1La fonction portuaire a donné naissance à de nombreuses villes dans l’archipel antillais [Desse & Cécil 2005], mais on peut toutefois pertinemment s’interroger sur les relations entre le développement du transport aérien et les territoires urbains. Ce mode de transport est très répandu dans cet espace insulaire peuplé de 43 millions d’habitants [ONU 2014] et qui s’étire sur près de 4 000 kilomètres de long, de Cuba jusqu’aux côtes du Venezuela. Comme le reste du Bassin caraïbe, les Antilles ont servi, dès l’entre-deux-guerres, d’espace-relais pour les compagnies états-uniennes (surtout la Panam) reliant l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud [Chardon 1987]. L’activité aérienne est ici intense pour de multiples raisons : le morcellement insulaire, l’importance des diasporas et des flux touristiques internationaux, l’intégration à des centres extra-régionaux, la médiocrité des services maritimes entre les îles, la multiplication de l’offre de sièges consécutive à la déréglementation de ce secteur lancée aux États-Unis à la fin des années 1970, etc. Les aéroports sont ainsi devenus des attributs indispensables des villes principales, souvent les capitales politiques. Comme ailleurs, ils doivent constamment s’adapter à la croissance des trafics et aux progrès de l’aviation. Mais l’extension des installations peut s’avérer difficile dans certaines îles, du fait de l’absence d’espaces suffisants ou adéquats (surtout dans les Petites Antilles) et des coûts élevés pour ces petites économies insulaires. À la fois rattrapés par l’étalement des villes et à l’origine de nouvelles formes urbaines, les aéroports entretiennent des interrelations étroites avec les territoires urbains. Dans le contexte insulaire, ce sont des outils indispensables de l’ouverture avec l’extérieur, mais aussi des lieux marqués par un fort ancrage local, lequel peut parfois s’étendre à l’île tout entière [Ranély Vergé-Dépré 2017]. En tant qu’objet géographique, l’aéroport favorise en effet l’approche transcalaire et permet de s’interroger sur les relations entre réseaux et territoires [Drevet-Demettre 2015]. Avec la privatisation croissante du transport aérien, l’aéroport cherche à diversifier ses fonctions pour gagner en compétitivité et en rentabilité : centres commerciaux et parcs d’activités lui confèrent des caractères urbains et influent sur les modes de vie des populations.
2Alors que la plupart des travaux sur les aéroports antillais sont issus de la sphère francophone et s’intéressent surtout aux infrastructures et à leurs réseaux de dessertes, l’objectif est ici de montrer comment l’activité aérienne « fait » la ville et inversement. Les dynamiques qui affectent ces interactions sont ainsi une entrée originale pour étudier et différencier les villes antillaises, dans un contexte insulaire marqué par des disparités physiques, démographiques, socio-économiques et géopolitiques [Bégot & al. 2013]. L’analyse s’appuie sur des enquêtes auprès des aéroports, sur les données des sites Internet spécialisés et sur la littérature existante, y compris nos travaux antérieurs. Réalisée à plusieurs échelles, elle s’efforce de mettre en évidence un jeu d’acteurs complexe combinant enjeux économiques, représentations sociales et dimensions politiques de l’urbain.
3En favorisant l’accessibilité des villes, le transport aérien peut contribuer au renforcement de leur rayonnement. L’examen des trafics montre cependant que la hiérarchie aéroportuaire antillaise diffère de la hiérarchie urbaine.
- 1 Par exemple, à Cuba il s'agit de lieux d'au moins 2 000 habitants ou de lieux moins peuplés mais di (...)
4Avec un taux d’urbanisation de 64 % en 2014, les Antilles se situent au-dessus de la moyenne mondiale, estimée par l’ONU à 54 %. Certaines îles sont toutefois presqu’entièrement urbanisées (Porto Rico, Caïmans, Vierges américaines, etc.), alors que d’autres ont des taux inférieurs à la moyenne mondiale (Haïti, Grenade). Les définitions des villes1 varient d’une île à une autre et rendent parfois difficiles les comparaisons, mais on peut, aux Antilles comme ailleurs, noter une relative adéquation entre taux d’urbanisation élevés et bon niveau de développement.
5Figure 1 – La population des principales villes des Antilles en 2014
Source: United Nations, World urbanization prospects: the 2014 revision
6Les réseaux urbains antillais actuels sont largement hérités de la conquête coloniale et des processus de maillage des territoires [Dehoorne & al. 2018]. L’insularité et l’extraversion économique ont favorisé la littoralisation du peuplement et des activités. La fonction portuaire a ainsi été à l’origine de la fondation ou de la croissance de nombreuses villes. De nos jours, l’archipel ne possède que quatre villes millionnaires sur la trentaine que compte l’ensemble du Bassin caraïbe : Santo Domingo, San Juan, Port-au-Prince et La Havane [United Nations 2014]. Ces villes sont en fait bi-millionnaires et dominent de loin la hiérarchie urbaine antillaise (Fig. 1). Elles se situent dans les grandes îles les plus peuplées et ont connu des évolutions contrastées au cours des dernières années d’après les chiffres de l’ONU. En effet, si Santo Domingo et Port-au-Prince ont enregistré une forte croissance de leur population entre 2000 et 2014 (respectivement 20 % et 40 %) du fait notamment de la poursuite de l’exode rural, La Havane et San Juan ont connu une légère baisse (2 %) qui s’explique surtout par l’augmentation de l’émigration à Porto Rico et à Cuba.
