1La Trame verte et bleue constitue un réseau structuré de continuités écologiques terrestres et aquatiques identifiées par les Schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) ainsi que par les documents de planification de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements. La Trame verte et bleue a notamment pour objectif de contribuer à l’amélioration de l’état de conservation des habitats naturels et des espèces, de participer au bon état écologique des masses d’eau, ou encore à freiner l’érosion de la biodiversité résultant de l’artificialisation et de la fragmentation des espaces. Au-delà des objectifs assignés par le Code de l’environnement (art. L. 371-1 I), la Trame verte et bleue correspond en outre à un important réseau écologique permettant la préservation de la biodiversité mais aussi un outil d’aménagement écologique des territoires qui s’articule avec les autres politiques environnementales (aires protégées, Natura 2000, Parcs naturels régionaux, plans d’actions en faveur des espèces menacées etc.). La Trame verte et bleue s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité (2011-2020), mais aussi dans les Schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) et au niveau local dans les Schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les Plans locaux d’urbanisme (PLU). Ainsi, ces documents de planification permettent de mieux intégrer les enjeux de biodiversité dans les projets de territoire.
2Si la Trame verte et bleue vise en premier lieu des objectifs écologiques, elle permet également d’atteindre des objectifs sociaux et économiques, par le maintien de services rendus par la biodiversité (production de bois énergie, pollinisation, bénéfices pour l’agriculture, amélioration de la qualité des eaux, régulation des crues, etc.), par la mise en valeur paysagère et culturelle des espaces qui la composent (amélioration du cadre de vie, accueil d’activités de loisirs, etc.), mais aussi par les interventions humaines qu’elle implique sur le territoire (ingénierie territoriale, mise en valeur, gestion et entretien des espaces naturels, etc.).
3Dans ces conditions, comment mettre en œuvre et développer une politique de Trame verte et bleue multifonctionnelle, remplissant à la fois des objectifs écologiques, économiques et sociaux, dans un territoire fortement anthropisé et densément urbanisé où la fragmentation des espaces et des milieux est relativement importante ? Quel équilibre trouver dans la gestion écologique du territoire et son développement ?
4Pour répondre à ces questions, nous verrons d’abord que la biodiversité régionale est particulièrement fragmentée dans les Hauts-de-France, ensuite nous aborderons la mise en œuvre de la Trame verte et bleue dans cette région, enfin nous évoquerons les projets menés à l’échelle du Pays d’Artois.
- 1 Deux catégories de ZNIEFF sont distinguées. Les ZNIEFF de type 1 : Secteurs de grand intérêt biolog (...)
- 2 La région des Hauts-de-France est parcourue par les autoroutes A1, A2, A16, A23, A25, A26, A27, A28
- 3 Dès le Moyen Âge les Pays-Bas forment le carrefour de chemins le plus important de l’Europe occiden (...)
5La répartition géographique de la biodiversité n’est pas homogène sur le territoire régional des Hauts-de-France compte tenu de l’importante fragmentation paysagère et de la forte anthropisation créant des conditions très contrastées dans un espace composé de vastes étendues de plaines. Un certain nombre de sites sont connus pour abriter une faune et une flore particulièrement diversifiée et spécifique de milieux naturels identifiées et protégées en Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF)1. À côté de ces sites où la biodiversité semble plus importante qu’ailleurs, se trouvent des espaces fortement anthropisés et aménagés comme les zones industrielles, les espaces urbains, les voies de communication, les espaces agricoles dominant dans le paysage qui présentent une plus faible biodiversité composée d’espèces dites « ordinaires ». Un important réseau de communication composé de canaux, de chemins de fer, de routes et d’autoroutes2 sillonne la région qui en fait l’un des plus denses et importants du territoire national3. Le tracé de ce réseau fragmente d’autant plus les espaces et les milieux en contribuant à l’altération de leur qualité biologique par la diminution de la perméabilité, mais aussi à la destruction directe de certains milieux naturels ; cause majeure de la perte de biodiversité.
