1L’expression « route de la soie » a été forgée au XIXe siècle par le géographe allemand Ferdinand von Richthofen pour désigner l’ensemble des routes commerciales, qui depuis l’Antiquité relie l’Asie à l’Europe. Par ces itinéraires circulaient les hommes, les marchandises et les idées ; les caravanes faisaient halte dans des cités commerciales devenues mythiques : Samarkand, Boukhara… Un peu en écho à cette ligne historique, et ouvrant de « Nouvelles routes de la soie », ferroviaires cette fois, la Chine, après avoir saturé sa façade maritime et soucieuse de trouver des alternatives pour ses échanges, développe ces dernières années des trains directs avec plus d’une dizaine de villes européennes en transitant majoritairement par la Russie et l’Allemagne.
2L’augmentation de ces flux d’échanges internationaux génère des retombées économiques le long des itinéraires empruntés et suscitent des appétences de trafic. Cependant pour attirer ces flux terrestres il est nécessaire de réaliser des infrastructures ferroviaires performantes et compétitives dans l’espace eurasien.
- 1 DB Schenker, filiale de l’opérateur ferroviaire allemand Deutsche Bahn, est un des plus grands four (...)
3Dans un premier temps nous examinerons, les efforts de l’Union européenne pour favoriser l’intégration économique de l’ancien bloc de l’Est dans son univers économique. Face aux enjeux et à la complexité du monde ferroviaire, le rôle des institutions ferroviaires internationales pour accroître l’interopérabilité entre les différents pays est un facteur impératif et fera l’objet du deuxième point. L’évolution du trafic par conteneurs et l’expérience de DB Schenker1 en sont des illustrations concrètes. Enfin en attendant l’ouverture de nouveaux corridors, nous évoquerons les projets capables d’attirer tant des nouveaux marchés que de nouveaux opérateurs ferroviaires [Savy 2006]. La mise en place de conventions internationales et d’harmonisation juridique entre les différents droits du transport semble indispensable.
4Les investissements et travaux d’infrastructures ferroviaires relèvent de la compétence des États qui restent souverains, mais les connexions transfrontalières dépendent de la coopération bilatérale inter-États [Bavoux & al 2005]. Aussi pour soutenir les échanges internationaux et face à un développement inégal des réseaux ferroviaires, l’Union européenne (UE) et les organisations intergouvernementales tentent, depuis plusieurs années, de mettre en place un réseau central de grands axes transcontinentaux Europe-Asie. Plus récemment, la Chine s’est, elle aussi, engagée dans des investissements pour soutenir ses échanges. Aujourd’hui, les transports terrestres entre Europe et Chine empruntent principalement quatre itinéraires ferroviaires traversant au nord le continent russe de part en part :
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Le Transsibérien est le plus ancien et le plus connu. De Moscou, il relie Vladivostok en traversant l’Oural, la Sibérie Occidentale, la région du Baïkal et l’Oussouri. Les principales villes traversées depuis Moscou sont Nijni-Novgorod, Perm, Iekaterinbourg, Omsk, Novossibirsk, Krasnoïarsk, Irkoutsk, Oulan-Oude, Tchita, Khabarovsk et la ligne se termine à Vladivostok. En 1998, une expérience financée par les Nations Unies avec un train test a relié Vladivostok à Brest (frontière biélorusse-polonaise) en 9 jours.
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Le Transmongol : de Moscou à Oulan-Oude à l’est du lac Baïkal, la ligne ferroviaire emprunte la même ligne que le Transsibérien puis bifurque vers Pékin en traversant la Mongolie et sa capitale Oulan-Bator.
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Le Transmandchourien emprunte également la ligne du Transsibérien sur une grande partie, puis à la hauteur de Tchita prend la direction de Harbin et Pékin à travers la Mandchourie.
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Le BAM (Baïkal Amour Magistral), inauguré par Gorbatchev en 1991 après 60 ans de travaux, est aussi le tronçon le plus récent qui traverse les régions les plus isolées. La ligne quitte celle du Transsibérien à Taïchet à 670 km à l’ouest d’Irkoutsk, passe par la pointe nord du lac Baïkal et rejoint le port de Sovetskaïa Gavan sur la côte pacifique face à l’île Sakhaline.