7Presque partout dans l’archipel, une agglomération principale (souvent la capitale politique) concentre 15 à 30 % de la population, voire 40 % à La Barbade ou 50 % à Curaçao. La macrocéphalie des réseaux urbains est donc fréquente [Boswell 1992, Bégot & al. 2013, Potter 2016]. L’aire d’influence de ces villes ne dépasse pourtant généralement pas les frontières nationales car ces États ont des niveaux de développement plutôt faibles. Dans les grandes îles, les réseaux urbains sont plus complexes mais le rapport entre la ville principale et la deuxième ville la plus peuplée est de 1 à 8 à Porto Rico (entre San Juan et Aguadilla), de 1 à 5 en République Dominicaine (entre Santo Domingo et Santiago) et de 1 à 4,5 à Cuba (entre La Havane et Santiago de Cuba).
8Les spécificités de l’urbanisation aux Antilles se reflètent-elles dans l’activité aérienne de ces territoires ? Leur desserte montre-t-elle cette polarisation sur les villes principales ?
9L’activité aérienne aux Antilles se concentre généralement sur un aéroport principal, situé dans la capitale politique : elle contribue donc, a priori, à renforcer les fonctions de ces villes et nourrit parfois le processus de métropolisation [Ranély Vergé-Dépré 2015]. Les métropoles les plus attractives sont équipées d’infrastructures où se connectent différents réseaux qui les relient à leur territoire proche et au reste du monde. Dans les grandes îles, le développement du tourisme a toutefois nécessité la construction d’aéroports internationaux situés à proximité des sites touristiques majeurs, loin des villes capitales (Punta Cana, Varadero, Montego Bay, etc.). La hiérarchie aéroportuaire en 2014 [ÉNAC 2015] se différencie ainsi nettement de celle des villes (Fig. 2).
Figure 2 – Les trafics des principaux aéroports antillais en 2014
Source : Conception Ranely Vergé-Depré, AHIP-GEODE 2016
10L’agglomération la plus peuplée, Santo Domingo (2,9 millions d’habitants) n’est qu’au quatrième rang pour le trafic de passagers (3,6 millions) ; elle est même largement devancée, sur la même île, par l’aéroport de Punta Cana, inauguré en 1984, et qui occupe depuis peu le deuxième rang des trafics (5,8 millions de passagers). Les petites îles ont une fréquentation aérienne bien supérieure à leur niveau de population : les aéroports d’Oranjestad (à Aruba, île néerlandaise de 193 km2) ou de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe, 1 628 km2) dépassent les 2 millions de passagers annuels alors que ces territoires sont respectivement peuplés de 110 000 et 400 000 habitants.
11La croissance des trafics est quasi générale. L’aéroport de San Juan, à Porto Rico (État associé des États-Unis), se maintient au premier rang aux Antilles pour le trafic de passagers (8,6 millions), de fret (146 000 tonnes) et pour les mouvements d’avions (144 000). Sa suprématie, bien que déclinante, est liée à sa fonction ancienne de carrefour : c’est l’un des trois grands hubs du Bassin caraïbe avec Miami et Panama City. San Juan, deuxième ville la plus peuplée de l’archipel, offre la desserte aérienne directe la plus nombreuse et constitue souvent pour les îles voisines une porte d’entrée vers le puissant voisin états-unien. L’aéroport est relié, en 2014, à une quarantaine de villes, dont la moitié aux États-Unis (Fig. 3). Hors continent américain, il n’est relié qu’à Madrid. Dans la région, San Juan est connecté à de nombreuses îles mais le faible nombre des liaisons avec la bordure continentale illustre une fracture majeure au sein du bassin [Ranély Vergé-Dépré & Roth 2012] et montre que la capacité de rayonnement caraïbe de San Juan ne dépasse guère les Antilles. Cette ville, qui a longtemps représenté pour les Antillais l’image même de la ville américaine dans le contexte caraïbe, a vu son pouvoir d’attraction décliner au profit de Miami, avec laquelle presque tous les aéroports internationaux de l’archipel sont désormais reliés.
