais aussi rend celle-ci plus tolérante, ce qui corrobore une analyse faite ailleurs en Russie. C’est souvent l’absence d’expérience d’interaction personnelle avec les migrants qui augmente considérablement les sentiments négatifs à leur égard, ainsi que les rumeurs et les peurs [Kosmarskaya & Savin 2016]. Le statut social des migrants et des personnes en contact avec les migrants déterminent également beaucoup la possibilité d’interactions positives [Light 2017].
32Parmi ceux qui pensent que la Russie doit accueillir principalement des Russes des ex-républiques soviétiques, prédominent les personnes ayant des niveaux de tolérance moyen et bas. En général, l’attitude négative envers les immigrants (« moins il y a de migrants, mieux c’est ») caractérise les personnes à niveau de tolérance moyen (55,7 %). Ce qui est frappant, c’est l’influence du niveau de tolérance sur l’attitude positive envers les immigrants de différents pays. Ainsi, les répondants ayant un indice de tolérance haut (22,2 %) et un indice plus haut que le niveau moyen (41,7 %) éprouvent de la sympathie envers les migrants du Caucase. Les personnes à niveau de tolérance moyen ne voient rien de mal dans l’immigration en provenance d’Asie Centrale (41,9 %). Parmi ceux qui pensent qu’il n’y a rien de mal à ce que les Chinois viennent en Russie, 41,7 % ont un indice de tolérance élevé, et 37,5 % un niveau de tolérance plus haut que le niveau moyen, c’est-à-dire que ce ne sont que les personnes à tolérance ethnique haute qui approuvent l’afflux de migrants chinois.
33Au regard de l’importance de l’économie touristique dans la région, il est pertinent dans cette étude de considérer la tolérance de la population d’Irkoutsk envers les touristes étrangers. Sur la base des données de l’enquête sociologique, on a procédé à l’analyse de l’attitude des personnes interrogées à l’égard des différents flux touristiques présents dans la région. Presque la moitié des répondants pensent qu’il y a beaucoup de touristes étrangers et que leur nombre croît (45,2 %) alors que 18 % estiment qu’il y a beaucoup de touristes mais que les effectifs sont stables.
34Cette appréciation ne correspond pas à la réalité. Selon les données de l’Autorité Territoriale du Service Fédéral de la Statistique Publique de l’Oblast d’Irkoutsk (Tabl. 2), le nombre de touristes étrangers accueillis dans la région entre 2011 et 2017 a atteint son maximum (47 369 personnes) en 2015 ; il a baissé jusqu’à 23 164 personnes en 2016 pour ensuite atteindre son minimum (9 787 personnes) en 2017.
Tableau 2 – Evolution du nombre de touristes étrangers dans l’oblast d’Irkoutsk (en nombre de personnes)
Pays de provenance
|
2011
|
2012
|
2013
|
2014
|
2015
|
2016
|
2017
|
Pays d’Europe
|
8 373
|
6 260
|
9 798
|
7 129
|
5 921
|
6 154
|
2 318
|
Etats-Unis
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
161
|
55
|
Canada
|
130
|
131
|
7
|
374
|
4 488
|
20
|
258
|
Japon
|
685
|
584
|
996
|
462
|
796
|
638
|
106
|
Corée du Sud
|
592
|
219
|
910
|
1 131
|
3 436
|
0
|
22
|
Chine
|
1 300
|
2 170
|
2 503
|
7 955
|
31 294
|
14 517
|
5 108
|
Nombre total de touristes étrangers
|
15 172
|
13 977
|
18 185
|
21 352
|
47 369
|
23 164
|
9 787
|
Source : Autorité Territoriale du Service Fédéral de la Statistique Publique de l’Oblast d’Irkoutsk
35Afin d’analyser l’attitude de la population locale envers les touristes étrangers, les flux touristiques ont été regroupés par provenance géographique :
-
les flux touristiques en provenance des pays d’Europe, des États-Unis et du Canada, du Japon et de la Corée du Sud (« anciens » flux pour la région d’Irkoutsk)
-
les flux touristiques en provenance de Chine (flux plus récents et en croissance).
36En 2011-2013 la grande majorité des touristes venaient des pays européens (de 58,3 % en 2011 à 53,9 % en 2013). Les flux de touristes du Japon et de Corée du Sud sont stables et relativement faibles (de 1,9 % à 10,5 % du nombre total de touristes étrangers). Les flux de touristes en provenance des États-Unis et du Canada sont dans l’ensemble respectivement insignifiants et faibles. Le nombre de touristes chinois est passé de 1 300 personnes (8,12 % du nombre total des touristes étrangers) en 2011, à 5 108 personnes (52,2 %) en 2017. Le nombre maximal a été enregistré en 2015 (31 294 personnes soit 66,1 % du nombre total des touristes étrangers cette année-là). Malgré la baisse de ce flux de touristes, dans l’esprit des répondants, il est perçu comme croissant.