5Engagés dès les années 1990 suite à la chute de l’Union soviétique, les investissements de l’Union européenne en Asie centrale et au Caucase sont lancés avec le programme interrégional d’assistance technique initié par huit pays (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan). Financés par l’UE, l’objectif est de créer un couloir de transport Europe-Caucase-Asie (TRACECA) connecté aux corridors européens (RTE) afin de développer les relations économiques (cf. site internet TRACECA). Alternative aux itinéraires transitant par la Russie, les liaisons reposent sur un système de transport complexe dans les régions traversées avec le développement et la modernisation des infrastructures ferroviaires existantes à savoir un couloir de transport depuis l’Europe traversant par ferry la Mer Noire puis la mer Caspienne via le Caucase pour atteindre les frontières de la Chine. Il a été conçu pour répondre aux besoins spécifiques des différents pays traversés et pour s’attaquer aux problèmes qui limitent le système de transport régional et pour assurer la fluidité du commerce.
6Les principaux objectifs du programme de coopération sont scellés par un accord multilatéral comprenant des annexes techniques visant, notamment, à assurer la sécurité des transports de marchandises, à protéger l’environnement et à harmoniser la politique des transports. Mais aujourd’hui, les relations économiques entre l’Europe et l’Asie centrale restent limitées. Les couloirs de transport traversent des zones de tensions et d’instabilité politique et leurs exploitations demeurent encore complexes. Face aux enjeux économiques les investissements projetés n’ont pas eu lieu.
- 2 Fondée au début des années 1950, elle compte aujourd’hui des Etats et des chemins de fer parmi lesq (...)
7Les investissements de l’Organisation pour la coopération des chemins de fer (OSJD)2 dans les corridors Europe-Asie sont soutenus par l’UE dans le cadre d’accords internationaux pour développer les échanges économiques. Héritage d’un passé soviétique jusque dans les années 1990, les grands axes du réseau ferré s’étaient développés en privilégiant principalement les liaisons entre Moscou et les pays « satellites », et aussi dans une perspective interne d’intégration de l’URSS puis de la Russie. Cet héritage explique qu’aujourd’hui seuls, trois des neuf corridors de transports paneuropéens de l’OSJD sont en prolongement du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) :
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Le corridor n° 1 (Tallinn – Riga – Sovetsk – Kaliningrad – Mamonovo – Gdansk) donne accès au port de Kaliningrad, à la frontière russo-polonaise et aux réseaux ferroviaires de Lituanie, Lettonie et Estonie. Cependant la section russe reste une ligne ferroviaire à voie unique dans l’enclave de Kalingrad ce qui restreint son exploitation.
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Le corridor n° 2 (Berlin – Varsovie – Minsk – Moscou – Nijni-Novgorod) constitue l’axe majeur. Son développement a démarré en 1995 lorsque la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne et la Commission économique de l’UE ont signé un protocole d’accord pour coordonner les activités logistiques de tous les pays le long de ces corridors.
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Le corridor n° 9 (Helsinki – Buslovskaya – Saint-Pétersbourg – Moscou – Souzëmka). Les chemins de fer russes ont reconstruit 650 km de voies entre Moscou et Saint-Pétersbourg pour augmenter la vitesse des trains et faire circuler des trains de conteneurs. Les transports entre l’Iran, le Turkménistan et le Kazakhstan constituent un autre potentiel pour cette ligne. L’ouverture de ce corridor relie la ville de Gorgan au nord de l’Iran et Uzan au Kazakhstan. À partir de Gorgan, le corridor emprunte l’itinéraire Incheh Borun à la frontière entre l’Iran et le Turkménistan, puis via Gyzylgaya-Bereket-Etrek au Turkménistan, pour rejoindre le réseau ferroviaire du Kazakhstan. Ainsi, le potentiel du trafic de transit en provenance de l’Asie centrale, mais aussi de la Russie et de la Chine, pourrait se développer dans la direction du golfe Persique.
8De son côté, la Chine veut aussi créer des couloirs économiques dynamiques susceptibles de stimuler sa croissance. Elle cherche des accords bilatéraux tout en établissant des alliances diplomatiques durables avec les pays bénéficiaires. Dans le domaine des transports, ce projet comporte un volet maritime et terrestre [Jackobowski & al. 2018].