Figure 3 – Les liaisons aériennes directes au départ de San Juan (Porto Rico) en 2014
Source aéroport international Luis Muñoz Marin. C. Ranély Vergé Dépré
12La hiérarchie aéroportuaire se mesure donc aussi à la fonction de hub régional. Philipsburg (Sint-Maarten), Saint-John’s (Antigua) et Port of Spain (Trinidad) s’affirment comme des hubs secondaires pour les îles qui leur sont proches [Ranély Vergé-Dépré 2014]. Même si l’activité aérienne est intense dans tout l’archipel, elle reste inégalement répartie. Diverses petites îles (Saint-Vincent, la Dominique), faute d’attractivité économique, touristique et, parfois, d’infrastructures suffisantes, sont tributaires des hubs voisins pour les relations extra-régionales et pour de nombreuses liaisons régionales. La dépendance est encore plus marquée pour Anguilla, Montserrat, Saba ou les îles secondaires d’États-archipels (Tobago, Nevis, etc.) en situation de « surinsularité » [Pelletier 1997, Taglioni 2006]. Le faible niveau de désenclavement reflète ainsi des fonctions et des structures urbaines généralement limitées dans ces petits territoires peu peuplés. À l’inverse, les îles à haut niveau de développement ou rattachées à une métropole industrialisée (Guadeloupe, Martinique) bénéficient d’une bonne accessibilité aérienne (même partielle) et entrent dans la catégorie de « l’hypo-insularité » [Nicolas 2005, Taglioni 2006].
13En contribuant à mettre en réseau les villes, le transport aérien est source de nouveaux enjeux dans le contexte de la mondialisation et de la déréglementation des transports [Buisson & Mignot 1995]. Les aéroports doivent développer leur attractivité, mettant en concurrence les villes et les territoires qu’ils desservent. L’analyse des réseaux extra-régionaux des plates-formes antillaises montre une orientation des dessertes influencée par les proximités géographiques et historiques [Ranély Vergé-Dépré & Roth 2015]. Les liaisons sont surtout orientées vers les États-Unis (hormis aux Antilles françaises), qui ont pu renforcer leur influence sur ce « lac états-unien » [Godard & Hartog 2003], et les capitales des anciennes puissances coloniales (Londres, Madrid, Paris et Amsterdam) ; seule La Havane, par nécessité de rompre son isolement, a une desserte vers l’Europe plus diversifiée et est reliée à six villes européennes, dont Moscou. Aucune île n’est reliée à l’Afrique ou l’Asie. Cette desserte reflète l’origine de la clientèle touristique et les liens étroits entre transport et tourisme [Gay & Mondou 2017]. La Caraïbe fait, en effet, partie des hauts lieux du tourisme tropical, jouant la carte de « l’extraordinaire » [Cominelli & al. 2018].
14Même s’il est relativement bien connecté à l’extérieur, l’archipel se caractérise par la faiblesse des trafics régionaux et la difficulté de voyager entre les îles qui n’appartiennent pas aux mêmes sous-ensembles politiques et historiques [Ranély Vergé-Dépré 2014]. L’espace aérien antillais est donc cloisonné et la connexité des réseaux est ici généralement faible. L’étroitesse structurelle de ces marchés, les restrictions à la circulation (visas, tarifs élevés, etc.) ne permettent pas aux compagnies de réaliser des économies d’échelle. Ainsi, malgré une plus grande mobilité des populations locales, New York, Miami, Paris, Londres ou Madrid leur paraissent souvent plus proches et plus connues que les grandes villes de la région.
15L’aménagement des aéroports pose le problème de leur accessibilité terrestre et a des impacts sur les recompositions socio-économiques et spatiales urbaines.
16La plupart des aéroports antillais ont connu les mêmes étapes dans leur développement. L’aviation commerciale a démarré dès le début des années 1920, mais les installations étaient sommaires car les avions utilisés étaient généralement des hydravions qui amerrissaient dans les rades proches des centres urbains. Les aéroports internationaux ont été construits à partir de 1945, l’aviation civile profitant des progrès aéronautiques réalisés pendant la Seconde Guerre mondiale (radar, propulsion à réaction) et de la supériorité des États-Unis en ce domaine. Les infrastructures ont été progressivement agrandies pour faire face à la croissance des trafics. La mise en service des jets à la fin des années 1950, puis des Boeing 747 (d’une capacité de 500 places) dans les années 1970, a nécessité un allongement des pistes (portées à environ 3 000 mètres) et l’aménagement d’aérogares plus vastes et plus modernes. Celles-ci, arrivées à saturation, ont connu une nouvelle phase d’agrandissement à partir de 1990. Elles doivent répondre à des normes de sécurité de plus en plus exigeantes et se sont parfois préparées à recevoir les très gros porteurs (A 380). Les aéroports de San Juan et de Punta Cana sont ainsi désormais, chacun, équipés de deux pistes et de plusieurs terminaux. Punta Cana peut accueillir plus de 5 000 passagers par heure.
- 2 L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale classe les aéroports en cinq catégories en fonct (...)