6Les paysages du Nord sont caractérisés par quatre séquences spatiales particulières. D’abord le littoral avec l’empreinte de la mer, des ports et du tourisme, ensuite l’espace agricole – terre de grande culture céréalière ou terre d’élevage –, puis l’emprise urbaine et le dense semi de villes et villages, enfin l’ancien bassin minier, qui pendant plus d’un siècle a marqué le paysage avec les corons, les cités jardins et les terrils aujourd’hui revégétalisés. Plusieurs sous-ensembles paysagers (ou éco-paysages) se distinguent au sein de ces quatre séquences paysagères : les Plaines maritimes, le Boulonnais, le Montreuillois, la Flandre intérieure, le couloir de Saint-Omer, de l’Artois, le Béthunois, le Lensois, la Plaine de la Lys, l’Agglomération de Lille, le Pays de Pévèle, le Douaisis, le Val de Sensée, l’Arrageois, le Cambrésis, le Valenciennois, l’Avesnois et plus au sud la Picardie, avec la Thiérache, le Vermandois, le Santerre, le Ponthieu, ou encore l’Amiénois. Peu de points communs entre les collines du Boulonnais et la plaine de la Lys par exemple, d’autant plus que la diversité des conditions écologiques a orienté des modes d’occupation du sol très différents, renforçant la singularité de certains territoires. Ainsi le plateau crayeux du Cambrésis est occupé principalement par des grandes cultures tandis que les collines de la Fagne sont couvertes de prairies bocagères et de bois où les cultures sont rares.
Figure 1 – La biodiversité et les ZNIEFF dans les Hauts-de-France
Source : DREAL, 2015
7Les paysages régionaux, tout comme la biodiversité identifiée dans les ZNIEFF, sont donc particulièrement contrastés comme le montre la carte produite par la DREAL Nord-Pas-de-Calais-Picardie en 2015 (Figure 1). Les ZNIEFF de type 1 et 2 sont plutôt concentrées en périphérie de la région laissant ainsi la partie médiane plus intensément mise en valeur notamment pour l’agriculture, les voies de communication et les espaces urbains générant des nombreuses discontinuités écologiques. La région présente donc une véritable mosaïque paysagère contrairement à l’image réductrice du Pays Noir héritée des décennies d’exploitation du charbon.
8De ces paysages diversifiés et fortement anthropisés dans la région résulte une biodiversité fragmentée et concentrée dans quelques lieux où la perméabilité est très faible formant des noyaux ou des îlots dispersés. Cependant, en connectant ces éléments du paysage entre eux (îlots boisés et forestiers, cours d’eau, ripisylves, haies, talus, bords de chemin, de route etc.), il devient alors possible de les considérer comme un réseau permettant des déplacements d’individus ou de gènes entre populations animales et végétales.
- 4 Le développement de l’écologie du paysage au début des années 1980, fondé sur une approche fonction (...)
9La biodiversité d’un territoire peut être analysée par l’approche de l’écologie du paysage4 qui a pour objet d’analyser la façon dont sont répartis les différents espaces remplissant chacun des fonctions écologiques propres [Forman & Godron 1986, Burel & Baudry 1999]. D’un point de vue écologique, on peut distinguer trois éléments fondamentaux constituant le paysage :
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la matrice qui représente la toile de fond du territoire dans laquelle on trouve les autres éléments ;
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les noyaux de biodiversité (ou tâches) qui sont les espaces concentrant une biodiversité particulièrement élevée ;
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les corridors biologiques (ou écologiques) qui correspondent aux éléments de liaison, de connexion, entre les noyaux de biodiversité.