9L’OSJD a comme objectif de sécuriser l’acheminement de ses produits vers les principaux centres de consommation en Europe et en Asie. Son action marque la renaissance des routes parcourues des siècles durant par les marchands reliant l’Empire du Milieu à l’Europe, à Venise et à l’Adriatique. Aujourd’hui, dans le but de désenclaver commercialement l’Ouest de la Chine incapable d’écouler ses productions vers l’Est car les ports sont déjà saturés, la ville de Khorgos au sud du Kazakhstan jouera un rôle essentiel avec un réseau ferré à trois branches [Galushko & Davenne 2016]. L’une - opérationnelle depuis 2015 - aboutit à Duisbourg en Allemagne. Connectée à la première, une deuxième ralliera dans les prochaines années le Caucase et la Turquie, via le port maritime d’Aktaou, sur la rive est de la mer Caspienne et à l’Azerbaïdjan grâce au transport multimodal. Et une troisième se prolongera via l’Ouzbékistan et le Turkménistan, elle rejoindra l’Iran et la Turquie pour emprunter le futur tunnel ferroviaire projeté sous le Bosphore.
10Concrètement, depuis l’extrême Est de la Chine, passant par le port sec frontalier de Khorgos, une voie rapide traversant le Kazakhstan du sud au nord-ouest, constitue le point de passage obligé pour rejoindre l’Europe occidentale. Alternative à la ligne ferroviaire du Transsibérien qui longe la Mongolie, elle est également plus courte. En 2013, le président chinois Xi Jinping a choisi Astana, la capitale kazakhe pour annoncer le lancement des « nouvelles routes de la soie ». Le financement de cet ambitieux programme s’appuie sur un fond spécifique de 40 milliards de dollars, ainsi que sur la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), dotée de 100 milliards de dollars [Aecom 2018]. Ainsi, la partie « transport » du plan de relance du Kazakhstan d’un coût de 9 milliards de dollars financé par la Chine, épouse le tracé des « nouvelles routes de la soie ». Tout en correspondant aux priorités chinoises, ces investissements dans l’infrastructure ferroviaire permettent au président Noursoultan Nazarbaïev de dégager des capacités financières pour investir dans d’autres domaines figurant dans son plan quinquennal. Il en résulte un renforcement de la circulation des trains en provenance de Chine qui traversent le territoire kazakh par le nord. C’est le cas des trains de marchandises reliant Yiwu, ville côtière de Chine orientale à Londres, liaison inaugurée en janvier 2017, trois ans après le Yiwu-Madrid, lançant symboliquement le projet.
11En 2018, le trafic ferroviaire entre l’Europe et la Chine a gagné en popularité auprès des pays traversés et il a fortement augmenté sur les itinéraires des nouvelles routes de la soie. Selon la compagnie de transport et de logistique Eurasian Rail Alliance (UTLC ERA), les volumes enregistrés durant les onze premiers mois de 2018 par rapport à la même période de l’année précédente affichent + 58 % pour le fret transitant par le réseau du Kazakhstan, de la Russie et de la Biélorussie et +22 % pour celui empruntant le Transsibérien et les autres « routes du nord » [Galushko et Davenne 2016].
12À plus long terme, d’autres liaisons ferroviaires sont envisagées pour développer les relations orientales et méridionales, comme la construction d’une voie ferrée reliant la Chine à l’Iran, via le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Afghanistan ou la construction d’une voie ferrée entre la Chine et l’Ouzbékistan via le Kirghizstan. La ligne Baku – Tbilissi – Kars constitue également un potentiel important pour l’avenir du trafic ferroviaire marchandises avec la participation des chemins de fer turcs (TCDD). Les travaux de construction de cette ligne sont planifiés afin d’acheminer des trains depuis l’Asie centrale, via la Turquie, vers l’Europe. L’objectif est de proposer des corridors alternatifs au Transsibérien. Dans cette perspective, les autorités chinoises avaient annoncé en 2014 la création d’un fonds pour financer ces infrastructures de transport qui leur permettraient également de trouver de nouveaux débouchés commerciaux pour leurs produits.
13Mais à terme, avec les projets d’investissement annoncé par de la Chine, d’autres itinéraires ferroviaires pourraient relier l’Europe plus au sud.