17Les aéroports ont donc vu s’accroître leur emprise spatiale. On estime qu’il faut, en moyenne, une surface d’un km2 pour traiter un trafic annuel d’un million de passagers ou 100 000 tonnes de fret [Marcadon & al. 1997]. Or, une telle emprise au sol est souvent difficile à trouver dans certaines îles, et plus encore à proximité des agglomérations desservies. L’exiguïté et, surtout, le relief souvent montagneux des petites îles ne leur permettent pas toujours de disposer d’espaces plans suffisamment vastes pour accueillir tous les types d’avions. De plus, le choix des sites est ici guidé par la direction des alizés, les pistes étant généralement orientées est-ouest. Or, dans de nombreux cas, cette contrainte se heurte à la disposition méridienne du relief. Certains territoires, tels Saba (13 km2) et Saint-Barthélemy (21 km2), etc., ne pourront ainsi jamais prétendre à des équipements de classe internationale [Ranély Vergé-Dépré 2016]. Les aéroports proches des centres urbains principaux mais qui n’offraient pas de possibilités d’extension ont souvent été dédiés aux dessertes régionales et/ou domestiques (Isla Grande à San Juan, Canefield à la Dominique, La Vigie à Sainte-Lucie, etc.). De nouvelles infrastructures, de classe internationale, ont été construites, parfois à une cinquantaine de kilomètres de la ville-capitale (Merville Hall à la Dominique, Hewanorra à Sainte-Lucie). Les Grandes Antilles disposent, chacune, d’au moins deux aéroports internationaux et la République Dominicaine en possède même huit. Toutes les Petites Antilles ont désormais un aéroport international de classe A2, sauf Saint-Vincent (piste de 1 400 mètres). Mais dans les pays-archipels, ces équipements n’existent que dans les îles principales. Plusieurs dizaines d’équipements secondaires complètent le réseau aéroportuaire.
18L’accessibilité des aéroports représente un nouvel enjeu, même si les distances avec les villes-capitales sont ici relativement courtes. D’après nos calculs avec Google.maps, sur 21 villes-capitales, 14 aéroports internationaux sont situés, en effet, à moins de 15 km du centre et deux seulement à plus de 45 km. Les deux-tiers de ces aéroports sont accessibles en voiture en moins de 20 minutes en moyenne, mais les distances-temps sont fréquemment allongées par la faiblesse du réseau routier et la densité de la circulation sur ces axes. Les encombrements s’expliquent aussi par le recours généralisé à la voiture individuelle et au taxi pour se rendre à l’aéroport ou le quitter. Hormis les voyages de groupes utilisant des autobus réservés, rares sont les services de transport en commun qui desservent les aéroports et les syndicats de taxis y sont hostiles. Ils existent à San Juan par exemple (situé à une quinzaine de kilomètres du centre-ville et accessible en bus en une trentaine de minutes), mais sont absents à La Havane ou ailleurs. Deux villes sont équipées de métros, San Juan et Santo-Domingo, toutefois ces lignes ne desservent pas les aéroports. À Fort-de-France, l’une des deux branches du tracé du Transport en Commun en Site Propre relie, depuis 2018, le centre-ville à l’aéroport (12,8 km) par des bus à haut niveau de service. L’objectif est d’améliorer la circulation, très dense sur cet axe (jusqu’à 120 000 véhicules par jour dans les deux sens dans une île de près de 400 000 habitants) qui dessert aussi des pôles commerciaux et les principales zones industrielles et artisanales de l’île.
19Les aménagements proposés doivent tenir compte des différentes catégories d’usagers et de la diversité de leurs besoins : les passagers, leurs accompagnateurs, les employés des aéroports, etc. L’aéroport est un lieu de rupture de charge et d’intermodalité entre les transports aérien et routier, voire maritime : les touristes qui viennent effectuer une croisière dans la mer des Caraïbes transitent par un aéroport (San Juan, Bridgetown, etc.) avant de gagner leur port base ; mais le contact avec la ville est ici rapide et superficiel.
20Depuis surtout la révolution industrielle du XIXe siècle, hommes politiques et scientifiques (notamment les économistes) s’intéressent au rôle des transports sur le développement et la localisation des activités économiques. Pour beaucoup, les infrastructures auraient des effets structurants : elles seraient un moteur et une condition nécessaire à la croissance économique. Ce lien de causalité directe est cependant controversé, Jean-Marc Offner [1993] qualifiant même cette théorie de « mythe politique » et de « mystification scientifique ». La notion de congruence, c’est-à-dire « d’adaptation réciproque », a ainsi été avancée : il s’agit de s’intéresser aux relations entre l’ensemble du système de transport (et non la seule infrastructure) et le territoire desservi [Brocard (dir.) 2009]. Malgré tout, les équipements de transport continuent à être présentés comme des attracteurs d’activités et d’urbanisation. On connaît bien, en effet, l’influence que les ports ont eue sur le développement urbain au XVIIIe siècle, ou celle des grandes gares au XIXe ou des autoroutes au XXe. Pour certains auteurs [Kasarda & Lindsay 2011], ce sont les aéroports qui, au XXIe siècle, contribuent à la création de lieux d’affaires et de formes d’urbanisation.