10Dans les régions fortement peuplées et artificialisées comme les Hauts-de-France, la matrice correspond à un espace particulièrement affecté par les activités humaines, où les noyaux de biodiversité et les corridors sont dispersés, peu nombreux et souvent de faible superficie. Le paysage est essentiellement agricole voire urbain mais néanmoins très hétérogène dans la mesure où différents éléments peuvent être distingués, comme les groupes de prairies, les villages, les espaces de grandes cultures, les zones industrielles, etc. La matrice est donc une mosaïque paysagère plus ou moins diversifiée et complexe dans laquelle on rencontre des noyaux de biodiversité caractérisés par un certain nombre d’espèces animales et végétales qui en font des espaces exceptionnels du point de vue des caractéristiques écologiques ou de la diversité biologique. Ils abritent des écosystèmes originaux en plus ou moins bon état, très souvent d’origine anthropique comme les espaces forestiers. Du fait des modifications parfois profondes apportées à ces écosystèmes depuis plusieurs siècles, les noyaux de biodiversité des Hauts-de-France sont représentés dans leur grande majorité comme des milieux semi-naturels. Les modifications anthropiques anciennes ont souvent conduit à développer une certaine diversité paysagère et végétale originale [Hotyat & Galochet 2001]. L’absence de pratique de gestion de ces milieux semi-naturels aboutirait à leur banalisation consécutive à la disparition de beaucoup d’espèces caractéristiques, notamment pour les milieux ouverts comme les pelouses sur craie, les prairies inondables ou encore les landes. Ainsi, ces noyaux de biodiversité constituent une priorité en matière de conservation de la nature, puisque à eux seuls, sur une superficie restreinte du territoire régional, ils abritent la majorité des espèces vivantes présentes dans la région [Observatoire régional de la Biodiversité 2012]. Ces noyaux de biodiversité sont considérés comme les cœurs de nature de la Trame verte et bleue régionale dont l’objectif principal est de restaurer le fonctionnement écologique des territoires en permettant à la biodiversité de se déplacer entre les noyaux (ou réservoirs de biodiversité) en les reconnectant entre eux par des corridors écologiques ce qui est indispensable à la pérennité des populations animales et végétales [Debray 2011].
- 5 Réseau écologique : désigne en écologie du paysage l’ensemble des milieux et des habitats interconn (...)
11La politique de la Trame verte et bleue cherche à reconstituer un réseau écologique5 dans les territoires, afin de permettre aux espèces faunistiques et floristiques d’effectuer leurs déplacements et de coloniser de nouveaux espaces indispensables pour se nourrir, se reproduire et s’établir dans des biotopes adaptés. Elle permet d’une part de répondre aux enjeux d’érosion de la biodiversité, engendrés notamment par la fragmentation et l’artificialisation des milieux naturels et leur dégradation, et d’autre part de maintenir ou de rétablir les interactions entre espaces naturels et semi-naturels des territoires, de limiter le cloisonnement des écosystèmes, de réduire l’effet des discontinuités et d’offrir la possibilité d’assurer la conservation de la biodiversité et du patrimoine biologique, tout en favorisant les échanges et les déplacements des espèces animales et végétales [Bennett 2003, Melin 1997].
12La Trame verte est représentée par les corridors végétaux comme des boisements isolés, des bandes enherbées ou des haies champêtres. La Trame bleue, quant à elle, est constituée du réseau aquatique de cours d’eau, de mares et de zones humides. Ces réseaux de corridors existent déjà en partie et l’objectif de la Trame verte et bleue, est de les renforcer, de les connecter et d’en créer de nouveaux par des aménagements de reboisement afin d’améliorer la fonctionnalité écologique des territoires [Bonnin 2006, COMOP 2009]. Rétablir les continuités entre les espaces naturels et semi-naturels au moyen de corridors est important notamment pour les espèces peu mobiles et isolées, particulièrement vulnérables aux diverses transformations de leur environnement (emprise croissante des villes, des infrastructures, des terres agricoles, etc.). Améliorer la connectivité à travers la mise en réseau des espaces protégés sur l’ensemble du territoire apparaît désormais comme un modèle d’action privilégié dont s’emparent les politiques de conservation de la biodiversité à travers la Trame verte et bleue qui se décline en région [Alphandéry & Fortier 2012].
- 6 La loi du 12 juillet 2010 introduit la Trame verte et bleue dans le Code de l’environnement (art. L (...)