14Quand les chemins de fer ont voulu participer aux échanges internationaux, ils se sont heurtés à de nombreuses difficultés d’ordre juridique et d’exploitation qu’il a fallu surmonter. C’est le choix de la coopération internationale qui a été retenu. D’abord au niveau des États, avec la création en 1893 à Berne d’une Organisation internationale intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OTIF). Ensuite au niveau des chemins de fer, des organisations basées sur la libre adhésion sont mises en place à différentes échelles. Leurs rôles touchent des domaines divers. Les aspects juridiques relèvent de la compétence du Comité international des transports ferroviaires (CIT à Berne, 1902) alors que les aspects techniques relèvent de la compétence de l’Union internationale des chemins de fer (UIC à Paris, 1922).
15Avec la libéralisation progressive des transports et sous l’impulsion de l’Union européenne, membre de droit de l’OTIF [Fernandez 2006], la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) a engagé à la fin des années 1990 une réforme importante. Désormais, elle régit en plus du transport des marchandises et voyageurs, l’utilisation des véhicules et celle de l’infrastructure, ainsi que la normalisation technique et l’admission du matériel ferroviaire. C’est un instrument juridique fondamental au service des États y ayant souscrit. Jusque dans les années 1990, le transport ferroviaire était assuré par les compagnies de chemins de fer qui constituaient la seule possibilité d’effectuer des transports internationaux [Peru-Pirotte 2012]. Elles bénéficiaient d’un monopole légal dès la signature du contrat jusqu’à sa réalisation, assorti d’obligations de services dont celle du transport [Beloti 2012].
16La Convention internationale, à laquelle adhèrent aujourd’hui 50 États membres de l’Europe, du Proche Orient et du Maghreb, régit le transport de voyageurs et de marchandises franchissant les frontières. Comme le droit international prime sur le droit national, les conditions générales et les contrats individuels contraignent les États membres de l’OTIF à s’engager auprès des signataires à respecter cette Convention avec ses règles uniformes (RU). Adaptée à l’économie de marché, elle garantit une liberté contractuelle et une protection équitable du client, en raison notamment des règles de responsabilité contraignantes qu’elle contient. Dans les relations client - transporteur, la concurrence intra-modale, exerce une pression sur l’ensemble du système et peut revêtir différentes formes :
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Concurrence sur le marché du transport de voyageurs, quand plusieurs compagnies desservent les mêmes destinations ; concurrence pour le marché quand il s’agit d’attribuer pour une période limitée un service public sur un périmètre géographique donné ;
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Concurrence sur le marché pour le transport de marchandises auprès des chargeurs.
- 3 Les INternational COmmercial TERMS sont une série de règles internationales précisant le transfert (...)
17La complexité croissante des coopérations - du fait d’une part des aspects techniques, opérationnels, et juridiques à prendre en compte, d’autre part de l’application du droit national, du droit européen et du droit international - nécessite une architecture contractuelle basée sur la lettre de voiture internationale. Ce document est à la fois un contrat de transport, un document douanier et bancaire et permet l’utilisation des Incoterms3 pour le paiement des frais de transports.
18Le transporteur se trouve ainsi au cœur d’un dispositif contractuel relativement complexe (Fig. 1). En dehors de la relation principale client-transporteur, différentes relations contractuelles sont désormais nécessaires à un transporteur pour l’exécution des transports. Cela vaut en particulier pour l’utilisation de l’infrastructure (RU CUI) pour la commande des sillons et l’utilisation des véhicules (RU CUV) tant pour le transport de voyageurs que de marchandises. Concernant la relation entre les transporteurs, la réglementation exige paradoxalement toujours plus de coopération, alors que nous nous situons dans un environnement économique concurrentiel, notamment lorsqu’il s’agit de l’interface avec le client [Freise 2001]. La responsabilité du transporteur doit être transparente et il doit s’organiser en conséquence. A titre d’exemple, la relation juridique entre le gestionnaire de l’infrastructure et le transporteur est fondamentale, car si cette relation juridique est faussée, les entreprises ferroviaires sont désavantagées comme lors des retards où les dommages sont bien souvent supportés uniquement par ces dernières.