21Il est reconnu que le développement de l’aéroport interagit avec celui de la ville [Rozenblat & Cicille 2003]. Un aéroport économiquement performant est un outil essentiel au service de la compétitivité, du développement économique et touristique de la ville, voire de tout le territoire insulaire. Mais il faut aussi tenir compte des spécificités locales, lesquelles dépendent des représentations des populations face au transport aérien. La présence de l’aéroport a un impact direct et indirect sur l’emploi, mais elle a également un impact catalyseur, généré par l’expansion de l’activité au sein de la zone concernée [Wiedemann 2014]. Aux Antilles, dans un contexte socio-économique fragile, ces infrastructures sont des sources d’emplois non négligeables et souvent recherchées par les populations urbaines. Le nombre d’emplois créé varie selon l’importance et la nature des trafics, mais dépend aussi de l’environnement socio-économique. Dans l’agglomération de Pointe-à-Pitre par exemple, environ 2 000 personnes travaillent sur le site de l’aéroport, qui accueille une centaine d’entreprises. Outre les emplois liés au fonctionnement des infrastructures et à la maintenance des aéronefs, les aéroports proposent de nombreux services situés au sein des aérogares ou à leur proximité : boutiques, restaurants, location de véhicules, compagnies aériennes, centres médicaux, etc. Plus qu’un simple lieu de transit, l’aéroport, surtout s’il est proche de la ville, peut devenir un lieu que l’on fréquente pour ces services, même si on n’est ni passager ni accompagnateur. L’aérogare, comme la gare ailleurs, s’ouvre ainsi de plus en plus sur la ville, bien que les prix pratiqués y soient généralement plus élevés et le choix des produits offerts assez limité (articles de souvenirs, etc.).
22Les aéroports ont un effet technopolitain : ils attirent l’implantation d’autres activités dans leur voisinage, soit directement par leur présence, soit indirectement, par la mise en service de voies de dessertes terrestres rapides. Certaines entreprises liées au transport aérien (compagnies aériennes, sociétés de restauration en vol, fret postal) sont très présentes autour des aéroports. Mais l’implantation d’entreprises diversifiées dépend en général des politiques locales de développement et d’urbanisme. En Guadeloupe par exemple, a été inaugurée, en 2014, la première zone d’activité aéroportuaire de l’île : Antillopôle accueille des commerces, des cabinets médicaux, des services de proximité (crèches), etc. (Photo 1). Ce projet, initié par la Chambre de Commerce et d’Industrie des Îles de Guadeloupe, alors gestionnaire de l’aéroport, est né de la volonté de créer de l’activité économique près du site aéroportuaire. Il est même présenté comme une alternative à la zone industrielle et commerciale de Jarry, véritable poumon économique du département, construite autour du port de Pointe-à-Pitre.
Photo 1 – Le nouveau parc d’activités Antillopôle (Guadeloupe) jouxte l’aéroport international
Source : Cliché : C. Ranély Vergé-Dépré, 2016
23Aux Antilles, le tissu industriel est limité et a souvent privilégié la proximité des ports. Mais les aéroports ont parfois favorisé l’implantation d’usines d’assemblage de produits finis ou semi-finis pour l’industrie textile, de la chaussure ou de la maroquinerie (à La Romana en République Dominicaine, ou à Port-au-Prince en Haïti). Ces articles, de même que les produits issus de l’industrie pharmaceutique et de l’électronique à San Juan, constituent une grande part du fret aérien. À Sainte-Lucie, des activités de montage ont également été installées à côté de l’aéroport de Hewanorra, construit dans le sud de l’île. Proche du port de Vieux-Fort, cet aéroport représente aussi un exemple d’aménagement volontaire destiné à promouvoir l’apparition d’un pôle de développement éloigné de la capitale, Castries.
24Le transport aérien a également joué un rôle fondamental dans le boom touristique aux Antilles. D’après la Caribbean Tourism Organization [2015], l’archipel a reçu 20,2 millions de touristes en 2014, dont plus de la moitié était originaire d’Amérique du Nord. Pour des raisons d’image, mais aussi pour anticiper (Grenade) ou satisfaire (Saint-Thomas) la demande de tour-operators, les gouvernements ont investi dans des infrastructures capables d’accueillir les gros porteurs, même si l’utilité de certains aéroports, surdimensionnés, a parfois été remise en cause. Dans la plupart des cas, c’est l’aéroport de la ville-capitale qui a bénéficié de ces agrandissements. La qualité des installations oriente toutefois le type de tourisme que l’on souhaite promouvoir : quelques petites îles (Anguilla, Saint-Barthélemy) ont su s’accommoder de l’absence d’aéroports internationaux pour s’orienter vers un tourisme de luxe et sont desservies indirectement par des avions de plus faible capacité ; à l’inverse, certaines destinations très prisées par le tourisme de masse (République Dominicaine) ont multiplié leurs aéroports. La forte saisonnalité des flux est parfois compensée par le développement de flux touristiques régionaux (par exemple, entre les îles françaises et la République Dominicaine).
- 3 L’exurbanisation est un processus urbain qui consiste au transfert d’activités du centre-ville vers (...)