37On a demandé à la population locale d’estimer leur attitude envers les différents flux touristes étrangers. Les touristes européens suscitent une attitude positive maximale. Les touristes du Japon et de Corée du Sud occasionnent une attitude assez positive tandis que les touristes des États-Unis et du Canada suscitent une attitude neutre et amicale. L’attitude négative la plus marquée concerne les touristes venus de Chine.
Figure 3 – Attitude de la population locale envers les touristes étrangers (en % du total)
38L’analyse de l’attitude de la population quant à l’importance qu’il y a à promouvoir le tourisme, montre que la moitié des personnes interrogées sont persuadées que la sauvegarde de la nature du lac Baïkal est plus importante que le développement du tourisme. En même temps, 45,8 % de ces personnes sont pour le développement du tourisme national et qu’il faut attirer des touristes d’autres régions de la Russie. Seulement un tiers des répondants (33,3 %) pensent que le développement du tourisme doit être une source importante de revenus pour la région.
39Concernant les touristes étrangers, 29,2 % des répondants pensent qu’il faut les attirer dans la région, alors qu’environ une cinquième (18,4 %) estiment que « moins il y a de touristes étrangers, mieux c’est ». En ce qui concerne la provenance géographique des flux touristiques, près de 20 % des répondants pensent qu’il n’y a rien de mal à ce que des touristes occidentaux (Europe et Amérique du Nord) viennent dans la région. Ce chiffre est 15,5 % pour les touristes originaires du Japon et de Corée du Sud. L’attitude la plus critique concernent les touristes chinois : seulement 11,8 % des interrogés pensent qu’il n’y a rien de mal à leur venue. L’attitude des habitants de la ville d’Irkoutsk pour toutes ces questions est plus positive que celle des habitants de l’oblast.
40L’analyse des attitudes des personnes interrogées comparée à leur niveau de tolérance ethnique (Fig. 4) montre que les attitudes positives (i.e. favorables à attirer les touristes, y compris étrangers, et à augmenter les revenus réels du tourisme dans la région) caractérisent essentiellement les répondants dont le niveau de tolérance est à un niveau moyen (38,5 % et 48,1 %) et plus haut que le niveau moyen (37,0 % et 31,8 %). L’orientation favorable au développement du tourisme national est caractéristique des répondants à niveau de tolérance moyen (41,8 %) et l’orientation favorable à la protection du lac Baïkal se manifeste chez les répondants à niveau de tolérance moyen (44,3 %) et plus haut que le niveau moyen (36,5 %).
Figure 4 – Attitude envers le développement du tourisme dans la région en fonction du niveau de tolérance des répondants (en % du total)
41Parmi les répondants qui ne voient rien de négatif dans la venue de touristes étrangers en général, dominent ceux qui ont un indice de tolérance plus haut que le niveau moyen, alors que la part des répondants ayant un niveau de tolérance élevé est assez grande. L’attitude clairement négative vis-à-vis du développement du tourisme international est affirmée essentiellement par les personnes interrogées qui se situent au niveau de tolérance moyen (56,6 %).
42Le niveau de tolérance global de la population locale peut être estimé comme très moyen. Cependant, l’enquête révèle des attitudes très contrastées envers les immigrants et les touristes étrangers. Parmi les facteurs qui influencent sensiblement le niveau de tolérance, on peut citer l’âge (les jeunes montrent le plus haut niveau de tolérance), le niveau d’éducation (les personnes ayant accomplies des études supérieures et les étudiants ont un niveau de tolérance élevé), le statut socio-économique et l’expérience de contacts personnels avec des étrangers.
43Les répondants ont évalué le nombre et la structure des immigrants des pays asiatiques de l’étranger proche de façon assez correcte, en faisant des différences entre les migrants de différents pays d’Asie centrale et du Caucase. Ces immigrants dont les flux sont les plus massifs suscitent une attitude essentiellement négative. Par ailleurs, les répondants ont surévalué le nombre de migrants venant de Chine, lesquels suscitent aussi une attitude négative. En revanche, la hausse du nombre de migrants originaires d’Ukraine est faiblement ressentie par la population locale et ne provoque pas d’attitude négative. Ainsi, on peut en déduire que plus les caractéristiques ethniques et culturelles des immigrants sont proches des caractéristiques de la population locale, moins leur présence dans la région est ressentie ni évaluée négativement.
44Les attitudes envers les touristes étrangers sont plus tolérantes car ils suscitent moins de crainte et de méfiance que les immigrants. Cependant, l’estimation subjective du nombre de touristes étrangers est surévaluée au regard de la réalité des flux enregistrés dans les données statistiques. Cela témoigne de la « pression » considérable des flux touristiques sur la perception de la population locale qui, dans l’ensemble, n’est guère enthousiaste à l’essor du tourisme international. Les flux touristiques « anciens » en provenance de l’Europe et, dans une moindre mesure, des États-Unis et du Canada, du Japon et de la Corée du sud, suscitent, majoritairement, une attitude amicale et neutre de la part de la population locale. L’attitude négative se manifeste généralement à l’égard des nouveaux flux touristiques en provenance de Chine.