19Depuis son entrée en vigueur dans sa version rénovée le 1er juillet 2006, la Convention et ses appendices ont fait leurs preuves d’efficacité. La convention offre une liberté contractuelle et laisse aux entreprises ferroviaires une grande souplesse pour la mise en œuvre et l’élaboration de nouvelles relations contractuelles proche du monde économique [Spera 2011]. Les conséquences de la libéralisation du transport ferroviaire sont la séparation de l’infrastructure et l’exploitation avec des entreprises ferroviaires (EF) qui ne sont plus assujetties à une obligation de services.
Figure 1 – Les nouvelles relations contractuelles
Source : Comité International des Transports ferroviaires, 2002.
20Lorsque les transports ferroviaires internationaux s’étendent au-delà de l’Europe occidentale, ils sont soumis à la réglementation de l’Organisation pour la Coopération des Chemins de Fer (OSJD) qui œuvre pour améliorer les communications ferroviaires entre l’Europe et les chemins de fer adhérents voisins en pleine adaptation à l’économie de marché. Dans cet esprit d’ouverture, dès 2001, les chemins de fer russes se sont engagés dans une réforme juridique, organisationnelle et réglementaire accélérée qui introduit les relations de marché et favorise la modernisation de l’ensemble de son activité [Forthoffer 2007].
21Pour les transports ferroviaires internationaux de marchandises qui assurent les relations entre l’Europe de l’Est et l’Asie, deux conventions internationales s’appliquent (Fig. 2) : la convention internationale marchandises (CIM - Appendices B à la COTIF) et l’accord concernant le transport international des marchandises par chemin de fer (SMGS de l’organisation pour la coopération des chemins de fer). Les travaux de coopération ont permis le développement d’une lettre de voiture commune CIM/SMGS (LVI CIM/SMGS) qui se présente en plusieurs langues (allemand, anglais et français, russe et chinois) et évite la multiplication des contrôles d’informations et l’établissement d’une nouvelle lettre de voiture aux frontières, puisqu’elle est utilisée comme document unique de contrat de transport et de douane (cf. site internet CIT).
Figure 2 – Les relations contractuelles de la lettre de voiture internationale CIM/SMGS
Source : Comité International des Transports ferroviaires, 2014.
22En dehors des contraintes juridiques, douanières et administratives (contrôles phytosanitaires par exemple), les transports ferroviaires internationaux connaissent également des contraintes techniques dans les échanges aux frontières. En adoptant la lettre de voiture unique de bout en bout, et avec une amélioration du transbordement des conteneurs imposé par la différence d’écartement des voies ferrées (Russie : 1520 mm, Europe et Chine : 1435 mm), les performances du transport ferroviaire international ont été améliorées au fil du temps et ont fini par structurer un véritable pont terrestre entre la Chine et l’Europe.
23Selon le Groupe InterRail, en 2014, un record en matière de transport de marchandises a été battu dans le cadre d’un transport entre Brest (frontière entre la Pologne et la Biélorussie) et Erenhot (frontière entre la Mongolie et la Chine). Le temps de parcours n’a duré que 9 jours pour une distance de plus de 8 000 km, ce qui représente une vitesse journalière record de 900 km par jour (cf. site internet CCTT).
24Fort de toutes ces évolutions, le trafic Europe-Chine a augmenté dès 2003 mais est resté lié aux vicissitudes de la mondialisation (Tableau 1).
Tableau 1 – Évolution du transport des conteneurs sur le corridor Transsibérien 1999 - 2014 (en millions d’Équivalent Vingt Pieds - EVP)
Source : Conseil de Coordination des Transports Transsibériens (CCTT), 2016.
25L’exemple de DB Schenker, premier opérateur logistique et entreprise ferroviaire de marchandises en Europe illustre à lui seul cette évolution des volumes et des corridors ferroviaires (Fig. 3). Après presque deux décennies de développement, l’opérateur s’impose aujourd’hui dans les échanges Europe-Chine. Il peut témoigner des difficultés surmontées et des projets en cours. A son lancement, le nombre de conteneurs traité entre la Russie et l’Allemagne est limité par les formalités douanières aux frontalières, ainsi que par les différentes lois et systèmes ferroviaires des pays traversés par le corridor du Transsibérien. En 2003, les sociétés de chemins de fer russe (Russian Railways) et allemande (Deutsche Bahn AG) signent un protocole d’accord et de coopération qui améliore la compétitivité du transport ferroviaire avec l’accélération des procédures aux frontières et la réduction des délais de transport. Les premières circulations test d’un train chargé d’une cinquantaine de conteneurs n’ont lieu qu’en octobre 2008 entre Zhengzhou et Hambourg, soit une distance de plus de 10 000 kilomètres parcourue en 17 jours seulement (cf. site internet DB Cargo). Et il faudra attendre 2011 pour qu’un premier service régulier de trains navettes soit mis en place.