25Les aéroports participent également aux recompositions territoriales à l’intérieur des villes. Dans les plus grandes, ils peuvent ainsi contribuer à un mouvement d’exurbanisation3 et de polycentrisme. Les espaces autour des grandes infrastructures tendent, en effet, à devenir de nouveaux centres au sein d’une configuration métropolitaine multipolaire [Gaschet & Lacour 2002]. Dès les années 1970 est apparu, aux États-Unis, le concept d’airport city [Conway 1977] : il s’agit, pour les gestionnaires d’aéroports, de promouvoir la création de parcs industriels et d’affaires à proximité de leurs infrastructures, afin d’assurer une rentabilité maximale de celles-ci et de diversifier leurs sources de revenus [Drevet-Demettre 2015]. Ce concept va se diffuser, surtout après 1990, dans le monde entier (Amsterdam-Schiphol, Francfort, etc.) pour donner naissance à de nouvelles formes urbaines, souvent comparées aux edge cities (villes lisières) nord-américaines [Garreau 1991]. Le modèle de l’« aerotropolis », théorisé par l’économiste et sociologue américain John Kasarda propose, à plus petite échelle, l’émergence de vastes régions urbaines planifiées et organisées en auréoles concentriques autour d’un aéroport (Chep Lap Kok à Hong Kong, Dubaï, etc.), comprenant des parcs d’activités d’envergure mondiale, mais aussi des espaces résidentiels, etc. [Kasarda & Lindsay 2011] ; ce modèle fait cependant l’objet de réserves, notamment du point de vue des politiques publiques et de la planification à long terme [Charles & al. 2007]. S’il n’existe pas aux Antilles de véritables « aérovilles », des pôles urbains aux activités diversifiées et au fonctionnement semblable à celui d’une ville, c’est à Panama City qu’est envisagée la création de la première « aerotropolis » de la Caraïbe et d’Amérique latine, sous le nom de Panatropolis ; les îles n’offrent pas, en effet, les mêmes atouts en termes de volumes de trafics, de dynamisme économique, de réserves foncières, etc.
26Les aéroports jouent un rôle socio-économique indéniable pour les villes, mais les relations entre ces infrastructures et les territoires qui les entourent sont devenues plus complexes, voire parfois conflictuelles [Faburel 2004].
27L’aéroport n’est pas qu’un simple ensemble d’installations techniques dédiées au transport aérien, il est également porteur de symboles : un symbole de développement, « un point d’ancrage du Monde » [Frétigny 2012] et au Monde, donc un lieu clé de l’ouverture ; enfin, un symbole affectif car c’est là où se séparent et se retrouvent les familles dans un espace antillais marqué par les mobilités migratoires. Dans un contexte de plus en plus compétitif, il est devenu un outil de marketing et doit souvent jouer le rôle de vitrine d’une ville [Roseau 2012], voire d’une île. C’est, en effet, dans l’aéroport que s’effectue le premier contact du passager avec le territoire, même s’il ne s’y attarde pas. Les autorités aéroportuaires ont donc intérêt à soigner l’accueil et les services offerts. Les premières aérogares présentaient une architecture fonctionnaliste et peu recherchée, mais des créations plus récentes tentent de refléter une image du territoire : les aérogares de Punta Cana sont coiffées d’énormes couvertures de paille (Photo 2) fabriquées avec les feuilles d’un palmier traditionnellement utilisé dans l’architecture locale et qui a donné son nom à la station balnéaire, ce qui assure un dépaysement dès la descente de l’avion ; celle de Pointe-à-Pitre se compose de deux ailes, évoquant la forme en papillon de la Guadeloupe.
Photo 2 – L’aéroport international de Punta Cana (République Dominicaine) a été créé pour desservir la station balnéaire. L’exotisme tropical dès la descente de l’avion
Source : Cliché : A. Simmon, 2018
28Les noms des aéroports célèbrent souvent une figure emblématique de renommée locale et parfois internationale : José Martí à La Havane, Toussaint Louverture à Port-au-Prince, Aimé Césaire à Fort-de-France, etc. Les aéroports font aussi partie des lieux politiques et diplomatiques de la ville (accueil des hôtes de marque). Ils sont au cœur de l’actualité locale en dépit d’une plus grande banalisation dans la vie des habitants. Marc Augé a fait de l’aéroport (comme la gare et d’autres installations nécessaires à la circulation accélérée des personnes et des biens) un exemple du « non-lieu » produit par la « surmodernité », c’est-à-dire « un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique » [Augé 1992]. Ce serait un espace de transit, d’anonymat, où se croisent et s’ignorent des milliers d’individus. À l’inverse, pour Michel Lussault [2017], l’aéroport est un exemple (comme le centre commercial, etc.) d’« hyper-lieu », caractéristique de la mondialisation urbaine. Celui-ci se reconnaît par cinq dimensions : l’intensité (la concentration en un lieu de réalités spatiales diverses) ; l’hyperspatialité (à la fois être là et connecté à l’ailleurs) ; l’hyperscalarité (à la fois local, national, international, global) ; la dimension « expérientielle » (un espace d’expériences que l’on souhaite partager) et l’affinité spatiale (les individus viennent profiter collectivement d’une même expérience).