13La Trame verte et bleue, inscrite dans le Grenelle de l’environnement de 2007 et dans la loi du 12 juillet 2010 (n° 2010-788) portant engagement national pour l’environnement (Grenelle 2)6, est motivée par le constat de l’importante fragmentation écologique sur l’ensemble du territoire français induisant une fragilisation des populations végétales et animales, y compris pour les espèces ordinaires. L’objectif de la Trame verte et bleue est de les reconnecter, tout en permettant leur redistribution géographique dans un contexte de changement climatique mais aussi en apportant des services écosystémiques aux territoires et à leurs habitants. Pour répondre à ces objectifs, la mise en œuvre de la Trame verte et bleue doit être effectuée de manière cohérente à différentes échelles (Tableau 1).
Tableau 1 – La traduction territoriale multiscalaire de la Trame verte et bleue
Échelle nationale
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Le document-cadre "Orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques" définit les grandes lignes directrices de la Trame verte et bleue. Les projets de l’État doivent être compatibles avec ce document-cadre qui précise les critères de cohérence nationale relatifs aux continuités écologiques.
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Échelle régionale
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La TVB est identifiée à l’échelle régionale par les Schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) portés par l’État (Préfet de région) et le Conseil régional. Ces documents définissent les objectifs et les moyens à atteindre en matière de préservation et de remise en état des continuités écologiques à travers un plan d’action stratégique. Le SRCE spatialise et hiérarchise les enjeux de continuités écologiques à l’échelle régionale, et propose un cadre d’intervention pour la préservation et le rétablissement de continuités.
En Corse, la Trame verte et bleue est transcrite dans le plan d’aménagement durable de la Corse qui tient lieu de SRCE tandis qu’en Outre-Mer, ce sont les Schémas régionaux d’aménagement qui assurent la mise en place de la TVB.
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Échelle départementale
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La TVB est déclinée à l’échelon départemental par les politiques Espaces naturels sensibles (ENS), de gestion des infrastructures routières départementales, de l’aménagement foncier agricole, de gestion de l’eau (à l’échelle des bassins versants) etc.
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Échelle du territoire de projet
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La démarche TVB constitue le volet intégrateur des projets de territoire où est recherchée une complémentarité et une cohérence entre les différentes politiques publiques. Ceci se concrétise par la mise en œuvre d’expérimentations et d’outils contractuels (PNR, intercommunalités, schémas d’aménagement et de gestion des eaux, etc.).
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Échelle du SCoT
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Le Schéma de cohérence territoriale, document de planification à l’échelle de plusieurs communes ou groupements de communes, détermine un projet de territoire mettant en cohérence l’ensemble des politiques sectorielles (habitat, mobilité, aménagement commercial, environnement et paysage). Cet outil prend en compte le Schéma régional de cohérence écologique (SRCE) de sa région et intègre les enjeux en matière de continuités écologiques.
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Échelle communale
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Le plan local d’urbanisme (PLU) permet la mise en œuvre opérationnelle de la TVB à l’échelle communale ; il peut ainsi définir des règlements d’urbanisme opposables aux tiers prenant en compte les préconisations définies dans les SRCE.
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Échelle individuelle
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L’implication des entreprises est encouragée dans le cadre de l’aménagement de leurs installations et la réduction de leur impact sur l’environnement. Le rôle positif des agriculteurs et forestiers est pris en compte dans le maintien des continuités écologiques. Il est également soutenu dans le cadre de mesures agro-environnementales et climatiques ou de contrats Natura 2000. Les actions des citoyens et des associations en faveur de la biodiversité sont encouragées.
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Source : d’après http://www.trameverteetbleue.fr
14Au niveau national, les grandes orientations sont fixées, mais aucune cartographie n’est produite. C’est au niveau régional que les éléments se précisent, dans les Schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), qui sont à leur tour traduits dans les documents d’urbanisme comme le Schéma de cohérence territoriale (SCoT), le Plan local d’urbanisme (PLU) et le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi).