26Aujourd’hui, un service de dix à quinze trains aller-retour par semaine transite majoritairement entre la Chine et l’Europe pour desservir les villes européennes et les provinces chinoises. Les délais, en fonctions des destinations, sont entre 14 à 18 jours pour couvrir les 10 à 13 000 km.
Figure 3 – Logistique et projets ferroviaires Chine-Europe
Source : DB Schenker, 2018
27À partir de 2014, DB Schenker AG collabore avec l’opérateur Trans Eurasia Logistics pour le développement de trafics réguliers de l’Europe et la Chine via le Kazakhstan. Des trains de conteneurs chargés de pièces détachées et de voitures sont mis en circulation entre Duisbourg et Chongqing. Dans ce contexte, DB Schenker a pu bénéficier de la collaboration avec l’administration d’État des chemins de fer en Chine et gagner la confiance de clients, comme Ford et BMW. Ces accords ont permis de réduire le déséquilibre des flux et le coût des conteneurs vides en retour.
28Au fil du temps les relations se sont multipliées. A titre d’exemple, la relation Chine - France a été mise en service le 21 avril 2016 avec un premier train qui a transité entre Wuhan (capitale de la province de Hubei) et Vénissieux via la plateforme multimodale du port de Duisbourg. Ce premier convoi a mis dix-huit jours pour parcourir 11 300 kilomètres en traversant sept pays : Chine, Kazakhstan, Russie, Biélorussie, Pologne, Allemagne et France. Pour réaliser cette liaison, il a fallu faire appel à une vingtaine de conducteurs, changer huit fois de locomotive, transborder trois fois les quarante-et-un conteneurs chargés de matériel informatique, électronique depuis la Chine, de produits chimiques, de pièces automobiles depuis la France (cf. site internet DB Cargo).
29Afin d’éviter les engorgements du Transsibérien et des gares de transbordement, d’autres itinéraires sont aujourd’hui testés ou à l’étude.
30En 2014, lors de la 23ème réunion du Conseil de Coordination des Transports Transsibériens (CCTT), le Président et Directeur général des Chemins de fer chinois (CRCT), M. Yuntian Wu, a dressé un constat : 60 % du trafic mondial de fret ferroviaire exprimé en tonnes-kilomètres sont effectués en trafic international entre la Fédération de Russie et la République populaire de Chine. Ce pourcentage élevé s’explique à la fois par les distances parcourues dans ces États continents et les transports de pondéreux. Si 30 % du PIB de la Chine pour 2013 ont été générés par les exportations de biens et de services, 16 % de ces exportations étaient destinés à l’Union européenne. Seuls 0,5 % de ces exportations de marchandises de la Chine vers l’Europe ont été réalisés par voie ferrée, ce qui souligne la suprématie des échanges par voie maritime [Galushko & Davenne 2016]. Afin d’augmenter les volumes des transports ferroviaires, d’améliorer leurs performances, de multiplier les itinéraires et d’intéresser de nouveaux transporteurs ferroviaires, les organisations intergouvernementales et ferroviaires ont engagé des travaux dans plusieurs directions.