29Aux Antilles, l’aéroport fait partie de l’espace vécu des insulaires et est à l’origine de nombreuses formes de territorialisation. Dans les petites îles surtout, c’est un espace social familier, fréquenté régulièrement pour les nécessités du désenclavement et pour les services présents à proximité. L’aéroport est aussi la porte vers les rêves liés au ciel : si l’atterrissage des avions n’est plus un facteur d’attraction dans bien des îles, il attire encore les spectateurs là où la courte longueur des pistes fait naître des sensations fortes (Saba, Saint-Barthélemy, Sint-Maarten). Le rôle géostratégique de ces infrastructures est également fondamental lors de la gestion des situations de crise provoquées par les catastrophes naturelles. C’est par elles que transitent les premières aides internationales d’urgence (à Port-au-Prince, suite au séisme de 2010, etc.). Dans les petites îles, leur rôle géopolitique est renforcé car il y a peu de possibilités de séparer les infrastructures aériennes civiles et militaires.
30L’aménagement des aéroports est coûteux pour les îles. Ils ont longtemps été sous le contrôle des États et les établissements publics y sont encore les plus nombreux. Mais, dans un contexte international plus libéral, on assiste à l’arrivée d’acteurs privés dont la souplesse d’exploitation permet une meilleure adaptation aux besoins du trafic. La République Dominicaine est très avancée dans ce processus de privatisation. En 1984, a été inauguré le premier aéroport international privé au monde, à Punta Cana. Il appartient à un groupe international (Corporación Aeroportuaria del Este, S.A.), dont les capitaux sont majoritairement américains et dominicains, et est exploité par le Puntacana Resort & Club. Cette célèbre station balnéaire a été créée, au début des années 1970, dans une région du sud-est de l’île où il n’y avait que des villages de pêcheurs. Tous les services publics de la zone sont également privés : réseau et production électriques, réseaux d’eau potable, routier et autoroutier, accès aux soins, etc. La station s’affiche comme une « ville de rêve » pour les touristes, où se succèdent hôtels, centres commerciaux, parcs d’attraction, etc. Mais peut-on pour autant parler de « ville » ? En fait, pour certains auteurs, le tourisme : « […] a fait émerger de nouvelles formes urbaines (comptoirs, complexes hôteliers fermés, îles-hôtels, quartiers touristiques, etc.), ainsi que de nouvelles formes d’urbanité, notamment dans les stations et les villes touristiques ; […] le tourisme, invention des citadins, cristallise les valeurs et les pratiques urbaines, ou encore les formes architecturales, et transfère cette urbanité en tous les lieux mis en tourisme » [Nahrath & Stock 2012].
31Désenclavé essentiellement par l’aéroport, ce type de lieu fonctionne comme une enclave déconnectée du territoire environnant, même si l’amélioration du réseau routier permet de mieux relier Punta Cana aux autres villes du pays : La Romana est désormais à 35 minutes par autoroute et Santo Domingo, à moins de deux heures. À l’inverse, en Guadeloupe et en Martinique, les aéroports (devenus des sociétés de droit privé mais à capitaux publics) se sont rapprochés des intérêts locaux. À côté des parts de l’État (60 %) et des CCI (25 %), les collectivités territoriales (dont les communautés d’agglomération) ont pu récemment entrer dans le capital de ces sociétés. Les territoires proches ou sur lesquels sont implantés les aéroports, qui sont des espaces périurbains, montrent ainsi leur volonté de profiter des retombées positives liées à la présence de ces infrastructures et non en subir seulement les nuisances.
32À l’échelle locale, le développement des aéroports et la gestion de l’urbanisation à leur proximité peuvent aussi devenir des sources de conflits car cela fait intervenir des acteurs aux intérêts souvent divergents [Siino & al. (coord.) 2004] : autorités publiques locales et nationales, gestionnaires d’aéroports et de compagnies aériennes, promoteurs immobiliers, groupements écologistes, associations de riverains, etc. Le transport aérien est, en effet, à l’origine de nuisances dont les incidences sur des îles exigües et densément peuplées peuvent être exacerbées. Ces nuisances sont particulièrement concentrées autour des aéroports qui génèrent diverses pollutions et sont de gros consommateurs d’espace. Construits à l’origine dans des secteurs à l’écart de l’urbanisation, les aéroports ont été depuis rattrapés par l’étalement urbain (Photo 3).
Photo 3 – Les installations de l’aéroport de San Juan, à Porto Rico (à gauche de l’image) : entre mangrove et étalement urbain
Source : Cliché : C. Ranély Vergé-Dépré, 2017
33La croissance des trafics, liée aux évolutions du transport aérien (structuration des flux par les hubs, augmentation de l’offre avec l’arrivée des compagnies charters et à bas coûts, etc.) et à l’augmentation des mobilités, entraîne une saturation progressive des infrastructures et une aggravation des nuisances autour des plates-formes [Merlin 2000]. À Saint-Thomas (Îles Vierges américaines, 81 km2), une étude réalisée en 1978 en vue de l’extension de l’aéroport prévoyait qu’une zone de sept hectares serait affectée, à chaque décollage de gros porteurs, par des nuisances sonores supérieures à 95 décibels pendant une à deux minutes. Or, cette zone située dans le prolongement de la piste correspond à la partie occidentale de la capitale, Charlotte Amalie, où se localisent des hôtels, des bureaux, l’université, etc. [Pesme 1997]. La modernisation de la flotte permet de diminuer le bruit des moteurs, mais les bénéfices sont limités, voire minimisés, par la hausse des trafics. Dans les îles où les aéroports sont en situation côtière, le survol de la mer au décollage et à l’atterrissage est privilégié afin de réduire les nuisances sonores sur les espaces urbanisés. Le bruit peut porter atteinte à la qualité de vie des populations mais il peut aussi avoir un impact sur la valeur des biens fonciers et immobiliers dans les secteurs les plus exposés. La maîtrise de l’urbanisme autour des aéroports constitue donc une mesure préventive pour limiter ces effets. Aux Antilles françaises, comme sur le reste du territoire national, sont obligatoires des Plans d’exposition au bruit qui gèrent l’organisation de l’urbanisation dans les espaces proches des aéroports. Mais les restrictions d’urbanisme et les servitudes aéronautiques impliquent le gel d’importantes surfaces, dans un contexte insulaire où le foncier est rare et cher : en 2018, on compte par exemple 323 hab/km2 à la Martinique (1 128 km2) et on atteint 663 hab/km2 dans l’île anglophone de La Barbade (430 km2).