15Le SRCE-TVB a une portée juridique, et doit être pris en compte dans les SCoT et les PLU communaux ou intercommunaux (PLUi). Il doit identifier, maintenir et remettre en bon état les réservoirs de biodiversité ainsi que les corridors écologiques, au moyen d’un plan d’action stratégique définissant les priorités. Ce plan propose des mesures pour mettre en œuvre le SRCE qui se décline à des échelles infrarégionales et repose sur les acteurs locaux [Cormier et al. 2010]. Pour définir une Trame verte et bleue à l’échelle du territoire et décliner le concept dans les PLU, il faut donc traduire le SRCE-TVB, en renforçant précisément l’analyse dans une approche structurelle (cartographie, éléments à relier, etc.) et fonctionnelle (déplacements des espèces selon leurs capacités de dispersion, etc.).
16La mise en œuvre de la Trame verte mobilise donc de nombreux acteurs et utilise plusieurs outils de planification territoriale qui implique l’action multiscalaire déclinée à des échelons subsidiaires pertinents en adéquation avec les besoins et les projets des collectivités (Figure 2).
Figure 2 : La Trame verte et bleue, une action multiscalaire emboîtée
Source : http://www.trameverteetbleue.fr
- 7 Avant la réforme territoriale entrée en application au 1er janvier 2016.
- 8 Observatoire régional de la Biodiversité du Nord-Pas de Calais, Analyse des indicateurs 2011. Conte (...)
- 9 Daniel Percheron, Président du Conseil régional Nord-Pas de Calais de 2001 à 2015, Sénateur du Pas- (...)
17L’ancienne région Nord-Pas de Calais7 et la Mission Bassin Minier ont été les précurseurs de cette politique de la Trame verte et bleue, puisqu’elles ont élaboré des coulées vertes qui quadrillent le territoire régional dès 1992. Cette année-là, la Mission Bassin Minier conclut sa réflexion sur une Trame verte à l’échelle du bassin minier et en 1994 un schéma est élaboré à l’échelle de la Métropole lilloise par le Service environnement du Conseil régional. Très vite, la région et la Mission Bassin Minier mutualisent ces projets territoriaux à l’échelle de l’ensemble régional (Figure 3) et à les mettre en œuvre dès le début des années 2000. Cette politique prend un sens particulier dans le processus de reconversion de l’ancien bassin minier et permet par ailleurs d’augmenter notablement la superficie forestière, la plus faible de France (9,4 % de taux de boisement contre une moyenne nationale de 30 % selon l’Observatoire régional de la Biodiversité du Nord-Pas de Calais8), tout en donnant à la région une image plus verdoyante que par le passé, fortement marqué par d’importantes activités industrielles et minières. En outre, elle permet de répondre à une certaine demande sociétale justifiant le lancement du Plan Forêt régional le 13 mai 2009 par l’ancien exécutif9 du Conseil régional avec l’objectif ambitieux de doubler le taux de boisement d’ici à 2040 [Galochet & Wiesztort 2016].
18Ces dernières années, la région a montré à maintes reprises sa volonté de respecter les engagements européens en apportant sa contribution à la constitution du réseau écologique paneuropéen. Plusieurs catégories d’espaces ont été identifiées dans le territoire régional pour constituer une Trame verte et bleue formée par des « cœurs de nature », des « corridors biologiques » et des « espaces à renaturer » (Figure 3). Ces derniers sont des secteurs dans lesquels des actions ciblées de restauration de la biodiversité sont nécessaires et où le Plan Forêt s’inscrit pour étendre les surfaces boisées régionales et préserver la forêt en tant que lieu d’accueil de la biodiversité et des populations à la recherche d’espaces de détente.
Figure 3 : La Trame verte et bleue régionale en 2007
Source : www.sigale.nordpasdecalais.fr
- 10 Observatoire régional de la Biodiversité du Nord-Pas de Calais. Analyse des indicateurs 2010. Conte (...)