31Développer de nouveaux marchés pour améliorer l’équilibre des échanges Est-Ouest et augmenter la part de marché des transports ferroviaires demeurent une priorité. C’est notamment le cas des envois postaux qui se sont développés ces dernières années, grâce à l’essor du commerce électronique. La société chinoise de vente par internet Alibaba souhaite multiplier ses ventes en Europe à un prix plus compétitif que l’avion qui est le seul mode de transport utilisé jusqu’ici. Les trois organisations internationales, l’Union postale Universelle (UPU), le Comité international des transports ferroviaires (CIT) et le Conseil de coordination des Transports Transsibériens (CCTT), ont signé un Memorandum of Understanding (MoU) le 18 mars 2016 pour coopérer et soutenir les projets pilotes : un premier train test a circulé de Chongqing à Duisbourg du 29 septembre au 13 octobre 2016. Les premiers enseignements font état de problèmes liés à la reconnaissance des documents par les autorités douanières lors du passage des frontières des pays de transit et ont conduit ces derniers à collaborer étroitement avec l’Organisation mondiale des douanes (OMD). Les développements en relation avec la planification, l’organisation et l’exécution des transports pilotes d’envois postaux par le rail entre la Chine et l’Allemagne en collaboration avec l’UPU et le CCTT, ont été présentés aux différents partenaires du projet fin 2016. Le potentiel largement inexploité du transport ferroviaire d’envois postaux a été démontré tant du point de vue des entreprises postales que des transporteurs ferroviaires. Selon un représentant de RZD Logistiques (filiale des chemins de fer russes), le volume des envois postaux entre la République populaire de Chine et la Fédération de Russie, s’élevait à 64 000 tonnes en 2013, ce qui correspond à environ 8 000 conteneurs. En outre, avec une augmentation annuelle de 10 à 15 %, le trafic annuel attendu entre la Chine et l’Europe s’élèverait à près de 400 000 conteneurs.
- 4 La Convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) est le texte fondamental (...)
32À partir de la convention des transports internationaux ferroviaires COTIF4 de 1999, plusieurs axes de développement sont encore possibles pour favoriser la collaboration entre les entreprises de transports et avec leurs chargeurs. La COTIF peut s’appliquer au trafic multimodal, c’est-à-dire à des transports qui incluent, en complément au transport transfrontalier ferroviaire, un transport par route, par voie navigable intérieure ou par voie maritime. Par ailleurs, son extension progressive aux réseaux membres de l’OSJD, devrait à terme faire tomber les barrières et les dossiers coûteux d’homologation de matériel roulant pour encourager la venue de nouveaux transporteurs. Des conditions générales de transport EurAsia (CGT EurAsia) ont été mises en place dès 2014. Elles standardisent les conditions contractuelles qui peuvent l’être dans la relation avec le client, et deviennent, par la conclusion du contrat de transport, partie intégrante de celui-ci.
33Et pour faciliter l’organisation de la coopération entre les transporteurs ferroviaires et les entreprises maritimes sur de nouveaux corridors, de nouvelles Conditions générales trafic fer-mer (CG trafic fer-mer) ont été élaborées et sont entrées en vigueur le 1er janvier 2015. Elles règlent principalement les modèles commerciaux avec un contrat de transport unique (cf. site internet CIT). Sont notamment concernées par les lignes maritimes CIM, les compagnies de la mer Caspienne, de la mer Noire et de la mer Méditerranée et les lignes ferroviaires CIM (cf. site internet CIT). Adossé aux conditions générales fer-mer, depuis 2016, un contrat type de transport multimodal est mis à la disposition des entreprises ferroviaires. L’intérêt croissant pour l’utilisation de la lettre de voiture CIM/SMGS sur le pont terrestre entre la Chine et l’Europe montre qu’elle est maintenant utilisée dans 70 % de l’ensemble des trafics (selon les entreprises ferroviaires Deutsche Bahn ; Ukrzaliznytsia, Chemins de fer ukrainiens et la Compagnie des chemins de fer russes). Son utilisation possible pour des transports multimodaux qui empruntent des itinéraires associant des lignes ferroviaires et maritimes sont autant d’éléments qui plaident en faveur de solutions contractuelles harmonisées et éditées en plusieurs langues. Le développement et la réalisation d’une stratégie de mise en œuvre avec utilisation des documents contractuels restent néanmoins déterminants. La standardisation des documents passe par une bonne concertation avec les représentants des chargeurs et des transitaires. Elle facilite les échanges permet à un nombre croissant d’entreprises ferroviaires et/ou maritime de participer à la chaîne de transport.
34Concernant l’harmonisation et l’interopérabilité juridique pour le trafic international de marchandises entre le transport ferroviaire et le transport routier, une première étape a été franchie en 2017 avec la publication d’un guide commun (cf. site internet CIT). Son objectif est de mettre à disposition une comparaison détaillée entre le droit international des transports ferroviaires de marchandises (COTIF/CIM - droit international applicable en Europe - et SMGS - droit international applicable en Europe de l’Est, en Russie et en Asie/Chine) et le droit international des transports routiers de marchandises (CMR) élaboré par l’Union internationale des transports routiers.