34Le choix du site pour la construction ou l’agrandissement d’un aéroport fait parfois l’objet d’âpres tractations. Plusieurs projets ont ainsi avorté face à divers mouvements d’opposition : à la Martinique, le projet de construction d’un deuxième aéroport dans le sud de l’île pour desservir les espaces touristiques, a été contré dans les années 1980 par des associations écologistes. L’emprise spatiale croissante des aéroports réduit les espaces naturels et agricoles, provoquant parfois des conflits d’usages avec les riverains. À Saint-Thomas, l’allongement de la piste (portée à 2 134 mètres) a été un chantier d’ampleur unique aux Antilles. Achevée en 1991, la piste s’avance sur plus de 500 mètres au-dessus de fonds marins d’une profondeur pouvant atteindre 20 mètres. On estime que cet aménagement a depuis modifié les conditions hydrographiques de Brewers Bay : le mouvement des eaux y a été réduit de 80 %, empêchant leur renouvellement et provoquant une pollution de la plage de Brewers Beach [Pesme 1997].
35L’activité aérienne dans les aéroports génère localement une pollution des sols ou des espaces limitrophes par le déversement de résidus d’essence, de solvants et autres produits toxiques. L’aménagement de ces infrastructures peut donc porter atteinte à la biodiversité par la destruction des milieux de vie des espèces animales et végétales.
36D’autres formes de dégradations environnementales peuvent également être induites par l’activité aérienne : forte consommation d’énergie fossile, pollution atmosphérique, production de déchets, etc. L’aéroport de Punta Cana a, par exemple, lancé une politique de « zéro déchet » pour laquelle il a reçu, en 2009, de la part de Conde Naste traveler, un magazine américain de référence de l’industrie du voyage, un « World Savers Award » : ce prix récompense les professionnels du voyage faisant preuve d’une grande responsabilité sociale et environnementale et peut constituer un outil marketing supplémentaire.
37Vecteurs techniques indispensables pour relier les villes antillaises entre elles et les connecter au reste du monde, les aéroports doivent donc augmenter leur « capacité territoriale » afin que leurs activités soient davantage en équilibre avec la situation économique, sociale, environnementale des espaces et des populations urbaines riveraines. Il s’agit de « construire l’acceptabilité sociale de ces équipements » [Faburel 2004, p. 238], en tenant compte davantage des représentations territoriales et des pratiques des habitants.
38Le transport aérien joue un rôle socio-économique et géopolitique majeur aux Antilles. Il contribue à la capacité de rayonnement des territoires urbains, voire insulaires, et à leurs recompositions. Les villes doivent être équipées d’infrastructures performantes afin de se maintenir dans la compétition internationale. L’activité aérienne participe ainsi à l’émergence de polarisations et de nouvelles centralités.
39Mais l’aéroport reste un lieu de confrontation entre plusieurs sphères : entre le mondial et le local, entre les défis environnementaux et les enjeux économiques, entre le long-terme et le conjoncturel, etc. D’où la question de plus en plus sensible de l’insertion de ces infrastructures dans leur environnement, qui est généralement celui des espaces urbains. Dans les grandes métropoles de la planète, la mondialisation et les évolutions récentes du transport aérien ont eu tendance à distendre les liens entre les aéroports et les villes, en favorisant la concentration d’activités sur site dans une organisation métropolitaine maillée et polycentrique [Siino & al. 2004]. Mais compte tenu notamment de la faiblesse du réseau urbain antillais, ce phénomène est ici encore peu marqué et dépend du degré de développement et de rayonnement des villes capitales.
40Les observations faites à plusieurs niveaux d’analyse spatiale montrent donc la richesse des rapports entre l’aéroport et les territoires urbains antillais. Malgré des tendances générales communes, apparaissent des singularités propres à chaque île et émergent différents niveaux et modèles d’urbanité. Par leur emprise spatiale croissante et le renforcement de leur rôle dans le contexte de la mondialisation, les aéroports établissent aujourd’hui des relations avec les villes beaucoup plus complexes et plus riches que par le passé.