19L’objectif de ce projet Trame verte est de tirer parti de tout espace de nature pouvant contribuer à prolonger un corridor biologique. Selon l’Observatoire régional de la Biodiversité du Nord-Pas de Calais (créé en 2010), le constat de la perte de biodiversité à l’échelle régionale est globalement identique à celui effectué à l’échelle mondiale, compte tenu de la forte industrialisation et urbanisation de la région. Un grand nombre d’espèces faunistiques et floristiques sont menacées de disparition et certaines ont déjà disparu par destruction ou dégradation de leur habitat comme la loutre, le merle à plastron ou encore certains papillons de jour. Depuis 1900, il y aurait en moyenne une espèce par an qui disparaîtrait en Nord-Pas de Calais10. Pourtant, la région possède un potentiel environnemental non négligeable avec une mosaïque de milieux naturels. Le littoral se distingue sur ce plan, mais l’intérieur des terres n’est pas dénué d’intérêt avec des landes, des zones humides, des milieux forestiers et boisés, des bocages, etc. La politique de la Trame verte et bleue cherche à valoriser tous ces milieux qui présentent un grand intérêt écologique.
- 11 Xavier Bertrand, Président du Conseil régional des Hauts-de-France depuis décembre 2015.
20La nouvelle région élargie des Hauts-de-France, issue de la fusion de la Picardie et du Nord-Pas de Calais depuis la réforme territoriale entrée en vigueur le 1er janvier 2016, présente un taux de boisement relevé aujourd’hui à 13 % mais reste encore très inférieur à la moyenne nationale (30 %), ce qui justifie toujours l’ambition d’accroître la place de la forêt dans ces territoires même si la poursuite du Plan Forêt n’est plus vraiment la priorité du nouvel exécutif11 régional qui en redéfinit actuellement les contours, les objectifs et les modalités. Après l’impulsion nationale et régionale, ce sont à présent les collectivités locales et les intercommunalités qui portent sur leur territoire des projets de constitution d’une Trame verte et bleue sous diverses formes favorisant notamment le retour de l’arbre dans la région des Hauts-de-France, tout en offrant divers services écosystémiques et sociaux.
- 12 La mise en révision du SCoT initial de la région d’Arras étendu aux EPCI du Sud-Artois, des Deux So (...)
21Fondé en 2002, le Pays d’Artois est une structure de regroupement de collectivités locales située dans le Pas-de-Calais qui rassemble 255 communes réunies dans 6 intercommunalités contiguës : la Communauté urbaine d’Arras qui en constitue le pôle central et les Communautés de communes d’Osartis-Marquion, du Sud-Artois, La Porte des Vallées, des Deux Sources et de l’Atrébatie. Depuis 2016, cette structure supra-territoriale s’est réorganisée dans un nouveau périmètre autour de 5 intercommunalités (sans Osartis-Marquion) et 206 communes (168 537 habitants en 2018 pour une superficie de 1 294 km2) afin d’élaborer son Schéma de cohérence territoriale de l’Arrageois (SCoTA)12 qui fixe les grandes orientations du territoire d’ici à 2040.
22Cette structure joue un rôle d’animateur, de coordinateur et de mise en synergie des différentes intercommunalités qui composent le Pays pour mener des actions et des stratégies de développement supra-territorial comme par exemple la réalisation d’une trame verte et bleue.
23Le Pays d’Artois s’est lancé dans ce type de projet dès 2008 en confiant à un bureau d’études la conception du Schéma de la Trame verte et bleue (réalisé entre 2008 et 2009 en concertation avec les acteurs institutionnels, associatifs et économiques) permettant le remaillage écologique du territoire marqué par les paysages ruraux, l’agriculture intensive et les espaces périurbains. Ce Schéma se fixe pour priorité la préservation de la biodiversité, de la ressource en eau et des zones humides ainsi que la plantation de haies dans les espaces agricoles pour constituer un bocage favorisant le déplacement des espèces.