35Une réflexion à plus long terme devrait être menée pour aboutir à un contrat unique de logistique « porte-à-porte ». Il permettrait de mettre fin aux différents contrats de transport selon les modes de transport successivement utilisés et unifier les deux documents contractuels aujourd’hui en vigueur : contrat commercial de vente et contrat d’achat de biens. La Commission Economique des Nations Unies pour l’Europe (UNECE) soutient les efforts des entreprises ferroviaires pour développer et faciliter l’exploitation sur des corridors eurasiatiques. Concrètement, les travaux en cours dans les organisations ferroviaires internationales portent sur trois lignes d’actions dans les transports ferroviaires eurasiatiques de marchandises :
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l’extension du champ d’application avec la mise en œuvre de la lettre de voiture CIM/SMGS et le développement du guide d’utilisation pour le trafic avec la République populaire de Chine, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan et l’Afghanistan ;
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l’harmonisation du droit international des transports ferroviaires pour soutenir la multimodalité et autoriser un conteneur à emprunter successivement plusieurs modes de transports sans rupture contractuelle dans les échanges Europe-Asie ce qui permet d’utiliser de nouveaux itinéraires. A cet effet le Comité des transports intérieurs (CTI) de l’UNECE a adopté le 26 février 2016, une résolution et demande aux chemins de fer de tester les dispositions avec des transports pilotes entre la Chine et l’Europe ;
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la numérisation des échanges avec l’établissement et la publication des spécifications techniques de la lettre de voiture électronique avec l’OSJD (Organisation pour la coopération des chemins de fer), à l’issue de l’élaboration des spécifications juridiques et fonctionnelles.
36L’élargissement spatial des échanges est un autre axe de développement. Le Japon et la Corée du Sud recherchent également un rattachement à l’espace économique émergeant, en particulier, dans le secteur des transports où le mode ferroviaire constitue pratiquement la seule solution de transport pour atteindre les régions intérieures de la Chine et de la Russie. Les organisations des transitaires de ces pays sont représentées au sein du Conseil d’administration du Conseil de coordination des Transports du Transsibérien. Les transitaires nord-coréens projettent l’utilisation du Transsibérien en relation avec la mise en service de la nouvelle ligne ferroviaire entre le port de Ragin en Corée du Nord (limitrophe avec la Chine et la Russie) et le port de Hasan au sud de Vladivostok. Pour les transitaires des deux pays de transit (Russie et Corée du Nord), il ne s’agit plus seulement, dans le cadre des transports transsibériens, d’acheminer des marchandises du point A vers le point B sur une distance de 10 000 km, mais aussi de réaliser des prestations logistiques de transport internationaux, entre les centres de production et de consommation dans cette vaste zone économique.
37Les nouvelles routes de la soie passent par des investissements en infrastructures. Après des tentatives timides de l’UE et la création par l’OSJD des trois corridors ferroviaires en Eurasie, la Chine, en dehors des organismes internationaux projette de s’engager sur des itinéraires alternatifs au Transsibérien. Ce dernier, avec ses quatre itinéraires, reste aujourd’hui l’axe majeur pour relier l’Europe à l’Asie. Son poids ne cesse de se renforcer au détriment de l’itinéraire de la TRACECA ; ainsi en modernisant les installations actuelles, entre l’Europe et la Chine, en rendant les offres de fret ferroviaire russes plus performants, ne porte-t-on pas atteinte aux possibilités de développement de corridors qui alimenteraient l’Europe du Sud et l’Asie centrale [Griffiths 2017] ?
38En tenant compte des enjeux, des difficultés et de la libéralisation du transport ferroviaire, les organisations intergouvernementales et les organismes de coopérations ferroviaires doivent continuer à œuvrer dans les domaines de l’interopérabilité juridique et technique. Des avancées notables ont été réalisées, avec la mise à disposition aux entreprises ferroviaires existantes et aux nouveaux entrants des guides reprenant les conditions générales pour les aider à organiser les chaînes de transport multimodales et ainsi dynamiser les transports par rail.