24Plusieurs actions ont été engagées pour mettre en œuvre ce Schéma de Trame verte et bleue, notamment en bénéficiant de l’accompagnement et de l’expertise technique de bureaux d’études en assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) qui ont contribué à la réalisation de projets pilotes. Par exemple, plusieurs communes de la Communauté de communes des Deux Sources ont bénéficié de l’accompagnement de trois bureaux d’études en AMO pour la réalisation de travaux d’aménagements écologiques d’un marais, le remplacement des peupleraies par des essences locales, la rationalisation des boisements ou encore l’aménagement de chemins de randonnée.
25D’autres projets s’inscrivant dans le Schéma de Trame verte et bleue du Pays d’Artois ont vu le jour à partir d’initiatives décentralisées des différentes intercommunalités formant le territoire comme notamment le plan de boisement de la Communauté urbaine d’Arras.
26La Communauté urbaine d’Arras s’est engagée dans la Trame verte et bleue de l’Arrageois, dont l’objectif est la préservation et la restauration de la biodiversité, en adoptant un plan de boisement sur son territoire, contribuant par la même occasion au Plan Forêt régional. Ce plan de boisement à l’échelle communautaire a été mis en place en trois étapes successives :
27Étape 1 : étude de pré-définition avec diagnostic écologique en 2010 :
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l’inventaire floristique des différents milieux naturels ainsi qu’une analyse environnementale précise identifiant les carences écologiques des milieux et les différents points noirs ne permettant plus le déplacement aisé de la faune ;
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l’inventaire faunistique identifiant plusieurs espèces « repères » limitées dans leur développement par le fractionnement écologique du territoire ;
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l’intégration de la présence d’espèces protégées (faune et flore) au titre de l’article L411-1 du Code de l’environnement ;
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l’évaluation des moyens de connexion des sites à aménager avec les milieux naturels existants.
28L’étude de pré-définition du plan de boisement de la Communauté urbaine d’Arras a permis de retenir 8 communes (Arras, Achicourt, Saint-Laurent-Blangy, Dainville, Beaurains, Neuville-Vitasse, Wancourt, Monchy-le-Preux), (Figure 4).
29Étape 2 : étude de maîtrise d’œuvre en 2011 :
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définition du programme de travaux en fonction des inventaires écologiques ;
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chiffrage des travaux ;
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choix des entreprises pour la réalisation des plantations.
Figure 4 – La trame verte et bleue de l’Arrageois.
Source : Études et cartographie-paysages. Environnement Qualité Service p. 9.Novembre 2002
30Étape 3 : réalisation des travaux 2012-2013 :
31Les travaux d’aménagement ont été réalisés pendant l’hiver, saison la plus propice, essentiellement sur des terrains communaux ou communautaires pour ne pas consommer de terres agricoles fertiles. Au total, le plan de boisement concerne :
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87 ha aménagés et gérés en gestion différenciée, dont 68 ha de boisement en plein ;
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230 000 arbres et arbustes plantés ;
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1 300 000 euros de travaux financés à 80 % par la Région et le FEDER.
- 13 Le site est reconnu par les associations environnementales et naturalistes en raison des 9 espèces (...)
32Parmi les réalisations du plan de boisement, l’aménagement du site de la Citadelle d’Arras est emblématique. D’une superficie de 42 ha, le bois de la Citadelle constitue l’un des principaux cœurs de nature de la Trame verte et bleue de l’Arrageois, qui s’articule autour de deux corridors biologiques structurants que sont la vallée du Crinchon et celle de la Scarpe. C’est également la plus grande surface boisée du territoire. La localisation, la surface et la richesse écologique de ce bois en font un maillon indispensable au maintien et au développement d’une continuité écologique fonctionnelle au sein de la zone urbaine. Le site de la Citadelle est le plus vaste des sites étudiés dans le cadre du plan de boisement et celui qui comprend le plus de zones humides. En outre, l’ancienne fonction militaire du site a fortement limité l’impact des activités humaines dans les parties boisées permettant ainsi à la faune et à la flore de se développer favorablement13. La richesse biologique de la Citadelle provient notamment de :
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de l’alternance des milieux fermés (bois) et ouverts (clairière) ;
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de la combinaison du ruisseau des Hautes-Fontaines, du Crinchon et des espaces boisés ou en herbe ;
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- 14 Une biodiversité importante de la petite faune (invertébrés remarquables : decticelle bariolée, sau (...)
de la présence d’une flore et d’une faune variée14 ;
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des conditions propices au maintien de la faune : niches écologiques dans la végétation, cavité dans les remparts, etc.
33La restauration du bois de la Citadelle, situé à l’interface des espaces agricoles et de la ville (Arras et Achicourt), a aussi permis le réaménagement du Parc Jean Zay limitrophe (Figure 5).
Figure 5 – Aménagement de la Citadelle d’Arras
Source : Communauté Urbaine d’Arras
- 15 Liste non exhaustive des principales espèces locales utilisées pour les arbres pour les arbustes (v (...)
34Dans le bois de la Citadelle, les aménagements se sont concentrés au creusement d’une mare dans la clairière, à l’aménagement de mares forestières, au débroussaillage pour éclaircir le bois, à la plantation de semenciers pour favoriser la régénération naturelle et à la création d’une zone refuge impénétrable. Des passages à gibier, au nombre de 9, ont été aménagés sur le périmètre de la zone refuge pour permettre la circulation de la population de chevreuils présente sur le site. Enfin, seules des essences locales15 ont été choisies pour les plantations en raison de leur meilleure adaptabilité aux conditions pédoclimatiques du site. Par ailleurs, des jeunes plants ont été privilégiés afin de capter un maximum de gaz carbonique.
35Le plan de boisement de la Communauté urbaine d’Arras représente un engagement politique important en termes de préservation de l’environnement et de la biodiversité mais aussi de développement territorial, s’inscrivant dans la Trame verte et bleue de l’Arrageois tout en participant aux objectifs du Plan Forêt régional. La réussite de ce plan appelle nécessairement une stratégie de gestion équilibrée respectant à la fois la préservation du boisement, la restauration de la biodiversité tout en accueillant le public. Les conditions d’ouverture au public sont adaptées au diagnostic écologique et aux capacités d’accueil du milieu pour orienter la fréquentation, la réduire ou l’interdire en fonction de la fragilité du milieu, de la période de l’année et des zones de refuge pour la faune et la flore.
36Les objectifs de gestion et d’ouverture au public sont inscrits dans un règlement du bois fixant les priorités en matière de conservation et régénération naturelle du bois ; de la protection de la flore et des habitats naturels exposés au piétinement ; de la préservation de l’ensemble de la faune du site sensible au dérangement ; et de l’encadrement des activités de loisirs sur le site.
37Cet exemple du plan de boisement réalisé dans le cadre d’une politique plus large de Trame verte et bleue, suppose une véritable dynamique de projet de territoire portée par des élus locaux et différents acteurs territoriaux qui doivent posséder une vision partagée du projet. Plusieurs facteurs sont indispensables à sa réussite. D’abord, la dynamique du projet doit s’inscrire dans une certaine durée pour mobiliser tous les acteurs mais aussi pour prendre le temps suffisant pour réaliser les différentes phases d’étude de pré-définition de diagnostic écologique, de maîtrise d’œuvre et de travaux. Ensuite, elle implique de mettre en place une animation du projet qui exige de former et de sensibiliser tous les acteurs aux enjeux de la Trame verte et bleue. Cette animation, tout comme la réalisation des aménagements, la gestion des sites pour assurer leur pérennité, la sensibilisation et la pédagogie pour concilier les différents usages, demandent un co-financement régional et européen (FEDER). Enfin, le projet doit s’adapter à la fois au contexte local et aux enjeux régionaux et nationaux de la Trame verte et bleue en réalisant des déclinaisons locales du Schéma régional de cohérence écologique mais aussi en définissant des modes de gestion multifonctionnelle remplissant simultanément des objectifs écologiques, économiques et sociaux indispensables aux projets de développement durable des territoires.